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André S. Labarthe
J’ai longtemps regretté de n’avoir pas eu l’audace de demander
réponse était probablement là, enfouie au plus clair d’un film que, jusqu’alors, j’avais jugé mal monté (mal construit et mal articulé), dont chaque plan, comme jeté au hasard sur l’écran, me paraissait pouvoir être soit retiré du film sans préjudice pour l’ensemble, auquel, malgré tout, son statut griffithien le rattachait, soit isolé de son contexte sans encourir le risque d’une déperdition sensible de son sens – impression renforcée par la prolifération des intertitres qui, à mes yeux, contribuaient à éloigner un peu plus les plans les uns des autres et à en retarder, sinon à en suspendre, la collusion. Bref, de quelque chose comme un film monté sous vide. Il me restait donc à aller y voir de plus près.
La Passion de Jeanne d’Arc entrelace deux matériaux
documentaires : une page d’Histoire (Jeanne d’Arc) et la géographie d’un visage (celui de Falconetti). Or tout porte à croire que c’est la découverte de Falconetti au Théâtre de la 394 André S. Labarthe
Madeleine qui a conduit Dreyer à privilégier la seconde et à
Dreyer prend le chemin opposé. Il ne construit pas (comme un architecte) : il fouille (comme un archéologue). Dès qu’il rencontre Falconetti, il met en branle un train d’opérations négatives. Il ne s’agira plus, comme dans le film de Flemming, d’ajouter, d’additionner, d’entasser et de recouvrir, mais, au contraire, de dénuder, d’isoler, d’écarter, de mutiler et de dévoiler – toutes opérations qui font qu’il est difficile de soutenir que les décisions radicales (qui éradiquent) que prend alors Dreyer (et dont l’écho ne cesse de retentir dans les Histoires du cinéma) lui sont dictées par l’unique souci des nécessités de la vérité historique. C’est aussi, du même coup, refuser un certain usage du cinéma : nu, le visage n’est plus modelé (caressé) par la lumière (il échappe à la photogénie telle qu’elle était pratiquée), mais agressé, questionné. Le visage de Falconetti est un sujet d’enquête, et Jeanne une héroïne documentaire (comme les personnages anonymes du Potemkine). Belle à faire peur 395
En fait, il y a dans ce strip-tease effrayant du visage, dans
Car c’est peu dire que dans La Passion de Jeanne d’Arc, à l’inverse de ce qui se passe habituellement, le montage disperse ce qu’a découpé la caméra. Il en redouble l’effet : de même que deux moments scandent le scénario des crimes évoqués plus haut (le dépeçage et la dispersion des tronçons), c’est par le découpage des corps que se constitue le corps découpé du film. Une dernière fois, j’imagine le terrible corps à corps. J’imagine le travail, le sale travail, face à ce corps qu’on découpe, d’un autre corps qui s’acharne. Falconetti au bord du gouffre. Dreyer en imprécateur. Et je sais bien ce que cherche Dreyer, comme tout homme qui approche une femme : le trou. Seulement voilà, ce trou, il ne le cherche pas là où il sait que l’attend la censure – entre les jambes de Falconetti. Il sent bien que ce n’est pas là que ça se passe. D’instinct, il cherche où personne, avant lui, n’a eu l’idée de chercher : au milieu du visage. Il lui suffit de gratter un peu et d’envoyer la lumière : cette femme que nous cachait . M. Drouzy, Carl Th. Dreyer né Nilsson, Les Éditions du Cerf, 1982. 396 André S. Labarthe
l’Histoire (et toutes ces histoires d’habits d’homme), cette