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David Bernard
Dans L'en-je lacanien 2017/1 (n° 28), pages 151 à 162
Éditions Érès
ISSN 1761-2861
ISBN 9782749255392
DOI 10.3917/enje.028.0151
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Clinique
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La morale du petit Hans
David BERNARD
I
« l faut tâcher de rebriquer cette observation du petit Hans, pour
qu’elle brille 1 », nous indiquait Jacques Lacan en 1957 dans son sémi-
naire La relation d’objet. Il vaut alors de souligner comment dans les
années 1970 il la rebriquait encore, ajoutant à ses développements pré-
cédents de nouveaux commentaires, dont celui-ci : il faut faire « la morale
du petit Hans ».
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aussitôt. Tandis qu’une femme, elle, « ce manque, elle s’en fout bien, c’est
le cas de le dire 9 ».
Il y aurait donc un manque... qui pèserait trop aux hommes. Para
doxe ? Non, dans la mesure où il ne s’agira plus seulement du phallus
comme signifiant du manque, mais du phallus comme réel, avec cette
jouissance phallique hors corps, énigmatique, en laquelle il consiste. Nous
savons par ailleurs que cette jouissance phallique est précisément ce qui
fera obstacle au rapport sexuel. Dès lors, non seulement il y aura ce que
l’homme aura perdu, mais il y aura aussi ce dont, en retour de cette castra-
tion, il éprouvera être le porteur, et dont il ne saura que faire. « Le phallus
est un manque de rien du tout, un encombrement. Personne ne sait qu’en
faire 10 », dira Lacan, à commencer par l’homme donc. Il y reviendra ail-
leurs, précisant cette fois en quoi la cause de cet encombrement mêlera
l’anatomie masculine au registre du signifiant. Ce qui affecte les hommes
est non pas « leur phallus, [mais] ce qui les encombre à ce titre 11 ». Il y
aura pour l’homme l’embarras de porter dans son corps un organe, « au
titre » de phallus, l’expression « au titre de » venant dire ici l’effet de castra-
tion que produira le passage de l’organe au rang de signifiant.
Au terme, en conclura alors Lacan, l’homme se retrouvera toujours
« mâle à ne savoir qu’en faire 12 », si ce n’est comme enfer. L’homme est
celui qui sera non pas le propriétaire, mais le « porteur13 » d’un organe
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9. J. Lacan, « Clôture du Congrès “Inhibition et acting out” », 1976, Lettres de l’École freu-
dienne, n° 19, 1976.
10. J. Lacan, « Conférence à la Yale University, Entretien avec des étudiants », 1975,
Scilicet, n° 6-7, 1975. Sur cet « encombrement du phallus » qui définit l’homme, cf. aussi
J. Lacan, Séminaire R.S.I., leçon du 21 janvier 1975, inédit
11. J. Lacan, Le séminaire, Livre XX, Encore, Paris, Seuil, 1975, p. 70.
12. Ibid., p. 67.
13. J. Lacan, Le séminaire, Livre XVII, L’envers de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1991, p. 84.
14. J. Lacan, Séminaire R.S.I., leçon du 11 février 1975, inédit.
d’une phrase : « Mais qu’est-ce que c’est que ça 20 ? » Qu’est-ce que cette
jouissance ainsi rencontrée comme hors corps, dès lors que nouée à autre
chose que le corps, le signifiant. Voilà pourquoi, indiquera Lacan, ce qui
fait la peur de la névrose est bien fondamentalement la peur « de ne pas
comprendre 21 », directement issue de cette expérience première de la
rencontre traumatique du phallus dans son poids de signifiant ou de réel.
À la limite
J’en reviens alors à Hans. De quoi souffre-t-il ? Non seulement du fait
d’être parlant, mais aussi d’être un petit bonhomme, et donc en tant que
tel affecté de cet « embarras […] du phallus 22 » qui définit l’homme. Un
embarras où se mêleront quoi ? Un manque, ai-je souligné, et un en trop.
Encore qu’il faudrait à présent dire l’inverse, quand c’est justement l’en
trop qui appellera le manque. Nous le savons, la cause de l’angoisse n’est
pas le manque, mais le manque du manque. Et c’est pourquoi la castration
sera autant redoutée que désirée. Lacan l’évoquera dès son séminaire
L’angoisse, il y a un désir de castration, à quoi il ajoutera même en 1975,
une jouissance de la castration : « La castration […] est une jouissance,
pourquoi est-ce que c’est une jouissance ? […] Parce que ça nous délivre
de l’angoisse 23. » Nous pourrions alors en souligner les conséquences
cliniques : la limite que l’on pensait crainte sera aussi bien titillée, défiée,
fantasmée, et jouie.
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ce qui fait peur : certes la main devant les yeux pour ne pas voir, mais tout
en écartant les doigts pour regarder un peu quand même. Autre exemple,
les parcs si bien nommés d’« attraction ». De quoi sont-ils l’exemple ?
Là aussi, de la satisfaction de l’être parlant à flirter avec la limite, celle
du principe de plaisir au-delà de laquelle ce serait trop, mais le long de
laquelle on pourra savourer, pour une durée savamment limitée, le frisson
plaisant de l’excitation. Qu’il pourra être bon de se faire peur, à deux, le
long de cette ligne limite, qu’il s’agisse des rails du train fantôme, desdites
montagnes russes, du palais des glaces déformantes, ou bien de cet autre
parc d’attraction qu’est le lit. Autant de moments où sera goûté le plaisir
de se faire embarquer, mais en fait pas si loin. De s’éclater, mais selon la
liste limitée des morceaux de corps de la pulsion, et sans franchir la der-
nière limite, sinon pour rire.
Ainsi, le fin mot de la peur dans la névrose n’est pas le manque, pour
lequel le névrosé se passionne d’ailleurs volontiers, mais plutôt l’un de
ceux de la langue d’aujourd’hui : « Trop bien ! » Où s’entend quoi ? Cette
satisfaction prise à la limite, que Lacan viendra ainsi renommer jouissance
de la castration. La satisfaction sexuelle est la satisfaction de la limite,
au-delà de quoi il n’y aurait plus le plaisir, mais l’affolement d’une jouis-
sance virant au tragique. Autrement dit, l’angoisse sera toujours le risque
d’un pas de limite, qui embarquerait le sujet jusqu’« au bout du monde »,
et « plus loin encore 25 ». À quoi le sujet, en réponse, pourra désirer oppo-
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27. J. Lacan, « Séance de clôture de la journée d’étude des cartels de l’école freudienne »,
1975, art. cit.
28. J. Lacan, « Conférence donnée à Milan le 30 mars 1974 », dans Lacan in Italia 1953-
1978, Milan, La Salamandra, 1978.
29. J. Lacan, « La troisième », Lettres de l’École freudienne, 1975, n° 16.
30. S. Freud, « Analyse de la phobie d’un garçon de cinq ans », dans Œuvres complètes,
vol. IX, Paris, puf, 1998, p. 21.
Nous savons alors que cette joui-sens sera ce dont se nourrit préci
sément le symptôme. Raison pour laquelle, commentera Lacan en ces
années, il aura fallu à Hans, pour sortir de sa phobie, non pas en passer
par un plus de sens, ainsi qu’y travaillait déjà sa phobie, mais rendre plus
pure son angoisse. Autrement dit, réduire le symptôme à son noyau de
réel, qui, lui, est totalement « dénué de sens 38 ». Hans « s’invente […] toute
une série d’équivalents à ce phallus, diversement piaffants. Son angoisse
est principe de sa phobie – et c’est à lui rendre pure cette angoisse qu’on
arrive à le faire s’accommoder de ce phallus, comme tous ceux qui se
trouvent en avoir la charge 39 ». Voilà ce qui lui aura permis, non pas d’être
guéri de son embarras, mais de mieux faire avec, de mieux s’accommoder
du phallus, petit homme qu’il était. Je souligne en effet la conclusion à
laquelle nous conduit aussi cette relecture, par Lacan, de la morale du petit
Hans. Au moment de son trauma, lui aussi s’est retrouvé mâle à ne savoir
qu’en faire.
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