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Bernard Sesé
Gris-France | « Sigila »
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BERNARD SESÉ
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demeure de Dieu qui en est le Seigneur (D ,), mais hanté aussi
des fantasmes qui tourmentent l’imagination de Thérèse. Elle en est
l’architecte, fantaisiste et génial, qui, de la porte d’entrée à la salle
où se tient le Roi, n’oublie aucun détail de «cet édifice intérieur et
céleste » (D ,). Avenues, portes dérobées, corridors inondés de
«cette eau qui coule de notre fond le plus intime» (D ,), ou de
«ruisseaux de lait » (D ,), murs, fenêtres, demeures secrètes, infi-
nité d’appartements, enceinte extérieure de la forteresse, entourée
de gardes, peuplée alentour de reptiles et de bêtes, pièces nombreuses
et communicantes, appartements inférieurs, où règne un grand
tumulte et où s’agitent des bêtes venimeuses, lumière brillante, rien
n’est négligé. Il ne faut pas se figurer «une enfilade d’appartements»;
autour de «la pièce centrale, on en trouve une multitude d’autres»
(D ,). Un détail important : «[…] toutes les parties de ce châ-
teau reçoivent les rayons du soleil qui réside en ce palais» (D ,).
On ne s’y promène pas au gré de sa fantaisie : l’âme s’y déplace selon
ses progrès, ou ses reculs. L’architecte de l’âme dit du « palais de
l’oraison» (D , ) qu’il se construit «sans le travail de l’art.» À l’in-
térieur du Château, notamment dans la Chambre royale, «l’on n’en-
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Premières Demeures
Une intuition inaugure l’édifice : «Nous pouvons considérer notre
âme comme un château, fait d’un seul diamant ou d’un cristal par-
faitement limpide, et dans lequel il y a beaucoup d’appartements,
comme dans le ciel il y a beaucoup de demeures» (D ,). Le Roi
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est l’unique moyen de les chasser. Elle est la clé qui ouvre toutes les
portes. L’orgueil les ferme. Cette Demeure «bien que la moins élevée
est déjà d’une grande richesse, et si précieuse, que, si l’on sait se
défaire des bêtes venimeuses qui s’y rencontrent, on ne manquera
pas de passer outre» (D ,).
Deuxièmes Demeures
«[…] pour entrer dans les Secondes Demeures, il faut qu’on se
dégage des soins, des affaires qui ne sont pas indispensables, chacun
selon son état.» Le trajet rejoint le chemin royal du détachement,
suggéré par le mot «rien» (nada), répété comme «six bornes», dans
le dessin du Mont de Perfection de Jean de la Croix (-), qui
tracent la route vers le sommet. Plus imagée, Thérèse évoque les
«bêtes venimeuses» menaçant de mordre le voyageur insouciant (D
,) et l’empêchant de «pénétrer plus avant, jusque dans les demeures
secrètes du château.» (D ,). L’oraison est la clé qui permet l’entrée
dans la Deuxième Demeure. Faute de persévérance, des allers-retours
se produisent entre les Premières et les Deuxièmes demeures. Il faut
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Troisièmes Demeures
L’entrée dans ces Troisièmes Demeures marque une étape, même
si les régressions vers les salles précédentes sont encore de violentes
tentations : «[…] bienheureux celui qui en est là, car, s’il ne retourne
pas en arrière, il est, autant que nous puissions en juger, dans une
voie sûre pour le salut» (D ,). Cette Demeure n’en est pas moins
le lieu des «sécheresses de l’âme». Tentation insidieuse. En voici le
remède : «Ô humilité! humilité ! Je ne sais pourquoi je suis un peu
tentée de croire que si ces personnes s’affligent tant des sécheresses,
c’est qu’elles manquent un peu de cette vertu» (D ,). L’humilité
est la vertu majeure pour Thérèse, qui ne cesse de répéter qu’elle se
considère elle-même comme une femme misérable (ruin). L’humilité
est l’antidote de l’orgueil, péché capital. Et Thérèse adjure celles qui
seraient aux prises avec ce désespoir : «Les sécheresses alors produi-
ront en vous l’humilité, et non l’inquiétude, comme le voudrait le
démon. Croyez-le, quand une âme est véritablement humble, Dieu
ne lui accorderait-il jamais de consolations, il lui donnera une paix
et une conformité à sa volonté qui la rendront plus heureuse que
d’autres avec leurs consolations» (D ,).
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Cinquièmes Demeures
Beaucoup arrivent à la porte de cette Demeure, sans pouvoir la
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Sixièmes Demeures
Thérèse s’attarde plus longuement dans cette Demeure. Elle est le
lieu des «fiançailles spirituelles». Plus l’âme est résolue à ne prendre
d’autre époux que Dieu, plus elle endure de souffrances. La souf-
france accompagne l’âme durant tout le voyage mystique. «Ô Dieu!
quelles peines intérieures et extérieures n’endure-t-elle pas avant
d’entrer dans la Septième Demeure! » (D ,). Thérèse donne une
précision importante : «[…] je doute beaucoup qu’elles soient entiè-
rement exemptées des peines de la terre, celles qui jouissent par
moments avec tant d’abondance des biens du ciel » (D ,). En
voici des exemples : rumeurs médisantes, retrait de ceux que l’on
croyait des amis, commentaires malveillants de leur part envers celle
qui veut «faire la sainte », notamment en trompant ses confesseurs,
«[…] moqueries sans fin, […] calomnies de toutes sortes […]; pro-
pos qui durent parfois toute la vie; […] méfiance» (D ,, ). De
ces épreuves l’âme «est plus fortifiée qu’abattue, parce que l’expé-
rience lui a montré tous les avantages qu’elle en retire » (D ,).
Grandes maladies de toutes sortes, douleurs intolérables à un degré
extrême, tourments intérieurs des damnés en enfer, supplices des
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Septièmes Demeures
Voici «l’immuable demeure où le Seigneur habite» (D ,). Le
mystique pénètre maintenant dans «les profonds secrets» de l’âme
(D ,). Dans le Palais de cette Demeure, Dieu «habite seul» (D
,). C’est là que s’accomplit l’union nuptiale (D ,). Faveur excep-
tionnelle que reçoit l’âme : «Une fois qu’elle est introduite dans cette
Demeure, les trois Personnes de la très sainte Trinité, dans une vision
intellectuelle, se découvrent à elle par une certaine représentation de
la vérité et au milieu d’un embrasement qui, semblable à une nuée
resplendissante, vient droit à son esprit. Les trois divines Personnes
se montrent distinctes, et, par une notion admirable qui lui est com-
muniquée, l’âme sait avec une certitude absolue que toutes trois ne
sont qu’une même substance, une même puissance, une même
science et un seul Dieu. » (D ,). Pour entrer dans sa résidence,
Dieu n’a besoin d’aucune porte : son apparition introduit l’âme dans
la béatitude du ciel. Ici «Dieu seul et l’âme jouissent l’un de l’autre
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Conclusion
Le Château de l’âme de Thérèse d’Avila est une superbe représen-
tation imaginaire de ce qui est au-delà du langage. Selon une logique
onirique, contenant et contenu se confondent : l’âme elle-même est le
Château. Il arrive aussi à Thérèse de déclarer qu’il ne s’agit que de
«[…] chercher Dieu en soi-même. Effectivement, on l’y trouve d’une
manière beaucoup plus fructueuse et plus profitable que dans les créa-
tures, et saint Augustin assure qu’après l’avoir cherché partout ail-
leurs, c’est là qu’il le rencontra» (D ,).