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La morale du petit Hans

David Bernard
Dans L'en-je lacanien 2017/1 (n° 28), pages 151 à 162
Éditions Érès
ISSN 1761-2861
ISBN 9782749255392
DOI 10.3917/enje.028.0151
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La morale du petit Hans
David BERNARD
I
« l faut tâcher de rebriquer cette observation du petit Hans, pour
qu’elle brille 1 », nous indiquait Jacques Lacan en 1957 dans son sémi-
naire La relation d’objet. Il vaut alors de souligner comment dans les
années 1970 il la rebriquait encore, ajoutant à ses développements pré-
cédents de nouveaux commentaires, dont celui-ci : il faut faire « la morale
du petit Hans ».
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Nous sommes là en 1975, et il s’étonne, encore : « C’est quand
même curieux, qu’on n’en ait pas tiré un peu la morale du petit Hans de
Freud. » Quelle serait alors la morale de ce petit Hans ? Celle-ci, quand
même curieuse : « L’angoisse, [...] c’est le moment où un petit bonhomme
ou une petite future bonne femme s’aperçoit de quoi ? S’aperçoit qu’il est
marié avec sa queue 2. » Il y aurait ainsi à aborder le cas du petit Hans
non seulement comme un cas clinique, mais comme une fable. Le terme
de morale est en effet ici, me semble-t-il, à prendre au sens que lui aura
toujours donné Lacan. Soit non pas la morale des moralisateurs, qui visait
à éduquer le désir au travers de longs discours ou traités, mais la morale

David Bernard est psychanalyste à Rennes, maître de conférence à l’université de Rennes II


et enseignant du collège de clinique psychanalytique de l’Ouest.
1. J. Lacan, Le séminaire, Livre IV, La relation d’objet, Paris, Seuil, 1994, p. 242.
2. J. Lacan, « Séance de clôture de la journée d’étude des cartels de l’École freudienne »,
1975, Lettres de l’École freudienne, n° 18, 1976.

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des moralistes, qui au travers de fables et de maximes auront su depuis


tou­jours montrer le caractère « paradoxal, déviant, erratique, excentré,
voire scandaleux 3 » du désir. Parmi ses préférés, La Fontaine, La Bruyère,
La Rochefoucauld, dans la « lignée 4 » desquels il ajoutera le nom de
Freud lui-même, et auxquels nous pourrions ajouter aujourd’hui celui de
Lacan. N’est-ce pas en effet ce qui, dans sa relecture de Hans, apparaît ?
A contrario de tout traité universitaire qui s’emploierait à réduire Hans au
seul diagnostic de phobie, Lacan, y revenant en 1975, en fait une fable,
nous enseignant sur ce qui fait l’angoisse dans la névrose.
Et d’ailleurs, tout cas clinique ne serait-il pas à prendre ainsi sur le
mode d’une fable ? Les cinq psychanalyses ne sont-elles pas aussi cinq
fables, attendant que nous osions déchiffrer derrière leurs énigmes, équi-
voques, allusions, et autres figures de style que leur fait l’inconscient, ce
que ce faisant il fait entendre du reel ? Ainsi, qu’auraient à nous dire
aujourd’hui encore les fables de Dora, de l’Homme aux rats, de Schreber,
de l’Homme aux loups ? Auxquelles j’ajouterais volontiers la fable de la
belle bouchère et du bon bouch(é)er. Pourrions-nous définir pour chacun
d’eux la morale qu’ils nous enseignent ? Pour Hans, Lacan s’y sera donc
essayé, et aura proposé selon l’exercice du genre une maxime. Et quelle
maxime : « L’angoisse, […] c’est le moment où un petit bonhomme ou une
petite future bonne femme s’aperçoit de quoi ? S’aperçoit qu’il est marié
avec sa queue. »
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Qu’est-ce qu’un homme ?
Je m’y arrête à présent, pour souligner tout d’abord la nuance que
fait ici passer Lacan entre le petit bonhomme et la petite future bonne
femme. À le suivre, tous deux seront donc concernés par l’angoisse, mais
de façon différente. Une clinique différentielle de l’angoisse serait ainsi à
ouvrir entre hommes et femmes, à partir du rapport différent qu’ils auront
chacun au phallus. Voilà me semble-t-il ce que vient indiquer ici le terme
de future... petite bonne femme. Future, précisera-t-il, dès lors qu’il faudra
à la petite fille un certain temps pour découvrir qu’elle n’a pas le phallus,
moyennant quoi pour elle « ça s’étale plus [et que] c’est pour ça qu’elle
est plus heureuse ». Il poursuit : « ça s’étale parce qu’il faut qu’elle mette
3. J. Lacan, « La signification du phallus », dans Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 690.
4. J. Lacan, « La chose freudienne », dans Écrits, op. cit., p. 407.

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un certain temps pour s’apercevoir que le petit-pipi, elle n’en a pas ; ça


lui fout de l’angoisse aussi, mais c’est quand même une angoisse par réfé-
rence, par référence à celui qui en est affligé 5. » Ainsi, le petit bonhomme
et la future petite bonne femme se confronteront chacun à la castration et
connaîtront chacun l’angoisse. Lacan est sur ce point explicite : « La femme
n’a à subir ni plus ni moins de castration que l’homme 6. » Seulement,
vient ensuite une différence : il y aurait côté femme une angoisse par réfé-
rence, là où il y aura chez l’homme une angoisse plus directement corré-
lée au phallus.
En effet, une femme ne se définit pas uniquement en référence au
phallus. Non pas que les femmes n’y aient pas rapport. Les femmes veulent
avoir le phallus sauf que, de n’être pas toutes, elles peuvent ne pas en
avoir l’embarras. « Aucune d’elles ne toute le veut, le dit phallus, énoncera
Lacan. Elles en veulent bien chacune, à ceci près, que ça ne leur pèse pas
trop lourd 7. » Tel est l’allègement qui sur ce point ferait les femmes plus
heureuses. Plus heureuses que les hommes, qui eux se retrouveront en effet
avec ce qui leur pèsera trop lourd. Car, qu’aurons-nous côté homme, dont
le petit Hans viendra justement donner le paradigme ? Un embarras, ne
cessera plus d’avancer Lacan. L’homme est à définir non pas comme celui
qui a, mais comme celui qui a trop, et qui pour cette raison même sera plus
sensible au manque.
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Voilà qui pourrait nous conduire à réinterroger le poids de ­l’anatomie
dans la clinique. Nous savons en effet comment nous nous débarrassons
aujourd’hui bien vite de ces questions. Tout autre chose apparaît ici : Lacan
ne néglige pas l’anatomie, mais questionne la façon dont celle-ci sera sub-
jectivée du fait du signifiant et de ses effets de jouissance. Au point qu’au
terme, sans dériver vers une indifférence des sexes, il renverse radicale-
ment le préjugé le plus commun. Il y a bien une différence des sexes, en
partie liée à l’anatomie. Sauf que le manque n’est pas le sort des femmes.
Le manque qui fait la castration, ce trou au « bas de son ventre 8 », est à
situer du côté de ceux qui l’ont et qui, découvrant qu’ils l’ont, le perdent

5. J. Lacan, « Séance de clôture de la journée d’étude des cartels de l’école freudienne »,


1975, art. cit.
6. J. Lacan, Séminaire R.S.I., leçon du 21 janvier 1975, inédit.
7. Ibid., leçon du 11 mars 1975, inédit.
8. J. Lacan, Le séminaire, Livre X, L’angoisse, Paris, Seuil, 2004, p. 215.

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aussitôt. Tandis qu’une femme, elle, « ce manque, elle s’en fout bien, c’est
le cas de le dire 9 ».
Il y aurait donc un manque... qui pèserait trop aux hommes. Para­
doxe ? Non, dans la mesure où il ne s’agira plus seulement du phallus
comme signifiant du manque, mais du phallus comme réel, avec cette
jouissance phallique hors corps, énigmatique, en laquelle il consiste. Nous
savons par ailleurs que cette jouissance phallique est précisément ce qui
fera obstacle au rapport sexuel. Dès lors, non seulement il y aura ce que
l’homme aura perdu, mais il y aura aussi ce dont, en retour de cette castra-
tion, il éprouvera être le porteur, et dont il ne saura que faire. « Le phallus
est un manque de rien du tout, un encombrement. Personne ne sait qu’en
faire 10 », dira Lacan, à commencer par l’homme donc. Il y reviendra ail-
leurs, précisant cette fois en quoi la cause de cet encombrement mêlera
l’anatomie masculine au registre du signifiant. Ce qui affecte les hommes
est non pas « leur phallus, [mais] ce qui les encombre à ce titre 11 ». Il y
aura pour l’homme l’embarras de porter dans son corps un organe, « au
titre » de phallus, l’expression « au titre de » venant dire ici l’effet de castra-
tion que produira le passage de l’organe au rang de signifiant.
Au terme, en conclura alors Lacan, l’homme se retrouvera toujours
« mâle à ne savoir qu’en faire 12 », si ce n’est comme enfer. L’homme est
celui qui sera non pas le propriétaire, mais le « porteur13 » d’un organe
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passé au titre de phallus, lieu et indicateur d’une jouissance énigmatique,
et qui se retrouvera ainsi directement fixé à cet organe dont il ne sait
que faire. Voilà qui aura aussi sa conséquence sur le plan imaginaire, le
laissant dans l’angoisse type de ne jamais réussir à faire sien le supposé
pouvoir phallique, celui-là même dont les femmes, d’être femmes, savent,
ne leur en déplaise, qu’il n’est que fadaise 14. « L’angoisse de l’homme est

9. J. Lacan, « Clôture du Congrès “Inhibition et acting out” », 1976, Lettres de l’École freu-
dienne, n° 19, 1976.
10. J. Lacan, « Conférence à la Yale University, Entretien avec des étudiants », 1975,
Scilicet, n° 6-7, 1975. Sur cet « encombrement du phallus » qui définit l’homme, cf. aussi
J. Lacan, Séminaire R.S.I., leçon du 21 janvier 1975, inédit
11. J. Lacan, Le séminaire, Livre XX, Encore, Paris, Seuil, 1975, p. 70.
12. Ibid., p. 67.
13. J. Lacan, Le séminaire, Livre XVII, L’envers de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1991, p. 84.
14. J. Lacan, Séminaire R.S.I., leçon du 11 février 1975, inédit.

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liée à la possibilité de ne pas pouvoir 15 », dira Lacan dans son séminaire


L’angoisse. Avant que d’y revenir dans son séminaire R.S.I., précisant cette
fois que « le mental de l’homme » est « l’aphliction du réel phallique à
cause de quoi il se sait naître 16 – que semblant de pouvoir 17 ». Il y a donc
bien l’homme, qui identifie tous les hommes, mais suivant la logique d’une
identification sexuée, et non sexuelle, où le réel du sexe viendra les faire
« semblants d’hommes 18 », divisés, embarrassés et angoissés, face à ce à
quoi ils se retrouvent ainsi fixés, malgré eux. L’homme est donc celui qui, à
la différence des femmes, n’aura pas d’identification sexuelle à faire. Petit
bonhomme, il le sera déjà très tôt, mais à se retrouver ainsi directement,
dira encore Lacan, « tordu par son sexe 19 ».
Ainsi, l’angoisse apparaît ici comme le produit de la rencontre du réel
phallique, que cette affliction du phallus soit directement éprouvée, du côté
homme, ou bien qu’elle le soit par référence, du côté femme. Croisant ces
deux dimensions, signifiante et réelle, du phallus, Lacan peut alors avan-
cer sa conclusion, valant cette fois pour les hommes et pour les femmes. Je
le cite de nouveau : la morale du petit Hans est que la rencontre de l’an-
goisse est le moment où un petit homme ou une petite future bonne femme
« s’aperçoit qu’il est marié avec sa queue ». Pourquoi cette métaphore
du mariage ? Pour la raison d’abord que le mariage est bien un pacte
symbolique, et donc un effet du signifiant. Sauf que cet effet ne sera pas
celui attendu. Bien loin que de garantir le rapport sexuel, le signifiant aura
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au contraire cet effet de parasitisme, d’affliction sur le corps qui viendra
objecter audit mariage. Et c’est pourquoi, en effet, le sujet sera marié avec
sa queue, au sens où il ne sera marié qu’avec sa queue, ce partenaire
hors sexe, qui objectera à ce qu’il puisse rejoindre l’Autre sexe, et qui
le laissera dans l’expérience d’une jouissance dysharmonieuse, non sans
effets d’angoisse. Il s’agira au terme de l’angoisse de se voir réduit à cette
jouissance énigmatique à la mesure même de l’effet de parasitisme que
vient y introduire le signifiant. Ce que, à propos de Hans, Lacan résumera

15. J. Lacan, Le séminaire, Livre X, L’angoisse, op. cit., p. 221.


16. À moins qu’il ne faille ici écrire « n’être » ?
17. J. Lacan, Séminaire R.S.I., leçon du 11 mars 1975, inédit.
18. J. Lacan, Le séminaire, Livre XX, Encore, op. cit., p. 69.
19. J. Lacan, Séminaire Les non-dupes errent, leçon du 11 juin 1974.

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d’une phrase : « Mais qu’est-ce que c’est que ça 20 ? » Qu’est-ce que cette
jouissance ainsi rencontrée comme hors corps, dès lors que nouée à autre
chose que le corps, le signifiant. Voilà pourquoi, indiquera Lacan, ce qui
fait la peur de la névrose est bien fondamentalement la peur « de ne pas
comprendre 21 », directement issue de cette expérience première de la
rencontre traumatique du phallus dans son poids de signifiant ou de réel.

À la limite
J’en reviens alors à Hans. De quoi souffre-t-il ? Non seulement du fait
d’être parlant, mais aussi d’être un petit bonhomme, et donc en tant que
tel affecté de cet « embarras […] du phallus 22 » qui définit l’homme. Un
embarras où se mêleront quoi ? Un manque, ai-je souligné, et un en trop.
Encore qu’il faudrait à présent dire l’inverse, quand c’est justement l’en
trop qui appellera le manque. Nous le savons, la cause de l’angoisse n’est
pas le manque, mais le manque du manque. Et c’est pourquoi la castration
sera autant redoutée que désirée. Lacan l’évoquera dès son séminaire
L’angoisse, il y a un désir de castration, à quoi il ajoutera même en 1975,
une jouissance de la castration : « La castration […] est une jouissance,
pourquoi est-ce que c’est une jouissance ? […] Parce que ça nous délivre
de l’angoisse 23. » Nous pourrions alors en souligner les conséquences
cliniques : la limite que l’on pensait crainte sera aussi bien titillée, défiée,
fantasmée, et jouie.
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En effet, le sujet névrosé, homme ou femme, est un qui flirte avec la
limite. Voilà aussi ce que la morale du petit Hans nous enseigne. Non
seulement l’être parlant a peur de ce qui l’excite, de « trop 24 », mais il
trouvera une satisfaction à rompre cette excitation. Il y a ainsi une articula-
tion entre la satisfaction et la peur. Il est connu que l’être parlant aime à se
faire peur. Que des satisfactions se goûtent au bord ou le long de la limite.
Freud avait souligné la dimension toujours sexuelle des bêtises, où l’on
frôle, voire transgresse un peu, la limite. Pensons aussi à ce geste devant
20. J. Lacan, « Conférence à Genève sur le symptôme », Le bloc-notes de la psychanalyse,
n° 5, 1985.
21. J. Lacan, Entretien à Panorama, 1974, inédit.
22. J. Lacan, Séminaire R.S.I., leçon du 17 décembre 1974, inédit.
23. J. Lacan, « Séance de clôture de la journée d’étude des cartels de l’école freudienne »,
1975, art. cit.
24. Cf. sur ce point J.-P. Sartre, Les mots, Paris, Gallimard, 1964, p. 88.

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ce qui fait peur : certes la main devant les yeux pour ne pas voir, mais tout
en écartant les doigts pour regarder un peu quand même. Autre exemple,
les parcs si bien nommés d’« attraction ». De quoi sont-ils l’exemple ?
Là aussi, de la satisfaction de l’être parlant à flirter avec la limite, celle
du principe de plaisir au-delà de laquelle ce serait trop, mais le long de
laquelle on pourra savourer, pour une durée savamment limitée, le frisson
plaisant de l’excitation. Qu’il pourra être bon de se faire peur, à deux, le
long de cette ligne limite, qu’il s’agisse des rails du train fantôme, desdites
montagnes russes, du palais des glaces déformantes, ou bien de cet autre
parc d’attraction qu’est le lit. Autant de moments où sera goûté le plaisir
de se faire embarquer, mais en fait pas si loin. De s’éclater, mais selon la
liste limitée des morceaux de corps de la pulsion, et sans franchir la der-
nière limite, sinon pour rire.
Ainsi, le fin mot de la peur dans la névrose n’est pas le manque, pour
lequel le névrosé se passionne d’ailleurs volontiers, mais plutôt l’un de
ceux de la langue d’aujourd’hui : « Trop bien ! » Où s’entend quoi ? Cette
satisfaction prise à la limite, que Lacan viendra ainsi renommer jouissance
de la castration. La satisfaction sexuelle est la satisfaction de la limite,
au-delà de quoi il n’y aurait plus le plaisir, mais l’affolement d’une jouis-
sance virant au tragique. Autrement dit, l’angoisse sera toujours le risque
d’un pas de limite, qui embarquerait le sujet jusqu’« au bout du monde »,
et « plus loin encore 25 ». À quoi le sujet, en réponse, pourra désirer oppo-
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ser une limite qui fasse peur, un ouf de soulagement et de satisfaction, qui,
lui, pourra lui faire l’échappée belle. Ainsi, « ce que nous demandons,
c’est quoi ? questionne Lacan à propos de la satisfaction sexuelle. […] –
c’est la petite mort […]. Ce que nous demandons, c’est à mourir, et même
à mourir de rire. C’est bien là que doit résider ce qu’il y a de reposant
dans l’après-orgasme. Si ce qui est satisfait, c’est cette demande de mort,
eh bien, mon Dieu, c’est satisfait à bon compte, puisqu’on s’en tire 26 ».
Il y aura donc, dans ce mariage avec la queue, un point panique,
de l’angoisse en effet, qui conduira le sujet à tout faire pour y échap-
per. Le sujet s’efforcera ici de restaurer une limite, qui puisse rompre le
mariage : « Tout ce qui permet d’échapper à ce mariage est évidemment
le bienvenu, d’où le succès de la drogue, par exemple ; il n’y a aucune
25. J. Lacan, Le séminaire, Livre VI, Le désir et son interprétation, Paris, Seuil, 2013, p. 503.
26. J. Lacan, Le séminaire, Livre X, L’angoisse, op. cit., p. 304-305.

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autre définition de la drogue que celle-ci : c’est ce qui permet de rompre


le mariage avec le petit-pipi 27. » Voilà qui pourrait éclairer d’un autre
abord que sociologique bien des conduites de la jeunesse et rouvrir ici
une clinique de la limite. À commencer en effet par la drogue, comme une
autre tentative de sniffer la limite. Non pas, comme on aime à le croire,
pour se protéger de quelque angoisse de mort, mais, tout au contraire,
pour continuer à ne rien vouloir savoir de ce qui fait la vie, ainsi parasitée
par le signifiant. « Il n’y a pas contrairement à ce que l’on dit, affirmait
Lacan, d’angoisse de mort. » Ajoutant : « Toute angoisse est une angoisse
de vie, c’est la seule chose qui angoisse : que vous deviez vivre encore
demain, c’est ça qui est angoissant 28. » Je souligne la thèse, renversante,
pour nous qui faisons si souvent de la mort un réel. Il n’y a pas d’angoisse
de la mort, il n’y a qu’une angoisse de vie. Que ça puisse ne pas s’arrêter,
qu’il puisse ne pas y avoir de limite. Voilà donc la cause de l’angoisse, le
vertige d’un pas de limite.

L’angoisse plus pure


Mais reste que, outre la drogue et autres produits substitutifs visant
à mieux faire joint, l’orgie dont il sera ici question sera surtout une orgie
imaginaire de joui-sens, autre fumette. Que nous montre en effet le petit
Hans, avec toutes ses histoires inventées ? Que pour échapper à l’an-
goisse tout lui sera bon. Sachons nous surprendre de ce que le névrosé est
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capable d’imaginer comme trucs, comme histoires à la « mords-moi […]
le doigt 29 », pour se faire peur, et faire consister un Autre qui puisse venir
jouir de sa castration. Jusqu’à ce cheval, confie Hans, qui pourrait entrer
dans sa chambre 30 pour venir le mordre, comme si ledit cheval n’avait pas
autre chose à faire. Lacan l’aura souligné, y reconnaissant au terme une
façon pour l’inconscient lui-même, toujours travailleur, de jouir de fomenter
du sens, toute une élucubration, pour chiffrer la jouissance première du
sexuel, énigmatique et traumatique.

27. J. Lacan, « Séance de clôture de la journée d’étude des cartels de l’école freudienne »,
1975, art. cit.
28. J. Lacan, « Conférence donnée à Milan le 30 mars 1974 », dans Lacan in Italia 1953-
1978, Milan, La Salamandra, 1978.
29. J. Lacan, « La troisième », Lettres de l’École freudienne, 1975, n° 16.
30. S. Freud, « Analyse de la phobie d’un garçon de cinq ans », dans Œuvres complètes,
vol. IX, Paris, puf, 1998, p. 21.

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La morale du petit Hans —— 161

Il y insiste à propos de Hans. Toute son histoire de la peur du ­cheval


se réduit au terme à cette tentative de chiffrer par le sens le charivari 31
premier que lui aura valu, dans son corps, l’expérience de cette jouissance
hors corps. La phobie de cet enfant consista non seulement dans une
façon de traiter son angoisse du désir de l’Autre, mais aussi en une façon
d’échapper à ce mariage avec sa queue. C’est-à-dire de rejeter cette
jouissance parasitaire hors corps, et pour cela de lui « donner corps 32 »
de jouissance, Ailleurs. La signification de la phobie fut en cela une façon
de traduire la jouissance rencontrée, mais aussi de la rejeter. « Ce cheval
qui va et vient, ajoutera Lacan, qui a une certaine façon de glisser le long
des quais en tirant un chariot, est tout ce qu’il y a de plus exemplaire pour
lui de ce à quoi il a affaire, et auquel il ne comprend exactement rien […].
Son symptôme, c’est l’expression, la signification de ce rejet. » Je souligne
de nouveau cette thèse de Lacan : le symptôme de la phobie fut une façon
pour Hans non seulement de nommer, mais aussi de « traduire 33 », de
donner un sens joui à ce qui s’est présenté à lui comme jouissance hors
sens, appartenant « à l’extérieur 34 » de son corps, puisque venant du
signifiant 35.
Ainsi, nous avions souligné comment l’homme, de structure, butera
sur le fait que le phallus n’est qu’un semblant, qui en tant que tel ren-
dra impossible le rapport sexuel. Lacan précisera aussi son articulation
au registre du sens. Le phallus, d’être un semblant, interdira au sujet de
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rejoindre la jouissance de l’Autre, mais y substituera la jouissance du sens.
En lieu et place du rapport sexuel espéré, il y aura donc le sens sexuel, lui-
même joui mais limité par le signifiant phallique. Le « sens blanc 36 », équi-
voquera Lacan, pour dire cette articulation du semblant à « l’ab-sens 37 »
du rapport sexuel.

31. Sur le mouvement du cheval, et ce qu’est un mouvement, cf. J. Lacan, Le séminaire,


Livre IV, La relation d’objet, op. cit., p. 348-349.
32. J. Lacan, Séminaire R.S.I., leçon du 17 décembre 1974, inédit.
33. J. Lacan, « Conférence à la Yale University », art. cit.
34. Ibid.
35. En cela, il s’est toujours agi pour lui de « faire supporter la petite queue par quelqu’un
d’autre », dira-t-il dans sa « Conférence à Genève sur le symptôme », art. cit.
36. J. Lacan, Séminaire R.S.I., leçon du 11 mars 1975, inédit.
37. J. Lacan, « L’étourdit », dans Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 459.

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Nous savons alors que cette joui-sens sera ce dont se nourrit préci­
sé­ment le symptôme. Raison pour laquelle, commentera Lacan en ces
années, il aura fallu à Hans, pour sortir de sa phobie, non pas en passer
par un plus de sens, ainsi qu’y travaillait déjà sa phobie, mais rendre plus
pure son angoisse. Autrement dit, réduire le symptôme à son noyau de
réel, qui, lui, est totalement « dénué de sens 38 ». Hans « s’invente […] toute
une série d’équivalents à ce phallus, diversement piaffants. Son angoisse
est principe de sa phobie – et c’est à lui rendre pure cette angoisse qu’on
arrive à le faire s’accommoder de ce phallus, comme tous ceux qui se
trouvent en avoir la charge 39 ». Voilà ce qui lui aura permis, non pas d’être
guéri de son embarras, mais de mieux faire avec, de mieux s’accommoder
du phallus, petit homme qu’il était. Je souligne en effet la conclusion à
laquelle nous conduit aussi cette relecture, par Lacan, de la morale du petit
Hans. Au moment de son trauma, lui aussi s’est retrouvé mâle à ne savoir
qu’en faire.
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38. J. Lacan, « Conférences aux Universités nord-américaines », Scilicet, n° 6-7, 1975.


39. J. Lacan, Séminaire R.S.I., leçon du 17 décembre 1974, inédit.

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