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Les verbes modaux sont-ils polysémiques ?

Données d’eye
tracking en lecture
Cécile Barbet
Dans Syntaxe & Sémantique 2015/1 (N° 16), pages 173 à 204
Éditions Presses universitaires de Caen
ISSN 1623-6742
ISBN 9782841337415
DOI 10.3917/ss.016.0173
© Presses universitaires de Caen | Téléchargé le 15/03/2024 sur www.cairn.info par Hind Ouannes (IP: 41.200.182.225)

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Les verbes modaux sont-ils polysémiques ?
Données d’eye tracking en lecture

Cécile BARBET
Université de Bangor (Royaume-Uni)
c.barbet@bangor.ac.uk

Résumé : Cet article présente les résultats d’une expérience d’eye tracking en lecture
réalisée afin d’apporter des éléments de réponse à la question de la représentation
en mémoire des verbes modaux devoir et pouvoir. La nature – homonymique, poly-
sémique ou monosémique / sous-spécifiée – des modaux ançais est testée grâce
à la manipulation du sens radical ou épistémique du verbe modal et du caractère
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neutre ou favorable au sens du contexte précédant le verbe. La lecture des phrases
contenant devoir est plus facile quand il apparaît dans son sens radical que quand il
apparaît dans son sens épistémique. Cet effet de équence relative, le sens radical
étant le sens dominant des verbes modaux ançais, concorde avec l’hypothèse de
la polysémie : si les sens sont représentés en mémoire, on s’attend en effet à ce que
le sens dominant soit le plus facile d’accès et le plus facile à traiter. En revanche,
un effet de la équence relative n’apparaît pas avec pouvoir. Au contraire, la pre-
mière lecture du verbe même est facilitée par le sens épistémique, soit le sens non
dominant, et la lecture générale des phrases contenant pouvoir est facilitée par
les contextes favorables au sens. Les résultats obtenus avec les phrases contenant
pouvoir s’accordent mieux avec l’hypothèse monosémique de la sous-spécification,
postulant un sens unique sous-spécifié stocké en mémoire proche du sens épisté-
mique, sens épistémique de pouvoir par ailleurs en réalité plus aléthique qu’épisté-
mique comme nous essayons de le montrer. Les deux verbes modaux ançais sont
traditionnellement étudiés ensemble car on part du principe que l’un est le pen-
dant de l’autre dans son propre domaine modal – possibilité ou nécessité. Cette
étude remet en question cet a priori.

Abstract: This paper reports the results of an eye-tracking during reading experiment
carried out in order to investigate the online processing of the French modal verbs devoir
(“must”) and pouvoir (“can / may”). The nature – ambiguous / homonymic, polysemous
or monosemic / under-specified – of the modals is tested through the manipulation in sen-
tences of the root or epistemic meaning of the modal as well as the neutral or meaning
supportive nature of the context preceding it. The reading of the sentences containing
devoir is facilitated when the modal is used in its root meaning. This effect of relative
frequency (the root meaning being indeed the dominant meaning of the French modal
verbs) fits with the polysemy hypothesis: if the meanings or senses are stored in memory,
we therefore expect the most frequent one to be the easiest to access and process. On the
contrary, the first pass reading of pouvoir is facilitated when it appears in its epistemic

Syntaxe & Sémantique, no 16, 2015, Les catégories TAM…, p. 173-204


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meaning, in other words its non-dominant meaning, and the reading of the sentences
containing pouvoir is facilitated by the supportive contexts. These results better fit with
the under-specification (monosemy) hypothesis with an under-specified meaning repre-
sented in memory close to the epistemic meaning, epistemic meaning in reality better
described as alethic as we demonstrate. The two French modal verbs are traditionally
examined together since it is assumed that one matches the other in its own modal domain
– possibility or necessity. This study casts doubt on this assumption.

1. Introduction
Le titre du présent article fait allusion à l’article de Sueur (1983) : « Les
verbes modaux sont-ils ambigus ? ». Trente ans plus tard, il apparaît
pertinent de reposer la même question, c’est-à-dire la question de la
nature des verbes modaux. À l’époque de Sueur, il semble que les verbes
modaux étaient considérés comme des items ambigus, et il fallait montrer
qu’ils ne l’étaient pas. Aujourd’hui, pour le moins dans la littérature
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ançaise, les verbes modaux sont quasi unanimement considérés comme
polysémiques, cependant l’hypothèse de la monosémie, dans le sens de
sous-spécification du sens, hypothèse qui n’était même pas envisagée par
Sueur (1983), reste trop souvent ignorée.
La question de la représentation en mémoire des verbes modaux
ne nous semblant pas décidable avec les outils ordinaires du linguiste
(intuition linguistique, analyse de corpus, argumentation conceptuelle,
etc. 1), nous proposons donc une étude expérimentale utilisant la méthode
de l’eye tracking (ou oculométrie) en lecture.

1.1. Multiplicité de sens


Les verbes modaux peuvent recevoir différentes interprétations selon le
contexte dans lequel ils se trouvent. Ils ont notamment des interprétations
radicales : déontiques (ex. 1 et 2) et dynamiques (ex. 3 à 5).

⒈ – Vos deux zèbres, vous pouvez me les amener, maintenant 2.

⒉ Ne faut-il pas de toute manière qu’il le retrouve ? Il en a reçu l’ordre.


C’est cela qu’il doit faire 3.

⒈ Voir Barbet 20⒔


⒉ A. Christie, Trois souris, R. Nobret (trad.), Paris, Le Masque, 2010, p. 2⒐
⒊ A. Robbe-Grillet, Les gommes, Paris, Union générale d’éditions (Le Monde en
10-18), 1962, p. 10⒎

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En ⑶, pouvoir a un sens de possibilité matérielle 4 ; en ⑷, il a un


sens de capacité :

⒊ Aujourd’hui que les remparts de la séduction sont tous lézardés, ses


pieds réclament des soins qu’elle ne peut pas se payer 5.

⒋ En quittant son domicile Dupont n’était pas mort, il pouvait même


marcher tant bien que mal […] 6.

En ⑸, devoir a un sens d’obligation pratique 7 :

⒌ Enterrée sous les décombres. Ils ont dû… ils ont dû creuser pour la
dégager 8.

Les verbes modaux ont encore des interprétations épistémiques,


souvent paraphrasées par « il se peut que » ou « peut-être » dans le cas
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de pouvoir (ex. 6), ou « il est probable que », « probablement » ou « sans
doute » dans le cas de devoir (ex. 7) :

⒍ Oui, je sais ; il semble qu’il y ait là une contradiction ; mais il peut avoir
eu assez de force pour aller chercher son revolver et appeler à l’aide, et
perdre ensuite beaucoup de sang pendant qu’il attendait l’ambulance :
il y avait une tache relativement importante sur le dessus de lit 9.
[…] mais il se peut qu’il ait eu assez de force / il a peut-être eu assez de
force […].

⒎ Un silence complet devait régner dans ce pavillon, où tout est prévu


pour l’étouffement du moindre bruit 10.
Il est probable qu’un silence complet régnait / Un silence complet régnait
sans doute / probablement […].

Alors que les interprétations radicales concernent la possibilité ou


nécessité d’actions, les emplois épistémiques ont une portée plus large,
dite extraprédicative 11, ou propositionnelle, devoir et pouvoir sont dans

⒋ Voir i.a. Le Querler 1996, 200⒈


⒌ R. Vandamme, Ma mère à boire, Bordeaux, Le Castor astral, 2001, p. 4⒍
⒍ A. Robbe-Grillet, Les gommes, p. 14⒋
⒎ Voir notamment Kronning 1996, 200⒈
⒏ A. Christie, Trois souris, p. 9⒎
⒐ A. Robbe-Grillet, Les gommes, p. 6⒐
⒑ Ibid., p. 9⒋
⒒ Voir i.a. Le Querler 1996, 200⒈

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ce cas dits « opérateurs de phrase » chez Sueur (1983). Les interprétations


épistémiques des verbes modaux concernent en effet la vérité de propo-
sitions, le degré de certitude du locuteur.
Devoir et pouvoir ont d’autres interprétations que des interprétations
strictement radicales ou épistémiques, notamment des interprétations
« post-modales » 12 mais nous les laissons de côté pour cette étude. Signalons
néanmoins encore l’emploi aléthique de devoir 13. Dans ce cas le modal
n’a un sens ni de probabilité (sens épistémique, ex. ⒏a) ni d’obligation
(sens radical, ex. ⒏b) mais un sens de nécessité :

⒏ Tout ce à quoi on réfère doit exister. Appelons cela l’axiome d’exis-


tence 14.
a. *Tout ce à quoi on réfère existe probablement. Appelons cela l’axiome
d’existence 15.
b. Tout ce à quoi on réfère doit exister. Appelons cela (+ *cette obligation)
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l’axiome d’existence 16.

Le but de cette étude est d’apporter des éléments de réponse à la


question de savoir à quoi tient la multiplicité de sens des verbes modaux.
Nous voyons au moins trois options : leur plurivocité peut s’expliquer par
⒤ une nature homonymique, (ii) une nature polysémique ou (iii) une
sémantique sous-spécifiée.

1.2. Hypothèses
Fuchs et Guimier, à propos de pouvoir, proposent « une perspective “poly-
sémique” : les diverses significations rencontrées étant alors conçues
comme autant de variations sémantiquement apparentées, induites par
le contexte et procédant d’un “socle” commun qu’il s’agit de reconstituer
hypothétiquement » 17. Ces auteurs, comme d’autres 18, s’opposent à une
approche homonymique mais ne se distinguent pas clairement d’une
approche monosémique. Il s’agit en réalité ici du problème général de
la polysémie qui est difficile à situer entre l’ambigu (homonymie) et le
vague (monosémie / sous-spécification).

⒓ Van der Auwera & Plungian 1998 ; Barbet & Vetters 20⒔
⒔ Kronning 1996, 200⒈
⒕ Searle, cité par Kronning 2001 : 6⒏
⒖ Kronning 2001 : 6⒐
⒗ Ibid.
⒘ Fuchs & Guimier 1989 : ⒋
⒙ Voir notamment Sueur 1983 ; Le Querler 1996, 200⒈

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Bien que ne soient souvent considérées dans la littérature notamment


ancophone, mais aussi en psycholinguistique 19, que deux options, l’homo-
nymie et la non-homonymie, trois options sont en réalité possibles. Selon
l’hypothèse homonymique, si on l’applique à devoir ou pouvoir, le sens
radical et le sens épistémique seraient représentés en mémoire (i.e. dans le
lexique mental) et constitueraient autant d’entrées lexicales distinctes. Selon
l’hypothèse polysémique, le sens radical et le sens épistémique seraient
représentés en mémoire mais sous la même et unique entrée lexicale
(sous la forme d’un réseau sémantique par exemple 20). Finalement, selon
l’hypothèse monosémique de la sous-spécification, seul serait représenté
en mémoire un sens sous-spécifié qui peut se spécifier en contexte 21.
L’hypothèse de la monosémie n’est pas toujours ignorée dans les travaux
de linguistique ançaise 22. Kronning, à propos de devoir, argumente que :

Bien que l’approche monosémique de la plurivocité modale soit à bien


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des égards supérieure à l’approche homonymique, elle n’est guère satis-
faisante : la faible saillance cognitive de l’invariant sémantique la prive
de plausibilité cognitive ; trop puissante, elle est empiriquement ina-
déquate ; impuissante, nous l’avons vu, à expliquer pourquoi devoirD,
devoirA et devoirE ont des propriétés syntaxiques différentes, sa valeur
explicative est singulièrement réduite 23.

La saillance cognitive est définie chez Kronning selon les termes de


la théorie du prototype de Rosch 24. La plus forte saillance d’un item cor-
respond ainsi à son niveau de base qui maximise l’économie cognitive en
étant le plus informatif par rapport à son coût de traitement (les items qui
dénotent des catégories de base sont les plus courts et les plus équents).
Les approches monosémiques des verbes modaux étant pour ainsi dire
inexistantes dans la littérature ançaise ou très peu développées 25, nous
la présenterons avec l’analyse de Papaagou (2000) des modaux anglais,
les comportements des verbes modaux d’une langue à l’autre restant rela-
tivement similaires, et l’on retrouve les mêmes discussions et arguments,
pour le moins dans la littérature ançaise et dans la littérature anglaise.

⒚ Voir i.a. Durkin & Manning 1989 : 578 ; Pickering & Frisson 2001 : 558 ; Frisson
& Pickering 2001 : 153 ; Klepousniotou 2002 : 210 ; Klepousniotou, Titone
& Romero 2008 : 1534 ; Klepousniotou et al. 2012 : ⒓
⒛ Voir Kronning 199⒍
2⒈ Voir Papaagou 2000.
2⒉ Voir Kronning 1996 ; Gosselin 20⒑
2⒊ Kronning 1996 : 9⒎
2⒋ Rosch 1977, 1978 ; voir Kronning 1996 : 95-9⒎
2⒌ Honeste 2004 ; Saussure 20⒓

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Selon l’analyse de Papaagou (2000), la sémantique des verbes modaux


est sous-spécifiée. Elle consiste en deux éléments (ex. 9) : une relation
logique R (correspondant grosso modo à la « relation modale » dans l’analyse
de Kratzer 1981), typiquement d’implication pour les modaux de nécessité
ou de compatibilité pour les modaux de possibilité, et un domaine D de
propositions (correspondant à la « base modale » dans l’analyse de Kratzer).
Les verbes modaux expriment ainsi qu’une proposition p entretient une
certaine relation R avec un ensemble de propositions appartenant à un
domaine D (domaine non spécifique pour may ou must, normatif dans
le cas de should, factuel dans le cas de can) :

⒐ R(D, p)

Selon Papaagou (2000), les arguments syntaxiques en faveur de la


distinction forte radical vs épistémique et donc en faveur de l’analyse
polysémique (portée de la négation, possibilité ou non de se trouver
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dans une interrogative totale, contraintes d’ordre dans la linéarité de
l’énoncé, etc.) sont en réalité non vérifiés ou non valables, ou ont des
causes conceptuelles et non syntaxiques, en d’autres termes, la distinction
n’est pas inscrite dans la grammaire des verbes modaux 26.
Concernant l’homonymie, celle-ci est traditionnellement définie comme
un fait purement accidentel, dû aux hasards de l’évolution phonétique. Deux
items partagent ainsi la même forme sans qu’aucun lien étymologique ou
sémantique ne les relie. Comme le note Cro (1998), cette définition, qui
semble pourtant consensuelle en linguistique cognitive, est en réalité loin
de refléter la réalité. En effet, l’identité de forme n’est accidentelle bien
souvent que pour le locuteur contemporain (voir par exemple voler, « se
soutenir et se déplacer dans l’air » et voler, « dérober », en ançais). Quoi
qu’il en soit, le fait que beaucoup de langues possèdent des morphèmes
pouvant communiquer la modalité radicale comme épistémique plaide
contre le pur accident. Plaide également contre l’homonymie le fait que
l’on puisse isoler un invariant sémantique, « un dénominateur commun » 27,
grosso modo de nécessité ou de possibilité pour respectivement, devoir
et pouvoir. On retrouve ici le « test » de la définition qui remonterait à
Aristote 28 : deux formes identiques sont ambiguës si l’on ne peut leur
trouver de sens commun. Néanmoins, d’un point de vue cognitif, si l’inva-
riant sémantique ou noyau de base ne sert pas à l’interprétation, il n’y a
pas de raison d’en postuler l’existence effective. Intuitivement, un sens

2⒍ Pour une analyse détaillée de ces arguments, voir Barbet 20⒔


2⒎ Kronning 1996 : 9⒋
2⒏ Voir i.a. Geeraerts 1993 ; Tuggy 200⒍

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commun de possibilité semble partagé par les interprétations de capacité,


permission, éventualité, etc., de pouvoir ; cependant, concernant devoir,
comme le relève Huot (1974) 29, les locuteurs ne ressentent peut-être pas
un sens partagé de nécessité entre l’obligation (interprétation radicale)
et la probabilité (interprétation épistémique). Sten (1954) ou Gosselin
(2010) avancent encore l’argument des « cas-limites » contre l’hypothèse
homonymique. Selon cet argument, si deux formes n’ont rien à voir l’une
avec l’autre, il ne devrait pas y avoir d’indétermination en contexte possible,
contrairement à ce qui se passe en ⑽ :

⒑ On entend la voix d’un élève qui a dû appliquer sa bouche au trou de


la serrure. Il crie : […] 30.
≈ […] un élève qui a été obligé d’appliquer sa bouche au trou de la
serrure (pour qu’on l’entende).
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≈ […] un élève qui a probablement appliqué sa bouche au trou de la
serrure.

Néanmoins, d’une part ces « cas-limites » sont extrêmement rares dans


les corpus de Palmer (1979), Coates (1983) ou Kronning (1996) ; et d’autre
part, si l’interprétation peut rester relativement souvent indéterminée
entre interprétation radicale et interprétation épistémique avec pouvoir,
c’est très rarement le cas avec devoir 31.
En résumé, il apparaît difficile d’écarter l’une ou l’autre hypothèse,
polysémique ou monosémique, ni même l’hypothèse homonymique en
ce qui concerne devoir. Nous avons donc testé ces trois hypothèses pour
devoir et pouvoir grâce à une expérience d’eye tracking en lecture.

2. Expérience
2.1. Prédictions
Les mouvements oculaires de locuteurs natifs ont été enregistrés durant
une tâche de lecture. Il s’agissait de lire des phrases contenant devoir et
pouvoir dans lesquelles étaient manipulés et le sens du verbe modal et le
contexte précédant ce dernier. Les verbes modaux apparaissaient ainsi soit
dans leur sens radical, qui est leur sens dominant, i.e. le plus équent et
qui vient en premier à l’esprit (voir ⒉3), soit dans leur sens épistémique.

2⒐ Huot 1974 : 14-⒖


30. Sten 1954 : 26⒋
3⒈ Voir Barbet 20⒔

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Le contexte précédant le verbe modal était soit favorable au sens, radical


ou épistémique selon le cas, soit neutre.
D’après les études de psycholinguistique s’intéressant à l’ambiguïté
et utilisant l’eye tracking 32, on peut faire les prédictions suivantes. En
cas d’homonymie, on s’attend à un effet précoce du contexte, c’est-
à-dire dès que le modal est fixé. En effet, dans un contexte neutre les
entrées lexicales homonymes entrent en compétition pour l’activation,
et un contexte précédent favorable permet donc de sélectionner l’entrée
pertinente. De plus, comme devoir et pouvoir sont des items polarisés,
c’est-à-dire qui ont un sens préféré ou plus équent que l’autre (voir ⒉⒊1),
on peut également s’attendre à ce que l’entrée lexicale dominante soit
sélectionnée par défaut quand le contexte précédant le verbe est neutre,
et subséquemment à un effet de garden-path si le sens non dominant
s’avère finalement être le sens pertinent dans le contexte.
Si devoir et pouvoir sont polysémiques, l’entrée lexicale unique pré-
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viendra tout effet de compétition et l’interprétation pourra s’appuyer sur
le noyau de sens commun en attendant des informations contextuelles
supplémentaires. En d’autres termes, on s’attend à un effet du contexte
plus tardif, au niveau du verbe infinitif régi ou de son complément, étant
donné que le contexte ne sert pas à sélectionner une entrée lexicale mais
simplement un sens appartenant par exemple à un réseau sémantique 33.
Enfin, on s’attend à un effet de la équence relative. En effet, si les sens
sont représentés en mémoire d’une façon ou d’une autre, le sens le plus
équent sera le plus facilement accessible et le plus facilement traité.
Finalement, la monosémie ou sous-spécification ne prédit qu’un
effet tardif du contexte qui ne sert ni à sélectionner une entrée lexicale
ni un sens représenté en mémoire, mais simplement à spécifier un sens
sous-spécifié. Cette hypothèse ne prédit de plus aucun effet de équence
relative. En effet, si les sens radical et épistémique ne sont pas représentés
en mémoire, il n’y a a priori aucune raison que leur équence relative
n’influence leur accès.

2.2. Méthode
2.2.1. Participants
Quarante-huit locuteurs adultes ancophones natifs, âgés de 18 à 60 ans
(moyenne d’âge : 30,3) ont participé à l’expérience. Ils avaient tous une
vue normale ou corrigée. Ils ont reçu £10 pour leur participation. Les

3⒉ Voir notamment Frazier & Rayner 1990 ; Pickering & Frisson 200⒈
3⒊ Voir Williams 1992 ; Kronning 199⒍

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enregistrements ont eu lieu à Cambridge (Royaume-Uni) dans les locaux


du Cognition and Brain Sciences Unit du Medical Research Council.
Aucun participant ne connaissait le but de l’expérience ni n’avait pris
part aux pré-tests (voir ⒉3).

2.2.2. Appareillage
La position du regard des participants a été enregistrée grâce à un système
iView XTM Hi-Speed (SensoMotoric Instruments). Le système était
réglé à une équence d’échantillonnage de 500 Hz. À cette équence,
la position du regard est enregistrée toutes les 2 ms (millisecondes). Un
enregistrement monoculaire a été réalisé. L’œil du participant était à
environ 55 cm de l’écran d’ordinateur qui présentait les stimuli. 1° du
champ de vision couvrait donc environ la largeur de 2,4 caractères au
centre de l’écran.
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2.2.3. Procédure
Une session, comportant le réglage des appareils, la calibration et la
tâche de lecture elle-même, durait au maximum une heure. Une courte
phase d’entraînement précédait l’expérience même : le participant lisait
5 phrases similaires aux phrases tests dont 3 étaient suivies d’une question.
Il pouvait refaire l’entraînement s’il le souhaitait et poser des questions.
Il avait pour consigne de lire normalement les phrases et de répondre
aux questions de compréhension qui suivaient le cas échéant. Une fois
l’entraînement terminé et les consignes de la tâche comprises, on procédait
à la calibration qui était réalisée, dans les mêmes conditions de luminosité
que la tâche de lecture, grâce à 13 points noirs sur fond blanc suivis de
4 points de validation. La phase de calibration était répétée jusqu’à ce que
la déviation entre la position du regard enregistrée et la position réelle
du regard à chaque point de validation soit inférieure à 1°, si possible
0,5°. Il fallait en moyenne 20 à 30 minutes aux participants pour réaliser
la tâche de lecture. Cette dernière comportait une pause au milieu, puis
l’expérience reprenait quelques minutes plus tard, précédée d’une nouvelle
phase de calibration.
Chaque stimulus était précédé d’une croix de fixation noire apparais-
sant à la même position sur l’écran que la première lettre de la première
ligne de texte. La croix restait affichée 2 secondes puis disparaissait pour
laisser apparaître le texte qui restait affiché jusqu’à ce que le participant
appuie sur une des touches de la manette de réponse. Apparaissait alors
le cas échéant une question de compréhension portant sur le texte
qu’il venait de lire, ou la croix de fixation précédant le texte suivant.
Le participant répondait aux questions par « oui » ou par « non » grâce à
une manette de réponse.

— 181 —
CÉC I L E BA R BET

2.2.4. Matériel
10 phrases pour chaque verbe – devoir et pouvoir – pour chaque sens
– radical et épistémique – et pour chaque contexte – neutre et favo-
rable – ont été préparées, soit 80 phrases d’intérêt. On trouve en ⑾
un exemple de phrase avec devoir dans son sens radical et précédé d’un
contexte neutre ; en ⑿, le verbe modal est précédé du même contexte
neutre mais il apparaît cette fois dans son sens épistémique :

⒒ Kenneth a étudié pendant deux ou trois ans à Cambridge au début des


années quatre-vingt, il devait à l’époque loger à Churchill College, il
n’avait pas le choix.

⒓ Kenneth a étudié pendant deux ou trois ans à Cambridge au début


des années quatre-vingt, il devait à l’époque loger à Churchill College
j’imagine, puisque c’était son college.
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En ⒀, devoir a un sens radical et le contexte précédant le modal
est favorable à ce sens radical ; en ⒁, le contexte est favorable au sens
épistémique :

⒔ John voulait son appartement à lui quand il était étudiant, mais ce


n’était pas possible, il devait à l’époque loger à Churchill College, il
n’avait pas le choix.

⒕ Non, John Smith ne m’a jamais précisé où il habitait à Cambridge


quand il était étudiant, il devait à l’époque loger à Churchill College
j’imagine, puisque c’était son college.

Le matériel était composé de 468 phrases au total, 80 phrases d’intérêt


(voir en annexe d’autres exemples de stimuli) et 388 phrases de remplissage
permettant de cacher le but de l’expérience aux participants. Les phrases
d’intérêt apparaissant dans 4 conditions (contexte précédent neutre – sens
radical ; contexte précédent neutre – sens épistémique ; contexte précédent
favorable – sens radical ; contexte précédent favorable – sens épistémique),
elles ont été réparties dans 4 listes comptant donc chacune 117 phrases,
20 phrases d’intérêt et 97 phrases de remplissage. Chaque liste a été lue
par 12 participants. 30 % des phrases étaient suivies d’une question de
compréhension afin de motiver une lecture attentive.
Un ordre semi-aléatoire a été créé pour chaque participant à l’aide du
programme Mix 34 de sorte que deux phrases d’une même condition ou

3⒋ Van Casteren & Davis 200⒍

— 182 —
LES V E R B E S M O DAU X S O N T - I L S P O LY S É M I Q U E S ?…

contenant le même verbe soient séparées d’au moins 5 stimuli. Les stimuli
étaient présentés grâce au programme E-Prime ⒉0 en police Courier New
noire sur fond blanc, affichés sur deux lignes, le contexte sur la première
ligne et le reste de l’énoncé à partir du pronom sujet du verbe d’intérêt
sur la seconde ligne. Les lettres majuscules n’étaient utilisées que pour
les premières lettres des phrases ou les noms propres. Le pronom sujet
étant toujours on ou il, les verbes d’intérêt apparaissaient donc toujours
au même endroit de l’écran. La position des mots suivants variait de la
largeur d’un caractère selon que le verbe d’intérêt comptait 6 (devait) ou
7 lettres (pouvait). Les phrases d’intérêt ont été pré-testées afin d’obtenir
les interprétations voulues et de s’assurer du caractère neutre ou favorable
au sens des contextes 35.

2.3. Pré-tests
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Les participants de cette série de pré-tests, tous adultes ancophones
natifs et ignorant le but des tests, ont répondu par Internet grâce à la
plateforme Qualtrics. 32 à 64 locuteurs selon le pré-test ont répondu aux
questionnaires en ligne.

2.3.1. Préférence de sens


Il a d’abord été vérifié que le sens radical est bien le sens dominant de
devoir et pouvoir. Le sens radical est le sens modal premier des deux verbes
en diachronie 36, cependant, le sens dominant ou le sens le plus familier
d’un item n’est pas toujours son sens premier 37. Dans ce pré-test, il a
donc été demandé aux participants d’écrire la première phrase qui leur
venait à l’esprit en utilisant devoir ou pouvoir 38. Le sens radical s’est avéré
effectivement largement dominant. On le rencontre dans 74,6 % des cas
pour devoir (soit dans 47 des 63 réponses interprétables sur 64) et dans
96,6 % des cas pour pouvoir (soit dans 56 des 58 réponses interprétables
sur 63).

2.3.2. Paraphrase
Le pré-test de paraphrase avait pour but de vérifier que les phrases stimuli
exhibaient bien le sens voulu des verbes modaux. Il fallait 10 paires de
phrases pour chacun des deux verbes modaux. Chaque paire devait avoir
une interprétation épistémique et une interprétation radicale possibles,

3⒌ Voir Pickering & Frisson 200⒈


3⒍ Voir i.a. Barbet 2013, 20⒖
3⒎ Voir i.a. Williams 1992 : 19⒎
3⒏ Voir Pickering & Frisson 2001 : 560.

— 183 —
CÉC I L E BA R BET

le sens n’étant désambiguïsé qu’après le complément du verbe infinitif


(voir ex. 11 à 14 pour des exemples de ces phrases, en ignorant le contexte
qui n’apparaissait pas dans le pré-test). Il a fallu construire et tester
plus de 80 phrases afin d’obtenir les 10 paires par verbe nécessaires. Les
paires retenues l’ont été suite à des tâches de paraphrase auxquelles 32 à
63 locuteurs (moyenne de 44,9 participants par test) ont participé. Les
participants avaient pour consigne de sélectionner la meilleure glose pour
le verbe devoir ou pouvoir tel qu’il apparaissait dans une phrase. Pour les
phrases contenant devoir, les participants avaient 4 choix : « être obligé
de », « probablement », « aucune expression proposée ne convient » et
« je ne suis pas sûr⒠ ». Pour les phrases contenant pouvoir, 6 réponses
étaient possibles : « être capable de », « avoir le droit de », « avoir la possi-
bilité matérielle de », « peut-être que », « aucune expression proposée ne
convient » et « je ne suis pas sûr⒠ ».
Les phrases retenues ont été paraphrasées par l’élément attendu,
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épistémique ou radical, dans 82,8 % des cas. Les phrases radicales avec
devoir ont été paraphrasées par « être obligé de » dans 84,2 % des réponses,
et les phrases épistémiques par « probablement » dans 82,8 % des cas, soit
une moyenne pour les phrases contenant devoir de 83,5 % de congruence
par rapport à l’interprétation attendue. Concernant pouvoir, les phrases
radicales ont été paraphrasées par une expression radicale dans 89,6 %
des cas, et les phrases épistémiques par « peut-être que » dans 74,7 %
des cas, soit une moyenne pour les phrases contenant pouvoir de 82,2 %
de congruence.

2.3.3. Complétion
Ce pré-test avait pour but de vérifier que les contextes favorables à tel
sens n’étaient cependant pas prédictifs, c’est-à-dire n’amorçaient pas le
verbe. Pour chaque phrase, a été construit un contexte précédant le verbe
modal favorisant le sens radical ou le sens épistémique. Il a ensuite été
demandé à des locuteurs de terminer ces contextes, les énoncés étant
interrompus juste avant le verbe (ex. 15) :

⒖ John voulait son appartement à lui quand il était étudiant, mais ce


n’était pas possible, il…

Les suites produites ont été notées 1 si le verbe modal était utilisé et
0,5 s’il était utilisé modalisé ou aspectualisé (respectivement, « il pouvait
devoir » ou « il allait devoir » par exemple). Les suites utilisant le verbe
plein devoir (« devoir quelque chose à quelqu’un ») ont également été
notées 0,⒌ La procédure a été répétée, et les contextes modifiés, jusqu’à
ce que les agments obtiennent tous une probabilité de complétion par

— 184 —
LES V E R B E S M O DAU X S O N T - I L S P O LY S É M I Q U E S ?…

le verbe modal inférieure à 15 % 39. Les contextes favorables retenus ont


été complétés par 19 à 36 locuteurs (moyenne de 23,5) et ont obtenu une
moyenne de 0,84 points, soit moins de 4 % de chance de complétion
par le verbe modal.

2.3.4. Force des contextes


Un second contexte précédant le verbe, neutre cette fois, a été construit
pour chaque phrase (ex. 16) :

⒗ Kenneth a étudié pendant deux ou trois ans à Cambridge au début des


années quatre-vingt, il devait…

A ensuite été testée la force de tous contextes, favorables (voir ⒉⒊3)


et neutres, en menant une seconde série de tâches de complétion dans
lesquelles il était demandé aux participants de terminer les énoncés cette
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fois interrompus après le verbe. La prédiction était que les contextes
favorables éliciteraient des suites dans le sens attendu du verbe, tandis
que les contextes neutres produiraient des suites utilisant l’un ou l’autre
sens de façon aléatoire, sous réserve du biais dû à la prédominance du
sens radical.
Les contextes neutres ont été complétés par des suites radicales dans
62,4 % des cas. Les contextes favorables à l’interprétation radicale ont
élicité des suites radicales dans 94,7 % des cas, et les contextes favorables
à l’interprétation épistémique des suites épistémiques dans 76,1 % des cas.

2.4. Pré-analyses
Les mouvements oculaires ont été détectés grâce à un algorithme basé sur
la vitesse implémenté pour le programme de calcul statistique R (R Core
Team 2009). Le progiciel Saccades 40 est l’implémentation de l’algorithme
de détection des saccades présenté dans Engbert et Kliegl (2003). Les
saccades, dans les algorithmes basés sur la vitesse, sont détectées quand
la vitesse du mouvement oculaire dépasse un certain seuil. L’avantage de
l’algorithme de Engbert & Kliegl (2003) réside dans le fait que le seuil
est calculé à partir des données (data-driven threshold 41) et non a priori.
L’algorithme est ainsi efficace pour réduire une partie du bruit. Nous
avons calculé le seuil pour chaque participant pour chaque essai.

3⒐ Voir Pickering & Frisson 2001 : 56⒈


40. Développé par Titus von der Malsburg, voir https://github.com/tmalsburg/saccades.
4⒈ Voir aussi Malsburg 2009 ; Holmqvist et al. 2011 : 161, 17⒋

— 185 —
CÉC I L E BA R BET

Les fixations extrêmement longues, i.e. de plus de 1 000 ms, vraisem-


blablement dues à des pertes de signal du système, ont été supprimées
pour l’analyse, elles représentaient 0,033 % des données (N = 308 303).
Concernant les fixations très brèves, il s’est avéré que dans le jeu de
données la plupart des fixations de moins de 50 ms (probablement des
glissades ou des dérives) avait une durée d’environ 10 ms. La limite est
bien évidemment relativement arbitraire, mais nous avons décidé, au vu
de ces données, d’exclure de l’analyse les fixations de moins de 20 ms.
Elles représentent 15,1 % des fixations de moins 1 s 42.
Les données de 12 participants n’ont pas été gardées pour les analyses,
certaines parties (avant ou après la pause) ont également dû être ignorées,
ou simplement les données de certains essais. Ou la précision de l’enre-
gistrement de la position du regard était insuffisante, ou les participants
avaient bougé, compromettant la précision, précision nécessaire pour
l’analyse, une trop grande déviation pouvant enregistrer une fixation sur
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un mot alors que le mot précédant ou suivant était en réalité fixé.

2.5. Analyse
Pour l’analyse, les phrases contenant devoir ou pouvoir ont été divisées
en 7 régions d’intérêt, comme en ⒄ :
⒘ Kenneth a étudié pendant deux ou trois ans à Cambridge au début
des années quatre-vingt, | il | devait | à l’époque | loger | à Churchill
College | , il n’avait pas le choix.

Ont été examinés l’effet du contexte (favorable ou neutre) précédant


le verbe modal, l’effet du sens (radical ou épistémique) et l’effet du verbe
modal (devoir ou pouvoir), ainsi que les interactions d’ordre deux ou
trois potentielles entre les différents facteurs, sur les temps de première
lecture (FPRT : first pass reading time), les temps de relecture (RRT :
rereading time) et les temps totaux de lecture (TFT : total fixation time)
dans la région du verbe modal (région 3), dans la région intermédiaire
(désormais RI) entre le verbe modal et le verbe infinitif (région 4), dans
la région du verbe infinitif (région 5), dans la région du complément
(région 6) et dans la dernière région (région 7) qui contient le matériel
désambiguïsant dans la condition contexte précédent neutre.

4⒉ Après discussion avec Titus von der Malsburg, l’auteur de Saccades, il s’est avéré
qu’il s’est également donné ce même seuil de 20 ms. Nos observations, basées sur
des données obtenues grâce au même algorithme de détection des saccades, concordent
donc.

— 186 —
LES V E R B E S M O DAU X S O N T - I L S P O LY S É M I Q U E S ?…

Les mesures (FPRT, RRT et TFT) ont été calculées à l’aide du


progiciel em implémenté pour R 43. Le FPRT ou temps de première
lecture est la somme de toutes les fixations sur une position, mot ou
groupe de mots selon la région d’intérêt, avant qu’une autre position ne
soit fixée. Le FPRT est donc la somme de toutes les fixations sur une
position avant une saccade vers la droite ou la gauche de cette position.
Le RRT ou temps de relecture est la somme de toutes les fixations sur
une position qui ont lieu après une fixation sur cette position et une
fixation subséquente à droite de cette position. Le TFT ou temps de
fixation ou lecture total est la somme de toutes les fixations sur une
position (soit FPRT + RRT).
En lecture, les trois mesures utilisées (FPRT, RRT et TFT) se
retrouvent dans la plupart des études 44. On considère souvent que le FPRT
est une mesure du traitement précoce d’un mot tandis que le RRT est
une mesure de traitement non initial. Les processus de traitement que
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reflètent les TFT sont plus débattus 45.
Le FPRT est supposé refléter le traitement initial, i.e. l’accès au
lexique 46, c’est-à-dire l’activation et la récupération du sens associé aux
représentations d’un mot en mémoire. Typiquement, un mot équent
sera fixé moins longtemps dès la première lecture qu’un mot rare. Il
a néanmoins été montré que le temps de fixation au premier passage
augmente quand le mot est sémantiquement informatif ou inattendu
dans le contexte 47. Le FPRT semble donc refléter et l’accès lexical et le
traitement sémantique (et syntaxique) précoce 48. Le RRT est supposé
refléter des processus de traitement non initial d’intégration d’un mot
ou d’un groupe de mots dans la phrase. Le TFT est souvent également
considéré comme reflétant des processus de traitement non initial de
compréhension du sens d’un mot ou d’un syntagme en relation avec
d’autres mots ou un groupe de mots plus large 49. Cependant, étant la
somme du temps de premier passage et du temps de re-fixation, le TFT
est plutôt une mesure du traitement général. Le TFT reflétera de toute

4⒊ Logacev & Vasishth 20⒒


4⒋ Voir i.a. Rayner & Du 1986 ; Rayner et al. 1989 ; Inhoff & Radach 1998 ;
Rayner 1998 ; Pickering & Frisson 2001 ; Clion, Staub & Rayner 2007 ; Holmqvist
et al. 20⒒
4⒌ Voir i.a. Rayner 1998 ; Pickering & Frisson 2001 ; Clion, Staub & Rayner 2007 ;
Holmqvist et al. 20⒒
4⒍ Voir i.a. Pickering & Frisson 2001 : 562 ; Holmqvist et al. 2011 : 390.
4⒎ Voir Holmqvist et al. 2011 : 390.
4⒏ Demberg & Keller 2008 : 19⒎
4⒐ Inhoff & Radach 1998 : 41-4⒉

— 187 —
CÉC I L E BA R BET

manière plus le FPRT, i.e. des processus de traitement précoce, si l’item


n’a pas ou peu été relu, et le RRT, i.e. des processus de traitement non
initial, si l’item a été refixé plus longtemps qu’il n’a été fixé au premier
passage. Le TFT peut donc refléter et des processus d’intégration textuelle
et des processus de traitement sémantico-syntaxique et des processus
d’activation lexicale 50.
Concernant les régions d’intérêt délimitées, la région 1, la première
ligne de texte présenté, contient le contexte, favorable ou neutre (neutre
en ⒄). Nous avons essayé de garder le même contexte neutre d’une
condition sens à l’autre comme dans l’exemple (ex. 11 et 12 en ⒉⒉4)
mais cela n’a pas toujours été possible. Les régions 3, 4 et 5 contiennent
les mêmes mots quel que soit le contexte ou le sens. La dernière région
est différente selon le sens.
La région 3 qui contient le verbe modal, selon le modal, compte
6 (devait) ou 7 caractères (pouvait). Bien qu’une différence d’un seul
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caractère ne doit pas a priori avoir beaucoup de conséquence sur les temps
de lecture, les analyses des temps de lecture ont été systématiquement
réalisées en millisecondes et en millisecondes par caractère (ms/car), et les
résultats des deux analyses comparés 51. Comme on s’y attendait, aucune
différence intéressante n’a cependant été relevée.
La région 4 (la RI) a toujours la largeur de 10 caractères. Nous avons
essayé d’utiliser le plus souvent les mêmes expressions d’une condition
verbe à l’autre, mais cela n’a été possible que dans 5 cas sur ⒑ La région 5
correspond au verbe infinitif qui compte toujours 5 caractères. Seuls
4 verbes infinitifs ont pu être répétés d’une condition verbe à l’autre.
La région 6 (toujours 19 caractères) contient le complément nominal,
identique dans 3 phrases sur 10 d’une condition verbe à l’autre (voir
discussion en section ⒉7). La région 7 contient les derniers mots de la
phrase qui désambiguïsent le sens dans les contextes neutres, elle varie
donc selon le sens. La longueur de cette dernière région variant, les temps
de lecture ont été transformés en ms/car pour l’analyse.
Dans les analyses statistiques, le verbe a été inclus comme prédicteur
fixe des temps de fixation étant donné que la variable n’a que deux niveaux
et qu’elle est répétée dans la condition contexte et dans la condition sens.
De plus, les deux verbes modaux sont des verbes très équents en an-
çais, mais pouvoir est plus équent que devoir 52, on peut donc s’attendre
à un effet général de équence. Toutefois, ce sont principalement les

50. Demberg & Keller 2008 : 19⒎


5⒈ Voir Rayner et al. 1989 ; Frazier & Rayner 1990 ; Pickering & Frisson 200⒈
5⒉ Selon la base de données Lexique ⒊80 : New et al. 2001 ; New et al. 200⒋

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LES V E R B E S M O DAU X S O N T - I L S P O LY S É M I Q U E S ?…

interactions potentielles du facteur verbe avec les autres variables mani-


pulées qui nous intéressent. Comme nous l’avons noté en introduction
(voir ⒈2), il est possible que devoir et pouvoir ne soient pas tous deux
représentés en mémoire et traités exactement de la même façon.
Des modèles de régression linéaires mixtes ont été réalisés dans R
afin d’analyser la structure des temps de fixation 53. Les modèles mixtes
permettent en effet de tester si les facteurs contexte, sens ou verbe consti-
tuent des prédicteurs fixes des temps de fixation tout en contrôlant les
effets aléatoires des participants et des phrases. De plus, ils permettent
des ajustements aléatoires de la variable participant sur la pente des effets
fixes, tous les locuteurs ne sont en effet pas tous sensibles au même degré
aux propriétés des items.
Nous suivons toujours la même procédure : un premier modèle mixte
est implémenté de façon à tenir compte des ajustements aléatoires des
variables participants et phrases sur l’ordonnée à l’origine et des ajuste-
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ments aléatoires de la variable participant sur la pente des effets fixes. Des
tests de maximum de vraisemblance sont ensuite réalisés afin de sélection-
ner le modèle le plus approprié en ce qui concerne la partie aléatoire. De
tels tests sont également réalisés pour tester la justification de l’inclusion
d’un prédicteur fixe ou d’une interaction dans le modèle 54. Les valeurs de
p sont estimées en s’appuyant sur la méthode d’échantillonnage à partir de
chaînes de Markov de type Monte Carlo (grâce à la fonction pvals.fnc du
package languageR 55) quand le modèle de régression linéaire n’inclut pas
de pentes aléatoires 56. Dans ce dernier cas, les valeurs de p sont calculées
selon la méthode suggérée par Baayen 57 en considérant comme degrés de
liberté le nombre d’observations (N) soustrait du nombre de paramètres
fixes (ce que la fonction pvals.fnc fait également 58).
Les temps de fixation, comme les temps de réaction en général,
ont rarement une distribution normale 59. Différentes stratégies sont
adoptées dans les études 60, pour notre part, nous avons gardé toutes les
fixations non aberrantes, i.e. de plus de 20 ms et de moins de 1 s, et
vérifié à chaque analyse que le modèle obtenu n’était pas dû à des valeurs

5⒊ Voir Baayen 2008 ; Baayen, Davidson & Bates 2008 ; Baayen & Milin 20⒑
5⒋ Pour les détails de la procédure, voir Bates 2005 ; Baayen 2008 ; Baayen, Davidson
& Bates 200⒏
5⒌ Voir Baayen 200⒏
5⒍ Voir Baayen 2008 ; Baayen, Davidson & Bates 200⒏
5⒎ Baayen 2008 : 269-270.
5⒏ Voir Baayen, Davidson & Bates 200⒏
5⒐ Voir i.a. Holmqvist et al. 2011 : 8⒐
60. Voir Baayen 2008 ; Holmqvist et al. 2011 : 88-9⒈

— 189 —
CÉC I L E BA R BET

extrêmes 61. La distribution des temps de fixation a été inspectée pour


chaque mesure dans chaque région d’intérêt et testée grâce à la fonction
boxcox (package R MASS) afin de déterminer si une transformation des
données était souhaitable et quelle transformation appliquer le cas échéant.
A été appliquée systématiquement une transformation logarithmique
(logarithme népérien ou naturel).

2.6. Résultats
Les temps de fixation moyens dans les différentes régions d’intérêt
selon le contexte, le sens et le verbe figurent dans le tableau suivant.
Nous présentons d’abord les résultats de la mesure de traitement initial
(FPRT), puis les résultats des mesures de traitement subséquent (RRT)
et général (TFT).
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Temps de première lecture (FPRT), de lecture (TFT), de relecture (RRT) moyens
dans les différentes régions d’intérêt selon le contexte et le sens, et moyennes par verbe 62

F–R F–E N–R N–E

M ET M ET M ET M ET
FPRT
(ms) 272,5 155,1 255,8 157,9 267,6 152 246,1 126

devoir 260,4 141,4 273 174,5 281,5 170,3 243,5 122,3


pouvoir 283,1 166,4 238,4 138 253,9 131,3 248,6 130
RRT
398,7 310,6 426,5 309,7 396,5 290,1 462,9 366,3
Région 3 (ms)
(verbe devoir 444,7 346,5 429,8 322,8 362,8 240 485,4 406,4
modal)
pouvoir 375,8 293 423,2 300,9 419 320 445,9 336,3
TFT
(ms) 435,2 331 451,6 333,9 456,4 323,4 498,1 388,7

devoir 389,3 332 466,4 355,7 420,6 277,9 476,7 401,9


pouvoir 475,8 326,9 436,6 311,8 491,8 361,2 518,4 377,1

6⒈ Voir Baayen 2008 : 279-280.


6⒉ M = moyenne ; ET = écart-type ; F – R = contexte précédent favorable – sens
radical ; F – E = contexte précédent favorable – sens épistémique ; N – R = contexte
précédent neutre – sens radical ; N – E = contexte précédent neutre – sens
épistémique.

— 190 —
Les v e r b e s m o dau x s o n t - i l s p o ly s é m i q u e s ?…

F–R F–E N–R N–E

M ET M ET M ET M ET
FPRT
(ms) 218,1 138,1 227,4 135,2 208,1 118,1 222,1 151,3

devoir 207,5 132,7 211,1 114,4 196,8 116,6 204,3 146


pouvoir 227,9 143,1 244,1 152,6 218,6 119,4 238,9 155,2
RRT
(ms) 421 313,5 429,3 347,5 444,2 358,1 439 380
Région 4
(inter- devoir 427,7 393,3 445,2 373,1 363,9 283,5 401,5 347,7
médiaire)
pouvoir 415,8 240,2 433,5 324,3 518,5 404,1 481,1 412,5
TFT
(ms) 465,1 319,7 490,5 367 512,2 372,6 512,9 390,7
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devoir 433,2 344,7 471,7 372,6 444,5 315,8 494,8 367,5
pouvoir 494,4 294 509,7 362,5 575,5 410,8 529,9 412,8
FPRT
(ms) 221,6 90,8 223,2 96,8 226,2 90,1 209,1 82,7

devoir 224 92,4 227,1 84,1 236 96,4 208,2 80,3


pouvoir 219,2 89,8 218,9 109,3 215,9 82,5 209,8 85,3
RRT
(ms) 326,5 237,9 381,1 339,5 322,2 244,6 372,1 316,8
Région 5
devoir 353,4 300,8 430,4 395,5 370,9 295,1 398,8 391,3
(infinitif)
pouvoir 307,7 185,2 325,6 260,1 287,9 199 347,8 232,7
TFT
(ms) 345,8 249,4 354,5 295,6 372,2 250,3 371,4 297,6

devoir 336,5 278,8 378,1 340,8 371,9 278,3 382,3 360,2


pouvoir 354,9 218,9 329 236,8 372,5 219,3 361,4 228,2
FPRT
(ms) 516,4 322,3 506,6 271,6 481,9 285,2 501,9 293

devoir 466,3 260,3 464,1 256,6 444,3 238,8 417,7 254


Région 6 pouvoir 563,3 366,6 549,6 281,1 519,1 321,8 583,1 306,3
(complé- RRT
ment) (ms) 735,6 734,8 752,2 689,1 756,2 804,3 658,4 653,4

devoir 818,5 970 770,9 636,3 688,2 1 016,1 646,8 665,8


pouvoir 673,3 494,9 730 754,3 809,1 595,3 670,1 647,5

— 191 —
CÉC I L E BA R BET

F–R F–E N–R N–E

M ET M ET M ET M ET
TFT
891,5 745 931,1 721,6 956,4 793,3 894,5 654,4
Région 6 (ms)
(complé- devoir 836,3 843,2 934,1 689,7 824,6 900,1 810,7 642,4
ment)
pouvoir 943,2 641 928,1 756,7 1 086,5 651,7 975,3 659,5
FPRT
(ms/ 31,1 15,6 31,9 15,4 30,3 15,1 30,1 17,6
car)
devoir 29,4 15,5 33,3 17,3 29,2 14,4 27,9 18
pouvoir 32,7 15,6 30,6 13,2 31,5 15,7 32,2 17,1
RRT
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(ms/ 34 33,8 32,7 26,3 34,4 34,5 38,6 51,5
Région 7
car)
(fin de devoir 37,6 43,9 36,5 27,1 33,3 35,5 42,5 53,8
la phrase)
pouvoir 30,5 20,1 28 24,9 35,3 34 34,4 49,3
TFT
(ms/ 45,9 29,6 46,9 29,9 48,6 31,8 50,7 43,2
car)
devoir 45,9 35,9 51,3 33,4 45 33,1 51,6 45,6
pouvoir 46 22,3 42,3 25,1 52,1 30,3 49,8 41

Les effets du contexte ou du sens sur les temps de première lecture


sont très localisés. Dans la région 3 correspondant au verbe modal, les
moyennes semblent indiquer que le verbe a été lu plus longuement dans
la condition contexte précédent favorable par rapport à la condition contexte
précédent neutre. On peut en effet s’attendre à un processus d’intégration
du sens dans un contexte favorable au sens qui ne se produit pas dans un
contexte neutre. Ceci explique que les temps de lecture au premier passage
d’une région peuvent parfois être plus longs quand le contexte précédent
est favorable au sens par rapport à un contexte précédent neutre 63. Les
moyennes indiquent également que le verbe a été lu plus longuement
dans la condition sens radical par rapport à la condition sens épistémique.
Cependant, les moyennes suggèrent encore que dans la condition contexte
précédent favorable, dans la condition devoir, les FPRT dans la condition sens

6⒊ Voir Frazier & Rayner 1990 ; Pickering & Frisson 200⒈

— 192 —
LES V E R B E S M O DAU X S O N T - I L S P O LY S É M I Q U E S ?…

radical sont réduits par rapport aux FPRT dans la condition sens épistémique,
tandis que dans la condition pouvoir, ce sont les FPRT de la condition sens
épistémique qui sont réduits par rapport aux FPRT dans la condition sens
radical. L’analyse de la structure des FPRT révèle de fait une interaction
d’ordre trois marginale (t(592) = -1,90, p = 0,0579) qui suggère comme
les moyennes que l’effet du sens pourrait être différent selon le verbe et
le contexte. L’analyse de la structure des FPRT des items de la condition
pouvoir révèle une interaction sens × contexte non significative mais améliorant
significativement le modèle de régression (t(301) = -1,51, p = 0,1321), tandis
que l’analyse des FPRT des items de la condition devoir ne révèle aucun
prédicteur. Dans la condition pouvoir – contexte précédent favorable, le sens
constitue un prédicteur significatif des FPRT qui sont réduits quand le
verbe a un sens épistémique (t(153) = -2,26, p = 0,025). Dans la condition
contexte précédent neutre, le sens ne constitue pas un prédicteur des FPRT,
ce qui est attendu étant donné que le contexte est neutre.
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En résumé, dans la région 3 contenant le verbe modal même, l’effet
du sens est restreint à la condition pouvoir – contexte précédent favorable
dans laquelle la première lecture est facilitée par le sens épistémique, soit
le sens non dominant.
Dans la région 4 suivante (RI), les FPRT sont en moyenne plus
longs dans la condition contexte précédent favorable, dans la condition
sens épistémique et dans la condition pouvoir. Les moyennes individuelles
ne suggèrent pas cette fois d’interaction. L’analyse de la structure des
FPRT ne révèle effectivement aucune interaction entre les paramètres.
Seul le verbe constitue un prédicteur significatif des FPRT (t(604) = 3,02,
p = 0,0026). Les FPRT dans la RI des phrases contenant pouvoir sont
significativement plus longs.
Dans la région 5 contenant le verbe infinitif, on ne relève pas de
prédicteur des FPRT.
Dans la région 6 du complément du verbe infinitif, seul le verbe
constitue un prédicteur des temps de première lecture. Les FPRT sont
significativement plus longs dans la condition pouvoir (t(619) = 3,96, p = 0).
Finalement, dans la dernière région d’intérêt, région qui désambiguïse
le sens quand le contexte précédant le verbe est neutre, l’analyse de la
structure des FPRT en ms/car ne révèle aucun prédicteur significatif.

L’analyse des mesures de traitement subséquent ou général (RRT et


TFT) révèle un effet du contexte relativement faible et restreint à la
dernière région d’intérêt (la fin de la phrase). Un effet du sens, toutefois
restreint aux phrases contenant devoir, émerge en revanche sur les TFT
dès la région du verbe modal et dans la RI. Dans la dernière région, l’effet
du sens réapparaît dans la condition devoir, et apparaît inversé dans la

— 193 —
CÉC I L E BA R BET

condition pouvoir où ce sont les items de la condition sens épistémique


dont la (re)lecture est plus rapide.
Les temps de relecture dans la région 3 contenant le verbe modal
semblent plus longs dans la condition sens épistémique et les moyennes
suggèrent une possible interaction contexte × sens. Cependant, l’analyse
de la structure des RRT dans la région 3 ne révèle aucun prédicteur. Les
temps totaux de lecture dans cette même région 3 semblent être plus
longs dans la condition contexte précédent neutre et dans la condition sens
épistémique. On s’attend en effet à ce que les temps de lecture globale
soient réduits dans le cas d’un contexte favorable au sens et dans le cas
du sens le plus équent. Les moyennes par verbe suggèrent cependant
que dans la condition pouvoir, dans la condition contexte précédent favo-
rable, les TFT ne sont pas plus longs dans la condition sens épistémique
mais au contraire plus courts. L’analyse de la structure des TFT révèle
effectivement une interaction sens × verbe significative (t(596) = 2,21,
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p = 0,0275). L’interaction semble confirmer que les TFT sont plus
longs dans la condition sens épistémique seulement quand le verbe modal
est devoir. Le sens constitue effectivement un prédicteur significatif des
temps de lecture dans la condition devoir dans laquelle les TFT sont
significativement plus longs dans la condition sens épistémique (t(292)
= 1,99, p = 0,0473). Le contexte ne constitue un prédicteur significatif
des TFT ni dans la condition devoir ni dans la condition pouvoir.
En résumé, dans la région du verbe modal, le contexte n’a pas d’effet
significatif sur les temps totaux de lecture, et l’effet du sens est restreint
à la condition devoir dans laquelle les temps de lecture sont réduits quand
le sens est le sens dominant radical.
Dans la région intermédiaire entre le verbe modal et l’infinitif (région 4),
seul le verbe constitue un prédicteur des RRT, ni le sens ni le contexte ne
sont prédicteurs. Les RI ont été relues significativement moins longuement
dans la condition devoir (t(385) = -2,03, p = 0,043). Au niveau des temps
totaux de lecture dans cette RI, les moyennes suggèrent une interaction
sens × verbe que suggère également l’analyse de la structure des TFT
(t(605) = -1,78, p = 0,0756). L’effet du sens épistémique semble restreint
à la condition devoir. Le sens constitue en effet un prédicteur (marginal)
des TFT de la condition devoir dans laquelle les items de la condition
sens épistémique ont été lus relativement plus longtemps que ceux de la
condition sens radical (t(296) = 1,79, p = 0,0745), tandis que le sens n’est
pas prédicteur des TFT de la condition pouvoir. En résumé, on retrouve
donc dans la RI une tendance au même effet facilitateur du sens radical
restreint à la condition devoir.
Dans la région du verbe infinitif (région 5), aucun facteur ne constitue
de prédicteur significatif ni des RRT ni des TFT.

— 194 —
LES V E R B E S M O DAU X S O N T - I L S P O LY S É M I Q U E S ?…

Dans la région suivante, le complément du verbe infinitif (région 6),


aucun facteur ne constitue de prédicteur significatif des RRT ; et seul
le verbe est prédicteur des TFT. Les items de la condition devoir ont
été lus significativement plus rapidement que les items de la condition
pouvoir (t(616) = -2,71, p = 0,0069).
Au niveau de la dernière région (région 7), les RRT semblent plus
longs dans la condition contexte précédent neutre. Les moyennes sug-
gèrent également une interaction sens × verbe. L’analyse de la structure des
RRT dans cette région finale révèle effectivement un effet du contexte
(t(294) = 2,065, p = 0,0398) et une interaction sens × verbe (t(294) = 2,555,
p = 0,0111). Un contexte favorable a donc réduit comme on s’y attend
les temps de relecture. Le sens épistémique n’a, a priori, réduit les RRT
que dans la condition pouvoir. L’analyse de la structure des RRT dans la
condition pouvoir montre de fait un effet significatif du sens : les RRT
sont significativement réduits dans la condition sens épistémique (t(150)
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= -2,246, p = 0,0262). L’analyse des RRT dans la condition devoir montre
également un effet significatif du sens, mais les RRT sont cette fois
significativement réduits dans la condition sens radical (t(145) = -2,241,
p = 0,0265). En résumé, dans la dernière région d’intérêt, le sens radical
facilite la relecture dans la condition devoir, tandis que c’est le sens
épistémique qui la facilite dans la condition pouvoir.
Concernant les temps de lecture totaux dans la dernière région, les
moyennes semblent indiquer qu’ils sont plus longs pour les items de la
condition devoir quand le sens est épistémique, tandis que les TFT de la
condition pouvoir sont plus longs quand le sens est radical, quel que soit
le contexte. L’analyse de la structure des TFT révèle effectivement une
interaction significative sens × verbe (t(615) = 3,13, p = 0,0018) et un effet
non significatif du contexte. Dans la condition devoir, le sens est prédicteur
des TFT qui sont significativement plus longs dans la condition sens
épistémique (t(303) = 2,52, p = 0,0123). Le contexte n’est pas prédicteur
des TFT dans cette condition. Dans la condition pouvoir, le sens ne
constitue pas un prédicteur significatif, néanmoins, un effet marginal du
contexte émerge (t(311) = 1,91, p = 0,057). Dans la dernière région qui
contient le matériel désambiguïsant dans la condition contexte précédent
neutre, la lecture générale est donc facilitée par un contexte favorable
dans la condition pouvoir, et par le sens radical dans la condition devoir.

2.7. Discussion
Nous résumons d’abord les principaux résultats obtenus avant de les
discuter en regard des trois hypothèses – homonymie, polysémie et
monosémie / sous-spécification – présentées dans la section ⒈⒉

— 195 —
CÉC I L E BA R BET

Les régions d’intérêt 4 et 6 (la RI et le complément du verbe infinitif)


ont été en général plus faciles à traiter quand le verbe employé est devoir.
Dans la RI, la première lecture comme la relecture sont facilitées dans la
condition devoir. Cette région ne contient cependant les mêmes mots ou
expressions d’une condition verbe à l’autre que dans 5 cas sur ⒑ L’effet
de facilitation dans la condition devoir peut être attribué à la équence
des mots ou expressions constituant la RI : l’expression « ce jour-là »
notamment, répétée dans la condition pouvoir, est moins équente que « à
l’époque » qui est répétée dans la condition devoir (7 400 000 occurrences
vs 424 000 000 occurrences dans Google France) 64. Dans la région 6, la
équence peut de nouveau expliquer l’effet : les expressions utilisées dans
la condition devoir sont en moyenne plus équentes (7 290 557 occurrences
en moyenne (ET : 17 486 647) vs 178 329 (ET : 269 733) occurrences dans
Google France). L’effet de facilitation de devoir, étant corrélé à la équence
des items des régions d’intérêt en question, apparaît donc suspect et ne
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sera pas discuté davantage.
Concernant la première lecture du verbe modal, on a noté un effet
facilitateur du sens épistémique quand le contexte précédant le verbe
modal est favorable cependant restreint aux phrases contenant pouvoir.
Le sens non dominant (voir ⒉⒊1) de pouvoir est donc en réalité le sens le
plus facile à traiter. Concernant le traitement subséquent ou général, on
trouve un effet facilitateur du sens radical restreint aux phrases contenant
devoir dans la région contenant le verbe et dans une moindre mesure
dans la région suivante. On a ici affaire à un effet de équence relative : le
sens dominant est plus accessible et plus facile à traiter. Dans la dernière
région, on trouve un effet facilitateur du sens radical dans la condition
devoir et un effet facilitateur du sens épistémique ou du contexte dans
la condition pouvoir.
Les résultats obtenus disqualifient l’hypothèse homonymique pour
devoir comme pour pouvoir. En effet, on ne trouve ni l’effet précoce du
contexte ni l’éventuel garden-path attendu en cas de réelle ambiguïté
(voir ⒉1). L’effet précoce du sens épistémique sur la première lecture de
pouvoir dans les contextes favorables ne peut pas non plus constituer un
effet de biais du sens secondaire (subordinate bias effect 65) car ce dernier

6⒋ Le moteur de recherche sur Internet a dû être utilisé pour déterminer la équence


des expressions, des études ont en effet montré que la équence du mot tête ne
reflétait pas forcément la équence du syntagme (voir Janssen & Barber 2012). En
général, l’estimation de la équence d’un mot grâce aux moteurs de recherche est
consistante avec les estimations obtenues grâce aux bases de données (voir Blair,
Urland & Ma 2002 ; Keller & Lapata 2003).
6⒌ Voir i.a. Clion, Staub & Rayner 200⒎

— 196 —
LES V E R B E S M O DAU X S O N T - I L S P O LY S É M I Q U E S ?…

prédit que dans un contexte favorable, le sens le moins équent ou


familier est le plus difficile à traiter, et non l’inverse.
Les résultats obtenus avec les phrases contenant devoir, c’est-à-dire
l’effet de équence relative, concordent avec l’hypothèse polysémique qui
prédit un tel effet. Cette hypothèse ne rend en revanche pas compte des
résultats obtenus avec pouvoir comme elle prévoit un effet de facilitation
du sens dominant et non un effet de facilitation du sens non dominant.
L’hypothèse de la sous-spécification du sens peut rendre compte des
résultats obtenus avec les phrases contenant pouvoir si l’on accepte que
le sens épistémique demande moins d’effort d’intégration ou d’enrichis-
sement que le sens radical et constitue donc un sens proche du sens
sous-spécifié qui serait encodé. On pourrait ainsi postuler que dans les
contextes radicaux, par rapport aux contextes épistémiques, en plus du
sens activé à la lecture du verbe, un enrichissement de ce sens, ou une
intégration du sens radical se produit : les causes de la possibilité sont
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intégrées au sens du verbe modal et de la phrase et est ainsi dérivé un
sens spécifique de capacité, permission ou possibilité matérielle.

3. Discussion générale
La conclusion à laquelle nous arrivons, c’est-à-dire que devoir serait
effectivement polysémique tandis que pouvoir serait vraisemblablement
monosémique, aurait une sémantique sous-spécifiée, en d’autres termes,
que les deux verbes modaux, semblant pourtant constituer un paradigme
– tout restreint qu’il soit – en ançais, seraient de différentes natures,
peut paraître a priori suspecte, néanmoins, elle concorde avec différents
faits qui constituent autant de preuves indirectes 66.
Par exemple, on peut penser que le fait que pouvoir a plus d’inter-
prétations différentes que devoir constitue une preuve indirecte de leurs
natures différentes. En plus de ses sens radicaux et épistémique, pouvoir
a en effet quantité d’effets de sens post-modaux tels que la concession,
l’intensification, la délibération, etc., tandis que devoir n’en a pour ainsi
dire qu’un de futur 67. On peut penser que plus un item perd de son
matériel sémantique, de ses traits et contraintes sémantiques, plus il est
susceptible d’entrer dans des contextes nombreux et différents 68.
Également, le fait que devoir constitue un opérateur propositionnel
quand il a un sens épistémique mais non quand il a un sens radical, alors

6⒍ Voir Barbet 20⒔


6⒎ Voir i.a. Barbet & Vetters 20⒔
6⒏ Voir Bybee, Perkins & Pagliuca 199⒋

— 197 —
CÉC I L E BA R BET

que pouvoir n’est sans doute jamais opérateur propositionnel 69 plaide en


faveur de deux items de différentes natures. Si pouvoir est bel est bien mono-
sémique, reste néanmoins à déterminer son sens représenté en mémoire.
Bien que nous fassions l’hypothèse que pouvoir n’encode qu’un sens
sous-spécifié, nous n’appliquerons pas à pouvoir l’analyse monosémique de
Papaagou (2000) de certains modaux anglais selon laquelle leur séman-
tique se réduit à l’expression qu’une proposition p entretient une certaine
relation R avec un ensemble de propositions appartenant à un domaine D
(voir ⒈2). Nous faisons en revanche l’hypothèse que le sens encodé par
pouvoir est un sens de possibilité aléthique (au sens de Kratzer 1981 ou
Rocci 2005). L’application de l’analyse de Papaagou (2000) à pouvoir pose
problème car ce dernier n’est pas opérateur propositionnel, ce qui semble
impliqué par la sémantique R(D, p). Un réel opérateur propositionnel,
marquant l’attitude du locuteur par rapport à la proposition énoncée,
n’est en effet pas censé entrer dans le champ de la négation 70. Alors que
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devoir épistémique semble bel et bien échapper à la portée de la négation
(ex. 18), pouvoir épistémique n’y échappe pas, pour le moins pas toujours :
voir les exemples ⒆ et ⒇ dans lesquels ne pas pouvoir n’a pas le sens
de « possible que ne pas » mais bien « impossible que » :

⒙ Pierre ne doit pas travailler.


≈ Pierre doit ne pas travailler.

⒚ Je sais déjà que ce ne peut pas être quelqu’un d’ici ! fit-il 71.

⒛ Vous pouvez pas êt’ aussi mauvaise que l’nèg que vous voyez là, déclara
Doosy, la langue un peu épaisse 72.

Pouvoir dit épistémique n’est donc pas forcément opérateur proposi-


tionnel 73 et donc il n’est pas épistémique au sens de référant déïctiquement
aux croyances du locuteur. Partant, il a plutôt un sens aléthique (ou de
pur possible), encodant la possibilité unilatérale. Ce sens pourrait consti-
tuer le sens représenté en mémoire de pouvoir 74, apparaissant tel quel en
contexte quand aucune information supplémentaire n’est disponible, ou
enrichi de causes radicales, ou attribué au jugement subjectif du locuteur
et induisant le non-nécessaire (possibilité bilatérale).

6⒐ Voir infra et Rocci 2005, à propos de l’italien potere.


70. Voir i.a. Gosselin 2010 : 99 ; Rocci 2005 : 23⒎
7⒈ F. Dard, Une seconde de toute beauté ; cité par Vetters 2007 : 7⒌
7⒉ R. Jessup, Un bruit de chaînes ; cité par Vetters 2007 : 7⒌
7⒊ Voir aussi Rocci 2005, à propos de l’italien potere.
7⒋ Voir Barbet 20⒔

— 198 —
LES V E R B E S M O DAU X S O N T - I L S P O LY S É M I Q U E S ?…

Références bibliographiques
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and Language, vol. 59, nº 4, p. 390-4⒓
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BARBET C. (2013), Sémantique et pragmatique des verbes modaux du français.
Données synchroniques, diachroniques et expérimentales, thèse de doctorat
en linguistique, sous la direction de Louis de Saussure et Carl Vetters,
université de Neuchâtel et université du Littoral Côte d’Opale, 590 p.
BARBET C. (2015), « L’évolution sémantique des verbes modaux : hypothèses à
partir des emplois de devoir et pouvoir en ançais moderne et médiéval »,
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— 202 —
LES V E R B E S M O DAU X S O N T - I L S P O LY S É M I Q U E S ?…

Annexe

5 exemples de phrases stimuli (2 utilisant devoir puis 3 utilisant pouvoir)


dans leurs 4 conditions :

a. condition contexte précédent favorable – sens radical ;


b. condition contexte précédent neutre – sens radical ;
c. condition contexte précédent favorable – sens épistémique ;
d. condition contexte précédent neutre – sens épistémique.

Les | marquent les régions d’intérêt délimitées pour l’analyse.

a. Gérard se plaignait que sa maison de vacances lui coûtait trop cher, mais
c’était normal, il | devait | en Espagne | payer | des impôts fonciers |
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comme il était devenu propriétaire.
b. Je t’avoue que je n’ai pas pris de nouvelles de José depuis quelques mois
maintenant, mais il | devait | en Espagne | payer | des impôts fonciers |
comme il était devenu propriétaire.
c. Christophe est tellement avare, c’est certainement l’argent qui explique
son déménagement, il | devait | en Espagne | payer | des impôts fonciers |
exorbitants s’il est parti au Portugal.

d. Je t’avoue que je n’ai pas pris de nouvelles de José depuis quelques mois
maintenant, mais il | devait | en Espagne | payer | des impôts fonciers |
exorbitants s’il est parti au Portugal.

a. On ne peut plus rien leur demander ! Mercredi, mon fils m’a sorti que
j’étais trop stricte : il | devait | ce jour-là | finir | son devoir de maths |
avant midi pour avoir le droit de sortir.
b. Je ne peux pas te renseigner, je ne sais pas ce que faisait Léo mercredi
après-midi, mais il | devait | ce jour-là | finir | son devoir de maths |
avant midi pour avoir le droit de sortir.
c. Comme si je suivais Hugo partout… Je ne sais pas, moi, ce qu’il faisait
jeudi soir, mais il | devait | ce jour-là | finir | son devoir de maths | s’il
n’est pas sorti avec vous.
d. Je ne peux pas te renseigner, je ne sais pas ce que faisait Jo mercredi
après-midi, mais il | devait | ce jour-là | finir | son devoir de maths |
s’il n’est pas sorti avec vous.

— 203 —
CÉC I L E BA R BET

a. On croyait qu’on devrait se débrouiller pour le logement toute l’année,


mais c’était sûr, on | pouvait | maintenant | loger | à Churchill College | ,
les travaux de rénovation étant achevés.
b. Rien n’était vraiment sûr pour le moment, mais d’après ce que disaient
certains étudiants, on | pouvait | maintenant | loger | à Churchill
College | , les travaux de rénovation étant achevés.
c. Je me demandais pourquoi on m’avait demandé à moi où John McGregor
habitait à Cambridge, il | pouvait | maintenant | loger | à Churchill
College | , ou ailleurs, je n’en savais rien, moi.
d. Il m’avait beaucoup déçu, alors je n’avais pas cherché à avoir de nouvelles
de Rodolphe, il | pouvait | maintenant | loger | à Churchill College | ,
ou ailleurs, je n’en savais rien, moi.

a. On n’allait tout de même pas plaindre Armand avec ses deux superbes
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villas sur la côte, il | pouvait | à l’époque | payer | des impôts fonciers |
élevés, il en avait largement les moyens.
b. M. Lamuroy n’a jamais dit pourquoi il avait déménagé du centre-ville en
grande banlieue, il | pouvait | à l’époque | payer | des impôts fonciers |
élevés, il en avait largement les moyens.
c. Je me demandais pourquoi on m’avait demandé à moi pourquoi Luc
avait déménagé en banlieue, il | pouvait | à l’époque | payer | des impôts
fonciers | trop élevés, qu’est-ce que j’en savais moi ?
d. M. Lamuroy n’a jamais dit pourquoi il avait déménagé du centre-ville en
grande banlieue, il | pouvait | à l’époque | payer | des impôts fonciers |
trop élevés, qu’est-ce que j’en savais moi ?

a. Mercredi après-midi, Alexandre a encore filé avant d’avoir terminé ses


devoirs, il abuse, il | pouvait | ce jour-là | finir | son devoir de maths |
avant le foot, il en avait pour 2 minutes.
b. Christopher est parti vers 15 h 30 mercredi pour s’entraîner avec l’équipe
de son collège, il | pouvait | ce jour-là | finir | son devoir de maths |
avant le foot, il en avait pour 2 minutes.
c. Samedi ? Je ne sais pas, tu sais il ne me fait pas un compte rendu
de toutes ses activités ; il | pouvait | ce jour-là | finir | son devoir de
maths | , ou aider son père, je n’en sais rien moi !
d. Pourquoi Alexandre n’est pas venu jouer avec toi mercredi ? Tu m’en
poses de ces questions, il | pouvait | ce jour-là | finir | son devoir de
maths | , ou aider son père, je n’en sais rien moi !

— 204 —

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