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Masques ! Ô masques
Masques noirs masques rouges, vous masques blancs-et-noirs
Masques aux quatre points d’où souffle l’Esprit.
Je vous salue dans le silence !
Et par toi le dernier, ancêtre à tête de lion.
Vous gardez ce lieu forclos à tout sourire de femme, à tout sourire
qui se fane
Vous distillez cette éternité où je respire l’air de mes pères
Masques aux visages sans masques, dépouillés de toute fossette
comme de toute ride
Qui avez composé ce portrait, ce visage mien penché
Sur l’hôtel du papier blanc
À votre image, écoutez-moi !
Voici que meurt l'Afrique des empires c'est l'agonie
D’une princesse pitoyable
Et aussi l’Europe à qui nous sommes liés par le nombril
Fixez vos yeux immuables sur vos enfants que l 'on commande
Qui donnent leur vie comme le pauvre son dernier vêtement
Que nous répondions présents à la reconnaissance du Monde
Ainsi le Levain qui est nécessaire à la farine blanche.
Car qui apprendrait le rythme au monde défunt des marchands
Et des canons ?
Qui pousserait le cri de joie pour réveiller morts et orphelins à l’aurore ?
Dites, qui rendrait la mémoire de vie à l’homme aux espoirs éventrés ?
Ils nous disent les hommes du coton du café de l’huile
Ils nous disent les hommes de la mort.
Nous sommes les hommes de la danse, dont les pieds reprennent
vigueur en frappant le sol dur.
Texte 3
Harmonie du soir
Voici venir les temps où vibrant sur sa tige
Chaque fleur s’évapore ainsi qu’un encensoir ;
Les sons et les parfums tournent dans l’air du soir :
Valse mélancolique et langoureux vertige !
Chaque fleur s’évapore ainsi qu’un encensoir ;
Le violon frémit comme un cœur qu’on afflige ;
Valse mélancolique et langoureux vertige !
Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir.
Le violon frémit comme un cœur qu’on afflige,
Un cœur tendre, qui hait le néant vaste et noir !
Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir ;
Le soleil s’est noyé dans son sang qui se fige.
Un cœur tendre, qui hait le néant vaste et noir !
Du passé lumineux recueille tout vestige !
Le soleil s’est noyé dans son sang qui se fige…
Ton souvenir en moi luit comme un ostentoir
Charles Baudelaire, Les fleurs du mal.
Texte 4
RÉGÉNÉRATION
Sous le pagne lisse du ciel d’été
Le soleil a saccagé
Le velours vert des jours d’enfance.
Et les grêles, les orages
Ont déchaîné la fureur de leurs bandes barbares.
Dans la plaine où soupire le silence
Affaissé, les cigales tout ivres de sang
Trompèrent mes défaites.
Qu’ils dorment les morts d’hier !
Dans tes yeux de fraîcheur et d’aube,
Parfumés de l’odeur d’automne
A reverdi mon idéal régénéré,
Je veux, sous les étendards de tex cils, bercé
Par la flûte matinale des pelouses tendres,
Dormir en attendant quel grand réveil sanglant !
Léopold Sédar Senghor, Poèmes perdus, 1990.
Texte 5
Tam-tam
Un enfant rêvait et chantait ;
Sur le tam-tam qu’il serrait contre lui
Une larme tomba avec une triste tendresse.
Il frappait dur sur ce tam-tam qui faisait vibrer son corps nu,
Le soleil dansait sur sa peau d’ébène,
Ses yeux fixaient fièrement l’horizon,
Et son chant comme une prière remplissait la forêt :
« Tu es le cœur de l’Océan, Ô ma patrie !
« Et tu naquis dans la gloire d’un beau matin !
« Ce jour-là le soleil se fit plus chaud,
« La lune plus claire ;
« Il n’y avait plus de place au ciel pour les étoiles,
« Et tu enfouis les dernières dans le soleil. »
Ce fils d’Afrique semblait animé par un fantôme gigantesque,
Et de tout son être enchaîna :
« Ton cœur a le son du tam-tam,
« Code secret des peuples enchaînés…
« Tu nous rends la force du combat
Tam-Tam !
« Fidèle réconfort dans nos peines, tu armes nos bras,
« Le front haut nous vibrons avec toi
Tam-Tam !
« Tu coules en nous comme un sanglot longuement comprimé
Tam-Tam !