Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Thomas Hobbes
La parole souveraine
et l’honneur des sujets
69
II-2 Vincent Grégoire_Mise en page 1 30/06/14 14:46 Page70
Pour qu’un tel système soit crédible, il va falloir que Hobbes le fonde sur
une anthropologie bien particulière ramenant toute pratique humaine au
70
II-2 Vincent Grégoire_Mise en page 1 30/06/14 14:46 Page71
71
II-2 Vincent Grégoire_Mise en page 1 30/06/14 14:46 Page72
quant à elle, était méprisée par les humanistes ; elle est ici reconnue pour
l’exigence de sécurité dont elle est porteuse et pour sa vertu pacificatrice.
Enfin, « le désir de connaître et les arts de la paix » 4, donc tout ce qui
touche aux productions de l’esprit, font l’objet d’un traitement ambigu de
la part de Hobbes. Ils ont, certes eux aussi, une vertu pacificatrice dans la
mesure où leur exercice exige le loisir et porte donc à se mettre sous la pro-
tection d’une puissance autre que la sienne propre et supérieure à elle.
Mais, pour autant, Hobbes ne les présente nullement comme une forme su-
périeure d’existence qui pourrait être à elle-même sa propre fin. Sa formu-
lation autorise, ici en tout cas, à les réduire à un pur jeu social, car s’il parle
du désir de connaître et des arts de la paix, il ramène aussi ce désir chez
ceux qui en sont animés à celui « d’être admirés ou flattés pour leur excel-
lence dans tel ou tel art ou pour une autre aptitude de l’esprit » 5. Ces ana-
lyses vont donc mettre un terme à des décennies d’atermoiements et de va-
et-vient sur le type de vertus et donc le type d’hommes susceptibles de
contribuer à la formation et au maintien du commonwealth, et, à l’inverse,
sur le type de caractères et d’hommes devant en être proscrits. Le coup de
maître consiste en effet à ne pas proposer une conception supplémentaire
qui s’ajouterait à la profusion des points de vue sur ces caractères humains
présentés soit comme des vices soit comme des vertus, donc à ne pas se po-
© Éditions de l'Association Paroles | Téléchargé le 16/12/2023 sur www.cairn.info (IP: 41.250.40.255)
En effet, Hobbes récuse radicalement l’idée que la vie humaine soit orientée
vers un souverain bien ou une fin ultime dont la possession donnerait le re-
pos à l’âme satisfaite. « Nul ne peut vivre, si ses désirs touchent à leur fin ».
Par ailleurs, « on ne peut garantir la puissance et les moyens de vivre bien
dont on dispose dans le présent sans en acquérir plus » 6. Nous avons là « un
penchant universel de tout le genre humain » 7. Le mouvement ainsi décrit
et qui identifie la puissance au mouvement du désir, est ce à quoi il faut réfé-
rer en dernière instance quelques termes que Hobbes arrache au registre de
la vertu pour les inscrire exclusivement dans celui de la puissance. Si celle-ci
72
II-2 Vincent Grégoire_Mise en page 1 30/06/14 14:46 Page73
73
II-2 Vincent Grégoire_Mise en page 1 30/06/14 14:46 Page74
74
II-2 Vincent Grégoire_Mise en page 1 30/06/14 14:46 Page75
75
II-2 Vincent Grégoire_Mise en page 1 30/06/14 14:46 Page76
cette nécessité qui rend littéralement l’état de nature invivable et qui fait
qu’il ne peut y avoir de société se soutenant elle-même avant ou hors de
l’État.
Mais ce lien social qui tend donc à se former à l’état de nature ne parvient
pas à faire corps. Il y manque quelque chose selon les mots mêmes de
Hobbes dans le De cive (V, 4) : « Something more is needed ». Précisons :
c’est bien l’institution contractuelle de l’État au-dessus des membres de la
société qui rend possible les relations sociales pacifiques entre eux, c’est dire
le respect des contrats interindividuels. Le lien politique vertical rend pos-
sible et soutient le lien social horizontal. Pour autant il n’en reste pas moins
que l’essence de la relation entre les hommes est contractuelle et horizon-
tale, même lorsqu’il s’agit de la relation politique : le contrat est un contrat
de chacun avec chacun et non de chacun avec le souverain ; c’est ce contrat
particulier, contrat d’autorisation, qui fait que l’État pourra donner force
aux contrats, leur ajouter le « quelque chose de plus » qui faisait défaut dans
l’état de nature, libérant les individus de la défiance liée au risque du men-
songe. Il y a une circularité du social et du politique : ce dernier émane du
premier et en même temps lui donne sa consistance. Nous pouvons main-
tenant revenir à la distinction entre puissances naturelles et puissances ins-
trumentales. Le dépassement-prolongement des premières par les secondes
© Éditions de l'Association Paroles | Téléchargé le 16/12/2023 sur www.cairn.info (IP: 41.250.40.255)
76
II-2 Vincent Grégoire_Mise en page 1 30/06/14 14:46 Page77
77
II-2 Vincent Grégoire_Mise en page 1 30/06/14 14:46 Page78
78
II-2 Vincent Grégoire_Mise en page 1 30/06/14 14:46 Page79
79
II-2 Vincent Grégoire_Mise en page 1 30/06/14 14:46 Page80
Les déclassés, qui sont mis sans le dire hors contrat, hors du peuple des su-
jets tout en étant présents sur son sol et qui, de ce fait, sont une menace
permanente pour l’État, peuvent trouver dans l’espace colonial leur lieu
propre. En effet, Hobbes leur reconnaît le droit d’user de tous les moyens
pour assurer leur vie et leur désir de possession. Dans le même temps, ce
droit est incompatible avec l’existence même de l’État. Une solution pra-
tique à cette contradiction théorique est fournie par l’expansion coloniale.
Mais alors, le risque est que, dans l’espace colonial, la prédation prenne le
pas sur le commerce et que celui qui, sur le sol étatique, était privé de statut
car privé d’échanges, puisse avec la bénédiction de l’État se comporter en
prédateur. Telle est la logique qu’Arendt décrypte dans le Léviathan :
Hobbes, même s’il est très peu prolixe sur la question coloniale, y fait néan-
moins référence explicitement par endroits, en particulier dans un passage
très ramassé du chapitre 30 sur « la charge du représentant souverain ». Il
© Éditions de l'Association Paroles | Téléchargé le 16/12/2023 sur www.cairn.info (IP: 41.250.40.255)
80
II-2 Vincent Grégoire_Mise en page 1 30/06/14 14:46 Page81
81