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Y A-T-IL UNE SPÉCIFICITÉ DU FANTASME ET DE L'OBJET CHEZ LES

FEMMES ?

Marisa Fiumanò

Érès | « La revue lacanienne »

2014/1 N° 15 | pages 95 à 101


ISSN 1967-2055
ISBN 9782749241722
Article disponible en ligne à l'adresse :
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Y a-t-il une spécificité du fantasme et de l’objet


chez les femmes ?

Marisa Fiumano
Psychanalyste

Je commencerai par la note d’humour qui femmes, tous assujettis au fantasme. Notre
pose la question de savoir si la psychana- masochisme inconscient (névrotique)
lyse préconise ou pas le « mariage pour nous pousse à nous mettre au service de
tous » avec l’objet, et ce que les femmes l’Autre. Alors que le masochiste pervers, à
peuvent dire à ce sujet. Puisque l’objet la différence de ce qui se passe pour le
est inscrit dans le fantasme, l’interrogation névrosé, jouit de son masochisme, lequel
porte sur l’organisation du fantasme chez est conscient.
les femmes. Est-ce qu’il y a une organisa- Si le fantasme on bat un enfant est structu-
tion spécifique du fantasme chez les ral et concerne les hommes comme les
femmes ? La question ainsi posée n’équi- femmes, les femmes en parlent beaucoup
vaut pas à affirmer qu’il existe un fan- plus que les hommes. Serait-ce parce
tasme féminin mais qu’il y a quand même qu’elles sont masochistes ? Lacan dit que
des spécificités du fantasme chez les les femmes ne sont pas du tout maso-
femmes, soit du côté de l’objet soit du chistes, mais que ce sont plutôt les
côté du poinçon. hommes qui le sont : le masochisme fémi-
nin est un fantasme d’homme. À cette
Masochisme féminin ? question – pourquoi les femmes parlent
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d’un fantasme masochiste même si elles
À propos des spécificités du fantasme ne sont pas masochistes ? – on peut don-
chez les femmes je partirai d’un texte ner une réponse à partir de ce que dit
majeur de Freud, On bat un enfant, qui Jean-Paul Hiltenbrand interprétant le fan-
livre la structure du fantasme : $ ◊ a. La tasme de la fillette d’être battue par le
partie gauche de l’écriture du fantasme, le père comme un consentement à la place
$, le sujet assujetti, est très bien illustrée symbolique qui lui vient de l’Autre.
par le texte de Freud. La barre qui tombe Thèse que je partage parce qu’elle est ori-
sur le sujet est aussi la barre du langage : ginale et riche de conséquences en ce que
on est barré qu’on soit homme ou qu’on la place de la femme dans le Symbolique
soit femme. Roland Chemama affirme que n’est pas précaire du tout. Elle est
le fantasme on bat un enfant a une struc- construite dans le Symbolique, lui vient
ture masochiste : il ne s’agit pas pour de l’Autre, elle fonctionne dans la logique
autant d’un masochisme pervers mais du symbole. La femme est un objet
d’un masochisme structural. C’est une d’échange, comme le montre bien la
structure partagée entre hommes et logique du don, même encore aujourd’hui

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alors que les structures culturelles fon- tasme serait une sorte de figuration un
dées sur l’échange et sur le don se sont peu tordue, une allusion à la castration 1. »
modifiées. Elle est porteuse du principe Le troisième temps du fantasme – côté
de fécondité, principe de nature symbo- femme – peut se traduire ainsi : « Vois-tu
lique. Certes, elle doit donner son consen- ce qui arrive si on veut faire comme si on
tement à occuper cette place, la place de était un garçon ? Pan, pan. » Dans le troi-
l’objet dans le désir d’un homme. Si son sième temps, la fillette est devenue un gar-
choix n’est pas un choix hystérique, elle çon et ce sont ses congénères mâles, les
dit « oui », au contraire de l’anorexique autres garçons qui sont battus. Pas de
qui ne donne pas son consentement à trace de masochisme, ni dans le deuxième
cette désignation symbolique. Dans le fan- ni dans le troisième temps du fantasme.
tasme on bat un enfant la fillette dit « oui »
dans le deuxième temps, inconscient, Y a-t-il un objet cause du désir
celui qui se présente comme « mon père spécifiquement féminin ?
me bat ». À la question de savoir si le « fan-
tasme de fantasme », comme l’appelle Cette question a été abordée par Charles
Lacan, est un fantasme féminin ou non, Melman 2 . Dans son article il précise que
on peut répondre : non, il concerne tout la spécificité du fantasme féminin ne
le monde mais pour la fillette, consentir à concerne pas tellement l’organisation du
ce fantasme veut dire accepter sa place fantasme. Les modalités selon lesquelles
féminine : elle n’a pas l’objet, elle est l’ob- le fantasme s’organise ne sont pas spéci-
jet et elle accepte de l’être. Elle accepte, fiques d’un sexe ou d’un autre. La spéci-
elle peut l’accepter, mais pas sans ambi- ficité éventuelle a trait au choix d’objet.
guïtés et pas une fois pour toutes. Elle Pour les femmes, l’objet est phallique et
accepte par amour, par amour du père. c’est leur spécificité, car pour les hommes
Quand Freud écrivait son article, Jean- ce n’est pas le cas : pour un homme l’ob-
jet n’est pas nécessairement phallique,
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Paul Hiltenbrand le rappelle, il n’avait pas
mis au centre de ses intérêts la question sauf dans le cas des homosexuels. Pour
féminine, et surtout il avait la notion de les femmes, au contraire, l’objet est phal-
Symbolique mais pas celle d’ordre symbo- lique, elles partagent avec les homosexuels
lique, c’est-à-dire celle d’un ordre qui le même objet.
décide des places à donner aux hommes et Il précise que, pour les femmes, castra-
aux femmes. Le fantasme on bat un enfant tion, frustration et privation se réunissent
est donc un mélange d’Imaginaire et de autour de l’objet phallique. Le même
Symbolique, du signifiant (Schlag, le objet organise les trois catégories et c’est
fouet) avec le corps ; il fonctionne pour les
femmes de façon différente que pour les
hommes. Pour elles, dans ce fantasme, il
s’agit d’éprouver la jouissance Autre. Il y 1. Ibid., p. 194.
2. Charles Melman, « Y a-t-il un fantasme féminin ? »,
a beaucoup d’énigmes dans le texte de
Le trimestre psychanalytique, n° 1, 1993, entièrement
Freud, mais au fond, on peut dire que ce dédié au commentaire du séminaire de Lacan La
fantasme désigne la castration : « Ce fan- logique du fantasme.

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bien pour cette raison que la sexualité a, de son partenaire, elle ne peut plus en
pour elles, un caractère pulsionnel ou de jouir. Ainsi, la possession de l’objet
demande impérative. La sexualité fémi- empêche d’en jouir. L’usufruit est alterna-
nine, par ailleurs, est organisée par une tif à la propriété : on ne peut pas jouir de
forme d’oralité qui peut très facilement quelque chose dont on est propriétaire. Si
effrayer les hommes. Ils se sentent mena- on s’approprie l’objet, la jouissance qui lui
cés, c’est ainsi que je comprends la formu- est liée prend fin.
lation de Melman d’une demande sans Ce fantasme – s’approprier le pénis de
limites, qu’ils perçoivent comme très l’homme – est un fantasme hystérique fré-
agressive. Je souligne son caractère oral, quent chez les femmes. Dans le film
pulsionnel, impératif. Si l’objet féminin est d’Oshima, la femme met en acte un fan-
un objet phallique, la sexualité chez les tasme. C’est de la folie, évidemment, mais,
femmes est caractérisée par une demande comme dans la plupart des cas les femmes
de caractère pulsionnel, donc infinie, celle ne sont pas folles à ce point, la peur des
de s’approprier l’objet. Les hommes hommes par rapport à leur demande
seraient « facilement » effrayés par cette (avoir le pénis) est excessive. Au fond il
demande ; ce qui veut dire qu’ils igno- s’agit d’un fantasme qui est dans la même
rent la dynamique guidant la demande ligne que ce que Freud appelle le Penis-
des femmes, qu’ils ne la comprennent pas. neid : les femmes souffrent de ce manque
L’objet du fantasme est un objet « élu » : de pénis, mais en général cela se limite au
Objektwahl, selon le terme de Freud, et ce fantasme. Dans la réalité il n’y a pas beau-
terme d’élection est important. Si une coup de pénis coupés par les femmes !
femme, par exemple, est choisie par un Alors qu’il y a beaucoup de femmes tuées
homme, cela veut dire qu’elle a été élue. par des hommes. La question importante
On choisit sa « une » et on l’élève à la à poser est : peut-on affirmer que ce fan-
position d’objet. Pour une femme l’objet tasme intéresse toutes les femmes ? Ou
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phallique est un objet élu. Melman pré- bien encore : la même femme y est-elle
cise : il ne s’agit pas seulement d’un objet toujours intéressée de la même manière ?
phallique mais de l’objet pénis, de l’or- Pourrait-on avancer qu’une femme peut
gane réel. D’ailleurs, cette thèse est très être habitée par ce fantasme mais qu’il
bien illustrée par un film que Lacan avait peut changer, et même que chez quelques
beaucoup apprécié : L’empire des sens, de femmes ce fantasme est complètement
Nagisa Oshima, histoire d’amour très absent ? Puisque, pour les femmes, on ne
troublante et passionnelle entre une peut jamais dire « toutes » et peut-être
femme et son patron, qui se passe au même pas « toujours ».
Japon. Les deux amants passent leur
temps au lit sans manger ni voir personne, Pour les femmes l’objet peut changer
jusqu’au moment où la femme coupe le
pénis de son amant et se promène en ville En effet, s’agissant des femmes, le fan-
comme une folle avec son morceau de tasme peut changer du côté de l’objet. Je
chair, le pénis, caché dans une étoffe. vais l’expliciter à partir de l’écriture du
Maintenant qu’elle s’est approprié le pénis fantasme : $ ◊ a. Ce qui est à gauche du

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poinçon, le $, le sujet divisé, reste tou- l’objet-enfant, on ne peut pas dire que
jours divisé. Les femmes, autant que les l’enfant comble le désir d’une femme.
hommes, parlent et elles sont divisées par L’objet-enfant n’est qu’une partie du désir
le langage. Du côté droit du poinçon, du d’une femme 3. L’enfant est le témoignage
côté du petit a, l’objet peut non seule- du désir d’une femme, d’une mère mais il
ment changer mais prendre les couleurs ne la comble pas. L’enfant est la métony-
de l’objet du partenaire. Si, par exemple, mie du phallus. Le désir de maternité
une femme aime un homme, elle se pas- répond à la dimension phallique du désir,
sionne pour ce que fait son homme ; pas à la dimension du désir tout court. Il
ensuite elle va changer d’homme, elle reste une partie du désir d’une femme qui
tombe amoureuse d’un autre et elle se pas- n’est pas comblée. Cette partie qui n’est
sionne pour ce qui suscite l’intérêt de ce pas comblée a trait au lien avec la mère.
nouvel homme. Ceci arrive fréquemment. Thèse qui suggère qu’au-delà de l’ins-
En outre, même à l’intérieur de la cure tance phallique, pour une femme, la pré-
analytique, il y a des modifications du fan- sence du lien avec la mère insiste ainsi
tasme liées à une modification de l’objet que la frustration liée à la demande
du fantasme. Dans la cure l’objet varie. ancienne posée à la mère. Une demande
Notre hypothèse est qu’on ne peut pas par- qui a à faire aussi avec son propre
ler d’un fantasme qui soit spécifiquement sexe mais qui passe par une interrogation
féminin, ni d’un objet qui soit le même faite à la mère.
pour toutes les femmes même si l’objet- « Comment le sexe féminin compte-t-il
pénis, comment le disent Freud, Lacan et pour toi ? Est-ce que mon sexe compte ?
Melman, est en général l’objet élu car c’est Est-ce que tu aimes mon corps sexué ? »
le pénis qui occupe la place de l’objet a. Même si la mère répond avec le don de
Même si on ne peut pas le dire pour toutes son amour, la frustration reste – peut-être
les femmes et que pour une même femme, encore plus douloureuse – au niveau ima-
ginaire, et cette frustration risque de ne
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l’objet ne reste pas le même pour toute sa
vie. La peinture, la sculpture, le cinéma, pas pouvoir être intégrée au niveau sym-
plusieurs formes d’art nous montrent les bolique. La frustration, de plus, se produit
femmes dans leur rapport à cet objet. de manière indépendante de la réponse
de la mère parce que c’est la structure ver-
Comment mon sexe compte-t-il ? bale de la demande qui la met en place 4.
Dans la réalité la fille ne fait que repro-
Nous avons examiné une des formes que duire la désapprobation de la mère, et elle
peut prendre l’objet pour une femme : le fait échouer son désir parce que ce qu’elle
phallus dans sa dimension réelle, le pénis, répète c’est l’humiliation, la douleur,
et la folie qu’il peut déclencher quand une
femme en est privée. Mais ça n’épuise pas
la question de l’objet du fantasme pour
3. Jean-Paul Hiltenbrand, « L’objet féminin », confé-
une femme, ni celle, strictement liée, de
rence du 3 décembre 2004, dans Conférences de
son désir. Si on considère, par exemple, Chambéry, Éditions ALI Rhône-Alpes, 2007.
l’objet le plus commun pour une femme, 4. ibid., p. 133.

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l’échec qu’elle a éprouvés dans la dialec- femmes le désir prévaut 7. Pour les
tique avec sa mère. On pourrait ajouter hommes c’est organisé différemment : ils
que les demandes d’analyse, plus nom- peuvent plus facilement aimer une femme
breuses de la part des femmes, sont liées et en désirer une autre. La femme connaît
à cette difficulté structurale de sortir de très bien la valeur du désir parce qu’elle
cette dialectique mère-fille pour pouvoir occupe cette place d’objet du désir. Mais
trouver la voie de son propre désir. à quoi est lié le désir ?
« Le désir a un rapport à l’être. Même sous
Objet du désir féminin et signifiant la forme la plus limitée, la plus bornée, la
du désir de l’Autre plus fétichiste et, pour tout dire, la plus
stupide, sous la forme même limite ou,
Toujours à propos de la spécificité de l’ob- dans le fantasme, le sujet se présente
jet du fantasme, il y a encore une formu- comme aveuglé 8. » Oui, aveuglé et sous la
lation avancée par Jean-Paul Hiltenbrand forme la plus stupide : si on est amou-
dans le séminaire de l’année 2012-2013 5 : reux, c’est-à-dire désirant, on est aveuglé.
l’objet du désir féminin, c’est le signifiant « L’amore è cieco » dans ma langue. Et ce
du désir de l’Autre. Les femmes sont très que vise ce sujet aveugle est un reste.
intéressées au désir de l’Autre, c’est avéré. L’objet n’est réduit qu’à un reste. Preuve
L’exemple le plus célèbre est celui que ultime que c’est bien vers elle que
nous donne Lacan : la belle bouchère, qui l’homme se tourne. Même si une femme
ne fait que s’occuper du désir de son amie est aimée avec tendresse, elle sait bien que
et aussi bien du désir de son homme. si son homme désire ne serait-ce que la
Faire du signifiant du désir de l’Autre chaussure, ou un accessoire, d’une autre
l’objet du désir ouvre une piste de travail femme, la façon dont elle se maquille, elle
intéressante. Est-ce qu’on pourrait dire sait que là se produit un hommage à l’être.
que le signifiant du désir de l’Autre est un Les mots de Lacan supportent parfaite-
ment la thèse que l’objet du désir d’une
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objet spécifique pour une femme ? Je
pense que l’on peut l’affirmer et pour cela femme est le signifiant du désir de l’Autre.
trouver un appui dans ce que dit Lacan Dans la même leçon xxV, Lacan livre
dans le Séminaire Le désir et son interpré- d’autres formulations qui vont enrichir
tation 6. Il parle du désir et de la jalousie notre question.
féminine, très différente de la jalousie
masculine. La jalousie féminine, semble
dire Lacan, est liée au désir de l’Autre. La
jalousie est très brûlante pour les femmes.
Si une femme se met en position d’objet,
c’est bien parce qu’elle donne beaucoup 5. Jean-Paul Hiltenbrand, La tripartion objectale,
d’importance à la fonction du reste, en Séminaire 2012-2013, Éditions ALI-Rhône-Alpes.
tant que ce reste provoque le désir, en tant 6. Jacques Lacan, Le désir et son interprétation, Leçon
xxV du 17 juin 1959, Éditions de l’ALI, hors com-
qu’il le suscite. Amour et désir sont des
merce.
choses très différentes : on peut aimer un 7. ibid., p. 502.
être et en désirer un autre. Pour les 8. ibid.

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Œdipe au féminin dans la folie ou dans la tragédie. Le phal-


lus est un signifiant, il a été introduit en
Lacan avait déjà commencé à reformuler tant que signifiant dans les premiers
la question du désir par rapport à la tradi- échanges avec la mère, ce qui fait que
tion psychanalytique, dans le Séminaire pour les femmes le phallus sera toujours
La relation d’objet et les structures freudiennes manquant, il se présentera toujours avec
(1957-1958). Dans Le désir… il reprend un signe négatif et il s’écrira : – j.
la question du complexe d’Œdipe pour
la femme : pourquoi entre-t-elle dans La dialectique de la séparation
l’Œdipe ? Qu’est-ce qu’elle demande ? Il
dit : « Elle ne demande pas une satisfac- L’enfant ne suffit pas à la femme, comme
tion mais d’avoir ce qu’elle n’a pas, c’est- ne suffit pas l’offre de l’homme, de « son »
à-dire le phallus. » Et il précise : « L’avoir homme. Certes, dit Lacan ironiquement,
à la place où elle devrait l’avoir, si elle était il y a toujours la possibilité limite de
un homme 9. » Elle sait bien où aller cher- l’union parfaite, l’étreinte amoureuse dans
cher le phallus (chez un homme qui le laquelle l’être aimé fusionne avec son
détient et qui la choisit comme sa femme ; organe, un moment « poétique » ironise
un enfant qu’il lui donne) mais ce qu’elle Lacan, mais aussi le moment apocalyp-
demande au début c’est de l’avoir à la tique « de l’union sexuelle parfaite ». Un
même place de l’homme. Cette affirma- moment très bien décrit dans le film
tion de Lacan renvoie au troisième temps d’Oshima et qui se termine dans la tragé-
du fantasme : un enfant est battu. Il précise die. Il semble qu’il introduit là un terme
qu’elle ne cherche pas une satisfaction, clé qui explique le rapport de la femme au
quelque chose qui serait de l’ordre de la phallus.
jouissance et qui arriverait à la combler. Il La femme, même si elle est parvenue à
ne lui suffit pas d’en jouir, elle veut en une féminité épanouie, a toujours à faire
à l’objet phallique en tant que séparé parce
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être la propriétaire. Là revient la question
de l’usufruit et de la propriété, de l’impos- qu’il ne fait pas partie de son corps. Et c’est
sible jouissance d’un bien possédé. Elle pour cette raison que l’homme peut la
ne cherche pas la satisfaction. Il y aurait percevoir comme castratrice. Il se rend
donc confusion chez la femme parce que compte de son désir à elle et il fait le lien
ce qu’elle veut avoir dans le Réel est un avec sa propre peur d’être castré. Au
signifiant : le phallus est introduit en tant niveau inconscient la formule singulière
que signifiant. Il devrait lui être évident avec laquelle elle résout son rapport au
qu’on ne peut pas être propriétaire d’un phallus est qu’elle l’a et en même temps
signifiant. Même si les femmes peuvent qu’elle l’est, elle l’est symboliquement.
avoir des enfants, des équivalents du phal- Elle veut être désirée en tant que phallus
lus et avoir une prise réelle sur le phallus et en même temps elle veut l’avoir.
– ce qui leur permet de résoudre de façon
relativement simple les questions affec-
tives par rapport à l’homme –, elles ne
peuvent pas en être les propriétaires : sauf 9. ibid.

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La question de la séparation s’exprime toujours affaire. Elles sont obligées de


pour la femme qu’elle a le phallus mais faire le travail de transposer des pertes
elle l’a en tant que séparé. Ce qui fait que, différentes du plan réel au plan symbo-
dans son économie inconsciente, il y a lique. Les développements de Lacan nous
une équivalence symbolique entre le phal- permettent d’avancer une autre lecture
lus et les autres objets qui peuvent se possible de l’algorithme du fantasme,
séparer d’elle. Pour une femme, ses en particulier une lecture du poinçon.
« objets naturels » (par exemple son « pro- On pourrait lire le poinçon, pour ce
duit infantile », les fèces) fonctionnent qui concerne les femmes : séparation/
comme des objets du désir parce qu’ils appropriation.
sont des objets dont elle se sépare. Ils Dans ce sens-là, l’appropriation de l’objet
sont inscrits dans la dialectique de la réel, du pénis, ferait partie de la dialec-
séparation, dira Lacan. Un processus qui tique de la séparation, en serait une
se répète avec les objets successifs. Objets conséquence, une action réactive. L’ap-
qui se séparent comme les ovules qu’elle propriation serait la tentative de fermer
produit chaque mois, les règles mens- la séquence des séparations, de conclure
truelles, la perte de sang, l’enfant dont le processus du deuil. Tentative destinée à
elle accouche. Dans la dialectique de la l’échec s’il s’arrête au niveau du Réel. À la
séparation, il faut inclure aussi l’arrêt des spécificité de l’objet (pénis/phallus : Mel-
règles : la ménopause est la perte de la man) ou signifiant du désir de l’Autre (Hil-
perte du sang menstruel, donc de la tenbrand), à ses possibles variations d’une
fécondité. La clinique nous montre la femme à l’autre ou bien pour la même
dépression comme souvent liée à cette femme pendant sa vie, on peut donc ajou-
sortie de l’univers symbolique de la ter – c’est l’hypothèse que j’avance – une
fécondité. Il s’agit toujours de processus autre particularité, celle que le fantasme
de séparation qui nécessitent un deuil à peut présenter chez une femme : la fonc-
faire à chaque fois. On pourrait dire que tion du poinçon de $ ◊ a, qui écrit la dia-
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les femmes sont toujours un peu en deuil. lectique marquant le rapport à l’objet, le
Ainsi, la séparation apparaît comme fantasme pour les femmes pourrait alors
une dialectique à laquelle les femmes ont s’écrire : $ séparation ◊ appropriation a.

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