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Jane M. Russell
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La communication scientifique
à l’aube du XXIe siècle
Jane M. Russell
point radicales qu’il devient de plus en plus mal- XVIIe siècle, lorsqu’il devint malcommode pour
aisé de définir ce qui les distingue. Cet efface- les membres des sociétés savantes de se commu-
ment progressif des frontières entre des catégo- niquer leurs travaux sous forme épistolaire.
ries jusque-là bien définies est un aspect majeur L’examen par les pairs fut alors le moyen utilisé
du passage du support imprimé au support élec- pour garantir la qualité des travaux imprimés. La
tronique. Il a des conséquences non seulement sur publication formelle était aussi un moyen de gar-
la manière dont s’échange l’information, mais der la trace des résultats et des observations. Au
encore sur la nature des organismes qui ont la res- cours des trois siècles suivants, l’édition scienti-
ponsabilité de la traiter et de la fournir. Les rôles fique et universitaire prit une ampleur considé-
traditionnellement assignés au producteur de l’in- rable afin de faciliter la communication entre
formation, à celui qui en assure le traitement et à chercheurs (Oppenheim, Greenhalgh et Rowland,
celui qui l’utilise sont profondément remodelés. 2000).
Il est difficile de dire si la publication d’un rap- Bon nombre d’experts considèrent que la
port de recherche sur la Toile par le chercheur ou publication de travaux scientifiques, dont les
l’institution même qui en est l’auteur relève de la revues spécialisées sont le principal véhicule, tra-
communication formelle ou de la communication verse actuellement une crise qui impose l’émer-
informelle, puisqu’elle participe à la fois de l’une gence de nouvelles structures de communication.
et de l’autre. Informelle, elle l’est parce que n’en- Même si l’édition scientifique répond aux
trant dans aucune catégorie classique, telle que besoins des scientifiques et des chercheurs,
celle des articles publiés dans les revues spéciali- condamnés à « publier ou disparaître », cette acti-
sées, mais elle n’en est pas moins formelle en ce vité obéit de plus en plus aux intérêts commer-
qu’elle ne vise pas un groupe particulier, qui- ciaux des éditeurs. Depuis quelques années, les
conque le souhaite pouvant accéder à l’informa- bibliothèques universitaires sont contraintes de
tion. Il n’est pas davantage possible de définir réduire le nombre de publications en séries aux-
clairement en termes traditionnels la démarche quelles elles sont abonnées, alors même que la
d’un scientifique qui « publie » son travail sur la production d’information scientifique croît de
Toile, car il est à la fois le producteur de l’infor- façon exponentielle. En effet, leur budget dimi-
mation et celui qui l’édite et la diffuse. Il peut nue alors même que le nombre de revues spécia-
même faire de son rapport un outil de savoir en lisées et leur prix ne cessent d’augmenter. De ce
incluant dans sa « publication » des liens ren- fait, la masse de documents mise à la disposition
voyant à d’autres travaux également accessibles des scientifiques par les services de bibliothèque
sur la Toile. a diminué partout dans le monde. Nombreux sont
De telles évolutions affectent la structure les bibliothécaires et les spécialistes de l’infor-
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travaux réalisés par les propres enseignants et d’une forme quelconque d’assurance de qualité.
chercheurs de l’université (Oppenheim, Green- La fiabilité est considérée comme une condition à
halgh et Rowland, 2000). laquelle il est impératif de satisfaire pour être
D’autres auteurs ont proposé que les cher- effectivement « publié » sur la Toile. Elle suppose
cheurs de toutes disciplines « publient » leurs que le document électronique a fait l’objet d’un
articles en les versant aux archives librement certain contrôle collectif, à l’issue duquel il a été
accessibles d’un « système de communication reconnu que son contenu présentait un degré de
interuniversitaire », c’est-à-dire d’un réseau élec- fiabilité élevé. Ce contrôle collectif repose en
tronique où les universités auraient de nouveau le général sur certaines normes propres à la com-
contrôle des auteurs et des travaux « publiés ». munauté scientifique, comme les garanties que
Des comités de lecture, dont les membres seraient confèrent l’examen par les pairs, la réputation de
sélectionnés et élus par les institutions participant l’éditeur, la qualité d’une revue spécialisée ou le
au projet, seraient chargés de noter chaque article parrainage par tel ou tel organisme (Kling et
en fonction de sa contribution à la discipline inté- McKim, 1999). Les auteurs ont tendance à choi-
ressée avant sa diffusion dans le système. Les lec- sir les revues auxquelles ils adressent leurs
teurs auraient la possibilité d’ajouter des com- articles en fonction de leur prestige, du sérieux
mentaires signés sur différents aspects du contenu dont fait preuve selon eux leur comité de lecture,
d’un article, par exemple pour suggérer d’y de leur capacité de toucher le public visé et de
inclure des références, réfuter certains arguments, leur circulation au sein du groupe cible (Borg-
signaler des chiffres erronés, etc. Passé un certain man, 2000). Point intéressant, les délais de publi-
laps de temps (six mois, a-t-on suggéré), il pour- cation sont, semble-t-il, une considération secon-
rait être établi une version révisée de l’article qui daire, sauf peut-être dans certains domaines de
serait soumise au comité de lecture pour approba- recherche où la concurrence est si rude qu’il est
tion définitive. Entre autres avantages, cette for- impératif de revendiquer immédiatement toute
mule permettrait de faire l’économie de coûteux nouvelle avancée.
abonnements à des revues spécialisées et d’utili- Le droit d’auteur et l’assurance de qualité
ser à d’autres fins les sommes ainsi libérées. Les sont, on le conçoit, deux des principaux sujets de
bibliothèques n’ayant plus à traiter et entreposer préoccupation de la communauté scientifique
un nombre toujours plus important de publica- face à la prolifération des publications électro-
tions, ce système se traduirait pour elles par un niques. Dans la plupart des cas, les revues diffu-
gain de temps et d’espace (Rogers et Hurt, 1990). sées en ligne ne sont aujourd’hui que des équiva-
Dans le monde universitaire d’aujourd’hui, lents électroniques de leur version sur papier
le prestige que confère la publication par de auxquels l’accès est payant et filtré par un mot de
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ments radicaux ne se sont pas produits du jour au l’accès intellectuel à l’information spécialisée se
lendemain, mais à l’issue de plusieurs décennies heurte à un certain nombre d’obstacles. Les
d’innovations et de progrès dans le domaine de la scientifiques se plaignent d’être submergés par
communication par ordinateur qui, après avoir une masse excessive d’informations, tout en se
dans un premier temps facilité l’utilisation des félicitant de la manière dont la télématique leur a,
systèmes d’information existants, ont contribué à à bien des égards, simplifié la vie. Tous les
une remise en question des méthodes de la com- canaux de communication gagnent aujourd’hui
munication scientifique. en efficacité, la difficulté étant alors de faire le tri
face à une offre pléthorique. L’Internet et la Toile
L’émergence de nouveaux modes mondiale permettent d’accéder à toutes sortes de
de communication scientifique dérivés des formes traditionnelles de la littérature
scientifique et technique – communications,
Au cours des quatre dernières décennies, les pro- revues, bulletins, bases de données bibliogra-
grès techniques ont révolutionné la manière dont phiques, séries de données, répertoires, rapports
s’opèrent le traitement, le stockage, la consulta- officiels, textes réglementaires et normatifs –
tion, le partage et l’analyse de l’information. Dès ainsi qu’à des systèmes interactifs novateurs. Les
1975, la production assistée par ordinateur de catalogues d’un certain nombre de bibliothèques
bulletins d’analyse et les services de recherche et divers catalogues collectifs sont désormais en
automatique en ligne s’étaient banalisés. Les flux ligne. Néanmoins, la documentation ainsi dispo-
d’information scientifique et technique n’en nible n’est pas nécessairement d’un accès aisé
avaient cependant guère été affectés, les centres pour l’utilisateur. Si l’accès intellectuel aux bases
d’information et bases de données traditionnels de données classiques mises en ligne est facilité
jouant toujours pleinement leur rôle au sein du par exemple par le recours à un vocabulaire nor-
système de communication scientifique. Au cours malisé au stade de l’indexation et par l’utilisation
des dernières années du millénaire, on a vu se de thésaurus, la recherche ne peut s’effectuer sur
développer l’utilisation de l’ordinateur et de la d’autres sites de l’Internet qu’au moyen de réper-
télématique, qui sont venus s’ajouter aux moyens toires d’adresses organisés selon des règles de
de communication plus traditionnels tels que les classification très générales ou de liens hyper-
revues et ouvrages spécialisés. La recherche texte dont la logique sémantique demeure impli-
scientifique est devenue de plus en plus une cite (Vickery, 1999).
entreprise collective transcendant les frontières Il est vrai que seule une faible proportion de
institutionnelles, géographiques et politiques. Les l’information disponible sur l’Internet peut être
scientifiques ont alors commencé à souhaiter des qualifiée de scientifique et qu’elle a de plus
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à la croisée de disciplines classiques, par suite de conduire des travaux de recherche qui permet à
la pénétration rapide des technologies de l’infor- des chercheurs de tous horizons d’avoir aisément
mation dans toutes les sphères de l’activité scien- accès à d’autres personnes, d’autres données,
tifique. d’autres instruments et d’autres résultats en une
sorte de laboratoire de recherche virtuel. Les col-
De la collaboration aux laboratoires réalisent un subtil équilibre où sont
« collaboratoires » respectées les exigences propres à chaque disci-
pline, mais où tous les partenaires travaillent à la
La révolution des technologies de l’information réalisation d’un objectif commun. Ils viennent
n’a en rien allégé le travail intellectuel que repré- ainsi jeter des passerelles entre les disciplines. Ils
sente la production d’informations scientifiques, offrent en outre un excellent moyen de mettre à
techniques et médicales. Néanmoins, l’utilisation profit les techniques informatiques et téléma-
combinée de l’ordinateur et de la télématique tiques de pointe pour faire reculer les limites de la
pourrait contribuer à accroître la productivité et science, en particulier dans des branches pion-
l’efficacité des chercheurs (National Research nières de disciplines telles que l’océanographie,
Council, Committee towards a National Collabo- la physique de l’espace ou la biologie molécu-
ratory, 1993). De manière générale, les scienti- laire (North Carolina Board of Science and Tech-
fiques s’intéressent aujourd’hui à des problèmes nology/National Research Council, 1999).
d’une complexité croissante et d’un caractère Les recherches sur la cartographie des gènes
fondamentalement interdisciplinaire qui nécessi- sont considérées comme un parfait exemple de
tent un travail d’équipe dans lequel chacun collaboratoire scientifique. Ces travaux ont
apporte les compétences, les contacts, les infor- même donné naissance à une discipline nouvelle,
mations et les données propres à sa spécialité. la bio-informatique, décrite comme le fruit du
La capacité des scientifiques de communi- mariage de l’ordinateur et de la biologie, qui s’est
quer par-delà les océans s’est traduite par une développée parallèlement aux efforts pour
multiplication des travaux de recherche menés en déchiffrer le génome humain et qui a pour objet
collaboration et par l’émergence d’une commu- de collecter, analyser et interpréter les données
nauté scientifique mondiale où chercheurs et génétiques. La bio-informatique a vu le jour au
scientifiques font preuve d’une mobilité accrue. début des années quatre-vingt sous la forme
Témoin l’accroissement considérable, à la fin du d’une base de données baptisée GenBank, créée
XXe siècle, du nombre de travaux signés par plu- par le ministère américain de l’Énergie en vue de
sieurs coauteurs. De 1981 à 1995, le nombre d’ar- répertorier les courtes séquences d’ADN que les
ticles cosignés a augmenté de 80 % et celui des scientifiques commençaient tout juste à déchif-
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furent appelés à travailler de concert pour déve- des projets scientifiques des pays en développe-
lopper les connaissances dans ce domaine. Le ment dans la recherche internationale.
besoin se fit de plus en plus pressant de regrouper L’annonce récente par des chercheurs de
cette masse considérable d’information présen- l’État de São Paulo du décryptage de la toute pre-
tant un intérêt majeur pour des chercheurs du mière séquence du génome d’un agent pathogène
monde entier. L’interopérabilité des différentes d’un végétal prouve que les pays de la périphérie
bases de données mises sur pied, c’est-à-dire leur peuvent faire bonne figure dans la recherche de
capacité de « dialoguer » les unes avec les autres, pointe (Collins, 2000). Deux initiatives complé-
devint un enjeu primordial. Les différentes insti- mentaires ont contribué à renforcer la contribu-
tutions et sociétés commerciales poursuivant des tion de la recherche brésilienne à l’activité scien-
recherches sur le génome nouèrent des alliances tifique mondiale. C’est tout d’abord une politique
stratégiques en vue de mettre en commun leurs mise en place dans les années soixante, en vertu
multiples sources de données et de réduire autant de laquelle une fraction donnée de toutes les
que possible les chevauchements (Howard, recettes fiscales de l’État de São Paulo est rever-
2000). sée aux termes de la loi à la FAPESP, une fondation
Le Projet sur le génome humain diffère aussi créée par ce même État pour promouvoir la
des recherches classiques en ce qu’il génère un science et la technologie, qui a permis de financer
vaste corpus de données de référence utiles dans un projet aussi ambitieux. Puis, la constitution
un grand nombre d’autres disciplines scienti- d’un institut de recherche « virtuel » destiné à
fiques. Cette avalanche de données a fait vaciller relier entre eux les 35 laboratoires travaillant au
une forme de communication scientifique qui séquençage de l’ADN qui sont disséminés dans
était demeurée inchangée durant près de trois l’État de São Paulo a fourni la complexe infra-
siècles. Le support papier se prêtant mal au stoc- structure matérielle, technique et humaine qui
kage de tels volumes de données, les chercheurs était nécessaire pour mener à bien ce travail.
eurent tôt fait de l’abandonner au profit de la L’idéal serait que d’autres « petits pays »
communication électronique. Les bulletins (« petits » dans le domaine scientifique) fassent
consacrés à la question se multiplièrent, de même de même. Dans la pratique, toutefois, les condi-
que les serveurs de listes. Mais la grande nou- tions sont souvent loin d’être réunies pour que
veauté, c’était que les données étaient directe- puissent être adoptées, à l’échelle d’un pays ou
ment versées à la GenBank et autres bases de d’un État fédéré, des stratégies visant de même à
données similaires avant même la publication des promouvoir la recherche scientifique.
manuscrits dans les grandes revues spécialisées,
c’est-à-dire avant l’examen par les pairs. L’un des La communication par ordinateur
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s’ajouter aux nombreux autres fossés qui séparent organisationnel qui, tant au niveau des pouvoirs
déjà les pays en développement des nations publics que des institutions, est incapable d’assu-
industrialisées. Les premiers accusent un fort rer la mise en œuvre d’un système de diffusion de
retard sur les seconds dans tous les domaines de l’information rapide, efficace et sans disconti-
la production des connaissances (Arunachalam, nuité (Russell, 2000).
1999). Tous les freins à une utilisation optimale des
L’accès à l’ordinateur progresse indéniable- nouvelles technologies en matière de communi-
ment dans presque tous les pays. Même si la plu- cation électronique ne sont pas d’ordre matériel.
part des centres de recherche ont pour politique Divers facteurs sociaux, culturels et politiques et
générale de fournir à tous leurs chercheurs des certains maux propres aux sociétés en développe-
ordinateurs connectés aux réseaux, l’utilisation ment retardent la mise en œuvre de ces technolo-
qui en est faite varie selon l’environnement gies. Le fait que la plupart des logiciels et des
social, économique et juridique propre à chaque sources d’information accessibles par la voie
pays (Meadows, 1991). Dans ces circonstances, électronique sont conçus non seulement dans une
les pays en développement apparaissent nette- langue étrangère, mais encore dans un environne-
ment désavantagés. ment culturel peu familier constitue une barrière
À eux seuls, les coûts techniques pourraient importante pour les utilisateurs de la majorité des
constituer un obstacle pour les institutions mêmes pays en développement. La grande masse de l’in-
qui semblent les plus aptes à bénéficier des avan- formation actuellement disponible sur l’Internet
tages de la recherche assistée par l’ordinateur. est en anglais du fait même qu’elle émane des
Les outils de pointe menacent d’aggraver encore universités du Nord, et souvent des États-Unis.
le retard actuel des pays en développement sur les D’aucuns, devant ce déferlement, ont évoqué le
pays industrialisés dans la plupart des domaines spectre d’un impérialisme du savoir et d’une
de recherche. Sans une infrastructure des télé- domination culturelle.
communications et une connectivité équitables, Néanmoins, compte tenu des différences
les collaboratoires fondés sur l’informatique et la considérables qui subsistent entre les pays les
télématique ne pourront mettre à profit les res- moins avancés, sur le plan des ressources comme
sources intellectuelles que représentent les spé- des capacités, il convient de s’abstenir de toute
cialistes des pays en développement. Une solu- généralisation excessive concernant l’activité
tion possible à ce problème serait que le secteur scientifique dans l’ensemble de ces pays. On note
commercial et l’État s’associent en vue de mettre en outre des différences dans le degré de « péri-
sur pied l’infrastructure indispensable. Tout phéricité » des divers secteurs au sein d’un même
dépend en définitive du coût de la connectivité et pays en développement. Du fait de la concentra-
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jouissent d’une faveur et d’un prestige tout parti- scientifique de tout élément subjectif que lorsque
culiers sont généralement ceux qui font de la les décideurs reconnaîtront que l’origine géogra-
recherche fondamentale, le plus souvent dans les phique d’un travail scientifique est de peu de
grands laboratoires centralisés des capitales. Ces conséquences pour sa qualité.
scientifiques auront en général davantage d’inté- L’édition électronique sur l’Internet a d’im-
rêts communs et des contacts plus étroits avec le portantes incidences sur la visibilité de la
centre que les chercheurs qui ne travaillent que recherche menée dans les petits pays dont la pro-
sur des problèmes locaux. Dans une étude récente duction scientifique est trop souvent méconnue.
consacrée à l’utilisation des technologies de l’in- Si l’information scientifique en provenance des
formation par les scientifiques du Mexique, plus pays en développement a échappé par le passé à
de 80 % des physiciens et des biologistes faisant l’attention de la communauté scientifique mon-
partie de l’échantillon retenu qui travaillaient diale, c’est en raison du nombre restreint de
dans la capitale disposaient d’un bon accès au périodiques nationaux recensés dans les bases de
courrier électronique et aux services de l’Internet données bibliographiques internationales. Dès
(Ford et Rosas Gutiérrez, 1999). Fait intéressant, lors toutefois que la recherche locale s’organise
on note une corrélation entre cette facilité d’accès directement sur le World Wide Web, ses résultats
et la publication d’un plus grand nombre d’ar- se trouvent diffusés dans le monde entier et
ticles dans des revues internationales. En deviennent accessibles par l’Internet. Les scienti-
revanche, les scientifiques faisant de la recherche fiques des pays en développement ont également
appliquée, dans bien des cas sur le terrain et loin la possibilité d’accéder aux serveurs de preprints
des grands centres de recherche, ont traditionnel- et de « publier » leurs travaux directement sur ces
lement un moindre accès aux ressources, y com- serveurs ou sur d’autres systèmes d’archives
pris aux technologies de l’information. On voit ouvertes similaires.
qu’à l’intérieur même des pays en développement Les communautés scientifiques des pays en
coexistent utilisateurs du « premier monde » et développement sont tout à fait conscientes de la
utilisateurs du « tiers monde ». nécessité de renforcer d’urgence leurs capacités
À n’en pas douter, les scientifiques et les dans le domaine de l’informatique et de la télé-
institutions des pays en développement qui dis- matique. En exerçant des pressions sur leurs gou-
posent de moyens d’information et de télécom- vernements et en faisant appel aux organisations
munication modernes sont mieux à même de internationales pour que celles-ci les aident à
jouer un rôle significatif au sein de la commu- améliorer leur infrastructure en matière de tech-
nauté scientifique mondiale que leurs collègues nologies de l’information, il est à espérer qu’elles
moins privilégiés. Dans l’univers électronique, parviendront à inverser la tendance à un élargis-
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velles technologies de l’information, principale- de travail des chercheurs et aideront ces derniers
ment dans des domaines comme les sciences de à réaliser leurs objectifs. Quand bien même les
l’espace, la physique des hautes énergies ou la mécanismes évoluent, les fonctions de base de la
recherche sur le génome humain. Peut-être le plus communication et les aspirations fondamentales
grand bouleversement résultant de l’irruption des des scientifiques demeurent identiques. Comme
technologies de l’information dans la sphère de la le font observer quelques auteurs, il est tout à fait
recherche scientifique ne tient-il pas tant à la concevable qu’à l’avenir les travaux scientifiques
rapidité, à la flexibilité et à la portée de la com- se présentent, non plus sous la forme en deux
munication par ordinateur qu’aux incidences de dimensions de pages de texte, d’images et de
ces possibilités sur la pratique de la science. Des données chiffrées, mais comme des univers tridi-
questions nouvelles et fondamentales concernant mensionnels à l’intérieur desquels il sera possible
la production, le transfert et l’accessibilité de l’in- de naviguer. Ces univers pourront communiquer
formation scientifique qui ne s’étaient pas posées avec d’autres univers, tels que serveurs d’ar-
avant la révolution électronique se font à présent chives, ou permettre une collaboration interactive
jour. La protection du droit d’auteur et la préser- en temps réel entre plusieurs chercheurs (Casher
vation des documents scientifiques sont des pro- et Rzepa, 1995). Sans doute est-il facile d’imagi-
blèmes souvent évoqués. Les archives scienti- ner que de tels changements induits par la tech-
fiques doivent être conservées indéfiniment mais, nologie puissent se produire. Il est plus difficile
à la différence de leurs équivalents imprimés, les de prévoir la manière dont la communauté scien-
documents électroniques n’ont pas d’existence tifique, en tant qu’elle est avant tout une structure
matérielle et permanente. Qui donc sera le dépo- sociale, réagira à de tels changements. Processus
sitaire de ces documents « fragiles » et assurera la intrinsèquement collectif, la recherche repose sur
responsabilité de préserver le patrimoine scienti- tout un réseau préétabli de relations et oppose de
fique mondial sous sa forme numérique ? ce fait une inertie considérable aux changements.
De surcroît, alors que l’édition électronique La communication informelle, qui repré-
prend de plus en plus le pas sur l’édition de docu- sente la forme de communication entre cher-
ments imprimés, il apparaît nécessaire de mener cheurs et groupes de chercheurs la moins structu-
des recherches plus poussées sur les caractéris- rée, est en train de se développer, facilitée par les
tiques fondamentales de la communication et de médias électroniques. Il se pourrait bien que la
la collaboration scientifiques. La souplesse communication par ordinateur, dont on a pu pen-
accrue et la pénétration dans le monde entier du ser qu’elle réduirait peu à peu la nécessité pour
discours véhiculé par l’ordinateur transforment les scientifiques de franchir de longues distances
profondément les relations avec les partenaires afin de se rencontrer physiquement, ait l’effet
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choses évoluent n’est peut-être qu’une tendance cheurs, si difficile qu’il soit de prévoir ce que
passagère qui fera place à un avenir que nous nous réserve l’avenir. Et deuxièmement, l’évolu-
aurons été incapables d’anticiper (Hurd, 1996). tion des mécanismes de la communication scien-
Néanmoins, deux choses ne font aucun doute. En tifique internationale sera toujours plus liée aux
premier lieu, nous sommes dans une période de progrès et à la diffusion des technologies de l’in-
transition décisive où sont jetées les bases de ce formation.
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