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ISBN : 979-10-242-0482-6
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R.D.
Avertissement
Le présent ouvrage est la deuxième édition d’un livre publié en
2008 sous le titre L’Invention de la franc-maçonnerie – Des Opératifs
aux Spéculatifs.
Vingt ans après mes premières publications sur le sujet dans la
revue Renaissance Traditionnelle, j’y proposais aux lecteurs français
une synthèse critique des théories présentées outre-Manche, depuis le
début des années 1980, pour rendre compte des circonstances
d’émergence de la franc-maçonnerie spéculative, bouleversant un récit
classique considéré jusque-là comme intangible.
Cette recherche, essentiellement britannique, dont j’annonçais déjà
le caractère inachevé, s’est poursuivie depuis lors. De nouvelles
hypothèses ont été soulevées, de nouveaux documents – ou d’anciens
documents relus d’une façon nouvelle – ont fait leur apparition.
Il était nécessaire de tenir compte de ces acquis plus récents et
d’en concevoir une synthèse accessible. J’ai donc repris tous les
travaux publiés depuis environ quinze ans, les enrichissant d’échanges
directs avec plusieurs érudits maçonniques anglais qui, depuis des
années, me font l’honneur de leur amitié.
C’est donc à divers égards un ouvrage nouveau, significativement
revu et actualisé, que je soumets aujourd’hui aux lecteurs intéressés
par le difficile et passionnant problème, toujours à reprendre, des
sources et des origines de la franc-maçonnerie.
R. D.
Introduction
Ouvriers et servants
Les termes qui ont servi à qualifier les différents acteurs des chantiers
médiévaux sont nombreux, variables et de sens parfois incertain. En outre,
leur emploi même n’est pas fixe selon le lieu ou l’époque. D’autres noms
sont encore trompeurs parce qu’ils semblent assigner à ceux qu’ils
désignent des tâches ou des responsabilités qui ne correspondent pas
exactement à la réalité de leurs actes. De cet ensemble mouvant et parfois
confus, on peut cependant dégager quelques points forts.
Les termes les plus répandus, dès le XIe siècle, pour parler des ouvriers
de la pierre, un peu partout en Europe, sont cementarius (lat. caementum
= moellon, pierre brute) et latomus (lat. latomus = carrier, tailleur de pierre).
D’emblée, on distingue bien deux types de spécialisations et un texte du
milieu du XIIe siècle, dû au chanoine Hugues de Saint-Victor, l’explicite très
clairement :
« L’architecture, dit-il, se divise en maçonnerie (cementaria) qui concerne les tailleurs de
pierre (latomos) et les maçons (cementarios)11, et en charpenterie qui concerne les charpentiers
(carpentarios) et les menuisiers (tignarios)12. »
Maîtres et architectes
Mais le chantier lui-même avait une raison d’être et un encadrement :
c’est ici qu’apparaissent le commanditaire et celui ou ceux qui dirigent les
travaux. En ce qui les concerne, la même confusion terminologique règne
que pour ce qui regarde les ouvriers.
En premier lieu, la distinction, classique en notre temps, entre le maître
d’ouvrage et le maître d’œuvre, n’est pas si tranchée au Moyen Âge, ou du
moins elle ne s’affirmera que progressivement. La répartition des rôles est
surtout bien plus complexe.
Le projet d’un chantier commence par une « fondation » : entendons par
là non pas, au sens architectural du terme, l’infrastructure et l’assise
matérielle d’un édifice mais le dispositif financier, juridique et
organisationnel qui va présider à la mise en place du chantier lui-même.
Dans le cas, que je privilégierai ici, d’un édifice religieux – église, abbaye
ou cathédrale – c’est à un clerc responsable, c’est-à-dire à l’évêque, à l’abbé
ou aux chanoines du chapitre qu’il appartient de concevoir le projet et de
réunir les fonds nécessaires à sa réalisation. Pour cela, tous les moyens sont
bons : si l’évêque doit, en vertu des décisions conciliaires, consacrer le
quart de ses revenus à l’œuvre, il ne peut éviter de faire appel aux
ressources du chapitre mais également à l’aide matérielle des fidèles, non
seulement sollicités par des quêtes mais encore par l’ostension des reliques
invitant à des offrandes salvatrices et par la concession éventuelle
d’indulgences à ceux qui subviennent volontairement au financement22.
Même les plus pauvres pouvaient apporter leur part : celle du travail de
leurs bras qu’ils offraient, pour un temps plus ou moins long, aux travaux
du chantier. Au demeurant, le nerf de la guerre venait parfois à manquer : la
légendaire longueur de certains chantiers médiévaux fut assez souvent liée
au manque périodique de moyens financiers pour les poursuivre…
Initiateurs du projet et premiers financeurs, les commanditaires
ecclésiastiques sont d’emblée placés dans une position intermédiaire : ils
sont à la fois les patrons et les concepteurs. Il est révélateur, par exemple,
que lorsque Gérard Ier, archevêque de Cambrai, entreprend en 1023 de
reconstruire sa cathédrale, recherchant lui-même les ouvriers et inspectant
les carrières, la chronique le montre agissant « tel un savant architecte »
(utpote sapiens architectus23). De même, au XIe siècle encore, Bennon,
évêque d’Osnabrück, élevant des digues pour protéger sa cathédrale des
crues du Rhin, est présenté comme « l’architecte principal, très ingénieux
ordonnateur du travail des maçons » (architectus praecipuus, operii
caementaris solertissimus erat dispositor24).
Toute l’organisation de l’œuvre se noue au sein de la « fabrique ». Il
s’agit en quelque sorte du comité opérationnel de gestion du chantier,
rassemblant en son sein les délégués du commanditaire, un clerc comptable
chargé d’ordonnancer les dépenses et d’en contrôler la régularité – puis de
rendre compte à l’évêque ou à l’abbé – ainsi que l’architecte, les maîtres
maçons et les charpentiers jurés. Or c’est ici que les équivoques surgissent
du fait même d’une terminologie toujours vague et changeante – et donc
trompeuse. Ainsi, le gestionnaire financer de la fabrique – pourtant lui-
même subalterne – est souvent qualifié de « maître de la fabrique » ou
d’operarius25, voire de « maître de l’œuvre » (magister operis), alors qu’il
n’est en rien architecte ni professionnel du bâtiment : au XIVe siècle, à
Chartres, l’office de maître d’œuvre de la cathédrale devint même
héréditaire et dut être finalement racheté par le chapitre26 ! De cet emploi
de l’expression viendront les nombreux « Maîtres des œuvres du Roi »
(« Master of the Works » en Angleterre ou en Écosse, « Intendant des
bâtiments du Roi » en France) : des fonctionnaires de la couronne chargés,
jusqu’au XVIIIe siècle encore, de surveiller et de coordonner les travaux de
construction pour le compte de leur souverain.
Or, il advint souvent, par la suite, que l’architecte – au sens cette fois
propre du terme – fût aussi dénommé « maître de la fabrique » : ce terme,
aussi bien que celui de « maître d’œuvre », est donc toujours ambigu.
Qui était donc au juste l’architecte, au Moyen Âge ?
Ce fut d’abord souvent le commanditaire lui-même : l’évêque, l’abbé,
les clercs en général étaient, à l’origine, les seuls hommes dont la culture
leur permît de se référer à des manuscrits antiques relatifs à l’architecture et
de posséder la science géométrique nécessaire à l’établissement d’un plan.
Dans le personnel de l’abbaye on trouvait aussi des frères convers, dédiés
aux tâches matérielles, qui pouvaient faire d’honorables ouvriers : « Tous
les monastères des Cisterciens sont construits dans les déserts et au milieu
des bois et ces religieux les bâtissent de leurs propres mains » affirme un
chroniqueur du XIIe siècle. On a du reste conservé les noms d’un grand
nombre d’entre eux27.
Au tournant du XIIe siècle, alors que la transformation gothique va
s’accomplir dans l’architecture religieuse, les architectes laïques, ingénieurs
militaires sortis du rang pour la plupart, jusque-là consacrés à l’édification
des bâtiments civils, forteresses et châteaux, vont prendre l’avantage.
Devant la sophistication croissante des tâches à accomplir et des
connaissances à maîtriser, on va assister, en quelque sorte, à la
professionnalisation de la fonction. Le premier acteur privilégié du chantier,
y compris pour les édifices religieux, devient alors le « maître maçon »,
d’abord l’assistant puis, de plus en plus, le successeur du clerc architecte
des siècles précédents.
La compétence de ces nouveaux aristocrates du métier, notons-le, ne se
limite pas au travail de la pierre. La charpente jouera encore longtemps un
rôle majeur : aux XIe et XIIe siècles, les mots architectus, architector,
achitectarius, désignent d’ailleurs volontiers, conformément à l’étymologie,
un maître charpentier-couvreur28 bien plus qu’un maître maçon. Les deux
professions, de la pierre et du bois, seront du reste longtemps tenues en
même estime : sous Philippe le Bel, le maître-maçon et le maître-
charpentier du roi perçoivent le même salaire et jouissent des mêmes
avantages29.
Au XIIe siècle, les mentions d’architectes – et cette fois il s’agit très
clairement du maître du chantier – deviennent plus fréquentes mais surtout
leur image est de plus en plus flatteuse : ainsi, Garin, architecte de Verdun,
est même comparé à Hiram de Tyr30, le constructeur du Temple de
Salomon !
Un changement radical s’est accompli au XIIIe siècle : le mot
« architecte » devient subitement très rare et le demeurera jusqu’au
XVe siècle, où nous retrouverons chargé d’un sens nouveau, mais celui qui
en tient lieu et que l’on dénomme alors plus volontiers magister
cementarius ou magister lathomus a acquis un nouveau statut. Ce terme
même de magister, emprunté au cursus universitaire des facultés
médiévales, traduit bien le fait qu’il apparaît désormais bien moins comme
un ouvrier – qu’il sera encore souvent au début de sa carrière – que comme
un savant (« dixit magister »), au même titre que ceux qui ont accompli le
cycle des arts libéraux31 – et qui du reste contesteront parfois l’emploi de ce
terme, à leurs yeux abusif, par des praticiens des arts mécaniques, réputés
serviles.
C’est en effet un véritable renversement qui s’est opéré : l’architecte, à
présent, se glorifie de n’être plus un travailleur manuel, et certains iront
même jusqu’à s’accorder un grade supplémentaire dans la hiérarchie
« universitaire » du chantier, comme Pierre de Montreuil, l’architecte de
Saint-Louis, dont l’épitaphe s’orne un titre nouveau :
« Ci-gît Pierre de Montreuil, fleur parfaite des bonnes mœurs, en son vivant docteur ès-
pierres, que le Roi des Cieux le conduise aux hauteurs de pôles.32 »
La loge
Nous pouvons à présent aborder ce lieu mythique entre tous, secret
selon certains et pourtant largement ouvert et sans grand mystère, que fut la
loge – ou plutôt « les loges », car il y en eut souvent plusieurs sur un même
chantier.
La loge est avant tout un lieu utilitaire, nécessaire à l’accomplissement
de certaines tâches du chantier et mis à la disposition des ouvriers pour leur
repos et diverses réunions de travail. Nous en possédons de nombreuses
descriptions et l’iconographie nous en a légué d’abondantes illustrations44.
C’est un bâtiment de bois le plus souvent, mais parfois de pierre – la
durée des chantiers, et donc de la loge, pouvait autoriser ce mode de
construction. Dans les documents figurés, on la présente presque toujours
comme une sorte de préau, de petite bâtisse pourvue d’un toit et de
quelques cloisonnages à claires-voies, mais sans mur plein. En d’autres
termes, elle n’est pas fermée et il est fort possible que ce modèle ait existé
tant les témoignages iconographiques sont abondants : on imagine fort bien
les ouvriers y taillant la pierre aux heures trop chaudes de la journée, à
l’abri du soleil et profitant d’une circulation d’air – du reste de nombreuses
45
miniatures nous les montrent dans cette situation 2. Toutefois, comme le
suggère P. du Colombier, il s’agit peut-être aussi d’une convention
iconographique destinée à montrer que c’est l’endroit où les ouvriers
travaillent : on serait ainsi en présence, pour employer un langage
technique, d’un dessin éclaté ou d’une coupe.
Les usages de la loge imposaient certainement des constructions plus
sophistiquées et plus protectrices. Les ouvriers tailleurs de pierre y
passaient en effet une grande partie de leur temps : le matin, ils allaient y
chercher leurs outils, rangés en ce lieu la veille au soir ; ils y travaillant
pendant le jour, car la loge est avant tout un atelier ; ils s’y restauraient lors
des différentes pauses de la journée et s’y accordaient sans doute un peu de
repos avant de reprendre le travail. D’autre part, si des loges « aérées »
pouvaient autoriser un travail point trop pénible en plein été, une loge bien
fermée était certainement préférable en hiver et d’une manière plus générale
par gros temps, lorsqu’il pleuvait notamment : le travail pouvait alors s’y
poursuivre « à couvert ».
En fait, lorsque la loge était close, ce qui était donc fréquent, elle
s’ornait toujours de baies suffisamment généreuses pour donner un bon jour
à l’intérieur. Comme elle était le plus souvent – mais pas toujours – adossée
à l’édifice en construction, seul un mur, donnant sur l’espace libre du
chantier, était percé de fenêtres et permettait de placer une porte d’entrée.
Souvent aussi, elle était attenante à une autre salle réservée à l’architecte et
située généralement à l’est de la loge : la chambre du trait ou chambre aux
traits (tracing house). C’est là que le maître et son appareilleur traçaient les
épures et confectionnaient les gabarits et les panneaux pour la coupe des
pierres46.
La vieille loge d’York pouvait abriter vingt maçons et en 1412 on dut en
construire une autre pour une douzaine de maçons. On peut estimer que
c’était l’effectif moyen d’une loge de chantier mais certaines furent bien
plus considérables, comme celle du château de Poitiers, sous la direction de
Guy de Dammartin en 1385-86, qui mesurait 50 m de long sur 14 m de
large ! À l’abbaye de Vale Royale, dans le Cheshire, à la fin du XIIIe siècle,
il fallut 1 400 planches pour élever une première loge et, l’année suivante,
mille autres furent employées pour dresser un second bâtiment : entre-
temps, l’effectif des maçons du chantier était passé de 41 à 51. Sur un très
vaste chantier, les loges pouvaient être plus nombreuses – que l’on songe au
chantier de Beaumaris, mentionné plus haut, avec ses 300 maçons ! – mais,
comme il n’y avait en principe qu’une chambre du trait, l’une d’entre elles
devait être plus ou moins privilégiée.
Assez fréquemment, il apparaît que la loge était divisée en plusieurs
pièces et, dans quelques cas, il semble qu’on y ait aménagé une sorte de
galerie ou de comble qui permettait sans doute aux ouvriers de faire une
sieste dans la journée. Toutefois, le soir venu, ils ne dormaient pas dans la
loge et disposaient au-dehors d’une habitation prévue à cet effet. Les
maçons n’étaient du reste pas les seuls à utiliser la loge : ils y côtoyaient
quotidiennement les charpentiers et parfois aussi les forgerons dont l’antre
rougeoyant était de manière habituelle située à proximité immédiate de la
loge car les maçons étaient les premiers clients des ouvriers de la forge à
qui ils confiaient leurs outils endommagés.
La loge, ainsi conçue, pouvait même s’éloigner du chantier : on a trouvé
des loges au sein des carrières. Dans ces ateliers « délocalisés », des rough
masons commençaient le façonnage de moellons qui, sous cette forme,
moins volumineuse et moins lourde que celle de la pierre « brute », étaient
ensuite convoyés vers le chantier plus aisément et à moindres frais. Plus
encore, et c’est un point intéressant, certains petits artisans indépendants,
vivant à demeure dans les bourgs ou les villes et installés à leur compte sans
lien avec un chantier particulier, tenaient un atelier-boutique volontiers
dénommé « loge »47.
Lieu de préparation du travail, de façonnage de la pierre ou du bois, de
repos et de discussion – de querelles aussi, à l’occasion – les loges étaient
les centres communautaires des chantiers. Or, jusqu’à quel point
possédaient-elles une « personnalité morale » et qu’y faisait-on réellement
d’autre ?
Le fait de coexister et de travailler ensemble, de longues années durant,
malgré les inévitables renouvellements du personnel ouvrier – accidents,
décès, départs volontaires ou exclusions –, devait créer au fil du temps, du
moins peut-on l’imaginer, une sorte de communauté humaine, d’esprit de
corps et de solidarité du chantier. C’est ainsi que de nombreuses chroniques
médiévales parlent des « maçons de la loge » comme d’une entité sociale
vivante et homogène – même si la réalité devait être évidemment plus
complexe. En un temps où tout destin singulier était précaire et où toutes les
conduites sociales se concevaient avant tout dans un cadre collectif, c’était
la loge en tant que telle, on le comprend aisément, qui discutait avec le
maître, exprimait les doléances des ouvriers, et naturellement parlait des
gages. Cette vie fut très tôt réglementée et, dès 1352 au moins, on possède
des textes qui y pourvoient, à York, par décision du Doyen du Chapitre de
la cathédrale. En 1408, il est même spécifié qu’un serment de respecter et
de faire respecter les règles du chantier – et ne portant sur rien d’autre –
sera prêté par le maître maçon (magister latamus), les gardes (gardiani) et
les « principaux maçons » (majores latomi)48. Le lieu d’application de ces
lois est la loge : c’est à ce niveau que l’on constate les manquements, dans
l’ordre professionnel ou moral, et qu’on signifie les sanctions.
Mais le mot « loge » est aujourd’hui porteur, en raison de l’histoire,
d’une telle charge évocatrice de mystères et de secrets, qu’on ne peut
manquer de poser la question : au-delà des aspects purement matériels et
utilitaires qu’on vient d’évoquer, les maçons ne préservaient-ils pas, dans la
discrétion de leurs loges, une tradition qui leur fût propre ?
Il est à la fois facile et délicat de répondre à cette question trop simple.
En premier lieu, il est assez facile de formuler quelques réponses si l’on
garde en mémoire les deux règles que j’ai posées en introduction à ce livre :
renoncer à la prétendue « tradition orale réservée aux initiés » pour sortir
des impasses, et oublier les prétendus « documents perdus qui expliquent
tout » ! Demeurons dans le champ de l’histoire et par conséquent dans celui
des documents consultables, car ils sont fort nombreux. La question peut
alors s’éclaircir sur plusieurs points.
Dans les loges des chantiers médiévaux, il n’y avait pas que des francs-
maçons (freemasons), loin de là, mais toutes sortes de maçons et bien
d’autres artisans encore, issus de différents métiers. La raison d’être de la
loge était fondamentalement liée à la pratique de leur art : la loge était un
lieu de travail, un atelier, et les hommes qui les fréquentaient étaient de
rudes gaillards, illettrés pour la plupart, craignant Dieu et le Roi, soumis à
des dures épreuves car en tant qu’ouvriers, à cette époque, la faveur du Ciel
ne les avait pas atteints. Ils travaillaient beaucoup et souvent
douloureusement pour un salaire modeste, et leurs espaces de liberté étaient
rares et restreints : toute vision romanesque de la « belle vie de l’œuvrier du
Moyen Âge » serait terriblement naïve si elle n’était indécente…
La loge était leur cadre familier, celui de leur vie quotidienne, ils y
gagnaient leur pain. C’était aussi, naturellement, un lieu de sociabilité –
plus ou moins pacifique, les chroniques en font mention en plus d’un
endroit – et un lieu de transmission des savoirs : on y apprenait le métier au
contact de ceux qui se perfectionnaient sans cesse à le pratiquer. Telle était,
pour l’essentiel, la vocation de la loge.
Cependant, en un temps où la ritualisation de la plupart des conduites
sociales traduisait la prégnance des références religieuses, même sur le
chantier, alors qu’il ne s’agissait au fond que de valider la compétence des
acteurs, certaines étapes de la vie professionnelle prenaient un tour
particulier, volontiers étrange nous semble-t-il – et peut-être même
exagérément étrange à nos yeux de citoyens désabusés des sociétés laïcisées
et post-modernes. Tout fait sens, au Moyen Âge : entendons par là que tout
acte de la vie sociale, de l’armement d’un chevalier à la réception d’un
compagnon du métier, en passant par la consécration d’un évêque ou
l’installation d’un échevin, du haut en bas de l’échelle des conditions
humaines, tout doit se raccorder à l’ordre du monde qui toujours est plus ou
moins sacré. Comme l’exprime Eric Palazzo, un spécialiste contemporain
du sacré médiéval :
« Il faut souligner avec force le fait qu’au Moyen Âge, la nature est un « autre » pour
l’homme. Qu’elle est fondamentalement « habitée » par le divin et qu’à ce titre elle contient une
part de sacré. Dans ce sens, il faut alors la considérer comme un véritable « temple » à côté du
temple de pierre et du temple intérieur que l’homme construit en lui. En d’autres termes,
l’espace sacré est aussi dans la nature, dans le paysage, et pas seulement dans les lieux bâtis
consacrés et destinés à accueillir les rituels liturgiques49. »
Comment les maçons des chantiers ecclésiastiques y auraient-ils été
insensibles ? D’où la ritualisation – même sommaire – des réceptions de
jeunes apprentis ou de compagnons. Nous connaissons, nous le verrons,
certains éléments de ces rituels : ils diffèrent sensiblement, là encore, en
Allemagne, en Angleterre ou en Écosse. Ils sont parfois réduits à presque
rien, ailleurs ils ont connu quelques développements. Rien n’est fixe, rien
n’est uniforme. Et finalement, rien ou presque n’est vraiment original : ces
rituels empruntent à des schémas assez universels en leur temps, sur fond de
légende de fondation dont la trame est avant tout biblique et de serment
prononcé sur l’Évangile – ou souvent aussi sur des reliques.
On le voit, les loges n’avaient rien d’exceptionnel dans le contexte
intellectuel, moral et social du Moyen Âge. Nous savons en fait assez bien
ce que s’y passait, et rien n’y est fait pour nous étonner si nous replaçons
toutes ces choses dans leur cadre historique.
Mais la question reste cependant délicate car le mot « loge », j’aurai
l’occasion de le redire à quelques reprises, est un mot piégé. Dès le Moyen
Âge, en pleine époque « opérative », on voit qu’il désigne à la fois un
bâtiment matériel et déjà une communauté humaine. Il peut même
s’appliquer à un commerce indépendant ! Les usages qu’on y observait,
dans l’Angleterre du XIVe siècle, dans l’Allemagne du XVe siècle ou dans
l’Écosse du XVIe furent, nous le verrons, très différents en dépit de quelques
inévitables similitudes. Et que dire, alors, des loges spéculatives qui
prétendent dériver des précédentes ? Dans tous les cas, le même mot se
trouve néanmoins pour qualifier « la » loge, véritable caméléon historique
adoptant sous un même nom, selon les époques et les lieux, des apparences
tellement diverses qu’il vaudrait presque mieux, pour chacune d’elles,
trouver un nom particulier.
Qu’on ne se méprenne pas : il ne s’agit pas ici d’une simple précaution
oratoire, d’une pure clause de style ; c’est au contraire un problème central.
Négliger cette difficulté ne permet pas de jeter, comme il convient de le
faire, un regard critique sur les nombreux travaux, surtout en langue
française, qui ont embrouillé à loisir, par ignorance ou légèreté, la question
des relations entre la maçonnerie opérative, les organisations de métier au
Moyen Âge, d’une part, et les premiers groupements maçonniques
spéculatifs, d’autre part. Or, l’une des difficultés les plus graves repose sur
les ambiguïtés du mot « loge ». Je m’efforcerai, dans les sections et les
chapitres qui suivent, de dégager progressivement les sens variés qu’il faut
y distinguer. J’espère ainsi pouvoir conduire le lecteur vers davantage de
clarté en un domaine plus ou moins délibérément obscurci.
Sur le chantier, autour des loges, on trouvait donc des rough masons et
des freemasons – mais aussi des charpentiers et des forgerons : leurs
compétences et leurs gages étaient différents – le plus souvent les
freemasons étaient un peu mieux payés, quoique ce ne fût pas constant –
mais tous travaillaient ensemble au même ouvrage. Tous participaient aussi
aux mêmes solidarités, aux mêmes associations. Depuis le XIe siècle, les
peuples de l’Europe avaient en effet constitué de nombreuses confréries
puis des guildes de métiers dont celles des maçons – toutes variétés de
maçons confondues – furent parmi les plus prospères.
Il est donc temps d’examiner cette organisation du métier depuis le
Moyen Âge. C’est en partie de sa méconnaissance que sont provenues
nombre d’erreurs et de méprises sur les origines de la franc-maçonnerie
spéculative elle-même.
Bien que ce serment soit évoqué ici de façon un peu elliptique on peut
légitimement supposer qu’il est substantiellement identique à celui que
rapporte dès 1370, soit une vingtaine d’années avant le Regius,
l’ordonnance de York qui stipule :
« Il jurera sur le livre de garder et observer consciencieusement et aussi activement qu’il le
pourra, sans ruse, feinte ni tromperie, tous les points de la présence ordonnance [qui énonce les
règles de vie du chantier] en tout ce qui le concerne ou pourrait le concerner, depuis le moment
où il aura été embauché audit œuvre77 […] »
Viennent alors les règles qu’il s’agit de suivre. Dans le Regius elles sont
dénommées « Articles » et « Points », au nombre de quinze à chaque fois et
seulement de neuf dans le Cooke. La plupart d’entre eux sont de nature
purement professionnelle et énoncent des principes assez proches de ceux
des corporations françaises ou des loges allemandes. On y trouve aussi des
prescriptions de morale chrétienne qui sont directement extraites de
manuels d’instruction à l’usage des prêtres pour l’édification de leurs
ouailles : on peut notamment citer des emprunts presque textuels aux
Instructions pour les prêtres de paroisse (Instructions for Parish Priests) de
John Mirk (fin XIVe siècle), et la reprise intégrale d’un poème traitant des
bonnes manières en société, le Tractus Urbanitatis, provenant très
vraisemblablement du même milieu que celui auquel appartenait l’auteur du
manuscrit. Le Regius, qui annexe un long développement sur la très
chrétienne légende de Quatre Saints couronnés (Quatuor Coronati), a du
reste été rédigé par un clerc qui se désigne dans le texte lui-même.
On mesure d’emblée ce qui rapproche les Anciens Devoirs, en même
temps que ce qui les distingue franchement, des textes dont nous disposons
pour la France à la même époque – par exemple le Livre des métiers – ou
pour l’Allemagne avec notamment les Statuts de Ratisbonne. La forme
d’organisation du métier qui nous est présentée ici diffère en effet des deux
modèles précédents.
En premier lieu, s’il est clairement question de la loge et ses règles,
comme chez les Steinmetzen – alors qu’en France, nous l’avons vu, les
sources sont absentes sur ce point –, en revanche aucune allusion d’aucune
sorte n’est faite, dans les Anciens Devoirs, à une autorité du métier qui leur
serait supérieure : ni confrérie, ni guilde, ni corporation, ni même autorité
royale. Dans l’ensemble l’impression que l’on retire de ces textes est que
les loges semblent en quelque sorte autonomes et paraissent s’administrer
elles-mêmes sous l’autorité du maître et des gardes (wardens) du chantier
avec, de loin en loin, d’énigmatiques assemblées annuelles ou triennales
dont l’objet exact n’est pas spécifié. On sait toutefois que du milieu du
XVe siècle à la fin du XVIe siècle, la question de la régulation des gages dus
aux maçons fut une préoccupation constante des autorités royales et de
justice. Les Anciens Devoirs, dès le début du XVe siècle, en conservent
l’écho très net et leur évolution en témoignera, nous le reverrons. C’est
même à la lumière de cette histoire économique et sociale qu’il faut les
envisager, et non comme des documents isolés dans un milieu clos et
détachés du monde concret.
Ensuite, et c’est la deuxième originalité des Anciens Devoirs, ils nous
décrivent une sorte de cérémonie qui consiste essentiellement un serment
précédé d’une lecture, sans doute à la fois des devoirs eux-mêmes et de
l’histoire du métier : une instruction et une légende, presque l’ébauche d’un
rituel. Les termes du serment qui achève cette cérémonie sont bien plus
clairs que ceux évoqués dans les Statuts de Ratisbonne mais très proches de
ceux des corporations françaises. Il faut noter qu’il n’est ici question ni de
poignée de main, de ni signe, ni de mot que les maçons posséderaient entre
eux pour se reconnaître. Pour l’instant et à ce stade de notre enquête, seuls
les Steinmetzen semblent avoir connu quelque chose de ce genre.
Enfin, et ce n’est pas le moindre intérêt de ces textes, le Regius et le
Cooke nous rapportent une histoire traditionnelle du métier, légendaire et
mythique, qui nous compte le développement de la Géométrie ou de la
Maçonnerie depuis l’aube de l’humanité. On mesure sans peine tous les
emprunts que pourra y faire à ces références l’armature rituelle des futurs
grades de la franc-maçonnerie spéculative.
De cet ensemble découle une reconstitution plausible de la vie des
chantiers anglais du XIVe siècle. Elle évoque beaucoup, par le rythme du
travail et le rôle qu’y joue la loge, les Steinmetzen ; les prescriptions
morales et professionnelles sont en revanche très proches de celles du Livre
des métiers : l’art du maçon retrouve ici son unité, mais dans un système où
une guilde à l’allemande aussi bien qu’une corporation à la française n’ont
pas de rôle significatif à jouer et où la loge semble être le seul pivot, ou
presque, du métier.
Nous avons ici l’une des sources les plus évidentes de la franc-
maçonnerie et le fait que, parmi les dizaines de copies connues de ces
textes, un grand nombre ait été en possession de loges spéculatives à la fin
du XVIIe siècle et au XVIIIe siècle encore, est un indice supplémentaire mais
très fort de la connexion de ces dernières avec la tradition opérative
anglaise médiévale. Mais de quelle nature exacte est cette connexion :
purement littéraire ou plus substantielle ? Nous verrons bientôt qu’en ce
domaine, l’apparente évidence doit plus que jamais nous inciter à la
prudence.
Mais avant d’en terminer avec ces différentes formes d’organisation des
maçons opératifs du Moyen Âge, deux problèmes, l’un concernant l’origine
des corporations, l’autre celles des loges elles-mêmes, doivent encore être
évoqués.
Il faut noter ici que pendant très longtemps, on a parlé des « Devoirs »
et non du Compagnonnage. Ce dernier terme lui-même ne s’est finalement
généralisé que dans le courant du XIXe siècle.
Il est clair que si les témoignages relatifs aux associations de
Compagnons deviennent plus sûrs et plus nombreux à partir de la fin
XVe siècle, c’est en lien avec l’évolution, à la même époque, des
corporations elles-mêmes. Devenues exclusives et abusivement protectrices
pour les maîtres qui les dominaient, elles firent de l’accès à la maîtrise une
entreprise de plus en plus difficile et même, pour la plupart des compagnons
qui n’étaient pas eux-mêmes fils de maîtres, un vain espoir. Dans beaucoup
de cas, la réalisation du « chef-d’œuvre » devint une formalité pour être
reçu maître de la corporation tandis que les compagnons qui auraient pu en
accomplir de plus somptueux restaient sur le côté du chemin.
Les Compagnonnages sont nés de ce désir de tout un peuple ouvrier de
la fin du Moyen Âge, qui ne trouvait plus vraiment sa place ni sa dignité
dans la corporation et pas même dans la confrérie qui lui était attachée, de
créer une communauté qui fût la sienne. De ce fait, assez tôt, ils éveillèrent
l’attention des autorités et s’attirèrent l’hostilité des maîtres. La méfiance de
l’Église se manifesta également car les Compagnons avaient développé des
usages, des rites, qui soudaient leur fraternité et forgeaient leur identité.
L’un des premiers témoignages de ces pratiques compagnonniques pour
cette époque ancienne de l’institution remonte au milieu du XVIIe siècle : on
ne sait pratiquement rien avant cette date. Alertée par la Compagnie du
Saint Sacrement91 sur les pratiques réputées impies et sacrilèges des
Compagnons, la Sorbonne diligenta une enquête et se procura quelques
détails. Nous lui devons le compte rendu le plus ancien sur les rituels
compagnonniques.
Une sentence de la faculté de théologie de Paris, en 1655, nous fournit
ainsi une description de la réception des Compagnons cordonniers, les
selliers, les ailleurs, les couteliers, les chapeliers92. L’atmosphère de ces
cérémonies évoque irrésistiblement celle des confréries paroissiales : on
faisait jurer le nouveau Compagnon sur sa foi, sa part de paradis, son Dieu,
son baptême. On lui administrait une sorte de parodie de ce baptême ; avec
le vin et l’eau, on lui montrait, sur une table recouverte d’une nappe
blanche, quelques instruments de la Passion, quelques scènes de la Bible –
mais on ne lui lisait rien. Puis le prévôt conduisait l’aspirant qui disait
« Honneur à Dieu, honneur à la table, honneur à mon prévôt ». Chez les
selliers on figurait une sorte de simulacre de la messe. Les docteurs de la
Sorbonne ajoutent avec effroi : « les huguenots étaient reçus par les
catholiques et les catholiques par les huguenots »…
Il faut, dans ces récits, faire la part de la malveillance qui les imprègne
évidemment. Tous les moyens sont bons pour y stigmatiser les « maudites
cérémonies de réception propres à leurs métiers et toutes ces pratiques
diaboliques ». Mais leur cohérence, dans les différents documents qui nous
parvenus, est assez remarquable. Il s’y exprime une forme de dévotion
populaire, d’un aspect baroque et parfois presque morbide, assez commune
à cette époque, et il est d’ailleurs remarquable que la dénonciation soit
venue de la Compagnie du Saint Sacrement qui était elle-même une sorte de
confrérie secrète mais réservée, pour sa part, aux personnes du meilleur
monde…
On doit observer enfin que rien n’évoque dans ce cérémonial un
quelconque symbolisme lié à un métier particulier et, bien qu’on ne possède
pas les rituels se référant aux Compagnons tailleurs de pierre pour la même
époque, rien n’autorise à présumer qu’ils auraient été très différents.
Quoi qu’il en soit, on ne possède d’informations vraiment précises et
dignes de foi, relativement aux rituels compagnonniques, que dans le
courant du XIXe siècle, et guère avant. On constate alors leur grande parenté
avec les rituels maçonniques et, parfois, des similitudes frappantes. C’est de
ce constat, pour l’essentiel, qu’est née la thèse des « origines
compagnonniques de la franc-maçonnerie93 ».
Elle résulte pourtant d’une erreur méthodologique fondamentale et
d’une ignorance de certains détails historiques.
L’erreur consiste à penser que si les rituels du Compagnonnage,
organisation dont les premières traces remontent au XVe siècle environ, sont
très proches de ceux de la franc-maçonnerie spéculative, qui s’est structurée
au cours du XVIIIe siècle, c’est nécessairement parce que la seconde, qui est
plus récente, les a empruntés au premier. La faille de ce raisonnement est
pourtant évidente : on ne peut vraiment dater les rituels compagnonniques
que depuis le XIXe siècle surtout et, précisément, nous sommes dans
l’ignorance à peu près complète de ce qu’ils étaient auparavant – en dehors
du document de 1655 qui, nous l’avons vu, n’évoque d’ailleurs rien de
maçonnique94.
Du reste, parmi les rares rituels compagnonniques connus pour le
95
XVIIIe siècle, le rituel des Compagnons tourneurs en 1731 , et celui des
blancheurs-chamoiseurs en 176696, ne renferment rien non plus qui puisse
se retrouver plus tard dans la franc-maçonnerie.
Quant aux faits historiques, ils sont très éclairants.
En ce qui concerne la France, rappelons que pendant tout le
XVIIIe siècle, les ouvriers et les humbles artisans n’ont jamais mis les pieds
dans les loges et qu’en 1786 ses rituels des trois premiers grades stipulaient
expressément que « l’on ne doit recevoir aucun homme professant un état
vil et abject, rarement on admettra un artisan, fût-il maître surtout dans les
endroits où les corporations et les communautés ne sont pas établies. Jamais
on n’admettra les ouvriers dénommés Compagnons des arts et métiers97. »
On ne saurait être plus clair.
Or, il ne faut pas oublier que le Compagnonnage, non au sens général
du terme – le fait d’acquérir la formation d’un ouvrier accompli – mais au
sens particulier de celui du « Tour de France », fut de tout temps, comme
cette dernière expression l’indique, un phénomène presque exclusivement
français98. On ne peut en rien le comparer aux associations de Steinmetzen
où maîtres et compagnons étaient en permanence unis dans les loges, au
sein d’une Fraternité unique et soudée99. On ne peut pas non plus en
rapprocher les maçons des Anciens Devoirs anglais – malgré la présence
elle aussi trompeuse du mot « Devoirs100 » – car leurs usages ne
ressemblent en rien à ce que connaissons dans le Compagnonnage, que ce
soit en terme de rituels, d’organisation ou de relations avec les guildes de
maîtres. Nulle part on ne retrouve, ailleurs qu’en France, ce caractère
systématique d’opposition aux corporations de maîtres qui fit la
particularité du Compagnonnage, ni cette structure d’entraide spécifique,
distincte des autres confréries de métiers qui existaient à la même époque.
Pour le dire autrement et tenter à nouveau de dissiper quelques confusions :
depuis que des ouvriers de la pierre ont commencé à œuvrer au pied des
cathédrales, de même que tous les freemasons101 n’ont pas été des francs-
maçons spéculatifs, tous les compagnons du métier n’ont pas été des
Compagnons du Tour de France.
Mais l’essentiel est ailleurs, ou du moins il vient plus tard. Tournant le
dos aux travaux approximatifs ou réellement fantaisistes que j’ai
mentionnés plus haut, une « école authentique » de l’histoire
compagnonnique, si l’on me permet de lui attribuer cette qualification102, a
vu le jour à son tour au cours des décennies récentes. Ses acquis sont
considérables, particulièrement en ce qui concerne l’histoire et les
profondes mutations de l’institution compagnonnique vers le milieu du
XIXe siècle. On peut notamment référer ici aux contributions précieuses de
Laurent Bastard, spécialiste reconnu du sujet, dont les conclusions sont
limpides103.
Si, comme nous venons de le voir, les rituels compagnonniques connus
antérieurement à Révolution française ne comportent aucun élément dont la
franc-maçonnerie aurait pu s’inspirer, en revanche, dès la fin de l’Ancien
Régime on relève déjà quelques signes notoires d’influence maçonnique
dans certains documents compagnonniques… et non l’inverse ! Ainsi, sur le
frontispice d’un rôle104 compagnonnique de 1782, on voit apparaître un
portique du Temple à quatre portes, un pavé mosaïque, une étoile
flamboyante, la lettre G, tous symboles alors largement attestés depuis
plusieurs décennies dans la franc-maçonnerie mais jusque-là inconnus dans
l’univers compagnonnique105.
Ce processus devient cependant majeur pendant XIXe siècle. Déjà, entre
1804 et 1831, chez les charpentiers « Indiens », les cordonniers, les
boulangers, les tisseurs, des usages proprement maçonniques sont peu à peu
introduits : le Grand Architecte de l’Univers prend la place de Dieu dans les
invocations ou les prières traditionnelles ; l’initiation remplace la
« réception » ; le mot « loge » lui-même est parfois substitué à celui de
« chambre », si spécifique du Compagnonnage. En 1803, dans certaines
banches du Compagnonnage, on introduit un nouveau « grade »,
parallèlement aux trois grades de la franc-maçonnerie. Puis vont également
apparaître dans les documents compagnonniques les abréviations
triponctuées en usage chez les francs-maçons dans le dernier quart du
XVIIIe siècle : repérables chez les Compagnons à partir de 1809 (C ∴ pour
Compagnon), elles y deviendront quasiment générales à la fin du siècle.
Il n’est jusqu’à la légende d’Hiram, apparue dans la franc-maçonnerie
vers 1725 à Londres et attachée au grade de maître de création alors toute
récente106, qui ne soit un siècle plus tard une nouveauté chez les
Compagnons. On ne trouve en effet aucune trace de cette légende dans les
sources compagnonniques au XVIIIe siècle, ni à aucune époque antérieure,
singulièrement chez les Compagnons tailleurs de pierre de Salomon
(Compagnons étrangers du Devoir de Liberté) qui auraient pu en être les
légitimes détenteurs si elle avait eu une origine compagnonnique. Mieux
encore, Agricol Perdiguier107, inlassable apôtre d’un Compagnonnage
régénéré, le dit lui-même très clairement en 1841 :
« Les Compagnons étrangers et ceux la de Liberté n’ont aucun détail authentique sur cette
fable toute nouvelle pour eux, et je pense que les Compagnons des autres sociétés ne sont guère
plus avancés ; je la regarde donc comme une invention toute maçonnique introduite dans le
Compagnonnage par des hommes initiés aux deux Sociétés secrètes108. »
« par la grâce du très sérénissime, illustre et toujours victorieux Roi Jacques IV : le 4e jour
avant les nones d’Avril, en l’année 1500, les maçons ont commencé la construction de cet
excellent Collège154. »
Tout d’abord vous faire mettre à genoux la personne qui doit recevoir le mot ; et après un grand
nombre de gestes destinés à l’effrayer, faites-lui prendre la Bible et placer sa main droite dessus.
Vous devez l’exhorter à garder le secret en le menaçant de l’égorger au cas où il violerait son
serment, (et en lui disant que) le soleil dans le firmament témoignera contre lui ainsi que toute la
compagnie présente, ce qui provoquera sa damnation, faute de quoi les maçons ne manqueront pas de
le tuer.
Alors, après qu’il a promis de garder le secret, ils lui font prêter le serment comme suit.
— Par Dieu lui-même, et attendu que vous devrez rendre des comptes à Dieu quand vous vous
tiendrez nu devant lui au grand jour (du jugement), vous ne révélerez aucun point de ce que vous
verrez ou entendrez aujourd’hui, ni en parole ni par écrit ; vous ne le mettrez par écrit à aucun
moment ni ne le tracerez avec la pointe d’une épée ou d’un autre instrument sur la neige ou sur le
sable, et vous n’en parlerez pas sauf avec quelqu’un qui a été reçu maçon… Ainsi que Dieu vous soit
en aide !
Après qu’il a prêté ce serment, il est éloigné de la compagnie avec le maçon dernier reçu, et une
fois qu’on l’a suffisamment effrayé en faisant mille postures et grimaces et ridicules, il doit
apprendre dudit maçon la manière de se tenir à l’ordre (« en due garde ») ce qui concerne le signe et
les postures et les mots de sa réception qui sont comme suit.
D’abord lorsqu’il rentre de nouveau au sein de la compagnie, il doit faire un salut ridicule, puis
le signe, et il doit dire : Dieu bénisse cette respectable compagnie. Puis en ôtant son chapeau d’une
manière vraiment extravagante qu’on ne doit exécuter qu’à cette occasion (comme d’ailleurs le reste
des signes), il dit les mots de son entrée de la manière suivante.
— Me voici, moi le plus jeune, le dernier apprenti entré, car j’ai juré par Dieu et par saint Jean,
par l’équerre et par le compas, et par la jauge commune (ou panneau ordinaire)165, d’être au service
de mon maître à l’honorable loge, du lundi matin jusqu’au samedi soir pour en garder les clés, sous
peine d’avoir la langue coupée sous le menton, et d’être enseveli sous la limite des hautes mers, là où
nul ne le saura.
Alors il fait de nouveau le signe en traçant de sa main un trait sous son menton en travers de sa
gorge, pour signifier qu’elle sera coupée au cas où il reprendrait sa parole. Puis tous les maçons
présents murmurent le mot entre eux en commençant par le plus jeune de manière qu’il parvienne
finalement au maître maçon, qui donne le mot à l’apprenti entré.
Il faut maintenant remarquer que tous les signes et mots comme ceux dont on parle ailleurs,
appartiennent seulement à l’apprenti entré. Mais pour être un maître maçon ou un compagnon du
métier, il y a quelque chose de plus à faire, qui se fait comme suit.
Premièrement, tous les apprentis doivent être éloignés de la compagnie, et aucun n’est admis à
rester sauf les maîtres.
Alors celui qui va être reçu comme membre en tant que compagnon doit à nouveau se mettre à
genoux, et il prononce le serment qu’on lui fournit à nouveau. Après quoi il doit sortir de l’assemblée
avec le maître le plus jeune afin d’apprendre les postures et les signes du compagnon166 ; ensuite il
rentre de nouveau, fait le signe de maître167, et dit les mêmes mots qu’à son entrée, en omettant
seulement la jauge commune (ou panneau ordinaire). Puis les maîtres murmurent le mot entre eux en
commençant par le plus jeune comme auparavant. Après quoi le maçon le plus jeune doit avancer et
se mettre lui-même dans la posture où il doit recevoir le mot, et il dit à voix basse au maçon le plus
ancien : les dignes maîtres et la respectable compagnie vous saluent bien, vous saluent bien, vous
saluent bien. Puis le maître lui donne le mot et lui serre la main à la manière des maçons. C’est tout
ce qu’il y a à faire pour faire de lui un parfait maçon.
(Au verso :) « Quelques questions au sujet du Mot de maçon 1696168 »
Un monde multiple
Réviser ses classiques
Puisque ce chapitre a commencé par l’évocation d’une miniature naïve,
il pourrait s’achever par un récit du même ordre.
« C’était il y a très longtemps, quelque part en Europe. Sur une vaste place, non loin du
cœur de la ville, on édifiait une cathédrale. Depuis quelques années déjà, le chantier allait bon
train.
Un jour, un ami de l’architecte qui présidait à cet ouvrage vint à passer. En l’absence du
maître d’œuvre, un peu déçu, il se décida néanmoins à visiter le chantier où s’affairaient d’assez
nombreux ouvriers. Il vit d’abord l’un d’eux, en plein soleil, qui travaillait sur un élément de
chapiteau. Il s’en approcha et, l’ayant observé quelques instants, lui demanda :
— Que fais-tu ?
L’autre répondit, d’un air rogue :
— Je gagne ma vie.
Le visiteur n’insista pas. Ses pas le conduisirent à quelque distance de là vers un autre
ouvrier, cherchant un peu d’ombre à l’écart, qui maniait le ciseau et le maillet. L’homme
s’arrêta de nouveau près de lui pour examiner son travail en silence. Il interrogea encore :
— Et toi, qu’es-tu en train de faire ?
L’homme le regarda en souriant et lui dit :
— Je taille la pierre.
Le voyageur lui rendit son salut et poursuivit sa déambulation tranquille à travers le
chantier.
Il avisa enfin un troisième homme qui se tenait immobile, à l’abri d’une loge à claires-
voies, considérant avec attention une sculpture qu’il avait commencée et qui nécessitait
apparemment encore beaucoup d’ouvrage. L’ami de l’architecte s’approcha de l’artisan qui ne
sembla pas déceler sa présence. Il se résolut à lui poser la même question qu’à ses deux autres
camarades :
— À quoi t’occupes-tu à cette heure ?
L’ouvrier ne détourna pas la tête. Il releva lentement le front et regarda, de loin, la nef qui
s’élevait jour après jour.
— Je bâtis une cathédrale, dit-il simplement. Celui-là était un franc-maçon. »
Le « péché originel »
« Le jour de la Saint-Jean Baptiste [24 juin], dans la 3e année [du règne] de George Ier A
[nno] D [omini] 1717, une Assemblée et une fête des Maçons Francs et acceptés (Free and
accepted Masons) eurent lieu à la taverne (Alehouse) L’Oie et le Gril.
« Avant le dîner, le plus ancien Maître Maçon en Chaire (aujourd’hui [dénommé] Maître
de loge), proposa une liste de candidats appropriés ; et les Frères élurent par un vote majoritaire
à main levée,
« Mr Anthony Sayer, Gentleman1, Grand Maître des Maçons – le Capitaine Joseph Elliot,
Mr Jacob Lamball, Charpentier, étant Grands Gardes (Wardens) – lequel ayant été aussitôt
revêtu des insignes de son office et de son pouvoir par le plus ancien Maître susdit, puis installé,
fut dûment félicité par l’Assemblée qui lui rendit hommage2. »
« 1614, Oct : 16. 4.30 p.m [16 h 30] J’ai été fait Franc Maçon (Free
Mason) dans le Lancashire, avec le Col [onel] Henry Mainwaring de
Karincham dans le Cheshire25. »
Il semble donc bien qu’il se soit agi d’une loge occasionnelle et non
permanente, assemblée ce jour-là pour recevoir de nouveaux membres. On
ne possède aucun autre témoignage à son sujet : on ignore absolument
quand et où avaient été reçus les « Frères » présents pour l’occasion et l’on
n’a aucune raison de penser qu’ils s’étaient déjà réunis de cette manière à
une date quelconque ni qu’ils aient pu le faire de nouveau par la suite.
Ashmole lui-même n’en a jamais plus parlé : cette « loge » n’a existé que le
temps d’un après-midi d’automne dans le Lancashire…
Un point important est que, pour ces très rares loges non-opératives
anglaises de la deuxième moitié du XVIIe siècle, on ne peut rien affirmer,
faute de la moindre documentation, sur leur ancienneté exacte, ni su leur
activité précise, ni sur leur éventuelle précession par une loge
exclusivement opérative.
La transition à Édimbourg
La Loge d’Édimbourg est, en Écosse, le cas le mieux documenté pour
étudier cette transition, à partir de 1599 où commencent ses archives.
Vers 1650-1670, on remarque que de nombreux Apprentis n’ont jamais
été « enregistrés » (registrered) par la Municipalité sous l’égide de la loge
de Mary’s Chapel. À cette époque, en outre, nombre d’Apprentis entrés
refusent de devenir Compagnons du métier et de payer le prix exigé pour
cette promotion. Il apparaît donc évident que la loge perd alors de son
pouvoir sur le métier.
Par ailleurs, en 1677 et 1688, deux nouvelles loges s’établissent,
rompant ainsi avec la règle ancestrale stipulant qu’une seule loge devait
contrôler son district. Enfin en 1715, les journeymen26obtiennent, après un
procès en règle intenté contre Mary’s Chapel, fait sans précédent, le droit de
constituer leur propre loge et d’utiliser le « Mot du Maçon » (Mason Word).
Puis en 1726, un membre de cette loge, John Mack, propose la
candidature de plusieurs personnes, toutes étrangères au métier. La loge
refuse. Un mois plus tard, Mack reprend l’initiative et suscite un incident
qui entraîne le retrait temporaire des opératifs. Les cinq membres
demeurant présents élisent alors John Mack à la tête de la loge. Celle-ci
admet rapidement de nombreux non-opératifs. En 1737, ses règlements ne
feront plus aucune référence au métier : la transition était alors
complètement achevée.
La transition en Angleterre
En Angleterre, la transition est infiniment plus difficile à reconstituer,
en l’absence de toute archive.
On peut supposer, estime Harry Carr, que les loges opératives anglaises
ont assumé des tâches comparables à celles des loges écossaises. Il faut
cependant bien remarquer que la plus ancienne loge opérative dont on
conserve la trace est celle d’Alnwick (Northumberland) et que ses archives
ne commencent qu’en 1701. Elle est à cette époque entièrement opérative et
le demeurera jusqu’à sa disparition. Ces archives ne mentionnent aucune
réception de non-opératifs. Notons surtout qu’elle se situait au plus près de
la frontière du nord (Northern Border) où les échanges étaient nombreux
entre les populations mitoyennes de l’Angleterre et de l’Écosse et qu’elle
semble plutôt se rattacher au modèle des loges professionnelles de ce
dernier pays : la seule loge opérative anglaise connue n’est peut-être qu’un
accidentel surgeon de l’Écosse…
Le cas de l’Acceptation de Londres est certainement beaucoup plus
intéressant et suggestif.
Il faut en effet rapprocher son apparition de la perte progressive par la
Compagnie de ses pouvoirs sur le Métier. Les pouvoirs de cette guilde
municipale furent pratiquement abolis en 1667, consécutivement aux
nouveaux règlements établis par la Ville pour répondre au besoin important
d’ouvriers et de manœuvres dû au Grand Incendie de 1666 : Londres devint,
pour les besoins de la cause, une ville où tout artisan et notamment tout
maçon, d’où qu’il vînt, était libre de s’établir, sans pour autant être agréé
par la Compagnie. On mesure sans peine le bouleversement que cette
mesure put entraîner : même si elle tenta de reprendre le contrôle de la
situation une dizaine d’années plus tard, notamment en essayant de
poursuivre les maçons établis à Londres sans son autorisation – comme elle
avait jadis le droit –, la Compagnie ne retrouva plus jamais son ancien
pouvoir.
C’est sans doute vers cette époque, affirme Harry Carr, suite à l’afflux
de maçons « libres » de toute attache avec la Compagnie – mais également
exclus des avantages, et notamment de l’entraide, qu’elle procurait à ses
membres – que les loges se multiplièrent à Londres et dans sa région. Il est
en tout cas certain que ces loges supposées n’avaient plus aucun pouvoir sur
le Métier. Il n’en subsiste surtout, il faut le noter, aucune trace documentaire
et ne nous sont finalement connues que les quatre loges qui, en 1717,
formèrent la Première Grande Loge de Londres.
Cette Vulgate, car c’en est une29, comporte des variantes et intègre
parfois des légendes complémentaires dont plusieurs auteurs qu’on me
permettra de ne point mentionner, notamment en France, ont
complaisamment fait mention sans aucun souci de critique ; notamment
celle des Maîtres Comacins dont nous avons vu l’inconsistance et
naturellement toutes les confusions, désormais classiques, avec le
Compagnonnage. Ces ajouts n’enrichissent nullement mais affaiblissent
plutôt la version purement anglaise de la transition, laquelle, dans la forme
documentée par Harry Carr, pouvait présenter une certaine plausibilité.
La suite – que ne connut pas entièrement Harry Carr, disparu en 1983 –
montra pourtant que ce n’était là qu’une pure apparence.
CHAPITRE III
L’hypothèse de l’emprunt
Si l’hypothèse de la transition paraît désormais plus qu’incertaine, il
convient, pour E. Ward, d’en examiner une autre, selon laquelle la
Maçonnerie spéculative aurait, à son origine, délibérément emprunté des
textes et des pratiques appartenant ou ayant appartenu aux opératifs, mais
de façon tout à fait indépendante, sans filiation directe, ni « autorisation ».
Deux éléments semblent le suggérer :
Le Mot du Maçon
Un autre exemple est sans doute encore plus remarquable. Le Mot du
Maçon, nous l’avons vu, est une institution opérative venant d’Écosse,
largement en usage dans ce pays au XVIIe siècle et plus tard encore, pour
distinguer les ouvriers qualifiés des manœuvres (cowans) qui tentaient de
leur disputer leur ouvrage.
En revanche, rien n’existe dans les Anciens Devoirs qui fasse allusion à
un secret de cette sorte dans la maçonnerie opérative anglaise. Dans les
versions qui comportent la mention d’un serment, celui-ci concerne le
respect des règlements et des devoirs, non la préservation de secrets. En
Angleterre, l’organisation du métier différait en fait profondément de celle
de l’Écosse. Dans ce pays beaucoup plus vaste et plus peuplé que l’Écosse,
si une organisation avait assuré le contrôle de la diffusion du Mot du Maçon
– contrôle indispensable pour garantir son efficacité, et soigneusement
exercé en Écosse –, elle n’aurait pas manqué de laisser – comme en
Écosse – des traces documentaires : il n’en demeure pourtant rien.
Or, dès 1672, on trouve une mention anglaise19 du Mot du Maçon dans
Rehearsal Transposed d’Andrew Maxwell. En terre anglaise, à pareille
époque, cela ne pouvait évidemment concerner que des maçons spéculatifs.
Ces derniers connaissaient donc cet usage qui, par conséquent, en l’absence
de toute tradition opérative anglaise de cette nature, ne pouvait résulter que
d’un emprunt. Sans utiliser l’expression exacte « Mason Word », le
Ms Harleian 2054, lié à la loge de Randle Holme à Chester, mentionne
l’existence de « plusieurs mots et signes d’un franc maçon » en usage vers
1650-1670. Du reste, le cheminement du Mot du Maçon peut s’expliquer
par l’émigration écossaise vers l’Angleterre, à partir précisément de la fin
du XVIIe siècle, consécutivement à la diminution considérable des emplois
en Écosse, notamment dans les métiers du bâtiment. Les opératifs écossais
étaient habitués à partager le Mot du Maçon avec des personnes étrangères
au leur métier dont ils faisaient occasionnellement des Gentlemen masons.
Les premiers maçons spéculatifs anglais, à la recherche d’usages
« immémoriaux », étaient sans aucun doute prêts à le recevoir.
La Maçonnerie spéculative et le « Réveil » de 1717
Quelle qu’ait pu être leur origine, et quoi qu’il en soit de leurs
connexions infiniment douteuses avec de très hypothétiques et même fort
improbables loges opératives, il apparaît enfin que les loges spéculatives –
ou, pour mieux dire, non opératives – anglaises, dont les traces les plus
anciennes remontent peut-être à 1620 (en marge de la Compagnie des
Maçons de Londres) et surtout à 1646, avaient totalement disparu à la fin du
XVIIe siècle, et ce n’est assurément pas le moindre des paradoxes ! En effet,
aucune information ne nous est parvenue à propos de l’Acception de
Londres après la note de 1682 dans le Journal d’Ashmole qui assistait en
l’occurrence à la deuxième et dernière réunion maçonnique de sa vie. Rien
naturellement sur la loge de Warrington qui paraît ne s’être tenue qu’une
fois, ni sur celle de Chester qui s’évanouit dans le dernier quart du siècle.
On ne voit enfin aucun lien entre elles et les quatre Loges qui fondèrent, en
1717, la Grande Loge de Londres. L’origine même de ces dernières est
inconnue : elles sont dites, par conséquent, « de temps immémorial », mais
la seule pour laquelle une date ait été suggérée – la loge à L’Oie et le Gril –
aurait été fondée en 169120 : on peut fortement douter que les autres aient
été plus anciennes…
On doit rapprocher ce nouveau vide documentaire entre les années 1680
et 1717, de l’idée avancée par Anderson, dans son Histoire, d’un « Réveil »
(Revival) qui aurait conduit à la formation de la Grande Loge. Or, si
« réveil » il y eut en 1717 (ou en 1721, nous le verrons), ce fut tout au plus
celui d’un mouvement né au siècle précédent et, pour parvenir à la franc-
maçonnerie spéculative moderne (« Un système particulier de
morale, etc. »), il faut encore ménager une autre transition.
E. Ward fait ainsi observer que dans le fameux Discours de Francis
Drake21, prononcé à York en 1726, où sont énoncés pour la première fois
les trois grands principes de la franc-maçonnerie anglaise, « la Vérité, la
Bienfaisance et l’Amour Fraternel » (Truth, Relief and Brotherly Love), la
Maçonnerie semble dépeinte comme un club – cette dimension
essentiellement conviviale ayant déjà été soulignée par Anderson – dont le
ciment était avant tout de caractère moral et philanthropique. Si le
« symbolisme » est considéré comme le témoin du passage au spéculatif
proprement dit, alors il faudra attendre en Angleterre la fin du XVIIIe siècle,
avec William Hutchinson22, auteur du célèbre ouvrage Spirit of Masonry
(1775), et surtout William Preston dans le dernier quart du siècle
(Illustrations of Masonry, 1772).
Ainsi, au terme de trois ou quatre ruptures – et non d’une simple et
unique transition – entre des époques et des institutions différentes, sans
lien direct, naissait définitivement une maçonnerie spéculative qui, depuis
son origine, n’entretenait avec les bâtisseurs des cathédrales que des liens
purement nominaux et tout au plus allégoriques.
Essentiellement critique, la contre-théorie de Ward, comme on le fit
observer d’emblée, visait à saper les fondements du « mythe des six cents
ans d’histoire maçonnique » et de ce qu’on nomma irrévérencieusement
« l’Évangile de Harry Carr », laissant en quelque sorte la maçonnerie
spéculative orpheline de sa tradition fondatrice.
Le bouleversement des idées suscité par E. Ward a été considérable et
fait encore sentir ses effets. Depuis lors, les contributions des chercheurs
anglais ne visent plus qu’à remplir le vide ainsi créé dans l’histoire de
l’Ordre. On ne s’attache plus à confirmer la théorie de la transition mais à
proposer un modèle qui puisse rendre compte des graves objections
exposées par E. Ward et partagées après lui par le plus grand nombre des
chercheurs. Ainsi, depuis l’exposé d’Eric Ward, d’importantes certitudes
avaient été ébranlées. Il restait à rebâtir.
À ce jour le travail n’est pas achevé mais, pendant son cours, des
découvertes passionnantes ont pu être faites. Ce sont elles qu’il nous faut à
présent aborder.
CHAPITRE IV
Il ne faut certainement pas accorder à la mention qui est faite ici des
Rose-Croix une signification excessive. C’est du reste un hapax dans toute
la série des références publiques au Mot du maçon au XVIIe siècle. En outre,
il n’est pas affirmé que les maçons se rattachent à la Rose-Croix… mais que
les Rose-Croix possèdent le Mot du Maçon, ce qui est sensiblement
différent – et reste à démontrer ! Il faut surtout se souvenir que les
Manifestes rosicruciens avaient été publiés quelques années à peine
auparavant – entre 1614 et 161613 – et avaient connu un écho assez
important parmi les lettrés européens. Aussitôt, charlatans et plaisantins
s’en étaient d’ailleurs emparés, et c’est ainsi qu’un matin d’août 1623 les
parisiens avaient vu, placardé sur les murs de la ville, un texte ahurissant
qui proclamait :
« Nous Députés du Collège principal des Frères de la RoseCroix, faisons séjour visible et
invisible en cette ville, par la grâce du Très-Haut, vers lequel se tourne le cœur des Justes. Nous
montrons et enseignons à parler sans livres ni marques, à parler toutes sortes de langues des
pays où nous voulons être, pour tirer les hommes, nos semblables, d’erreur et de mort. »
Dans une œuvre poétique et d’un ton quelque peu onirique et parfois
ironique, cette référence à la Rose-Croix, associée au mystère du Mot du
Maçon, s’explique donc tout au plus par l’air du temps et apparaît surtout
comme un clin d’œil plaisant au lecteur.
En revanche, l’évocation du don de double vue (second sight) est plus
intéressante. Elle réfère à une vieille tradition écossaise, surtout développée
dans les Highlands : Ranulf Higden, l’auteur du Polychronicon (XIVe siècle)
– l’une des sources du Ms Regius – décrit déjà ce don des Higlanders et
précise même que des étrangers se rendent volontiers dans ce pays pour y
vérifier que le seul fait d’y mettre les pieds leur accorde le don ! Le pasteur
Robert Kirk, ministre à Aberfoyle à la fin du XVIIe siècle, y fait aussi
allusion dans un ouvrage qu’il publiera en 1691, consacré aux croyances et
légendes populaires de l’Écosse14. Nous aurons du reste l’occasion de le
retrouver.
Il faut donc surtout retenir que lorsqu’on évoque pour la première fois
le Mot du Maçon dans un document destiné au public, c’est pour l’associer
à la capacité qu’il donnerait – ou qu’il révélerait – de deviner des choses
que les autres ne voient pas. L’explication la plus simple relève de la
fonction même du Mot du Maçon : reconnaître par un mot, mais aussi par
quelques signes donnés de la main à la main selon le Ms des archives
d’Édimbourg, la qualité d’un maçon régulièrement reçu dans une loge,
permettant ainsi de manière infaillible de débusquer un cowan que, par
ailleurs, rien ne pourrait distinguer des autres. Il n’en demeure pas moins
que dès les années 1620 – soit très peu de temps après la réforme de Schaw,
notons-le –, non seulement l’existence du Mot du Maçon était assez connue
en Écosse, mais ce dernier était déjà associé à la notion d’un secret quelque
peu sulfureux quoique très vague.
En 1653, Sir Thomas Urquhart of Cromarty, un royaliste fervent et
hostile au ministère presbytérien, ayant eu connaissance de ces polémiques,
n’y voyait qu’une superstition sans fondement. Il rapporte avoir connu un
homme qui
« (parce qu’il était capable, en vertu du Mot du Maçon, de faire qu’un maçon qu’il n’avait
jamais vu auparavant, sans parler et sans autres signes apparents, vienne et le salue), passa pour
avoir eu un familier que beaucoup de gens de la même sorte, mus qu’ils étaient par leur
grossière ignorance, qualifiaient de spirituel ou hors d’atteinte naturelle du commun des
mortels, car ils en ignoraient la cause15. »
L’auteur moquait ainsi tous ceux qui pouvaient croire que les maçons
possédaient un « démon domestique » – ou un « bon Génie » comme le
disait Adamson – qui leur conférait un puissant don de second sight ! Il
n’en reste pas moins que dès cette époque, cependant, il apparaît aussi que
le Mot du Maçon fut volontiers partagé avec des pasteurs de la Kirk of
Scotland, et c’est dans les milieux paroissiaux que l’on recueille ainsi les
premiers échos d’une certaine inquiétude relative à la nature réelle de ce
Mot. Par exemple, en 1652, James Ainslie avait été pressenti pour devenir
le pasteur de la paroisse de Minto, dépendant du presbytère de Jedburgh.
Or, le 2 février, le conseil presbytéral décida de consulter les presbytères de
Kelso et de Silkirk, très proches, pour les interroger à propos de « Mr James
Ainslie qui possède le Mot du Maçon ». Le 24 février suivant, Kelso
répondait de façon très circonstanciée que
« selon leur jugement, il n’y avait ni péché ni scandale dans ce mot parce que dans les
temps les plus purs de cette église, des maçons possédant le mot avaient été ministres, que des
maçons et des hommes possédant ce mot ont été et sont de nos jours des anciens (elders)16 de
nos assemblées et de nombreux professeurs possédant ce mot sont quotidiennement admis aux
sacrements17. »
Or, James Temple reçut le Mot du Maçon dès 1662 et fut même admis
dans la loge d’Édimbourg deux ans à peine après le début de son
apprentissage. On ne reconnaît pas du tout, ici, le schéma stipulé par les
Statuts Schaw. En outre, si l’on sait que John Johnston avait été admis
parmi les maîtres de la Corporation des Charpentiers et des Maçons de la
ville dès 1648, son nom ne figure sur aucune liste d’aucune loge
d’Édimbourg !
Il semble donc qu’ayant été pourvu du Mot du Maçon par son maître –
qui s’y était engagé par contrat lui-même, et non une loge – un apprenti de
deux ans d’ancienneté aurait été reçu dans la loge et reconnu par elle pour
cette seule raison : on pourrait croire que parmi les gens de métier aussi
bien que parmi les gentlemen masons, comme chez certains pasteurs dont
on ne sait même pas s’ils avaient reçu cette dernière qualité, le simple fait
d’avoir obtenu le Mot du Maçon – mais comment ? – conférait la qualité de
maçon, peut-être en vertu de l’adage « possession vaut titre »…
Ce secret, vers le milieu du XVIIe siècle, paraît avoir été un « secret bien
connu ». Or, souvenons-nous que dans les rituels écossais de cette époque
on ne dit qu’un maçon est « initié » », on ne fait pas non plus encore usage
de l’expression devenue par la suite si commune en Grande-Bretagne,
« faire un maçon » (to make a mason)20 : on dit simplement « donner le
Mot du Maçon » (to give the Mason Word).
Quelques années plus tard, on n’hésitera pas à publier « en clair » le
contenu même de ce Mot du Maçon. En 1691, le pasteur Robert Kirk,
mentionné plus haut, écrit ainsi dans son ouvrage :
« [Le Mot du Maçon] est une sorte de tradition rabbinique, en forme de commentaire sur
Jachin et Boaz, les deux colonnes élevées dans le Temple de Salomon (I Rois, VII, 21), auquel
s’ajoute quelque signe secret délivré de la main à la main, par lequel [les maçons] se
reconnaissent et rendant familiers les uns aux autres. »
Après quoi, le 25e jour dudit mois, les Diacres, le Surveillant, les Maîtres et plusieurs
membres de la Société, en compagnie dudit Docteur Désaguliers, s’étant réunis à Maries
Chapell, une demande [supplication] leur fut soumise par John Campbell, Esquire, Lord Prévôt
d’Édimbourg, George Preston et Hugh Hathorn, Baillis ; James Nimo, Trésorier ; William
Livingston, Diacre-président (Deacon-convener) des Métiers de la ville ; et Georges Irving,
Secrétaire du Doyen de la Cour de la Guilde, – humblement désireux d’être admis en tant que
membres de ladite Société ; cela fut examiné et leur désir fut agréé, et lesdites honorables
personnes furent aussitôt admises et reçues Apprentis-Entrés et Compagnons du Métier29. »
La fin de l’histoire
Nous voici donc rendus au terme du voyage. À ce fameux terminus du
24 juin 1717 où commence, on l’a dit, un autre monde. Mais avant de
l’abandonner puisqu’il échappe au cadre de ce livre, il faut cependant jeter
un bref regard sur cet aboutissement certainement imprévu.
Lorsque la Grande Loge va être créée en 1717, les hommes qui
s’apprêtent à en prendre la tête sont les héritiers d’un triple mouvement qui
ne s’éclaire que si on le replace dans l’histoire politique, religieuse et
sociale de la Grande-Bretagne au cours des deux siècles précédents. Et
curieusement, les différentes orientations, successivement ou
alternativement religieuse, politique ou charitable que les historiens ont pu
discerner, nous l’avons vu, dans un passé recomposé, se trouvent ici
rassemblées ou, pour mieux dire, fondues et réconciliées. Trois traits de la
première Grande Loge semblent en effet s’imposer :
Sur le plan politique tout d’abord
Un champ de recherches
En parcourant les chapitres de ce livre, certains lecteurs ont pu avoir le
sentiment que tout un pan de leur histoire venait de leur échapper. L’histoire
des origines de la franc-maçonnerie, en France du moins, n’a presque
jamais été abordée sérieusement. Même en Angleterre, malgré la fondation
dès la fin du XIXe siècle d’une École « authentique », une théorie assez
faible, celle de la transition, a été reçue presque sans discussion pendant des
décennies.
Or, l’intérêt que l’on peut trouver à suivre les progrès et les acquis de
l’historiographie maçonnique ne consiste pas seulement à apprendre des
faits ignorés ou à découvrir des conceptions nouvelles. C’est aussi de
s’interroger sur les raisons pour lesquelles on a pu, si longtemps, faire
largement fausse route.
Certes, depuis les années 1970, les historiens anglais ont montré la voie
et, nous l’avons vu, les spécialistes écossais que sont David Stevenson et
aujourd’hui Robert Cooper, ont ouvert des perspectives radicalement
nouvelles sans que pour autant des découvertes documentaires vraiment
révolutionnaires aient été nécessaires. On finirait par croire que la solution
était « sous les yeux » des historiens et qu’ils ne pouvaient pas l’apercevoir.
Pourtant, longtemps auparavant, certains historiens de la franc-
maçonnerie et notamment certains auteurs allemands, pionniers de nos jours
trop souvent méconnus, avaient déjà su repérer et, autant que possible,
éviter ces écueils. Ainsi, par exemple, d’un auteur aujourd’hui un peu
oublié, surtout en France, Joseph Gabriel Findel. Son Histoire de la franc-
maçonnerie depuis l’époque de ses origines jusqu’à nos jours, dont la
première édition parut à Leipzig en 1861-18621, se lit encore avec plaisir et
profit. Il y soutient, certes, l’existence d’un lien d’origine de la franc-
maçonnerie spéculative avec la maçonnerie opérative médiévale, mais il
sait aussi faire l’histoire de cette idée elle-même. Il signale ainsi que
« Le premier auteur qui émit l’opinion qu’il existait des rapports historiques entre la
société des francs-maçons et celle des tailleurs de pierre fut l’Abbé Grandidier, de Strasbourg,
qui n’était pas maçon et auquel, en vue des recherches qu’exigeait la composition de son Essai
historique et topographique sur la cathédrale de Strasbourg (1782), l’accès des archives du
grand chapitre de Notre Dame de Strasbourg fut toujours permis2. »
13. C. Perrot, « La quête historique de Jésus du XVIIIe au début du XXe siècle, in Le cas Jésus-
Christ – Exégètes, historiens et théologiens en confrontation (dir. P. Gibert et C. Théobald), Paris,
2002.
14. Et singulièrement dans le cadre de la Direction d’études successivement animée par François
Secret, Antoine Faivre et aujourd’hui Jean-Pierre Brach.
15. R. Abellio, La fin de l’ésotérisme, Paris, 1973.
16. Sur ce point particulier, voir notamment la lumineuse contribution d’A. Faivre, « Histoire de
la notion moderne de tradition dans ses rapports avec les courants ésotériques (XVe-XXe siècle) », in
Symboles et mythes dans les mouvements initiatiques et ésotériques (XVIIe-XXe siècle) : filiations
et emprunts, ARIES (h.-s.) 1999, 7-48.
Notes
1. Historien juif de langue grecque, né en 37 et mort vers l’an 100 de notre ère. Son récit des
Antiquités judaïques, achevé en 94, adapte l’histoire du peuple juif à la mentalité romaine. Si la
première partie n’est qu’une sorte de paraphrase de la Bible, les dix derniers livres constituent un
document historique de grand intérêt sur l’histoire du judaïsme à l’époque chrétienne. La Guerre des
Juifs est un récit du dernier soulèvement de la Judée, en 66, et de la prise de Jérusalem par Titus avec
la destruction finale du Temple en 70.
2. Parmi les plus expressifs, on peut référer à ceux qui illustrent le toujours irremplaçable ouvrage
de P. du Colombier, Les chantiers des cathédrales, Paris, 1953 (nouv. éd. 1973). Voir aussi,
également pour sa grande richesse iconographique : A. Erlande-Brandenburg, Quand les cathédrales
étaient peintes, Paris, 1993.
3. « Chaque collectivité a une conscience historique, je veux dire une idée de ce que signifient
pour elle humanité, civilisation, nation, le passé et l’avenir, les changements auxquels sont soumises
à travers le temps les œuvres et les cités. » (R. Aron, Les dimensions de la conscience historique,
Paris, 1961).
4. Pour se former quelque idée de la réalité archéologique du premier Temple – dont l’existence
même, du moins sous l’aspect que lui prête le texte biblique, est cependant aujourd’hui remise en
cause par certains chercheurs – on peut toujours se référer au classique mais austère volume
d’A. Parrot, Le Temple de Jérusalem, Paris, 1962. Le récent ouvrage de W. J. Hamblin et D. R Seely,
Le Temple de Salomon, mythe et histoire (trad. fr.) Paris, 2007, somptueusement illustré, permet aussi
de comprendre la rémanence de ce thème dans la culture occidentale. Enfin, une magnifique
« anatomie symbolique » du Temple, soigneusement corrélée à des données archéologiques solides,
est exposée avec rigueur dans le livre de J. Thomas, Jérusalem traditionnelle et initiatique, Paris,
1995. Ces références, très éloignées de certaines constructions parfaitement imaginaires, sont
nécessaires pour comprendre la formation de la vision maçonnique du Temple de Salomon, bien
avant l’apparition même de la franc-maçonnerie spéculative. Le classique ouvrage d’A. Horne, King
Solomon’s Temple in the masonic tradition, 1972, explore surtout le domaine anglo-saxon et ignore
pratiquement l’emploi de la thématique du Temple dans la maçonnerie française du XVIIIe siècle.
On évitera la médiocre traduction française de ce livre.
5. En plein Moyen Âge, Jean Lebas, rattaché à l’œuvre et Fabrique de la cathédrale de Bordeaux,
se qualifie de manière à la fois fort immodeste et très suggestive de « maçon, maître après Dieu des
œuvres de pierre »… (J. Gimpel, Les bâtisseurs des cathédrales, Paris, 1958, p. 100)
6. Lequel fut, lui aussi, « inventé » au XIIe siècle (J. Le Goff, Naissance du Purgatoire, Paris,
1991).
7. Pour mémoire, si le Grand Incendie (Great Fire) de Londres en 1666 – lequel eut d’ailleurs,
nous le reverrons, des conséquences sur le métier de maçon – fit en peu de jours de si considérables
ravages, c’est parce que cette grande ville, au cœur du XVIIe siècle, était encore principalement faite
de bâtiments en bois : c’est en pierre, précisément, qu’on la fit alors reconstruire.
8. D. Knoop, G.P. Jones, The Medieval Mason, Manchester, 1949, p. 7.
9. Ibid. p. 73-74.
10. Selon le fameux mot, souvent improprement cité, de Raoul Glaber (985 ?-1047) dans ses
Histoires : « Erat enim instar ac si mundus ipse, excutiendo semet, rejecta vetustate, passim
candidam ecclesiarum vestem indueret » (« On aurait cru que le monde, secouant ses vieux haillons,
se revêtait d’une blanche robe d’églises »).
11. Ces derniers assemblant le plus souvent les pierres à l’aide d’un mortier servant de « ciment ».
12. V. Mortet, P. Deschamps, Recueil de textes relatifs à l’histoire de l’architecture et à la
condition des architectes en France au Moyen Âge, 2 vol., Paris, 1911-1929 (reprint, Paris, 1995), II,
23.
13. J. Gimpel, op. cit., p. 44.
14. Ibid. II, 175-176.
15. Ibid. I, 103,127 ; II, 88, 89.
16. D. Knoop, G. P. Jones, op. cit., p. 82.
17. Ibid. pp. 82-84.
18. Ibid., pp. 83-84.
19. Ibid., p. 71.
20. M. Aubert, « La construction au Moyen Âge », Bulletin monumental, 1961, pp. 297-306.
21. Ibid., p. 203.
22. Cf. notamment : M. Aubert, « La construction au Moyen Âge », Bulletin monumental, 1960,
pp. 244-266, et naturellement les précieux développements de D. Knoop, G.P. Jones, op. cit., pp. 15-
43 (« The administration of medieval building operations »).
23. V. Mortet, P. Deschamps, op. cit. I, p. 65.
24. Ibid., p. 70, n.5.
25. Ce mot est une sorte de faux ami : il signifie littéralement « ouvrier, travailleur », mais il fut
aussi employé pour désigner un secrétaire ou un scribe. Cf. F. Gaffiot, Dictionnaire latin-français,
1934, p. 1081.
26. Aubert, « La construction au Moyen Âge », Bulletin monumental, 1961, pp. 15-16.
27. Ibid., pp. 18-19
28. Dans le Glossaire de Du Cange, on peut lire : « Architector ou architectus : faber qui fecit
tecta » (ouvrier qui réalise des toits).
29. J. Gimpel, op. cit., p. 106.
30. Et non pas à « Hiram Abif », observons-le… Cf. A. Erlande-Brandenburg, op. cit., p. 54.
31. Base de l’enseignement médiéval : le trivium (grammaire, rhétorique, dialectique) et le
quadrivium (arithmétique, géométrie, astronomie, musique). Le premier groupe rassemble les
sciences des lettres et le second celles des nombres. Toutes occupations d’esprits « libres » ne se
mêlant jamais d’aucune activité manuelle. Dans ce programme intellectuel, la géométrie était
évidemment un point commun avec l’architecture mais pas avec le maniement des pierres !
32. J. Gimpel, op. cit., p. 133.
33. V. Mortet, P. Deschamps, op. cit., II, p. 290-291.
34. P. du Colombier, op. cit. p. 98.
35. Niveau à plomb, l’archipendule servait à la fois de niveau et d’équerre et pouvait aussi être
utilisée pour mesurer des pentes grâce à des repères sur la traverse.
36. Ibid. p. 103.
37. Ibid. pp. 104-105.
38. A. Erlande-Brandenburg, op. cit., p. 65.
39. J. Gimpel, op. cit., pp. 100-101.
40. Ibid.
41. A. Prescott, « The earliest use of the word “Freemason” », Yearbook of the Grand Lodge of
Scotland, Edimbourg, 2004
42. En France, l’application des mots « franc, franche » à la pierre ne s’est jamais perdue. Littré
signale encore « franc liais », comme désignant une belle pierre à bâtir des environs de Paris, et l’on
nomme toujours « banc franc » un banc de pierre de belle qualité dans une carrière.
43. À la suite du Grand Incendie de Londres, en 1666, on l’a déjà signalé, il fallut justement
suspendre pendant des années les pouvoirs de la Compagnie des Maçons de Londres, pour donner à
tous les maçons, d’où qu’ils fussent, la liberté de s’installer et de travailler dans la capitale !
44. La meilleure synthèse des données descriptives est sans doute celle de D. Knoop, G.P. Jones,
op. cit., pp. 56-62. Pour un excellent choix iconographique, Cf. P. du Colombier, op. cit.
45. Les loges qu’on peut examiner sur les miniatures, les gravures et même les peintures
anciennes semblent assez souvent dotées d’un seul toit en pente, dispositif qui crée spontanément un
courant d’air auto-entretenu et constitue un ventilateur naturel connu dans de nombreux pays chauds.
46. Il faut donc bien distinguer ces deux lieux que la tradition maçonnique spéculative, en
réinterprétant les éléments tirés de l’histoire du métier, aura tendance à superposer et même à
confondre.
47. D. Knoop, G.P. Jones, op. cit., p. 58.
48. Ibid, p. 61.
49. L’espace rituel et le sacré dans le christianisme, Turnhout, 2008, p. 40.
50. Il n’y a pas eu d’études sérieuses en ce domaine avant 1870, quand parut à Londres le texte de
L. Brentano, On the history and development of gilds and the origin of trade unions (en introduction
à Toulmin Smith, English Guilds), qui fit longtemps référence. Le livre d’E. Martin Saint-Léon,
Histoire des corporations de métier, Paris 1897, révisé en 1922, fut réimprimé en 1941 (je cite
d’après cette édition) avec un appendice bibliographique mis à jour et compilé par E. Coornaert. De
ce dernier auteur on peut aussi consulter avec profit : Les corporations en France avant 1789, Paris,
1941 (plusieurs rééditions depuis). Voir aussi, dans une perspective un peu différente, F. Olivier-
Martin, L’organisation corporative de la France d’Ancien Régime, Paris, 1938. Dans ce domaine, les
travaux des cinquante dernières années ont surtout porté sur les aspects économiques et se sont
orientés vers l’histoire sociale et bien moins sur les structures et les usages des corporations elles-
mêmes.
51. Métiers et corporations de la Ville de Paris, Le Livre des Métiers d’Etienne Boileau publié par
R. de Lespinasse et F. Bonnardot, Paris, 1879, pp. 88-92.
52. Cette obligation de contribuer à la sécurité collective par la garde de nuit incombait à tous les
maîtres, et à eux seuls, sachant que plus tard ils acquirent le droit de se faire remplacer. Certaines
professions, assez rares, en étaient exemptées.
53. Traduction absolument fautive, et même absurde en l’occurrence.
54. Ce que la même source, du reste, mentionne en d’autres endroits du texte…
55. P. Naudon, Les origines de la franc-maçonnerie, le sacré et le métier, Paris, 1991 (nouvelle
édition « entièrement refondue » des Origines religieuse et corporatives de la franc-maçonnerie,
Paris, 1998), p. 204 et p. 170 en citant Luc Benoist.
56. En réalité, l’utilisation du mot « mystère » pour désigner ces spectacles tient au fait qu’on les
rapprochait du mot latin ministerium, mentionné plus haut, qui pouvait aussi désigner un office, une
liturgie (d’où « ministre du culte »), une cérémonie. Si complexe que la chose puisse paraître, il ne
s’agissait donc pas, à l’origine, de référer aux « mystères de la foi ». Cf. Dictionnaire étymologique et
historique du français, Paris, 1994, pp. 497-498.
57. « C’est dans ces francs mestiers privilégiés qu’il faut placer, pensons-nous, l’origine de la
Franc-Maçonnerie (sic) », P. Naudon, op. cit. p. 99.
58. Equivalent de l’anglais stone-masons, au sens littéral : « ouvriers de la pierre ».
59. Une première édition critique de ces textes fut procurée par l’architecte Carl von Heideloff,
Die Bauhütte des Mittelalters. Eine kurzgefasste geschichtliche Darstellung mit Urkunden und
anderen Beilagen, Nuremberg, 1844. Une traduction intégrale en anglais figure dans la Kenning’s
Masonic Encyclopedia, 1878, p. 529.
60. Le manuscrit découvert en Saxe fut publié par C. L. Stieglitz, Über die Kirche der Heiligen
Kunigunde zu Rochlitz, Leipzig, 1829. Une traduction anglaise est donnée dans la 1re édition de
Gould, 1882, vol. 1, pp. 134-143.
61. De copieux extraits de cette version figurent en annexe de l’édition anglaise de J. G. Findel,
History of Freemasonry, Londres, 1869.
62. Une traduction anglaise intégrale est donnée dans Gould, op. cit. pp. 119-132. Une traduction
française intégrale, mais sans aucun appareil critique, a été donnée dans Villard de Honnecourt
(1re série, 1965, Tome IV, pp. ; réédition dans la 2e série, 1988, 17, 16-28).
63. La traduction classique de Hütte par « loge » n’est pas fautive, mais observons que seul le mot
allemand Loge a été utilisé, depuis l’origine, pour désigner en Allemagne une loge maçonnique
spéculative – et jamais le mot Hütte.
64. Il n’est jamais question, chez les Steinmetzen, d’aucun des deux Saints Jean. Sur la légende
des Quatre Couronnés, Y. Hivert-Messéca, « A propos des Quatre Saints couronnés qui se
retrouvèrent treize », Renaissance Traditionnelle, 101-102 (1995), pp. 2-28. Cf. aussi J. Gimpel, op.
cit, pp. 100-106.
65. Sur tous ces points on peut notamment consulter le résumé très clair de M. Aubert, « La
construction au Moyen Âge – Loges d’Allemagne et francs-maçons en Angleterre », Bulletin
monumental, 1958, pp. 231-241.
66. Die Mysterien der Freimaurer, oder die verschleierte Gebrüderung, Verfassung und Symbolik
der deutschen Baugewerke und ihr wahrer Grund und Ursprung im mittelalterlichen deutschen
Staats- und Volksleben. Specielle, vollständig documentirte, historische Untersuchung als
beglaubigte Urgeschichte der Freimaurerei, Leipzig, 1848 (2e éd. 1859).
67. Pour une argumentation détaillée sur ces différents points, Cf. Gould’s History of
Freemasonry, 4 vol., (3e éd. 1951), I, pp. 77-100. D’une manière générale, il faut référer à la source
immédiate probable de Gould, dans la 2e édition anglaise du livre de Findel, op. cit. pp. 47-74
68. Il ne faut perdre de vue qu’au sens strict, Steinmetzen désigne plutôt les maçons carriers,
Steinhauer, les tailleurs de pierres et Maurer les simples maçons, manœuvres ou poseurs de briques.
Mais on a vu, en anglais, en bas latin ou en vieux français déjà, combien ces appellations étaient
utilisées avec beaucoup de liberté.
69. R. Dachez, « Un des premiers canulars de l’histoire : le manuscrit Leland-Locke (1753) »,
Renaissance Traditionnelle, 97-98 (1994), pp. 87-109.
70. On peut lire une discussion plus détaillée dans Gould, op. cit, pp. 96-97. Findel, sans doute
prudent, a reproduit ce catéchisme sans commentaire (op. cit. pp.659-660).
71. On consultera plus aisément l’extrait judicieusement réédité en 1993 par Jean-Michel
Mathonière à La Nef de Salomon (Dieulefit), sous le titre Esquisse d’un travail profane, avec un bref
mais pertinent appareil critique (plaquette hors-commerce). Cette opinion avait déjà été exprimée par
Grandidier en 1779 dans le Journal de Nancy, puis dans une lettre privée qui fut à son tour publiée en
1789 dans l’Essai sur la secte des Illuminés, ouvrage du marquis de Luchet. On soupçonna l’Abbé
Grandidier d’être franc-maçon, mais sans preuve formelle. Grandidier fut considéré par ses
contemporains en France et en Allemagne comme un jeune génie ayant beaucoup d’esprit critique et
doté d’un sens réel de l’histoire. Il est certainement l’historien le plus doué de l’Alsace au
XVIIIe siècle. Il mourut prématurément à 35 ans, en 1787.
72. Une réimpression de l’édition de 1774 avec un appareil critique de R. Le Forestier a été
publiée à Paris en 1916. Un fac-similé, avec une postface de P. Bunout, en a été fait en 1981.
73. Ces similitudes furent notamment relevées par V. Janner dans Die Bauhhütten des deustschen
Mitteralters (Leipzig, 1876) mais aussi par J. G Findel : ils en furent impressionnés au point de
suggérer qu’il pouvait s’agit d’un indice de filiation entre les Steinmetzen et les Freemasons. Findel
ira même jusqu’à affirmer : « En 1717, les francs-maçons prirent pour modèles les lois authentiques,
les règlements et les coutumes des Steinmetzen. » (op. cit., p. 23). On mesure à présent que la
question est bien plus complexe.
74. Les auteurs anglais parlent aussi, à leur propos, de « Constitutions manuscrites » (MS
Constitutions) ou de « Constitutions gothiques » (Gothic Constitutions). Rappelons que l’expression
« Anciens Devoirs » et une traduction acceptable et de l’anglais « Old Charges » mais que d’autres
options seraient envisageables : le mot « Charges » peut également se rendre par « instructions »,
« exhortations » ou encore « obligations ». Le mot « Charges » n’a d’ailleurs jamais servi à désigner
les organisations de maçons opératifs anglais – dans cet emploi, le mot n’aurait eu aucun sens –
tandis que le mot « Devoirs » a constamment désigné les regroupements de Compagnons en France,
avant même que le terme générique de « Compagnonnage » ne finisse par s’imposer au XIXe siècle.
Il est enfin révélateur que le premier traducteur français de Gould, dans sa version de l’Histoire
abrégée de la franc-maçonnerie publiée en 1910 (l’original anglais est de 1903), traduise
constamment Old Charges par « Livre de Charges » alors qu’il évoque ailleurs dans le texte « Le
Devoir, règles ou code du compagnonnage » : la traduction de Charges par « Devoirs » était alors si
peu évidente qu’elle ne lui a même pas traversé l’esprit !
75. Ces dates classiques ont fait récemment l’objet de discussions qui conduisent à les rajeunir de
deux à quatre décennies : je reviendrai plus loin sur les conséquences de cette révision (cf.
notamment A. Prescott, « The Old Charges Revisited », Transactions of the Lodge of Research
No 2429, Leicester, 2005, pp. 25-38, et « Some literary contexts of the Regius and Cooke
Manuscripts », The Canonbury Papers, vol. 2, 2003, pp. 43-77, dont les fines et synthétiques
analyses sont beaucoup plus convaincantes que les développements confus et imaginatifs dont une
littérature française récente nous a donné l’exemple). La connexion de ces deux textes avec la
maçonnerie opérative n’en demeure pas moins absolument certaine. L’édition anglaise de référence
est celle de D. Knoop, G.P.Jones and D. Hamer eds. The Two Earliest Masonic MSS, Londres, 1938.
On peut en trouver une traduction commentée avec un excellent appareil critique dans Villard de
Honnecourt, 6 (1983), pp. 15-121. Le copieux chapitre que Gould a consacré aux Anciens Devoirs
dans leur ensemble n’a rien perdu de son intérêt, malgré ses lacunes aujourd’hui évidentes : Gould,
op. cit., I, pp. 23-76. On peut en dire autant, et avec les mêmes réserves, du non moins classique
travail de W. J. Hughan, The Old Charges of the British Freemasons, 2nd ed., London, 1895. On peut
aussi consulter la synthèse plus récente de W. M. Leod, « The Old Charges », AQC 99 (1986),
pp. 120-165. En français, on dispose d’un bon article d’E. Mazet, « Old Charges », dans le Nouveau
dictionnaire thématique illustré de la franc-maçonnerie, Paris, 2004.
76. Cette histoire est surtout développée dans le Cooke.
77. D. Knoop, G.P.Jones, op. cit., pp. 248-249.
78. Sur cette question en général la référence majeure demeure la somme, toujours insurpassée, de
J.-P. Waltzing, Etude historique sur les corporations professionnelles chez les Romains, 3 vol.,
Louvain, 1895-1909, mais on peut plus aisément se reporter aux savants articles de G. Humbert,
« Collegium », et de C. Jullian, « Fabri », dans C. Daremberg et E. Saglio, Dictionnaire des
antiquités grecques et romaines, Paris, 1877-1919, T. 1, vol. 2, pp. 1292-1297 et T. 2, vol. 2, pp. 947-
959.
79. Par contraste, et sans prétendre brûler les étapes, songeons aux dispositions de l’article III des
Constitutions arrêtées par la Grande Loge de Londres en 1723 : « The persons admitted Members of
a Lodge must be good and true Men, free-born, and of mature and discreet Age, no Bondmen no
Women, no immoral or scandalous men, but of good Report » (« Les personnes admises en qualité de
membres d’une loge doivent être des hommes bons et fidèles, nés libres, d’âge mature et sensé, ni
esclaves ni femmes, ni gens immoraux et scandaleux, mais de bon renom »).
80. Du reste, il existait aussi à Rome d’autres collèges, purement funéraires, dont le métier n’était
pas le dénominateur commun. De toute façon, il était également habituel, pour les collegia fabrorum
eux-mêmes, d’admettre en leur sein des personnes étrangères à leur art.
81. G. Merzario, I Maestri Comacini : storia artistica di mille due cento anni 600-1800, Milan,
1893. D’autres étymologies, que je n’examinerai pas ici, ont cependant été proposées.
82. On a vu plus haut que ce n’était aucunement l’objet des ces associations funéraires… Cf. G.
Teresio Rivoira, Origini dell’architettura Lombarda, Rome, 1901, vol. 1.
83. Il s’agit ici du roi d’Angleterre qui régna de 1216 à 1272.
84. EMP, p. 44.
85. Gould, op. cit., I, pp. 137-138.
86. Gould, op. cit. p. 139.
87. Parmi les références générales dignes de foi sur ce sujet, il faut naturellement citer avant tout :
E. Martin Saint Léon, Le Compagnonnage, son histoire, ses coutumes, ses règlements et ses rites,
Paris, 1901 et E. Coornaert, Les Compagnons en France du Moyen Âge à nos jours, Paris, 1966. On
trouvera d’utiles informations de deux petits ouvrages plus récents de François Icher : Les
Compagnons ou l’amour de la belle ouvrage, Paris, 1995, et son judicieux Dictionnaire du
Compagnonnage, Le Mans, 1992. Son beau livre sur La France du Compagnonnage, Paris, 1994,
vaut particulièrement pour la qualité de l’iconographie. On se reportera encore aux travaux publiés au
cours des années récentes par deux chercheurs compétents et estimés : Jean-Michel Mathonière et
Laurent Bastard – en particulier dans les excellents Fragments d’histoire du Compagnonnage (depuis
1999, 18 numéros parus) et dans la revue Renaissance traditionnelle que je cite plus loin. On
consultera toujours avec profit le blog de J.-M. Mathonière dans le site Compagnons et
Compagnonnages. Également, H. Berton, C. Imbert, Les Enfants de Salomon, 2015 (préface de J.-
M. Mathonière). Plus récemment encore, François Icher, dans sa Petite histoire du Compagnonnage,
2022, a de nouveau procuré une synthèse très claire et documentée sur ce sujet passionnant mais
complexe.
88. E. Coornaert, op. cit., p. 33.
89. Des Compagnonnages authentiques seront dirigés par un « roy ».
90. Ibid., p. 36.
91. Incarnant la « cabale des dévots », la Compagnie du Saint Sacrement fut une société secrète
catholique, surtout active entre 1630 et 1660, dans la mouvance de la Contre-Réforme. Elle recrutait
dans les élites bourgeoises et aristocratiques et fonctionnait comme une véritable confrérie, les
confrères vivants s’adonnant à des prières pour le salut des confrères défunts, et les morts agissant en
intercession auprès du Ciel pour obtenir la félicité éternelle des confrères vivants.
92. Tous ces textes ont été reproduits in extenso dans E. Coornaert, Les Compagnonnages…,
pp. 350-356. Il faut aussi noter la découverte récente par J.-M. Mathonière d’un rituel
compagnonnique datant du dernier tiers du XVIIIe siècle, en cours de publication. Il présente déjà de
nettes contaminations maçonniques. (Cf. « Nouvelles lumières sur les rites de réception chez les
compagnons tailleurs de pierre français avant l’influence de franc-maçonnerie », BnF, juin 2022 –
consultable sur le site Compagnons et Compagnonnages(s).
93. Voir par exemple H. Gray, Les origines compagnonniques de la franc-maçonnerie, Paris,
1924-926. On constate sans difficulté, en parcourant ce livre confus, un permanent mélange entre le
Compagnonnage et la maçonnerie opérative en général. Bref, un non-sens méthodologique et une
contre-histoire. Il en va de même du livre de L. Lachat, La franc-maçonnerie opérative, Paris, 1933.
Leur postérité n’est malheureusement pourtant pas négligeable.
94. Si l’on met de côté les rapprochements que l’on a pu faire entre les quelques indications qu’on
peut tirer de cette divulgation et certains éléments du rituel de Chevalier Rose-Croix, tel qu’il
apparaît vers 1765. Ces comparaisons, qu’il n’est pas question de discuter en détail ici, sont toutefois
sans portée réelle. La présence des instruments de la Passion ou même d’une évocation de la Cène,
par exemple, est un thème récurrent de l’univers des confréries à travers toute l’histoire de l’Europe.
Elle est donc trop peu spécifique et ne prouve absolument rien. De toute façon, cette observation est
sans objet pour rendre compte de la formation des grades maçonniques liés au métier (les « grades
bleus » de la franc-maçonnerie spéculative, ou Craft degrees de la tradition anglaise).
95. E. Coornaert, op. cit. pp. 375-376.
110. A. Combes, Histoire de la franc-maçonnerie au XIXe siècle, 2 vol., Paris, 1999, II, 111-114.
111. En 1927, percevant quelques sursauts dans les milieux compagnonniques, il reviendra
d’ailleurs sur ce commentaire pessimiste. Cf. « L’avenir du Compagnonnage », Le Voile d’isis, 86,
numéro spécial sur le Compagnonnage.
112. Sans céder aucunement à l’esprit de polémique, rappelons les conditions dans lesquelles le
Compagnon Jean Bernard, en octobre 1940, obtint personnellement du maréchal Pétain la
« rénovation » du Compagnonnage, après avoir notamment fait valoir qu’il n’avait rien en commun
avec la franc-maçonnerie. À la même époque, L’État de Vichy prenait à l’encontre des francs-maçons
toutes les mesures qu’on connaît : obédiences dissoutes, locaux dévastés, archives pillées, francs-
maçons livrés la vindicte publique. En 1976, le même Jean Bernard, dans un texte rempli d’à-peu-
près et de lieux communs historiques, tout en récusant – à juste titre – toute espèce de lien de filiation
entre les deux institutions, écrivait encore sur un ton vaguement condescendant : « Bien entendu, la
franc-maçonnerie emprunta au Compagnonnage […] » (Cité dans F. Icher, Les Compagnons…, 1995
p. 126). On sait désormais ce qu’il faut penser de telles affirmations…
113. Evoquant le crime de sodomie et le « culte de Priape », il écrit de façon à la fois prudente et
évasive : « il n’y a point de différence, si c’est quelque chose de vrai et que ce ne soit pas une fable,
que ce qu’on raconte de l’horrible secte ou hérésie des Templiers ». La Philosophie occulte, chap. 39.
114. A. Demurger, Les Templiers, une chevalerie chrétienne au Moyen Âge, Paris, pp. 473-479.
115. Devenu une distinction civile, l’Ordre du Christ compte aujourd’hui parmi les trois Ordres
nationaux du Portugal : le président de la République en est le Grand Maître. Sécularisé en 1789, il
récompense aujourd’hui d’éminents services civils. Dès 1319, le pape avait même exigé de pouvoir
en effectuer aussi la collation. Il existe ainsi un Ordre du Christ – donc un Ordre du Temple plus ou
moins poursuivi – au Vatican. Rarement conféré, il est notamment destiné aux Chefs d’États
catholiques.
116. On pourrait aussi ajouter l’adoration d’une idole à tête d’homme, qui a également fait naître
les hypothèses les plus farfelues.
117. B. Frale, Les Templiers, (trad. fr.) Paris, 2004, pp. 156-161.
118. A. Demurger, sans doute le meilleur spécialiste actuel des Ordres religieux et militaires,
aboutit à la même conclusion : « Il ne s’agit pas d’un rite magique ou ésotérique. » Cf. op. cit. ,
pp. 390-393.
119. On se souvient que l’inventeur d’un trésor est celui qui le met au jour… mais comment
désigne-t-on celui qui en invente l’existence ?
120. Sur cette question en général on ne peut ignorer les travaux essentiels et richement
documentés de P. Mollier, La Chevalerie maçonnique – Franc-maçonnerie, imaginaire
chevaleresque et légende templière au Siècle des Lumières, Paris, 2005.
121. Version du manuscrit d’Epernay, 1736. Cf. Discours prononcé à la réception des Francs-
maçons par le Chevalier André-Michael de Ramsay, (présentation et édition par Georges Lamoine),
Toulouse, s.d.
122. On trouvera une revue à jour sur ce point dans A. Bernheim, « Ramsay and his Discours
revisited », Ars macionica 14 (2004). Cf. aussi, du même auteur, Ramsay et ses deux discours,
Télètes, 2011.
123. La référence sur cette histoire demeure toujours R. Leforestier, La franc-maçonnerie
templière et occultiste aux XVIIIe et XIXe siècles, Paris, 1970. On doit cependant y joindre les
importantes remarques faites par A. Bernheim, « Notes sur Notes à propos du Rite Ecossais
Rectifié », Ars macionica 11 (2001). Plus récemment, R. Dachez, Histoire illustrée du Rite écossais
rectifié, Dervy, 2021.
124. Sur ce point, comme en ce qui concerne d’autres faux célèbres de l’histoire maçonnique, on
peut se reporter à un savoureux chapitre de Gould, « Apocryphal manuscripts », op. cit. I, pp. 217-
235.
125. E. Martin Saint-Léon, op. cit. p. 145.
126. Ibid., p. 178.
127. Observons que les « valets » sont inclus dans cette exclusion, ce qui paraît singulièrement
abusif et peu réaliste si ce sont bien des compagnons que l’on parle. Mais, comme dans bien d’autres
cas, ce mot avait des acceptions et des emplois multiples.
128. G. Renard, Guilds in the Middle Ages, Londres, 1918, p. 41.
129. Nous verrons qu’il n’en était pas de même chez les maçons écossais du XVIIe siècle !
130. On verra même plus loin qu’en Écosse, les maçons inventeront des secrets supplémentaires –
des « moyens de reconnaissance » – pour empêcher les « manœuvres » d’exercer indûment leur
métier. On a d’ailleurs aperçu quelque chose de comparable chez les Steinmetzen (Gruss und
Schenk).
131. Ms Cooke.
132. Kenning’s Masonic Encyclopedia, Londres, 1878, p. 529.
133. Sur cette question, la référence princeps demeure l’article de Paul Frankl : « The Secret of
the Medieval Masons » Art Bulletin 27 (1945) : 46-68. Cf. aussi les développements que l’auteur a
apportés dans son livre The Gothic : Literary Sources and Interpretations through Eight Centuries,
Princeton, 1960, ainsi que les précieux apports de L. R. Shelby, Gothic Design Techniques : the
Fifteenth-Century Design Booklets of Mathes Roriczer and Hanns Schmuttermayer, Carbondale and
Edwardsville, 1977. Pour une synthèse accessible en français, voir : R. Recht, « La loge et le soi-
disant “secret” des bâtisseurs de cathédrales », Histoire et archéologie, 1980, n° 47, pp. 8-23 et plus
généralement, sous la direction du même auteur, les riches aperçus qu’on trouve dans Les bâtisseurs
des cathédrales gothiques (Coll.), Strasbourg, 1990.
134. P. du Colombier, op. cit. pp. 94-95.
135. Mortet-Deschamps, op. cit. I, 5.
136. Auteur d’un toujours très estimable ouvrage : Building in England down to 1540, Oxford,
1952.
137. P. du Colombier, op. cit, p. 92.
138. Voici un peu plus de soixante-dix ans déjà, dans un livre à la fois drôle et implacable, le
grand archéologue et architecte J.-P. Lauer a montré l’inanité de toutes ces pseudo-démonstrations :
Le problème des pyramides d’Égypte, Paris, 1948.
139. F. Benoit, L’Architecture, l’Occident médiéval, 2 vol., Paris, 1933, II, 303.
140. J. Gimpel, op. cit. p. 117.
141. Sur cette question, il faut de reporter au livre implacable et superbement documenté de
M. Neveux, Le Nombre d’or, radiographie d’un mythe, Paris, 1995.
142. Les 13 livres de Éléments, écrits vers 300 avant notre ère et constamment transmis depuis
lors, furent imprimés dès 1482 à Venise.
143. Venise, 1509. Le titre complet de l’ouvrage est d’ailleurs très évocateur des intentions de son
auteur : œuvre nécessaire à tous les esprits perspicaces et curieux, où chacun de ceux qui aiment
étudier la philosophie, la perspective, la peinture, la sculpture, l’architecture, la musique et les
autres disciplines mathématiques, trouvera une très délicate, subtile et admirable doctrine et se
délectera de diverses questions touchant une très secrète science.
144. (1810-1876) Philosophe et professeur à Leipzig puis à Münich.
145. (1813-1866) Docteur en médecine, il se disait à la fois chirurgien, pédiatre, ophtalmologue,
accoucheur, et avait sillonné toutes les villes d’Europe centrale.
146. Né en 1881 en Roumanie d’une famille qui avait servi le Tsar de Russie – Ghyka avait droit
au titre de Prince –, il sera élevé à Paris. Polyglotte, il fera l’École navale, l’École supérieure
d’électricité et obtiendra aussi un doctorat en droit. Diplomate roumain, il fut en poste dans diverses
capitales européennes. Ruiné en 1946, il émigra aux USA où il devint professeur d’esthétique et
d’histoire de l’art. Il mourut en Virginie en 1965.
147. L’Esthétique des proportions dans la nature et dans les arts, Paris, 1927 et Le Nombre d’or.
Rites et rythmes pythagoriciens dans le développement de la civilisation occidentale, 2 vol., Paris,
1931.
148. Sur les plus extrêmes réserves qu’on doit formuler à leur propos – et à propos de tous les
ajouts de la même veine qui sont apparus dans le sillage de Matila Ghyka – voir notamment deux
liens internet de grand intérêt : http://ic.epfl.ch/webdav/site/ic/shared/article_drapel_. jaquier.pdf (Le
nombre d’or : réalité ou interprétations douteuses) et http://www.pseudo-sciences.org/spip.php?
article796 (Le mythe du nombre d’or).
149. Robert L. D. Cooper, The Rosslyn Hoax – Viewing Rosslyn Chapel from a new perspective,
Lewis, 2006. Une traduction française a paru, sous le titre : Rosslyn, splendeurs, mythes et réalités,
préf. J. Solis, 2011.
150. Soit en pleine période de destruction de l’Ordre du Temple.
151. Cf. sur ce point le travail définitif et impressionnant de R. Cooper, The Knights Templar in
Scotland : The Creation of a Myth, AQC 115 (2002), p. 94-152.
152. Pour toute cette section, les références majeures, auxquelles je ne renvoie pas
systématiquement à chaque indication qui en est tirée, sont les deux ouvrages de D. Stevenson : The
Origins of Freemasonry. Scotland’s century, 1590-1710, Cambridge, 1988 (On consultera avec
prudence la traduction française, souvent fautive ou maladroite, publiée sous le titre : Les Origines de
la Franc-Maçonnerie. Le Siècle de l’Écosse, 1590-1720 (sic), Paris, 1990) ; The First Freemasons.
Scotland’s early lodges and their members, Aberdeen, 1988 (une traduction convenable est
disponible : Les premiers francs-maçons. Les loges écossaises originelles et leurs membres, Paris,
1999). Ces deux livres majeurs font également l’objet du Chapitre V du présent ouvrage pour
l’analyse détaillée de leurs apports relatifs à l’évolution des loges écossaises au cours du
XVIIe siècle.
153. Si l’usage maçonnique ultérieur a consacré la traduction française de Warden par
« Surveillant », le sens premier de ce mot, emprunté au vocabulaire des organisations
professionnelles depuis la fin du Moyen Âge, est parfaitement rendu par le mot « Garde » que nous
avons déjà rencontré. L’étymologie est la même : francique wardôn = veiller, être sur ses gardes ;
allem. warten = attendre ; angl. to ward = garder, protéger. L’Oxford English Dictionary, à l’article
« warden », signale du reste que c’est une variante locale du nord-est du pays pour le mot
« guardian ».
154. G.P. Edwards, « William Elphinstone, his college chapel, and the second of April »,
Aberdeen University Review, LI (1985), pp. 1-17. Cité in D. Stevenson, The Origins…, p. 24.
155. EMC, p. 32 – trad. R. Désaguliers, Renaissance Traditionnelle 47 (1981), p. 167.
156. D. Knoop, G.P.Jones, Genesis of Freemasonry (GFM), Londres, 1943, p. 105-106.
157. Du reste, les Ordonnance de York, en 1370, le disent très clairement : « aucun maçon ne sera
admis à travailler [définitivement] avant d’avoir été éprouvé pendant au moins une semaine sur la
qualité de son travail. » D. Knoop., G.P. Jones, The Medieval Mason, Londres, 1938, p. 249.
158. D. Stevenson lui-même ne s’y risque pas !
159. Chapitre V : « Retour vers l’Écosse : la Terre promise ? »
160. Notons qu’il n’y a qu’un Surveillent (Warden).
161. Les Mss Kevan et Chetwode Crawley, très proches, portent ici « Fellow craft »
162. Sans doute une corruption du Ms d’Edimbourg (« broad ovall »). Le Chetwode Crawley
mentionne à la place « broaked mall », un instrument du tailleur de pierre. Il semble plus sûrement
s’agir d’une corruption de broached ornal = ornel broché, ou moellon piqué, qui s’insère plus
logiquement dans cette énumération de pierres. Cf. R. Désaguliers, Les Pierres de la franc-
maçonnerie, de la première pierre à la pierre triomphale, Paris, 1995 (Chapitre III : The Broached
Ornel ou le retour de l’Orneau broché).
163. Dans une langue imagée, le « parpaing » désignerait ici le foie et la « motte verte », la
vésicule biliaire. Dans une tradition qui remonte à l’Antiquité grecque, le foie a été longtemps
associé au siège de l’âme et de la mémoire. Il semble qu’on place ainsi le secret dans le corps même
d’un maçon. Dans un autre catéchisme, publié en 1723 dans The Flying Post, intitulé A
Masons’examination, on dit aussi que la clé de la loge est « sous le recouvrement de mon foie, là où
sont gardés les secrets de mon cœur ». (EMC, P. 74.)
164. Il s’agit du nom des deux colonnes du Temple de Salomon : Yakhin et Boaz
165. Gabarit fixant la dimension des pierres à tailler.
166. C’est-à-dires les cinq points du Compagnonnage, décrits plus haut dans le même texte.
167. C’es-à-dire celui de Compagnon, car il n’y a à cette époque que deux grades : « Entered
Apprentice » et « Fellowcraft or Master ».
168. EMC, pp. 31-34. Plusieurs traductions ont été publiées en français. On peut notamment se
référer à celle de R. Désaguliers, « Les Trois plus anciens rituels maçonniques », Renaissance
Traditionnelle, 47 (1981), pp. 160-170, et à celle d’E. Mazet dans La franc-maçonnerie, textes
fondateurs (Coll.), Paris, 1994. Je n’entre pas ici dans l’explication des difficiles choix de traduction
ni dans les commentaires sur la signification de certains des objets évoqués. Les deux articles cités
abordent les problèmes principaux qui sont posés par ce texte. Dans une perspective plus
spécifiquement linguistique, voir Ph. Langlet, Les textes fondateurs de la franc-maçonnerie, Paris,
2006, pp. 102-122.
169. C’est dans le dernier tiers au XVe siècle, à l’époque où paraissaient en Italie les premiers
grands traités fondateurs de l’architecture renaissante, que des historiens et archéologues italiens
conçurent la notion de Moyen Âge (media tempestas) pour mettre entre parenthèses, en quelques
sorte, la période s’étendant à peu près du Ve siècle au XVe siècle, désormais tenue pour une âge
d’obscurcissement après l’effondrement de la civilisation antique et l’oubli de sa culture. Cf. George
L. Burr, « How the Middle Ages got their name », American Historical Review, 20 (1914 – 1915),
pp. 813-815.
170. On pourrait objecter la mention du mot « speculatyf » dans le Ms Cooke (c. 1420). Toutefois,
le terme ne s’y applique pas à un maçon et ne fut repris dans aucun autre manuscrit des Anciens
Devoirs, preuve, s’il en fallait, qu’il ne renvoyait alors à rien d’établi. Il paraît donc tout à fait exclu
d’en faire la source de l’expression « maçon spéculatif » et plus encore d’en déduire que la notion
existait au XVe siècle. C’est cependant l’écueil qui menace l’historien de rencontre qui prendrait le
risque de bâtir une théorie sur un mot, en détachant ainsi un texte de son contexte historique, social et
culturel ! Cf. GFM, pp. 129-130.
171. GFM, p. 131.
172. J. H. Lepper, Ph. Crossle, History of the Grand Lodge of Free and Accepted Masons of
Ireland, Dublin, 1925, pp. 28-30.
173. Je remercie mon regretté et savant ami John Acaster, qui fut membre de la célèbre loge de
recherche Quatuor Coronati 2076 de Londres, de m’avoir fourni ces quelques indications. La
discussion de cette date était déjà présente dans l’article d’E. Ward, « The Baal Bridge Square »,
AQC 82 (1969), pp. 255-257. Le doute subsiste par conséquent.
174. Citons notamment, sans être exhaustif : L’Art religieux du XIIIe siècle en France (1899),
L’Art religieux de la fin du Moyen Âge en France (1908), L’Art allemand et l’art français du Moyen
Âge (1917), L’Art religieux au XIIe siècle en France (1922), Art et artistes du Moyen Âge (1927).
175. Rappelons que toutes leurs sculptures étaient habituellement ornées de couleurs et que leurs
murs formaient ainsi en permanence, aux yeux des fidèles, comme une gigantesque enluminure
qu’on pouvait parcourir sans peine.
176. On peut en dire autant des interprétations « alchimiques » auxquelles on a soumis quelques
cathédrales et qui ne relèvent le plus souvent que d’une méconnaissance assez nette de symboles
conventionnels, en usage au Moyen Âge pour figurer certaines sciences ou certaines notions. La
source majeure se trouve dans un ouvrage publié en 1640 par Esprit Gobineau de Montluisant,
Explication très curieuse des énigmes et figures hiéroglyphiques qui sont au grand portail de Notre-
Dame de Paris, livre sur lequel plus tard s’appuiera l’énigmatique Fulcanelli pour construire les
thèses très imaginatives de son Mystère des cathédrales (1926). Il y aurait, en ce domaine, un
salutaire travail de démystification à opérer : il passe d’abord par la réacquisition d’une certaine
culture classique.
177. Il veut dire que les sculpteurs étaient des laïcs, mais il s’agit bien d’édifices religieux.
178. Dictionnaire raisonné de l’architecture, Paris, 1866, pp. 144 sq.
179. L’Art religieux au XIIIe siècle, Paris, éd. 1948 (rééd. 1987), p. 711712.
180. On songe évidemment en tout premier lieu à Guillaume Durand, évêque de Mende au
XIIIe siècle, auteur du Rationale divinorum officiorum, qui sera aussi l’un des premiers livres
imprimés (Mayence, 1459) et dans lequel il consacre de longs développements à cette question.
181. Où sont les « francs-charpentiers » et les « francs-forgerons » ? Notons toutefois que dès le
XVIIIe siècle il a existé des « francs-jardiniers »…
182. Mon maître René Désaguliers fut parmi les premiers à explorer méthodiquement cette piste
de recherche dont il a livré l’essentiel dans Les pierres de la franc-maçonnerie.., op. cit.
Notes
1. C’est à dessein que le mot Gentleman n’est pas traduit ici, et notamment pas par le mot français
« gentilhomme », car l’assimilation à une quelconque noblesse induirait gravement en erreur sur le
statut social réel, qui n’a au demeurant jamais été complètement établi, du premier Grand Maître.
Tout laisse à penser qu’il était relativement modeste. Cf. J. W. Hobbs, « Mr Anthony Sayer :
Gentleman. First Grand Master of Masons, 1717 », AQC 37 (1924), pp.218-248 et R.T. Beck,
« Anthony Sayer, Gentleman : The truth at last », The Prestonian Lecture for 1975, AQC 87 (1974),
pp. 65-84.
2. Si, du moins, l’on en croit le récit procuré vingt ans après les événements par Anderson lui-
même : The New Book of Constitutions of the Antient and Honourable Fraternity of Free and
Accepted Masons, Londres, 1738, p. 109-110. Du reste, et j’y reviendrai plus loin, la réalité même de
cet événement en 1717 est aujourd’hui contestée ! Mais son récit demeure fondateur…
3. Les dimensions de la salle de la taverne de l’Oie et le Gril, dont le plan exact nous est connu, ne
permettaient pas d’en accueillir davantage.
4. Dans le texte de 1723, certainement rédigé avant la mort de Wren, ce dernier n’est cité qu’une
fois comme « l’habile architecte » qui avait dirigé la construction de la nouvelle cathédrale Saint-
Paul. Rien d’autre n’est dit à son propos. Ce silence, du vivant de Christopher Wren, est plus que
révélateur (The Book of Constitutions, 1723, p. 41). En revanche, sa qualité de « simple franc-
maçon » (spéculatif) semble plus plausible. Pour une mise au point récente sur l’appartenance
maçonnique de Wren, cf. J. Campbell, Was Sir Christopher Wren a Mason ? Prestonian Lecture for
2011, AQC 125 (2012), pp. 15-60. Il conclut notamment : « Sir Christopher Wren fut-il maçon ? Ma
réponse est oui, je pense qu’il le fut, mais pas vraiment comme on le serait de nos jours. »
5. Médecin formé Cambridge, il devint aussi Ministre de l’Église d’Angleterre. Fondateur de la
Society of Antiquaries en 1717 (!) et plus tard Fellow de la Royal Society, comme de nombreux
francs-maçons de son temps, nous le reverrons.
6. Souvenons-nous qu’à cette date, la Grande Loge a trois ans et demi à peine !
7. D. Knoop and G.P. Jones, GFM, p. 191.
8. Rappelons que c’est seulement le 24 juin 1723 que la Grande Loge inaugura ce qui paraît bien
être son premier livre de procès-verbaux. Nous n’avons aucun témoignage direct de ses travaux entre
1717 et 1723 : nous devons là encore, pour toute cette période obscure, nous fier entièrement aux
brèves notes (7 pages) publiées par Anderson en 1738…
9. L’adjectif « Premier » que les érudits maçonniques anglais attribuent souvent à la Grande Loge
de 1717 (« The Premier Grand Lodge »), joue sur une véritable ambiguïté : il veut tout aussi bien
dire « la plus ancienne » que « la plus respectable »…
10. The Constitutions of the Free-Masons, containing the History, Charges, Regulations, & c. of
that most Ancient and Right Worshipful Fraternity, Londres, 1723.
11. The New Book of the Constitutions…, p. 109.
12. Il dit précisément que les libres nations britanniques avaient « redonné vie (reviv’d) aux loges
déclinantes de Londres » (The Constitutions…, 1723, p. 47). En 1738, dans une rédaction enrichie, il
affirme qu’au début des années « les loges particulières étaient très peu fréquentes et le plus souvent
occasionnelles » ; néanmoins il en dénombre alors six à Londres, dont quatre semblent correspondre
à celles de 1717 : en une trentaine d’années, le bilan de la « franc-maçonnerie » londonienne aurait
donc été la perte de deux loges sur six…
13. C’est du moins l’opinion que voulaient manifestement faire prévaloir certains dignitaires de la
Grande Loge de 1717. Ce fut encore sur ces références opératives prétendues que s’appuya, en partie,
l’Union de 1813 qui permit la création de l’actuelle Grande Loge Unie d’Angleterre. On peut
cependant se demander si la « tradition opérative » avait autant d’importance, dans divers cercles
maçonniques, anglais ou irlandais, au milieu du XVIIIe siècle. Cf. sur cette question l’étude
documentée de T. Boudignon, « Néo-opérativisme dans la franc- maçonnerie spéculative anglaise et
française à la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle », Actes du Ille Colloque du Cercle
Renaissance Traditionnelle, Renaissance Traditionnelle, 118-119 (1999), pp. 103-124.
14. (1836-1915). Après une carrière de militaire puis de juriste, il se consacra à l’histoire
maçonnique dont il devint le chef d’école. Il est l’auteur d’un monument : History of Freemasonry,
Londres, 1882-1887 – 3e édition, revue par H. Poole, Londres, 1951 (dans la suite de ce livre, je
citerai d’après cette dernière édition).
15. (1841-1911). On lui doit surtout : The Old Charges of British Freemasons, Londres, 1872 ;
Origins of the English Rite, Londres, 1884. 4. Son œuvre majeure, insuffisamment exploitée par
nombre de chercheurs, reste : Records of the Hole Crafte and Fellowship of Masons, Londres, 1894.
16. Pour ne s’en tenir qu’aux ouvrages publiés dans les cinquante dernières années environ, on
peut encore trouver des conceptions analogues, notamment dans : D. Knoop et G.P. Jones, Genesis of
Freemasonry, Manchester, 1947, et B.E. Jones, Freemason’s Guide and Compendium, Londres,
1956.
17. Il faut aussi rappeler qu’en France elle a en outre bénéficié d’un patronage guénonien dont j’ai
déjà souligné la grande faiblesse (supra, p. 16, n. 2).
18. « 600 years of Craft Ritual », AQC 81 (1968), pp.153-205, repris sous une forme révisée dans
Harry Carr’s World of Freemasonry, Londres, 1984, pp. 1-27 ; « Transition from operative to
speculative Masonry », Prestonian Lecture for 1957, in Collected Prestonian Lectures, Londres,
1985, Vol. I, pp. 421 -438 ; « Freemasonry before Grand Lodge », in Grand Lodge 1717-1967,
Londres, 1967, pp. 1-46.
19. Prestonian Lecture for 1957, op. cit., p. 421.
20. Encore que la mention portée sur le registre de la loge soit très elliptique et donc très ambiguë.
Finalement on ne sait pas très bien dans quelles conditions il fut présent ni s’il fut réellement
« initié » aux secrets de la loge.
21. Il faut surtout noter que l’appellation « loge » n’apparaît jamais dans les quelques archives de
l’Acceptation qui mentionnent cette activité.
22. Outre la somme rédigée par E. Conder, op. cit., on peut aussi consulter : C.N. Batham, The
London Company of Masons, AQC 90 (1977), pp. 142-176.
23. EMP, pp.31-34.
24. Ibid, p. 42.
25. Ibid, p. 40.
26. Dans le système écossais, on s’en souvient, les journeymen étaient des Apprentis qui, au terme
de leur formation, n’avaient pas pu ou pas souhaité accéder au statut de Compagnon du Métier. Ils
travaillaient dès lors dans une certaine précarité, comme « hommes de journée » ou tâcherons. Il
convient cependant de ne pas les confondre avec les cowans qui étaient pour l’essentiel des
manœuvres sans qualification reconnue.
27. (1742-818) Imprimeur écossais, maçon très actif, il publia en 1772 la première édition de ses
Illustrations of Freemasonry, ouvrage qui connut un grand succès et de multiples éditions et
contribua fortement à fixer les « Instructions » (Lectures) des trois premiers grades de la maçonnerie
anglaise. Pour une traduction française de ce texte essentiel : Illustrations de la franc-maçonnerie,
traduction, introduction et notes de G. Lamoine, Paris, 2006.
28. Grand Lodge, op. cit., p. 46.
29. Et d’aucuns lui accordent encore, comme à la Bible latine qui porte le même nom, une foi sans
nuance…
Notes
1. On lira notamment : W Mc Leod, « Why l still believe in the Transition Theory », The Cryptic
Scholar, 1991, pp. 60-67. En revanche, plus récemment, dans son livre The Genesis of Freemasonry,
D. Harrison, dans un court chapitre de 25 pages intitulé « The Transition from Operative to
Speculative 1640-1717 », 2009, ne fait même plus aucune allusion directe à ce débat.
2. E. Ward, « The Birth of Freemasonry », AQC 91 (1978), pp. 77-116
3. Chapitre V.
4. La chose, du reste, contrairement à ce que l’on pense parfois, ne faisait aucun doute pour les
maçons les plus éminents du XVIIIe siècle. Ainsi, dans le Rituel Général de Maître Ecossais se
Saint-André, rédigé en 1809, Jean-Baptiste Willermoz (1750-1824), l’un des francs-maçons les plus
érudits de son temps, écrivait : « L’histoire de [la mort d’Hiram] et de son assassinat par trois
compagnons est une fiction ingénieuse que favorise à cet égard le silence des Saintes Écritures. Elle
voile cependant de grandes vérités pour le maçon qui veut s’instruire. » (Ms 5922-4, Bibliothèque de
la Ville de Lyon)
5. Que l’on songe, pour approcher le mode de pensée dont procède cette confusion, à la fameuse
miniature de Jean Fouquet évoquée plus haut (pp. 19-21).
6. « The crisp English word Freemason », AQC 68 (1955), pp. 58-81.
7. EMP, pp. 34-35.
8. Ibid., p. 41-42.
9. Ibid., p. 34. Il semble donc bien qu’il distinguait ici la « Compagnie » opérative, dont celle de
Londres (London Masons’Company) était le modèle, et la « Société » qui, elle, aurait rassemblé les
« spéculatifs ».
10. Le texte des Constitutions de 1723 ne mentionne pas une seule fois le mot freemason, alors
qu’on y trouve 126 références aux Masons, 12 aux Free Masons, 10 aux Free and Accepted Masons,
9 aux FreeMasons, 4 aux Accepted Masons et une aux Accepted Free Masons. Ce simple décompte
et surtout l’absence du premier terme sont assez éloquents, il faut en convenir.
11. C’est notamment le cas de la loge d’Alnwick, connue depuis 1701 et qui disparut une
cinquantaine d’années après, soit au beau milieu du « siècle d’or » de la maçonnerie spéculative !
12. Il est remarquable qu’E. Ward, sans y insister, ait souligné ce point que développeront
amplement les études de D. Stevenson, dix ans plus tard. J’y reviendrai en détail plus loin
(Chapitre V).
13. Du reste la Compagnie des Maçons de Londres a fini elle-même par perdre tout pouvoir sur le
Métier – elle est devenue « non-opérative » – sans pour autant devenir spéculative. Elle subsiste
toujours comme l’une des Livery Companies de Londres, continue à élire annuellement son Maître
(Master) et ses deux Gardes (Wardens) et occupe le 30e rang protocolaire sur les 108 Compagnies
reconnues. The Worshipful Company of Masons, institution à présent purement honorifique – on
dirait presque mondaine – contribue à l’élection tout aussi protocolaire et symbolique du Lord
Maire ; elle est essentiellement composée d’honorables personnes dont les buts sont essentiellement
caritatifs, soutenant notamment financièrement les apprentis des métiers du bâtiment dans leur
formation et proposant des aides et des secours divers aux personnes appartenant à ces métiers. Elle
offre deux types de statuts pour ceux qui y adhèrent : Freeman (correspondant au simple
membership) et Liveryman (accès au fellowship). Il ne peut y avoir plus de 175 Liverymen. Son site
est consultable sur : http://www.masonslivery.co.uk/
14. Il existe des mentions épisodiques dont l’examen sommaire semblerait accréditer la thèse
faisant de freemason une contraction de freeman mason (c.-à-d. ayant reçu la « franchise » de
l’Incorporation). On ne l’observe toutefois qu’à de très rares reprises dans les archives des loges
écossaises (comme à Édimbourg en 1630 ou Melrose en 1674) ; en tout cas, et c’est évidemment un
point à souligner, le terme ne s’appliquait jamais aux Gentlemen Masons ! Rappelons aussi que le
mot freemason dans son sens purement opératif (freestone mason) était également inconnu en Écosse
où la « franche pierre » (freestone) ne se trouvait pas. On doit cependant noter au passage que Ward,
comme nombre d’auteurs anglais voici à peine quelques années encore, minimisait d’une façon
presque caricaturale le rôle éventuel de l’Écosse. Si cette lacune de son argumentation n’affecte en
rien la pertinence de sa critique à l’égard de la théorie de la transition, elle sera largement comblée,
nous le reverrons, par les travaux désormais essentiels de D. Stevenson sur la pratique des loges
écossaises et le destin des Gentlemen Masons au cours du XVIIe siècle.
15. En fait, on a de bonnes raisons de soupçonner un texte intermédiaire remontant au milieu du
XVIe siècle. Il resterait cependant encore plus d’un siècle de silence documentaire absolu.
Récemment, quelques laborieuses tentatives de combler, au moins partiellement, ce fossé ont montré
leurs limites et n’emportent aucunement la conviction des spécialistes anglais de la question
(communication personnelle du Pr Andrew Prescott notamment).
16. La Maison des Tudor régna 118 ans, de 1485 à 1603. Ce sont les Tudor Times.
17. L’étude princeps sur cette question reste celle de D. Knoop, G.P. Jones, « The rise of the
mason contractor ». Journal of the Royal Institute of British Architects 43 ; 20 (1936), 1061-71.
Cf. aussi GFM, pp. 110-114.
18. Nous verrons plus loin comment l’érudit anglais C. Dyer, en 1982, développera cette remarque
pour fonder une nouvelle théorie des origines de la Maçonnerie spéculative. Cf. Chapitre III : « Une
piste religieuse ».
19. Il existe, dès 1638, des références plus précoces dans la littérature écossaise mais pas dans le
domaine anglais.
20. Et encore cette date présumée ne repose-t-elle que sur l’affirmation simplement énoncée sans
autre preuve en 1729 dans un document intitulé Engraved List of Lodges, une sorte d’état
annuellement publié par la Grande Loge entre 1722 et 1778. Rappelons qu’elle fut reconnue comme
la première dans l’ordre de « seniority » par la Grande Loge de Londres.
21. (1695-1770). Médecin, érudit amateur de choses anciennes (antiquarian) et Fellow de la
Royal Society. Il fut un des dignitaires de la Grand Lodge of All England at York, puissance
maçonnique « régionale » qui fut active entre 1725 et 1740, puis de nouveau à partir de 1761 jusque
vers 1790 et ne compta guère plus de 14 loges. Le Discours de Drake connut un vif succès, fut
imprimé à plusieurs reprises et eut une grande diffusion. C’est l’un des « textes fondateurs » de la
tradition maçonnique anglaise et l’un des plus anciens témoignages de ses premières valeurs et de
son état d’esprit d’origine.
22. (1732-1814). Il est considéré en Angleterre comme le « père du symbolisme maçonnique ».
Notes
1. « The Birth of Freemasonry (Another Theory) », AQC 92 (1979), pp. 199-202.
2. Cette affirmation a été contestée, notamment par C. Dyer, AQC 95 (1982) p. 65, alors que des
vues analogues avaient été soutenues par N. Rogers, « The Lodge of Elias Ashmole », AQC 65
(1952) pp. 35-51. D’autre part, en analysant une biographie d’Elias Ashmole (C.H. Josten, Elias
Ashmole, 1617-1692, Oxford, 1966) dans AQC 79 (1966) pp. 240-249, H. Carr avait rappelé que
dans la liste des membres de la loge de Warrington, on trouve aussi bien des royalistes que des
« Têtes Rondes » et d’ailleurs également aussi bien des catholiques que des protestants. On sait ainsi
que le Colonel Henry Mainwaring, parent et allié d’Ashmole, reçu franc-maçon le même jour que lui
à Warrington, était un officier fidèle au Parlement.
3. Poor Robin’s Intelligence, EMP, pp. 30-31.
4. Natural History of Wiltshire, ibid. p. 42.
5. Telfair’s tract, ibid. p. 34.
6. Anti-masonic leaflet, ibid. p. 34-35.
7. Allusion à la réponse parfois attribuée à Edmund Hillary lorsqu’on lui demandait pourquoi il
avait décidé de vaincre l’Everest : « Parce qu’il est là ! » (Because it is there !). En fait, elle est due à
George Leigh Mallory qui disparut en 1924 au cours d’une ascension malheureuse. Son corps fut
retrouvé dans la glace 75 ans plus tard, en 1999.
8. Notamment autour de la personnalité controversée du Duc de Wharton, l’un de ses premiers
Grands Maîtres.
9. « Some thoughts on the origins of speculative Masonry », AQC 95 (1982), pp. 120-169.
10. Cf. pp. 147-148.
11. On sait que York est resté l’un des « enfants terribles » de la franc-maçonnerie anglaise. Une
Grande Loge rivale de Londres y fut établie vers 1725 et fonctionna de façon intermittente au cours
du XVIIe siècle, je l’ai déjà signalé (Cf. p. 150, n. 2). Elle a été pareillement « réveillée » au début
des années 2000 dans des conditions tout aussi pittoresques…
12. Rappelons le caractère très polysémique et l’usage répandu du mot « loge » (ou « lodge »)
depuis le Moyen Âge. Il désignait toutes sortes d’édifices provisoires de destinations variées – à
l’origine, les loges de chantier n’étaient pas autre chose, on l’a vu. Que l’on songe aussi à la Fête des
Loges de Saint-Germain-en-Laye, qui existe toujours et n’a pas grand rapport avec la franc-
maçonnerie. Pour s’en convaincre, il n’est que de consulter la définition de ce mot dans le
Dictionnaire de l’Académie, 4e édition, 1762 : « LOGE. s.f. Petite hutte faite à la hâte. Cet Ermite
s’est fait une petite loge. Il se prend plus ordinairement pour un petit réduit fait de cloisonnage,
& capable de contenir plusieurs personnes. La loge d’un Portier, d’un Suisse. Les loges de la foire
saint Germain. Les loges des Lingères, des Merciers, & c. Louer une loge à la foire. Les loges de la
Comédie, & c. La première loge. La seconde loge. La loge du Roi. La loge de la Reine. Retenir une
loge à la Comédie, à l’Opéra. On distingue dans les spectacles les loges des différens étages, par le
nom des premières, secondes & troisièmes. On appelle aussi Loges, aux Petites Maisons, Les réduits
où l’on enferme les fous. On appelle encore dans les Ménageries, Loges, les réduits où l’on enferme
les bêtes féroces. La loge du Lion. La loge du Tigre. On dit dans le même sens, & par extension, La
loge d’un chien. Dans un buffet d’Orgues, le lieu où sont les soufflets s’appelle Loge. » Observons
que la signification maçonnique du mot n’y apparaît que dans la 6e édition de 1835.
13. « The Origin of Freemasonry – A New Theory », AQC 106 (1993), pp. 16-50.
14. Sur le problème plus général des relations entre le protestantisme et la Maçonnerie spéculative
à son origine : R. Dachez, « Le protestantisme aux origines de la franc-maçonnerie – Où, quand,
comment ? », Actes du Colloque Protestantisme et franc-maçonnerie, Paris, 2000, pp. 35-44.
15. On songe notamment au très célèbre traité De verbo Mirifico publié en 1496 par de Johannes
Reuchlin (1455-1522).
16. Ce sujet, maintes fois évoqué, pour le meilleur et pour le pire, il faut se reporter en premier
lieu aux aperçus généraux de grand intérêt proposés par F. Yates, The Occult Philosophy in the
Elizabethan Age, Londres, 1979 ; trad. fr. La philosophie occulte à l’époque élisabéthaine, Paris,
2002.
17. « The origin of the Craft », AQC 96 (1983), pp. 170-183.
18. Memoirs of the Life of that Learned Antiquary, Elias Ashmole, Esq. : Drawn up by himself by
way of Diary, Londres, 1717.
19. « Freemasonry in the Seventeenth Century : Warrington 1646 », The Masonic Magazine,
1881, Vol. IX, no 102, pp. 221-236.
20. « The Lodge of Elias Ashmole », AQC 65 (1952), pp. 35-51.
21. Cf. p. 131, n. 3.
22. Même si nombre de ses membres, mais pour des raisons purement sociologiques, sont francs-
maçons (à commencer par E. Conder Jr qui fut aussi membre de la loge Quatuor Coronati).
23. « Freemasonry in the Seventeenth Century : Chester 1600-1700 », The Masonic Magazine,
1882, Vol. IX, no 103, pp. 309-319.
24. La traduction du mot « fellowship » soulève ici des difficultés particulières. On peut
naturellement le rendre, selon l’usage (fellow = compagnon) par « compagnie ». Toutefois, la
confusion avec la « Company » (London Masons’Company) qu’elle induit est peut-être abusive : on
parle ici de ce qui se passe « dans tout le pays » et pas seulement à Londres où une organisation
structurée existe en effet mais c’est un peu une exception (même si des guildes un peu comparables
de maîtres maçons ont aussi existé à Durham, York, Coventry, Norwich et Chester, où se tenait la
loge de Randle Holme). Le recours au terme « confrérie » préjuge ici en partie de la nature exacte de
l’organisation en question, laquelle demeure à établir.
25. Cf. supra, p. 143.
26. Ce fait, jamais expliqué de manière satisfaisante, est peut-être à rapprocher, précisément, de la
signification ambiguë prise, nous l’avons vu, par le terme Freemason, au cours du XVIIe siècle, et
dont la Compagnie aurait voulu à son tour se démarquer.
27. La Compagnie des Maçons de Londres existe toujours comme un des lieux privilégiés de
« l’aristocratie municipale » de la Cité de Londres, nous l’avons vu.
28. Il est curieux d ’observer que, deux siècles environ plus tard, ce processus rappelle
étrangement celui qui présida en France, à la fin du XIVe siècle, à la naissance du Compagnonnage !
29. On notera d’ailleurs que vers la fin du XVIIIe siècle diverses Friendly Societies apparurent,
empruntant à des « traditions » variées, sans preuve convaincante au demeurant. Ainsi, « l’Ordre
Ancien et Royal des Forestiers » (Ancient Royal Order of Foresters) ou « l’Ordre Ancien des
Druides » (Ancient Order of Druids). On peut également citer le cas singulier de « l’Ordre des
Francs-Jardiniers » (Free-Gardeners). Plusieurs de ces sociétés sont toujours en activité et forment
essentiellement aujourd’hui des mutuelles d’assurances qui ont curieusement conservé une certaine
forme de rituel et des références « symboliques » à l’Art forestier ou aux Mystères druidiques ainsi
qu’un vocabulaire et des décors particuliers. Pour autant, elles ne se présentent nullement comme des
« sociétés initiatiques » mais traduisent la séculaire passion britannique pour la ritualisation et la mise
en scène symbolique de nombreuses conduites sociales. Sur cette question encore mal connue une
synthèse récente et très documentée a été publiée en français : J.-P. Bacot, Les sociétés fraternelles,
un essai d’histoire globale, Paris, 2007.
30. C’est ce que prévoient explicitement les Règlements Généraux de 1723.
31. The Friendly Society : a proposal of a new way or method for securing houses from any
considerable loss by fire, 1684.
32. Ibid.
33. Cf. W. Wonnacott, « The Friendly Society of Free and Accepted Masons », AQC, 29 (1916),
pp.107-277.
34. Des mouvements de grève, notamment dirigés contre la Compagnie des Maçons de Londres –
ce qui confirme bien son statut « patronal » –, se produisirent en 1750 et 1775.
35. Il faudrait signaler ici encore la survivance curieuse d’usages rituels et d’allure initiatique dans
certaines sociétés ouvrières « pré-syndicales » de l’Angleterre du XIXe siècle. Cf. sur ce sujet en
général : A. Durr, « Ritual of association and the organizations of the common people », AQC 100
(1987), pp. 88-108 (nombreuses citations de textes rituels). La naissance des Trade Unions, à la fin
du XIXe siècle, a entraîné leur disparition. Voir aussi, sur l’une de ces sociétés qui connut pendant
quelques années un destin français au début du XXe siècle, l’ouvrage classique de M. Dommanget,
La chevalerie du travail française, Lausanne, 1967.
36. Masonic Facts and Fictions, Londres, 1887.
Notes
1. Les références ont déjà été mentionnées p. 101, n. 2.
2. On désigne ainsi, avec H. Carr, le groupe des trois plus anciens textes maçonniques écossais,
les Mss des Archives d’Edimbourg, Chetwode Crawley et Kevan, qui s’échelonnent de 1696 à 1714
environ et auxquels il faut désormais joindre le Ms Airlie de 1705 (p. 13, n. 3). Cf. Knoop, Jones and
Hamer, Early Masonic Catechisms, 1943. Une traduction française globale, comparée et commentée
a été publiée par R. Désaguliers, « Les trois plus anciens rituels maçonniques », Renaissance
Traditionnelle, 47 (1981), pp. 161-170.
3. La référence sur ce sujet est évidemment F. Yates, The Art of Memory, Londres, 1966 ; trad. fr.
L’art de la mémoire, Paris, 1987. Voir aussi, plus récemment : The Book of Memory : A Study of
Memory in Medieval Culture, Cambridge, 1900, 2008² ; trad. fr. Le livre de la Mémoire : Une étude
de la mémoire dans la culture médiévale, Paris, 2004 ; M. Carruthers, J. Ziolkowski, The Medieval
Craft of Memory, Philadelphie, 2002.
4. Pour une revue générale, on peut consulter : J.M. Chatelain, Livres d’emblèmes et de devises,
une anthologie (1531-1735), Paris, 1993.
5. Un ouvrage, mettant en œuvre une iconographie abondante et bien choisie, illustre parfaitement
l’importance de cette source dans la constitution du répertoire symbolique de la franc-maçonnerie :
I. Mainguy, Symbolique des outils et glorification du métier (172 illustrations), Paris, 2007.
6. Cette expression a été consacrée par Frances Yates.
7. Par référence à Prov. 9, 1 : « Sagesse a bâti sa maison, elle a taillé ses sept colonnes […} »
8. Cf. F. Yates, Giordano Bruno and the Hermetic Tradition, Londres, 1964 ; trad. fr. Giordano
Bruno et la tradition hermétique, Paris, 2002.
9. Cf. notamment : J. Rousse-Lacordaire, « Dieu au travail 1. L’Architecte », Renaissance
Traditionnelle, 150 (2007). Voir aussi le passionnant ouvrage de F. Boespflug, Dieu au Compas,
2017.
10. (1510-1571). Né dans une famille de maîtres maçons, il étudiera en Italie avant de devenir l’un
des architectes les plus en vue de son époque. Un temps gouverneur du Louvre, il sera architecte du
roi sous Henri II.
11. L’Architecture de Philibert de l’Orme (reprint de l’édition de 1648), Liège, 1981, p. 32 r° et
v°.
12. Pour toutes les références publiques au Mot du Maçon au cours du XVIIe siècle, le travail
majeur est celui de H. Carr, A Collection of early references to the Mason Word, AQC 85 (1972),
pp. 217-241, auquel il faut ajouter notamment : G. S. Draffen, The Mason Word – Another early
reference, AQC 65 (1952), p. 54 ; C. Newman, A reference to the Mason Word in 1653, AQC 80
(1967), pp. 278-279.
13. Fama Fraternitatis en 1614, Confessio Fraternitatis en 1615, Noces chymiques de Christian
Rosenkreutz en 1616.
14. The Secret Commonwealth of Elves, Fauns and Fairies (réed. 1933), p. 108.
15. Loctopandecteision, 9. Cf. C. Newman, op. cit.
16. L’équivalent de ce que l’on nomme de nos jours, dans les paroisses réformées, les
« conseillers presbytéraux ».
17. D. Stevenson, The Origins…, p. 127.
18. Il s’agit en l’occurrence de la qualité reconnue par l’Incorporation, et non par la loge.
19. D. Stevenson, op. cit. p. 130.
20. Relatant sa propre initiation, Ashmole note simplement dans son Journal, en octobre 1646 :
« I was made a Free Mason ».
21. La référence sur la biographie de Moray demeure : A. Robertson, The life of Sir Robert Moray,
Soldier, statesman and man of science, Londres, 1922. Mais l’aspect maçonnique de sa vie y est
totalement occulté.
22. Il faut préciser que les reconstitutions de Kircher à propos de la langue égyptienne ne
reposaient que sur des vues fantaisistes et n’avaient aucun rapport avec la réalité de la langue
hiéroglyphique et le rendaient peu capable de restituer véritablement la « Science Égyptienne ». Il
faudra attendre Champollion pour en savoir davantage.
23. Hygiea est la déesse grecque de la santé, de la vie saine et heureuse. Les significations des
autres mots grecs sont : Agapa : il aime ; Gnothi : sache, connais ; Pisteuei : il témoigne sa foi ;
Anecho : demeure constant ; Apecho : abstiens-toi. Il en ressort globalement un idéal stoïcien
d’inspiration évangélique. Cité in D. Stevenson, The Origins…, p. 173.
24. Pas moins étrange, finalement, que la Masonry anglaise de la même époque…
25. D. Currie, The Foundation of the Grand Lodge of Scotland, Lodge Hope of Kurrachee, 2001
Symposium (http://www.lodgehope337.org.uk/lectures.htm). Voir aussi : M.C. Wallace (PhD),
Scottish Freemasonry 1725-1810 : Progress, power, and politics, Edimbourg, 2007.
26. On ne dispose pas encore d’un grand travail d’ensemble sur Désaguliers. On peut consulter :
J. Stokes, « Life of John-Theophilus Desaguliers », AQC, 38 (1925), pp. 285-308. On trouvera aussi
des éléments biographiques dans : P. Boutin, « Jean-Théophile Desaguliers : un Huguenot,
philosophe et juriste, en politique », The Modern Language Review, 97, 3 (2002), pp. 709-710. Plus
récemment, une synthèse savante et actualisée a été publiée par A. T. Carpenter, John Theophilus
Desaguliers : A Natural Philosopher, Engineer and Freemason in Newtonian England, Londres,
2011.
27. La vision que l’on peut voir de James Anderson et des circonstances de son implication dans
la franc-maçonnerie a été notablement précisée et enrichie par le récent et remarquable travail de
D. Stevenson, « James Anderson, Man and Mason », Heredom, 10 (2002), pp. 93-138 (repris de
Freemasonry on Both Sides of the Atlantic, eds. R.W.Weisberger, W. McLeod, S.B.Morris, 2002.
28. À Édimbourg, le Diacre, c’est-à-dire le premier officier de l’Incorporation, était aussi
« Preses » ou Maître de la loge.
29. D. Murray Lyon, History of the Lodge of Edinburgh, Mary’ Chapel no 1, Édimbourg-Londres,
1873, p. 151.
30. La référence classique écrite à l’époque de la fondation de cette académie est bien sûr celle de
T. Sprat, The history of the Royal Society of London for the improving of natural knowledge. [1667]
(reprint 2003). Parmi les études modernes sur cette période : M. Purver, E. J. Bowen, The Beginning
of the Royal Society, Oxford, 1960 ; Sir H. Hartley (ed.), The Royal Society : Its Origins and
Founders. London, 1960.
31. A. Robertson, op. cit., p. 174.
32. R. Lomas, The Invisible College : The Royal Society, Freemasonry and the Birth of Modern
Science, Londres, 2002. Un livre d’une confusion absolue : sous une apparence trompeuse d’ouvrage
« documenté », le modèle de ce qu’il ne faut pas écrire…
33. On ne peut qu’approuver la prudence à laquelle a fait appel un autre auteur, français cette fois,
en proposant, dans un ouvrage introductif, des pistes pour explorer sans a priori cette question
complexe : A. Bauer, Newton aux origines de la franc-maçonnerie, Paris, 2003.
34. P. Arnold, Histoire des Rose-Croix Paris, 1956, rééd. 1990 ; La Rose-Croix et ses rapports
avec la franc-maçonnerie, Paris, 1970 ; R. Edighoffer, Rose-Croix et société idéale selon J. V.
Andreae, 2 vol., Paris, 1982-1987 ; Les Rose-Croix, coll. Que sais-je ?, Paris, 1982, 3e éd. 1991.
Dans une perspective un peu différente, il faut également référer à Frances Yates, The rosicrucian
enlightenment, Londres, 1972 ; trad. fr. La Lumière des Rose-Croix : l’illuminisme rosicrucien, Paris,
1978.
35. C’est-à-dire une plaisanterie, presque un canular…
36. Cf. M. White, Isaac Newton : the last Sorcerer, Londres, 1999. Voir aussi J.-P. Auffray,
Newton ou la triomphe de l’alchimie, Paris, 2000.
37. Telfair’s tract (1696), Anti-masonic leaflet (1698). Cf. EMP, pp. 34-5.
38. Cf. notamment R. Edighoffer, Les Rose-Croix et la Crise de la conscience européenne au
XVIIe siècle, Paris, 1998.
39. Cf. par exemple P.-Y. Beaurepaire, « Le temple maçonnique – Un espace de paix religieuse et
de dialogue interconfessionnel dans l’Europe du XVIIIe siècle », Socio-anthropologie, N° 17-18–
2006, Religions et modernités (http://socio-anthropologie.revues.org/document466.html).
40. En particulier, la position des trois chandeliers et celles du Maitre de la loge et de ses deux
Surveillants sont strictement superposables dans les deux schémas. Cf. Dialogue between Simon and
Philip, EMC, pp. 175-181.
41. A. Prescott. S. Sommers, “1717 and All That”, Tercentenary Conference, Londres,
février 2017.
Notes
1. Geschichte der Freimaurerei von der Zeit ihres Entstehens bis auf die Gegenwart. Le destin
éditorial de cet ouvrage fut étrange. Une traduction française, fort honnête, fut publiée à Paris en
1866 et une seconde édition, révisée par le grand érudit maçonnique écossais D. Murray Lyon, parut
directement en anglais en 1869. Cette version connut plusieurs tirages.
2. Je cite délibérément dans la traduction française de 1866, à la fois globalement fidèle au texte
original et délicieusement désuète (reprint Bologne, 1976, T. I, p. 27).
3. Cf. supra pp. 57-59.
4. Op. cit. p. 32.
5. Philosophe et historien allemand (1781-1832), auteur notamment de Die drei ältesten
Kunsturkunden der Freimaurerbruderschaft (Les trois documents les plus anciens de la confrérie des
francs-maçons), Dresde, 1820-1821.
6. Observons en passant le caractère remarquablement précurseur de cette approche
anthropologique avant la lettre.
7. C’est l’option privilégiée par la théorie de la transition.
8. C’est moi qui souligne.
9. Op. cit. p. 34.
10.
Rappelons que ce mot, qui a connu un si vif succès dans le discours maçonnique, est clairement
inspiré de ses diverses occurrences bibliques (dans la King James Version) où il est sollicité pour
rendre le terme hébreu ( לוּבגּgrec : ὅριου ; latin : terminus) dont les significations les habituellement
admises sont : limite, frontière, voisinage. Ce terme réfère dans le contexte biblique à des pierres
disposées à des endroits déterminés et permettant d’identifier des territoires ou des propriétés en
situation de mitoyenneté (des « bornes frontières ») comme cela est mentionné en plusieurs endroits
mais en premier lieu dans Deut., 19, 14 : « Remove not the ancient landmark which thy fathers have
set » (Traduction Nouvelle Bible Segond : « Ne déplace pas la borne de ton prochain, celle qu’ont
posée les anciens » ; Chouraqui préfère : « Tu ne reculeras pas la frontière de ton compagnon, que les
premiers ont fixée. ») Voir aussi : Prov. 22,19 27 : 17, Pr 22:28 23:10, Os 5:10. Dans les temps
bibliques, « déplacer les bornes » était un grand crime. Depuis lors, les landmarks sont également
devenus les bornes intellectuelles qui délimitent – très mal, car leur liste est très mouvante et
incertaine – le monde de la « régularité maçonnique ». J’aspire ici, plus modestement, à identifier des
« garde-fous » qui maintiendraient le travail théorique dans les strictes limites des contraintes d’une
documentation disponible et avérée.
11. Sur cette question complexe et passionnante – mais aussi emblématique – voir le récent essai
de P. Veyne : Quand le monde est devenu chrétien (312-394), Paris, 2007.
12. Ainsi, la célèbre Lucy n’est pas notre ancêtre et sa lignée est éteinte, mais elle nous renseigne
pourtant d’une manière précieuse sur le processus d’hominisation qui a conduit jusqu’à nous…
13. Le dessein intelligent (Intelligent Design) en anglais est la thèse selon laquelle « certaines
observations de l’univers et du monde du vivant sont mieux expliquées par une cause intelligente que
par des processus aléatoires tels que la sélection naturelle. » Cette thèse a été notamment développée
par le Discovery Institute, un cercle de réflexion conservateur chrétien américain.
14. Par exemple celui de la publication des Statuts Schaw ou de l’initiation d’Ashmole…
15. Randle Holme et Désaguliers auraient-ils défini la franc-maçonnerie comme « une société
initiatique et traditionnelle » ? On peut en douter beaucoup !
16. Par une référence, en partie ironique mais en partie pertinente, à la théorie synthétique de
l’évolution biologique (Huxley, 1942), combinant notamment le sélectionnisme de Darwin (1859)
qui postule la modification progressive et graduelle des formes au cours du temps, et le
mutationnisme (de Vries, 1910) qui fait appel à de brusques variations génétiques entraînant
l’apparition inopinée de formes tout à fait nouvelles…
17. Cette image est de David Stevenson…
Notes
1. Une traduction française a été récemment – et donc tardivement – publiée en 2006 : L’invention
de la tradition, Paris.
2. Le chapitre III de l’ouvrage de Hobsbawm a pour titre « Contexte, performance et signification
d’un rituel : le cas de la monarchie britannique (1820-1877) ».
3. Souvenons-nous qu’à la fin du XVIIe siècle, un tel choix eût paru grossier et insensé : c’est
dans le « style d’Auguste » – celui de la Renaissance – que Wren reconstruisit Londres après 1666…
4. Op. cit. (trad. fr.), pp. 11-12.
5. Ibid., p. 27 et p. 33.
6. The Rosslyn Hoax, p. 251.
Notes
1. Pour les références générales, cf. p. 61.
2. Je me fonde ici essentiellement sur le travail très documenté et argumenté d’A. Prescott,
« Some literary contexts… », op. cit.
3. Dès la fin du XIXe siècle, au demeurant, et encore au XXe, cette date avait déjà été contestée.
4. En l’occurrence le Shropshire, dans les West Midlands, et non pas le Gloucestershire, dans le
sud-ouest de l’Angleterre, comme on l’avait précédemment supposé.
5. Elle atteignit la Grande-Bretagne surtout en 1349-1350.
6. Cet enrichissement de la légende est du reste l’un des témoins internes du texte en faveur d’une
antériorité du Regius sur le Cooke.
7. A. G. Markham, « Further views on the origins of Freemasonry in England », AQC 103 (1990),
p.95 sq.
8. Cf. pp. 185-186. Ils avaient aussi abordé cette question dans un article précédent : « The
Sixteenth Century Mason », AQC 50 (1937), pp. 191-210. Voir également, des mêmes auteurs, The
Genesis…, op. cit., chap. VI, « The period of transition », pp. 108-128.
9. Ce statut n’était pas inconnu parmi les maçons de la période médiévale antérieure qui
travaillaient aussi sur les grands chantiers, mais il était alors marginal. Cf. D. Woodward, Men at
work – Labouring and building craftsmen in the towns of northern England, 1450-1750, Cambridge,
1995.
10. Outre l’ouvrage classique The Medieval Mason, déjà cité, on peut lire avec profit la synthèse
très claire de L. R. Shelby, « The Role of Master Mason in Mediaeval English Building », Speculum,
39, 3 (1964), pp. 387-403.
11. Il va de soi que, pendant la même période, qui fut pourtant très troublée, on ne constate aucune
raréfaction particulière des documents écrits dans les archives britanniques en général.
12. Voir la reconstitution hypothétique de ce texte supposé par W. Mc Leod. Il est cependant à
peine besoin d’insister sur le caractère très conjectural de telles entreprises qui relèvent d’une
pratique classique, aujourd’hui en déclin, de la philologie.
13. On n’examinera pas ici le caractère totalement artificiel de cette injection dans la légende
d’Edwin dont l’identité est indéterminée et qui, en toute hypothèse, ne fut jamais le fils d’Athelstan.
Cf. A. Prescott, « Some literary contexts… », op. cit.
14. Ce qu’A. Prescott a plaisamment appelé « la phase syndicale » de l’histoire maçonnique.
15. Il faut ici renvoyer aux analyses très stimulantes présentées par R. Berman, The Foundations
of Modern Freemasonry, 2012, et spécialement le chapitre 1. Cf. aussi, du même auteur,
Foundations, new light on the formation and early years of the Grand Lodge of England, The 2016
Prestonian Lecture.
16. The Occult Philosophy in the Elizabethan Age, Londres, 1979 ; trad. fr., La Philosophie
occulte à l’époque élisabéthaine, Paris, 1987.
17. Outre la relecture des faits par R. Berman, on peut encore trouver des éléments intéressants
dans trois articles déjà anciens des AQC : N. Rogers, « The Lodge of Elias Ashmole, Warrington
(1646) », AQC 65 (1952), pp. 35-53 ; S. L. Coulthurst, P. H. Lawson, « The Lodge of Randle Holme
at Chester », AQC 45 (1932), pp. 68-89 ; D. Knoop et G.P. Jones, « A Record of the old Lodge at
Chester », AQC 51 (1938), pp. 133-135.
18. On mesure à nouveau l’importance des mises en garde d’E. Ward sur l’usage du mot « loge »
qu’il faut se garder d’essentialiser et qu’il convient de toujours soigneusement contextualiser pour en
saisir le sens exact à chaque moment de son histoire.
19. Cf. R. Berman, The Foudations…, op. cit., p. 20.
20. P. Clark, British Clubs and Societies, 1580-1800, Oxford, 2000.