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INTRODUCTION GÉNÉRALE À LA MISOGYNIE OU BREF PARCOURS SUR

UN CHAMP DE SAVOIR

Jacques Letondal

Érès | « Le Coq-héron »

2008/3 n° 194 | pages 9 à 16


ISSN 0335-7899
ISBN 9782749209999
DOI 10.3917/cohe.194.0009
Article disponible en ligne à l'adresse :
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Dossier
De la misogynie

Jacques Letondal

Introduction générale à la misogynie


ou bref parcours
sur un champ de savoir
Définitions

« La misogynie est un sentiment d’hostilité, de dédain qu’éprouvent cer-


tains individus à l’égard des femmes. La plupart du temps les misogynes sont
des hommes, mais une femme peut aussi être misogyne. C’est l’une des deux
formes de sexisme. La forme opposée est la misandrie » (Wikipédia).
« La misogynie pourrait être le résultat de la peur de la femme. En effet,
un mécanisme pour lutter contre la peur de quelque chose est d’ignorer ou de
minimiser l’objet de notre peur, et en tout cas, de mettre à l’écart cet objet,
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d’être méfiant à son égard ou de le contrôler » (Wikipédia).
On peut aussi distinguer :
– une misogynie sociale institutionnelle qui pense la femme incapable de rem-
plir des fonctions plus ou moins importantes ;
– une misogynie des représentations dévalorisées-dévalorisantes de la femme
en général qui la présente comme dangereuse ;
– une misogynie en colère, active, devenant agressive, en particulier dans les
couples.

Hypothèse générale

Nous pouvons mettre en parallèle la misogynie inconsciente individuelle


et la misogynie culturelle, en particulier dans les anciens mythes qui, depuis la
fin du IVe millénaire av. J.-C., avec la sédentarisation et la naissance des
royaumes, marquent un tournant dans la vision humaine du cosmos et de ses
mythes.
Notre vaste hypothèse est qu’il y a une analogie entre l’évolution de
l’image de la femme-mère chez l’enfant et dans la naissance des civilisations.
Dans ces deux genèses on peut voir les incidences de la peur de la mauvaise

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Le Coq-Héron 194 mère ou de la dangereuse déesse, peur qui va conduire à l’instauration d’un
rapport de dominance masculine sur le plan socioculturel, qui pourra amener
à des conduites soit d’inhibition, soit de violence sur les plans domestique et
sexuel, et qui, de toute façon, sera source d’ambivalence.
Sur le plan psychanalytique, il nous paraît fondamental d’insister sur la
peur, sous-jacente à toutes les formes de misogynie. L’hypothèse de Wikipédia
est cliniquement vérifiée par la psychanalyse et par notre connaissance
actuelle des débuts de la vie psychique de l’enfant naissant qui se construit
ontogénétiquement un double phantasme concernant la mère et, par extension,
de toute femme, au niveau de l’inconscient et du préconscient.
Dans ce numéro et ce cahier sur la misogynie, nous publions des articles
qui traitent de quelques aspects de la vaste question de la misogynie mais qui
sont loin d’en traiter tous les aspects.
Aussi voudrions-nous, au préalable, brosser un tableau d’ensemble de la
question de la misogynie dans l’inconscient individuel et dans l’histoire cul-
turelle de l’humanité.

Première partie
Les origines inconscientes de la misogynie individuelle

Nous voudrions rappeler, tout d’abord, ce que nous avons déjà exposé et
écrit sur le « traumatisme de la naissance », qui n’est pas le traumatisme de
l’accouchement, mais le vécu du nouveau-né jeté, démuni, dans un monde
chaotique avec alternance de moments de quasi-fusion avec la mère et de
moments de détresse-angoisse (hilflosigkeit) ; angoisse de chute dans le vide,
angoisse de morcellement ou de liquéfaction, dont la mère toute-puissante est
forcément la cause par son absence.
Ce vécu traumatique et les fantasmes qu’il engendre sont clairement évo-
qués dans un texte très bien condensé de Jeanine Chasseguet-Smirgel sur la
« Mère toute-puissante » :
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La Mère toute-puissante
Ruth McBrunswick, dans son article écrit en collaboration avec Freud, « La phase
préœdipienne du développement libidinal », insiste sur le caractère tout-puissant de
l’imago maternelle primitive… L’enfant reçoit fatalement, du fait de sa dépendance
totale de « la mère toute-puissante, capable de tout et qui possède tous les attributs de
valeur », des blessures narcissiques qui accroissent énormément son hostilité.
Je pense en effet que l’enfant des deux sexes a, de la meilleure et de la plus tendre
des mères, une image terrifiante dans l’inconscient, résultant de l’hostilité projetée sur
elle du fait de sa propre impuissance (une fois que les frustrations l’ont fait sortir du
stade narcissique primaire). Cette image dotée de toute la panoplie symbolique de la
puissance mauvaise n’exclut pas au reste l’existence d’une imago de toute-puissance
tutélaire (la sorcière et la fée), l’une prenant le pas sur l’autre selon les aléas du déve-
loppement du sujet et les traits réels de l’objet.
Mais l’impuissance primaire de l’enfant, les caractères intrinsèques de sa condition
psychophysiologique, les entraves inévitables de l’éducation, font que l’imago de la
bonne mère toute-puissante ne recouvre jamais l’image de la terrifiante omnipotence de
la mauvaise mère.
dans Chasseguet-Smirgel Janine, La sexualité féminine,
Petite Bibliothèque Payot, 1982, p. 171.

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Cette image inconsciente dont parle Janine Chasseguet-Smirgel, nous la De la misogynie


qualifierons de « fantasme ». Ce terme sera utilisé dans ce sens dans la théo-
rie psychanalytique de Melanie Klein largement étayée par la clinique.
Le règne du fantasme (et de l’ambivalence…) selon Melanie Klein
(Hanna Segal, Introduction à l’œuvre de Melanie Klein, p. 6-13) :
– « Les fantasmes inconscients sont ubiquitaires et toujours actifs. »
– « Un fantasme inconscient est l’expression mentale des pulsions, il accom-
pagne et exprime une incitation pulsionnelle. »
– « Le fantasme n’est pas seulement une fuite devant la réalité, mais un
accompagnement permanent et inévitable du vécu réel, avec lequel il est en
constante interaction. »
– « De fait, l’entourage joue un rôle d’une extrême importance. »

Étapes

1. Culpabilité, soumission chez le nourrisson avec refoulement de la haine


destructrice.
2. Dans le retour du refoulé émerge la misogynie : double mouvement.
3. Bipolarité réactionnelle au fantasme de la « mauvaise mère » : entre la peur
et l’inhibition d’une part, la colère et la violence d’autre part, en fonction des
alternances de l’interaction entre le fantasme et le vécu.
4. Devant le fantasme terrifiant :
– ou la peur-fuite-inhibition : cf. nouvelle de Henry James, La Bête dans la
jungle ; voir l’article de Jacqueline Rousseau-Dujardin.
– ou la peur-dévalorisation-domination pouvant aller jusqu’à la violence (mal-
traitance ou meurtre), violence bien connue des services sociaux et des tribu-
naux.
Autre séquence qui va de l’image de la mère toute-puissante à la décou-
verte (tardive ?) par le garçon de l’absence de pénis de la mère – la
revanche… ?
Nous ne pouvons terminer l’évocation des origines inconscientes de la
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misogynie sans évoquer le point important des découvertes progressives de la
psychanalyse, montrant que pour tout homme qui a eu une mère, la femme
évoque une puissance d’enveloppement psycho-corporel et affectif. Cette
capacité de contenance, l’individu qui grandit et se développe se l’approprie ;
il construit ses propres enveloppes et y trouve sa sécurité et son assurance.
Mais cette appropriation est souvent fragile ou fragilisée ; tout homme (et
toute femme) est vulnérable à une régression qui le rend nourrisson dans les
bras d’une femme et donne à celle-ci une possibilité d’emprise qui fait si peur
qu’elle peut pousser l’homme à maîtriser la femme pour mieux se maîtriser
lui-même. Il s’agit évidemment d’une peur imaginaire inconsciente qui peut
être plus ou moins surmontée dans des conditions « suffisamment bonnes » !
Le « fantasme » de la mère terrifiante demanderait aussi un examen par-
ticulier de la peur de la mère dévorante (mais aussi de la mère anale-sadique
et de la mère séductrice incestueuse).
Enfin, évoquons brièvement le Freud de « Motif du choix des trois cof-
frets » :
On pourrait dire que ce sont les trois relations inévitables de l’homme à la femme
qui sont ici représentées : la génitrice, la compagne et la destructrice. Ou bien les trois
formes par lesquelles passe pour lui l’image de la mère au cours de sa vie : la mère elle-

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Le Coq-Héron 194 même, l’amante qu’il choisit à l’image de la première, et pour terminer, la terre mère,
qui l’accueille à nouveau en son sein. Mais c’est en vain que le vieil homme cherche à
ressaisir l’amour de la femme, tel qu’il l’a reçu d’abord de la mère ; c’est seulement la
troisième des femmes du destin, la silencieuse déesse de la mort, qui le prendra dans ses
bras. (L’inquiétante étrangeté et autres essais, Paris, Gallimard, NRF, 1985). Ici, c’est la
peur-inhibition de Freud ?

Deuxième partie
Ancrage culturel de la misogynie

La mythologie des temps historiques serait-elle misogyne ? Oui, pour


deux raisons :
– premièrement, la préhistoire et l’histoire des mythes nous révèlent un détrô-
nement de la Grande Déesse originelle pour donner le pouvoir dans les cieux
aux dieux mâles. Le mythe préhistorique de la Grande Déesse ;
– deuxièmement, elle minimise le rôle de génitrice de la femme et met l’ac-
cent sur son rôle nourricier.
En conséquence, elle justifie la domination masculine.
Pourtant cette « histoire » des mythes et croyances est loin d’être linéaire.
Il y aura des ambivalences, même si culturellement la domination masculine
s’installe partout depuis la sédentarisation des humains (fin du Néolithique).
Mais, aussi, la mythologie, avec ses déesses négatives, malfaisantes, est
utilisée par la misogynie pour dresser un portrait négatif de la femme.

Le mythe préhistorique de la Grande Déesse

On se souvient du livre de Bachofen et de sa thèse sur le matriarcat. Cette


thèse a été battue en brèche et on a estimé que le matriarcat n’avait jamais
existé ; néanmoins, on trouve certains traits matriarcaux dans certaines civili-
sations isolées proches des chasseurs-cueilleurs ; on trouve également des
civilisations matrilinéaires se perpétuant parfois à l’intérieur de civilisations
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patriarcales.
Mais s’il n’y a pas eu de matriarcat, nous avons pourtant les traces d’un
important culte de la Grande Déesse dans la préhistoire.
Il a fallu l’ouvrage magistral de Marija Gimbutas, une Lituanienne, pro-
fesseur en Californie, intitulé Le langage de la déesse (Des femmes-Antoi-
nette Fouque), pour imposer l’image d’un culte dominant de la Grande Déesse
(en Europe et au Moyen-Orient), jusqu’à la fin du Néolithique.
Nous sommes bien obligé, ici, de repérer un mécanisme de résistance. En
France en particulier, l’ouvrage de Marija Gimbutas a mis beaucoup de temps
à être traduit et publié en français (en 2006, alors que la 1re édition anglaise
est de 1974 !). Celle-ci ne parle d’ailleurs pas de matriarcat, mais de « gyla-
nie », pour qualifier la structure sociale où les deux sexes sont égaux, selon
Gimbutas (pourtant tout ce qui est phallique appartient à la Grande Déesse !
L’amant de la grande prêtresse doit être sacrifié… Élément tardif ?).
L’hypothèse de Gimbutas n’est pas le fruit d’une position gratuite et idéo-
logique ; elle repose sur l’examen de milliers de figurations sur un matériau
archéologique abondant ; or 90 % des représentations humaines figurent un
corps féminin mythique… On a l’impression que certains anthropologues
français ne veulent rien savoir de la démonstration de l’auteur ! Celle-ci tente

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d’utiliser également une méthode d’ethnologie comparée, d’une vision de la De la misogynie


préhistoire de l’homme nomade, vivant en petit groupe solidaire (ex. Bochi-
mans et Pygmées). Estimation de six millions d’humains sur toute la Terre
avant la sédentarisation et passage en quelques siècles à cent millions ! (On
trouvera une reconstitution intéressante de cette vie tribale préhistorique, ni
matriarcale ni patriarcale, dans le roman de Jean M. Auel, Les enfants de la
terre.)

La Grande Déesse détrônée par les dieux patriarcaux

Pour l’étude de ce phénomène, nous avons été guidé par Françoise Gange
(Les dieux menteurs, Indigo, 1998, version revue et corrigée, Tournai, 2002 ;
Avant les dieux, la Mère universelle, Alphée, 2006). Celle-ci nous montre à
travers les plus anciens mythes la mise sous tutelle de la Grande Déesse par
les dieux patriarcaux, faisant suite à la sédentarisation progressive des popu-
lations humaines. Sa démonstration à partir de l’Épopée de Gilgamesh est par-
ticulièrement éloquente (plus de 200 pages).
Résumé : Gilgamesh, roi bâtisseur des remparts d’Ourouk (vers 2800 av.
J.-C.), fils de déesse, est un personnage violent et ses sujets s’en plaignent ; la
déesse, à partir de l’argile crée un homme sauvage, Enkidu, capable d’affron-
ter Gilgamesh (et dont on se plaint aussi). Il est d’abord séduit et « humanisé »
par une courtisane qui lui fait rencontrer Gilgamesh. Après une lutte tita-
nesque, ils tombent dans les bras l’un de l’autre et se jurent une amitié éter-
nelle. Puis, curieusement, ils se mettent à attaquer, à détruire les principaux
symboles du culte de la Grande Déesse (le taureau, la forêt sacrée, etc.) et plus
ou moins indirectement la Grande Déesse elle-même, exilée aux enfers, jus-
qu’à ce qu’elle accepte de devenir l’épouse soumise du grand dieu mâle.
Enkidu mourra et Gilgamesh partira à la quête de l’immortalité.
On retrouvera dans l’analyse de Françoise Gange de nombreux éléments
culturels qui vont signer la domination culturelle de l’homme sur la femme
pendant plus de cinq mille ans, donnant à la misogynie une base quasi méta-
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physique (Aristote et le rôle de la femme dans la reproduction).
Françoise Gange analyse aussi les bases bibliques et égyptiennes de la
domination masculine.

Nous voudrions nous arrêter un instant à l’effarante mythologie grecque


sur l’origine de la femme telle qu’on la trouve dans la Théogonie et dans Les
travaux et les jours d’Hésiode.
Rappel : Prométhée ayant volé le feu à Zeus pour le transmettre aux
humains, Zeus en colère châtiera Prométhée mais aussi les humains ; ces der-
niers seront punis par l’envoi d’une femme piège, Pandore, cf. Théogonie, vers
565 à 613 (la séductrice toujours insatisfaite) ; Les travaux et les jours, vers
42 à 106 (la curieuse qui ouvre la jarre de tous les malheurs).
Le fondateur d’Athènes est autochtone, né du sol d’Athènes, comme tout
citoyen masculin d’Athènes (Nicole Loraux, Les enfants d’Athéna, Seuil,
Point n° 214, 1990).
Quel déni d’origine ! (comme dans la Bible) dans le refoulement du trau-
matisme de la naissance).

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Le Coq-Héron 194 Mais, comme en témoigne Jean Markale, le culte de la Grande Déesse
resurgit sous des formes diverses tout au long de l’histoire humaine.
Le culte d’Astarté au Moyen-Orient (issue de l’Ishtar babylonienne),
avec ses prêtresses « prostituées » sur les collines, combattu par les Prophètes
juifs de la Bible, et qui s’est perpétué jusqu’à Josias (639-609 av. J.-C.) cf.
Jean Markale op. cit. (la Grande Déesse d’Éphèse ?)
Nous pourrions également évoquer d’autres phénomènes, les diabolisa-
tions de la Grande Déesse : Lilith, le Dragon, la Méduse, les Érinyes-Eumé-
nides, Kali et toutes les sorcières !

Mais, aujourd’hui, où allons-nous ?


Tendance actuelle à ériger la Nature en « mère universelle » ? L’œuvre de
Gimbutas serait-elle un signe d’évolution, de relativisation des structures
patriarcale ? Recul des mythologies patriarcales (sauf dans les mono-
théismes) ? Relative violence dans une partie du mouvement féministe !
Certains auteurs soulignent que l’égalité des sexes n’est pas absente de
l’histoire humaine, comme à la préhistoire ou dans la civilisation égyptienne
(Olivier Postel-Vinay).

La peur de la femme en Occident

La misogynie sociale a donc traversé l’histoire des civilisations


anciennes. Mais nous ne pouvons pas passer sous silence l’histoire de la peur
de la femme en Europe, en Occident. Pour aborder ce sujet, nous disposons de
l’œuvre magistrale de Jean Delumeau : La peur en Occident, Fayard, 1978,
toujours d’actualité. Bien que cet ouvrage soit centré sur la période allant du
XVIe au XVIIIe siècle, l’auteur fait remonter la peur de la femme aux origines du
christianisme et au-delà, dans le patriarcat.
Le christianisme, à la suite de saint Paul, s’est méfié de la femme et l’a
voulue soumise à l’homme. La femme et la sexualité sont ensemble diaboli-
sées : Jean Delumeau, op. cit., chapitre X, « Les agents de Satan » : III « La
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femme », p. 399-449). Delumeau fait même état de la pensée psychanalytique
actuelle en disant que « les racines de la peur de la femme chez l’homme sont
plus nombreuses et complexes que ne l’avait pensé Freud qui la rattachait plu-
tôt à la crainte de la castration. » On la rattacherait aujourd’hui au mystère de
la sexualité féminine, cachée et tourmentée, puissance de la maternité, puis-
sance étouffante de contenance et d’enveloppement affectif, projetée sur
toutes les femmes.
« Le christianisme a donc très tôt intégré la peur des femmes, et a,
ensuite, agité cet épouvantail jusqu’au seuil du XXe siècle. »
Delumeau nous montre comment, du XVIe au XVIIIe siècle, l’enseignement
religieux, la prédication, la théologie, la législation religieuse et même civile
ont enfermé la femme dans la soumission.

La misogynie au quotidien dans notre monde actuel

De la dévalorisation de la femme (dans un statut de mineure, en France,


jusqu’en 1944)…

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« C’est parce que je suis née de sexe féminin que je n’ai été autorisée à voter qu’à De la misogynie
24 ans, en 1944. C’est parce que je suis née de sexe féminin que je n’ai pas eu le droit
de rentrer à Polytechnique ou à l’Académie française (avant d’être une vieille dame), ni
d’ouvrir un compte en banque sans l’autorisation d’un père ou d’un mari » Benoîte
Groult (Le Monde, mercredi 11 avril 2007, p. 20).
à la violence faite aux femmes dans notre société actuelle :
Documents : Les violences domestiques, familiales :
L’Organisation mondiale de la santé affirme que les maris, ex-maris et
compagnons sont responsables de la moitié des morts violentes de femmes
dans le monde.
L’enquête nationale sur les violences envers les femmes en France, faite
par entretiens téléphoniques, a révélé que :
– dans les douze derniers mois (en 1999) 4 % des femmes ont été victimes
d’agressions physiques, dont 0,3 % de viol (soit 48 000 femmes) ;
– dans les douze derniers mois, 13,3 % des femmes ont subi des agressions
verbales dans l’espace public, 5,2 % ont été suivies de faits, 1,9 % ont subi des
« avances non désirées » et des agressions sexuelles ;
– dans les douze derniers mois, 2,7 % des femmes ont été victimes d’agression
physique au travail ;
– dans les douze derniers mois, 9,5 % des femmes en couple au moment de
l’enquête et 30,7 % des femmes qui n’étaient alors plus en couple ont subi des
violences conjugales (insultes, chantage affectif, pressions psychologiques,
agressions physiques et viols) ;
– au cours de la vie, 17,8 % des femmes ont subi des agressions physiques
après 18 ans. 8 % ont subi des viols et tentatives de viols. Peu de plaintes et
peu de poursuites, et encore moins de condamnations.

Conclusion

Le fait de la misogynie sociale a donc traversé l’histoire des civilisations


et reste présent malgré une évolution socioculturelle récente en Occident dont
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nous ne pouvons encore mesurer les effets, et qui n’annule pas les représenta-
tions imaginaires inconscientes ou « fantasmes ». Pourrait-il y avoir une
régression ? La misogynie individuelle peut-elle être atténuée, combattue ?
Peut-on différencier différence corporelle des deux sexes homme/femme et
bisexualité de tous les individus hommes ou femmes dans des proportions
variant à l’infini ? Comment ne pas se poser la question du « qu’y faire ? »
De la cure analytique comme nouvelle naissance (Otto Rank).
De l’importance de l’éducation et de la construction d’une nouvelle
paternité, dans la création de nouvelles complémentarités :
– dans la vie familiale comme un système d’interaction ;
– dans la mythologie sociale : travail sur l’imaginaire (comme les contes de
fées pour les enfants !).
Mais ne reste-t-il pas, toujours, une part « irréductible » inconsciente de
la peur misogynique qui pourrait se réveiller, une fragilité ontogénétique ?

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Le Coq-Héron 194 Bibliographie suggestive

BRIL, J. 1998. La mère obscure, Lilith, L’esprit du temps.


CHARPIN, F. 2001. Le féminin exclu, essai sur le désir des hommes et des femmes dans la
littérature grecque et latine, préface de Julia Kristeva, Michel de Maule.
CHASSEGUET-SMIRGEL, J. 1982. La sexualité féminine, Petite Bibliothèque Payot, n° 147
(p. 171-182 : « La Mère toute-puissante »).
CHASSEGUET-SMIRGEL, J. 2003. Le corps comme miroir du monde, Paris, PUF (« Réinvention
de la misogynie », p. 75-98).
CICCONE, A. ; LHOPITAL, M. 2001. Naissance à la vie psychique, Paris, Dunod, 2e édition.
COURNUT, J. 2002. « Pourquoi les hommes ont peur des femmes », Paris, PUF, « Le fil
rouge ».
DELUMEAU, J. 2006. La peur en Occident, Fayard, 1978, « Pluriel », Hachette, chap. X « Les
agents de Satan », III : « La femme » p. 398-449.
FROMM, E. 1973. La crise de la psychanalyse, Denoël (« La théorie du matriarcat », chap. VI
et VII).
GANGE, F. 2006. Avant les dieux, la Mère universelle, Éditions Alphée.
GIMBUTAS, M. 2006. Le langage de la déesse, Des femmes-Antoinette Fouque.
HEFEZ, S. 2007. Dans le cœur des hommes, Hachette Littératures.
LORAUX, N. 1990. Les enfants d’Athéna, Idées athéniennes sur la citoyenneté et la division
des sexes, Paris, Le Seuil (« Points », n° 214).
MARKALE, J. 1997. La grande déesse. Mythes et sanctuaires, Paris, Albin Michel.
MARUANI, M. (sous la direction de). 2005. Femmes, genre et sociétés, l’état des savoirs,
Paris, La Découverte.
ROUSSEAU-DUJARDIN, J. 2006. Orror di femmina. La peur qu’inspirent les femmes, Presses
universitaires de Vincennes.
RUBIN, G. 1977. Les sources inconscientes de la misogynie, Robert Laffont (en particulier
« Les dents et le sang », p. 266-307).
SEGAL, H. 1969. Introduction à l’œuvre de Melanie Klein, Paris, PUF, chap. I : « Le
fantasme ».
SCHNEIDER, M. 2000. Généalogie du masculin, Aubier (« Paternité paradoxale, la lutte
contre le monstre maternel », p. 273 et s.).
SHAHKRUKH, H. 1998. La grande déesse mère, Paris, Albin Michel.
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TORT, M. 2005. La fin du dogme paternel, Aubier.
Topique, n° 96. 2006. « Vers les monothéismes ».
Voir aussi notre article : « Une source méconnue de l’“irréductible” cruauté humaine : le
traumatisme de la naissance », Le Coq-Héron, n° 181, juin 2005.

Film : Water de Deepa Metha (2006)

Pour une réflexion critique sur Bachofen et le mythe du « matriarcat originaire » voir :
DUROUX, Françoise, « Les avatars du Mutterrecht », Revue internationale d’histoire de la
psychanalyse, n° 4 (1991), PUF, p. 525-542.
JUILLERAT, Bernard, « Penser l’imaginaire. Essais d’anthropologie psychanalytique, chap. 5,
« Une odeur d’homme », Évolutionnisme mélanésien et mythologie anthropologique
à propos du matriarcat, p. 135-154, Payot, Lausanne, 2001.

Autres références : Revanche ou évolution ?

AUEL, J.M. 2002. La saga des Enfants de la Terre, Omnibus.


POSTEL-VINAY, O. 2007. La revanche du chromosome X. Enquête sur les origines et le
devenir du féminin, J.-C. Lattès.

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