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Jacques Letondal
Érès | « Le Coq-héron »
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Dossier
De la misogynie
Jacques Letondal
Hypothèse générale
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Le Coq-Héron 194 mère ou de la dangereuse déesse, peur qui va conduire à l’instauration d’un
rapport de dominance masculine sur le plan socioculturel, qui pourra amener
à des conduites soit d’inhibition, soit de violence sur les plans domestique et
sexuel, et qui, de toute façon, sera source d’ambivalence.
Sur le plan psychanalytique, il nous paraît fondamental d’insister sur la
peur, sous-jacente à toutes les formes de misogynie. L’hypothèse de Wikipédia
est cliniquement vérifiée par la psychanalyse et par notre connaissance
actuelle des débuts de la vie psychique de l’enfant naissant qui se construit
ontogénétiquement un double phantasme concernant la mère et, par extension,
de toute femme, au niveau de l’inconscient et du préconscient.
Dans ce numéro et ce cahier sur la misogynie, nous publions des articles
qui traitent de quelques aspects de la vaste question de la misogynie mais qui
sont loin d’en traiter tous les aspects.
Aussi voudrions-nous, au préalable, brosser un tableau d’ensemble de la
question de la misogynie dans l’inconscient individuel et dans l’histoire cul-
turelle de l’humanité.
Première partie
Les origines inconscientes de la misogynie individuelle
Nous voudrions rappeler, tout d’abord, ce que nous avons déjà exposé et
écrit sur le « traumatisme de la naissance », qui n’est pas le traumatisme de
l’accouchement, mais le vécu du nouveau-né jeté, démuni, dans un monde
chaotique avec alternance de moments de quasi-fusion avec la mère et de
moments de détresse-angoisse (hilflosigkeit) ; angoisse de chute dans le vide,
angoisse de morcellement ou de liquéfaction, dont la mère toute-puissante est
forcément la cause par son absence.
Ce vécu traumatique et les fantasmes qu’il engendre sont clairement évo-
qués dans un texte très bien condensé de Jeanine Chasseguet-Smirgel sur la
« Mère toute-puissante » :
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Étapes
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Le Coq-Héron 194 même, l’amante qu’il choisit à l’image de la première, et pour terminer, la terre mère,
qui l’accueille à nouveau en son sein. Mais c’est en vain que le vieil homme cherche à
ressaisir l’amour de la femme, tel qu’il l’a reçu d’abord de la mère ; c’est seulement la
troisième des femmes du destin, la silencieuse déesse de la mort, qui le prendra dans ses
bras. (L’inquiétante étrangeté et autres essais, Paris, Gallimard, NRF, 1985). Ici, c’est la
peur-inhibition de Freud ?
Deuxième partie
Ancrage culturel de la misogynie
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Pour l’étude de ce phénomène, nous avons été guidé par Françoise Gange
(Les dieux menteurs, Indigo, 1998, version revue et corrigée, Tournai, 2002 ;
Avant les dieux, la Mère universelle, Alphée, 2006). Celle-ci nous montre à
travers les plus anciens mythes la mise sous tutelle de la Grande Déesse par
les dieux patriarcaux, faisant suite à la sédentarisation progressive des popu-
lations humaines. Sa démonstration à partir de l’Épopée de Gilgamesh est par-
ticulièrement éloquente (plus de 200 pages).
Résumé : Gilgamesh, roi bâtisseur des remparts d’Ourouk (vers 2800 av.
J.-C.), fils de déesse, est un personnage violent et ses sujets s’en plaignent ; la
déesse, à partir de l’argile crée un homme sauvage, Enkidu, capable d’affron-
ter Gilgamesh (et dont on se plaint aussi). Il est d’abord séduit et « humanisé »
par une courtisane qui lui fait rencontrer Gilgamesh. Après une lutte tita-
nesque, ils tombent dans les bras l’un de l’autre et se jurent une amitié éter-
nelle. Puis, curieusement, ils se mettent à attaquer, à détruire les principaux
symboles du culte de la Grande Déesse (le taureau, la forêt sacrée, etc.) et plus
ou moins indirectement la Grande Déesse elle-même, exilée aux enfers, jus-
qu’à ce qu’elle accepte de devenir l’épouse soumise du grand dieu mâle.
Enkidu mourra et Gilgamesh partira à la quête de l’immortalité.
On retrouvera dans l’analyse de Françoise Gange de nombreux éléments
culturels qui vont signer la domination culturelle de l’homme sur la femme
pendant plus de cinq mille ans, donnant à la misogynie une base quasi méta-
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Le Coq-Héron 194 Mais, comme en témoigne Jean Markale, le culte de la Grande Déesse
resurgit sous des formes diverses tout au long de l’histoire humaine.
Le culte d’Astarté au Moyen-Orient (issue de l’Ishtar babylonienne),
avec ses prêtresses « prostituées » sur les collines, combattu par les Prophètes
juifs de la Bible, et qui s’est perpétué jusqu’à Josias (639-609 av. J.-C.) cf.
Jean Markale op. cit. (la Grande Déesse d’Éphèse ?)
Nous pourrions également évoquer d’autres phénomènes, les diabolisa-
tions de la Grande Déesse : Lilith, le Dragon, la Méduse, les Érinyes-Eumé-
nides, Kali et toutes les sorcières !
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« C’est parce que je suis née de sexe féminin que je n’ai été autorisée à voter qu’à De la misogynie
24 ans, en 1944. C’est parce que je suis née de sexe féminin que je n’ai pas eu le droit
de rentrer à Polytechnique ou à l’Académie française (avant d’être une vieille dame), ni
d’ouvrir un compte en banque sans l’autorisation d’un père ou d’un mari » Benoîte
Groult (Le Monde, mercredi 11 avril 2007, p. 20).
à la violence faite aux femmes dans notre société actuelle :
Documents : Les violences domestiques, familiales :
L’Organisation mondiale de la santé affirme que les maris, ex-maris et
compagnons sont responsables de la moitié des morts violentes de femmes
dans le monde.
L’enquête nationale sur les violences envers les femmes en France, faite
par entretiens téléphoniques, a révélé que :
– dans les douze derniers mois (en 1999) 4 % des femmes ont été victimes
d’agressions physiques, dont 0,3 % de viol (soit 48 000 femmes) ;
– dans les douze derniers mois, 13,3 % des femmes ont subi des agressions
verbales dans l’espace public, 5,2 % ont été suivies de faits, 1,9 % ont subi des
« avances non désirées » et des agressions sexuelles ;
– dans les douze derniers mois, 2,7 % des femmes ont été victimes d’agression
physique au travail ;
– dans les douze derniers mois, 9,5 % des femmes en couple au moment de
l’enquête et 30,7 % des femmes qui n’étaient alors plus en couple ont subi des
violences conjugales (insultes, chantage affectif, pressions psychologiques,
agressions physiques et viols) ;
– au cours de la vie, 17,8 % des femmes ont subi des agressions physiques
après 18 ans. 8 % ont subi des viols et tentatives de viols. Peu de plaintes et
peu de poursuites, et encore moins de condamnations.
Conclusion
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Pour une réflexion critique sur Bachofen et le mythe du « matriarcat originaire » voir :
DUROUX, Françoise, « Les avatars du Mutterrecht », Revue internationale d’histoire de la
psychanalyse, n° 4 (1991), PUF, p. 525-542.
JUILLERAT, Bernard, « Penser l’imaginaire. Essais d’anthropologie psychanalytique, chap. 5,
« Une odeur d’homme », Évolutionnisme mélanésien et mythologie anthropologique
à propos du matriarcat, p. 135-154, Payot, Lausanne, 2001.
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