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LA STÉRILITÉ FÉMININE PEUT-ELLE ÊTRE CONSIDÉRÉE COMME UNE

AFFECTION PSYCHOSOMATIQUE ?

Sylvie Faure-Pragier

Le Carnet PSY | « Le Carnet PSY »

2008/5 n° 127 | pages 39 à 43


ISSN 1260-5921
DOI 10.3917/lcp.127.0039
Article disponible en ligne à l'adresse :
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De telles stérilités existent parfois. La cause
La stérilité féminine peut-elle est manifestement un traumatisme psy-
être considérée comme une chique violent. Evoquons les deuils, la nais-
a f fection psychosomatique ? sance d’un enfant mort ou anormal, les
avortements ou d’autres situations drama-
SYLVIE FAURE-PRAGIER tiques, qui peuvent entraîner des infécondi-
tés. Cependant conserver ce concept de sté-
rilité psychogène conduit à une impasse.
Devenir mère suppose pour une femme la Cette définition du psychique par l’absence
conjonction heureuse de différents para- d’organicité n’a guère de consistance. Une
mètres. Certes le corps peut empêcher la stérilité serait psychique parce qu’il n’y
conception mais le psychisme joue parfois aurait pas de lésions. Le psychisme devien-
aussi un rôle majeur. Qu’elles soient causes drait ainsi une “poubelle” où jeter les stéri-
ou effets du diagnostic de stérilité, des per- lités “sans cause”. Ce serait une pathologie
turbations psychiques peuvent justifier une spécifique alors qu’il s’agit d’une dimension
psychothérapie. Peut-on pour autant consi- psychique présente dans toutes les stérilités
dérer qu’il s’agisse d’une affection psycho-
somatique ? Dans certains cas, la stérilité L’absence de cause organique est une défini-
féminine a été qualifiée, de psychogène. Est- tion par défaut méconnaissant la nature for-
ce justifié ? Et lorsque des lésions existent, cément psychosomatique de la reproduc-
serait-elles exclusivement organiques ? Si le tion. Comment le psychisme, s’il agit, pour-
psychisme ne joue alors aucun rôle dans une rait-il se passer du corps comme intermé-
infécondité, est-il opportun de la dénommer diaire ? Pourquoi la présence d’une anoma-
psychosomatique ? lie du fonctionnement endocrinien, de
l’ovulation ou de la perméabilité des
Quelles patientes adresser à un analyste et trompes, affirmant l’organicité, excluraient-
pour quelle prise en charge ? Travaillant à elles une causalité psychique ? D’une manière
l’hôpital Necker avec des personnes souf- générale, mais plus spécifiquement en ce qui
frant de ces désordres, il m’est vite apparu concerne l’acte reproductif, l’enchevêtrement
que les patientes porteuses de lésions graves du psychisme et du physiologique paraît la
avaient le même type de conflits incons- règle.
cients que les autres consultantes, celles
dont le médecin disait : “elles n’ont rien, Un trouble psychique peut provoquer une
c’est psychique !” Aussi le concept de stéri- castration réelle. Ainsi, Bernadette avait
lité psychogène n’est-il plus pertinent. toujours refusé d’avoir un enfant. Mariée
depuis 20 ans, ayant pris confiance en la
En finir avec le concept de stérilité solidité de son couple, elle se laissa persua-
psychogène. Illustrations cliniques der par son médecin et par son mari de
devenir mère “pour ne pas le regretter
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L’importance des facteurs psychiques a quand il serait trop tard”. Enceinte dès l’ar-
toujours été prise en compte par les rêt de la contraception, elle me consulta
médecins qui avaient obtenu des grossesses vers le 6e mois pour des angoisses dépres-
par des “verdicts” souvent contradictoires sives et la crainte de perdre toute autonomie
du type : “renoncez, il n’y a aucune chance avec la maternité. Elle me téléphona le len-
de succès” ou sur le mode de la suggestion : demain de la naissance d’une petite fille :
“vous serez enceinte, maintenant”. “Tout s’est très bien passé... Ah, il a fallu
m’enlever l’utérus qui s’était retourné et sai-
C’est cependant la procréation médicale- gnait très fort”. C’est là une complication
ment assistée qui a “créé” le concept de rarissime qui se produit chez les multipares.
stérilité psychogène. Ce grand progrès inci- Bernadette avait pensé pendant toute la
ta les services hospitaliers à demander aux durée de l’accouchement : “C’est mer-
psychanalystes de participer à leurs travaux. veilleux. Comment vais-je faire pour ne pas
La découverte des causes organiques d’infé- avoir envie d’un autre enfant”.
condité a donc conduit à repérer, par L’hystérectomie allait apporter cette certitu-
défaut, des stérilités inexplicables physiolo- de dans un passage par le corps particulière-
giquement, qualifiées alors de psychogènes. ment signifiant : “l’utérus n’a pas voulu
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perdre le bébé, il est parti avec lui”. Cette tôme que représente la stérilité et le passion-
observation plus détaillée figure, avec beaucoup nant défi métapsychologique qu’il lance aux
d’autres, dans mon livre Les bébés de l’incons- psychanalystes ?
cient (Puf, 2003). Elle montre combien le corps
géniteur peut répondre au conflit psychique, La théorie hystérique du sens est, bien sûr la
venant ici le résoudre définitivement. Cette hys- plus attrayante pour des psychanalystes.
térectomie est-elle une réaction psychosoma- L’hypothèse hystérique est généralement pré-
tique non spécifique qui a pris un sens dans supposée, implicite, non remise en cause par
l’après-coup où s’est reconstruit le désir de se ceux qui l’emploient. Elle rend compte de la
débarrasser de l’utérus ? Je suis plutôt tentée, spécificité particulière de la stérilité au sein des
avec la patiente, de l’interpréter comme réponse multiples formes de somatisation : c’est un
somatique au conflit psychique préalable. symptôme qui résout directement le conflit
S o m a tisation signifiante, elle conduirait à puisque l’enfant en cause n’est effectivement
reconnaître une toute puissance terrifiante du pas conçu. Ce n’est pas le cas d’une grippe,
désir sur le corps, menaçant la vie même. d’un ulcère ou d’un infarctus dont les bénéfices
ne peuvent être que secondaires. Ici, il s’agit
d’un bénéfice primaire : la stérilité fonctionne-
D’une manière inverse, une grossesse - passage
rait alors comme symptôme de conversion,
à l’acte - me surprit chez une femme stérile.
exprimant le compromis entre le désir et le
Camille ne voulait pas d’enfant. Survenue dans
refoulement. La culpabilité liée au surmoi en
l’intervalle entre le premier entretien et l’engage-
serait l’agent. C’est ce que l’on observe aussi
ment dans la cure, elle constituait une “preuve”
dans des cas d’herpès vulvaires survenant dans
que sa stérilité était bien psychogène. Ne prenant
des situations conflictuelles, par exemple une
aucune contraception, elle avait une vie sexuelle
décision d’adultère qu’il vient empêcher.
débordante. Dans ces conditions, la survenue
“spontanée” de la grossesse chez une femme
Il est exceptionnel que l’on rencontre des struc-
stérile jusque là, sans aucun désir conscient et
tures hystériques dans lesquelles l’enfant désiré
aboutissant à l’avortement volontaire, plaide en
semble être l’enfant oedipien et où l’on peut
faveur de la psychogenèse, tant de cette concep-
supposer un mécanisme de conversion. Il faut
tion que de la stérilité antérieure.
remarquer qu’au sein des processus hystériques,
ce serait un cas particulier qui ferait intervenir
Si une motion psychique peut produire soit une non plus le corps érotisé mais le corps réel. Ce
grossesse non désirée soit une lésion majeure, à n’est pas une mise en scène de fantasme, on ne
l’opposé une anomalie organique entraîne peut imiter la stérilité qui dépend du système
généralement, avec la crainte de stérilité, la nerveux autonome et non de la sensorimotricité.
reviviscence de conflits psychiques. Dominique Dans l’hystérie, il s’agit souvent de crainte de
présentait une anomalie chromosomique héré- stérilité qui n’empêchera pas la conception, de
ditaire susceptible de provoquer une fausse phobies de la grossesse, de vomissements
couche dans 50% des cas. Elle avorta 6 fois incoercibles. A-t-on le droit, dès lors, de
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sans provoquer d’inquiétude. La dernière rabattre le corps érotique sur le corps réel ? La
conduisit à l’étude génétique de l’embryon. stérilité serait-elle alors l’équivalent de la gros-
Apprenant que celui-ci était normal, la mère sesse nerveuse ?
développa alors une inconception. Par ce terme
j’ai proposé de désigner les aspects psychiques Sommes-nous fondés, dès lors, à proposer la
liés au fait physique de la stérilité. Des affects compréhension de certaines stérilités par un
divers : dépression, honte, haine des femmes processus analogue, liant l’infécondité au
enceintes et hostilité envers la mère et l’analyste, refoulement de la représentation ? Une hystérie
purent être analysée avec succès en dépit de la psychosomatique serait à l’origine de manifes-
persistance de l’atteinte organique qui n’empê- tations comme la constipation, l’anorexie, l’im-
cha pas une grossesse ultérieure. puissance, la frigidité, la stérilité psychogène.
Celles-ci utiliseraient le corps pour traduire les
La stérilité entre conversion et somatisation inhibitions des pulsions. Cependant, le conflit
oedipien manque, si bien que contrairement à
Que se passe-t-il pour que le corps empêche la mon attente initiale, ce n’est pas l’enfant du
conception, évitant ainsi l’irruption d’affects père qui ne peut être conçu dans la majorité des
trop violents ? Comment comprendre le symp- observations.
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A l’inverse, la “causalité psychique” pourrait un souci de maîtrise. Le modèle de cette
être responsable d’un symptôme non spécifique conception de la stérilité pourrait être, si l’on
(absence de sens) dont l’infécondité ne serait accepte de changer de niveau, le nanisme
qu’une expression aléatoire : c’est la théorie hypophysaire, dit psychique, longtemps considé-
psychosomatique. Le conflit psychique lié au ré comme intentionnel car il était renvoyé à un
projet d’enfant provoquerait un déséquilibre de refus de grandir. On sait aujourd’hui qu’il est lié
l’organisme entraînant une réponse patholo- à la mauvaise qualité du sommeil paradoxal
gique de l’axe endocrinien, un spasme des provoquée par une tension familiale excessive.
trompes ou une altération immunologique. Le Cette découverte est liée à l’observation fortuite
choix de l’organe se ferait pour des raisons phy- de la croissance rapide de ces enfants lorsqu’ils
siologiques imprécises en rapport avec l’évolu- sont hospitalisés. Puisque celle-ci survient très
tion progressive de la hiérarchie des automa- rapidement, dès les premières semaines, un
tismes. Dans une conception de la stérilité conflit intra-psychique doit être éliminé.
comme somatisation aspécifique, on se rap- L’hypothèse intentionnelle d’autrefois, la crainte
proche d’une théorie de la névrose d’angoisse, de devenir adulte et de se séparer de la mère, est
dans laquelle l’angoisse n’est pas consciente donc infirmée en tant que mécanisme immédiat.
mais déchargée dans le corps. Ce modèle nous invite à beaucoup de modestie
dans nos hypothèses métapsychologiques.
La stérilité psychosomatique, dans la perspective
Intentionnalité du symptôme
de Pierre Marty (1980), pourrait s’expliquer
par la régression et la désorganisation d’une Le symptôme a-t-il un sens ou n’est-il qu’une
névrose de caractère ou de comportement. En réponse non spécifique de type psychosoma-
l’absence de capacités de mentalisation, ces tique, à moins qu’il ne fonctionne sur un troi-
patientes ont tendance à agir dans la réalité ou sième modèle ? A côté de ces deux conceptions
à décharger dans leur corps le surcroît d’excita- extrêmes, sans doute faut-il faire place à l’hy-
tion produit par un conflit lié à leur histoire. pothèse de l’intentionnalité du symptôme,
Cette description s’applique à beaucoup de celui-ci répondant directement au refus incons-
femmes infécondes. Leur difficulté associative, cient de procréer. Il s’agirait de l’incarnation
la pauvreté des fantasmes et de “l’épaisseur du d’une motion pulsionnelle. La peur de la gros-
préconscient” conduisent à évoquer ce diagnos- sesse ou son refus inconscient pourraient
tic. Mais ici les conditions de la rencontre avec entraîner directement la stérilité. L’inconscient
le psychanalyste ne viennent-elles pas entraver déciderait de la fécondation dans un “langage
les possibilités d’appréciation du fonctionne- d’organe”. Il pourrait même programmer le
ment mental ? Ces patientes sont en effet enga- moment de la conception pour que la naissance
gées dans une démarche médicale visant à obte- coïncide avec une date signifiante. Cette pro-
nir à tout prix l’enfant manquant. L’entretien grammation est-elle envisageable dans son prin-
analytique fait volontiers figure d’accusation de cipe même ? L’utérus fait-il ce qu’il veut ? Cette
leur psychisme, soupçonné de vouloir autre théorie implicite suppose la toute-puissance du
chose que ce qu’elles désirent consciemment. désir sur le fonctionnement du corps. Reste le
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Ne se trouve-t-on pas là dans une situation opé- problème du passage entre pulsion et symptô-
ratoire dans laquelle la résistance à la relation me : comment s’incarne cette violence ?
avec l’analyste s’exprime aussi dans l’absence Comment est-elle agie dans l’organe, lieu du
de demande ? Ce fonctionnement opératoire conflit, pour empêcher l’ovulation, spasmer
peut-être transitoire comme en témoigne les trompes, décrocher le foetus ? Peut-on sup-
l’étonnement manifesté par une collègue ana- poser que le désétayage de la sexualité sur une
lyste en revoyant, pour un problème de stérilité, fonction du corps entraîne sa désérotisation ?
une patiente qui avait fait une longue analyse Le corps exprimerait alors ce qui ne peut être
avec elle ; son riche fonctionnement psychique symbolisé ou imaginé et serait en prise directe
avait été entièrement abrasé par la situation avec l’inconscient. Une incapacité de la mère
d’inconception. d’investir l’appareil reproductif permettant la
fécondité chez sa fille, pourrait-elle entraîner
Dans cette hypothèse, la réponse par l’infécon- un tel désétayage ? La stérilité mettrait en acte
dité se trouve dépouillée de sa signification spé- un irreprésentable de la conception, entraînant
cifique. L’illusion d’un sens serait alors une une abrasion de la mentalisation et la décharge
construction après coup, fabriquée par le directe de l’excitation dans le comportement ou
psychanalyste ou par le patient lui-même, dans dans le corps.
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L’inconception : du psychisme au corps ou économiques. Son intérêt est de désigner
le versant psychique de cette réalité biolo-
Psychogenèse et organogenèse du symptôme gique qu’est la stérilité. Les patientes infé-
ne peuvent être opposés. Ils se stimulent condes, que l’on peut globalement considé-
l’un l’autre, sans que l’on puisse, pour rer comme des “névroses de caractère”,
autant, en faire deux aspects d’un même semblent organisées de manière défensive à
processus. Si l’angoisse peut avoir un ver- l’égard d’un noyau dépressif. La souffrance
sant psychique et un aspect physique, la sté- narcissique n’est pas ressentie consciem-
rilité, au contraire, fait intervenir une véri- ment, mais fait l’objet d’un déni, qui
table circularité. L’influence réciproque du s ’ e xerce à l’égard du fonctionnement
psychisme et du corps obéit à la récursivité. psychique dans son ensemble. Ce déni porte
On peut donc décrire une boucle récursive sur la vie pulsionnelle qu’il s’agit d’isoler
dans laquelle les conséquences sont en plutôt que de refouler. Le désir insatisfait
même temps productrices du processus lui- d’enfant aboutit à un sentiment de priva-
même et où l’effet final est nécessaire à la tion déclenchant la violence pulsionnelle en
génération de l’état initial. Le processus l’absence de capacités de symbolisation.
récursif s’autoproduit à partir d’une source Un tel déni, quasi conscient, rend difficile
qui en alimente le démarrage. C’est un l’engagement analytique et le transfert.
modèle assez juste du cercle vicieux qu’est
devenue la stérilité, depuis que contraception Le lien à la mère est au premier plan. C’est
et procréatique ont tenté de maîtriser le mys- une image phallique, puissante, ou affaiblie,
tère de la fécondation. exigeant la soumission de sa fille. Il existe
une extrême relation de dépendance, sou-
L’interruption du mécanisme automatique vent orageuse. Parfois la fille joue le rôle
physiologique de la fécondation peut surve- d’un objet narcissique pour sa mère, et ne
nir à partir d’un incident relativement doit donc pas avoir elle-même d’enfant. Le
mineur : inquiétude d’être inféconde, sur- fonctionnement associatif se trouve appau-
veillance excessive des dates des règles, aga- vri. Il y a peu de rêves, ils sont brefs et crus.
cement que la grossesse n’obéisse pas à la Les fantasmes et souvenirs sont rares. En
programmation précise du couple. Les suc- revanche, les patientes aiment poser un pro-
cès avec leurs “grossesses surprises” relève- blème, réfléchir, amorcer à travers la com-
raient du même mécanisme. préhension psychologique une forme sup-
plémentaire de maîtrise. Dominer ou en
L’inconception pourrait donc se définir tout cas ne pas s’abandonner sont des exi-
comme un concept assez général, au carre- gences structurelles. On peut insister sur le
four de différentes modalités dynamiques refus de la passivité. Ce qui peut apparaître
comme narcissisme phallique, très souvent
se révèle moins lié à l’envie du pénis qu’à la
haine d’une passivité qui soumettrait le sujet
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à la mère omnipotente, en l’absence d’in-
PAIEMENT SÉCURISÉ vestissement de la dimension paternelle.
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C’est la carence du rôle du père, le défaut
INTERNET de la “censure de l’amante” qui explique la
persistance d’un lien pathologique mère-
■ ABONNEMENT fille. Le bébé inconcevable ne serait pas l’en-
fant du père ; l’hypothèse oedipienne
■ COMMANDE DE NUMÉROS semble réfutée. Ce serait le bébé de la mère,
fait à elle ou par elle, souvent dans le projet
■ COMMANDE DE LIVRES de la conscient de la satisfaire ou la restaurer nar-
COLLECTION CARNET PSY cissiquement. Un investissement excessif de
l’idéal social et de la maîtrise empêche chez
nos patientes toute phase de désorganisa-
tion qui serait créatrice de nouveau.
43

Le double sens du terme inconception


s’applique donc totalement. Concevoir un Entretien avec
enfant, comme concevoir une pensée,
suppose la capacité d’abandonner la maîtrise MICHEL DE M’UZAN
et le fonctionnement ordonné du corps par DOMINIQUE CUPA
physiologique, pour laisser se produire à
l’intérieur de soi un bouleversement inconnu,
d’où émergera du nouveau : pensée, oeuvre “Je suis, et comme irrésistiblement, reporté
ou enfant. Dans l’inconception, l’enfant à à une scène de mon enfance : je voyais le
naître apparaît comme impossible à repré- clavier du piano, devant lequel je me tenais,
senter - chaos terrifiant - ou comme repro- partir, s’éloigner indéfiniment, comme
duction du connu, double de soi-même, tout observé à travers des jumelles renversées,
aussi inacceptable. sans pour autant rien en perdre de la
précision de son dessin. Fasciné mais
Un aspect du travail analytique sera de tranquille, j’entretenais l’expérience
permettre à la patiente “d’apprivoiser” ses cependant qu’un espace de silence absolu se
productions psychiques, pour favoriser la déployait alentour implacablement et que
constitution progressive d’un espace inter- les minutes cessaient de s’engendrer.”
médiaire, aire transitionnelle où jouer avec M. de M’Uzan
les représentations, espace pour progressive-
Dominique Cupa : Cher Michel de M’Uzan,
ment concevoir, laisser émerger en soi un
merci d’avoir accepté cet entretien pour
enfant ou une oeuvre inconnue. C’est le n o t re dossier sur “La psychosomatique
réinvestissement d’un cadre contenant, à contemporaine”. Vous êtes à l’origine de
travers la réceptivité de l’analyste, qui l’Ecole de Psychosomatique française avec
permettra la guérison de la stérilité. Les P. Marty et M. Fain, pouvez-vous
interprétations psychanalytiques, en séance, m’expliquer d’abord ce qui vous a conduit à
doivent éviter au début de porter sur le la psychosomatique ?
sentiment de castration pour se limiter long-
temps à l’analyse de la blessure narcissique. Michel de M’Uzan : C’est au cours de ma
La réintroduction du père libère la fertilité formation analytique, après la scission de
de la patiente, sans que pour autant, la riva- 1953. A cette époque, P. Marty et M. Fain
lité oedipienne avec la mère puisse encore avaient en charge l’enseignement de la psy-
être représentée. Ailleurs la peur de l’enfant, chosomatique à l’Institut de Psychanalyse.
support des projections de parties destruc- J’ai fréquenté leur séminaire alors que j’avais
trices de soi, semble trop ancrée pour qu’elle commencé parallèlement, et peu de temps
puisse être dépassée puisque “ce sera lui ou auparavant, à travailler avec S. Bonfils qui
moi”. Le renoncement s’effectue, autre était l’assistant du Pr. A. Lambling, chef du
solution acceptable résumée dans l’affirma- service de gastro-entérologie de l’hôpital
tion : “soigner une stérilité n’est pas Bichat à Paris. Il souhaitait coopérer avec un
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forcément donner naissance à un enfant”. “psy”. Je suis entré dans le service en tant
que chercheur au CNRS. C’était intéressant
La notion de stérilité psychosomatique peut dans la mesure où deux voies en psychoso-
donc être admise mais en soulignant une matique s’ouvraient à cette occasion, d’une
spécificité de l’incarnation du refus incons- part, celle qui nous est assez familière à nous
cient dans le corps. Aussi est-il particulière- analystes, c’est-à-dire une psychosomatique
ment utile, si on veut éviter l’escalade théra- “ambulatoire” et d’autre part, la voie d’une
psychosomatique que nous saisissons dans
peutique avec sa violence sur le corps, d’en-
les services hospitaliers et que j’appelle une
gager ces femmes dans un travail avec un
psychosomatique lourde, comme nous
psychanalyste.
parlons de psychiatrie lourde. Les malades
avec lesquels nous travaillons à l’hôpital
Sylvie Faure-Pragier
n’ont presque aucun rapport, au stade où ils
Psychanalyste, S.P.P.
en sont, avec ceux que nous observons dans
notre clientèle privée ou institutionnelle.
Les patients hospitalisés dans ce service
souffraient de pathologies très graves, voire
mortelles, justifiant souvent la chirurgie.

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