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Revue d'histoire de l'Église de

France

Église et esclavage dans les vieilles colonies françaises au XIXe


siècle
Monsieur Philippe Delisle

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Delisle Philippe. Église et esclavage dans les vieilles colonies françaises au XIXe siècle. In: Revue d'histoire de l'Église de
France, tome 84, n°212, 1998. pp. 55-70;

doi : https://doi.org/10.3406/rhef.1998.1307

https://www.persee.fr/doc/rhef_0300-9505_1998_num_84_212_1307

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Résumé
A l'époque de la Restauration comme durant les premières années de la Monarchie de Juillet, le clergé
des vieilles colonies françaises, craignant les idées libérales et les révoltes d'esclaves, ne participe pas
au mouvement abolitionniste. La situation évolue lorsque s'impose une préparation à la liberté par la
morale chrétienne. L'abbé Castelli à la Martinique, l'abbé Lamache à la Guadeloupe, l'abbé
Levavasseur à l'île Bourbon, ou la Mère Javouhey en Guyane adhèrent avec enthousiasme à ce projet.
Mais l'opposition des maîtres conduit certains ecclésiastiques à s'engager dans une voie plus radicale.
Dugoujon, Monnet, ou Goubert réclament assez rapidement une émancipation immédiate.

Zusammenfassung
In der Restaurationszeit und den ersten Jahren der Julimonarchie beteiligt sich der Klérus der alten
französischen Kolonien aus Furcht vor den liberalen Ideen und Sklavenaufständen nicht an der
Bewegung des Abolitionismus. Die Situation andert sich jedoch, als die christliche Moral die
Vorbereitung auf die Befreiung fordert. Der Abbé Castelli auf Martinique, der Abbé Lamache auf
Guadeloupe, der Abbé Levavasseur auf der Ile Bourbon oder Mutter Javouhey in Guyana sind
enthusiastische Anhanger dieses Projektes. Aber der Widerstand der Besitzer fuhrt dazu, dafi manche
Geistliche einen noch radikaleren Weg einschlagen. Dugoujon, Monnet oder Goubert verlangen sehr
bald die sofortige Befreiung.

Abstract
Under the Restoration and during the first years of the July Monarchy, the clergy in the french colonies,
fearing liberal ideas and slave revolts, did not take part in the abolitionist movement. The situation
changed when it became necessary to prepare the population for liberty through Christian moral
teaching. Father Castelli in Martinique, Father Lamache in Guadeloupe, Father Levavasseur in
Bourbon island, or Mother Javouhey in Guyane joined this program with enthusiasm. But the
opposition of masters led some clergymen to adopt a more radical approach. Dugoujon, Monnet, or
Goubert rather quickly demanded immediate emancipation.
ÉGLISE ET ESCLAVAGE

DANS LES VIEILLES COLONIES FRANÇAISES


AU XIXe SIÈCLE

Dans la Caraïbe britannique, des missionnaires protestants non-


conformistes interviennent dès le début du xixe siècle en faveur d'un
amendement du système esclavagiste. Leur engagement perce au travers des
conflits qui ne manquent pas de les opposer aux maîtres. En 1824, John Smith
finit emprisonné à la Guyana. Quant au baptisté James Philippe, il se voit
interdire la même année toute prédication en Jamaïque 1. L'attitude du clergé
catholique des colonies françaises est moins bien connue. L'anticlérical Victor
Schœlcher a vigoureusement dénoncé la passivité, voire la complicité des
ecclésiastiques des Antilles. Même un catholique comme Montalembert a
fustigé l'attentisme du clergé colonial. Toutefois, dans le même temps,
certains abolitionnistes ont rendu hommage à l'abbé Castelli comme à l'abbé
Dugoujon. Schœlcher interviendra d'ailleurs en 1848 pour faire nommer ces
deux prêtres à la tête des Églises antillaises.
Il importe en définitive de situer chronologiquement les prises de position
et de cerner leurs spécificités. Rompant avec une vision centrée sur un
territoire en particulier, cette étude tentera d'appréhender ensemble les «
quatre vieilles », c'est-à-dire la Martinique, la Guadeloupe, la Guyane et l'île
Bourbon. Résidus du premier empire colonial français, ces terres créoles sont
concernées éminemment et au même titre par la question de l'abolition de
l'esclavage. Elles sont en effet toutes les quatre pronfondément marquées par
une économie de plantation basée sur le travail forcé. L'hétérogénéité d'un
clergé colonial recruté essentiellement dans les diocèses français et au gré des
circonstances contraindra à retracer brièvement la carrière de certains
ecclésiastiques. Mais il ne faudra pas négliger des congrégations enseignantes
largement impliquées dans l'évangélisation des esclaves.

Le tempe du silence

A l'époque de la Restauration comme durant les premières années de la


monarchie de Juillet, le clergé des vieilles colonies ne paraît guère concerné

1. Jean-Paul Barbiche, Les Antilles britanniques, Paris, 1989, p. 132-133.


R.H.É.E, t. 84, 1998, p. 55 à 70.
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par le combat abolitionniste. Ce silence reflète celui des ecclésiastiques


métropolitains dans leur ensemble. L'Église, fortement liée au régime de
Louis XVIII et de Charles X, ne saurait adhérer à une lutte conduite par le
courant libéral. Le souvenir de l'abbé Grégoire, conventionnel et régicide,
indispose bien des ecclésiastiques à l'égard de l'abolitionnisme. D'ailleurs, les
manuels de théologie en usage dans les séminaires, tels celui de Bouvier,
montrent l'esclavage comme un fait établi souffrant certaines justifications 2.
Sur place, le clergé colonial n'a pas l'occasion de connaître en profondeur le
sort des esclaves. La population servile dans sa majorité est cantonnée sur des
plantations assez éloignées des églises paroissiales. Le cas de l'abbé Bardy
cadet à la Martinique est significatif. Vicaire du Fort-Royal, ce prêtre avoue en
1829 se contenter de recommander aux maîtres d'instruire leurs travailleurs
dans la foi chrétienne. Il semble n'avoir rencontré des esclaves que dans les
bourgs ou les villes, puisque c'est à partir d'aussi fugaces observations qu'il
note le peu de respect de ceux-ci pour les ecclésiastiques 3.
La crainte des révoltes serviles motive certainement une prudente défiance
à l'égard de la liberté générale. L'histoire de Saint-Domingue, avec toutes les
exagérations qu'ont pu véhiculer les colons, marque les mémoires. Pour rester
à la Martinique, la peur des rébellions se retrouve fréquemment sous la plume
du clergé. En mars 1831, Marie-Thérèse Javouhey, responsable des
établissements de la congrégation des Sœurs de Saint-Joseph de Cluny aux Antilles,
rapporte : « On craint d'être incendiées et égorgées : c'est ce que les esclaves
ont voulu faire il y a seulement dix-huit jours, heureusement qu'ils n'ont pas
réussi 4. » L'idée d'un soulèvement organisé par les affranchis, libres de leurs
mouvements et disposant de l'éventuelle complicité des esclaves, suscite un
effroi particulier. En janvier 1834, faisant allusion aux événements de
Grand'Anse, l'abbé Fautrad parle d'un « exécrable complot » visant à éliminer
tous les blancs, le jour de Noël. Ce serait un ecclésiastique, l'abbé Jacquier, qui
aurait déjoué le piège, averti par un mulâtre repentant 5. Finalement, par
méconnaissance des réalités et par crainte des troubles, le clergé des vieilles
colonies françaises considère dans les années 1820 comme au début des
années 1830 que son action doit s'inscrire à l'intérieur de la société
esclavagiste.
Le combat pour l'émancipation est appréhendé comme un ferment de
désordre qui pourrait nuire à la bonne administration du culte catholique. La
correspondance des prêtres de la Martinique est suffisamment éloquente. En
1834, l'abbé Girardon affirme que la liberté, privant les esclaves du secours de
leurs maîtres, conduit à la pauvreté et à la révolte 6. Deux ans plus tard,
évoquant la tranquillité de la colonie, l'abbé Poncelet s'exclame : « Pourvu que

2. Paule Brasseur, « L'esclavage, les campagnes abolitionnistes et la naissance de l'œuvre de


Libermann », dans Paule Brasseur et Paul Coulon, Libermann, Paris, 1988, p. 319-332.
3. Archives de la congrégation des Pères du Saint-Esprit (A.C.S.Sp.), 201 1 27, lettre de l'abbé
Bardy à l'abbé Fourdinier, Fort-Royal, 27 septembre 1829.
4. Archives des Sœurs de Saint-Joseph de Cluny, 3 A, lettre n° 53, Marie-Thérèse Javouhey à
Clothilde, Martinique, mars 1831.
5. A.C.S.Sp., 201 III 1, lettre de l'abbé Fautrad à l'abbé Fourdinier, janvier 1834.
6. A.CS.Sp., 201 III 16, lettre de l'abbé Girardon au supérieur, 1834.
ÉGLISE ET ESCLAVAGE 57

ces idées d'émancipation générale ne viennent rien troubler 7. ». Enfin, en


1838, l'abbé Bardy cadet, évoquant les difficultés qui s'abattent sur l'île,
considère le « bruit d'une émancipation prochaine » comme un facteur
aggravant 8. Les ecclésiastiques limitent leur intervention sociale à l'exercice de la
charité chrétienne. Toujours en 1838, l'abbé Bardy confie par exemple
distribuer presque chaque jour de la morue aux pauvres 9.
Il ne faudrait pas en déduire que les prêtres participent activement au
système esclavagiste. Ils ne sont plus, à quelques exceptions près,
propriétaires de plantations comme l'étaient aux xvne et xvine siècles les religieux
chargés de desservir les paroisses des Antilles françaises. Ils n'ont donc guère
d'intérêt matériel au maintien de l'ordre établi. Certes, ils utilisent les services
d'esclaves comme domestiques. Mais cela montre surtout combien il est
difficile de trouver une main d'oeuvre libre pour des emplois subalternes. En
outre, ce sont les fabriques qui disposent du destin des esclaves.
Une totale collusion du clergé avec les maîtres supposerait l'adhésion de
ceux-ci aux préceptes chrétiens. Or, tous les témoignages insistent, quel que
soit le lieu, sur la profonde irreligiosité des Blancs créoles. En 1829, l'abbé
Bardy cadet déplore qu'à la Martinique, « les blancs se moquent de la
religion 10 ». En 1825, l'abbé Reilly souligne, à propos de l'attitude des colons à
l'île Bourbon : « Ce ne sont que des abominations u ».
Il convient pour terminer de remarquer que le clergé colonial porte un
regard extrêmement pessimiste sur les Noirs. Les curés ne comprennent pas
que c'est parce qu'ils sont retenus sur les plantations, soumis à une rude
besogne et aux caprices des propriétaires, que les esclaves ne paraissent guère
à l'église. Subissant l'influence des colons, mais sans doute aussi marqués par
un catholicisme fort sévère, ils accablent la population servile de tous les
défauts. L'abbé Bardy cadet déclare en 1829 : « Le nègre est menteur,
paresseux, voleur, libertin, superstitieux, ingrat ; que faire avec de si belles
qualités 12 ? » A l'île Bourbon deux ans plus tôt, l'abbé Minot fustigeait sans
concession « leur grossièreté, leur penchant invincible pour le vol, leur
libertinage universel 13 ». L'abbé Guillier, préfet apostolique de la Guyane, tire en
quelque sorte la conclusion de ces réquisitoires en déniant aux Noirs la
capacité d'embrasser une carrière ecclésiastique. En août 1836, il s'interroge :
« Les circonstances physiques dans lesquelles la Providence a placé les
Africains n'influent-elles pas sur le moral au point de leur ôter la faculté
d'acquérir la science et les vertus sacerdotales ? 14. »

7. A.CS.Sp., 201 IV 39, lettre de l'abbé Poncelet à l'abbé Fourdinier, Vauclin, 20 septembre
1836.
8. A.CS.Sp., 201 V 81, lettre de l'abbé Bardy à l'abbé Fourdinier, François, 15 juin 1838.
9. A.CS.Sp., 201 V 96, lettre de l'abbé Bardy à l'abbé Fourdinier, François, 9 septembre 1838.
10. A.CS.Sp., 201 1 20, lettre de l'abbé Bardy à l'abbé Fourdinier, Case-Pilote, 28 juin 1829.
11. Claude Prudhomme, Histoire religieuse de la Réunion, Paris, 1984, p. 64.
12. A.CS.Sp., 201 1 27, lettre de l'abbé Bardy à l'abbé Fourdinier, Fort-Royal, 27 septembre
1829.
13. Claude Prudhomme, op. cit., p. 67.
14. A.CS.Sp., 99 A II 78, lettre de l'abbé Guillier à l'abbé Fourdinier, Cayenne, 25 août 1836.
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La religion conviée à préparer la liberté

En 1838, l'abbé Hardy publie un ouvrage intitulé Liberté et travail, ou


moyens d'abolir l'esclavage sans abolir le travail. L'auteur est concerné par
la question de l'émancipation à plusieurs titres. Il occupe les fonctions de
directeur du séminaire du Saint-Esprit, communauté chargée en théorie de
fournir des prêtres aux colonies. Il a en outre approché lui-même les réalités
du système esclavagiste, puisqu'il a exercé son ministère en Guyane française,
dans la léproserie de L'Acarouany 15. Dès les premières pages de son étude,
l'abbé Hardy dévoile clairement sa position :«(...) Notre devise est : Plus
d'esclavage ! ... Mais si pour réaliser ce désir nous proclamions une liberté
prématurée, qui, ne pouvant contribuer au bonheur de l'esclave, trahirait les
intérêts du maître, nous-même nous trahirions notre ministère, qui est un
ministère tout de paix, tout de justice 16 ». Le directeur du séminaire du Saint-
Esprit embrasse donc le combat abolitionniste tout en invoquant la prudence
et la temporisation. Sa pensée mérite d'être analysée avec précision. .
L'auteur part du principe qu'une liberté accordée immédiatement serait
tout à fait néfaste. Il reprend à son compte la peur des révoltes et des tueries.
Il évoque de manière classique les « désastres » de Saint-Domingue : «(...)
l'étendard de la liberté flotte : aussitôt les Noirs s'arment et les blancs sont
massacrés 17 ». Il surenchérit en citant les troubles révolutionnaires à la
Guadeloupe, la révolte des esclaves du Carbet en 1822 à la Martinique, ou
encore le meurtre ď un maître sur une plantation de la Guyane hollandaise en
1763 18.
Pour l'abbé Hardy, l'émancipation brutale comporte un autre danger : elle
entraînera l'abandon du travail, et donc la ruine des colonies. L'auteur se fait
l'écho fidèle des peurs, réelles ou affichées, des colons. Il cite par exemple un
propriétaire de la Martinique selon lequel « les nègres une fois libres (et il y en
a beaucoup à présent) ne veulent plus travailler. Alors ils tombent dans une
misère extrême. Il y en a même qui sont secourus par les esclaves qui, tant
qu'ils le sont, ont toujours de quoi vivre 19 ». Les méfaits d'une évolution
prématurée ayant été dénoncés, reste à savoir comment préparer efficacement
les Noirs à la liberté .
L'auteur insiste à plaisir sur le rôle civilisateur du catholicisme. Evoquant à
la suite les Grecs, les Romains, les Germains et les Amérindiens, il conclut :
« Grâce à l'instruction religieuse et morale, les peuples les plus sauvages et les
plus barbares sont devenus des peuples policés, florissans, heureux 2° ». Il
oppose à cette influence très bénéfique le caractère pernicieux des « belles
maximes conçues par la philosophie 21 ». L'abbé Hardy se conforme finale-

15. J. Hardy, Liberté et travail (...), Paris, 1838, p. 60.


16. Idem, p. x.
17. Idem., p. 33.
18. Idem, p. 3441.
19. Idem, p. 123.
20. Idem, p. 9.
21. Idem, p. 23.
ÉGLISE ET ESCLAVAGE 59

ment à une pensée romantique qui, rejetant les Lumières jugées porteuses des
excès révolutionnaires, considère la civilisation européenne comme
indissociable de son passé religieux. Il ne manque d'ailleurs pas de mettre en exergue
dès le tout début de son étude une citation du Génie du christianisme 22.
Suivant cette logique, ce que réclame l'abbé Hardy, c'est l'envoi de nombreux
prêtres et de Frères de l'Instruction chrétienne. Il pose comme préalable à
une émancipation réussie, l'affectation sur les plantations de curés et de
Frères chargés spécialement des esclaves 23. Devenus chrétiens, les Noirs
accéderont au statut de civilisés et, dès lors, leur libération ne sera plus qu'une
formalité.
Il faut remarquer que l'abbé Hardy prend la parole sur la question de
l'esclavage dans un contexte bien particulier. La Grande-Bretagne s'est
prononcée dès 1833 en faveur de l'abolition. Les esclaves des colonies
britanniques ont été déclarés libres en 1834, mais soumis à une période
d'apprentissage de quatre à six ans, durant laquelle ils doivent rester au service de leurs
maîtres. En France, le débat sur l'émancipation est officiellement ouvert
précisément en 1838. Hippolyte Passy, membre de la Société pour l'abolition,
dépose devant les députés une proposition précise. Ce projet s'inspire de
l'exemple anglais, et prévoit que tout enfant à naître sera déclaré libre tandis
que les adultes auront toutes facilités pour se racheter. Ces événements sont
au centre de la réflexion de l'auteur.
Si, aujourd'hui, le modèle britannique passe pour assez timide, en regard
notamment des décisions de Schœlcher en 1848, l'abbé Hardy le juge
dangereusement audacieux. L'effort de christianisation et de scolarisation entrepris
dans les Antilles britanniques à partir de 1834 lui apparaît comme un aveu
d'échec. Il souligne : « Aujourd'hui plus que jamais, le gouvernement anglais,
ce gouvernement si éminemment philanthrope, reconnaît la nécessité d'un
culte et celle de multiplier les églises, comme un moyen efficace de contenir
des milliers d'esclaves, dont, bien trop tôt, il a brisé les chaînes ^ ».
L'ecclésiastique ne manque pas de laisser planer le spectre d'une agitation des Noirs
face à une stratégie peu compréhensible : « Ceux mêmes qui hier au nom du
gouvernement les déclarèrent libres, leur déclarent aujourd'hui au nom du
même gouvernement qu'il faut continuer à travailler (...) ^ ».
A cette liberté donnée puis reprise, il oppose celle que produirait son plan
de civilisation préalable, « une liberté franche, entière, puissante ^ ». Il est
d'ailleurs un autre avantage que voit l'abbé Hardy à la solution qu'il préconise.
Elle dispenserait le gouvernement français de verser aux planteurs l'onéreuse
indemnité qu'a dû débourser son homologue d'Outre-Manche, puisque la
transition entre travail forcé et travail libre s'effectuerait très
progressivement 27.

22. Idem, p. 1.
23. Idem, p. 64.
24. Idem, p. 99-100.
25. Idem, p. 134.
26. Idem, p. 137.
27. Idem, p. 154.
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L'auteur n'est pas plus tendre pour la proposition de Passy. Il considère


l'affranchissement immédiat des enfants comme une grave atteinte au
principe de la civilisation des Noirs. Il s'indigne avec force : « L'enfant sorti libre
d'un sein d'esclave ! Dans la même famille des frères libres et des frères
esclaves ! Des parents qui gémissent encore dans la servitude, élever, nourrir
des enfants qui déjà se réjouissent de leur liberté œ ! ». Il propose de rassembler
plutôt les jeunes esclaves dans des « champs d'asile » où, dirigés par des prêtres,
ils apprendraient la religion, mais aussi le travail agricole avant d'être libérés 29.
Finalement, l'abbé Hardy apparaît comme le théoricien d'un abolitionnisme
extrêmement prudent, qui refuse toute idée d'évolution sociale brutale et
cherche à concilier absolument l'intérêt des esclaves avec celui des maîtres.
Il convient de remarquer que le gouvernement tranchera en faveur d'une
telle solution. Des fonds importants sont débloqués en 1839 pour une œuvre
de préparation des esclaves à la liberté. Une part prépondérante de cet effort
financier revient à l'augmentation du clergé, à la construction de chapelles
dans les campagnes et enfin au développement d'écoles primaires congréga-
nistes. Le 5 janvier 184Ю, l'édifice est couronné par une ordonnance qui
demande aux curés d'établir des instructions spéciales pour les esclaves et de
visiter assez régulièrement ces derniers sur les plantations 30.
Quelques années plus tard, l'abbé Hardy met ses convictions en pratique en
proposant un instrument d'évangélisation de la population asservie. Il publie
en effet en 1843 un long recueil de prières intitulé Le trésor des Noirs et dédié
à Mgr Smith, coadjuteur de Trinité. L'ouvrage ne diffère guère de ceux
destinés à la métropole. Toutefois certains thèmes évoqués précédemment
percent ici ou là. La prétention du catholicisme à cimenter une société
menacée d'explosion transparaît entre les lignes. Dès le début de l'ouvrage, il
est conseillé aux esclaves de prier pour leurs maîtres 31. Dans le commentaire
du quatrième commandement, ces derniers sont assimilés aux parents
auxquels les enfants doivent obéissance 32. L'idée d'une nécessaire civilisation des
Africains se retrouve dans le Pater des Nègres, où il est conseillé aux esclaves
de bénir Dieu pour leur avoir permis de quitter leur continent d'origine 33.
Enfin les exemples de Noirs vertueux présentés en fin d'ouvrage, concession
la plus marquée aux spécificités coloniales, ne sont pas anodins. Donnés le
plus souvent sans précisions de date ou de lieu, ils atteignent la dimension de
véritables types du Noir amendé par le catholicisme. Lorsque l'auteur
rapporte le cas de cet esclave laborieux de Saint-Domingue qui se rachète puis se
marie pour devenir finalement un petit cultivateur heureux, n'est-ce pas tout
son programme civilisateur qui se trouve justifié par l'exemple ^ ?

28. Idem, p. 157-158.


29. Idem, p. 169-173.
30. Exécution de l'ordonnance royale du 5 janvier 1840 (...), Paris, 1842, p. 3.
31. J. Hardy, Le trésor des Noirs, ou le livre de prières, d'instruction et de consolation des
populations noires des colonies françaises et du Nouveau-Monde (...), Paris, 1843, p. 18.
32. Idem, p. 38.
33. Idem, p. 134.
34. Idem, p. 304-305.
ÉGLISE ET ESCLAVAGE 61

De prudentes expériences suscitant la fureur des colons

Les liens de l'abbé Hardy avec les vieilles colonies ont été soulignés.
Toutefois, celui-ci n'a pas mené d'action sur place. Il en va autrement des
abbés Castelli, Lamache et Levavasseur, ou encore des Frères de Ploërmel et
des Sœurs de Saint- Joseph de Cluny.
Pierre Paul Castelli, né en Corse en 1795, est ordonné prêtre en 1821. Après
avoir exercé des fonctions d'aumônier militaire puis de curé, il passe aux
Antilles comme inspecteur de l'instruction publique en 1833. Un an plus tard,
il est nommé préfet apostolique de la Martinique. Sa venue dans le cadre des
projets scolaires comme sa rapide ascension traduisent une étroite collusion
avec le régime de Juillet. Il faut y voir une adhésion aux idées libérales. Mais
l'opportunisme et le carriérisme jouent certainement aussi un rôle. Schœlché-
rien en 1848, le personnage n'hésitera pas à clamer son attachement à
Napoléon III sous le Second Empire 35. Pour s'en tenir aux faits, dès 1837, à
l'instigation du gouverneur, l'abbé Castelli vient soutenir devant le Conseil
colonial un projet visant à recruter des missionnaires spécialement chargés de
la population servile. S'adressant aux représentants des planteurs, il se permet
d'évoquer l'abolition, même à titre d'hypothèse lointaine. Il souligne en
tout cas la capacité du christianisme à faire passer « le nègre de l'état brut à
l'état moral », et donc à garantir le bon déroulement d'une éventuelle
libération 36.
Guillaume Lamache, né à Coutances, part en 1837 en Guyane. Deux ans
plus tard, il rejoint la Guadeloupe 37. Il y devient curé de Saint-François à la
Basse-Terre. En avril 1840, Casimir Dugoujon, dont il sera question plus loin,
déclare à son propos : « C'est lui le premier qui a ouvert le catéchisme aux
esclaves, j'en ai vu plus de quatre cent réunis autour de lui ^ ». Dans un
mémoire justificatif rédigé postérieurement, l'abbé Lamache dévoile sa
stratégie : « m'efforcer, tout en prêchant la soumission à l'ordre établi, de
restaurer la dignité humaine chez l'esclave, et de le préparer ainsi au périlleux
bienfait d'une émancipation espérée 39 ».
Frédéric Levavasseur est né en 1811 à l'île Bourbon dans une famille aisée.
Effectuant sa théologie à Saint-Sulpice à la fin des années 1830, il jette avec
Libermann les bases d'une société de prêtres dévouée à Févangélisation des
Noirs, les Pères du Saint-Cœur de Marie. En 1842, il revient dans son île natale
pour mettre ses projets en pratique. Bénéficiant de l'appui de riches colons, il

35. Bernard David, Dictionnaire biographique de la Martinique. Le clergé, t. III, Fort-de-


France, 1984, p. 36-37.
36. Centre des archives d'Outre-mer, Série Martinique, С 57 d. 473, Exposé des motifs et
projet d'organisation pour l'amélioration des classes inférieures de la Martinique par
l'instruction religieuse (...), Paris, 1837, p. 10-11.
37. A.C.S.Sp., fichier du clergé colonial établi par le père Cabon.
38. A.CS.Sp., 213 В II 249, lettre de l'abbé Dugoujon à l'abbé Fourdinier, Saintes, 17 avril
1840.
39. A.C.S.Sp., 211 A II 2, Mémoire présenté à M. Le ministre de la Marine par M. L'abbé
Lamache, 1842 (?).
62 PH. DELISLE

rassemble peu à peu autour de lui un petit noyau d'ecclésiastiques soucieux de


catéchiser les esclaves. Une mission spécialisée s'établit à Saint-Denis, Rivière-
des-Pluies et Sainte-Suzanne. L'action de Levavasseur et de ses compagnons
s'inscrit dans une perspective de moralisation à long terme, n'envisageant
l'abolition qu'avec une grande prudence. Dans une lettre de 1847, Libermann
rappelle à ses compagnons la nécessité de ne surtout « pas vouloir aller trop
vite 4° ».
Il convient d'accorder aux congrégations enseignantes la place qu'elles
méritent. Les Frères de l'instruction chrétienne, dits de Ploërmel, fondent des
écoles recevant les affranchis dès 1838 en Guadeloupe, et en 1840 à la
Martinique. Leur supérieur général, Jean-Marie de La Mennais, frère aîné de
Félicité, pèse de tout son poids pour qu'une action d'évangélisation des
esclaves soit initiée. En 1843, il écrit au Frère Ambroise, chargé de superviser
les établissements des Antilles, que cette entreprise est pour lui une « affaire
de cœur 41 ». La volonté de ne rien brusquer n'exclut pas une ferme opposition
à toute compromission. Apprenant que le Frère Ambroise désire acheter un
Noir pour les tâches matérielles, l'abbé de La Mennais condamne
immédiatement son « inconséquence » 42.
L'action menée en Guyane française par Anne-Marie Javouhey, fondatrice
et supérieure générale des Sœurs de Saint- Joseph de Cluny, mérite une
attention particulière. En 1827, la congrégation est chargée de la gestion d'un
établissement pionnier à Mana. Il s'agit seulement d'un projet de peuplement
européen, dans la lignée de ce qui a été tenté sous l'Ancien Régime, même si
la Mère Javouhey donne à l'entreprise un aspect original en expérimentant
une sorte de communisme chrétien. Ce premier Mana périclite assez
rapidement, survivant à l'état de communauté réduite. Mais un nouvel essai se
profile au cours des années 1830, selon une orientation bien différente. Dans
le cadre de la lutte contre la traite clandestine, des cargaisons d'esclaves ont
été saisies par l'administration. Les libérer immédiatement semble dangereux
pour l'ordre public. S'impose donc l'idée de les soumettre à une période de
probation. Ils sont réunis à partir de 1836 à Mana où les Sœurs de Saint-Joseph
les initient au travail libre et aux vertus chrétiennes 4a.
La précocité de cette entreprise relativement aux autres actions envisagées
ici renvoie à un aspect bien spécifique : ce sont des Noirs de traite qui sont
concernés et non des esclaves de plantation. Les religieuses ont les coudées
franches puisque les colons ne sont pas directement impliqués. En tout cas, la
correspondance de la supérieure générale laisse éclater son enthousiasme
pour une action qui concrétise parfaitement les thèses des abolitionnistes
modérés. Dès 1834, s'adressant à sa sœur Rosalie en poste à Bourbon, elle se

40. Claude Prudhomme, op. cit., p. 86-99.


41. Archives des Frères de l'instruction chrétienne (A.F.I.C.), 170 b 833, lettre de l'abbé de La
Mennais au Frère Ambroise, Ploërmel, 28 octobre 1843.
42. A.F.I.C., 170 b 826, lettre de l'abbé de La Mennais au Frère Ambroise, Saint-Servan, 5 avril
1843.
43. Elisabeth Dufourcq, Les aventurières de Dieu. Trois siècles d'histoire missionnaire
française, Paris, 1993, p. 138-145.
ÉGLISE ET ESCLAVAGE 63

félicite du fait que « le gouvernement semble persévérer dans sa bonne pensée


de nous confier la civilisation des Nègres qui lui appartiennent et que la loi
affranchit dans cinq ans **. »
II est suffisamment clair qu'une partie du clergé des vieilles colonies
embrasse les plans visant à préparer la catégorie servile à la liberté. Reste à
s'interroger sur la portée d'un tel engagement. Le programme de mise en
condition des Noirs pourrait s'apparenter à des mesures dilatoires. En effet,
comme le souligne en 1842 Victor Schœlcher, champion d'une abolition
immédiate, la qualité de bon chrétien rejetant toute superstition est un idéal
non encore atteint par beaucoup de Français. Demander aux esclaves de
devenir conformes à cet idéal avant de les libérer, c'est différer le projet de
« dix-huit cents ans tó ».
D'ailleurs les colons ont pu voir dans la moralisation préliminaire des Noirs
un moyen de geler la situation. A la Martinique en juin 1837, le Conseil
colonial adopte à l'unanimité le programme présenté par l'abbé Castelli. Les
Blancs créoles prennent peu de risques tant les conséquences concrètes
paraissent aléatoires. Reste, après le vote du budget nécessaire, à recruter des
missionnaires. Comme il n'existe aucune structure préétablie, il faudra
démarcher à travers les diocèses métropolitains. En revanche, la minorité
dominante s'offre une publicité non négligeable. Le compte rendu de la séance
du Conseil colonial est publié à Paris dans l'année. Mieux, l'écrivain Granier
de Cassagnac consacre dès octobre 1837 une brochure de 25 pages à
l'événement. Il rend grâce au Conseil colonial d'avoir fourni « une réponse brève,
significative et péremptoire » aux groupements abolitionnistes de métropole.
Selon l'auteur, ces derniers, composés de « quelques avocats ou quelques
voltairiens de bas étage, ne tiennent aucun compte des faits qu'ils ignorent, et
poursuivent opiniâtrement, les uns par pure manie de rêveurs, les autres par
amour du bruit et par ambition privée, la réalisation de plans dont ils ne sont
pas en mesure, à cause de la différence des lieux et des hommes, de
comprendre la portée ou d'apprécier la déraison 46. » Enfin, Granier de Cassagnac
profite de ce livret pour dresser un tableau idyllique de la société
martiniquaise : prêtres rivalisant de zèle, maîtres « amis des esclaves », administration
pleine de réserve 47.
Toutefois les Blancs créoles des quatre vieilles semblent nettement moins
conciliants lorsque certains ecclésiastiques appliquent réellement le
programme de moralisation. A l'île Bourbon, Frédéric Levavasseur peut compter
sur des alliances familiales. En Guyane, l'espace disponible et le faible
peuplement réduisent les facteurs de tensions. Mais, comme l'écrit en janvier 1840
l'abbé Lamache, dans les Antilles françaises, « on rencontre des obstacles qui
sont aplanis ailleurs », les colons « tiennent par le fond de leurs entrailles » au

44. Anne-Marie Javouhey, Lettres, Paris, 1994, t. II, p. 45.


45. Victor Schoelcher, Des colonies françaises. Abolition immédiate de l'esclavage, Paris,
1842, p, 323.
46. A. Granier de Cassagnac, De l'affranchissement des esclaves par l'éducation religieuse,
Paris, 1837, p. 5-6. .
47. Idem, p. 25. .
64 PH. DELISLE

maintien d'un parfait statu quo social 48. En décembre de la même année,
l'abbé Lacombe, préfet apostolique de la Guadeloupe, indique que les
propriétaires de la Grande-Terre refusent de recevoir les prêtres sur leurs propriétés et
considèrent l'ordonnance royale du 5 janvier comme* subversive ^ ».
Dans un tel contexte, les ecclésiastiques les plus entreprenants doivent
rapidement afffronter la colère des maîtres d'esclaves. En septembre 1838, alors
que l'abbé Castelli est occupé à une tournée des paroisses, sa demeure du Fort-
Royal est mystérieusement détruite par un incendie 50. Par la suite, la carrière
du préfet apostolique ne sera plus qu'une longue suite de conflits plus ou moins
directs avec les blancs créoles. En 1841, le Conseil colonial lui reproche par
exemple l'introduction dans l'île d'un catéchisme « dangereux », car insistant
trop sur les devoirs des maîtres à l'égard de leurs esclaves. Il s'agit pourtant
d'un ouvrage déjà ancien, confectionné par le supérieur du séminaire du Saint-
Esprit, et exrêmement banal 51. L'abbé Castelli rentre à deux reprises en
France pour laisser aux pressions contraires le temps de se calmer. Mais il doit
finalement se résigner à démissionner en 1842, d'autant que ses absences ont
inquiété les autorités ecclésiastiques européennes 52.
Le devenir de l'abbé Lamache ne paraît guère différent. Son application à
moraliser les esclaves, et notamment quelques sermons durant lesquels il se
serait trop étendu sur les obligations des maîtres, lui valent une hostilité
contenue. En refusant de falsifier les comptes rendus de la mission des Noirs pour
leur donner un aspect plus favorable, il provoque la colère du préfet apostolique
de la Guadeloupe. Une affaire assez trouble scelle finalement son destin. Au
début de l'année 1841, l'abbé Lamache prête de l'argent à un commerçant de
Basse-Terre pour rendre service. Il faut noter au passage que dans des sociétés
frappées par un manque cruel de numéraire, de telles sollicitations ne sont pas
rares, puisque les prêtres disposent d'un salaire régulier de fonctionnaires
coloniaux. Au moment du remboursement, le commerçant dit redouter la faillite.
Il offre devant notaire de différer le paiement et propose en gage de sa bonne foi
des couverts en argent et une montre en or. Mais par la suite, le curé de Saint-
François se brouille avec le notaire en question, qui est aussi marguillier de la
paroisse. Par vengeance, ce dernier dépose une plainte auprès de
l'administration pour usure. L'accumulation des griefs aboutit en 1842 à une double
sanction contre l'abbé Lamache : le gouverneur lui intime d'embarquer tandis que
le préfet apostolique lui retire tout pouvoir spirituel 53.

L'émergence d'une pensée plus radicale


Malgré ses déboires avec les colons, l'abbé Castelli n'abandonne pas sa
confiance dans le programme de préparation à la liberté. Il publie en 1844,

48. A.C.S.Sp., 213 В II 226, lettre de l'abbé Lamache au supérieur, Basse-Terre, 27 janvier 1840.
49. A.C.S.Sp., 213BII312,lettrederabbéLacombeausupérieur,Basse-Terre,6décembre 1840.
50. Archives de la Sacrée Congrégation de Propanganda Fide, Scritture riferite nei congressi-
America Antille (A.S.C.P.F., S.C.A.), vol.6 f.346-347, Lettre de l'abbé Castelli, 20 octobre 1838.
51. Arch. dép. de la Martinique, 1 N, 1840-1841, p. 253-254.
52. A.S.C.P.F., S.C.A., vol. 7 ff. 144-147, Lettre de l'abbé Castelli, 24 août 1842.
53. A.C.S.Sp., 211 A II 2, Mémoire présenté à M. le ministre de la Marine, Lamache, 1842.
ÉGLISE ET ESCLAVAGE 65

c'est-à-dire deux ans après son départ forcé de la Martinique, un ouvrage


intitulé De Vesclavage en général et de l'émancipation des Noirs. Cette étude est
dédiée à Grégoire XVI, pape qui s'est engagé fermement contre la traite en
1839, et à Louis-Philippe, « protecteur des libertés universelles ». Dès les pages
préliminaires, l'auteur souligne que, pour être réussie, l'abolition doit se faire
« sans rien brusquer, graduellement et avec prudence ы ». Reprenant le thème
des massacres qui ont endeuillé Saint-Domingue, il oppose une liberté brutale
et néfaste à une liberté préparée sagement « sous les auspices de la religion к ».
La seconde moitié de l'ouvrage est consacrée à un projet de réorganisation
ecclésiastique aux colonies. L'abbé Castelli, désireux sans doute de gommer
aux yeux du gouvernement ses difficultés avec les colons, occulte totalement
l'opposition de ces derniers. Il ramène les difficultés au seul manque de prêtres,
et propose pour tout résoudre de faire appel à une congrégation, en
l'occurrence les Pères Maristes 56.
Toutefois, d'autres ecclésiastiques, ayant eux-aussi rencontré certains
problèmes dans l'évangélisation des esclaves, évoluent vers un abolitionnisme
beaucoup plus radical. Trois noms peuvent être cités : Dugoujon, Monnet et
Goubert. Casimir Dugoujon arrive en Guadeloupe en 1840. Il exerce son
ministère d'abord aux Saintes, puis à Sainte- Anne et au Gosier comme vicaire 57. Son
entrain lui vaut rapidement des difficultés. Dès la fin de l'année 1840, l'abbé
Lacombe critique son impatience d'obtenir une cure, impatience qu'il attribue
à des ambitions temporelles plutôt qu'à un « véritable zèle » 58. Quoiqu'il en
soit, revenu en France, l'abbé Dugoujon publie en 1845 chez Pagnerre,
l'éditeur de Schœlcher, des Lettres sur l'esclavage dans les colonies françaises. Il
s'agit de la correspondance qu'il a entretenue de mars 1840 à juin 1843,
principalement depuis la Guadeloupe, avec des ecclésiastiques de sa connaissance.
L'auteur est scandalisé par les réalités coloniales et en particulier les
châtiments inhumains auxquels est soumise la population asservie. Dès son
débarquement, il est frappé de voir des cicatrices zébrant le dos des Noirs. Il apprend
de la bouche de l'abbé Lamache que le fouet, les colliers de fer et autres suplices
sont utilisés sur la plupart des plantations 59. L'abbé Dugoujon ne rompt pas
totalement avec l'idée d'une nécessaire moralisation des esclaves. Il demeure
dans une logique reconnaissant un rôle civilisateur au catholicisme. Après son
retour en métropole, il écrit à Schœlcher pour lui reprocher ses attaques contre
l'Église. Il encense l'œuvre accomplie par les Pères du Saint-Cœur de Marie à
Bourbon ou à Saint-Domingue, remarquant que ceux-ci viennent d'étendre
leur activité au vicariat des deux Guinées. Il considère ce « pieux institut »
comme l'instrument privilégié pour civiliser la race noire. Mais Dugoujon ren-

54. Pierre-Paul Castelu, De l'esclavage en général et de l'émancipation des noirs (...),


Paris, 1844, p. 4.
55. Idem, p. 99.
56. Idem, p. 147-221.
57. A.C.S.Sp., fichier Cabon.
58. A.C.S.Sp., 213 В II 312, lettre de l'abbé Lacombe au supérieur, Basse-Terre, 6 décembre
1840.
59. Casimir Dugoujon, Lettres sur l'esclavage dans les colonies françaises, Paris, 1845, p. 44-
46.
66 PH. DELISLE

verse la question du rôle de la religion. Il remarque que si les missionnaires des


Antilles britanniques remportent des succès dans la christianisation, c'est
parce qu'ils ont affaire à des fidèles débarrassés du fardeau de la servitude. Il
s'écrie : « Donnez des hommes libres à évangéliser aux prêtres catholiques, (...)
vous les verrez ramener au sein de l'Eglise un grand nombre d'enfants
égarés 60. » L'auteur rapporte avoir tenté de moraliser les Noirs dans l'habitation
Beau-Soleil, sise sur les pentes de la Soufrière. Bénéficiant de l'assentiment des
propriétaires, deux femmes arrivées récemment de métropole, il a fait trois
séances de catéchisme hebdomadaires aux esclaves. Malgré des progrès très
nets, une base essentielle de la morale chrétienne n'a pu s'implanter. Les Noirs
ont en effet refusé de se marier, jugeant leur condition incompatible avec la vie
de famille 61. En définitive, Casimir Dugoujon penche pour « une solution qui
arracherait le mal jusque dans son principe ». Il estime que c'est en libérant
rapidement les esclaves qu'on leur permettra d'être de bons chrétiens, et non
l'inverse. Il souligne à ce propos la sagesse des colons de la partie française de
Saint-Martin qui rédigent une pétition pour obtenir l'émancipation immédiate
contre une indemnité 62. Il précise par ailleurs que l'abolition permettra aux
blancs de retrouver leur humanité, le système établi les transformant en
véritables « tyrans », toujours tourmentés par de sombres soupçons à l'égard de leurs
travailleurs б3.
Alexandre Monnet, né en 1812 près de Lille, est ordonné prêtre en 1837.
Désireux de vivre une aventure missionnaire, il s'embarque en 1840 à
destination de l'île Bourbon. Il fonde à Saint-Denis des catéchismes pour les Noirs. Les
colons voyant d'un mauvais œil leur main d'œuvre se déplacer, Monnet
n'hésite pas à se livrer à un ministère itinérant depuis la Rivière-des-Pluies. Son
entrain lui vaut certains succès. Tout comme l'abbé Dugoujon, il reste fidèle à
l'esprit de la moralisation. Mais il arrive lui aussi à la conclusion que les
résultats seront limités tant que durera le système esclavagiste. En décembre 1840, il
souligne : « Nous avons beau catéchiser, prêcher, sans émancipation nous ne
ferons rien ; nous bâtirons d'une main, les maîtres détruiront de l'autre ». Il en
appelle donc à une émancipation immédiate, avec indemnisation des
propriétaires 64.
Si Monnet et Dugoujon adoptent sensiblement la même position, Edouard
Goubert se démarque assez nettement. Né en 1803 dans l'Orne et prêtre dans le
diocèse de Sées à partir de 1828, il arrive à la Martinique au début de l'année
1837. D'abord aumônier des Sœurs de Saint- Joseph à Saint-Pierre, il se fait
remarquer par des conférences philosophiques et obtient la cure du Fort-
Royal. Mécontent des entraves apportées par les maîtres à l'évangélisation des
Noirs, il profite le 20 octobre 1839 d'un sermon aux enfants blancs qui vont
faire leur communion pour réclamer une humanisation de l'ordre esclavagiste.
Cette intervention déclenche la fureur du Conseil colonial, qui condamne

60. Idem, p. 116-117.


61. Idem, p. 89-91.
62. Idem, p. 68.
63. Idem, p. 95-%.
64. Claude Prudhomme, op. cit., p. 79-81.
ÉGLISE ET ESCLAVAGE 67

publiquement l'ecclésiastique. Il n'est pas exclu que le curé ait cherché à


devancer par un coup d'éclat une destitution pour affaires de mœurs. Mais il convient
de juger avec circonspection des rumeurs d'immoralité qui aux Antilles sont
fréquemment utilisées comme paravent à des griefs d'ordre politique. Quoi
qu'il en soit, la tension est telle qu'au début de l'année 1840, le gouverneur
invite l'abbé Goubert à prendre un congé pour raisons de santé. Rentré en
France au printemps, ce dernier défroque et épouse une créole
martiniquaise 65. Il publie par ailleurs un ouvrage intitulé Pauvres nègres ! Ou quatre
ans aux Antillesfrançaises.
L'auteur commence par narrer ses démêlés avec les blancs du Fort- Royal,
puis il critique une brochure du président du Conseil colonial qui tente de
justifier l'esclavage. Ce faisant, il ne ménage pas ses attaques. Il déclare que le « soleil
de Juillet » n'a pas lui sur certaines habitations, qui vivent toujours dans
l'obscurantisme du legitimisme 66. Il dénonce la collusion d'une partie du clergé
colonial avec ces propriétaires rétrogrades, stigmatisant « les prêtres à cheveux
blancs » qui « vendaient, achetaient, flagellaient les nègres 67 ».
Edouard Goubert en vient ensuite à l'analyse des mesures prises par le
gouvernement pour préparer l'émancipation. C'est là qu'il marque sa différence
avec les auteurs précédents. Il réfute en effet la capacité du christianisme à
civiliser les peuples. Selon lui l'Église a joué ce rôle autrefois en Europe, mais a
« perdu désormais cette mission », les conditions n'étant plus celles du Moyen
Age 68. Goubert se montre un farouche partisan du catholicisme libéral. Il
affirme que l'Église « n'a point de foi politique », faisant remarquer que le
clergé français a légitimé « l'horrible anarchie » républicaine aussi bien que le
despotisme napoléonien 69. Il va d'ailleurs plus loin, puisqu'il déclare que « la
religion n'est pas l'Église » et qu'un gouvernement peut favoriser la seconde
tout en ruinant le première 70. L'engagement libéral de l'ancien curé du Fort-
Royal perce en maints endroits. Ici il parle avec mépris des prêtres gallicans, là il
dénonce « une chose horrible, le monopole universitaire 71 ». Le programme de
moralisation, avalisé par la monarchie de Juillet et supposant une capacité de la
religion à transformer la société, lui apparaît comme un avatar de la détestable
union du trône et de l'autel. Il juge que le clergé colonial forme « une chaîne de
plus pour les esclaves », car il agit sous l'impulsion d'un gouvernement royal
qui dément forcément les principes évangéliques 72. Finalement, il considère
que la libération de la population servile n'est absolument pas du ressort du
catholicisme. A contrario, il dresse la liste des nécessités impérieuses : « Que
l'esclave ait un nom, une propriété, une famille, une espérance. Faites que l'on
paie son travail, qu'on respecte son caractère d'homme ; ordonnez que quicon-

65. Bernard David, op. cit., p. 102-103.


66. Edouard Goubert, Pauvres nègres ! Ou quatre ans aux Antilles françaises, Paris, 1840,
p. 77.
67. Idem,p.8S.
68. Idem, p. 107.
69. Idem, p. 124-125.
70. Idem, p. 126.
71. Idem, p. 32.
72. Idem, p. 230.
68 PH. DELISLE

que lui ravira sa femme meurt (sic) 73 ». De telles considérations amènent


l'abbé Goubert à tirer des conclusions plus radicales que ses confrères Dugou-
jon ou Monnet. Pauvres nègres ! Ou quatre ans aux Antillesfrançaises (...) se
termine sur cette affirmation : « La liberté seule, une liberté immédiate, une
émancipation sans indemnité fera disparaître ce mal immense 74 ». Non
seulement l'auteur évacue le rôle civilisateur du christianisme, mais il milite
ouvertement pour que les maîtres ne reçoivent aucune compensation financière.
L'idée d'une indemnité pose la question d'une période de patronage
gouvernemental pendant laquelle les nouveaux libres travailleraient à rembourser leurs
anciens propriétaires. La rejeter, c'est se trouver à la pointe de
l'abolitionnisme...

Un indéniable apport

II convient de garder à l'esprit le sens des proportions. Pour un Monnet, un


Dugoujon, ou un Goubert, il y eut de nombreux prêtres dans les vieilles
colonies qui demeurèrent dans un prudent attentisme, à cause de leur formation,
de leur attachement au legitimisme, et surtout parce qu'ils sentaient trop bien
qu'en heurtant les Blancs créoles ils encouraient les pires déboires. Il n'en reste
pas moins que plusieurs ecclésiastiques ont apporté leur contribution à
l'abolitionnisme français. Il suffît pour s'en convaincre de parcourir les travaux de
quelques auteurs engagés en ce sens. Dans son ouvrage phare, Des colonies
françaises. Abolition immédiate de l'esclavage, Victor Schœlcher rend un
hommage appuyé à Dugoujon et Goubert, « serviteurs de Jésus et non pas (...)
des colons ». Il cite même en note l'intégralité de l'allocution qui a valu au curé
du Fort-Royal de devoir quitter sa paroisse. Enfin, s'il attaque l'abbé Lamache
pour l'avoir entendu prêcher aux esclaves la soumission à leurs maîtres, il
souligne tout de même que celui-ci est assez « hardi » pour célébrer avec quelque
éclat les unions serviles 7S. » Ancien chef d'escadron de gendarmerie à la
Martinique, Joseph France publie en 1846 une étude intitulée La vérité ou les faits,
ou l'esclavage à nu. Dès la première page, il indique prendre la suite de «
quelques hommes judicieux » pour réclamer l'émancipation et cite pêle-mêle
Schœlcher, Castelli, Dugoujon, de Cussac 76.
A travers leurs témoignages, lesprêtres engagés contre l'esclavage ont
certainement contribué à sensibiliser l'Eglise de France. Ils ont contesté les
justifications du travail forcé, que ce soit au nom du droit naturel ou divin. Edouard
Goubert fait remarquer que les partisans de l'esclavage faussent la doctrine
chrétienne en ne retenant que les textes qui semblent accréditer leur odieux
pouvoir 77. Dugoujon note dès ses premières lettres l'incongruité des doctrines
traditionnelles. Ayant subi le choc des réalités coloniales, il conclut : « II ne m'est

73. Idem, p. 9 et p. 158.


74. Idem, p. 160.
75. Victor Schoelcher, op. cit., p. 325-328.
76. Joseph France, La vérité et les faits, ou l'esclavage à nu, Paris, 1846, p. 1.
77. Edouard Goubert, op. cit., p. 78-80.
ÉGLISE ET ESCLAVAGE 69

plus possible de considérer ce qu'on enseigne sur l'esclavage que comme un


sophisme imaginé par l'égoïsme pour déguiser un crime » 78. Polémiquant par
la suite avec Schœlcher, il souligne l'incompatibilité fondamentale du
catholicisme avec l'esclavage. Invoquant la loi d'amour, il avance : « tout état de
choses d'où la charité était bannie se trouvait par là-même implicitement
condamné par Jésus Christ » 79. Pierre Paul Castelli se montre tout aussi
catégorique. Résumant sa pensée en milieu d'ouvrage, il déclare : « Nous
avons montré (...) que l'esclavage est contraire au droit naturel, et que la loi
divine le réprouve ; qu'il a été introduit, dès les premiers temps, dans le genre
humain par les vices de l'humanité déchue » 80.
De telles considérations doivent probablement être rapprochées de la
rupture progressive d'une partie du clergé métropolitain avec la modération. En
1847, trois évêques et quelques neuf-cents ecclésiastiques signent, avec dix-
mille autres français, une pétition réclamant une date « précise et prochaine »
pour l'émancipation. Le texte est adressé à la Chambre des députés qui le
transmet au gouvernement 81.
Pour finir, il convient de souligner que les prêtres abolitionnistes ont donné
une nouvelle image des Noirs. Mus par l'élan apostolique ou humanitaire, ils
ont ostensiblement rompu avec le regard très pessimiste des années 1820.
Évoquant en février 1837 l'action commencée à Mana depuis un an, Anne-
Marie Javouhey déclare que les esclaves se montrent bien meilleurs qu'elle ne
pouvait l'espérer. Elle les peint « dociles, soumis, ne désirant que de
s'instruire de leurs devoirs œ ». A l'île Bourbon, quelques années plus tard, l'abbé
Monnet souligne que les Noirs possèdent toutes les qualités nécessaires pour
devenir de bons sujets, et que si cela ne se produit pas, il faut l'attribuer au
mauvais exemple donné par les Blancs 83.
Ce ne sont pas n'importe quelles vertus qui sont mises en exergue. Il s'agit
de démontrer le bien-fondé de la christianisation, et donc les prédispositions
des Noirs à la conversion. Mais, par-delà cette vision quelque peu
apologétique, apparaît une volonté de rupture avec tout discours établissant une
hiérarchie entre les races. Dans une lettre de 1840, Casimir Dugoujon
rapporte avoir interrogé les enfants Noirs ou mulâtres scolarisés, et trouvé chez
eux : « la même aptitude à l'étude, la même intelligence, les mêmes succès que
parmi des enfants blancs ou européens » 84. L'abbé Castelli déclare en 1844 :
« Le nègre est, de son naturel, respectueux et pacifique, il est même généreux
et dévoué envers ceux qui le dirigent et lui font du bien ». Il cite pour illustrer
ses affirmations l'exemple d'un esclave de la Guadeloupe solennellement
remercié par la colonie pour sa conduite héroïque durant le tremblement de

78. Casimir Dugoujon, op. cit, p. 52.


79. /d,p.lO3.
80. Pierre-Paul Castelu, op. cit., p. 135.
81. Cyrille Bissette, Au clergé français. Émancipation des esclaves, Paris, 1847, p. 3.
82. Anne-Marie Javouhey, op. cit., t. II, p. 218.
83. Claude Prudhomme, op. cit., p. 81.
84. Casimir Dugoujon, op. cit, p. 22.
70 PH. DELISLE

terre de Pointe-à-Pitre 85. Edouard Goubert se montre plus explicite encore.


Conviant la chimie et la physiologie en renfort de la Genèse, il clame haut et
fort que l'humanité forme une seule et même espèce, et que le Blanc « porte en
lui-même une visible disposition à devenir nègre * ».

Philippe Delisle
Université Lyon-III

Résumé

A l'époque de la Restauration comme durant les premières années de la Monarchie de Juillet,


le clergé des vieilles colonies françaises, craignant les idées libérales et les révoltes d'esclaves, ne
participe pas au mouvement abolitionniste. La situation évolue lorsque s'impose une préparation
à la liberté par la morale chrétienne. L'abbé Castelli à la Martinique, l'abbé Lamache à la
Guadeloupe, l'abbé Levavasseur à l'île Bourbon, ou la Mère Javouhey en Guyane adhèrent avec
enthousiasme à ce projet. Mais l'opposition des maîtres conduit certains ecclésiastiques à
s'engager dans une voie plus radicale. Dugoujon, Monnet, ou Goubert réclament assez
rapidement une émancipation immédiate.

Under the Restoration and during the first years of the July Monarchy, the clergy in the french
colonies, fearing liberal ideas and slave revolts, did not take part in the abolitionist movement.
The situation changed when it became necessary to prepare the population for liberty through
Christian moral teaching. Father Castelli in Martinique, Father Lamache in Guadeloupe, Father
Levavasseur in Bourbon island, or Mother Javouhey in Guyane joined this program with
enthusiasm. But the opposition of masters led some clergymen to adopt a more radical approach.
Dugoujon, Monnet, or Goubert rather quickly demanded immediate emancipation.

In der Restaurationszeit und den ersten Jahren der Julimonarchie beteiligt sich der Klérus der
alten franzôsischen Kolonien aus Furcht vor den liberalen Ideen und Sklavenaufstànden nicht an
der Bewegung des Abolitionismus. Die Situation andert sich jedoch, als die christliche Moral die
Vorbereitung auf die Befreiung fordert. Der Abbé Castelli auf Martinique, der Abbé Lamache
auf Guadeloupe, der Abbé Levavasseur auf der Ile Bourbon oder Mutter Javouhey in Guyana
sind enthusiastische Anhanger dieses Projektes. Aber der Widerstand der Besitzer fuhrt dazu,
dafi manche Geistliche einen noch radikaleren Weg einschlagen. Dugoujon, Monnet oder
Goubert verlangen sehr bald die sofortige Befreiung.

85. Pierre-Paul Castelli, op. cit., p. 124-125.


86. Edouard Goubert, op. cit., p. 89

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