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La Bibliothèque nationale de France, qui conserve l’un des plus importants fonds

maçonniques au monde, vient de consacrer une exposition majeure à la franc-maçonnerie


française du 12 avril au 24 juillet 2016. En partenariat avec le Musée de la franc-maçonnerie,
elle a présenté plus de 450 pièces, certaines encore jamais montrées, issues des collections de
la Bibliothèque mais aussi des principales obédiences françaises ou de prêts étrangers
exceptionnels. Les origines de la franc-maçonnerie, l’histoire de son implantation en France,
ses symboles et rituels, ses contributions dans de multiples domaines - politique, religieux,
artistique et philosophique - enfin l’évocation des légendes qui lui sont attachées constituaient
le parcours de cette exposition dont l’ambition était de faire comprendre, dans un esprit
didactique, ce qu’est la franc-maçonnerie.
J’ai eu le bonheur de la visiter le 29 juin dernier avec mon épouse et je remercie la loge et
notre T I F Xavier de nous avoir offert l’entrée.
Le mystère des origines
La franc-maçonnerie moderne naît au seuil du siècle des Lumières. Mais tout commence bien
avant, sur les chantiers des cathédrales du Moyen Âge où les maçons s’organisent en
confréries, se dotent de règlements et façonnent une histoire légendaire. Au Moyen Âge,
comme tous les autres gens de métier, les maçons ont cherché dans la Bible des éléments en
lien avec leur activité qui puissent leur servir de modèle. La construction du temple de
Salomon, exposée dans le Premier Livre des rois et le Second Livre des chroniques, y fait
l’objet de l’un des rares passages illustrant l’art de bâtir. Le peintre Jean Fouquet, selon
l'usage au Moyen Âge, replace la construction du temple de Salomon à sa propre époque, le
15e siècle, se référant à ce qu'il connait : le chantier d’une cathédrale. Dans Antiquités
judaïques, livre de Flavius Josèphe qu’il a enluminé vers 1465, il nous offre ainsi un
témoignage précieux sur les modes de construction de l'époque. J’ai passé un bon moment
devant le Livre sur les arts et métiers de Paris d’Etienne Boileau (vers 1268), les Anciens
Devoirs des confréries de Maçons de 1390 et 1425 ou encore les Carnets de Villard de
Honnecourt (XIIIe siècle), qui décrivent l’organisation sociale et les manières de travailler de
ces maçons devenus, même s’ils construisent bien d’autres bâtiments, « les bâtisseurs de
cathédrales ». J’ai pu consulter le Manuscrit Regius (entre 1390 et 1425), le Manuscrit Cooke
(entre 1425 et 1450), les statuts Schaw (1598 et 1599), un Procès verbal de la réunion de la
Loge d’Aitcheson's Haven (du 9 janvier 1599) – enfin, consulter n’est pas tout à fait vrai car
ils étaient exposés, inaccessibles dans une vitrine, à une page ouverte où l’on ne repère que
quelques mots tant les langues ont changé et si l’on touche la vitrine une alerte sonne ; en tout
cas, c’est ce que m’a dit gentiment un gardien en me demandant de ne plus toucher la vitrine.
Ces magnifiques ouvrages sont de véritables trésors. Je me suis attardé devant les plus
techniques : entre une œuvre d’art et un traité de mathématiques, ils expliquent comment
calculer, comment tracer, comment construire et exposent des techniques de raisonnement que
nous ne mettons plus en valeur et qui conservent toute leur pertinence. Les symétries, les
rotations, les homothéties sont abordées de façon pratique alors qu’aujourd’hui on les
enseigne d’une façon tellement théorique que bien des bacheliers seraient incapables de les
mettre en œuvre. Je n’ai eu qu’un regret, celui de ne pas pouvoir tourner les pages. Mais
heureusement, il y a Gallica sur internet et, en rédigeant cette planche, j’ai pu les retrouver
pour la plupart et les feuilleter.
Pour revenir à la maçonnerie, la force du symbole va lui conférer un prestige et un lustre
particuliers parmi les arts et métiers. À Renaissance à partir du XVIe siècle, l’architecture fera
partie de la culture de l’humaniste puis de l’honnête homme. Aux XVIe et XVIIe siècles, en
Grande-Bretagne, et plus particulièrement en Écosse, certaines confréries de maçons se
transforment en sociétés de rencontres et d’échanges, accueillant des membres étrangers et les
initiant à l’art de bâtir. Pour les distinguer des maçons « opératifs » qui taillent la pierre, on
appelle ces membres invités les maçons « acceptés » ou « spéculatifs » (du latin speculativus,

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abstrait), soulignant ainsi l’aspect symbolique de leur engagement. Ils partagent la référence
au temple de Salomon. Rien de bien exceptionnel en somme : nous avons bien aujourd’hui
une sorte d’équivalent avec les confréries de vignerons comme la Confrérie du Bontemps de
Sainte Croix du Mont où j’ai été intronisé commandeur d’honneur il y a une vingtaine
d’année. Elle représente, célèbre et défend non seulement le vin, mais aussi l’ensemble des
valeurs de cette culture : l’Amitié et la Gaieté, la Spiritualité et l’Art, la Fidélité à la Terre et le
Respect de la Tradition. Mais l’histoire a toujours eu le secret de nous réserver des surprises et
le parallèle avec les confréries actuelles s’arrête là. Si les francs-maçons du XVIIIe siècle – et
d’aujourd’hui – sont les héritiers de ces maçons « spéculatifs », tout en conservant les rites et
les symboles issus du métier de maçon, les francs-maçons ne se consacrent plus à la
réalisation matérielle des bâtiments mais au travail sur eux-mêmes et à la construction d’une
société meilleure et plus éclairée.
J’ai donc pu voir les documents les plus anciens, témoignant de l’activité des loges à la fin du
XVIe siècle et au XVIIe siècle en Écosse, comme le journal de l’érudit alchimiste Elias
Ashmole qui rapporte son initiation en 1645, dévoilant les origines – encore en partie
mystérieuses – de la franc-maçonnerie. J’ai pu découvrir que la notion de Grand Architecte de
l’Univers est apparue bien avant la fondation de la franc-maçonnerie moderne. On en trouve
trace dans Premiers mots de la Genèse : Dieu représenté comme l'architecte de l'Univers,
dans la Bible hystoriaulx, ou Les histoires escolastres de "Pierre" [Le Mangeur] ; traduction
avec gloses de Guiart des Moulins (XVe siècle). Au XVIIe siècle, le symbolisme apparait
dans Atalanta fugians, hoc est Emblemtata nova de secretis naturae chymic de Michel Meier
(1618) et dans Iconologie, ou explications nouvelles de plusieurs images, emblèmes et autres
figures de Cesare Ripa (traduction en français de 1636).
Comme vous le savez, la franc-maçonnerie moderne naît en 1717, à Londres, alors capitale
des idées philosophiques, avec la création de la Première Grande Loge. Mais après ce que je
viens de vous exposer, vous sentez bien qu’il s’agit d’une étape dans la continuité de
l’évolution des idées, des réflexions et des pratiques. Dans cette Première Grande Loge, les
disciples de Newton y sont très présents autour du huguenot français Jean-Théophile
Désaguliers. J’ai pu voir un Cours de physique expérimentale qu’il a publié en 1720 et qui fut
traduit de l'anglais en 1751 par le R.P. Pezenas. Sous l'influence des membres de cette
Première Grande Loge, l’article 1er de leur nouveau règlement, les Constitutions d’Anderson,
proclame la liberté de conscience ... avec une restriction au sujet des athées. Une édition
originale de The Constitutions of the Free-Masons (for the use of the lodges) de 1723 était
exposée. La tolérance religieuse est en effet une valeur fondatrice de la franc-maçonnerie.
Permettez-moi de dire ici que la tâche n’est pas achevée. Il ne suffit pas que soit proclamée la
liberté de conscience pour que les francs-maçons en jouissent. Libérer sa conscience est une
tâche qui demande énormément de travail et de persévérance. Nous y travaillons ici avec plus
ou moins de bonheur mais vous savez combien nous en sommes éloignés dans la société
actuelle.
La franc-maçonnerie s’implante en France vers 1725 dans l’ambiance libérale et anglophile
de la Régence. Elle apparaît dans le sillage de Britanniques exilés pour des raisons politiques
ou religieuses. D’abord accueillie comme une mode par l’aristocratie, elle s’étend rapidement
à la bourgeoisie et s’enracine durablement dans la société de l’Ancien Régime. Les plus
anciennes loges attestées en France sont celles créées à Paris vers 1725. À Bordeaux, des
marins et des négociants irlandais fondent la loge L’Anglaise en 1732. À partir de Paris, des
loges s’implantent dans les grandes et moyennes villes du Royaume autour de 1740 : Lyon,
Marseille, Orléans... À Toulouse, ce sont des Irlandais "jacobites" (partisans de la dynastie
déchue des Stuart) qui créent la Maçonnerie. Mais la réaction ne se fait pas attendre. En 1737,
le gouvernement prend ombrage de cette influence étrangère et interdit la franc-maçonnerie.
Les premiers documents maçonniques français qui ont survécu jusqu’à aujourd’hui sont donc

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les pièces saisies par la police. La BnF conserve ainsi les papiers de la loge Coustos-Villeroy
– registre et textes divers – confisqués à l’automne 1737.
Il faut attendre près de 170 ans, en 1893, pour que les femmes puissent entrer dans une loge
du Droit Humain. En 1901, elles peuvent aussi choisir d’entrer dans une loge de la Grande
Loge symbolique écossaise mixte et maintenue ou encore être reçues maçonnes dans une loge
d’adoption à la Grande Loge de France (les loges d’adoption permettant d’accueillir les
femmes en franc-maçonnerie sans avoir recours à la mixité). Il faudra attendre 1945 pour que
naisse l'Union Maçonnique Féminine de France qui deviendra La Grande Loge Féminine de
France et 2010 pour que des femmes soient initiées dans les loges du GO.
Le symbolisme
La dimension initiatique et symbolique caractérise la franc-maçonnerie. On trouve le verbe
"initier" dans le plus ancien texte maçonnique français, les Règles et devoirs de l’Ordre des
Francs-maçons du Royaume de France (1735), qui rappelle la discrétion à laquelle les maçons
se sont engagés vis-à-vis des gens extérieurs, en tout cas "jusqu’à ce qu’ils soient initiés dans
l’Ordre". Étonnez vous après de la réaction du pouvoir politique de l’époque !
L’initiation maçonnique n’est pas seulement la cérémonie de réception rituelle qui nous
permet d’entrer dans le cercle traditionnel et fraternel de la franc-maçonnerie. Elle est le
parcours symbolique en trois grades, ou "degrés" (apprenti, compagnon, maître), destiné à
nous transformer en initié aux principaux usages et principes de l’ordre dans lequel nous
sommes librement entrés. A ce sujet, peut-être, il me semble que l'exposition ne faisait pas
ressortir le caractère personnel de ce parcours, même si nous pouvions le deviner par la
diversité des personnalités présentées comme francs-maçons.
Je me suis moins attardé devant la présentation de la loge et du vocabulaire que nous utilisons
mais cette partie a beaucoup intéressé mon épouse. Elle s’avérait donc très utile. La
présentation allait jusqu’aux détails du temple avec son organisation orientée de l’espace,
structuré autour du tableau de loge, au centre, pivot des circulations, et ses éléments mobiliers
qui le caractérisent : colonnes Jakin et Boaz à l’entrée, pierres et outils symboliques, plateaux
des surveillants, autel de serments, orient et ses décors ... rien n’a été oublié. Mais ne nous
offusquons pas, le secret n’est pas là et, depuis 300 ans, les gravures, les publications et
maintenant les vidéos ont dévoilé tout cela.
Nos travaux en loge sont présentés comme reposant sur le rituel, ensemble codifié de paroles,
de gestes et de symboles, dont le but est de transmettre l’enseignement spécifique de chaque
grade. J’ai souri en voyant le rituel être réputé de nature traditionnelle et immuable. Depuis
plus de 30 ans, j’ai tellement vu de changement sur cette question, centrale sans doute, mais
pas forcément essentielle pour atteindre notre objectif. L’essentiel n’est-il pas de donner du
sens à notre rituel ? Et sur ce plan, l’exposition était particulièrement muette. C’était sans
doute un raté car pour moi le rituel maçonnique n’a rien à voir avec un texte sacré venu d’on
ne sait d’où.
L’exposition présentait l’importance du tableau de loge pour sacraliser l’espace et le temps de
la tenue. Sa mise en place au milieu du temple selon un rituel précis inaugure chaque travail
maçonnique et isole la loge du monde profane. Dans les premiers temps de la franc-
maçonnerie, la présence d’un tableau de loge permettait de transformer n’importe quelle salle
en temple maçonnique. Vous connaissez mes interrogations permanentes et mes doutes sur la
notion de sacré. Mais en ce qui concerne le verbe « sacraliser », je me rapproche du
philosophe allemand Ernest Cassirer (19e siècle) pour qui la sacralisation commence
lorsqu'on détache de la totalité de l'espace un endroit particulier qui est distingué des autres,
entouré et pour ainsi dire clôturé par un sentiment religieux. Remplacez « un sentiment
religieux » par « un sentiment issu de la pratique d’une spiritualité » et j’adhère.
Bien évidemment, l’exposition présentait une grande variété de tabliers et de cordons, l’un des
héritages les plus visibles de la maçonnerie de métier. Les premiers textes qui divulguent les

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usages des francs-maçons soulignent l’importance que revêt la remise solennelle du tablier à
l’issue de la cérémonie de réception. Et comme vous le savez, la surface vierge du tablier de
l'apprenti ne tarde pas à s’orner de toute une iconographie symbolique dont la franc-
maçonnerie spéculative se montre friande et dont la variété illustre l’utopie d’une franc-
maçonnerie universelle.
Enfin, pour clôturer le volet symbolique, l’exposition abordait les hauts grades. Les hauts
grades sont concomitants de l’implantation de la franc-maçonnerie en France et leur présence
est attestée dès 1743. Ils sont l’une des formes d’expression privilégiée des courants
spiritualistes qui se sont développés au XVIIIe siècle et structurés jusqu’au début du XIXe
siècle. Ils apparaissent en quelque sorte comme une mise en forme maçonnique de thèmes
tirés du vaste fonds de l’ésotérisme occidental. Tous abordent les thèmes de la vengeance, de
la justice, de l’amour, de la solidarité, de la destruction et de la reconstruction etc. Il y a un tel
foisonnement d’archives historiques qu’il m’aurait fallu passer plus de temps sur cette partie
de l’exposition. Je mentionnerai toutefois l’influence égyptienne qui arrive en franc-
maçonnerie à partir du XIXe siècle avec les expéditions bonapartistes et qui va être la source
de certains rites maçonniques. Sur le plan régional, vous serez peut être intéressés de savoir
qu’à Bordeaux, où la première loge (L’Anglaise) a été ouverte en 1732 et essaimé une
première fois en 1740 (La Française), les hauts grades se sont structurés dès 1745 sous
l’impulsion d’Etienne Morin, un négociant, bien avant Paris (1750) et ont essaimés un peu
partout en France et à l’étranger à partir de la loge de hauts grades Les Élus Parfaits. Cette
loge et ses filles ont joué un rôle fondamental dans la constitution des Anciennes Maîtrises,
dont la synthèse fait partie intégrante du Rite de Perfection en 25 degrés. Mais il faudra
attendre le début du 19e (1804) pour que le REAA se structure définitivement en 33 grades et
devienne progressivement le rite le plus pratiqué en France, toutes obédiences confondues. En
ce qui concerne les hauts grades du Rite français, constitués entre 1783 et 1786, c’est plus
compliqué car ils n’ont plus été pratiqués en France à partir de 1862 durant près d’un siècle
pour réapparaitre avec pas mal de variantes et parfois d’une façon assez curieuse à partir de
1963 dans plusieurs obédiences françaises dont le GODF.
Franc-maçonnerie et société
Vous pensez bien que l’imbrication de la franc-maçonnerie dans la société ne pouvait pas être
absente dans cette magnifique exposition. La franc-maçonnerie française ne s’est pas
cantonnée à l’initiation et aux symboles, elle s’est aussi impliquée, très tôt, dans les débats de
société, de la promotion de la tolérance religieuse à la défense des valeurs de Liberté,
d’Égalité et de Fraternité.
Les francs-maçons ont hésité sur la façon d’exprimer leurs intentions sociales : bienfaisance ?
charité ? Avec l’idée de mutualité, c’est la philanthropie qui s’impose en France au milieu du
XIXe siècle : "La franc-maçonnerie, institution essentiellement philanthropique,
philosophique et progressive…" disons nous à l’ouverture de nos travaux.
Les valeurs maçonniques ont longtemps rencontré l'hostilité de l'Église. L’année 1738
inaugure une série de bulles papales d’excommunication des francs-maçons. En France, dès
1737, le gouvernement du cardinal Fleury cherche, vainement, à interdire la franc-
maçonnerie, y voyant un repaire de jansénistes, d'opposants à la monarchie absolue et de
partisans de la liberté de conscience. À partir de 1740, la Maçonnerie s’étend dans toute la
France ; rares sont les villes qui ne comptent pas de loges. Elles sont un lieu de convivialité où
– dans l’esprit du siècle – les Frères célèbrent la vertu et l’égalité. La franc-maçonnerie
apparaît alors comme un vecteur de diffusion de l’esprit des Lumières. Les idées des
Lumières progressent, aussi bien dans les provinces reculées que grâce à des loges de
prestige, comme celle des Neuf-Sœurs qui réunit Benjamin Franklin, le naturaliste Lacépède,
le musicien Niccolo Piccinni ou les peintres Jean-Baptiste Greuze et Joseph Vernet et dans
laquelle sera initié Voltaire.

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Dans un premier temps, les maçons, comme toute la société française, accueillent avec
enthousiasme les événements de 1789. Ils y voient l’application à la société des principes des
Lumières. À partir de 1792, l’opinion maçonnique, majoritairement girondine, se divise. La
plupart des loges sont brisées par la Terreur. En 1793 seules 4 loges continuaient leurs travaux
à Paris. J’ai pu voir le tracé des travaux du 10 octobre 1793 de la RL Le Centre des Amis, dans
lequel le vénérable propose que le « vous » de l'ancien régime soit banni entre les FF et soit
remplacé par le « toi » de l'amitié républicaine. Les francs-maçons reviennent sur le devant de
la scène sous le Directoire (1795 - 1799), dans lequel beaucoup de frères voient une tentative
de république modérée gouvernée par la Raison.
Sous l’Empire, malgré une étroite surveillance de l'opinion par le régime napoléonien, on
assiste à la diffusion dans le monde profane d’idées en adéquation avec celles de la
Maçonnerie. Le Grand Orient de France est présidé par Joseph Bonaparte, frère de
l’empereur, puis par Murat puis Cambacerès. Protégée par un régime qu'elle sert, la
maçonnerie continue à porter dans toute l'Europe les valeurs philosophiques issues du siècle
des Lumières. La chute de Napoléon et de l'empire entraîne celle de la franc-maçonnerie.
Accusée depuis les écrits d'Augustin Barruel d'avoir provoqué la Révolution, combattue par le
nouveau clergé ultramontain, elle est contrainte de se mettre en sommeil dans la plupart des
pays de la Sainte-Alliance. Mais en France, le Grand Orient survit en faisant preuve
d'opportunisme politique, protégé par des personnalités proches du monarque Louis XVIII tel
le duc de Tarente ou le duc Decazes. Le Grand Orient reste néanmoins suspect et il lui est
interdit de débattre de sujets politiques ou religieux. Mais en tout cas, les principes d’égalité
civile et de liberté religieuse mis en œuvre par la Révolution française ne seront pas remis en
cause par la Restauration monarchique.
Sous la pression des événements, au cours du XIXe siècle, les loges passent progressivement
d’un libéralisme philosophique à un militantisme républicain et laïc. La IIe République une
fois proclamée en 1848 par Alphonse de Lamartine, un gouvernement provisoire, composé
d’un nombre important de maçons, décide de mesures symboliques fortes comme l’abolition
de la peine de mort pour des motifs politiques (qui sera rétablie par le gouvernement de
Vichy), signe le décret portant l'abolition de l’esclavage en France le 27 avril 1848 (adopté
sous l’impulsion du frère Victor Schoelcher), consacre la liberté de la presse (remise en cause
par Napoléon III) et institue le suffrage universel (masculin, bien entendu). Durant le siècle
des Révolutions (1830, 1848, 1870) la franc-maçonnerie accompagne, voire devance ou
inspire les progrès sociaux. Sans abandonner son caractère spéculatif et philanthropique, la
franc-maçonnerie française, et avec elle, celle des pays latins et de culture catholique
d’Europe et d’Amérique du Sud, s'implique dès lors dans le débat politique et religieux.
Gambetta, Jules Simon, Jules Ferry, Adolphe Crémieux et la plupart des grandes figures qui
fondent la IIIe République appartiennent à la franc-maçonnerie. Pour eux, l’école, le suffrage
universel et la science sont les clefs du progrès. Le Frère Léon Bourgeois, chef du premier
gouvernement radical en 1895, théorise cette philosophie sous le nom de "Solidarisme". Un
travail législatif assidu, où le rôle de la franc-maçonnerie est central, conduit ainsi à
transformer le visage de la société française, que ce soit par l’œuvre scolaire de Jules Ferry
(l’école primaire gratuite, laïque et obligatoire), par l’institution du Code du travail, dû au
maçon Arthur Groussier, ou par la loi de Séparation de l’Église et de l’État, dont Émile
Combes avait préparé les conditions de l’adoption.
Mais l’exposition ne pouvait parler de franc-maçonnerie sans évoquer l'antimaçonnisme. Une
série d'affiches (L'ennemi c'est lui ; La pieuvre ...) et le film Force occultes étaient exposés.
Les franc-maçons ne limitent pas leur influence au domaine politique ; ils ont aussi influencé
les domaines de l’art et de la culture. De Mozart à Hugo Pratt, la franc-maçonnerie irrigue
régulièrement un imaginaire artistique. Mozart fut initié à la franc-maçonnerie en 1784, à

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Vienne, et resta un Maçon actif jusqu’à sa mort en 1791. Il avait composé un hymne
maçonnique dès 1772. L’un de ses opéras les plus célèbres, La Flûte enchantée, met en scène
un parcours initiatique, ponctué d’épreuves, sur fond de lutte entre les Ténèbres et la Lumière.
C'est un franc-maçon, Auguste Bartholdi qui conçoit la statue de la Liberté offerte par la
France aux États-Unis pour célébrer le centenaire de la guerre d'indépendance dans laquelle
un autre Maçon, La Fayette, s'est illustré.
Beaucoup de grands auteurs de la littérature mondiale ont utilisé l’imaginaire maçonnique et
mis en scène les idéaux et les traits, réels ou supposés, et souvent poétiquement extrapolés, de
la vie en loge. Ainsi, de La Flute enchantée aux aventures de Corto Maltese, une légende
dorée de la franc-maçonnerie inspire romans, opéra ou bandes-dessinées.
Impact de cette exposition ?
Difficile à dire. Dans la presse, l’accent est mis sur le volet initial sur les origines, en partie
légendaires, qui permet de voir des pièces uniques, jamais présentées au public et sur la
qualité de l’exposition :
Le Monde (à la BNF, une sobre initiation aux mystères de maçons), Le Parisien (La franc-
maçonnerie s’expose au regard profane à la BnF), TV5Monde (La franc-maçonnerie dévoile
ses secrets, ou presque), Le Figaro (Les francs-maçons en pleine lumière), France info (La
franc-maçonnerie et son histoire), Valeurs Actuelles retient l’anecdote (Louis XVI était-il
franc-maçon ?), L’Humanité (Une plongée passionnante dans l’univers maçonnique),
L’Express (Le printemps de la franc-maçonnerie)
Le mystère se dissipe-t-il ? Pas si simple. Casanova, initié à Lyon à 25 ans, a livré dans son
Histoire de ma vie une des plus fines lectures de l’engagement maçonnique. « Le secret de la
maçonnerie est inviolable par sa propre nature, puisque le maçon qui le sait ne le sait que
pour l’avoir deviné. Il ne l’a appris de personne, il l’a découvert à force d’aller en loge,
d’observer, de raisonner et de déduire. (…) Ce secret sera donc toujours secret. ». La franc-
maçonnerie propose à l'initié un cheminement personnel, qui s'appuie sur des symboles et un
rituel. Ce cheminement n'est pas le fruit de sa seule introspection mais aussi le résultat de
l'action des FF qu’il côtoie dans sa loge. Et cette évolution personnelle débouche pour le
franc-maçon sur l'obligation d'être plus responsable dans le monde profane.

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