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Rev. hist. archéol. afr.

, GODO GODO, N° 20 - 2010


© EDUCI 2010

LE SACERDOCE ET LE CELIBAT : DEUX VOCATIONS


DIFFERENTES MAIS COMPLEMENTAIRES.

Dr YAO BI GNAGORAN
Maître-assistant
Université de Cocody
Filière des Sciences Historiques

RESUME

Après avoir longtemps vécue avec les deux types de prêtres mariés et célibataires
à l’image de ceux du judaïsme, l’Eglise sous la double pression des philosophes
grecs et des théologiens orientaux et face aux graves déviations morales de ses
membres, s’est trouvée dans l’obligation d’imposer la discipline du célibat obligatoire
à tous : prêtres et futurs ordonnés sont désormais astreints au célibat. Cette réforme
ne permet pas seulement le renouvellement des mœurs et le recrutement qualitatif
des jeunes candidats au sacerdoce. Elle confère aussi un nouveau statut aux
ministres de l’Eucharistie et plus de dignité au sacrement de l’ordre.
Mots-clés : Ancien Testament, célibat, célibat ecclésiastique, Concile, Eucharistie,
judaïsme, Nouveau Testament, ordre, prêtre, sacerdoce, sacrement, vocation.

SUMMARY

After having long time lived with the two types married priest and singles at
the image of those Judaism, under the double pressure Greek philosophers and
eastern theologians and in front of serious moral displacements of its members,
the Church was obliged to impose the discipline of compulsory celibacy to every-
body: priests and future tidy people are from now on submitted to this condition.
This reform does not only allow the renewing of morals and the qualitative recruit-
ment of young candidates to ministry. It also confers a new status to Eucharist
ministers and more dignity to the sacrament of order.
Key words: Old Testament, single life, ecclesiastic celibacy, council, Eucharist,
Judaism, New Testament, order, priest, ministry, sacrament, vocation.
INTRODUCTION
Dans l’Ancien comme dans le Nouveau Testament, la fonction de prêtre ou
de ministre de Dieu est dévolue à une catégorie de personnes appelées par lui,
pour agir en son nom et sous son autorité, indépendamment de leur statut matri-
monial. Il en est ainsi des sacrificateurs1 et des prophètes de l’Ancienne Alliance ;
des apôtres2, des prophètes et des prêtres en ce qui concerne la Nouvelle Al-
liance. Mais le fait que dans l’Eglise catholique romaine les prêtres soient des
célibataires, donne parfois à penser que cette condition est originellement liée à
leur fonction, et que le sacerdoce et le célibat sont une seule et même vocation.

L’HISTOIRE DE L’EGLISE MONTRE QU’IL N’EN ÉTAIT PAS AINSI.

En effet, le document conciliaire « Presbyterium Ordinis » ou le ministère de


la vie de prêtre précise que les prêtres sont institués pour être des coopérateurs
de l’ordre épiscopal : « La fonction des prêtres, en tant qu’elle est unie à l’ordre
épiscopal, participe à l’autorité par laquelle le Christ lui-même construit, sanctifie
et gouverne son corps….Le sacerdoce des prêtres les configure au Christ prê-
tre, pour les rendre capables d’agir au nom du Christ Tète en personne »3. En
vertu de ce pouvoir, ils sont les ministres de la Parole de Dieu et des sacrements
et chefs du peuple de Dieu.4 Quant au célibat, il est défini par Laurent Boisvert
comme « le renoncement au lien interpersonnel amoureux, à l’union conjugale et
à l’expression sexuelle proprement dite.»5 Ces deux définitions montrent claire-
ment qu’il s’agit de deux réalités différentes : l’une exprimant un ministère ; l’autre
un état de vie. C’est dire que le sacerdoce n’est pas subordonné au célibat,
et que ce dernier n’a pas non plus pour but le ministère sacerdotal. Comment
comprendre donc qu’à un moment donné de son évolution l’Eglise ait cru bon de
concilier ces deux réalités ? Quelles raisons l’ont poussée à entreprendre une
telle réforme quand on sait que la coexistence des deux types de ministres en
son sein n’a pas empêché le progrès de l’évangélisation ? Quels avantages a-t-
elle pu tirer de cette fusion à la fois pour la fonction sacerdotale et d’une manière
générale pour l’Eglise de ce temps ?
Les réponses à ces questions constituent l’objet de cet article qui se propose
de montrer d’une part, les caractéristiques de ces deux vocations durant les trois
premiers siècles de l’Eglise et, d’autre part, leur évolution à partir du IVe siècle
jusqu’à leur fusion au XIe siècle, sans oublier les conséquences de cette dernière
sur la vie de l’Eglise du Moyen âge.

I. LES CARACTERISTIQUES DU SACERDOCE ET DU CELIBAT


DANS LES TROIS PREMIERS SIECLES DU CHRISTIANISME.
Jusqu’au troisième siècle de notre ère, le sacerdoce et le célibat étaient
deux réalités différentes et indépendantes l’une de l’autre : on pouvait être
prêtre ou sacrificateur de Dieu en étant marié, comme on pouvait exercer ce
ministère en tant que célibataire. Cette tradition judaïque s’est perpétuée avec le
christianisme.

1 Aron, frère cadet de Moïse et premier sacrificateur du Dieu d’Israël était marié, de même que l’étaient les
prêtres de la descendance des Lévi ; mais le prophète Jérémie par exemple n’était pas marié.
2 C’est aussi le cas de l’apôtre Pierre qui était marié, et qui ne pouvait s’opposer à l’union des autres disciples qui
le désiraient. C’est pour ne pas contraindre les nouveaux convertis et surtout ceux qui se destinaient entièrement
au service de l’Eglise à une conditionnde vie particulière, que l’Eglise chrétienne, suivant les conseils de l’apôtre
Paul, a accepté de vivre jusqu’au XIe siècle avec des diacres et prêtres mariés et célibataires.
3 « Presbyterorum Ordinis », Le ministère de la vie des prêtres, N° 2, Vatican II
4 Ibidem., N° 4-6.
5 Laurent BOISVERT, Le célibat religieux, Cerf, Paris 1990, p.27.
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1. Le sacerdoce des origines au troisième siècle.


Au temps de Jésus et à celui de ses apôtres continuateurs de son œuvre,
la fonction de sacrificateur ou de prêtre n’a presque pas variée ; seule a pu varier
la façon de l’exercer selon les moments et les lieux.
1. Au temps de Jésus
A cette époque il n’y avait de sacerdoce que lévitique ou sacerdoce ministériel.
Le livre du Deutéronome mentionne les trois fonctions des prêtres lévitiques :
«  Ton Toummin et ton Ourim appartiennent à l’homme qui t’est fidèle…Ils ont
gardé ta parole, ils veillent sur ton alliance, ils enseignent tes coutumes à Jacob,
ta loi à Israël  ; ils présentent le parfum à tes narines, l’offrande totale sur ton
autel. » (Dt. 33, 8-10). 6
Toummin et Ourim rattachés à la fonction oraculaire sont des objets utilisés
pour connaître par le sort la volonté de Dieu. Les Israélites allaient au sanctuaire
pour connaître la volonté de Dieu, recevoir son conseil. Et pour cela ils consul-
taient l’homme de Dieu, le prêtre qui s’y trouvait. Cette fonction oraculaire était
une activité sacerdotale de premier ordre.7
Mais le prêtre est aussi chargé de l’instruction du peuple : il a le devoir de
lui faire connaître la Torah et l’histoire du salut  ; de veiller sur les tables de la
Loi ou Parole de Dieu conservées dans l’Arche, qu’il doit commenter en tant
qu’interprète de cette Loi ou maître de religion. Les prêtres doivent en outre
avoir une bonne connaissance de la Loi afin que leurs enseignements puissent
aborder les problèmes les plus élevés.
La fonction cultuelle à l’origine une des attributions du prêtre est devenue sa
fonction principale. Il devient par ce fait un homme d’intercession : outre l’obligation
des sacrifices qui devient son privilège, les rites les plus élevés tels que recueillir
le sang, en asperger l’autel et le peuple, et tout ce qui mettait en contact direct
avec l’autel lui sont réservés8. Le sacerdoce lévitique étant par nature héréditaire,
il est évident que les lévites se mariaient et vivaient en famille.
Manque les donnéesc de la référence n° 6

2. Pendant la période apostolique (35 à 65).


C’est l’époque où de nombreuses communautés chrétiennes naissent et où
les ministres issus de ces communautés exercent des fonctions précises, sans
que soit connu leur statut matrimonial. Sauf l’apôtre Pierre dont les Ecritures
disent qu’il a une belle-mère et donc probablement marié.
b- La communauté d’Antioche
C’est une des communautés les plus importantes animée par des apôtres,
des prophètes et des docteurs. L’apôtre Paul qui en est issu est envoyé auprès
de la communauté sœur de Corinthe comme apôtre (Ac.13, 2). Prenant en
exemple sa propre communauté, il essaie de montrer aux Corinthiens comment
une communauté ministérielle doit être organisée: « Dieu les a placés dans
l’Eglise premièrement comme apôtres, deuxièmement comme prophètes et
troisièmement comme docteurs » (1Cor 12, 28).
Les premiers sont les missionnaires envoyés pour proclamer l’évangile aux autres
communautés. Ce sont des prédicateurs itinérants dont la mission prend fin dès lors

6 ???????????
7 L. LELOIR, « valeurs du sacerdoce lévitique », in, Sacerdoce et célibat. Etudes historiques et
théologiques, Editions J. Duculot, S.A. Belgique 1971, p.37
8 Ibidem, p. 40
LE SACERDOCE ET LE CELIBAT : DEUX VOCATIONS DIFFERENTES MAIS ... 151

qu’est établie une nouvelle communauté chrétienne. Les apôtres reviennent alors à
la communauté mère pour rendre compte de leur travail de fondateurs.
Les seconds se reconnaissent à leur « Parler en esprit »9. Les Actes des apôtres
mentionnent les deux oracles prononcés par les prophètes (Ac.13, 2  ; 21,11).
Comme prédicateurs ils jouent un rôle important dans l’assemblée liturgique. C’est
eux qui font le sermon après lecture des Ecritures ; à eux revient aussi la charge
de proclamer l’action de grâce. Les derniers, c’est-à-dire les docteurs, sont souvent
associés aux prophètes selon leur double appellation : « prophètes et docteurs »
(Ac.13, 2). Ils assurent la fonction liturgique et donnent dans les assemblées des
enseignements plus systématiques basés sur la Parole, à la manière des Rabbins
Juifs leurs descendants.
c- La communauté de Jérusalem et les autres communautés.
La communauté chrétienne de Jérusalem est organisée selon le modèle tra-
ditionnel des communautés juives : elle est dirigée par un groupe de presbytes
(prêtres) qui veillent sur la communauté au plan spirituel et matériel ; assurent
la gestion de la caisse de la communauté (Ac.11, 29-30) et font office de « sur-
veillants ». Les communautés judéo-chrétiennes de Cilice et du sud de l’Asie
Mineure s’organisent sur ce modèle.
3. A l’époque des évangélistes et pasteurs (65 à 95)
La Didachè ou lettre pastorale écrite entre 70 et 80 après Jésus Christ à
l’intention des communautés chrétiennes, énonce avec précision les critères
requis pour la candidature à l’épiscopat, au sacerdoce et au diaconat. « Elisez
des évêques, des diacres dignes du Seigneur donc désintéressés, véridiques et
éprouvés. Ils remplissent eux aussi auprès de vous les ministères des prophètes
et des docteurs  ». Dans l’énoncé de ces critères ne figure pas la mention de
célibat, ce qui revient à dire que le ministère sacerdotal n’est pas incompatible
avec le mariage, mais au contraire un critère essentiel à l’exercice de cette
fonction comme le confirment les épîtres de Paul à Timothée et Tite : « Que les
diacres soient maris d’une seule femme, qu’ils gouvernent bien leurs enfants et
leurs propres maisons » (1Tim.3, 12) ; « Si je t’ai laissé en Crète, c’est pour que
tu y achèves l’organisation et que tu établisses dans chaque ville des anciens
(presbytes), suivant mes instructions. Chacun d’eux doit être irréprochable,
mari d’une seule femme, avoir des enfants croyants qu’on ne puisse accuser
d’inconduite ou d’insoumission » (Tite1, 5-6) ; « Aussi, faut-il que l’épiscope soit
irréprochable, mari d’une seule femme, sobre, pondéré … » (1Tim.3,2).

Aussi bien les diacres, les prêtres et les évêques sont instamment invités par
l’apôtre Paul à se marier, mais seulement à une femme, pour ne pas succomber à
la convoitise de la chair. Cette invitation qui pourrait être tenue pour une exigence
confirme l’idée que les unions conjugales n’étaient pas et ne sauraient constituer
une entrave à l’exercice de leur ministère. D’ailleurs un prêtre célibataire au
moment de son ordination peut bien se marier par la suite : c’est la preuve qu’il
n’y a aucun lien entre le sacerdoce et le célibat.
2. Le célibat jusqu’au troisième siècle.
Le célibat comme état de vie comportait trois variantes : celle du judaïsme et
telle que énoncée par Jésus Christ et interprétée par les exégètes d’une part ;
celle vécue dans l’Eglise primitive d’autre part.

9 André LEMAIRE, « Les premiers ministères », in 2000 ans de Christianisme Société d’histoire chrétienne,
Paris 1975, p.43.
152 YAO BI GNAGORAN

1. Le célibat juif.
On le découvre dans l’Ancien Testament qui accorde pourtant une grande
importance à la fécondité. En (Jer.16, 2), Dieu appelle son serviteur au célibat :
« Ne prends pas de femme, n’aie en ce lieu ni fils, ni fille ». Fils du prêtre Hilqiyahou
(1R. 1, 26), Jérémie fut très tôt appelé par Dieu sans que lui-même ait été attiré par
la prophétie, ce qui rendit sa mission complexe. Mais le fait que Dieu l’ait appelé
au célibat pour exercer une vocation toute spéciale, prouve qu’il est déjà un
prêtre. S’il en est ainsi, c’est que le célibat est un appel, une vocation particulière
indépendante du sacerdoce. On retrouve cet état de vie chez les esséniens, une
communauté particulière de juifs hermétiques menant une vie d’ascèse, dont le
nombre avoisinait 4000 au temps de Jésus. Le choix que certains d’entre eux
faisaient du célibat favorisait leur détachement et leur mise à l’écart du monde.
D’autres par contre se mariaient en vue de la procréation, mais pratiquaient une
certaine continence dans le mariage.
Tous se soumettaient à une initiation progressive de postulants pendant une
année et de noviciats pendant deux ans. Par la suite ils faisaient une profession
religieuse, jurant solennellement de suivre la discipline et de garder sur la doctrine
le secret absolu.10 Contrairement aux prêtres ils n’assumaient aucune fonction
sacerdotale.
2. Le célibat selon Jésus-Christ et les exégètes.
Jésus le fondateur du christianisme est célibataire et s’est prononcé sur
cet état de vie. Plusieurs textes du Nouveau Testament y font référence et leur
interprétation laisse supposer qu’ils sont une invitation au célibat. Ainsi pour
l’exégète J. Blindzler le passage: « Il y a des eunuques qui le sont de naissance ;
il y en a qui ont été mutilés par les hommes ; il y en a d’autres qui se sont voulus
ainsi pour le Royaumes des Cieux » (Mat.19, 12) est une invite authentique du
Sauveur ; L. Legrand voit en (Lc.14, 26) sa meilleure expression : « Si quelqu’un
vient à moi sans haïr son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères, ses
sœurs et jusqu’à sa propre vie, il ne peut être mon disciple  »  ; quant à K. L.
Schmidt et S. Dupont c’est plutôt le passage de (Lc.18, 29) qui traduit le mieux
l’idée de célibat : « En vérité je vous le dis : nul n’aura quitté maison, femme,
frères, parents ou enfants à cause du Royaume de Dieu qui ne reçoivent bien
davantage à ce temps ici, et dans le temps à venir à la vie éternelle ».
Pour tous ces exégètes, le célibat est préconisé par le Christ non seulement
comme voie d’accès au Royaume des Cieux, mais aussi pour pouvoir mieux
s’engager à son service et être ainsi en harmonie avec l’être nouveau qui
est l’évènement eschatologique. C’est dans ce sens que L. Legrand essaie
d’établir une étroite relation entre la vie de célibat et la croix : « Si quelqu’un
veut venir à ma suite, qu’il se renie lui-même, se charge de sa croix chaque
jour et qu’il me suive »11. Suivre Jésus, expose forcément à la persécution et
à la mort ignominieuse de la croix. Car si le monde n’a pas eu d’égard pour le
Maître l’envoyé de Dieu, son mépris pour ses disciples, c’est-à-dire tous ceux qui
se réclament de lui, n’en sera que plus grand et sans limite. En témoignent les
réactions antichrétiennes consécutives à la prédication de Pierre sur la place de
Jérusalem en l’an 33 ; la lapidation du diacre Etienne par ses propres frères Juifs en
l’an 36, et la généralisation des persécutions par les empereurs romains pendant
quatre siècles12. C’est le lieu de reconnaître la précarité de la vie du disciple, qui est
10 G. JACQUEMET, Catholicisme hier, aujourd’hui, demain. Encyclopédie en sept volumes, LETOUZEY,
Paris 1956, p.502.
11 Mc.8, 34 ; Mt.16, 24 ; Lc.9, 23.
12 C’est lors de ces persécutions, qu’ont été suppliciés Paul et Pierre à Rome vers les années 64 et 67.
LE SACERDOCE ET LE CELIBAT : DEUX VOCATIONS DIFFERENTES MAIS ... 153

constamment en butte aux tribulations, et qui ne pourrait les affronter sereinement


en vue du Royaume de Dieu, qu’en étant célibataire, sans femme ni enfants, et
donc naturellement plus libre. C’est de cette façon qu’il pourra suivre Jésus de
manière radicale, lui appartenant tout entier, en se consacrant à la prédication de
son évangile en vue de la fondation du Royaume de Dieu sur terre.
3. Le célibat dans l’Eglise primitive
Après le départ du Maître Jésus le Christ, plusieurs de ses disciples y compris
les premiers chrétiens voulurent l’imiter en choisissant de vivre le célibat. Cet état
de vie était devenu si commun qu’il était encouragé par les apôtres. St Paul dans
sa première lettre aux Corinthiens en son chapitre 7, encourageait les célibataires
et les veuves à ne pas se marier ou se remarier. Quant aux mariés, il conseillait
de vivre comme s’ils ne l’étaient pas. Mais ces exhortations ne devraient pas être
interprétées comme une opposition de l’apôtre Paul au mariage, ni même une
revendication de la virginité comme disposition spéciale à l’exercice du ministère
sacCe qui l’intéresse, c’est la disponibilité des chrétiens pour travailler dans la vigne
du Seigneur : « Je voudrais vous voir exempts de soucis. L’homme qui n’est pas
marié, a souci des affaires du Seigneur, des moyens de plaire au Seigneur. Celui
qui s’est marié a souci des affaires du monde, des moyens de plaire à sa femme.»
(I Cor 7, 32-33). Mais Paul est aussi convaincu du retour prochain du Christ, de sa
deuxième venue sur la terre des hommes : « Je vous dis, frères, le temps se fait
court » (I Cor 7, 29). En prévision de l’imminence eschatologique qu’il pressent, il
propose aux chrétiens le célibat afin qu’ils soient plus disponibles pour la mission
avec un cœur sans partage. Au demeurant suivre Jésus à cette époque relevait
d’un choix radical exposant la personne au danger permanent de mort. D’où la voie
du célibat considérée comme salutaire et réaliste pour vivre le christianisme.
Après avoir subi l’influence de la pensée grecque, le christianisme considère
la virginité comme supérieure au mariage. Et dans les deux premiers siècles
y adhérer impliquait d’une certaine manière qu’on était vierge. Ainsi les gens
mariés qui refusaient la séparation, n’étaient qu’imparfaitement membres de
l’Eglise13. Quant aux femmes, elles préféraient restées vierges pour prophétiser
à l’image des quatre filles du diacre Philippe (Ac.21, 9). Ils étaient donc nombreux
à cette époque les hommes et les femmes qui choisissaient volontiers le célibat
et l’ascèse pour des raisons diverses : certains par dégoût de l’immoralité
ambiante14 ; d’autres, principalement les femmes y voient plus qu’un moyen de
se libérer de la sujétion sociale notamment le mariage une voie d’émancipation15.
Ces vierges vivaient en général dans leurs familles respectives tout en participant
aux activités de leur communauté. Avec le temps, la spiritualité de la virginité
se développe devenant une restauration de l’état avant la chute. Et les vierges
considérées désormais comme des épouses du Christ16 cohabitaient avec des
hommes ascètes dans une espèce de mariage mystique17.
En somme, une majorité de chrétiens désiraient vivre une foi radicale, plus
fervente et engagée, plus détachée du monde. Surtout que le célibat était une
option libre, un appel et même une vocation, qui permettait une qualité de vie et
une disponibilité pour la mission. Son choix ne pouvait donc être conditionné par
le sacerdoce qui du reste ne lui doit rien.

13 Jean DANIELOU & Henri MARROU, Nouvelle histoire de l’Eglise. T1 : Des origines à Grégoire le Grand,
Editions Seuil, Paris 1963, p.151.
14 Jean COMBY, Pour lire l’histoire de l’Eglise T.1, Cerf, Paris 1986, p.87
15 Ibidem, p.87
16 Jean COMBY, op.cit., p.88
17 Jean DNIELOU & Henri MARROU, op.cit., p.153
154 YAO BI GNAGORAN

II. VERS UNE CONVERGENCE DES DEUX VOCATIONS (IVE -10E


SIECLES).

A partir du 4ème siècle la tendance de l’Eglise est plutôt à la promulgation et à


l’imposition des lois en faveur de la continence et du célibat. Cette politique est
facilitée par la tenue de nombreux conciles nationaux, régionaux ou des synodes,
les apports de la philosophie grecque et les écrits des Pères de l’Eglise ainsi que
l’influence du pouvoir laïque sur celle-ci.

I- L’évolution de la loi sur le célibat ecclésiastique.

1. Dans les six premiers siècles.


Dès le quatrième siècle, les conciles d’Ancyre et de Néocésarée interdisent
au clerc célibataire de contracter mariage18au moment de son élection : celui qui
est ordonné célibataire reste célibataire, et celui qui est marié avant l’ordination
le demeure. Le canon 33 du concile d’Elvire (Sud de l’Espagne) de 306, texte
disciplinaire le plus ancien sur le sujet19, demande aux évêques, prêtres et dia-
cres l’abstinence conjugale, mais non la séparation des époux. La majorité des
clercs peuvent par conséquent user de leurs droits conjugaux. A la fin du siècle,
la législation ecclésiastique impose la continence aux prêtres mariés, dans la nuit
qui précède la célébration eucharistique. Cette continence devient permanente,
dès lors que l’Eglise commence à célébrer l’eucharistie tous les jours.20
Un siècle plus tard, l’évêque de Rome demande à toutes les Eglises d’imposer
l’abstinence conjugale aux évêques, prêtres et diacres qui peuvent néanmoins
continuer de cohabiter avec leurs épouses21. Une façon de rendre universelle la
loi de la continence. Au 6e siècle, l’Eglise continue d’admettre des gens mariés à
tous les degrés de la hiérarchie. Mais une fois ordonnés, même au sous diaco-
nat, les membres du clergé sont tenus de renoncer à l’usage du mariage22. Cette
décision doit faire l’objet d’un accord commun des époux comme l’exige l’Eglise.
Quoi qu’il en soit, un clerc qui désire cohabiter avec sa femme doit donner des
garanties suffisantes pour l’observation de la continence promise. Dans le cas
contraire, il doit renoncer à l’exercice du ministère pour lequel il est ordonné. Et
comme il lui est permis de cohabiter avec son épouse, il doit en prendre soin,
subvenir à ses besoins en recourant s’il en faut, aux ressources de l’Eglise.
En clair, aucun membre de la hiérarchie (évêque, prêtre, diacre) n’est autorisé
à se marier après son ordination. Sauf à vouloir s’exposer aux sanctions liées à
la transgression de la promesse. Mais s’il y consent, le mariage n’est pas déclaré
invalide23, sauf qu’il ne lui est plus possible d’exercer son ministère. Dorénavant,
l’autorisation de contracter mariage seulement avec une vierge et à s’abstenir de
vivre la continence, n’est accordée qu’aux membres des ordres mineurs.
2. Du 7e au 10e siècle.
Des conciles régionaux et synodes diocésains, reviennent souvent sur la
question de continence et l’interdiction aux clercs de cohabiter avec leurs épouses.
Malgré la décadence cléricale de cette époque, les papes insistent toujours sur
les mêmes principes. Le concile romain par exemple réuni en 826 par le pape

18 H. CROUZEL, « Le célibat dans l’Eglise primitive », in Sacerdoce et célibat, études historiques et théolo-
giques, Editions J. Duclos, S.A. Belgique 1971, p.333.
19 Ibidem., p.333
20 Laurent BOISIER, op.cit., p.38
21 Jean COMBY, op.cit., p.146
22 A.M. STICKLER, « Le célibat en Occident au Moyen âge », in Sacerdoce et célibat, p.373.
23 Ibidem., p.374
LE SACERDOCE ET LE CELIBAT : DEUX VOCATIONS DIFFERENTES MAIS ... 155

Eugène II, interdit aux clercs de fréquenter les femmes et rappelle le devoir


d’observer la continence même à l’égard de celles qu’ils ont épousées avant
l’ordination. Celui de 853 convoqué par le pape Léon IV reprend textuellement ce
canon24. En dépit de ces lois d’interdiction stricte, les jeunes célibataires ordonnés
après leur formation dans des écoles spéciales continuent de se marier. Tout
se passe comme si les décisions conciliaires ne sont que de simples énoncés
sans valeur juridique, que la plupart des jeunes clercs ont du mal à respecter.
Selon le pape Zacharie : « La situation est d’autant plus grave que d’aucuns
non seulement refusent de s’abstenir de rapports avec leurs épouses légitimes,
mais revendiquent même le droit d’avoir plusieurs épouses »25. Mais si une telle
situation persiste, c’est parce qu’à un moment donné de son évolution l’Eglise a
eu à subir des influences diverses.
2. L’influence du monde gréco-romain
Ni l’Ancien Testament consacré à l’Alliance de Dieu avec le peuple élu d’Israël,
ni le Nouveau relatif à l’enseignement de Jésus ne font référence au mépris
du sexe. Pourtant l’Eglise est emmenée à dédaigner le sexe à partir du 2ème
siècle jusqu’à l’instauration du célibat ecclésiastique. C’est qu’elle a subi la triple
influence de l’hellénisme chrétien, de la philosophie grecque hostile au sexe et
son incidence sur les enseignements de certains Pères de l’Eglise orientale.
1. La naissance de l’hellénisme chrétien.
C’est au 2ème siècle de notre ère que le christianisme rentre en dialogue avec
le monde gréco-romain. Cette rencontre est faite de confrontation et d’influence
réciproques. Au départ, les chrétiens étaient l’objet de mépris, de rejet et d’hostilité
voire de persécution du monde gréco-romain. Ils sont victimes de préjugés et
de dénonciations injustes de la part de leurs adversaires intellectuels et juristes
qui pensent « qu’ils font partie du monde des mystagogiques orientaux, à la
fois inquiétants pour leur puissance magique et méprisables pour leurs mœurs
douteuses »26. Des affabulations qui suscitent un étonnement chez saint Justin
théologien chrétien : « Nous disons les mêmes choses que les Grecs et seuls
nous sommes haïs pour le nom du Christ ; Nous sommes innocents et on nous
tue comme des scélérats… Ils ont condamnés à mort plusieurs des nôtres sur
ces calomnies répandues contre nous ; Ils ont mis à question nos serviteurs, des
enfants, de faibles femmes et par des tortures effroyables, ils les ont forcés à nous
imputer ces crimes imaginaires, qu’ils commettent eux-mêmes ouvertement. »27 Ce
mépris des chrétiens a parfois atteint des sommets tels qu’ils ont été tués pour offrir
un spectacle pendant les fêtes païennes. Il est donc clair que sous son apparence
humaniste, « la civilisation gréco-romaine gardait un fond de cruauté. »
Devant une telle situation, les chrétiens ne pouvaient que s’organiser pour
enrayer les préjugés qui s’amoncelaient contre eux : de façon à se faire respecter
des autres mais aussi pour les attirer vers la chrétienté. Pour cela de nombreux
ouvrages commencèrent à paraître, inspirés par le souci de montrer que le
christianisme est conforme à l’idéal hellénistique. Puis une école semblable à
celle des philosophes païens fut construite par saint Justin vers l’an 150 de notre
ère. C’est alors que s’instaure le vrai dialogue entre le christianisme et le monde
gréco-romain et qu’apparaît l’hellénisme chrétien. Les écrivains et intellectuels
chrétiens formés dans ces écoles grecque et romaine, assument naturellement
les cultures de leur milieu et de leur temps.
24 A.M. STICKLER, op.cit., p.392
25 Ibidem., p.392
26 Jean DANIELOU & Henri MARROU, op. cit., p. 119.
27 ustin Martyr, Oeuvres complètes, Migne, Paris, 1994, p.334
156 YAO BI GNAGORAN

2. L’influence de la philosophie grecque


A cette influence intellectuelle s’ajoute celle de la philosophie grecque, qui
procède du dualisme corps et âme, et qui accorde la supériorité à cette dernière
au détriment du premier, c’est-à-dire le corps qui doit être opprimé. Les théoriciens
de cette philosophie, les stoïciens en particulier ont une aversion pour tout ce qui
relève de la passion et du plaisir. La sexualité apparaît à leurs yeux comme une
réalité exclusivement animale28. Le mariage n’a d’autre but ou justification que la
génération qui est nécessaire pour la société humaine. Par conséquent conclut
Philon-Juif : « Epouser une femme qu’on sait stérile, c’est le faire pour le plaisir
seul, donc se comporter en animal, en ennemi de Dieu et de la nature. »29
Cette vision est soutenue et approuvée par Musonius Rufus qui souligne
que « toute relation sexuelle est illicite quand la génération est impossible. Le
plaisir n’est légitime que quand il aide la procréation, et la recherche du plaisir
pour lui-même est injuste et illégale même dans le mariage »30. C’est pourquoi
leurs condisciples Démocrite et Théophraste déconseillent aux sages et aux
philosophes le mariage qui pourrait les écarter de la vie philosophique31.
3. Les écrits des Pères orientaux
Au départ farouches défenseurs de la dignité de la matière et de la création
contre les agnostiques, les Pères orientaux se sont laissé abuser par la philosophie
grecque qui émet des doutes sur la dignité du sexe. Beaucoup parmi eux en
vinrent à tolérer le rapport sexuel uniquement pour raison de procréation : « Si
nous nous marions, c’est pour élever nos enfants. Si nous renonçons au mariage
nous gardons notre continence parfaite », affirme Justin, qui ne cache pas son
admiration et sa fierté pour les gens qui renoncent au mariage et aux rapports
sexuels. Pour exemple, il vante la noblesse de l’âme d’un jeune chrétien qui a
demandé à être mutilé de ses organes génitaux par un médecin32.
Saint Augustin dans le sillage des philosophes grecs considère la relation
sexuelle comme une souffrance, lui préférant de loin le célibat qui est la voie la
plus pure, la plus libre et saine. Se référant au passage biblique de (1Cor.7, 1)  qui
dit qu’ « Il est bon pour l’homme de s’abstenir de la femme », il en déduit que les
personnes mariées souffriront des afflictions en la chair. Il conseille par conséquent
à ses disciples d’éviter ces vices et ces déplaisirs, parce qu’il est avantageux pour
l’homme de ne point toucher de femme33. Il conclut que si Dieu tolère d’une certaine
manière les relations sexuelles des hommes, c’est uniquement pour conserver la
race humaine : « Seigneur, vous qui ne dédaignez pas de former nos corps pour
conserver la race des hommes et dont la main favorable peut adoucir la pointe
des épines de notre concupiscence … »34. Origène ne dit pas autre chose quand il
affirme qu’« il y a dans la sexualité quelque chose d’intrinsèquement mauvais ; et
l’instinct sexuel est une faiblesse, une maladie, un défaut ».
Pour tous, les clercs célibataires sont les seuls à avoir du mérite parce qu’ils
ont réussi à tuer en eux le désir fruit de la passion. Mais à ceux qui se sont déjà
compromis dans le mariage, il est encore possible de les délivrer de « ce mal
qui paraissait nécessaire, juste pour la procréation ». D’autant plus qu’à leur
époque le sacerdoce n’était pas une fonction héréditaire comme au temps de
28 Justin Martyr, op. cit., p.354
29 Idem., p.352
30 Idem., p.353
31 Ibidem., p.353
32 Justin Martyr, op. cit., p.47, art.29.
33 St. Augustin, Confessions, Col. Folio, Ed. Gallimard, Paris 1993, p.68
34 Saint Augustin op.cit., p.67
LE SACERDOCE ET LE CELIBAT : DEUX VOCATIONS DIFFERENTES MAIS ... 157

l’Ancienne Alliance.35 Aussi le célibat considéré comme un état de pureté doit-


il être encouragé et intégré au sacerdoce, afin que leur conjonction puisse
représenter le sommet de la sainteté36, selon Isidore de Péluse.
3. La main mise du pouvoir civil sur l’Eglise.
Si au début du christianisme les pouvoirs civil et religieux étaient distincts, à
partir du 4ème et surtout du 5ème siècle sous Clovis roi des Francs, les deux entités
commencèrent à se rapprocher et à collaborer étroitement. L’Eglise en profita
pour accroître son influence matérielle et financière en oubliant paradoxalement
le spirituel qui est sa raison d’être. Cet oubli non seulement la rend dépendante
du pouvoir laïc, mais surtout va susciter chez certains de ses membres une
réaction vigoureuse visant à instituer en son sein le célibat obligatoire pour tous
les clercs sans oublier de rétablir son autorité d’antan.
1. La reconnaissance et le soutien de l’Eglise par l’Etat.
Avec la promulgation de l’édit de Milan de 313 par l’empereur romain
Constantin 1er, les persécutions contre les chrétiens prennent fin. l’Eglise acquiert
sa pleine liberté de culte et obtient la restitution de ses biens par Licinius, beau
frère de Constantin. Ce dernier y ajoute d’autres faveurs au bénéfice du clergé,
notamment la distribution d’argent et les exemptions fiscales. Le christianisme
reçoit un statut privilégié qui en fait une religion licite, quand les sentences du
tribunal de l’Eglise même en matière purement civile sont reconnues valides.
Jouissant de sa pleine capacité successorale l’Eglise peut aisément développer
son patrimoine. Tout comme les chrétiens autrefois condamnés à la clandestinité
dans les maisons privées ou dans les caves pour leur pratique religieuse, peuvent
célébrer leur culte dans de grandes églises.
Sont donc révolus les temps où l’Etat romain confisquait leurs biens ; commence
une nouvelle ère caractérisée par son soutien à l’Eglise et la mise à la disposition
de celle-ci de ses biens énormes pour des grandes réalisations. Grâce donc à
la générosité de l’empereur Constantin et de sa famille, Rome se voit doter de
plus de quarante grandes constructions pour le compte de l’Eglise. Les chrétiens
jusqu’ici méprisés accèdent pour la première fois aux hautes fonctions de l’Etat.
Progressivement, le christianisme devient religion d’Etat en 391 sous le règne
de l’empereur Théodose. A leur suite, le roi des Francs Pépin Le Bref après sa
victoire sur les Lombards peuples envahisseurs, attribue en 756 au pape Etienne
II la souveraineté de Rome et de Ravenne alors capitale d’Italie. Cette alliance
se renforce avec Charlemagne successeur de Pépin le Bref en 800. Devenu
nouvel empereur romain après son couronnement par le pape Léon III, il devient le
défenseur acharné de l’Eglise et le guide de ses fidèles. Se proclamant « évêque
du dehors », il cède à l’Eglise l’exploitation et la conversion de tous les territoires
païens conquis. Sous son règne, évêques et moines bénéficient des propriétés
terriennes et des tonlieux (taxes levées sur des marchandises à la vente). Ces
avantages gracieusement obtenus par les dignitaires de l’Eglise favorisent d’autant
plus rapidement son développement, que son territoire coïncide désormais avec
celui de l’empire. C’est l’une des principales sources de la perte de son autorité et
par inversement de son assujettissement par les pouvoirs laïcs.
2. La vassalisation de l’Eglise
L’empereur Charlemagne ayant disparu, le partage de l’empire entre ses fils
héritiers en 814 met fin à l’unité territoriale. Ce brusque changement politique

35 H. CROUZEL, op. cit., p.354


36 H. CROUZEL, op.cit., p.336.
158 YAO BI GNAGORAN

devait nécessairement toucher la vie de l’Eglise. Avec la dislocation de l’empire,


les populations désemparées et abandonnées à elles-mêmes se regroupent
spontanément autour des domaines des seigneurs vassaux des souverains, mais
propriétaires des terres qu’ils tiennent sous forme de bénéfice.37 Tout détenteur
d’une fonction ecclésiastique disposant d’une terre et d’un bénéfice qui le fait
vivre, l’évêque devient vassal du seigneur au même titre que les laïcs38. Ce
faisant, l’Eglise se trouve embarquée dans ce système féodal où les membres de
sa hiérarchie, en particulier les évêques, deviennent des grands fonctionnaires
ayant le droit de prélever des impôts aux ports et aux ponts ; le droit de marché,
les droits de frappe de monnaies etc.39. Certains d’entre eux dirigent leurs villes à
la manière des comtes et y exercent un pouvoir judiciaire autonome.
Quant aux rois et princes, ils s’arrogent le droit de nommer les abbés et
les évêques : c’est l’investiture laïque. Celle-ci institue un nouveau mode de
désignation des membres de l’Eglise fondé sur la fortune, la naissance et la
fidélité et non sur des qualités morales et spirituelles. Et selon un usage devenu
familier, les seigneurs ou rois pouvaient élire un bon militaire comme évêque au
détriment de leur propre fils. Ou au contraire vendre la charge ecclésiastique aux
plus offrants : c’est la simonie, ou le trafic des choses saintes contre une valeur
précaire, argent ou objet appréciable en argent. Ces nouveaux liens permettent
à la fois aux laïcs de s’emparer des biens de l’Eglise et d’usurper les fonctions
ecclésiastiques. A leur tour et profitant de leur situation, les évêques vendent
les charges aux chanoines et les curés paroissiaux aux prêtres. Les abus et les
pratiques étaient si courantes et répandues à cette époque qu’Augustin Fliche
a pu écrire : « Dans l’Eglise qui appartient à Dieu seul, il n’y a presque rien qui
ne soit donné à prix d’argent : épiscopat, prêtrise diaconat et ordres mineurs,
archidiaconat, doyennés, prévotés, trésorerie, baptême, sépultures »40. Le canon
36 du concile de Hohenaltheim de 916 confirme cet état de dégradation de la
fonction sacerdotale en prévenant que tout prêtre infidèle à son seigneur, sera
réduit en esclavage41. En somme au 10ème siècle, l’Eglise s’était complètement
sécularisée et la proportion d’évêques apparentés à la dynastie royale était très
forte42.
3. L’oubli du spirituel
Une des conséquences de cette ingérence du pouvoir civil dans l’organisation
de l’Eglise est l’oubli du spirituel. La cléricature devenant en général un métier
privilégié, le célibat ecclésiastique ne pouvait qu’en pâtir  : clercs et moines
étaient tous confondus dans le même genre de vie tendant plus vers les réalités
terrestres que spirituelles. La crise était si manifeste et profonde qu’elle a
même pénétrée les monastères dont les richesses ont attiré des laïcs qui se
sont souvent installés dans les mûrs, mêmes des abbayes avec leurs femmes
et enfants. Oubliant leur rôle pastoral qui faisait d’eux les successeurs du Christ,
les évêques se comportaient comme des laïcs ayant femmes et enfants. En
Bretagne dans le Midi de la France, il y avait des familles entières de clercs
car la charge épiscopale était devenue héréditaire. Jean Comby en donne une
belle illustration : « Le seigneur Sifroi, personnage d’une conduite déplorable

37 Michel LEMONNIER, Histoire de l’Eglise, Edition Paulines, 1983, p.229.


38 Jean COMBY, op.cit., p.137.
39 Jean-Marie MAYEUR, André VAUCHEZ, Marcel VENARD, op.cit., p.769.
40 Augustin FLICHE, Histoire de l’Eglise T.7, l’Eglise au pouvoir des laïques (888-1057).Bloud & Gay,
Paris 1942, p.1025.
41 Jean-Marie MAYEUR, Charles et Lucie PIETRI, André VAUCHEZ, Marcel VENARD, Histoire du chris-
tianisme. T.4. Evêques, moines et empereurs 610-1054. Editions Desclée, Paris 1993, p.769.
42 Idem, p.768.
LE SACERDOCE ET LE CELIBAT : DEUX VOCATIONS DIFFERENTES MAIS ... 159

et blâmable à tous les égards, s’empara de l’évêché vacant. Quoique né de


parents nobles, il accomplit cependant des œuvres mauvaises pendant son
épiscopat. Tout ce que son prédécesseur a construit il s’appliqua au contraire à
le démolir ; Avant même d’être nommé évêque, il commença à être démolisseur
de l’Eglise…..Puis, tandis qu’il aurait dû reconnaître sa faute pour les biens de
l’Eglise qu’il avait dilapidés et pleurer sur ses péchés après avoir commis un
tel forfait, il mit le comble, hélas, à sa culpabilité, en prenant dans sa vieillesse
une femme nommée Audeberge qui, ayant eu des relations avec lui, conçut et
enfanta des filles. Celles-ci moururent, mais il avait un fils Aubri qui survécut et
quand ce fils fut adulte, son père le combla de biens appartenant à l’Eglise… »
Les abus n’épargnent pas la papauté. Après la mort du pape Jean VIII en 882,
le trône de Saint-Pierre connaît une génération de pontifes de tout acabit, promus
essentiellement par des femmes. Thédora, femme d’un aristocrate distingué
théophylacte fit monter sur le trône les papes Serge III puis Jean X. Sa fille
Morazie, maîtresse de Serge III avait un fils qui devint pape sous le nom de Jean
XI. Cette situation de dépravation déplut à Albéric II, demi-frère de Jean XI qu’il
évinça du trône. Pendant son règne, il nomma des papes dignes et respectables.
Après sa mort en 954, son fils Octavien devint le pape Jean XII à l’âge de 16
ans. Au lieu d’incarner la rigueur et la noblesse de son père, il déshonora la
papauté durant tout son pontificat: « Il ne songeait qu’à ses amours, aux festins
et aux parties de chasse…. Il est mort dans le lit d’une femme mariée »43.
Contrairement à l’influence de la pensée grecque qui contribua au
rapprochement du célibat et du sacerdoce, l’ingérence du pouvoir laïc dans les
affaires de l’Eglise en provoquant la décadence spirituelle et morale de celle-ci n’a
fait que la ramener à ses débuts. Malgré cette déconvenue, l’Eglise s’obstine à
maintenir ses lois de l’interdiction de mariage pour les clercs majeurs, ainsi que la
continence absolue en cas de mariage contracté avant l’ordination. Ce paradoxe
entre la théorie et la pratique amena les papes du XIe siècle à entreprendre de
vigoureuses réformes afin de concilier les deux vocations.

III. LE CELIBAT DEVIENT PARTIE INTEGRANTE DU SACERDOCE 


(11E-12E) SIECLES.

Durant cette période, le célibat devint un aspect essentiel sinon inséparable


du sacerdoce. C’est l’affirmation par l’Eglise du mépris et du rejet du sexe voulus
par certains de ses membres, mais également sa réaction contre les interven-
tions intempestives des pouvoirs laïcs dans les affaires purement ecclésiastiques.
Ces ingérences ne provoquèrent pas seulement l’apathie et le désenchantement
de certains clercs. Elles transforment d’autres en de véritables fonctionnaires
véreux, plus enclins aux biens matériels qu’à la réalisation de leur mission pro-
phétique. Toutes ces circonstances soutenues par sa ferme volonté à vouloir se
réapproprier ses biens jadis inaliénables devenus héréditaires, poussent l’Eglise
à envisager des réformes vigoureuses.
1. Les réformes
Il n’est donc pas étonnant que les changements survenus au cours de ces
deux siècles fussent interprétés comme « un réveil soudain de Jésus dans la
barque de Pierre pour apaiser la tempête  » (Mc 4  ; 35). Car la longue agonie
dans laquelle l’Eglise était plongée sous la féodalité quelques siècles plus tôt.
C’est que lassés et désabusés par les pesanteurs et les avatars de la féodalité,
certains pontifes dignes et courageux, élus à la tête de l’Eglise, décidèrent de
43 Jean-Marie MAYEUR, Charles et Lucie PIETRIE, André VAUCHEZ, Marcel VENARD, op.cit., p.784.
160 YAO BI GNAGORAN

mettre fin aux désordres qui avaient cours en son sein, en y introduisant le cé-
libat obligatoire pour tous les clercs et en définissant clairement les nouveaux
rapports des deux pouvoirs civil et religieux.
1. Sur le célibat ecclésiastique.
Deux étapes peuvent être ici distinguées : la première concerne la réforme
grégorienne ; la seconde celle du Concile du Latran II, au cours duquel l’Eglise
affirme le caractère obligatoire du célibat ecclésiastique pour tous les clercs. Le
Concile de Trente réaffirme de façon très explicite à son tour la conjonction de
ces deux vocations.
a) Etienne IX (1057-1058).
Malgré la brièveté de son pontificat, il fit publier par son ami et confident le
Cardinal Humbert le traité « Adversus Simoniacos ». Il y définit la simonie comme
une hérésie et considéra la consécration de l’évêque qui achète son siège comme
inefficace dans la mesure où la grâce ne pouvait pas être achetée. Aussi les
ordinations conférées par un évêque simoniaque ne pouvaient être reconnues
non plus44. Il condamne l’investiture laïque en se demandant « en quoi les laïcs
ont-ils le droit de distribuer des fonctions ecclésiastiques, de disposer de la
grâce pontificale et pastorale, d’investir par le bâton et par l’anneau par lesquels
s’achève et se fortifie la consécration épiscopale »45. Dans son traité, Humbert
annonçait déjà le programme de réforme relatif aux élections des évêques.
b) Nicolas II (1059-1061)
Son successeur le pape Nicolas II continua de maintenir l’indépendance du
pouvoir ecclésiastique à l’égard du pouvoir civil. Le 13 avril 1059, il réunit au
Latran un concile de 113 évêques qui promulgue un décret fixant la procédure
en matière d’élection pontificale : « Nous décrétons et décidons qu’à la mort du
pontife de cette Eglise romaine universelle, les cardinaux, les cardinaux évêques,
réglant d’abord toutes choses avec le plus grand soin, s’adjoindront ensuite les
cardinaux clercs et le reste du clergé et du peuple donnera son assentiment
à la nouvelle élection, en sorte que, de crainte que le poison de la vénalité ne
se glisse sous un prétexte ou sous un autre, les hommes religieux soient les
premiers à promouvoir l’élection du pontife et que les autres suivent … »46.
Selon cette disposition, l’élection n’est faite que par les cardinaux évêques  ;
les cardinaux clercs sont consultés tandis que le clergé inférieur et le peuple
acceptent le nouvel élu en applaudissant. Le rôle de l’empereur dans l’élection
est désormais aboli.
Voyant la résistance du roi Henri IV et de la noblesse romaine face à ces
nouvelles lois, le pape Nicolas II en promulgue un autre en avril 1060 confirmant
la décision de 1059 : « En vertu de notre autorité apostolique nous renouvelons
la décision que nous avons prise dans d’autres assemblées. Si quelqu’un est
intronisé sur le siège apostolique pour de l’argent, par la faveur des hommes, à la
suite d’une séduction populaire ou militaire, sans l’unanimité, l’élection canonique
et la bénédiction des cardinaux évêques puis des ordres inférieurs du clergé,
qu’il soit considéré non pas comme pape apostolique mais comme apostat »47.
Hildebrand leur successeur vient parachever ces réformes.

44 Augustin FLICHE & Martin VICTOR, op. cit., p.16.


45 Ibidem, p.16
46 Idem, p.28.
47 Augustin FLICHE & Martin VICTOR, op. cit., p.20.
LE SACERDOCE ET LE CELIBAT : DEUX VOCATIONS DIFFERENTES MAIS ... 161

c) Grégoire VII (1073-1085)


Elu pape en 1073, Grégoire VII veut mettre de l’ordre dans le domaine du
célibat. Il n’entend plus faire de distinction entre prêtres mariés avant l’ordination,
et ceux mariés après. Tout prêtre marié cohabitant avec une épouse, est interdit
de célébration  ; et les fidèles sont interdits d’aller à son église. Face à ces
menaces, les épouses des prêtres désertent les presbytères sous peine de
graves sanctions. Ce qui provoque de vives résistances de la part des évêques
et des clercs surtout en Allemagne au cours des synodes locaux. Les clercs
par exemple déclarent sans sourciller que si le pape maintient ses décrets, ils
préfèrent renoncer au sacerdoce qu’au mariage. Même les clercs inférieurs
mariés ou concubinaires, critiquent eux aussi l’attitude énergique de Grégoire
VII favorable au célibat ecclésiastique. Contre ces oppositions, les défenseurs
de la réforme grégorienne font astucieusement appel à la tradition pour défendre
leur position. Ils soutiennent que  l’Ancien Testament prend fin avec le Christ.
Les prêtres du Nouveau Testament ne se recrutent pas dans une seule tribu,
mais proviennent de tout le peuple de Dieu ; ils n’ont donc pas à perpétuer une
caste sacerdotale par la procréation.48 De fait, l’apôtre saint Paul accorde une
place privilégiée à la continence dans ses écrits : « Ne vous refusez pas l’un
à l’autre, sauf d’un commun accord et temporairement afin de vous consacrer
à la prière » (1Cor.7, 5). S’il insiste tant sur la continence, c’est en vue de la
prière ; car le prêtre doit être constamment en état de prière. Le pape Grégoire
et ses partisans se réfèrent aussi aux écrits des Pères de l’Eglise et à la doctrine
du premier concile œcuménique de Nicée en son troisième Canon : « Le grand
Concile interdit de manière absolue de permettre aux évêques, aux prêtres et
aux diacres, en un mot à tous les membres du clergé, d’introduire auprès d’eux
une compagne, à moins que ce ne fût une mère, une sœur, une tante ou enfin
les seules personnes qui échappent à tout soupçon »49. L’épouse n’est donc
pas comprise parmi les femmes avec lesquelles la cohabitation et permise.
Cette interprétation qui vient à l’appui de la tradition affirme en quelque sorte
l’interdiction du mariage des clercs.
2. Les Conciles du Latran et de Trente.
a) Concile de Latran II (1139).
Moins d’un siècle après, le Concile du Latran II prend des dispositions confor-
mes à la
tradition et à la réforme grégorienne relatives au célibat obligatoire des clercs :
« Nous décrétons que ceux qui, étant dans le diaconat et les ordres supérieurs,
ont pris femmes ou auraient une concubine, seront privés de leur office et de leur
bénéfice ecclésiastique. En effet, puisqu’ils doivent être dits temples de Dieu,
vases du Seigneur, sanctuaires du Saint Esprit, il est indigne qu’ils soient es-
claves des chambres à coucher et des débauches »50. De plus, «marchant sur
les pas des pontifes romains nos prédécesseurs Grégoire VII, Urbain et Pascal,
nous ordonnons que personne n’entende de ceux dont il est notoire qu’ils ont une
épouse ou une concubine. Afin sur la loi de la continence et des ordres sacrés,
nous statuons que les évêques, les prêtres et les diacres, les sous-diacres, les
chanoines réguliers, les moines et les convers ayant fait profession qui auraient
osé, transgressant leur saint propos, s’unir à une épouse, soient séparés de
celle-ci. En effet, nous décrétons qu’une telle union, dont il est évident qu’elle a
48 A. M. STICKLER, op.cit., p.400
49 Canon 3, du Concile de Nicée
50 R. FOREVILLE, Latran I, II, III et Latran IV, Orante, 1965, p.91, voir aussi Canon 6 du Concile de
Latran II
162 YAO BI GNAGORAN

été contractée contre la règle de l’Eglise, n’est pas un mariage. Que ceux qui se
sont séparés l’une de l’autre fassent une pénitence en rapport avec de si grands
excès »51
A travers ce canon, l’Eglise déclare explicitement la nullité du mariage des
clercs. Latran II devient par ce fait une nouveauté dans l’institution de la pratique
du célibat.
b) Concile de Trente (1545-1613)
C’est pourquoi le Concile de Trente convoqué par le pape Paul III et ouvert
le 15 décembre 1545 pour, d’une part extirper les hérésies protestantes de
l’Eglise  ; d’autre part établir la paix perpétuelle et réformer la discipline et les
mœurs, écarte toute modification et assouplissement de la loi de célibat telle
que formulée par Latran II. Au contraire pour en assurer la stricte et véritable
observance, il établit des peines canoniques proportionnelles à la gravité et à
la fréquence des transgressions : celles-ci vont du retrait simple d’une partie
des revenus au retrait total de ceux-ci, de la privation de l’administration des
bénéfices au retrait total des bénéfices, de la révocation du ministère sacerdotal à
l’excommunication 52 en passant par la perte de la dignité ecclésiastique. Puis se
référant aux réformes de Grégoire VII, il confirme cette réalité : « Si quelqu’un dit
que les clercs qui ont reçu les ordres sacrés et les réguliers qui ont fait profession
solennelle de chasteté peuvent contracter mariage, qu’un tel mariage est valide,
malgré la loi de l’Eglise ou leur vœu, et qu’affirmer le contraire n’est rien d’autre
que condamner le mariage ; que peuvent contracter mariage tous ceux qui n’ont
pas le sentiment d’avoir le don de chasteté (même s’ils en ont fait vœu) ; qu’ils
soient anathèmes. Puisque Dieu ne refuse pas ce don à ceux qui le demandent
comme il faut, et qu’il ne permet pas à ce que nous soyons tentés au-dessus de
nos forces »53.
Afin de pallier l’infidélité des prêtres, le Concile rappelle aux évêques leur charge
pastorale, qui consiste en premier lieu à se consacrer tout entier aux prêtres, ses
collaborateurs les plus immédiats et leur assurer la protection, le soutien et l’aide
dont ils ont besoin pour les préserver dans leur vocation.54 Il préconise en outre
la création des séminaires pour la formation des jeunes prêtres, de sorte à être
mieux préparés aux exigences de la vie cléricale, notamment l’observance du
célibat dans une chasteté et une continence parfaites. Ces décisions conciliaires
eurent une grande influence sur l’ensemble du clergé.

2. Conséquences de la fusion du sacerdoce et du célibat.

Cette union des vocations change radicalement la physionomie de l’Eglise et


partant la situation des clercs.
1. Au niveau du statut des prêtres
Par la fusion des deux vocations les clercs acquièrent une identité toute
spéciale : différents des laïcs par leur statut de consacré, ils deviennent autonomes
et commencent à exercer une autorité incontestée. Les biens matériels de
l’Eglise sont pour ainsi dire mieux conservés et les prêtres plus disponibles pour
leur ministère, en raison de leur situation de célibataires : consacrant de plus
en plus de temps à la prière et à la pastorale, ils ont réussi à servir avec un

51 Canon 7,  Concile de Latran II 1139.


52 J.COPPENS, Sacerdoce et célibat, Etudes historiques et théologiques, Editions J. Duclos, S.A. Belgique
1971, p.359.
53 Canon 9, Concile de Trente (1545-1563)
54 J.COPPENS, op.cit., p.438.
LE SACERDOCE ET LE CELIBAT : DEUX VOCATIONS DIFFERENTES MAIS ... 163

cœur sans partage et à faciliter leur vie la pauvreté. La disponibilité et la vie de


prière auxquelles ils se sont accommodés transformèrent leur sacerdoce et leur
ministère, et firent d’eux des maîtres spirituels.
A la différence des presbytres, responsables spirituels des églises primitives
qui se considéraient avant tout comme des hommes « ordinaires » chargés d’un
ministère ou service pour le compte de leur communauté, les prêtres célibataires,
après la réforme grégorienne et le Concile de Latran II sont considérés plus que
des hommes ordinaires des serviteurs de Dieu. Leur statut devint à peu près
l’égal de celui des apôtres des premières communautés chrétiennes.
2. Au niveau de la formation
Conséquemment, l’Eglise accorda une grande importance à la formation
intellectuelle des clercs, à laquelle sont associées une formation liturgique (latin,
plain-chant, connaissance des formules et des rites), une formation scripturaire
(étude biblique - Ancien et Nouveau Testaments - et des commentateurs), et une
formation théologique.55 Si cette tendance à la formation pluridisciplinaire est en
soi louable, il n’est pas sûr que les clercs aient fait le tour du programme défini.
D’autant plus que le synode diocésain organisé par l’évêque à leur intention,
pour le renforcement de leur éducation n’a lieu que deux fois par an, et que le
système de séminaire ne fait son apparition qu’au XVIe siècle.56
Malgré les effets bénéfiques de cette conjonction, l’Eglise ne saurait ignorer le
grand écart qui sépare désormais les clercs et les laïcs, et qui tend à développer un
certain cléricalisme dont le langage ecclésiastique en est une parfaite illustration. Au
dire de Charles de la Roncière : « Les clercs entre eux parlent latin, depuis toujours
langue de l’Eglise…Avec sa langue, son vocabulaire spécial, ses références
implicites et explicites à une culture biblique sous-jacente, sa codification si
juridique d’aspect, ses normes précises, le langage professionnel et technique se
sépare de plus en plus du discours laïque, et contribue puissamment à distinguer
le clergé. »57
3. Au niveau vestimentaire
Outre le langage la tenue des prêtres fait son apparition : la tonsure devient la
marque distinctive de l’état clérical, et les prescriptions sur les vêtements tiennent
une place prépondérante dans les statuts à la veille du 13è siècle. Les premiers
statuts de Paris de 1204 se contentent de prescrire des vêtements propres pour
l’autel : surplis, chape close et sans manches, et des sandales aux pieds. Au
dehors, le prêtre devait se distinguer du commun des hommes en portant un amict
et un vêtement noir ou bleu.58 La messe est apparue toujours comme le sacrifice
offert personnellement par le prêtre pour les fidèles au détriment de la conception
patristique, qui présentait l’eucharistie comme l’offrande au Père, par le Christ,
du corps mystique de l’humanité. De plus, la théologie a été développée par les
clercs et pour les clercs. Les laïcs pour dire, ne contribuaient à rien explicitement
et se nourrissaient mal spirituellement.

CONCLUSION

Au départ deux réalités totalement distinctes, le célibat et le sacerdoce grâce


aux critiques des philosophes grecs et aux réformes opérées par certains papes
55 Charles de RONCIERE ; « La réforme du clergé », Dossier n°7, in 2000 ans du Christianisme. Société
d’histoire chrétienne, Paris 1975, pp.28-29.
56 Odette PONTAL ; Clercs et laïcs au Moyen âge, Coédition Desclée/Prost France, Paris 1990, p.5
57 Charles de RONCIERE, op.cit., p. 26.
58 Odette PONTAL, op.cit., p.59.
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finirent par fusionner. Cette union fait reculer certains abus dans l’Eglise en
favorisant l’engagement plus radical des prêtres dans la prédication de l’évangile
et la conversion des âmes, de même que l’émergence d’évêques ou de prélats de
haute estime, dont l’intégrité et l’austérité de la vie contribuèrent au rétablissement
des mœurs et le respect du célibat. Toutefois certains membres de la hiérarchie
de l’Eglise, considérant le choix du sacerdoce et l’acceptation du célibat comme
une simple condition à remplir et non une vocation attachée à leur ministère,
s’enlisent dans les scandales au mépris de la valeur propre du célibat, qui
consiste à être à la fois un témoignage pour le monde et un soutien pour la foi des
chrétiens. Cette confusion des genres contraint les autorités ecclésiastiques à
réagir à nouveau aux travers des Conciles, instances suprêmes de l’Eglise pour
rétablir définitivement la morale et la discipline en son sein. Grâce à elles et donc
au célibat ecclésiastique, des centaines et des milliers de missionnaires sont
prêts à tout abandonner pour donner leur vie pour la mission du Christ. Beaucoup
sont allés de par le monde, en sachant qu’ils ne vivraient pas longtemps ni ne
retourneraient un jour dans leur pays d’origine, avec le net sentiment qu’ils « ne
sont pas de ce monde » mais « des citoyens des Cieux ».

SOURCES ET BIBLIOGRAPHIE

I. SOURCES

1- DOCUMENTS OFFICIELS ET ECRITS DU MAGISTERE


Le Concile de Nicée 325.
Le Concile de Latran II 1139.
Le Concile de Trente (1545-1563)
La Didachè (60-120)

2- BIBLE TOB, Editions Cerf, Paris 1998

II. BIBLIOGRAPHIE

1- OUVRAGES DE REFERENCE
La foi catholique, Orante, Paris 1993, 568p.
Théo : Nouvelle encyclopédie catholique, Droguet/Ardent/Fayard, Paris 1989.

2- OUVRAGES GENERAUX
AUGUSTIN Saint, Confession, col. Folio, éditions Gallimard, Paris 1993, 599 p.
BABINET Gilles, Etre missionnaire du fond de mon cœur, Ste Anne de Port-Bouet, Côte
d’Ivoire 2000, 62 p.
COMBY Jean, Pour lire l’histoire de l’Eglise, t.1, Edition du Cerf, Paris 1998, 201 p.
DANIELOU Jean & MARROU Henri, Nouvelle histoire de l’Eglise, t.1. Des origines à
Grégoire le Grand, éditions du Seuil, Paris 1963, 614 p.
FLICHE Augustin & MARTIN Victor, Histoire de l’Eglise des origines à nos jours, t.8. La réforme
grégorienne et la reconquête chrétienne, Bloud & Gay, Montpellier 1940, 502 p.
JACQUEMET G, Catholicisme aujourd’hui, demain, Encyclopédie en sept volumes.
Létouzey, Paris 1956.
LE SACERDOCE ET LE CELIBAT : DEUX VOCATIONS DIFFERENTES MAIS ... 165

JUSTIN Martyr, Œuvres complètes, Maigne, Paris 1994, 429 p.


MAYEUR Jean-Marie, PIETRIE Lucie VAUCHEZ André, VENARD Marcel, Histoire du
catholicisme t.4. Evêques, moines et empereurs 610-1057 Desclée Paris 1993,1049p

3- OUVRAGES SPECIALISES
BOISVERT Laurent, Le célibat religieux, Cerf, Paris 1974, 134 p.
COPPENS Joseph, Sacerdoce et célibat. Etudes historiques et théologiques, Editions
J. Duclos, S.A. Belgique 1971, 755 p
FOREVILLE R., Latran I, II, III et Latran IV, Orante Paris 1965
LEMAIRE André, Les premiers ministères, Dossier n° 1, in 2000 ans du christianisme, t.1.
Société d’histoire chrétienne, Paris 1975, 288 p.
PONTAL Odette, Clercs et laïcs au moyen âge, Coédition Desclée/Prost, Paris 1990, 153 p.

4. ARTICLES DE REVUE
STICKLER A.M. « Le célibat au Moyen Age » in Sacerdoce et célibat,
Etudes historiques et théologiques, Editions J. Duclos. S.A. Belgique 1971.
RONCIERE Charles, « La réforme du clergé », Dossier n°7,in 2000 ans du christianisme,
Société d’Histoire chrétienne, Paris 1965.
LELOIR L, « Valeurs du sacerdoce lévitique » in Sacerdoce et célibat,
Etudes historiques et théologiques, Editions J. Duclos. S.A. Belgique 1971.
CROUZEL H, « Le célibat dans l’Eglise primitive », in Sacerdoce et célibat, Etudes
historiques et théologiques, Editions J. Duclos, S.A. Belgique 1971.

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