Vous êtes sur la page 1sur 29

FAIRE LE GENRE

Candace West, Don H. Zimmerman, Traduction de l’anglais (américain) par


Fabienne Malbois

Éditions Antipodes | « Nouvelles Questions Féministes »

2009/3 Vol. 28 | pages 34 à 61


ISSN 0248-4951
ISBN 9782889010264
DOI 10.3917/nqf.283.0034
Article disponible en ligne à l'adresse :
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
https://www.cairn.info/revue-nouvelles-questions-feministes-2009-3-page-34.htm
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Distribution électronique Cairn.info pour Éditions Antipodes.


© Éditions Antipodes. Tous droits réservés pour tous pays.
© Éditions Antipodes | Téléchargé le 01/03/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.251.119.248)

© Éditions Antipodes | Téléchargé le 01/03/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.251.119.248)


La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les
limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la
licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie,
sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de
l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage
dans une base de données est également interdit.

Powered by TCPDF (www.tcpdf.org)


Faire le genre *

Candace West et Don H. Zimmerman **

Au début, il y avait le sexe et il y avait le genre. Celles et ceux d’entre


nous qui, à la fin des années 1960 et au début des années 1970, donnèrent
des cours dans le domaine distinguaient ces notions avec beaucoup de
soin. Le sexe, disions-nous aux étudiant·e·s 1, est ce qui est imputable à la
biologie: l’anatomie, les hormones et la physiologie. Le genre, ensei-
gnions-nous, est un statut acquis: il est ce qui est construit par le truche-
ment du psychologique, du culturel et du social. Pour présenter la diffé-
rence entre les deux, nous alignions les unes après les autres les études de
cas singulières sur les hermaphrodites (Money, 1968, 1974; Money et Ehr-
hardt, 1972) et les enquêtes anthropologiques portant sur d’«étranges et
exotiques tribus» (Mead, 1963, 1968).

Inévitablement (et comme on pouvait s’y attendre), la confusion dans


laquelle baignaient nos étudiant·e·s à la fin de chaque semestre augmentait
au fil des semaines. Dans le contexte des recherches qui illustraient le
caractère parfois ambigu et souvent conflictuel des critères conduisant à la
détermination du sexe, il devenait difficile de considérer ce dernier comme
un «donné». Et dans le contexte des impératifs anthropologiques, psycho-
© Éditions Antipodes | Téléchargé le 01/03/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.251.119.248)

© Éditions Antipodes | Téléchargé le 01/03/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.251.119.248)


logiques et sociaux que nous étudiions – la division du travail, la forma-
tion des identités de genre, et la subordination sociale des femmes par les
hommes –, le genre apparaissait de moins en moins comme quelque chose
d’«acquis». En outre, la thèse la plus répandue parmi les théories sur la
socialisation selon le genre transmettait le message fort selon lequel le
genre, tout «acquis» qu’il était, se fixait probablement à l’âge de 5 ans,
devenant dès lors invariant et statique – tout comme le sexe.

* Candace West et Don H. Zimmerman (1987). E. Schneider, Barrie Thorne, Thomas P. Wilson, et
«Doing gender». Gender and Society, 1 (2), 125-151. plus particulièrement Sarah Fenstermaker Berk.
©1987 Sage Publications, Inc. Cet article est traduit 1. N.d.t.: Par principe, NQF a adopté et promeut la
avec l’aide de la rédaction de la revue Gender and féminisation du langage. Cette traduction met en
Society et l’aimable autorisation des auteur·e·s. œuvre cette politique partout où cela est possible
Nous remercions l’éditeur, qui nous a cédé gratuite- et souhaitable, tout en se réservant par endroits de
ment les droits de reproduction (N.d.l.é). ne pas l’appliquer, c’est-à-dire quand la correction
** Cet article est en partie fondé sur un papier grammaticale pourrait oblitérer une question
présenté à la Rencontre annuelle de l’Association sociologique. Ainsi, quand des catégories telles
américaine de sociologie de septembre 1977 à Chi- que «ami», «conjoint» ou encore «citoyen» ne sont
cago. Pour leurs suggestions pertinentes et leurs pas féminisées, c’est paradoxalement pour traduire
aimables encouragements, nous remercions Lynda au mieux la réflexion que développent les
Ames, Bettina Aptheker, Steven Clayman, Judith auteur·e·s sur la catégorisation de sexe, envisagée
Gerson, feu Erving Goffman, Marilyn Lester, ici comme processus prenant place au sein d’une
Judith Lorber, Robin Lloyd, Wayne Mellinger, Beth interaction, au sens goffmanien du terme.

34. | NQF Vol. 28, No 3 / 2009


Édito Grand angle Champ libre | Parcours | Comptes rendus | Collectifs
Faire le genre
Candace West et Don H. Zimmerman

Dans les années 1975, la confusion avait gagné en intensité et s’était


diffusée bien au-delà de nos salles de classe. D’un côté, nous apprîmes que
les processus biologiques et culturels étaient liés entre eux de manière bien
plus complexe – et réflexive – que nous l’avions supposé au premier
abord (Rossi, 1984: 10-14 en particulier). De l’autre, nous découvrîmes que
certains arrangements structurels, entre le travail et la famille par exemple,
produisaient en réalité ou permettaient la formation d’un certain nombre
de capacités, notamment de maternage, que nous avions associées dans un
premier temps à la biologie (Chodorow, 1978, versus Firestone, 1970). Pour
couronner le tout, la notion de genre entendu comme quelque chose rele-
vant d’une acquisition par couches successives fut peu à peu abandonnée.

Cet article a pour objectif de proposer une appréhension ethnométho-


dologiquement informée – et par conséquent proprement sociologique –,
du genre, que nous comprenons comme un accomplissement routinier,
méthodique et récurrent. Nous avançons que le «faire» du genre est réalisé
par des femmes et des hommes dont les compétences de membres de la
société sont les otages de sa production 2. Accomplir le genre implique un
ensemble d’activités socialement orientées, qui ont trait au perceptuel, à
l’interactionnel et au micropolitique et qui modèlent des cours d’action
particuliers en expressions des «natures» masculine et féminine.

En considérant le genre comme un accomplissement, une propriété en


cours de réalisation de l’action située, nous nous éloignons de tout ce qui
touche de manière interne à l’individu pour focaliser notre attention sur les
arènes interactionnelles, sur tout ce qui relève, en dernière instance, de
© Éditions Antipodes | Téléchargé le 01/03/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.251.119.248)

© Éditions Antipodes | Téléchargé le 01/03/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.251.119.248)


l’institution. En un sens, bien sûr, ce sont les individus qui «font» le genre.
Mais il s’agit d’un faire situé, réalisé en la présence virtuelle ou réelle d’au-
tres individus qui sont présumés être orientés en direction de sa produc-
tion. Plutôt que comme une propriété des personnes, nous concevons le
genre comme un trait émergent des situations sociales: tout à la fois
comme étant un principe et une conséquence des divers arrangements
sociaux, et comme un moyen pour légitimer l’une des divisions les plus
fondamentales de la société.

Pour asseoir notre argument, nous mènerons un examen critique de ce


que les sociologues ont pu signifier par genre, y compris son traitement en
tant que performance d’un rôle, pris au sens conventionnel, et en tant que
«parade», dans la définition que Goffman (1976) a donnée à ce terme. Les
notions de rôle de genre et de parade de genre se focalisent toutes deux sur

2. N.d.t.: La notion de «membre», propre à des inférences, à raisonner à toutes fins pratiques.
l’ethno-méthodologie, est utilisée non pas telle- Ces compétences ou ces ethnométhodes sont indis-
ment pour faire référence à une personne, mais sociables du fait que les individus maîtrisent le
pour souligner le fait que les individus, de par leur langage naturel de la société dans laquelle ils et
appartenance à une communauté sociale donnée, elles vivent et possèdent, via cette maîtrise langa-
possèdent un certain nombre de compétences ordi- gière, une connaissance de sens commun de ses
naires à catégoriser, à classer, à expliquer, à faire structures sociales et us et coutumes.

NQF Vol. 28, No 3 / 2009 | 35.


les aspects comportementaux du fait d’être une femme ou un homme (en
opposition, par exemple, aux différences biologiques entre les deux).
Néanmoins, nous avançons que concevoir le genre comme un rôle masque
le travail qui est impliqué dans la production du genre dans les activités
courantes, tandis que le considérer comme une parade relègue ce travail à
la périphérie de l’interaction. Selon nous, les individus en interaction orga-
nisent leurs activités diverses et variées de manière à refléter ou à exprimer
le genre, et elles et ils sont disposé·e·s à percevoir les comportements d’au-
trui selon la même perspective.

En guise de préalable au développement de notre réflexion, nous sug-


gérerons de tenir compte d’une distinction importante mais souvent négli-
gée, celle entre sexe, catégorie de sexe et genre. Le sexe est une détermina-
tion établie au travers de l’application des critères biologiques socialement
admis pour classer les personnes en tant que femelles ou mâles 3. Le critère
de classification peut s’avérer être les organes génitaux à la naissance, ou
la détermination chromosomique après la naissance, et tous ces critères
peuvent ne pas concorder nécessairement l’un avec l’autre. La distribution
dans une catégorie de sexe est effectuée par l’application des critères de
sexe, mais dans la vie de tous les jours, la catégorisation est établie et
maintenue par les parades d’identification socialement requises qui procla-
ment l’appartenance à l’une ou l’autre des catégories. Dans ce sens, la caté-
gorie de sexe dont un individu est titulaire présume son sexe et l’incarne,
par procuration, dans beaucoup de situations, mais le sexe et la catégorie
de sexe peuvent varier indépendamment; autrement dit, il est possible de
revendiquer l’appartenance à une catégorie de sexe quand bien même les
© Éditions Antipodes | Téléchargé le 01/03/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.251.119.248)

© Éditions Antipodes | Téléchargé le 01/03/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.251.119.248)


critères de sexe manqueraient. Le genre, par contraste, est l’activité consis-
tant à gérer des cours d’actions situées à la lumière des conceptions nor-
matives des attitudes et des activités appropriées à la catégorie de sexe à
laquelle on appartient. Les activités de genre émergent des revendications
d’appartenance à une catégorie de sexe, et les renforcent.

Reconnaître l’indépendance analytique du sexe, de la catégorie de sexe


et du genre est, selon nous, essentiel pour appréhender la manière dont ces
trois éléments sont liés entre eux, ainsi que pour saisir le travail inter-
actionnel impliqué dans le fait d’«être» une personne genrée en société. Si
notre objectif principal est théorique, nous aurons l’occasion, après avoir
exposé notre conception du genre, de présenter quelques axes de recherche
qui pourraient être développés dans le cadre de travaux empiriques.

Commençons par une évaluation des définitions les plus répandues du


genre, en nous intéressant en particulier à la manière dont cette notion est
enracinée dans le biologique, origine communément admise des différences
entre femmes et hommes.

3. Cette définition sous-estime bien des complexi- est que la détermination de la classe de sexe d’un
tés du rapport entre biologie et culture (Jaggar, individu est un processus social de part en part.
1983: 106-113). Cependant, ce qu’il faut retenir ici

36. | NQF Vol. 28, No 3 / 2009


Édito Grand angle Champ libre | Parcours | Comptes rendus | Collectifs
Faire le genre
Candace West et Don H. Zimmerman

Conceptions du sexe et du genre

Dans les sociétés occidentales, il est socialement accepté que les femmes et
les hommes sont des catégories d’individus définies en nature et sans équi-
voque aucune (Garfinkel 1967, pp. 116-118), qui présentent des disposi-
tions comportementales et psychologiques distinctes pouvant être inférées
à partir des fonctions reproductives. Les membres adultes et compétents de
ces sociétés considèrent que les différences entre femmes et hommes sont
fondamentales et durables – des différences qu’attestent, en apparence, la
division des activités entre travail féminin et travail masculin et une diffé-
renciation entre des attitudes et des comportements féminins et masculins
si souvent méticuleuse qu’elle en devient un trait saillant de l’organisation
sociale. Les choses sont ce qu’elles sont en vertu du fait que les hommes
sont des hommes et les femmes des femmes – une division qui est perçue
comme étant naturelle et enracinée dans le biologique et qui aurait à son
tour de profondes conséquences psychologiques, comportementales et
sociales. Les arrangements structurels de la société sont censés répondre à
ces différences.

Les analyses du sexe et du genre en sciences sociales, bien qu’elles


soient moins susceptibles d’accepter sans réserve le déterminisme biolo-
gique naïf sous-jacent au point de vue présenté à l’instant, retiennent sou-
vent une conception du genre au sein de laquelle les comportements et les
caractéristiques liées au sexe sont considérées comme des propriétés essen-
tielles des individus (pour un état des lieux bien informé de la littérature,
voir Hochschild, 1973; Tresemer, 1975; Thorne, 1980; Henley, 1985).
© Éditions Antipodes | Téléchargé le 01/03/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.251.119.248)

© Éditions Antipodes | Téléchargé le 01/03/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.251.119.248)


L’«approche par les différences de sexe» [sex differences approach] (Thorne
1980) est plus communément attribuée aux psychologues qu’aux socio-
logues, mais le ou la chercheur·e qui, dans le cadre d’une enquête par
questionnaire, détermine le «genre» des répondant·e·s sur la base du son de
leur voix au téléphone effectue également une série de suppositions qui
prennent appui sur des traits individuels. Or, réduire le genre à une série
fixe de traits psychologiques ou à une «variable» discrète empêche l’exa-
men sérieux des façons dont il est utilisé pour structurer les différents
domaines de l’expérience sociale (Stacey et Thorne, 1985: 307-8).

Prenant un angle différent, la théorie des rôles a prêté attention à la


construction sociale des catégories de genre, ce qu’elle a appelé «rôles de
sexe» ou plus récemment «rôles de genre», et a analysé comment ceux-ci
sont appris et mis en œuvre. La théorie des rôles, qui a débuté avec Linton
(1936), puis s’est poursuivie dans les travaux de Parsons (Parsons, 1951;
Parsons et Bales, 1955) et Komarovsky (1946; 1950), a mis l’accent sur la
dimension sociale et dynamique de la construction et de la performance
des rôles (Thorne, 1980; Connell, 1983). Mais au niveau de l’interaction en
face-à-face, l’application de la théorie des rôles au genre pose des pro-
blèmes qui lui sont propres (pour des états bien informés et/ou critiques de
la littérature, voir Connell, 1983, 1985; Kessler, Ashendon, Connell et
Dowsett, 1985; Lopata et Thorne, 1978; Thorne, 1980; Stacey et Thorne,

NQF Vol. 28, No 3 / 2009 | 37.


1985). Les rôles sont des identités situées [situated identities] – endossées
ou abandonnées selon que la situation l’exige – plutôt que des identités
majeures [master identities] (Hughes, 1945), lesquelles, les catégories de
sexe en font partie, ne dépendent pas des situations. À la différence de la
plupart des rôles, tels que «infirmière», «médecin» et «patient» ou «profes-
seur» et «étudiant», le genre n’a en effet aucun site spécifique ou contexte
organisationnel.

En outre, nombre de rôles sont déjà marqués par le genre, de sorte que
des qualificatifs spécifiques – tels que «médecin femme» ou «garde-
malade homme» – doivent êtres ajoutés aux exceptions à la règle. Thorne
(1980) note que le fait de concevoir le genre comme un rôle rend difficile à
évaluer l’influence qu’il peut avoir sur les autres rôles, et réduit son pou-
voir explicatif relativement aux questions du pouvoir et des inégalités.
S’appuyant sur Rubin (1975), Thorne en appelle à une reconceptualisation
des femmes et des hommes comme groupes sociaux distincts, constitués
dans «des relations concrètes, socialement et historiquement situées – et
généralement inégales» (Thorne, 1980:11).

Selon nous, le genre n’est pas une série de traits individuels, ni une
variable, encore moins un rôle, mais le produit de faits et gestes sociaux
d’une certaine sorte. Qu’est-ce donc que ce faire social du genre? C’est plus
que la création continue de la signification du genre au travers des actions
humaines (Gerson et Peiss, 1985). Nous avançons que le genre lui-même
est constitué dans les interactions 4. Afin de développer les implications
d’une telle affirmation, tournons-nous maintenant vers ce que Goffman
© Éditions Antipodes | Téléchargé le 01/03/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.251.119.248)

© Éditions Antipodes | Téléchargé le 01/03/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.251.119.248)


(1976) a pu dire de la «parade de genre». Nous tâcherons en particulier
d’examiner dans quelle mesure il est possible de considérer que le genre est
montré ou (re)présenté dans les interactions de telle sorte qu’il apparaisse
comme quelque chose de «naturel», alors même qu’il s’agit d’une représen-
tation dont la production est socialement organisée.

La parade de genre
Selon Goffman, quand des êtres humains interagissent dans leur environ-
nement avec d’autres, ils assument que chaque individu possède une
«nature essentielle» – une nature qui peut être discernée à travers les
«signes naturels émis ou exprimés par eux» (1976: 75). La féminité et la
masculinité sont considérées comme étant «les prototypes d’une expression
essentielle – quelque chose qui peut être communiqué fugitivement dans
n’importe quelle situation sociale et qui a trait cependant à la caractérisation

4. Ce qui ne veut pas dire que le genre est une de sexe peuvent varier selon les cultures et les
«chose» singulière, omniprésente sous la même moments historiques, la gestion des conduites en
forme dans le temps ou dans chaque situation. situation peut prendre, à la lumière de ces attentes,
Dans la mesure où les conceptions normatives des des formes diverses et variées.
attitudes et des activités appropriées aux catégories

38. | NQF Vol. 28, No 3 / 2009


Édito Grand angle Champ libre | Parcours | Comptes rendus | Collectifs
Faire le genre
Candace West et Don H. Zimmerman

la plus élémentaire des personnes» (1976: 75). Les dispositifs au moyen


desquels nous réalisons de telles expressions sont «des actes formels et
ritualisés» (1976: 69), qui font savoir aux autres l’estime dans laquelle
nous les tenons, indiquent notre alignement quand nous faisons une ren-
contre, et établissent de manière provisoire les termes de la prise de
contact pour cette situation sociale. Mais nous considérons aussi que ces
actes sont des comportements expressifs: ils témoigneraient de nos
«natures fondamentales».

Pour Goffman (1976: 69-70), les parades sont des comportements


extrêmement ritualisés, dont la structure correspond aux échanges conver-
sationnels à deux parties du type déclaration-réplique, au sein desquels la
présence ou l’absence de symétrie peut instaurer la déférence ou la domi-
nance. Ces rituels sont distincts d’activités plus importantes, telles accom-
plir une tâche ou s’engager dans une conversation, mais articulées à elles.
En conséquence, nous assistons à ce que Goffman appelle l’«ordonnan-
cement» des parades aux points de jonction des activités, au début ou à la
fin d’une activité par exemple, de sorte à éviter les interférences avec les
activités elles-mêmes. Goffman (1976: 69) définit la parade de genre
comme suit:

«Si le genre peut être défini comme l’ensemble des corrélats culturellement
constitués du sexe (que ceux-ci s’ensuivent de la biologie ou de l’apprentissage,
peu importe), alors la parade de genre renvoie aux interprétations ritualisées de
ces corrélats.»
© Éditions Antipodes | Téléchargé le 01/03/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.251.119.248)

© Éditions Antipodes | Téléchargé le 01/03/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.251.119.248)


Ces expressions genrées pourraient témoigner de la dimension fonda-
mentale, souterraine, du féminin et du masculin, mais elles sont, dans la
perspective de Goffman, des performances facultatives. La courtoisie mas-
culine peut être offerte ou ne pas l’être, et si elle est offerte, elle peut être
déclinée tout comme elle peut être acceptée (1976: 71). Par ailleurs, les
êtres humains «eux-mêmes font recours au terme ‹expression›, et se com-
portent de manière à correspondre à leurs propres idéaux d’expressivité»
(1976: 75). Les représentations du genre sont moins une conséquence de
nos «natures sexuelles essentielles» que des évocations, produites dans
l’interaction, de ce que nous aimerions communiquer au sujet de nos natures
sexuelles, en usant de gestes ritualisés. De par notre nature humaine, nous
avons la capacité d’apprendre à produire et à reconnaître des parades de
genre masculines et féminines – «une compétence que [nous] détenons en
vertu de notre appartenance au genre humain, et non pas du fait que nous
sommes des hommes et des femmes» (1976: 76).

De prime abord, il semble que la conceptualisation de Goffman offre


un correctif sociologiquement engageant eu égard aux définitions préexis-
tantes du genre. Suivant sa conception, le genre est une dramatisation
socialement scénarisée des idéalisations culturelles des natures féminines
et masculines, jouée devant une audience bien informée des codes de la
représentation. Pour filer la métaphore, les performances de genre sont

NQF Vol. 28, No 3 / 2009 | 39.


agencées et présentées dans des lieux spécifiques, et comme les pièces de
théâtre, elles sont le prélude ou le postlude d’activités plus sérieuses.

Mais cette perspective n’est pas sans contenir d’importantes ambiguï-


tés. En séparant la parade de genre des affaires sérieuses qui ont cours
dans les interactions, Goffman rend opaques les effets qu’a le genre sur
une large gamme d’activités humaines. Le genre n’est pas seulement
quelque chose qui apparaît aux coins et recoins de l’interaction, qui est
casé ici ou là et qui n’interfère pas avec les affaires sérieuses de la vie. S’il
est plausible d’affirmer que les parades de genre – en tant qu’elles sont
des expressions ritualisées – sont des éléments interactionnels à option, il
semble peu recevable d’affirmer que nous avons le choix d’être vus par
autrui comme une femme ou comme un homme.

Dès lors, il est nécessaire d’aller au-delà de la notion de parade de


genre pour considérer ce qui est impliqué dans la fabrication du genre en
tant que cette production relève d’un faire, un faire à concevoir comme
une activité continue, enchâssée dans les interactions de la vie courante.
C’est pourquoi nous allons revenir aux distinctions entre le sexe, la caté-
gorie de sexe et le genre que nous avons introduites plus haut.

Sexe, catégorie de sexe et genre


L’étude de cas que Garfinkel (1967: 118-140) a consacrée à Agnès, une
transsexuelle qui, ayant été élevée comme un garçon, a adopté à l’âge de
© Éditions Antipodes | Téléchargé le 01/03/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.251.119.248)

© Éditions Antipodes | Téléchargé le 01/03/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.251.119.248)


17 ans une identité féminine et a entrepris une opération de réassignation
de sexe quelques années plus tard, montre comment le genre est produit
dans et à travers les interactions, des interactions qu’il contribue dans le
même temps à structurer. Avant comme après son opération chirurgicale,
Agnès, que Garfinkel définit comment étant une «méthodologue pratique»,
a développé tout un ensemble de procédures afin de passer pour une
«femme naturelle, normale». Elle avait la tâche pratique de gérer le fait de
posséder des organes génitaux masculins ainsi que d’être dépourvue, dans
les interactions de la vie courante, des ressources sociales dont on peut
supposer que la trajectoire de vie propre à une jeune fille aurait fourni le
principe. En résumé, elle devait paraître aux yeux des autres comme une
femme en même temps qu’elle apprenait ce qu’être une femme était. Inévi-
tablement, cette entreprise de chaque instant prenait place à un moment
où les identités de genre de la plupart des gens avaient été pleinement rati-
fiées et étaient devenues des affaires routinières. Agnès devait s’arranger
pour faire consciemment ce que la grande majorité des femmes faisaient
sans y penser. Elle n’«imitait» pas ce que les femmes «réelles» font naturel-
lement. Elle était obligée d’analyser les situations, de manière à parvenir à
saisir comment agir dans le cadre de circonstances socialement structurées
et en fonction de conceptions de la féminité que les femmes nées avec les
référents biologiques appropriés prennent très tôt pour allant de soi.
À l’instar d’autres personnes contraintes à «passer», telles que les

40. | NQF Vol. 28, No 3 / 2009


Édito Grand angle Champ libre | Parcours | Comptes rendus | Collectifs
Faire le genre
Candace West et Don H. Zimmerman

travesti·e·s, les acteurs du théâtre Kabuki, ou le personnage de «Tootsie»


joué par Dustin Hoffman, le cas d’Agnès rend visible ce que la culture a
rendu invisible – l’accomplissement du genre.

Dans son analyse du cas Agnès, Garfinkel (1967) ne sépare pas expli-
citement trois concepts qui, bien qu’ils se recoupent à un niveau empi-
rique, sont distincts d’un point de vue analytique – le sexe, la catégorie de
sexe et le genre.

Le sexe
Agnès ne possédait pas les critères biologiques socialement requis à sa
catégorisation en tant que personne titulaire du sexe féminin. Pour autant,
elle se considérait comme étant de sexe féminin, même si elle était une
femme avec un pénis, un appendice qu’une femme ne devrait pas posséder.
Son pénis, insistait-elle, était une «erreur» à laquelle il était nécessaire de
remédier (Garfinkel, 1967: 126-127; 131-132). À l’instar des autres membres
compétents de notre société, Agnès honorait l’idée selon laquelle il existe
des critères biologiques «essentiels», qui distinguent sans ambiguïté les
femmes des hommes. Toutefois, si nous prenons de la distance avec le
point de vue du sens commun, nous découvrons que la fiabilité de ces cri-
tères est loin d’être indiscutable (Money et Brennan, 1968; Money et
Erhardt, 1972; Money et Ogunro, 1974; Money et Tucker, 1975). En outre,
un certain nombre de cultures autres que la nôtre ont reconnu l’existence
de personnes ayant «changé de sexe» [«cross-genders»] (Blackwood, 1984;
© Éditions Antipodes | Téléchargé le 01/03/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.251.119.248)

© Éditions Antipodes | Téléchargé le 01/03/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.251.119.248)


Williams, 1986), ainsi que la possibilité de l’existence de plus de deux
sexes (Hill, 1935; Martin et Voorhies, 1975: 84-107; mais aussi Cucchiari,
1981: 32-35).

La remarque suivante de Kessler et McKenna (1978: 1-6) est un élé-


ment encore plus décisif apporté à cet argument: les organes génitaux sont
par convention dissimulés à l’inspection publique dans la vie courante; ce
qui ne nous empêche pas, rencontre sociale après rencontre sociale, de
continuer à «observer» un monde naturellement et normalement composé
de personnes des deux sexes. Au principe de la catégorisation de sexe, il y
a donc la présomption selon laquelle des critères fondamentaux existent et
seraient là, ou devraient être là, si nous les cherchions. S’inspirant de
Garfinkel, Kessler et McKenna avancent que les êtres «femelle» ou «mâle»
sont des événements culturels – les produits de ce qu’elles appellent le
«processus d’attribution de genre» – plutôt que des collections de traits,
de comportements, ou même d’attributs physiques. Pour illustrer ce point,
elles citent l’enfant qui, contemplant l’image d’un individu vêtu d’un com-
plet et d’une cravate, précise: «C’est un homme, parce qu’il a un zizi»
(Kessler et McKenna, 1978: 1549). Ce qu’il faut traduire par: «Il doit avoir
un zizi [une caractéristique essentielle] parce que je vois un complet et une
cravate, qui en sont les signes.» Ni l’assignation de sexe initiale (le fait de
déclarer, à la naissance, qu’un bébé est femelle ou mâle), ni l’existence

NQF Vol. 28, No 3 / 2009 | 41.


effective des critères essentiels en vue de cette assignation (la possession
d’un clitoris et d’un vagin ou d’un pénis et de testicules) n’a grand-chose à
voir – si ce n’est rien – avec l’identification de la catégorie de sexe dans
la vie courante. Là, comme le relèvent Kessler et McKenna, nous spéculons
à partir de la certitude morale d’un monde bicatégorisé selon le sexe. Nous
ne nous disons pas: «La plupart des individus avec pénis sont des hommes,
mais certains peuvent ne pas en être»; ou «La plupart des individus
habillés comme des hommes ont un pénis». Nous tenons plutôt pour allant
de soi que le sexe et la catégorie de sexe sont congruents – que, connais-
sant la catégorie de sexe, nous pouvons en déduire le reste.

La catégorisation de sexe
La revendication d’Agnès au statut catégoriel de femme, qu’elle maintenait
par le bais de parades d’identification appropriées ainsi que d’autres carac-
téristiques, aurait pu être discréditée avant son opération de changement
de sexe s’il avait été rendu public qu’elle possédait un pénis, et après éga-
lement, en raison de ses organes génitaux reconstruits par le truchement
de la chirurgie (voir Raymond, 1979: 37, 138). À cet égard, Agnès se
devait de rester constamment vigilante vis-à-vis des menaces réelles ou
potentielles qui pesaient sur la sécurité de sa catégorie de sexe. Son pro-
blème n’était pas tant de s’efforcer de correspondre à une sorte de prototype
de «la» féminité, que de préserver sa catégorisation en tant que femme. Une
ressource à l’efficacité redoutable lui rendait la tâche plus facile: le proces-
sus de catégorisation de sens commun dans la vie courante.
© Éditions Antipodes | Téléchargé le 01/03/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.251.119.248)

© Éditions Antipodes | Téléchargé le 01/03/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.251.119.248)


La catégorisation des êtres sociaux dans des catégories indigènes telles
que «fille» ou «garçon», ou «femme» ou «homme», opère selon une
logique typiquement sociale. L’acte de catégorisation n’implique pas la
mise en œuvre d’un test formel, dans le sens où procéder à une identifica-
tion nécessiterait préalablement qu’une série bien définie de critères soit
explicitement remplie. Dans les interactions ordinaires, la mise en applica-
tion des catégories d’appartenance repose plutôt sur un test du type «si,
alors» (Sacks, 1972: 332-335). Ce test prescrit la règle suivante: si des
personnes peuvent être vues comme les membres des catégories qui s’ap-
pliquent à elles, alors procédez à la catégorisation qui s’impose. Autre-
ment dit, utilisez la catégorie qui semble appropriée, sauf en la présence
d’une information contradictoire ou d’éléments évidents qui en excluraient
l’usage. Cette procédure est globalement conforme avec l’attitude naturelle
qui nous fait prendre, à moins d’avoir des raisons particulières d’en douter,
les apparences pour la réalité (Schütz, 1943; Garfinkel, 1967; 272-277;
Bernstein, 1986) 5. Il faut ajouter que c’est précisément quand nous avons

5. Bernstein (1986) rapporte un cas inusuel amant qu’il/elle avait donné naissance à «leur»
d’espionnage, au cours duquel un homme qui se enfant, un enfant dont l’amant pensait qu’il lui
faisait passer pour une femme convainquait un «ressemblait».

42. | NQF Vol. 28, No 3 / 2009


Édito Grand angle Champ libre | Parcours | Comptes rendus | Collectifs
Faire le genre
Candace West et Don H. Zimmerman

de bonnes raisons d’en douter que l’application de critères stricts devient un


problème; mais il est rare, en dehors des contextes légaux ou bureaucra-
tiques, de rencontrer des personnes qui s’adonnent avec obstination aux
tests formels (Garfinkel, 1967: 262-283; Wilson, 1970).

La première ressource sur laquelle Agnès pouvait s’appuyer était la pré-


disposition manifestée par les personnes qu’elle rencontrait à prendre son
apparence (sa silhouette, ses vêtements, sa coupe de cheveux, etc.) pour l’ap-
parence incontestable d’une femme normale. L’autre ressource sur laquelle
elle pouvait compter est notre croyance de sens commun des propriétés des
«personnes naturelles, normalement sexuées». Garfinkel (1967: 122-128)
relève que, dans la vie de tous les jours, nous vivons dans un monde composé
de deux – et seulement deux – sexes. Cette division du monde a un statut
moral, dans le sens où nous nous y incluons, ainsi que les autres, en tant que
nous sommes «essentiellement, originellement, en tout premier lieu, soit
«homme» soit «femme»; nous l’avons toujours été, nous le serons toujours,
une fois pour toutes et en dernière analyse» (Garfinkel, 167: 122).

Considérons le cas suivant:

«Cette question me rappelle la brève incursion que j’ai faite, il y a de cela


quelques années, dans un magasin de matériel informatique. La personne qui
répondait à mes questions faisait clairement partie du personnel de vente. Je ne
pouvais cependant pas le/la catégoriser comme femme ou homme. Qu’ai-je
passé en revue? (1) Poils du visage: elle/il était glabre, mais certains hommes
ont peu ou pas du tout de poils au visage (ça varie selon la race, les Amérindiens
© Éditions Antipodes | Téléchargé le 01/03/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.251.119.248)

© Éditions Antipodes | Téléchargé le 01/03/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.251.119.248)


et les Noirs américains n’en ont souvent pas). (2) Poitrine: elle/il portait une che-
mise ample qui tombait depuis ses épaules. Et, comme nombre de femmes qui ont
été adolescentes durant les années 1950 le savent, tant elles en ont retiré de la
honte, il est fréquent pour une femme d’avoir le buste plat. (3) Épaules: les
siennes étaient petites et rondes pour un homme, larges pour une femme.
(4) Mains: doigts longs et fins, articulations un peu trop anguleuses pour une
femme, trop effacées pour un homme. (5) Voix: tonalité moyenne, inexpressive
pour une femme, absolument dénuée des accents exagérés que certains gays
affectent. (6) Sa manière de me traiter: ne me donnait aucun signe qui pouvait
m’indiquer que je possédais un sexe différent ou identique au sien. Il n’y avait
même aucun signe montrant qu’il/elle savait que son sexe était difficile à caté-
goriser et je m’en étonnais bien que je fisse de mon mieux pour dissimuler ma
confusion, de manière à ne pas l’embarrasser tandis que nous discutions d’un
papier pour impression informatique. Je quittai le magasin toujours sans
connaître le sexe de la personne qui m’avait servie, toute perturbée (enfant de
ma culture que j’étais) d’avoir laissé cette question sans réponse.» (Diane
Margolis, communication personnelle)

Que peut nous dire ce cas des situations telles que celles vécues par
Agnès (cf. Morris, 1974; Richards, 1984), ou du processus de catégorisa-
tion de sexe plus largement? En premier lieu, nous pouvons inférer de
cette description que la parade d’identification de la vendeuse/du vendeur

NQF Vol. 28, No 3 / 2009 | 43.


était ambiguë, dans la mesure où elle/il n’était pas vêtu·e ou orné·e dans
un style univoquement féminin ou masculin. C’est quand une telle parade
échoue à fournir une base solide à la catégorisation que des éléments tels
que les poils du visage ou le son de la voix sont évalués dans la perspec-
tive de déterminer l’appartenance à une catégorie de sexe. En deuxième
lieu, au-delà du fait qu’il s’agit là d’un incident qui peut être rapporté
même après «plusieurs années», on peut noter que la cliente n’était pas
seulement «perturbée» par l’ambiguïté de la catégorie d’appartenance de
sexe de la vendeuse/du vendeur; elle estimait également que reconnaître
l’existence de cette ambiguïté aurait pu mettre son vis-à-vis dans l’embar-
ras. C’est que non seulement nous voulons connaître la catégorie de sexe
des personnes alentour (la distinguer d’un coup d’œil, peut-être); nous pré-
supposons aussi que les autres l’exhibent à notre adresse de manière aussi
convaincante et tranchante que possible.

Le genre
Agnès essayait d’être une «femme à 120%» (Garfinkel, 1967:129), autrement
dit d’être féminine sans contestation possible aucune, en tout temps et en
tout lieu. Elle pensait qu’en se comportant de manière féminine, elle pou-
vait se protéger des aveux qu’elle-même aurait pu commettre à son insu,
avant et après l’opération chirurgicale; mais exagérer la performance
aurait pu a contrario faire œuvre de révélation. La catégorisation de sexe
et l’accomplissement du genre ne sont pas une seule et même chose. La
catégorisation d’Agnès pouvait être indubitable ou douteuse, mais elle ne
© Éditions Antipodes | Téléchargé le 01/03/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.251.119.248)

© Éditions Antipodes | Téléchargé le 01/03/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.251.119.248)


dépendait pas du fait qu’elle respectât ou non une quelconque conception
idéale de la féminité. Certaines femmes peuvent être jugées non féminines,
mais cela ne fait pas d’elles des «non-femmes». Agnès était confrontée à la
tâche continue d’être une femme – quelque chose qui va au-delà du style
de vêtement (une parade d’identification) ou de l’activité ritualisée qui
consiste à permettre aux hommes d’allumer sa cigarette (une parade de
genre). Son problème était de produire des configurations de comporte-
ments reconnaissables par autrui comme étant des comportements de
genre appropriés, à savoir conformes à la catégorie de sexe à laquelle elle
revendiquait appartenir.
«Apprendre en secret», prêter par exemple une grande attention au
jugement critique auquel son fiancé soumettait les autres femmes et
apprendre ce faisant en quoi consistaient les convenances auxquelles une
femme doit normalement se conformer, était la stratégie que suivait Agnès.
Cette stratégie était un moyen de masquer ses incompétences et simultané-
ment d’acquérir les savoir-faire requis (Garfinkel, 1967: 146-147). C’est
par le biais de son fiancé qu’Agnès apprit que se dorer au soleil sur la
pelouse devant son appartement était un acte «déplacé» (parce que cela
l’exposait au regard des autres hommes). Elle apprit également des cri-
tiques que ce dernier émettait à l’endroit d’autres femmes qu’il n’était pas
de bon ton qu’elle insiste pour faire les choses à sa façon, qu’elle fasse état
de ses opinions ou encore revendique l’égalité avec les hommes.»

44. | NQF Vol. 28, No 3 / 2009


Édito Grand angle Champ libre | Parcours | Comptes rendus | Collectifs
Faire le genre
Candace West et Don H. Zimmerman

(Garfinkel, 167: 147-148) (Comme d’autres femmes dans nos sociétés,


Agnès apprit au cours de son «éducation» un certain nombre de choses sur
le pouvoir).
La culture médiatique populaire est riche en livres et magazines où
sont compilées des représentations idéalisées des relations entre femmes et
hommes. Les ouvrages qui se focalisent sur le cérémonial des rendez-vous
amoureux (hétérosexuels) ou sur les standards en vigueur en termes de
comportements féminins sont destinés à fournir une aide pratique en ces
matières. Toutefois, l’utilisation de n’importe laquelle de ces sources à la
manière d’un manuel de procédures suppose nécessairement l’hypothèse
suivante: faire le genre impliquerait simplement l’usage d’un lot de com-
portements bien définis, bien séparés, qui pourraient tout bonnement être
annexés aux situations interactionnelles afin de produire des performances
reconnaissables de la masculinité et de la féminité. L’homme «produirait»
son identité d’homme en tenant par exemple une femme par le bras pour la
guider le long d’une rue, et celle-ci «produirait» son identité de femme en
consentant à être guidée et en ne prenant pas d’initiative semblable avec
un homme.

Il est possible qu’Agnès ait eu recours à des ouvrages tels que ces
manuels mais, selon nous, faire le genre n’est pas quelque chose d’aussi
réglementé (Mithers, 1986; Morris, 1974). De telles sources d’informations
peuvent lister et décrire les types de comportements qui sont la marque du
genre, ou qui l’affichent, mais elles sont nécessairement incomplètes (Gar-
finkel, 1967: 66-.75; Wieder, 1974: 183-214; Zimmerman et Wieder,
1970: 285-298). Pour qu’elles soient couronnées de succès, les activités qui
© Éditions Antipodes | Téléchargé le 01/03/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.251.119.248)

© Éditions Antipodes | Téléchargé le 01/03/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.251.119.248)


consistent à marquer ou à afficher le genre doivent être adaptées avec
beaucoup de soin aux situations, et modifiées ou transformées quand les
circonstances l’exigent. Faire le genre consiste à gérer les circonstances de
telle sorte que, quelles que soient les particularités des situations, ce qui en
ressort soit vu et visible comme étant, dans le contexte, approprié ou inap-
proprié au genre, accountable autrement dit.

Genre et accountability
Comme Heritage (1984: 136-137) l’a noté, les membres de la société entre-
prennent régulièrement de «s’adresser les un·e·s aux autres des comptes
rendus visant à décrire et à rapporter ce qui est en train de se passer», des
comptes rendus qui sont à la fois sérieux et non sans conséquences. Ces
descriptions du monde consistent à nommer, caractériser, formuler, expli-
quer, excuser, condamner, ou simplement à relever telle ou telle circons-
tance ou activité, et à ranger ces dernières à l’intérieur d’un certain cadre
social (de manière à les situer par rapport à d’autres activités, analogues ou
différentes).

Ces activités ordinaires [de description du monde] ont pour propriété


d’être elles-mêmes accountable, et les membres de la société s’orientent en

NQF Vol. 28, No 3 / 2009 | 45.


fonction du fait que leurs activités sont sujettes à commentaire. Les actions
sont souvent configurées en regard de leur accountability: en d’autres termes,
les activités sont réalisées en fonction de la forme sous laquelle elles pour-
raient apparaître et de la manière dont elles pourraient être interprétées. La
notion d’accountability encapsule aussi celles parmi les actions entreprises
qui sont parmi les plus routinières et les plus anodines, qui ne méritent pas
plus d’attention qu’une remarque faite en passant, et cela parce qu’elles
sont vues comme étant en accord avec les standards culturellement
approuvés.

Heritage (1984: 179) observe que le processus qui consiste à rendre


quelque chose accountable [un individu, une activité, un événement] a un
caractère proprement interactionnel:

«[Cela] permet aux acteurs de configurer les actions en fonction des circons-
tances pratiques de leur réalisation, de manière à permettre à autrui, par le fait
même de rapporter les actions aux circonstances, de reconnaître les actions pour
ce qu’elles sont.»

Le terme clé ici est celui de circonstances. La catégorie de sexe d’un


individu est une circonstance qui est présente dans pratiquement toutes les
actions, dans toutes les interactions. Comme Garfinkel (1967: 118) le note:

«[L]es efforts entrepris par [Agnès] pour «passer» [passing], et les occasions
socialement organisées où elle avait à maintenir le statut sexuel de son choix
résistaient obstinément à toute tentative de routinisation du cours des activités
© Éditions Antipodes | Téléchargé le 01/03/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.251.119.248)

© Éditions Antipodes | Téléchargé le 01/03/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.251.119.248)


de la vie quotidienne. Cette résistance obstinée indique à quel point le statut
sexuel est omnipertinent dans les activités courantes, où il constitue un arrière-
plan invariant mais inaperçu dans la trame des pertinences qui composent les
scènes réelles et changeantes de la vie quotidienne (mis en italique par nous).» 6

Si la catégorie de sexe est omnipertinente (ou presque), alors, dans


pratiquement n’importe quelle activité, la performance de la personne
engagée dans l’activité en question peut être rapportée à la performance
d’une femme ou d’un homme, et son appartenance à l’une ou l’autre des
catégories de sexe peut être utilisée pour légitimer ou discréditer ses autres
activités (Berger, Cohen et Zelditch, 1972; Berger, Conner et Fisek, 1974;
Berger, Fisek, Norman et Zelditch, 1977; Humphreys et Berger, 1981). En
conséquence, pratiquement n’importe quelle activité peut être évaluée en
termes de féminité ou de masculinité. Et soulignons-le, «faire» le genre ne
consiste pas toujours à se conformer aux conceptions normatives de la
féminité ou de la masculinité; c’est s’engager dans une action au risque

6. N.d.t.: Comme le souligne Garfinkel (1967 appartenance à la catégorie «femme» ne puisse


[2007]), «passer» relève, dans le cas d’Agnès, d’un jamais être mise en défaut. Aussi, Agnès n’avait
véritable travail de tous les instants: elle devait jamais «passé» une bonne fois pour toutes; au
s’assurer continûment et dans toutes les situations contraire, chaque situation était une situation
de l’apparence qu’elle exhibait, de sorte que son nouvelle où elle avait à «passer».

46. | NQF Vol. 28, No 3 / 2009


Édito Grand angle Champ libre | Parcours | Comptes rendus | Collectifs
Faire le genre
Candace West et Don H. Zimmerman

d’une évaluation de genre. Si ce sont les individus qui font le genre, le


principe de cette activité est fondamentalement interactionnel et institu-
tionnel: l’accountability est en effet un trait des relations sociales et elle
puise ses codes d’expression dans l’arène institutionnelle au sein de
laquelle ces relations se déploient. Si tel est bien le cas, pouvons-nous
alors ne pas faire le genre? Dans la mesure où une société est organisée en
fonction des différences qu’elle estime «fondamentales» entre femmes et
hommes, et où placer une personne dans une catégorie de sexe est une pro-
cédure tout à la fois appropriée et appliquée, faire le genre est inévitable.

Les ressources mobilisées pour faire le genre


Faire le genre signifie créer des différences entre les filles et les garçons, les
femmes et les hommes, des différences qui ne sont ni naturelles, ni essen-
tielles ou encore biologiques. Une fois que les différences ont été produites,
elles sont mobilisées en retour pour faire valoir la «naturalité» du genre.
Dans un passage tout à fait délicieux de l’«arrangement entre les sexes»,
Goffman (1977) note l’existence de toute une variété de cadres sociaux
institutionnalisés au sein desquels notre «appartenance de sexe normale,
naturelle» peut être mise en scène. Les éléments matériels dont sont consti-
tués ces cadres sociaux fournissent indéniablement des ressources à l’ex-
pression de nos différences «fondamentales». Par exemple, les toilettes
publiques en Amérique du Nord distinguent les «dames» des «messieurs»,
comme s’il y avait en cette matière des raisons proprement biologiques à
séparer les sexes, alors que femmes et hommes «sont plutôt similaires rela-
© Éditions Antipodes | Téléchargé le 01/03/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.251.119.248)

© Éditions Antipodes | Téléchargé le 01/03/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.251.119.248)


tivement à la question de la production et de l’élimination des déchets»
(Goffman, 1977: 315). Ces cadres institutionnels sont équipés de dispositifs
dimorphes (tels les urinoirs pour les hommes versus les lieux de toilette
équipés de tables de coiffage et de maquillage pour les femmes), quand
bien même les deux sexes peuvent parvenir aux mêmes fins par des
moyens identiques (et le font apparemment dans l’intimité de leurs propres
foyers). Ce qui est à relever ici est le fait que:

«Le fonctionnement d’organes sexuellement différenciés est en cause, mais il n’y


a rien dans ce fonctionnement qui nécessite, pour des raisons biologiques, la
ségrégation sexuelle des individus ; ce dispositif est en totalité un phénomène
culturel. […] La séparation des toilettes est présentée comme une conséquence
naturelle de la différence entre les catégories de sexe, alors qu’en fait il s’agit
plutôt d’un moyen d’honorer, sinon de produire, cette différence.» (Goffman,
1977: 316)

S’agissant de la production des «natures féminine et masculine essen-


tielles», les situations sociales normalisées constituent également des lieux
où s’entraîner à les évoquer. Les activités sportives organisées sont un
exemple que donne Goffman de ces cadres sociaux institutionnalisés où la
masculinité peut s’exprimer. Dans ce cas, les qualités qui, «selon les nor-
mes en usage», devraient être associées à la masculinité, telles que l’endu-

NQF Vol. 28, No 3 / 2009 | 47.


rance, la force physique et l’esprit de compétition, sont glorifiées par toutes
les parties concernées par la scène – par les participant·e·s, qui pourraient
être vu·e·s en train de manifester de tels traits, et par les spectateurs et les
spectatrices, qui applaudissent à leurs démonstrations réfugié·e·s en lieu
sûr sur la ligne de touche (1977: 322).

Ajoutons que les pratiques d’appariement des couples hétérosexuels,


qui suivent une logique bien spécifique, constituent un dispositif supplé-
mentaire de création et de maintien des différences entre les femmes et les
hommes. Par exemple, et bien que la taille, la corpulence et l’âge soient des
éléments qui tendent à être distribués de façon normale (en courbe de
Gauss) tant chez les femmes que chez les hommes (avec d’importants
recouvrements entre les deux groupes), la façon sélective dont les catégo-
ries de sexe s’associent garantit la formation de couples au sein desquels
les garçons et les hommes sont manifestement plus grands, plus robustes
et plus vieux (si ce n’est plus «sages») que les filles et les femmes. De telle
sorte que si des situations exigeant une taille ou une force supérieures ou
encore une grande expérience devaient se présenter, les garçons et les hom-
mes seront toujours prêts à afficher ces qualités, et les filles et les femmes
disposées à apprécier à leur juste valeur leurs mises en scène (Goffman,
1977: 321; West et Iritani, 1985).

Dans certaines situations, il arrive que le genre soit façonné sans


qu’on y prête la moindre attention, de la manière la plus routinière qui
soit. Il s’agit des situations qui, en regard des conventions, semblent se
prêter immédiatement à son expression, celles qui présentent des femmes
© Éditions Antipodes | Téléchargé le 01/03/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.251.119.248)

© Éditions Antipodes | Téléchargé le 01/03/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.251.119.248)


«sans défense» aux côtés d’objets lourds ou de pneus crevés par exemple.
Cependant, comme le note Goffman, il est possible d’élaborer et d’entre-
prendre des activités pénibles, salissantes et précaires, à partir de n’importe
quelle situation sociale, «même si, relativement aux standards propres à
d’autres cadres sociaux, ces mêmes situations impliqueraient quelque
chose de léger, de propre, et qui ne présente aucun danger» (Goffman,
1977: 324). Étant donné ces ressources, il est clair que toute situation d’in-
teraction offre potentiellement une scène aux représentations de nos natu-
res sexuelles «essentielles». Au fond, ces situations «ne permettent pas tant
l’expression des différences naturelles entre femmes et hommes qu’elles ne
rendent possible la production même de cette différence.» (Goffman, 1977:
324)

De nombreuses situations ne sont pas a priori clairement catégorisées


selon le sexe, et il n’est pas non plus évident que ce qui s’y passe soit per-
tinent relativement au genre. Pour autant, toute rencontre sociale peut être
enrôlée au service de l’accomplissement du genre. Ainsi, la recherche que
Fishman (1978) a consacrée aux conversations informelles entre membres
de couples hétérosexuels a montré l’existence d’une «division du travail»
asymétrique dans les échanges. Les femmes se retrouvaient à poser plus de
questions, à remplir plus fréquemment les silences, et à chercher plus sou-
vent à attirer l’attention au moment d’engager la conversation, de sorte à

48. | NQF Vol. 28, No 3 / 2009


Édito Grand angle Champ libre | Parcours | Comptes rendus | Collectifs
Faire le genre
Candace West et Don H. Zimmerman

être entendues. Les conclusions de cette étude sont particulièrement perti-


nentes ici:

«Dans la mesure où le travail interactionnel est lié à ce en quoi être une femme
consiste, à ce qu’est une femme, l’idée selon laquelle prendre part à une interac-
tion est du travail perd de sa netteté. Ce travail n’est pas vu comme quelque
chose que les femmes font, mais comme une partie de ce qu’elles sont.» (Fishman,
1978: 405)

Nous aimerions avancer que c’est précisément un tel travail qui per-
met de constituer la nature essentielle des femmes en tant qu’elles sont des
femmes dans les situations d’interaction (West et Zimmerman, 1983: 109-
111; voir également Kollock, Blumstein et Schwartz, 1985).

Les individus ont plusieurs identités sociales qui peuvent être, selon
les situations, endossées ou délaissées, atténuées ou rendues saillantes. On
peut appartenir à la catégorie «ami», «conjoint», «employé», «citoyen» et
beaucoup d’autres encore pour beaucoup de personnes différentes – ou
pour la même personne à différents moments. Mais nous sommes toujours
soit des femmes soit des hommes – à moins que nous passions d’une caté-
gorie de sexe à l’autre. Cela signifie que nos parades d’identification recè-
lent, en vue de l’accomplissement du genre, des ressources à jamais dispo-
nibles dans un ensemble infini de circonstances diverses et variées.

Certaines occasions sont organisées de sorte à exhiber et à glorifier de


façon routinière des comportements conventionnellement liés à l’une ou
© Éditions Antipodes | Téléchargé le 01/03/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.251.119.248)

© Éditions Antipodes | Téléchargé le 01/03/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.251.119.248)


l’autre des catégories de sexe. En de telles occasions, chacun·e connaît sa
place dans l’ordre interactionnel des choses. Si un individu qui a été iden-
tifié comme appartenant à une catégorie de sexe s’engage dans un com-
portement habituellement associé à l’autre catégorie de sexe, cette routini-
sation est contestée. Hughes (1945: 356) a livré une excellente illustration
de ce type de dilemme:

«[U]ne jeune femme […] était devenue membre de la profession, pour le moins
virile, d’ingénieur. En général, le dessinateur qui a conçu les plans d’un avion
participe au vol inaugural du premier exemplaire construit. Il (sic) organise
ensuite un dîner pour les ingénieurs et les ouvriers qui ont travaillé au nouveau
modèle – il s’agit naturellement d’un dîner entre hommes. La jeune femme en
question avait dessiné le plan d’un nouvel avion. Ses collègues la prièrent de ne
pas prendre le risque – que seuls les hommes sont censés pouvoir prendre –
du premier vol. En fait, ils lui demandaient d’être une femme plutôt qu’un ingé-
nieur. Elle choisit d’être un ingénieur. Elle organisa ensuite le dîner, et le paya
comme un homme. Après le repas et la première tournée bue à sa santé, elle s’en
alla comme une dame.»

À cette occasion, les parties en présence ont abouti à un arrangement qui


a permis à une femme d’adopter des comportements tenus pour masculins.
Toutefois, il est à noter que ce compromis a permis au final la démonstration

NQF Vol. 28, No 3 / 2009 | 49.


de la féminité « essentielle » de l’ingénieure, dans la mesure où il fut pos-
sible de rendre compte de sa conduite comme étant la conduite typique
d’une femme «bien élevée, raffinée et respectable».

Hughes (1945: 357) suggère que de telles contradictions peuvent être


contrebalancées en contenant les interactions dans une voie très étroite,
notamment «en maintenant la relation sous des auspices formels et spéci-
fiques». Mais le fond du problème est que même – surtout, peut-être – si
la relation est d’ordre formel, le genre reste quelque chose dont une per-
sonne est comptable. Aussi, il arrive que l’on accorde au médecin femme
(notons l’ajout de l’épithète spécifique dans ce cas) le respect dû à son
savoir-faire, et même que l’on s’adresse à elle en usant du titre approprié.
Cela n’empêche pas qu’elle soit soumise à évaluation et jugée sur la base
des conceptions normatives des attitudes et des activités appropriées à sa
catégorie de sexe, et qu’elle soit mise en demeure de prouver qu’elle est
«fondamentalement» une femme, malgré les apparences qui tendraient à
dire le contraire (West, 1984: 97-101). On fait appel à sa catégorie de sexe
pour discréditer sa participation à des activités médicales importantes (Lor-
ber, 1984: 52-54), tandis que son investissement dans la médecine est uti-
lisé pour déconsidérer son engagement envers les responsabilités qui lui
échoient en tant que mère et épouse (Bourne et Wilker, 1978: 435-37).
Dans un même mouvement, son exclusion de la communauté constituée
par ses collègues médecins est maintenue et son accountability en tant que
femme est garantie.

Dans ce contexte, «le conflit de rôles» peut être considéré comme un


© Éditions Antipodes | Téléchargé le 01/03/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.251.119.248)

© Éditions Antipodes | Téléchargé le 01/03/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.251.119.248)


aspect dynamique de notre «arrangement entre les sexes» (Goffman, 1977)
actuel, un arrangement qui aménage des occasions au sein desquelles des
personnes appartenant à une certaine catégorie de sexe peuvent «voir»
assez nettement qu’elles ne sont pas à leur place, et que les problèmes
qu’elles rencontrent n’existeraient pas si elles ne l’occupaient pas. Ce qui
se joue ici est, au plan de l’interaction, la gestion de nos natures «essen-
tielles», et, au niveau de l’individu, l’accomplissement continu du genre.
Car, si les catégories de sexe sont présentes dans toutes les situations de la
vie courante, comme nous l’avons avancé, alors chaque situation, qu’elle
soit conflictuelle ou non, offre des ressources pour faire le genre.

Nous avons cherché à montrer que les catégories de sexe et le genre


sont des propriétés orientées du comportement, qui sont arrangées suivant
une logique propre, à savoir en fonction du fait que les autres vont nous
juger et nous répondre selon des modalités spécifiques. Nous avons affirmé
que le genre d’un individu n’est pas simplement une dimension de ce qu’il
est; il est, plus fondamentalement, quelque chose que l’on fait, et que l’on
fait de manière répétée, en interagissant avec autrui.

Quels sont les champs d’interrogation ouverts par cette conceptualisa-


tion? En l’occurrence, si les individus s’efforcent d’accomplir le genre en
situation de coprésence, comment une culture s’y prend-elle pour instiller

50. | NQF Vol. 28, No 3 / 2009


Édito Grand angle Champ libre | Parcours | Comptes rendus | Collectifs
Faire le genre
Candace West et Don H. Zimmerman

le besoin de le réaliser? Comment l’accomplissement du genre, qui se situe


au niveau de l’interaction, est-il lié aux arrangements institutionnels, dont
celui de la division sociale du travail? Et la question la plus importante
peut-être, dans quelle mesure accomplir le genre contribue-t-il à la subor-
dination des femmes par les hommes?

Axes de recherche
Puisqu’il s’agit de soumettre la production sociale du genre à un examen
empirique minutieux, nous pourrions commencer par le commencement,
soit par reconsidérer le processus au travers duquel les membres d’une
société donnée acquièrent l’équipement catégoriel ainsi que les autres
compétences nécessaires au fait de devenir des êtres humains genrés.

L’enrôlement dans les identités de genre


La socialisation par les rôles de sexe est l’approche classique à partir de
laquelle le processus consistant à devenir «fille» ou «garçon» est abordé.
Ces dernières années, les problèmes récurrents que cette approche soulève
ont été associés aux insuffisances inhérentes à la théorie des rôles sociaux
en soi – son emphase sur «le consensus, la stabilité et la continuité» (Sta-
cey et Thorne, 1985: 307), sa perspective anhistorique et dépolitisante
(Thorne, 1980: 9), et le fait que sa dimension «sociale» repose sur «la pré-
supposition générale selon laquelle les individus font le choix de maintenir
© Éditions Antipodes | Téléchargé le 01/03/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.251.119.248)

© Éditions Antipodes | Téléchargé le 01/03/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.251.119.248)


les us et coutumes existants» (Connell, 1985: 263).

Prenant le contre-pied de cette approche, Cahill (1982, 1986a, 1986b)


a analysé les pratiques d’enfants en âge préscolaire en s’appuyant sur la
théorie de l’enrôlement dans les identités de genre normalement attendues.
Cahill montre que les pratiques de catégorisation sont essentielles aux pro-
cessus d’apprentissage et de mise en œuvre des comportements féminins et
masculins. En premier lieu, observe-t-il, les enfants sont prioritairement
préoccupés par le fait d’établir une distinction entre eux-mêmes et les autres,
une distinction dont le critère déterminant est celui de la compétence
sociale. Indiscutablement, leur préoccupation se ramène à l’opposition
entre la catégorisation «fille/garçons» versus la catégorisation «bébé»
(cette dernière catégorie désignant les enfants dont le comportement social
est problématique et nécessite une surveillance rapprochée). Ce sont donc
les inquiétudes éprouvées par les enfants à être vus comme des individus
socialement compétents qui suscitent leurs revendications initiales d’ap-
partenance aux identités de genre:

« Durant la phase préliminaire de la socialisation enfantine […] les enfants


apprennent que seules deux identités sociales leur sont systématiquement
disponibles, l’identité de « bébé » ou, selon l’apparence de leurs organes génitaux
externes, celle de « grand garçon » ou celle de « grande fille ». En outre, leur

NQF Vol. 28, No 3 / 2009 | 51.


entourage les informe par de subtils biais que l’identité de «bébé» est une iden-
tité qui pourrait les discréditer. Quand les enfants s’engagent dans des activités
réprouvées, on les apostrophe souvent par des «Ne fais pas le bébé!» ou «Sois
un grand garçon!». Au fond, ces adresses verbales, qui sont des réponses
typiques aux agissements des enfants, sont une manière de leur communiquer
qu’ils/elles devraient choisir, au niveau des comportements qu’ils/elles adoptent,
entre l’identité dénigrante de «bébé» et leur identité de sexe, ici déterminée en
fonction de l’anatomie.» (Cahill, 1986a: 175)

Par la suite, les petits garçons s’approprient l’idéal de genre de «l’effi-


cacité», être capable d’influer sur l’environnement social et physique par
l’exercice de la force physique ou d’autres savoir-faire adaptés à cette fin.
À l’opposé, les petites filles apprennent à évaluer «l’apparence», à faire en
sorte de devenir elles-mêmes des objets ornementaux. Les deux classes
d’enfants [les garçons et les filles] apprennent que reconnaître et utiliser
les catégories de sexe en situation d’interaction n’est pas quelque chose de
facultatif, mais d’obligatoire (voir aussi Bem, 1983).

Aussi, être une «fille» ou un «garçon» ne revient pas seulement à être


plus compétent qu’un «bébé»; c’est aussi être une fille ou un garçon de
manière compétente, autrement dit apprendre à produire et à exhiber les
comportements liés aux identités «essentielles» de fille et de garçon. À cet
égard, la tâche à laquelle sont confrontés les enfants de 4 à 5 ans est assez
similaire à celle d’Agnès:

«Prenons pour exemple cette interaction qui s’est déroulée dans la cour de
© Éditions Antipodes | Téléchargé le 01/03/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.251.119.248)

© Éditions Antipodes | Téléchargé le 01/03/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.251.119.248)


récréation d’une école maternelle. Un garçon âgé de 55 mois (D) était en train
d’essayer de dégrafer le fermoir d’un collier quand une éducatrice de la petite
enfance s’approcha de lui.
A: Aimerais-tu le mettre?
D: Non. C’est pour les filles.
A: Tu n’as pas besoin d’être une fille pour porter des choses autour de ton cou.
Les rois portent des choses autour de leur cou. Tu pourrais faire comme si tu
étais un roi.
D : Je ne suis pas un roi. Je suis un garçon.» (Cahill, 1986a: 176)

Comme Cahill l’a noté au moment de commenter cet exemple, bien


que D pût ne pas connaître exactement le statut sexuel lié à l’identité de
«roi», il savait manifestement que les colliers sont utilisés pour exhiber l’i-
dentité «fille». Ayant revendiqué son appartenance à l’identité «garçon», et
ayant développé un engagement, en matière de comportement, envers
cette identité, il se méfiait de toute conduite qui aurait pu fournir des rai-
sons de mettre en doute sa revendication.

Ainsi, dès qu’ils commencent à orienter leurs conduites ainsi que celles
des autres en regard de leurs implications de genre, les nouveaux membres
de la société en viennent à être engagés dans un processus d’autorégulation.
Le processus d’«enrôlement» implique non seulement l’appropriation des

52. | NQF Vol. 28, No 3 / 2009


Édito Grand angle Champ libre | Parcours | Comptes rendus | Collectifs
Faire le genre
Candace West et Don H. Zimmerman

idéaux de genre (à travers l’évaluation de ces idéaux en tant qu’ils sont des
façons d’être et d’agir propres aux revendications d’appartenance identi-
taire), mais aussi l’appropriation des identités de genre qui importent aux
individus et qu’ils s’efforcent de maintenir. Aussi, les différences de genre,
ou le façonnage socioculturel des «natures féminines et masculines essen-
tielles», se voient doter du statut de faits objectifs. Ces identités sont ren-
dues normales, comme si elles étaient des traits individuels naturels, four-
nissant ce faisant des raisons tacites pour opérer une distinction, au niveau
de l’ordre social, entre la destinée des femmes et celle des hommes.

Étudier de manière plus approfondie les activités de jeu des enfants,


en tant qu’elles sont des situations de la vie quotidienne où s’expriment les
comportements appropriés au genre, peut éclairer sous des angles inédits
la manière dont nos «natures essentielles» sont construites. En particulier,
la transition entre ce que Cahill (1986a) appelle «l’apprentissage par parti-
cipation» dans les mondes ségrégués selon le sexe, communs aux enfants à
l’école primaire, et «la participation en toute bonne foi» au monde hétéro-
social que craignent tant les adolescent·e·s est probablement, dans la pers-
pective de la compréhension du processus d’enrôlement, un objet clé d’in-
vestigation (Thorne, 1986; Thorne et Luria, 1986).

Genre et division du travail


Chaque fois que des individus font face à des problèmes d’attribution
– qui doit faire ou obtenir quoi, qui doit planifier ou exécuter l’action,
© Éditions Antipodes | Téléchargé le 01/03/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.251.119.248)

© Éditions Antipodes | Téléchargé le 01/03/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.251.119.248)


guider ou être guidé·e –, il apparaît que l’appartenance à des catégories
aussi socialement significatives que celles de «femme» ou d’«homme»
devient hautement pertinente. La manière dont ces questions sont résolues
conditionne l’exhibition, la dramatisation, ou la célébration de nos
«natures essentielles» de femme ou d’homme.

Ce point est démontré avec beaucoup d’élégance par Berk (1985),


dans son enquête sur la répartition du travail domestique et sur les atti-
tudes des couples mariés à l’égard de la division des tâches domestiques.
Elle a observé peu de variation entre les conjoint·e·s, tant à l’égard de la
répartition effective des tâches qu’au niveau de la perception, en termes
d’équité, de cette répartition. Les épouses, mêmes si elles exercent une
activité professionnelle, effectuent la grande majorité du travail domes-
tique et des tâches liées aux soins et à l’éducation des enfants. En outre,
épouses et époux tendent à percevoir cette répartition comme étant un
arrangement « juste ». Prenant acte de l’incapacité de la sociologie clas-
sique ou des théories économiques à expliquer ce qui semble bien être une
contradiction, Berk suggère que ce qui est impliqué dans la production
des biens et des services domestiques est plus complexe qu’un arran-
gement fondé sur la rationalité :

NQF Vol. 28, No 3 / 2009 | 53.


« Qui dispose de plus de temps pour le faire ? ›, ‹ Le temps de qui est-il le plus
précieux ? ›, ‹ Qui est le/la plus compétent·e ou possède le plus de pouvoir? ›:
dans la mesure où la question se pose rarement en ces termes, il est clair que ce
qui détermine la distribution du temps des individus entre le temps de travail
professionnel et le temps consacré à l’unité domestique ressortit en dernière
instance au lien complexe qui se noue entre la structure des impératifs de travail
et la structure des attentes normatives, relativement au genre, attachées au tra-
vail.» (Berk, 1985: 195-196)

Berk observe notamment que le facteur qui a le plus d’influence sur la


contribution des épouses au travail domestique est la quantité totale de
travail que demande ou que semble demander la gestion de l’unité domes-
tique; l’établissement de cette somme ne se fonde en aucune manière sur
la contribution des époux. Les épouses font état de raisons (les leurs et cel-
les de leurs époux) variées pour justifier leur niveau de contribution et, de
manière générale, ne dérogent pas au présupposé selon lequel la réalisa-
tion du travail domestique est d’abord de la responsabilité des femmes.

Berk (1985: 201) précise qu’il est difficile d’expliquer la manière dont
les individus «s’accordent pour établir les arrangements qu’ils mettent en
œuvre uniquement à partir de la production des biens et des services
domestiques» – ça l’est encore plus si l’on tient compte du fait que ces
arrangements sont tenus pour «justes». Elle avance alors que nos présents
arrangements quant à la division conjugale du travail prennent appui sur
deux processus de production: celle des biens et des services domestiques
(les repas, les soins aux enfants, etc.) et celle, simultanément, du genre.
© Éditions Antipodes | Téléchargé le 01/03/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.251.119.248)

© Éditions Antipodes | Téléchargé le 01/03/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.251.119.248)


Comme elle le formule:

«Les individus ‹font› le genre en même temps qu’ils ‹effectuent› les tâches
domestiques et les activités de soins et d’éducation envers les enfants, et ce
qu’on appelle [a été appelé] ‹la division du travail› pourvoit à la production
conjointe du travail domestique et du genre; c’est le mécanisme au travers
duquel les biens matériels et symboliques de l’unité domestique sont réalisés.»
(1985: 201)

Ce n’est pas tellement que le travail domestique est considéré comme


un «travail féminin», mais plutôt que s’y engager pour une femme et ne
pas s’y engager pour un homme revient à s’aligner sur les «natures essen-
tielles» correspondantes, et à les afficher. Ce qui est produit et reproduit
n’est pas seulement l’activité domestique et les biens et services qui lui
sont liées; il y a là également incarnation matérielle des rôles de bonne
épouse et de bon époux, et par dérivation, d’un comportement digne d’une
femme versus d’un homme (voir Beer 1983: 70-89). Souvent, ce sont aussi
les statuts dominant et subordonné des catégories de sexe qui sont pro-
duits et reproduits.

Comment le genre est-il accompli dans les situations de travail en


dehors de l’unité domestique, là où la dominance et la subordination sont

54. | NQF Vol. 28, No 3 / 2009


Édito Grand angle Champ libre | Parcours | Comptes rendus | Collectifs
Faire le genre
Candace West et Don H. Zimmerman

des sujets de première importance? Les analyses que Hochschild (1983) a


consacrées au travail du personnel de cabine dans les avions offrent à ce
propos de prometteuses perspectives. Celles-ci mettent en effet en évidence
que les tâches réalisées par les membres du personnel de cabine sont com-
plètement différentes selon qu’il s’agit d’hommes ou de femmes:

«Résorber l’agitation des passager·ère·s en perdition étant la principale activité


de la compagnie d’aviation, les émotions des membres du personnel de cabine
étaient soumises à rude épreuve. De surcroît, être exposé·e la journée durant à
des personnes qui résistent à l’autorité est une expérience qui diffère selon que
l’on est femme ou homme […]. À cet égard, être une femme est un désavantage.
Et dans ce cas, les hôtesses de l’air ne sont pas simplement des femmes au sens
biologique du terme. Elles sont aussi l’émanation exprimée à la perfection des
conceptions de la féminité de la classe moyenne américaine. Elles symbolisent
‹la Femme›. Dans la mesure où la catégorie ‹femme› est mentalement associée
avec le fait d’avoir un statut inférieur et une autorité moindre, les hôtesses de
l’air sont plus volontiers considérées comme étant ‹ réellement› féminines que ne
le sont les autres femmes.» (Hochschild, 1983: 175)

En réalisant ce que Hochschild nomme «le travail émotionnel» néces-


saire au maintien des profits des compagnies aériennes, les hôtesses de l’air
produisent simultanément des mises en acte de leur féminité «essentielle».

Sexe et sexualité
© Éditions Antipodes | Téléchargé le 01/03/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.251.119.248)

© Éditions Antipodes | Téléchargé le 01/03/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.251.119.248)


Comment l’accomplissement du genre et l’injonction culturelle à «l’hétéro-
sexualité obligatoire» (Rubin, 1975; Rich, 1980) sont-ils reliés? Comme Frye
(1983: 22) l’a observé, gérer les pulsions sexuelles que l’on éprouve devant
une personne membre de la catégorie de sexe appropriée exige, «avant de
permettre à son cœur de battre à la chamade ou à son sang d’affluer dans le
plaisir érotique éprouvé à la vue de cette personne», d’avoir préalablement
reconnu celle-ci comme telle. L’apparence de l’hétérosexualité est produite
au travers d’indices qui signifient sans conteste et sans ambiguïté l’appar-
tenance à une catégorie de sexe, des indices dont la combinaison a
quelque chose d’encore plus probant (Fyre, 1983: 24). Aussi, les
lesbiennes et les gays soucieuses et soucieux de passer pour des hétéro-
sexuel·le·s peuvent s’appuyer sur ces marqueurs pour se camoufler; à l’in-
verse, celles et ceux qui voudraient éviter la présomption d’hétérosexualité
peuvent préférer afficher des indices ambigus de leur statut catégoriel, et cela
à travers leurs vêtements, leur comportement et leur allure. Mais les indices
«ambigus» d’une catégorie de sexe n’en demeurent pas moins des indices de
cette catégorie. Si une personne désire être reconnue en tant que lesbienne
(ou femme hétérosexuelle), elle doit d’abord fonder son appartenance à la
catégorie de sexe «femme». Même si dans l’imagerie populaire les les-
biennes sont représentées comme des «femmes qui ne sont pas féminines»
(Frye, 1983:129), leur accountability en tant qu’elles sont des personnes
«normalement, naturellement sexuées» est préservée.

NQF Vol. 28, No 3 / 2009 | 55.


La procédure qui consiste à décrire les individus en les rapportant aux
catégories de sexe n’est pas non plus menacée par l’existence d’«opérations
de changement de sexe» – qui représentent sans doute la mise à mal la
plus radicale de nos croyances culturelles sur le sexe et le genre. Bien que
personne ne force les transsexuel·le·s à subir des thérapies hormonales, à se
soumettre à des traitements par électrolyse ou à des opérations chirurgica-
les, les alternatives dont ils et elles disposent sont indéniablement limitées:

«Quand les expert·e·s des questions de transsexualité soutiennent qu’ils et elles


ont recours aux procédures de changement de sexe uniquement avec les person-
nes qui en ont fait la demande et qui ont fait la preuve de leur capacité à ‹ pas-
ser›, ils et elles masquent la réalité sociale. Étant donné les injonctions patriar-
cales à être soit un homme soit une femme, la liberté du choix est limitée.»
(Reymond, 1979: 135, nos italiques)

La reconstruction chirurgicale de critères de sexe est le tribut ultime à


payer au «caractère essentiel» de nos natures sexuelles – de femme ou
d’homme.

Genre, pouvoir, et changement social


Reprenons la question déjà énoncée plus haut: pouvons-nous éviter de
faire le genre? Nous avons avancé précédemment que faire le genre était
inévitable, dans la mesure où les catégories de sexe sont utilisées comme
des critères fondamentaux de différenciation. C’est inévitable en raison des
© Éditions Antipodes | Téléchargé le 01/03/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.251.119.248)

© Éditions Antipodes | Téléchargé le 01/03/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.251.119.248)


conséquences sociales de l’appartenance à une catégorie de sexe, à savoir
l’attribution du pouvoir et des ressources non seulement dans les sphères
domestique, économique et politique, mais aussi au sein du vaste cercle
des relations interpersonnelles. Dans pratiquement n’importe quelle situa-
tion, la catégorie de sexe dont on est titulaire peut s’avérer pertinente, et la
performance que l’on réalise en tant que membre de cette catégorie (i.e. le
genre) être soumise à évaluation. Pour qu’une assignation statutaire à ce
point envahissante soit maintenue de façon constante tout au long de la
vie, il faut qu’elle soit considérée comme légitime.

Mais faire le genre rend également les arrangements sociaux fondés sur
les catégories de sexe intelligibles, visibles et observables en tant qu’ils sont
normaux et naturels, en tant qu’ils sont des moyens légitimes d’organiser la
vie sociale. Les différences entre femmes et hommes créées à travers ce pro-
cessus peuvent alors être présentées comment relevant de dispositions fon-
damentales et durables. En retour, il est possible de voir dans les arrange-
ments institutionnels propres à une société des réponses à ces différences
– comme si l’ordre social était simplement une adaptation à l’ordre naturel.
En d’autres termes, si, en faisant le genre, les hommes accomplissent la
dominance et les femmes la déférence (cf. Goffman, 1967: 47-95), l’ordre
social qui en résulte, qui est supposé refléter «les différences naturelles», ren-
force et légitime puissamment les arrangements hiérarchiques. Frye note:

56. | NQF Vol. 28, No 3 / 2009


Édito Grand angle Champ libre | Parcours | Comptes rendus | Collectifs
Faire le genre
Candace West et Don H. Zimmerman

«Ce qui est recherché, pour assujettir efficacement, est que la structure sociale
n’apparaisse pas comme un artefact culturel maintenu en place par décision
humaine ou en raison des mœurs, mais au contraire comme quelque chose de
naturel – comme si elle découlait presque directement de faits bruts qui
seraient hors de portée de la manipulation humaine. […] Que nous soyons, en
tant que femmes et hommes, entraîné·e·s à nous comporter si différemment et à
agir si différemment envers les autres femmes et les autres hommes, contribue
de lui-même considérablement à l’apparition d’un dimorphisme extrême; mais
en retour, la façon dont nous agissons en tant que femmes et hommes, et la
façon dont nous agissons à l’égard des femmes et à l’égard des hommes modè-
lent nos corps et nos esprits, qui prennent alors la forme de la subordination et
de la dominance. Nous devenons en fait ce que nous nous entraînons à être.»
(Frye, 1983: 34)

Si nous faisons le genre de façon appropriée, nous soutenons, repro-


duisons et rendons simultanément légitimes les arrangements institution-
nels fondés sur les catégories de sexe. Si nous échouons à faire le genre
convenablement, il est possible que nous soyons appelé·e·s, en tant qu’in-
dividus – ce ne sont pas des arrangements institutionnels dont il s’agit ici –,
à rendre des comptes (au sujet de notre identité, de nos raisons d’agir et de
nos prédispositions).

Les mouvements sociaux tels que le féminisme peuvent fournir l’idéo-


logie et l’impulsion propres à questionner les arrangements sociaux exis-
tants, ainsi qu’à procurer aux individus le soutien social nécessaire à l’ex-
ploration d’alternatives sociétales. Par ailleurs, les changements législatifs,
© Éditions Antipodes | Téléchargé le 01/03/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.251.119.248)

© Éditions Antipodes | Téléchargé le 01/03/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.251.119.248)


tels ceux proposés par l’Amendement des droits égaux [Equal Rights
Amendment], sont susceptibles de restreindre la légitimité à recourir aux
catégories de sexe pour décrire les comportements, rendant possible ce fai-
sant un relâchement plus étendu de l’accountability en général. Mais ce qui
est certain, c’est que l’égalité devant la loi ne garantit pas l’égalité dans les
autres arènes institutionnelles. Comme Lorber (1986: 577) l’a souligné,
pour qu’elle soit assurée, «l’égalité en tous points des catégories de person-
nes considérées comme étant essentiellement différentes nécessite une
vigilance constante». Ce que les types de changements proposés là peuvent
réaliser, c’est alors de garantir le droit à énoncer ce type d’interrogations:
si traiter les femmes et les hommes comme des êtres égaux est ce que nous
voulons, pourquoi aurions-nous encore besoin de deux catégories de sexe
(voir Lorber, 1986: 577)?

La mise en rapport entre les catégories de sexe et le genre vient relier


les niveaux institutionnel et interactionnel, un appariement qui légitime
les arrangements fondés sur les catégories de sexe et reproduit leur asymé-
trie dans les interactions en face-à-face. «Faire le genre» fournit l’échafau-
dage de la structure sociale, et cet accomplissement est accompagné d’un
mécanisme interne de contrôle social. En reconnaissant que ce sont bien
des forces institutionnelles qui maintiennent des distinctions entre femmes
et hommes, nous ne devons pas perdre de vue que c’est une validation

NQF Vol. 28, No 3 / 2009 | 57.


située au niveau interactionnel qui confère à ces distinctions leur caractère
de «naturalité» et de «normalité».

Le changement social doit alors être appréhendé aussi bien au plan


institutionnel et culturel, celui des catégories de sexe, qu’au niveau inter-
actionnel du genre. Une telle conclusion n’a rien d’original. Néanmoins,
nous suggérons qu’il est important de se rappeler que la distinction analy-
tique entre les domaines institutionnels et interactionnels n’est pas, quand
il s’agit du problème du changement social en cours de réalisation, une
question à poser en termes de choix. Revoir la conceptualisation du genre,
en concevant ce dernier non pas comme une simple propriété des individus
mais comme une dynamique en soi de l’ordre social implique l’adoption
d’une autre perspective sur le réseau tout entier des relations de genre:

«[L’]assujettissement social des femmes, et les pratiques culturelles qui contri-


buent à le maintenir; la politique qui gouverne le choix du/de la partenaire
sexuel·le, et plus particulièrement l’oppression des homosexuel·le·s ; la division
sexuelle du travail, la formation des identités et des raisons d’agir, dans la
mesure où ces dernières sont organisées autour de la féminité et de la masculi-
nité; le rôle du corps dans les relations sociales, plus spécifiquement la poli-
tique qui régule l’enfantement; et la nature des stratégies des mouvements de
libération sexuelle.» (Connell, 1985: 261)

Le genre est un puissant dispositif idéologique, qui produit, reproduit


et légitime les choix et les restrictions fondés sur les catégories de sexe.
Comprendre comment le genre est produit dans les situations sociales per-
© Éditions Antipodes | Téléchargé le 01/03/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.251.119.248)

© Éditions Antipodes | Téléchargé le 01/03/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.251.119.248)


mettra de clarifier l’échafaudage interactionnel de la structure sociale,
ainsi que les processus de contrôle social qui le soutiennent. I

Traduction de l’anglais (américain) par Fabienne Malbois

58. | NQF Vol. 28, No 3 / 2009


Édito Grand angle Champ libre | Parcours | Comptes rendus | Collectifs
Faire le genre
Candace West et Don H. Zimmerman

Références

Beer, William R. (1983). Househusbands: Men Cucchiari, Salvatore (1981). «The Gender Revolu-
and Housework in American Families. New York: tion and the Transition from Bisexual Horde to
Praeger. Patrilocal Band: The Origins of Gender Hierar-
Bern, Sandra L. (1983). «Gender Schema Theory chy». In Sherry B. Ortner et al. (Éds), Sexual Mea-
and Its Implications for Child Development: Rai- nings: The Cultural Construction of Gender and
sing Gender-Aschematic Children in a Gender- Sexuality (pp. 31-79). New York: Cambridge.
Schematic Society». Signs, 8, 598-616. Firestone, Shulamith (1970). The Dialectic of Sex:
Berger, Joseph, Thomas L. Conner et Morris Zel- The Case for Feminist Revolution. New York:
ditch (1972). «Status Characteristics and Social William Morrow.
Interaction». American Sociological Review, 37, Fishman, Pamela (1978). «Interaction: The Work
241-255. Women Do». Social Problems, 25, 397-406.
Berger, Joseph, Thomas L. Conner et M. Hamit Frye, Marilyn (1983). The Politics of Reality:
Fisek (Éds) (1974). Expectations States Theory: A Essays in Feminist Theory. Trumansburg, New
Theoretical Research Program. Cambridge: Win- York: The Crossing Press.
throp. Garfinkel, Harold (1967). Studies in Ethnometho-
Berger, Joseph, M. Hamit Fisek, Robert dology. Englewood Cliffs, N. J.: Prentice-Hall.
Z. Norman et Morris Jr. Zelditch (1977). Status (Recherches en ethnométhodologie, traduit par
Characteristics and Social Interaction: An Expec- Michel Barthélémy, Baudouin Dupret, Jean-
tation States Approach. New York: Elsevier. Manuel de Queiroz et Louis Quéré, Paris: PUF,
Berk, Sarah F. (1985). The Gender Factory: The 2007).
Apportionment of Work in American Households. Gerson, Judith M. et Kathy Peiss (1985). «Boun-
New York: Plenum. daries, Negociation, Consciouness: Reconceptuali-
Bernstein, Richard (1986). «France Jails 2 in Odd zing Gender Relations». Social Problems, 32, 317-
Case of Espionage». New York Times, May 11. 331.

Blackwood, Evelyn (1984). «Sexuality and Gen- Goffman, Erving (1967 [1956]). «The Nature of
der in Certain Native American Tribes: The Case Deference and Demeanor». In Interaction Ritual
(pp. 47-95). New York: Anchor/Doubleday.
© Éditions Antipodes | Téléchargé le 01/03/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.251.119.248)

© Éditions Antipodes | Téléchargé le 01/03/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.251.119.248)


of Cross-Gender Females». Signs, 10, 27-42.
Bourne, Patricia G. et Norma J. Wikler (1978). Goffman, Erving (1976). «Gender Display». Stu-
«Commitment and the Cultural Mandate: Women dies in the Anthropology of Visual Communica-
in Medicine». Social Problems, 25, 430-440. tion, 3, 69-77. («Le déploiement du genre», traduit
par Frédérique Beuzon et Sébastien Sengenes, Ter-
Cahill, Spencer E. (1982). Becoming Boys and rain, 42, pp. 109-128, 2004).
Girls. Ph. D. dissertation, Department of Socio-
logy, University of California, Santa Barbara. Goffman, Erving (1977). «The Arrangement Bet-
ween the Sexes». Theory and Society, 4, 301-331.
Cahill, Spencer E. (1986a). «Childhood Socializa-
tion as Recruitment Process: Some Lessons from Henley, Nancy M. (1985). «Psychology and Gen-
the Study of Gender Development». In Patricia der». Signs, 11, 101-119.
Adler et al. (Éds), Sociological Studies of Child Heritage, John (1984). Garfinkel and Ethnometho-
Development (pp. 163-168). CT: JAI Press. dology. Cambridge, England: Polity Press.
Cahill, Spencer E. (1986b). «Language Practices Hill, W. W. (1935). «The Status of the Hermaphro-
and Self-Definition: The Case of Gender Identity dite and Travestite in Navaho Culture». American
Acquisition». The Sociological Quaterly, 27, 295- Anthropologist, 37, 273-279.
311. Hochschild, Arlie R. (1973). «A Review of Sex
Chodorow, Nancy (1987). The Reproduction of Roles Research». American Journal of Sociology,
Mothering: Psychoanalysis and the Sociology of 78, 1011-1029.
Gender. Los Angeles: University of California Hochschild, Arlie R. (1983). The Managed Heart:
Press. Commercialization of Human Feeling. Berkeley:
Connell, R. W. (1983). Which Way Is Up? University of California Press.
Sydney: Allen et Unwin. Hughes, Everett C. (1945). «Dilemmas and
Connell, R. W. (1985). «Theorizing Gender». Contradictions of Status». American Journal of
Sociology, 19, 260-272. Sociology, 50, 353-359.

NQF Vol. 28, No 3 / 2009 | 59.


Références

Humphreys, Paul et Joseph Berger (1981). «Theo- Money, John et Anke A. Erhard (1972). Man and
retical Consequences of The Status Characteristics Woman/Boy and Girl. Baltimore: John Hopkins.
Formulation». American Journal of Sociology, 86, Money, John et Charles Ogunro (1974). «Beha-
953-983. vioral Sexology: Ten Cases of Genetic Male Inter-
Jaggar, Alison M. (1983). Feminist Politics and sexuality with Impaired Prenatal and Pubertal
Human Nature. Totowa, N. J.: Rowman et Allan- Androgenization». Archives of Sexual Behavior, 3,
held. 181-206.
Kessler, S. D. J. Ashendon, R. W. Connell, et Money, John et Patricia Tucker (1975). Sexual
G. W. Dowsett (1985). «Gender Relations in Signatures. Boston: Little, Bronw.
Secondary Schooling». Sociology of Education, 58, Morris, Jan (1974). Conundrum. New York: Har-
34-48. court Brace Jovanovich.
Kessler, Suzanne J. et Wendy McKenna (1978). Parsons, Talcott (1951). The Social System. New
Gender: An Ethnomethodological Approach. New York: Free Press.
York: Wiley.
Parsons, Talcott et Robert F. Bales (1955). Family,
Kollock, Peter, Philip Blumstein et Pepper Socialization and Interaction Process. New York:
Schwartz (1985). «Sex and Power in Interaction». Free Press.
American Sociological Review, 50, 34-46.
Raymond, Janice G. (1979). The Transsexual
Komarovsky, Mirra (1946). «Cultural Contradic- Empire. Boston: Beacon.
tions and Sex Roles». American Journal of Socio-
logy, 52, 184-189. Rich, Adrienne (1980). «Compulsory Heterosexua-
lity and Lesbian Existence». Signs, 5, 631-660.
Komarovsky, Mirra (1950). «Functional Analysis
of Sex Roles». American Sociological Review, 15, Richards, Rennee (avec John Ames) (1983).
508-516. Second Serve: The Rennee Richards Story. New
York: Stein and Day.
Linton, Ralph (1936). The Study of Man. New
York: Appleton-Century. Rossi, Alice (1984). «Gender and Parenthood».
American Sociological Review, 49, 1-19.
Lopata, Helen Z. et Barrie Thorne (1978). «On the
© Éditions Antipodes | Téléchargé le 01/03/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.251.119.248)

© Éditions Antipodes | Téléchargé le 01/03/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.251.119.248)


Term ‹Sex Roles». Signs, 3, 718-721. Rubin, Gayle (1975). «The Traffic in Women:
Notes on the ‘Political Economy’ of Sex». In
Lorber, Judith (1984). Women Physicians: Careers, Rayna Reiter (Éds), Toward an Anthropology of
Status and Power. New York: Tavistock. Women (pp. 157-210). New York: Monthly Review
Lorber, Judith (1986). «Dismantling Noah’s Ark». Press.
Sex Roles, 14, 567-580. Sacks, Harvey (1972). «On the Analyzability of
Martin, M. Kay, et Barbara Voorheis (1975). Stories by Children». In John J. Gumperz et al.
Female of the Species. New York: Columbia Uni- (Éds), Directions in Sociolinguistics (pp. 325-345).
versity Press. New York: Holt, Rinehart et Winston.
Mead, Margaret (1963). Sex and Temperment. Schütz, Alfred (1943). «The Problem of Rationa-
New York: Dell. lity in the Social World». Economics, 10, 130-149.
Mithers, Carol L. (1982). «My Life as a Man». The Stacey, Judith et Barrie Thorne (1985). «The Mis-
Village Voice, 27, October 5 : 1 ff. sing Feminist Revolution in Sociology». Social
Money, John (1968). Sex Errors of the Body. Balti- Problems, 32, 301-316.
more: Johns Hopkins. Thorne, Barrie (1980). Gender… How Is It Best
Money, John (1974). «Prenatal Hormones and Conceptualized? Manuscrit non publié.
Postnatal Sexualization in Gender Identity Diffe- Thorne, Barrie (1986). «Girls and Boys Together…
renciation». In James K. Cole et al. (Éds), But Mostly Apart: Gender Arrangements in Ele-
Nebraska Symposium on Motivation (pp. 221-295) mentary Schools». In Willard Hartup et al. (Éds),
(vol. 21). Lincoln: University of Nebraska Press. Relationships and Development (pp. 167-182).
Money, John et John G. Brennan (1968). «Sexual Hillsdale, NJ: Lawrence Erlbaum.
Dimorphism in the Psychology of Female Trans- Thorne, Barrie et Zella Luria (1986). «Sexuality
sexuals». Journal of Nervous and Mental Disease, and Gender in Children’s Daily Worlds». Social
147, 487-499. Problems, 33, 176-190.

60. | NQF Vol. 28, No 3 / 2009


Édito Grand angle Champ libre | Parcours | Comptes rendus | Collectifs
Faire le genre
Candace West et Don H. Zimmerman

Tresemer, David (1975). «Assumptions Made In Barrie Thorne (Ed.), Language, Gender and
About Gender Role». In Marcia Millman et al. Society (pp. 102-117). Rowley, MA: Newbury
(Éds), Another Voice: Feminist Perspectives on House.
Social Life and Social Science (pp. 308-339). New Wieder, D. Lawrence (1974). Language and Social
York: Anchor/Doubleday. Reality: The Case of Telling the Convict Code. Den
West, Candace (1984). «When the Doctor is a Haag: Mouton.
‹Lady›: Power, Status and Gender in Physician- Williams, Walter L. (1986). The Spirit and the
Patient Encounters». Symbolic Interaction, 7, 87- Flesh: Sexual Diversity in American Indian Culture.
106. Boston: Beacon.
West, Candace et Bonita Iritani (1985). «Gender Wilson, Thomas P. (1970). «Conceptions of Inter-
Politics in Mate Selection: The Male-Older Norm». action and Forms of Sociological Explanation».
Paper presented at the Annual Meeting of the American Sociological Review, 35, 697-710.
American Sociological Association, août, Was-
Zimmerman, Don H. et D. Lawrence Wieder
hington, DC. (1970). «Ethnomethodology and the Problem of
West, Candace et Don H. Zimmeran (1983). Order: Comment on Denzin». In J. Jack Douglas
«Small Insults: A Study of Interruptions in (Ed.), Understanding Everyday Life (pp. 287-295).
Conversations Between Unacquainted Persons». Chicago: Aldine.
© Éditions Antipodes | Téléchargé le 01/03/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.251.119.248)

© Éditions Antipodes | Téléchargé le 01/03/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.251.119.248)

NQF Vol. 28, No 3 / 2009 | 61.

Vous aimerez peut-être aussi