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Réseaux

Analyse de discours, sémiologie et tournant communicationnel


Simone Bonnafous, François Jost

Abstract
The aim of this article is to demonstrate the historically complex - although very different - relations that the analysis of discourse
and semiology have maintained with communication, the role that questions of enunciation and pragmatics have played in what
could be called the "communicational turning point" of these two disciplines, and the original contribution of the analysis of
discourse and semiology to the information and communication sciences. The authors highlight the importance of issues of
meaning and history for these two fields of research and conclude on their potential for education in citizenship.

Résumé
Cet article vise à montrer les rapports historiquement complexes - bien que très différents - qu'ont entretenus l'analyse du
discours et la sémiologie avec la communication, le rôle qu'ont joué les questions d'énonciation et de pragmatique dans ce
qu'on pourrait appeler le « tournant communicationnel » de ces deux disciplines et l'apport original de l'analyse du discours et
de la sémiologie à l'interdiscipline des sciences de l'information et de la communication. Soulignant l'importance des
problématiques du sens et de l'histoire pour ces deux champs de recherche, les auteurs concluent sur leur potentialité de
formation à la citoyenneté.

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Bonnafous Simone, Jost François. Analyse de discours, sémiologie et tournant communicationnel. In: Réseaux, volume 18,
n°100, 2000. Communiquer à l'ère des réseaux. pp. 523-545;

doi : https://doi.org/10.3406/reso.2000.2236

https://www.persee.fr/doc/reso_0751-7971_2000_num_18_100_2236

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ANALYSE DE DISCOURS, SEMIOLOGIE

ET TOURNANT COMMUNICATIONNEL

Simone BONNAFOUS

François JOST

© Réseaux n° 100 - CNET/Hermès Science Publications - 2000


Quel est l'apport de l'analyse du discours et de la sémiologie à la
communication ? Semblable question en étonnera certains, qui les
situaient en dehors de ce champ, en déconcertera d'autres, qui ne
voyaient pas une telle proximité entre les deux disciplines. Il est vrai que
rien ne les prédestinait au départ à occuper la place qu'elles ont aujourd'hui
dans la cartographie des sciences de l'information et de la communication,
et c'est donc à observer leurs migrations dans ce territoire que cet article est
consacré. Nous tenterons ici de montrer les rapports historiquement
complexes - bien que très différents - qu'ont entretenus l'analyse du
discours et la sémiologie avec la communication, le rôle qu'ont joué les
questions d'énonciation et de pragmatique dans ce qu'on pourrait appeler le
« tournant communicationnel » de ces deux disciplines et l'apport original
de l'analyse du discours et de la sémiologie à Г interdiscipline des sciences
de l'information et de la communication.

ANALYSE DU DISCOURS ET COMMUNICATION :


UNE RENCONTRE TARDIVE

Evoquer le rapport de l'analyse du discours à l'information et à la


communication suppose d'abord un minimum d'accord sur ce qu'on peut
entendre aujourd'hui par « analyse du discours ». Or la chose n'est pas
aisée, comme le rappelle Dominique Maingueneau dans un numéro spécial
du Français dans le monde consacré au discours1. N'ayant pour objet « ni
l'organisation textuelle considérée en elle-même, ni la situation de
communication, mais l'intrication d'un mode d'énonciation et d'un lieu
social déterminés2 », l'analyse du discours n'est en effet qu'une des
linguistiques du discours au rang desquelles on trouve aussi les analyses de
la conversation, la pragmatique, les théories de l'argumentation, la socio-
linguistique ou l'ethnolinguistique...

1. MAINGUENEAU, 1996.
2. MAINGUENEAU, 1995, p. 7.
526 Réseaux n° 100

Née à la fin des années soixante dans un contexte historique, philosophique


et épistémologique marqué à la fois par le marxisme, le structuralisme et la
psychanalyse, l'analyse du discours s'est d'abord vécue comme un espace
de renouveau de la linguistique, très éloigné des préoccupations des sciences
de l'information et de la communication, avec qui les rapports sont
longtemps demeurés marqués du sceau de l'indifférence, voire de l'hostilité.

Le département de linguistique de Nanterre, le laboratoire de lexicométrie et


textes politiques de Saint-Cloud et le Centre de psychologie sociale de Paris
VII sont les hauts lieux de ce renouveau ainsi que les revues Langages et
plus tard Mots3. Malgré des différences sensibles et des choix
méthodologiques différents (à Nanterre, l'équipe de Jean Dubois privilégie
les analyses structurales de type harrissien, le laboratoire de lexicométrie et
textes politiques fonde la lexicométrie politique et Michel Pêcheux
développe une méthode automatisée reposant sur la notion de paraphrase),
tout ce monde se croise et s'entrecroise en permanence pour une réflexion
visant à dégager à la fois une théorie du « discours » et des méthodes
d'analyse. Le livre de Denise Maldidier intitulé L'inquiétude du discours4
retrace cette atmosphère intellectuelle faite d'engagement politique autant
que de réflexion théorique. Si la définition saussurienne de la « langue »
comme système global doté d'un fonctionnement autonome apparaît à tous
comme l'acte fondateur de la linguistique moderne, « le concept de
'discours' se veut une reformulation de la parole saussurienne, débarrassée
de ses implications subjectives5 ». La question du « sujet » du discours et de
son assujettissement à l'idéologie, celle de 1 " interdiscours » et de la
« polyphonie énonciative », la notion de « formation discursive » et son
rapport aux formations idéologiques6 agitent les esprits et des séminaires qui
peuvent réunir des gens aussi divers que Denise Maldidier, Sophie Fisher,
Julia Kristeva, Antoine Culioli, Jacqueline Authier, Jean-Claude Milner,
etc., et se référer aussi bien à Benveniste ou Bakhtine qu'à Frege, Oswald
Ducrot ou Michel Foucault.

3. Pour une mise en perspective historique de l'analyse du discours en France, voir


SARFATI, 1997.
4. Textes de Michel Pêcheux, choisis et présentés par MALDIDIER, 1990.
5. MALDIDIER, 1990 p. 14.
6. Dès 1971, Michel Pêcheux lie « discours » et idéologie : « Les formations idéologiques (...)
comportent nécessairement, comme une de leurs composantes, une ou plusieurs formations
discursives interreliées, qui déterminent ce qui peut et doit être dit (...) à partir d'une position
donnée dans une conjoncture donnée », voir PECHEUX, 1971.
Discours, sémiologie et tournant communicationnel 527

Profondément linguistique et soucieuse de théorie à ses débuts, l'analyse du


discours n'en est pas moins par nature interdisciplinaire. Contrairement aux
linguistiques de la langue (structurales ou génératives), qui pour se
constituer en Sciences se sont constitué un objet formel, l'analyse du
discours s'est toujours pensée à l'articulation de plusieurs disciplines.
Théoriquement tout d'abord, le sens est considéré comme intrinsèquement
historique et social, à travers des concepts comme « conditions de
production », « processus discursifs », « mécanismes de production », dont
D. Maldidier considère qu'ils firent beaucoup pour « fixer le visage d'une
sorte de vulgate de la discipline7 ». D'où l'inscription de plusieurs historiens
dans ce courant, dont Régine Robin8 et surtout Jacques Guilhaumou, qui
n'aura de cesse de questionner l'apport de l'analyse du discours à l'histoire9
et de s'interroger sur la place des événements linguistiques dans les
processus événementiels10. D'où aussi la priorité accordée au discours
politique dans les recherches des premières années, qu'il s'agisse de la thèse
fondatrice de Jean Dubois11, ou des thèses élaborées sous sa direction, sur le
Congrès de Tours12, la guerre d'Algérie13 ou le discours jauressien14. De
même le laboratoire de Saint-Cloud étudie-t-il les tracts de mai 196815, le
discours communiste16, socialiste17 ou syndical18.

Mais tout autant que du côté de l'histoire, c'est dans la philosophie marxiste
et la psychanalyse lacanienne qu'il faut chercher une grande partie des
referents théoriques de l'analyse du discours des années 70/8019.
L'influence d'Althusser et de son fameux article, « Idéologie et appareils
idéologiques d'Etat20 » est décisive ainsi que celle des travaux de Lacan21.

7. MALDIDIER, 1990 p. 29.


8. ROBIN, 1973.
9. GUILHAUMOU, 1993.
10. BRANCA, COLLINOT, GUILHAUMOU et MAZIERES, 1995.
11. DUBOIS, 1962.
12. MARCELLESI, 1971.
13. MALDIDIER, 1970.
14. CHAUVEAU-PROVOST, 1978.
15. COLLECTIF, 1975 et 1978.
16. PESCHANSKI, 1988.
17. BONNAFOUS, 1983.
18. BERGOUGNOUX et alii, 1982.
19. Le laboratoire de lexicologie politique de Saint-Cloud reste un peu à l'écart de ces débats,
du fait des appartenances moins orthodoxes de la plupart de ses membres, plus proches des
mouvements gauchistes, du PSU, des chrétiens de gauche ou de la CFDT que du PCF.
20. ALTHUSSER, 1970.
21.MILNER, 1978.
528 Réseaux n° 100

Au cœur de la réflexion de Michel Pêcheux, gît une analogie qu'il ne


cessera de travailler, à en croire Maldidier : « Idéologie et inconscient ont en
commun la capacité de 'dissimuler leur propre existence à l'intérieur même
de leur fonctionnement en produisant un tissu d'évidences subjectives'. Une
telle analogie permet de rapprocher 'l'évidence de l'existence spontanée du
sujet (comme origine ou cause de soi)' et le mécanisme d'interpellation-
identification qui paradoxalement produit l'assujettissement tout en le
masquant22. »

Plus que le détail de ces conceptualisations et de ces débats, c'est cette


ambiance intellectuelle et politique qu'il faut avoir présente à l'esprit si l'on
veut comprendre pourquoi l'analyse de discours a si longtemps évolué à
l'écart des sciences de l'information et de la communication.

Rappelons d'abord qu'en France les sciences de l'information et de la


communication n'émergent institutionnellement que dans les années 197023
et surtout dans le secteur de l'enseignement professionnalisé, en liaison avec
la demande des entreprises.

Ce qui en est alors connu par les linguistes se résume le plus souvent au
schéma de la communication de Jakobson24, dont il faut bien dire qu'il
constitue une reformulation simpliste du schéma de l'information de
Shannon, qui maintient la suprématie du sujet créateur-auteur et participe
donc aux yeux des analystes du discours de l'illusion d'un Sujet source et
centre du Sens.

Pour le reste, les travaux en information et communication sont hâtivement


assimilés au courant des « mass communication research », hégémonique
des années quarante aux années quatre-vingt et qui impose ses méthodes
quantitatives de mesure des effets des médias sur l'opinion publique. Le
financement massif de ces travaux, que Lazarsfeld qualifie lui-même en
1941 d'« administratifs25 », par l'Etat américain, les entreprises de presse
écrite et audiovisuelle et les secteurs de la vente et de la publicité contraste
fortement avec le projet critique de l'analyse du discours.

22. MALDIDIER, 1990, p. 42, citant PECHEUX.


23. DELCOURT, 1985.
24. JAKOBSON, 1963.
25. MATTELART 1996, p. 23 sq.
Discours, sémiologie et tournant communicationnel 529

Quant aux médias, ils sont surtout perçus par les chercheurs en analyse du
discours à travers le filtre des réflexions hypercritiques d'intellectuels
comme Louis Althusser bien sûr, mais aussi Michel Foucault26 ou Régis
Debray27, qui en font des vecteurs de l'idéologie dominante et à ce titre un
des éléments clés de l'aliénation de classe28. Tout semble donc opposer au
départ l'« analyse du discours » aux sciences de l'information et de la
communication : les origines disciplinaires, la philosophie politique sous-
jacente, la fonction sociale, la méthode et partiellement l'objet.

Et pourtant, dès le début des années quatre-vingt, plusieurs facteurs sont


venus atténuer ce clivage. Du côté de l'information et de la communication
tout d'abord, le courant empirique américain n'est plus aussi hégémonique.
Si l'Ecole de Francfort s'est constituée dans les années vingt-trente, en
Europe tout d'abord, avec Horkheimer et Benjamin et a connu son apogée
dans les années soixante-dix, lorsque les textes d'un Adorno ou d'un
Marcuse venaient soutenir conceptuellement le grand mouvement
international de contestation de la société de consommation, il était « à
l'époque plus souvent question de médias, de culture de masse, voire de
manipulation que de 'communication'. L'univers médiatique rentr/ait/ dans
le champ de visibilité et de sensibilité sociale, mais la communication ne
fai/sait/ pas encore partie des mots-clés d'une doxa29 ». Il faut attendre la fin
des années soixante-dix pour qu'avec Jtirgen Habermas, dont L'Espace
public, publié en Allemagne en 1962, est traduit en français en 1978, le
courant critique acquière ses lettres de noblesse au sein même des sciences
de l'information et de la communication. Après la Théorie de Vagir
communicationnel30, c'est même pour reprendre les termes d'Erik Neveu,
une véritable « habermassologie » qui se développe en France31. Habermas
- plus cité que lu - devient une référence obligée pour qui veut développer
la moindre critique de l'idéologie de la communication et la lexie « espace
public » un de ces mots-drapeaux que tout le monde reprend, y compris les
politiques, comme la marque d'un discours intelligent et civique. Si l'on
peut regretter avec Erik Neveu cette « forme d'épuisement par routinisation

26. FOUCAULT, 1975.


27. DEBRAY, 1979.
28. MISSIKA et WOLTON, 1983, chapitre 7, «Les intellectuels et la télévision» ou
MATTELART 1996, p. 48 à 57.
29. NEVEU, 1994, p. 38.
30. HABERMAS, 1987.
31. NEVEU, 1995.
530 Réseaux n° 100

des lectures et usages de ce classique32 », il est clair cependant que cet


engouement a été à l'origine d'une réhabilitation intellectuelle des sciences
de l'information et de la communication qui n'apparaissent plus comme
systématiquement inféodées aux commandes d'expertise mais traversées,
comme tous les champs scientifiques, par des courants divers, se distinguant
les uns des autres par leurs références conceptuelles, par leurs méthodes et
par leurs objets.

L'analyse du discours a, elle aussi, beaucoup évolué, dans ses références


théoriques, dans ses méthodes et dans ses corpus.

D'abord essentiellement consacrée à l'écrit et au discours politique au sens


institutionnel (de partis, de congrès, de journaux), l'analyse du discours
s'est aujourd'hui largement déplacée vers l'oral et le discours médiatique et
s'intéresse à des objets aussi divers que les talk-show européens33, les
campagnes présidentielles télévisées34, les débats sur les parasciences35, etc.

Cette évolution des corpus s'est accompagnée d'un reflux des références au
marxisme et à la psychanalyse qui renvoie d'abord à l'évolution du contexte
politique et intellectuel, national et international. Mais c'est aussi ce reflux
qui a permis que l'analyse du discours s'ouvre largement aux recherches
pragmatiques et énonciatives inspirées de Benveniste et Jakobson, de la
philosophie anglo-saxonne, de l'interactionnisme bakhtinien ou de Palo
Alto. « En accordant un rôle privilégié aux problématiques de renonciation
(...) on est ainsi amené à réfléchir sur l'articulation entre le sujet du discours
et le sujet tel que peuvent l'appréhender sociologues et psychologues36. »
Les méthodes structurales, harrissiennes, lexicométriques, lexicales,
actancielles, qui en déstructurant et délinéarisant les textes paraissaient
garantir l'accès à « Г impensé du Sens », se sont donc enrichies d'études
plus « locales », s 'intéressant à la narration37, aux argumentations et aux
actes de langage38, aux citations, reprises et autres échos polyphoniques39.

32. NEVEU, 1995, p. 39.


33. CAD, 1999.
34. Groupe Saint-Cloud, 1995 et 1999.
35. DOURY, 1997.
36. MAINGUENEAU, 1996, p. 11.
37. Cf. en particulier les travaux de l'Observatoire du récit médiatique de Louvain et la revue
Médiatiques publiée par ce centre.
38. BONNAFOUS, 1998 et BONNAFOUS, FIALA, 1999.
39. ADAM, 1999 ou TETU et MOUILLAUD, 1989.
Discours, sémiologie et tournant communicationnel 531

En ce point, l'analyse du discours rejoint la sémiologie de l'audiovisuel,


bien que celle-ci se soit inscrite de façon très différente dans le champ des
sciences de l'information et de la communication.

SEMIOLOGIE DE L'AUDIOVISUEL :
DES OBJETS DE COMMUNICATION
AUX APPROCHES COMMUNICATIONNELLES

Apparemment, la cause est entendue : la revue où la sémiologie de l'image


prend naissance n'a-t-elle pas pour titre Communications, et le lieu où elle
se développe n'est-il pas baptisé, dès le début des années soixante, le Centre
d'Etudes des communications de masse (à l'Ecole pratique des hautes
études) ? Les chercheurs qui se lancent dans « l'aventure sémiologique »
(Barthes, Greimas, Bremond, Todofov, Genette, Metz, etc.) s'accordent sur
deux points :
1. Tous les écrits et toutes les images médiatiques peuvent être considérés
comme des messages et non comme des objets coupés de la réalité sociale.
2. Il n'y a pas, de ce point de vue, de mauvais objet : la bande dessinée,
l'histoire drôle, le roman populaire ou la télévision sont aussi dignes
d'attention que les grandes œuvres littéraires et ils relèvent de méthodes
similaires. Très emblématique de cette conception, le titre du texte fondateur
de Barthes, le Message photographique. D'une part, il se penche sur la
photo de presse, thème délaissé jusqu'alors par les chercheurs « sérieux » ;
d'autre part, il l'envisage comme un message émis par une « source
émettrice », « la rédaction d'un journal, le groupe de techniciens... » pour un
« milieu récepteur », un « public40 ». Mais, en même temps, Barthes définit
son entreprise comme « antérieure à l'analyse sociologique elle-même »,
ajoutant « qu'elle ne peut être que l'analyse immanente de cette structure
originale qu'est la photographie41 ».

Au-delà de cette exemplarité, ce texte mérite une attention particulière parce


qu'il met en place l'aporie fondatrice de la sémiologie de l'image. La
photographie est un message qui transite sans modification d'un émetteur à
un récepteur, bien qu'il ne possède aucun des caractères du signe
linguistique (discontinuité, arbitrarité). Sa « plénitude analogique » en fait

40. BARTHES, [1961] 1982, p. 9.


41. /J., p. 9.
532 Réseaux n° 100

un « message sans code ». On se souvient comment Barthes résoudra ce


paradoxe par l'intervention, non moins paradoxale, de la connotation. Peu
nous importent ici les détails de l'argumentation. Si ce texte nous retient,
c'est qu'il illustre parfaitement le double paradigme qui va servir de cadre à
la sémiologie de l'image pendant plus d'une décennie :
- le circuit de la communication mis en place pour la langue par Jakobson,
- la linguistique saussurienne.

Et, dans la mesure où le premier suppose une permanence du message - de


l'émetteur au récepteur - et la seconde une double articulation, les
premiers sémiologues vont vite abandonner la question de la
communication pour concentrer leurs efforts sur la nature sémiotique de
l'image elle-même. Comment constituer l'image en signe ? Barthes va
chercher la réponse dans l'analyse d'une image fixe intentionnellement
codée, la célèbre publicité Panzani, mais, pour le cinéma, le problème
restera entier : « Pour une sémiologie proprement cinématographique,
l'analogie représente une sorte de butée : sur les points précis où c'est elle
qui prend en charge la signification filmique (...) toute codification
spécifiquement cinématographique fait défaut42 ». Comme le Barthes du
« message photographique », présent en filigrane dans ses premiers textes
sémiologiques, Metz trouve la voie du langage dans la connotation, qui
offre un « arbitraire partiel » à l'analyste, mais, surtout, il soumet l'avenir
de la discipline à cette question : Cinéma, langue ou langage43 ? Comme
on sait, de cette confrontation aux résultats de la linguistique d'inspiration
saussurienne il résultera que le cinéma ne possède aucune des propriétés
de la langue : en particulier, le plan n'est en rien équivalent à un mot et
l'image ne possède pas de double articulation. Ces conclusions seront
abondamment discutées, en Italie plus qu'en France (par Bettetini, Eco,
Pasolini, notamment), et il en découlera, pour Metz, le statut
communicationnel ou, plutôt, non communicationnel, du cinéma. Puisqu'il
n'est pas une langue, il n'est pas destiné à Г intercommunication, mais à la
communication à sens unique : « C'est en fait un moyen d'expression plus
que de communication44 », ce qui veut dire, en l'occurrence, que « le sens
est en quelque sorte immanent à une chose, se dégage d'elle
directement45. »

42. METZ, 1968, p. 113.


43. METZ, 1968.
44. METZ, 1968, p. 79.
45. METZ, 1968, p. 81.
Discours, sémiologie et tournant communicationnel 533

Bien que la sémiologie metzienne se place du côté du spectateur et ait


comme but avoué de comprendre comment on comprend, le paradigme
jakobsonien, lui-même forgé sur la théorie de l'information de Shannon et
Weaver, comme il a été dit, fait dépendre la compréhension du seul code :
comprendre un film, c'est mettre en œuvre des codes que le sémiologue
s'est efforcé de repérer, de classer et d'articuler. En sorte que, malgré son
désir affiché de se situer du côté de la réception, la sémiologie s'est vite
transformée en une ontologie, plus soucieuse de répertorier des essences que
de comprendre l'activité spectatorielle. C'est selon cette logique, que Metz
aboutit finalement à une tripartition des images : les images fixes (photo,
dessin, peinture), les images en séquences (cinéma, dessin animé, BD,
fresque, télévision, photo-roman), les images en mouvement (cinéma,
télévision, dessin animé), le critère de la duplication mécanique séparant ou
laissant de côté, en dernière instance, le dessin animé, pour ne conserver
ensemble que le cinéma et la télévision, dont la différence ne tient qu'à la
taille de l'écran46.

Dans son Système du récit, Gaudreault construit son modèle de la


« communication filmique » sur les mêmes bases47. Opérant la synthèse
entre les Essais et Langage et cinéma, il définit la narrativité en raisonnant
sur les propriétés de l'image et du récit. Pour cette sémio-narratologie
d'inspiration immanentiste, la narrativité est une propriété intrinsèque du
plan, de l'image animée, si bien qu'il est possible de raconter par la seule
vertu de l'analogie iconique. L'image fixe, en revanche, quelle que soit sa
nature et son contexte d'apparition, est en deçà du récit.

Animée d'un souci ontologique, la sémiologie d'inspiration metzienne


finira par situer le film en dehors du champ de la communication en tirant
argument de l'automaticité du processus d'enregistrement photographique.
Produit et reproduit mécaniquement en dehors de toute causalité humaine,
le film n'est qu'une chose et sa projection n'est nullement une situation
communicationnelle : « L'énonciateur s'incarne dans le seul corps qui soit
disponible, le corps du texte, c'est-à-dire une chose. L'énonciateur, c'est
le film48. »

46. METZ, 1971, p. 178.


47. GAUDREAULT, 1988.
48. METZ, 1991, p. 26.
534 Réseaux n° 100

Cette désanthropomorphisation du spectacle cinématographique aboutit à


annuler, dans la réception, cette entité qui n'est apparue comme telle
qu'après deux décennies d'histoire, le cinéaste : « Si le pôle d'émission se
passe d'une présence humaine symétrique, c'est parce que le texte y
supplée. On ne va pas voir le cinéaste, on va voir le film49. » Dans ce
contexte, renonciation se réduit à un accent sur le fonctionnement textuel à
l'intérieur d'un « film-énonciateur » où ni l'auteur ni le spectateur n'ont de
véritables rôles.

Si ce paradigme, qui a eu pour effet de cloisonner parfois les enseignements


sur l'image fixe et sur l'image animée, a encore des adeptes, la
problématique de renonciation a globalement ramené la sémiologie dans le
champ de la communication. Après quelques textes isolés sur ce sujet50, le
numéro de Communications, Enonciation et cinéma51 marque une véritable
rupture. Nous rejoignons sur ce point l'analyse de Casetti : [renonciation]
« conduit à mettre en lumière la conversion d'un langage en texte ou si l'on
préfère, le cinéma devenant film. En outre, renonciation marque l'arrivée
d'éléments qui dans la simple virtualité n'existent pas : un texte manifeste
est un texte 'de quelqu'un' 'pour quelqu'un' d'un moment donné, dans un
lieu donné52, etc. »

La première sémiologie s'était attachée à décoller l'image du monde, la


seconde va s'efforcer de la situer dans son contexte ď enonciation. Et ce, en
suivant plusieurs voies :
1. La recherche des marques du discours. La narratologie de Genette, bien
qu'immanentiste, avait cherché ses racines chez Benveniste dans la célèbre
opposition entre Y histoire, renonciation historique, « où les événements
semblent se raconter d'eux-mêmes » et le discours, où les marques de
subjectivité, les déictiques, renvoient au locuteur53. Les théories de
renonciation cinématographique ou audiovisuelle vont chercher, à leur tour,
à déceler en quel point surgit le discours audiovisuel. Certains le trouvent
dans le regard caméra, l'axe Y- Y', qui instaure une relation avec le
destinataire54, d'autres retendent à l'ensemble des images et des sons,

49. METZ, 1991, p. 200.


50. SIMON, 1979 ; JOST, 1980 ; CASETTI, 1980.
51. SIMON et VERNET, 1983.
52. CASETTI, 1993, trad. 1999, p. 266.
53. Un livre de Chatman s'intitule même Story and Discourse (CHATMAN, 1978).
54. VERON, 1983.
Discours, sémiologie et tournant communicationnel 535

soutenant que, à la différence de la langue, l'audiovisuel n'a pas de signes


énonciatifs mais seulement des usages énonciatifs des signes55. D'autres
encore formulent l'hypothèse que l'interprétation des images est régulée par
l'« institution » dans laquelle elles sont projetées56.
2. La construction des instances énonciatives. Metz avait déjà souligné que
le récit devait d'être un discours au fait d'être proféré. Délaissant les
questions de l'analogie, les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix vont être
le théâtre, dans le monde entier, d'un débat acharné sur les instances
énonciatives57. Que l'on reconduise le schéma de Jakobson (Gaudreault),
que l'on adopte un modèle conversationnel (Bettetini, Casetti) ou que l'on
se situe ouvertement du côté de la construction du sens par le spectateur
(Jost), une chose est sûre : la question de la communication est à l'ordre du
jour. On cherche à cerner le modèle idéal qui permettrait de penser la
relation de l'énonciateur et du spectateur et l'action de l'un sur l'autre. Pour
ce faire, le recours à la théorie des actes de discours se généralise. La théorie
polyphonique ď Oswald Ducrot et la narratologie de K. Hamburger,
d'inspiration pragmatique, offrent de nouveaux cadres pour penser les
relations de l'image et de la réalité58.
3. L'élargissement de l'objet. Bien qu'il prétendît faire une sémiologie du
cinéma, Metz avait construit son arsenal conceptuel à partir de l'étude du
cinéma de fiction classique. Au fil des ans, les images, comme les lieux de
leur diffusion, ont changé : la place de la télévision et de l'image de
synthèse s'est accrue et, dans une certaine mesure, les spectateurs eux-
mêmes n'abordent plus les documents audiovisuels, quels qu'ils soient,
comme dans les années 1960. Emboîtant le pas, la sémiologie s'est
tournée vers de nouveaux objets. Après l'avoir soumise à l'épreuve du
« nouveau cinéma59 », de l'analyse textuelle, du documentaire60, de la
« modernité61 », les chercheurs se tournent vers la télévision62 et prouvent
par la diversité que l'ambition d'une sémiologie de l'image animée
unitaire servant de « patron » à toutes les explorations médiatiques est
aussi vaine que celle d'une linguistique comme prolégomènes à toute

55. JOST, 1980.


56. ODIN, 1983.
57. Participent à ce débat, outre CHATMAN, 1978 et GAUDREAULT, 1988, déjà cités,
BETTETINI, 1984 ; BORDWELL, 1985 ; BRANIGAN, CASETTI et JOST, 1987 et 1992.
58. JOST, 1995.
59. CHATEAU et JOST, 1979.
60. LYANT et ODIN, 1984.
61. CHATEAU, GARDIES et JOST, 1981.
62. VERON, 1983.
536 Réseaux n° 100

sémiologie future. L'image, fut-elle mouvante, doit céder la place aux


images, et à leurs usages en contexte. L'abandon du modèle saussurien du
signe au profit de la sémiotique peircienne amène à repenser la
classification des images en fonction de leur relation à l'objet (iconique,
indicielle ou symbolique63).

A la demande du service de vérification des programmes de la RAI, les


sémiologues italiens se sont intéressés rapidement à la télévision, jouant
un rôle indéniable d'entraînement de la recherche. De même que la
sémiologie s'était déplacée du langage au film, la pluralité des situations
de communication mobilisées par la télévision met définitivement fin au
rêve ontologique et impose de centrer la réflexion sur la nature de
l'énonciateur et la construction du spectateur et sur le lien qui unit l'un à
l'autre via les genres64.

La problématique de renonciation est le champ où sémiologie et analyse du


discours se croisent, ce mouvement étant amplifié par le recouvrement
partiel des objets d'étude : en raison de la place de la parole à la
télévision65, les spécialistes de l'image doivent s'adjoindre les ressources de
l'analyse du discours66 ; de leur côté, les analystes du discours trouvent dans
certaines émissions des corpus privilégiés.

ANALYSE DU DISCOURS ET SEMIOLOGIE EN INFORMATION


ET COMMUNICATION AUJOURD'HUI

Quel est, en définitive, l'apport de ces deux disciplines aux sciences de


l'information et de la communication ? On le situera à plusieurs niveaux.
Leur mérite est d'abord de poser de façon centrale les questions de sens,
d'imaginaires, de représentations, de stéréotypes, de schemes culturels... qui
sont l'essence de la communication sociale. D'où la fonction souvent
critique de ces recherches, qui s'exerce non pas de façon globalisante ni
prophétique, mais par des analyses techniques et méthodiques, menées sur
des corpus constitués rationnellement pour l'étude67.

63. SCHAEFFER, 1987 a joué un rôle déterminant à cet égard.


64. JOST et PASQUIER, 1997.
65. NEL, 1990.
66. Un très bel exemple est fourni par le récent livre d'ESQUENAZI, 1999.
67. Nous partageons les réserves formulées par MIEGE, 1995 sur «la floraison de
productions théoriques à visée généraliste, se proposant de couvrir l'ensemble du 'champ' de
Discours, sémiologie et tournant communicationnel 537

Par son ancrage dans les sciences du langage et dans la sémiotique, ce


double courant peut ainsi faire contrepoids à l'analyse de contenu, si
longtemps hégémonique au sein des études de communication et qui repose
sur la négation de la matérialité discursive. En ne réduisant pas le discours
médiatique et la communication politique à des thèmes ou des sujets qu'on
pourrait repérer à l'aide de grilles préétablies, l'analyse du discours perpétue
l'idée de la conflictualité des mots68 et des images, de l'importance de la
syntaxe et de l'organisation des espaces rédactionnels, des connotations, de
l'implicite, des jeux de mots69, des lapsus, des ratés, etc. Cette entreprise est
d'autant plus nécessaire pour l'image que, malgré les exhortations à son
apprentissage, elle « adhère » fortement (comme disait Barthes) à l'objet de
sa représentation. Il n'est, pour s'en convaincre, que de se rappeler les
discours enthousiastes que provoquèrent récemment les reality shows. Ceux
qui y voyaient l'aboutissement de la télévision et le spectacle de
l'authenticité70 n'étaient attentifs qu'aux seuls mots et aux discours de
promotion des producteurs, aveugles au fait que les mises en scène ou en
film infirmaient le fantasme réitéré de l'effacement du signe au profit de la
réalité elle-même.

Travaillant sur des objets communs , analyse du discours et sémiologie se


sont rapprochés et les frontières entre les deux sont devenues poreuses.
Les travaux portant - entre autres et sans aucune prétention à
l'exhaustivité - sur la programmation et le discours de TF171,
renonciation télévisuelle, la citation, les émissions de satire politique72, la
réflexivité73, les images télévisuelles de la banlieue74, le traitement
médiatique du conflit yougoslave75, les débats politiques76 témoignent des

la communication (sociale ou microsociale), sans se donner les moyens de valider les


propositions formulées ».
68. Sur cette question, voir TOURNIER, 1993 et 1997. Voir aussi l'abondante littérature
scientifique qui a suivi la Guerre du Golfe, FAYE, 1972 ou KLEMPERER, 1996.
69. Sur le rôle central du sous-entendu et des jeux de mots dans un certain discours
d'extrême-droite, voir par exemple BONNAFOUS, 1997.
70. Voir le numéro d'Esprit 1993, «Les reality shows, un nouvel âge télévisuel?» et,
particulièrement, EHRENBERG, 1993.
71. ESQUENAZI, 1996.
72. Respectivement JOST, 1998, CHAMBAT-HOUILLON, 1998 et COULOMB-GULLY,
1998.
73. SPIES, 1998 et BEYLOT, 2000.
74. BOYER et LOCHARD, 1999.
75. BONNAFOUS, FIALA et KRIEG, 1996.
76. MOUCHON, 1997 et ESQUENAZI, 1999.
538 Réseaux n° 100

« valeurs qui circulent comme une monnaie d'échange dans les


communautés sociales et ce faisant, oriente(nt) l'opinion publique et ont
des incidences (bien que non nécessairement immédiates) sur les
comportements sociaux77 ».

Malgré ces points de rencontre, la diversité d'histoire de l'analyse du


discours et de la sémiologie explique qu'elles divergent encore sur certains
présupposés méthodologiques et théoriques. D'autant que ces deux
disciplines ne sont pas monolithiques, loin s'en faut. Disons, pour aller vite,
que certains analystes du discours sont parfois enclins à penser en terme de
stratégie, tandis que de nombreux sémiologues partagent volontiers la
posture du spectateur. Plus fondamentalement, tous ne s'accordent pas sur la
nature du lien qui unit l'énonciateur médiatique et son public : ceux qui
envisagent la relation médiatique comme une coconstruction du sens vont en
chercher la confirmation dans le texte (entendu au sens large), ceux qui
considèrent que celle-ci se caractérise par l'hétérogénéité des visées des
acteurs préfèrent partir du contexte (la publicité, la promotion, le
« paratexte ») pour mettre au jour les actes promissifs qui pèsent, ou non,
sur l'interprétation. Par-delà ces différents, qu'il ne faut pas minorer, mais
qui existent au sein de toutes les sciences, y compris celles que l'on dit
« dures », analyse du discours et sémiologie se retrouvent sur des objets
aujourd'hui stabilisés et on voit mal comment un sémiologue voulant
comprendre l'action qu'exercent les dossiers de presse de telle ou telle
chaîne sur la médiatisation d'une émission pourrait ignorer les méthodes de
l'analyse du discours ou comment un spécialiste des discours politiques
pourrait négliger le rôle du cadrage, des mouvements de caméra ou du
découpage dans la construction du sens.

En revanche, il reste encore à resserrer les liens avec les autres sciences de
l'information et de la communication. Quand les entreprises de
communication ont admis depuis longtemps la nécessité de combiner
l'analyse a priori et le terrain (c'est d'ailleurs dans ce cadre que s'est
forgée la socio-sémiotique d'Eliseo Veron), on peut regretter l'isolement
des disciplines universitaires. Les constructions théoriques de la
sémiologie sont d'abord des modèles d'intelligibilité qui permettent
d'éclairer l'empirique et qui ne prétendent nullement se substituer aux
enquêtes des sociologues des médias. Au contraire. Celles-ci sont

77. BONNAFOUS et CHARAUDEAU, 1996.


Discours, sémiologie et tournant communicationnel 539

nécessaires pour éprouver la validité des concepts. Un exemple : le


classement des genres télévisuels en fonction de trois modes
d'énonciation : l'authentifiant, le fictif, le ludique. D. Pasquier a bien
montré qu'une sitcom comme Hélène et les garçons intéressait les jeunes
enfants parce qu'elle les initiait aux comportements des adultes (elle
authentifiait donc certaines façons d'agir des « grands », notamment en
matière amoureuse) ; que certains fans recevaient l'émission sur le mode
de la faire-semblance («je sais bien que c'est une fiction, mais cela me
fait mal au cœur », se plaint une correspondante devant certaines intrigues
sentimentales qui tournent mal). Qu'enfin Hélène faisait l'objet d'une
réception parodique chez les étudiants de Sciences Po78. Loin de remettre
en cause le schéma a priori, cette analyse atteste que la fiction navigue
entre les trois modes d'énonciation qui structurent tous les genres79 et que
l'erreur serait de vouloir enfermer un genre dans une définition qui ne
ferait que refléter l'interprétation du chercheur.

De même peut-on regretter que trop d'analystes du discours et de


sémiologues soient happés par l'actualité. La très grande majorité des
usagers de l'Inathèque venant des sciences de l'information et de la
communication travaillent ainsi sur les trois dernières années de la
télévision. Ce manque de perspective historique a pour conséquence de faire
surgir des objets de recherche qui disparaissent quelques années plus tard
aussi brutalement qu'ils étaient apparus (cf. les reality shows). Pourtant, il
n'est pas sûr, à y regarder de plus près, avec les outils patiemment construits
par l'analyse, la construction d'invariants, de dispositifs ou de formes, que
ces objets aient la soudaineté qu'on leur attribue : la vie et la mort des
genres relèvent d'une généalogie qui n'apparaît qu'aux yeux de ceux qui ont
les instruments corrects pour les reconstituer... Nos disciplines ont donc
autant besoin d'histoire que l'histoire a besoin de prendre en compte la
matérialité discursive des documents.

Récemment, des journalistes, des photographes et, même, un philosophe


(Derrida) s'en prenaient à la loi Guigou sur l'extension des droits de la
personne à l'image, revendiquant la « mission de montrer le monde tel
qu'il est ». Au-delà du débat éthique qu'ils soulevaient, cette
revendication laisse songeur : comment, après deux ou trois décennies

78. PASQUIER, 1998.


79. JOST, 1999.
540 Réseaux n° 100

d'analyse du discours, de mots et d'images, peut-on encore faire croire (ou


croire ?) à une possible transparence du signe ? Pour que cette question ne
reste pas sans réponse, nos disciplines, bien ancrées aujourd'hui dans le
champ de la communication, sont plus que jamais nécessaires à
l'éducation du citoyen.
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