Ouverture de bal

Tiphanie Vennat
Dans À corps 2022, pages 13 à 14
Éditions Érès
ISBN 9782749274577
© Érès | Téléchargé le 27/12/2023 sur www.cairn.info via Université d'Orléans (IP: 194.167.30.107)

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 Ouverture de bal
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Enfant déjà j’aimais écrire la danse, consignant dans mes petits
carnets fleuris les sensations que j’éprouvais à faire un saut dans
l’air un peu moite du studio de danse. J’écrivais que cela me faisait
comme un grand rire à l’intérieur, un peu comme si la danse était
progressivement devenue le zygomatique de mon corps tout entier.
Aujourd’hui, psychomotricienne spécialisée dans la médiation
danse, pourquoi ne pas continuer d’écrire ce que la danse produit
comme mouvement interne, dans la conscience du corps et dans
notre rapport avec lui ?
Ma pratique de l’enseignement repose essentiellement sur la
transmission orale, parole qui aussitôt dite se perd si elle n’est pas
soigneusement résumée sur les lignes d’un petit cahier. L
­ ’éphémérité
de la danse condamne aussi ce qui est vécu à disparaître, si ce n’est
peut-être quelques traces, un peu floues, sans doute conservées dans
quelques mémoires du corps une fois le cours terminé. Il en est de
même pour les patients, seulement momentanément traversés par
la danse, le temps de leur séance. Celle-ci, nous le verrons, laisse
bien sûr quelques traces heureuses de son passage, mais échappe
à chaque réouverture de porte, une fois la pratique terminée. Car
comme nous le rappelle Lavoie-Marcus, la danse ne dure pas au-delà
du moment concret de son partage. Elle ne laisse derrière elle aucun
texte, aucun artefact ou partition exacte. « La danse est amnésique,
lui donner une écriture, c’est lui donner un souvenir », disait très

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 14 La danse, une médiation en psychomotricité

justement Angelin Prejlocaj 1. Cet ouvrage est donc avant tout un

devoir de mémoire.
J’ai souhaité ici dépasser certains préjugés sur la danse, qui dans
l’inconscient collectif est encore très souvent pensée comme une
pratique esthétique et performative. À plus forte raison lorsqu’elle
est envisagée comme médiation psychomotrice, la danse n’est pas
à concevoir dans une technicité opératoire, ni même en référence à
un standard morphologique de muscles saillants et de grâce. Ainsi
que nous le rappelle justement Vaysse (2020, p. 189), « pour appré-
cier les ressorts capacitaires du corps dans le contexte de la danse, il
faut idéalement partir d’un corps naturel, débarrassé des obligations
narratives ou intentionnelles systématisées » par certaines pratiques
technicistes du corps, qui de fait imposent des standards inattei-
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gnables pour bon nombre de patients. Car en réalité la danse n’est
pas la propriété de quelques-uns, elle appartient à tous les corps,
quels que soient leurs âges, leurs genres, leurs proportions, ou leurs
capacités physiques à se mobiliser. Ce que porte en premier lieu
ce livre, c’est donc une vision de la danse comme pratique démo-
cratique, ouverte à tous les publics – comme nous les verrons dans
les différentes vignettes cliniques précisément développées dans les
chapitres suivants.
Il ne s’adosse évidemment à aucun style de danse en particulier,
refusant la caricature de la valse pour les patients âgés, du hip-hop
pour les adolescents ou de la danse classique pour les enfants. Il s’agit
plutôt de dispositifs invitant à l’expérience d’une danse multiforme,
contemporaine, ouverte à l’improvisation comme à la composition.
Je vous laisse donc à la lecture de ce livre comme on invite un
autre à quelques pas de danse, espérant que nos pas s’accordent
dans une même direction.

1. https://prejlocaj.org/ballet-prejlocaj/notation/

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