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Christine Chivallon
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1. Ernst Bernard Haas, « What is Nationalism and Why Should We Study it ? », Inter-
national Organization, vol. 40, no 3, 1986, p. 717.
2. Selon les définitions proposées dans l’article critique sur les théories du nationalisme
de Christophe Jaffrelot, « For a Theory of Nationalism », Questions de Recherche, no 10,
Paris, Centre d’études et de recherches internationales, 2003, p. 5. Parmi l’abondante
littérature destinée à présenter ou commenter les différentes théories sur le nationa-
lisme, on se limitera à signaler les références suivantes : E. B. Haas, « What is Natio-
4. Marc Redfield, « Ima-gination. The Imagined Community and the Aesthetics of Mour-
ning », Diacritics, vol. 29, no 4, 1999, p. 60.
5. Euan Hague, « Benedict Anderson », in Phill Hubbard, Rob Kitchin, Gill Valentine
(dir.), Key Thinkers on Space and Place, Londres, Sage, 2004, p. 19.
6. Notre traduction : Gale Stokes, « How is Nationalism Related to Capitalism », Compa-
rative Studies in Society and History, vol. 28, no 3, 1986, p. 597.
134 – Christine Chivallon
7. On trouvera cette bipolarité et les différentes désignations dont elle est l’objet décrites
dans Pecora (V. P. Pecora, Nations and Identities..., op. cit., p. 25) avec la distinction
opérée entre « primordialistes » et « modernistes » ; dans Thomas Hylland Eriksen,
« Place, Kinship and the case for non-ethnic nations », Nations and Nationalism,
vol. 10, no 1/2, 2004, p. 49-50) où il s’agit de dépasser le clivage entre « constructi-
vistes » et « pérennialistes » ; dans A. J. Motyl, « Imagined communities... », art. cité,
p. 234, qui sépare « constructivisme » et « primordialisme » ; dans Özkirimli (2003,
p. 340 et 344) où la division concerne les « ethnosymbolistes » et les « modernistes »
ou « constructivistes ».
Retour sur la « communauté imaginée » d’Anderson – 135
aux sciences sociales « modernes » 20. Pour Motyl 21, le fait que Bene-
dict Anderson ne parvienne pas à poser clairement, par son approche
du nationalisme, la différence entre la réalité d’un nouveau type de
société et la réalité d’un nouveau type d’idéalité ou de représentation
à propos de cette société explique que la lecture de son ouvrage puisse
satisfaire autant les modernes que les postmodernes.
Mais qu’en est-il exactement du propos de Benedict Anderson ?
Pour en comprendre le sens, il faut bien évidemment partir de la
définition de la « communauté imaginée ». Brève, faisant l’objet d’à
peine quelques lignes, celle-ci se résume à affirmer « la faculté imagi-
nante » au cœur des nations, une faculté qui consiste à créer une
communauté imaginaire là où elle n’existe pas puisque les membres
qui la composent « ne connaîtront jamais la plupart de leurs conci-
toyens » 22. Nous reviendrons plus en détail sur cette définition qui,
à ce stade, nous sert seulement d’entrée en matière dans l’ouvrage.
Car ce dernier ne s’attache pas à des définitions, ni ne cherche des
adéquations ou des mises à l’épreuve d’une notion posée d’emblée
comme un concept 23. Sitôt la nation postulée comme « imaginée »
en raison de cette absence d’interconnaissance, Anderson 24 énumère
les caractéristiques de ce produit formé par l’imaginaire. Elles sont
au nombre de trois : « la nation est imaginée comme limitée (elle est
contenue dans des « frontières finies » et ne se figure jamais « coex-
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20. Pour une approche critique (en langue française) des mouvances postmodernes, se
reporter à Christine Chivallon, « Les pensées postmodernes britanniques ou la quête
d’une pensée meilleure », Cahiers de Géographie du Québec, vol. 43, 1999, p. 119, et
Christian Ghasarian, « À propos des épistémologies postmodernes », Ethnologie fran-
çaise, vol. 28, no 4, 1998, p. 563-577). Sur les Cultural Studies qui leur sont associées,
voir la présentation de Armand Mattelart et Erik Neveu (Introduction aux Cultural
Studies, Paris, La Découverte, 2003), où celles-ci sont présentées comme une remise
en cause du rôle pivot de la classe sociale qui met désormais en exergue la capacité
critique des acteurs (et consommateurs de biens culturels) et réévalue l’interférence
des notions de genre, d’identité sexuelle et ethnique. Le défenseur des Cultural Studies
qu’est Arjun Appadurai (Après le colonialisme. Les conséquences culturelles de la globa-
lisation, trad. de l’angl. par Françoise Bouillot et Hélène Frappat, Paris, Payot, 2001,
p. 93) dit d’elles qu’elles « s’intéressent à la relation entre le verbe et le monde », ce
qui traduit parfaitement l’importance qu’elles accordent aux représentations et surtout
aux discours qui les portent.
21. A. J. Motyl, « Imagined communities... », art. cité, p. 235.
22. B. Anderson, L’imaginaire national..., op. cit., p. 19.
23. Ibid., p. 18.
24. Ibid., p. 20-21.
138 – Christine Chivallon
s’arrête pas là. Il est aussi, comme on peut s’y attendre, le moyen
de véhiculer l’idée nationale : « la fiction s’infiltre paisiblement et
continûment dans la réalité, créant cette remarquable confiance de
la communauté dans l’anonymat qui est la marque distinctive des
nations modernes 31 ». La presse effectue un travail similaire. Le
journal rythme le temps, dans un quotidien déjà obsolète qui
n’attend que son lendemain. Sa lecture crée cette « cérémonie de
masse » aux tonalités modernes, celle de lecteurs se sachant seuls
dans l’accomplissement de ce rituel séculier, mais avec la connais-
sance intime d’un partage avec des milliers d’autres qu’ils ne voient
pas 32. À la longue, au cours du 19e siècle, quand le nationalisme
passera à son stade « officiel », offensif et normatif, la « chose
imprimée » sera la clé de voûte de la fixation de l’idée nationale,
notamment grâce à l’instruction 33, l’écrit véhiculant volontiers les
valeurs du patriotisme et de son sens sacrificiel et, avec elles, les
limites de l’entour national intimant toujours à une conception à
la fois ouverte (au Nous) et fermée (aux Eux) 34. Et comme « la
nation a été conçue dans le langage 35 », ce sont aussi l’ensemble des
textes et récits, l’accumulation de documents de toute sorte, qui
ont la charge de dire la fraternité, d’en tracer l’histoire et d’en créer
le mythe, d’en authentifier les racines « naturelles » pour des sociétés
neuves restées pourtant fragmentées, « fracturées par les antago-
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40. Pour Anderson (B. Anderson, ibid.), l’origine des nations modernes est à rechercher
dans les nouveaux États américains de la fin du 18e siècle. Ce nationalisme quasi
spontané est relayé en Europe, au cours du 19e siècle, par un « nationalisme officiel »
(selon la détermination que B. Anderson emprunte à Hugh Seton-Watson) qui relève
d’une visée stratégique liée à la fusion volontaire de la nation et de l’empire dynas-
tique. Le développement des nations européennes est en effet vu comme une réponse
des « puissants » (ibid., p. 116) à l’apparition de nationalismes linguistiques populaires
– une sorte de récupération – et qui indique également la perpétuation des formes
d’expansion impériale au travers du colonialisme moderne. La troisième périodisation
concerne « la dernière vague » (ibid., chap. 6) qui s’affirme définitivement au lende-
main de la Seconde Guerre mondiale. Elle concerne l’émergence des nouveaux états
où la dissémination nationale s’est opérée. Elle est à la fois une réponse à l’impéria-
lisme colonial et une exigence pratique, y compris en Europe, pour réaménager les
empires de la fin du 19e siècle devenus « trop imposants et trop étendus » (ibid.,
p. 144).
41. Ibid., chap. 3.
42. Ibid., p. 69.
43. Ibid., p. 193.
Retour sur la « communauté imaginée » d’Anderson – 141
44. Pheng Cheah, « Grounds of Comparison », Diacritics, vol. 29, no 4, 1999, p. 3-18,
p. 6.
45. Pour des compte rendus de l’ouvrage d’Anderson, se reporter à E. B. Haas, « What
is Nationalism... », art. cité, p. 707-744 ; E. Hague, « Benedict Anderson », in
P. Hubbard, R. Kitchin, G. Valentine (dir.), Key Thinkers on Space and Place, op.
cit. ; Aviel Roshwald, « Untangling the Knoted Cord : Studies of Nationalism »,
Journal of Interdisciplinary History, vol. 24, no 2, 1993, p. 293-303 ; G. Stokes, « How
is Nationalism Related to Capitalism », art. cité, p. 591-598 ; Y. Tamir, « The Enigma
of Nationalism », art. cité, p. 418-440.
46. B. Anderson, L’imaginaire national..., op. cit., p. 20.
47. « Le nationalisme n’est pas l’éveil à la conscience des nations : il invente des nations
là où il n’en existe pas », Ernest Gellner cité par Anderson, ibid., p. 19-20.
48. Ibid., p. 20.
142 – Christine Chivallon
67. Marie-Pierre Julien, Céline Rosselin, La culture matérielle, Paris, La Découverte, 2005.
68. Jean-François Bayart, Jean-Pierre Warnier, Matière à politique, Paris, Karthala, 2004.
69. Diacritics, « Grounds of Comparison : around the Work of Benedict Anderson »,
(numéro spécial coordonné par Pheng Cheah et Jonathan Culler), vol. 29, no 4, 1999.
70. P. Cheah, « Grounds of Comparison », Diacritics, vol. 29, no 4, 1999, p. 4 ; M. Red-
field, « Ima-gination... », art. cité, p. 60.
71. Marc Augé, Non-lieux. Introduction à une anthropologie de la sur-modernité, Paris,
Seuil, 1992.
72. Ibid., p. 119.
146 – Christine Chivallon
73. Françoise Paul-Lévy et Marion Ségaud, Anthropologie de l’espace, Alors, Paris, Centre
Georges Pompidou, 1983, p. 33.
74. B. Anderson, L’imaginaire national..., op. cit., chap. 9.
75. Ibid., p. 187.
76. B. Anderson, The Spectre of Comparisons..., op. cit.
77. Se reporter sur cette distinction à la lecture critique proposée par Partha Chatterjee,
« Anderson’s Utopia », Diacritics, op. cit., p. 128-134.
Retour sur la « communauté imaginée » d’Anderson – 147
80. Cette interrogation a été effectuée en 2004. Nous profitons de cette mention pour
remercier les collègues de l’Université de Bristol (Royaume-Uni) qui ont facilité cette
recherche, avec une reconnaissance particulière pour Olivier Milhaud qui était alors
étudiant inscrit dans cette même université. Précisons sur ce point combien cette
étude a été l’occasion, s’il en était besoin, de noter l’écart dans la distribution des
ressources nécessaires à la pratique de la recherche, l’accès aux revues en lignes deve-
nant le signe majeur des dotations différentielles entre chercheurs d’un espace aca-
démique à l’autre, l’hégémonie anglo-américaine sur laquelle certains ont si bien su
attirer l’attention (Rob Kitchin, « Disrupting and destabilising Anglo-American and
English-language hegemony in Geography », Documents d’Anàlisi Geogràfica, no 42,
2003, p. 17-36) ne reposant plus seulement sur la maîtrise de la langue anglaise dans
les possibilités éditoriales mais sur les moyens financiers pour pénétrer des marchés
linguistiques désormais très contrôlés.
81. La plus ancienne référence relevée au cours de cette interrogation date de 1991.
82. À titre illustratif, pour 2003, les occurrences de la référence à l’ouvrage d’Anderson
de 1991 (chiffre indiqué entre parenthèses) dans quelques revues considérées comme
influentes depuis notre perspective française, étaient les suivantes : Ethnicities (2) ;
Social Identities (2) ; Cultural Studies (1), Journal for Cultural Research (2) ; Theory,
Culture and Society (1). La revue Nation and Nationalism comprenait 4 occurrences
pour le seul numéro de janvier 2003.
Retour sur la « communauté imaginée » d’Anderson – 149
83. Stephen Conway, « Ageing and Imagined Community : Some Cultural Construc-
tions and Reconstructions », Sociological Research Online, vol. 8, no 2, 2003.
84. David Woolwine, « Community in gay male experience and moral discourse », Journal
of Homosexuality, vol. 38, no 4, 2000, p. 5-37.
85. Gillian Rose, « Spatialities of “Community”, Power and Change : the Imagined Geo-
graphies of Community Arts Projects”, Cultural Studies, vol. 11, no 1, 1997, p. 1-16.
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89. Par « postcolonialisme », il faut comprendre ici un courant de pensée divers (et non
un état qui succède au colonialisme) développé par des universitaires originaires des
ex-empires coloniaux, en particulier de l’Inde, et dont la vocation, comme pour le
postmodernisme, est à la fois de déconstruire le modèle de la raison conçu comme
modèle culturel parmi d’autres, et de rétablir la différence culturelle autrement qu’à
travers le prisme eurocentré (voir sur ce point Jacques Pouchepadass, « Les subaltern
studies ou la critique postcoloniale », L’Homme, no 156, 2000, p. 161-186).
90. P. Chatterjee, « Whose Imagined Community ? », Millenium : Journal of International
Studies, vol. 20, no 3, 1991, p. 521-525 ; P. Chatterjee, « Anderson’s Utopia », art.
cité, p. 128-134.
91. P. Chatterjee, « Anderson’s Utopia », ibid., p. 131.
92. P. Chatterjee, « Whose Imagined Community ? », art. cité, p. 522.
93. Homi Bhabha (dir.), Nation and Narration, Londres, Routledge, 1990 ; H. Bhabha,
The Location of Culture, Londres, Routledge, 1994 [2006].
Retour sur la « communauté imaginée » d’Anderson – 151
99. Sur la fétichisation du terme « diaspora », voir Katharyne Mitchell, « Different dias-
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120. Gilles Deleuze, Pourparlers, 1972-1990, Paris, Les Éditions de Minuit, 2003 [1990],
p. 93.
121. Ne retrouve t-on pas, contre toute attente, dans la logique de Port-Royal (Antoine
Arnaut et Pierre Nicole, La logique ou l’art de penser, Paris, Gallimard, 1992, 1, 1),
reflet de la pensée de Descartes, une parenté avec cette indiscernabilité : « tout ce
qu’on peut faire pour empêcher qu’on s’y trompe, est de marquer la fausse intelli-
gence qu’on pourrait donner à ce mot [idée] en le restreignant à cette seule façon
de concevoir les choses, qui se fait par l’application de notre esprit aux images qui
sont peintes dans notre cerveau, et qui s’appelle imagination ».
122. Gilbert Durand, L’imagination symbolique, Paris, PUF, 1998 [1964].
123. Ibid., p. 8.
124. Ibid., p. 10.
125. Ibid., p. 11.
Retour sur la « communauté imaginée » d’Anderson – 157
se définit pas par son opposition au réel, mais par les degrés de
concrétude qu’il acquiert et qui dépendent des rapports de pouvoir.
128. Cornelius Castoriadis, L’institution imaginaire de la société, Paris, Seuil, 1975, p. 477.
129. Ibid., p. 177.
130. Ibid., p. 178.
131. Ibid., p. 8. Souligné par l’auteur.
132. Ibid., p. 219.
133. Ibid., p. 257.
134. G. Durand, L’imagination symbolique, op. cit.
Retour sur la « communauté imaginée » d’Anderson – 159
143. Claude Lévi-Strauss, Le totémisme aujourd’hui, Paris, PUF, 1980 [1962], p. 132.
144. C. Castoriadis, L’institution imaginaire de la société, op. cit., p. 197.
145. Ibid., p. 474-498.
146. Peter Berger et Thomas Luckmann, La construction sociale de la réalité, trad. de
l’angl. par Pierre Taminiaux, Paris, Méridien Klincksieck, 1986, p. 143.
147. Ibid., p. 53.
148. A. Appadurai, Après le colonialisme..., op. cit., p. 69.
162 – Christine Chivallon
qui n’est pas plus radical qu’un autre comme le prétend Redfield 149,
mais simple manière d’imaginer différemment le lien social, ce
qu’Anderson avait laissé entendre avant de s’engouffrer dans la
brèche de liens de face-à-face irréels. Il n’y a plus lieu également de
tenir la nation pour tellement imaginée qu’elle finit par être « une
réplique sans original » 150 autrement dit, sans référent. L’auto-réfé-
renciation est partie intégrante de la construction sociale. La nation
crée son propre référent et n’a besoin d’aucun modèle, même si
l’on serait tenté de transcrire dans les mots de Castoriadis 151, plus
que dans ceux de Smith 152, que « tout symbolisme s’édifie sur les
ruines des symbolismes précédents », ce qui est éminemment pré-
sent dans l’ouvrage d’Anderson au travers du recyclage de l’esprit
impérialiste dans l’idéologie de la nation, à la fois pour maintenir
le rôle des élites dans la prolifération des nationalismes populaires
et pour assouvir le désir expansionniste.
Pour avoir une idée de ce que pourrait être une « copie » en
parlant des systèmes de signes et voir que la nation n’en est pas
une, il faudrait se tourner vers la notion de « simulacres » déve-
loppée par Baudrillard 153. Ceux-là se multiplient aujourd’hui et
caractérisent sûrement notre surmodernité (ou postmodernité).
Espaces déconnectés d’une histoire, d’une négociation collective,
ou d’une maturation des rapports sociaux, ils sont tous ces lieux
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177. Claude Levi-Strauss, Tristes tropiques, Paris, Plon, 1955 ; Cl. Levi-Strauss, Anthro-
pologie structurale, Paris, Plon, 1974 [1958].
178. Cl. Levi-Strauss, Tristes tropiques, op. cit., p. 259.
179. Ibid., p. 250.
180. Maurice Leenhardt, Do Kamo. La personne et le mythe dans le monde mélanésien,
Paris, Gallimard, 1971 [1947], p. 125.
181. Philippe Descola, Les lances du crépuscule. Relations Jivaros, Haute-Amazonie, Paris,
Plon, 1993, p. 255.
Retour sur la « communauté imaginée » d’Anderson – 169
182. Pierre Clastres, La société contre l’État, Paris, Éditions de Minuit, 1974, p. 129.
183. Jeanne Favret-Saada, Les mots, la mort, les sorts, Paris, Gallimard, 1977, p. 213.
184. Jacky Dahomay, « Identité culturelle et identité politique. Le cas antillais », in Will
Kymlicka et Sylvie Mesure, « Comprendre les identités culturelles », no 1, coll.
« Comprendre », Paris, PUF, 2000, p. 105-109.
170 – Christine Chivallon
C’est encore avec Castoriadis qu’il faut formuler une telle ques-
tion, ouvrir sur le chantier si familier à nos démarches de connais-
sance, pour envisager les conditions de possibilité de savoir sur les
imaginaires quand ce savoir lui-même reste « fonction du couple de
catégories imaginaire-rationnel 185 ». En d’autres mots, il nous faut
assumer cette imparable « réalité » qui fait que nous ne pouvons pas
« comprendre l’autrefois et l’ailleurs de l’humanité qu’en fonction de
nos propres catégories 186 ». Après avoir fourni l’un des textes les plus
classiques du nationalisme du point de vue du modèle primordialiste
qu’il mobilise, Clifford Geertz 187, sans doute plus enclin à revoir les
œuvres des classiques anthropologues que ses propres écrits, parve-
nait à cette même évidence de la fragilité de nos modes d’intellection.
L’anthropologie, comme toutes les autres sciences sociales, doit
désormais faire avec ce terrible « fardeau » de la conscience qu’elle a de
l’incertitude épistémologique et morale qui la traverse, une incerti-
tude débusquée derrière « la mystique professionnelle 188 » qui pou-
vait jusqu’alors jouer en faveur d’une croyance forte en nos catégories
rationnelles et convaincre d’un réalisme scientifique 189. Interroger
incessamment le socle de nos connaissances, là est le lieu d’une
énergie à déployer incessamment, tenter peut-être de conforter l’exis-
tence de ce que Bourdieu pressent être un « produit historique » – la
raison – produit « paradoxal en ce qu’il peut, dans certaines limites et
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RÉSUMÉ