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Contemporanéités plurielles
De la construction de la figure de la danseuse
orientale à une danse contemporaine arabe
Mariem Guellouz
Université Paris Descartes
(le mot almée veut dire savante, bas bleu. Comme qui dirait putain, ce
qui prouve, Monsieur, que dans tous les pays les femmes de
lettres !!!…) » Assimilée à une prostituée dans ce récit, l’almée est
pourtant une figure fascinante qui détient un savoir corporel et
musical. Christian Poché rappelle que la dénomination « danse des
almées » est utilisée pour la première fois par Claude-Étienne Savary
en 1785. Celle-ci est ensuite remplacée par celle de « ghawazis ». Les
« almées » étaient considérées comme des savantes à la fois danseuses
et musiciennes alors que les « ghawazis » sont des danseuses de rue.
Poché explique la distinction entre almées et ghawazis : « la première
ne se produit que dans les Harem et un public expressément féminin,
quant à la seconde, elle exerce son métier dans les rues et dans les
cours des maisons et ne craint pas d’affronter le regard masculin3 ».
Les danseuses ne détiendraient pas les mêmes techniques de danse ni
le même statut social. Les deux dénominations vont finir par être
confondues et les deux pratiques seront homogénéisées.
L’expression « danse du ventre » apparaît vers la fin du dix-
neuvième siècle notamment grâce aux succès des danses arabes dans
les expositions universelles. Elle sera traduite ensuite en arabe raqs al
batn dans la presse égyptienne et très vite rejetée et oubliée. La danse
du ventre est une expression française qui nomme une pratique née
dans les foires universelles et les récits orientalistes. En anglais,
l’expression « mussel dance » est floue : renvoie-t-elle à la danse des
muscles (abdominaux) ou à la danse des musulmans (muslim) ? Nous
ne pouvons encore répondre à ces questions étymologiques. Une
dernière appellation, non des moindres, demande à être étudiée :
« hoochie coochie » qui réfère à la fois au strip-tease et à la « belly
dance ». Mystérieuse, elle révèle tout un imaginaire foisonnant
d’érotisme. Avec cette nouvelle dénomination « hoochie coochie », la
danseuse orientale passe du statut d’Almée, mot dérivé de l’arabe
‘alima (savante), à celui de prostituée4. Au début du vingtième siècle
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10. Ibid.
11. Barkahoum Ferhati, « La danseuse prostituée dite “Ouled Naïl”, entre mythe et
réalité (1830-1962). Des rapports sociaux et des pratiques concrètes », Clio, n°17,
2003 (en ligne).
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14. Anthony Shay, « The male Dancer in the Middle East and Central Asia », in
Anthony Shay et Barbara Sellers-Young (dir.), Orientalism, Transnationalism and
Harem Fantasy, Mazda, California, 2005, pp. 85-114.
15. Jocelyne Dakhlia, « Homoérotismes et trames historiographiques du monde
islamique », Annales. Histoire, Sciences Sociales, 5/2007, pp. 1097-1120. URL :
www.cairn.info/revue annales-2007-5-pages-1097.htm
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16. Voir Dominique Frétard, Danse et non-Danse. Vingt-cinq ans d’histoires, Paris,
Éd. Cercle d’Art, 2004.
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17. Voir Mariem Guellouz, « Vers une danse contemporaine au Maghreb », Marges,
« Art contemporain et Cultural studies », Université Paris 8, n°16, mars 2013.
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2. Décoloniser le contemporain
Une ligne discontinue lie la figure de la danseuse orientale telle
qu’elle est inventée par les discours occidentaux et la figure de
l’artiste contemporain arabe. Cette ligne temporelle tissée de
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18. Voir Arafat Sadallah, « Le message e(s)t son double », conférence du 4/11/2014.
https://www.youtube.com/watch?v=8ZrEONRmRD8
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