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Delisle Philippe. Église et esclavage dans les vieilles colonies françaises au XIXe siècle. In: Revue d'histoire de l'Église de
France, tome 84, n°212, 1998. pp. 55-70;
doi : https://doi.org/10.3406/rhef.1998.1307
https://www.persee.fr/doc/rhef_0300-9505_1998_num_84_212_1307
Zusammenfassung
In der Restaurationszeit und den ersten Jahren der Julimonarchie beteiligt sich der Klérus der alten
französischen Kolonien aus Furcht vor den liberalen Ideen und Sklavenaufständen nicht an der
Bewegung des Abolitionismus. Die Situation andert sich jedoch, als die christliche Moral die
Vorbereitung auf die Befreiung fordert. Der Abbé Castelli auf Martinique, der Abbé Lamache auf
Guadeloupe, der Abbé Levavasseur auf der Ile Bourbon oder Mutter Javouhey in Guyana sind
enthusiastische Anhanger dieses Projektes. Aber der Widerstand der Besitzer fuhrt dazu, dafi manche
Geistliche einen noch radikaleren Weg einschlagen. Dugoujon, Monnet oder Goubert verlangen sehr
bald die sofortige Befreiung.
Abstract
Under the Restoration and during the first years of the July Monarchy, the clergy in the french colonies,
fearing liberal ideas and slave revolts, did not take part in the abolitionist movement. The situation
changed when it became necessary to prepare the population for liberty through Christian moral
teaching. Father Castelli in Martinique, Father Lamache in Guadeloupe, Father Levavasseur in
Bourbon island, or Mother Javouhey in Guyane joined this program with enthusiasm. But the
opposition of masters led some clergymen to adopt a more radical approach. Dugoujon, Monnet, or
Goubert rather quickly demanded immediate emancipation.
ÉGLISE ET ESCLAVAGE
Le tempe du silence
7. A.CS.Sp., 201 IV 39, lettre de l'abbé Poncelet à l'abbé Fourdinier, Vauclin, 20 septembre
1836.
8. A.CS.Sp., 201 V 81, lettre de l'abbé Bardy à l'abbé Fourdinier, François, 15 juin 1838.
9. A.CS.Sp., 201 V 96, lettre de l'abbé Bardy à l'abbé Fourdinier, François, 9 septembre 1838.
10. A.CS.Sp., 201 1 20, lettre de l'abbé Bardy à l'abbé Fourdinier, Case-Pilote, 28 juin 1829.
11. Claude Prudhomme, Histoire religieuse de la Réunion, Paris, 1984, p. 64.
12. A.CS.Sp., 201 1 27, lettre de l'abbé Bardy à l'abbé Fourdinier, Fort-Royal, 27 septembre
1829.
13. Claude Prudhomme, op. cit., p. 67.
14. A.CS.Sp., 99 A II 78, lettre de l'abbé Guillier à l'abbé Fourdinier, Cayenne, 25 août 1836.
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ment à une pensée romantique qui, rejetant les Lumières jugées porteuses des
excès révolutionnaires, considère la civilisation européenne comme
indissociable de son passé religieux. Il ne manque d'ailleurs pas de mettre en exergue
dès le tout début de son étude une citation du Génie du christianisme 22.
Suivant cette logique, ce que réclame l'abbé Hardy, c'est l'envoi de nombreux
prêtres et de Frères de l'Instruction chrétienne. Il pose comme préalable à
une émancipation réussie, l'affectation sur les plantations de curés et de
Frères chargés spécialement des esclaves 23. Devenus chrétiens, les Noirs
accéderont au statut de civilisés et, dès lors, leur libération ne sera plus qu'une
formalité.
Il faut remarquer que l'abbé Hardy prend la parole sur la question de
l'esclavage dans un contexte bien particulier. La Grande-Bretagne s'est
prononcée dès 1833 en faveur de l'abolition. Les esclaves des colonies
britanniques ont été déclarés libres en 1834, mais soumis à une période
d'apprentissage de quatre à six ans, durant laquelle ils doivent rester au service de leurs
maîtres. En France, le débat sur l'émancipation est officiellement ouvert
précisément en 1838. Hippolyte Passy, membre de la Société pour l'abolition,
dépose devant les députés une proposition précise. Ce projet s'inspire de
l'exemple anglais, et prévoit que tout enfant à naître sera déclaré libre tandis
que les adultes auront toutes facilités pour se racheter. Ces événements sont
au centre de la réflexion de l'auteur.
Si, aujourd'hui, le modèle britannique passe pour assez timide, en regard
notamment des décisions de Schœlcher en 1848, l'abbé Hardy le juge
dangereusement audacieux. L'effort de christianisation et de scolarisation entrepris
dans les Antilles britanniques à partir de 1834 lui apparaît comme un aveu
d'échec. Il souligne : « Aujourd'hui plus que jamais, le gouvernement anglais,
ce gouvernement si éminemment philanthrope, reconnaît la nécessité d'un
culte et celle de multiplier les églises, comme un moyen efficace de contenir
des milliers d'esclaves, dont, bien trop tôt, il a brisé les chaînes ^ ».
L'ecclésiastique ne manque pas de laisser planer le spectre d'une agitation des Noirs
face à une stratégie peu compréhensible : « Ceux mêmes qui hier au nom du
gouvernement les déclarèrent libres, leur déclarent aujourd'hui au nom du
même gouvernement qu'il faut continuer à travailler (...) ^ ».
A cette liberté donnée puis reprise, il oppose celle que produirait son plan
de civilisation préalable, « une liberté franche, entière, puissante ^ ». Il est
d'ailleurs un autre avantage que voit l'abbé Hardy à la solution qu'il préconise.
Elle dispenserait le gouvernement français de verser aux planteurs l'onéreuse
indemnité qu'a dû débourser son homologue d'Outre-Manche, puisque la
transition entre travail forcé et travail libre s'effectuerait très
progressivement 27.
22. Idem, p. 1.
23. Idem, p. 64.
24. Idem, p. 99-100.
25. Idem, p. 134.
26. Idem, p. 137.
27. Idem, p. 154.
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Les liens de l'abbé Hardy avec les vieilles colonies ont été soulignés.
Toutefois, celui-ci n'a pas mené d'action sur place. Il en va autrement des
abbés Castelli, Lamache et Levavasseur, ou encore des Frères de Ploërmel et
des Sœurs de Saint- Joseph de Cluny.
Pierre Paul Castelli, né en Corse en 1795, est ordonné prêtre en 1821. Après
avoir exercé des fonctions d'aumônier militaire puis de curé, il passe aux
Antilles comme inspecteur de l'instruction publique en 1833. Un an plus tard,
il est nommé préfet apostolique de la Martinique. Sa venue dans le cadre des
projets scolaires comme sa rapide ascension traduisent une étroite collusion
avec le régime de Juillet. Il faut y voir une adhésion aux idées libérales. Mais
l'opportunisme et le carriérisme jouent certainement aussi un rôle. Schœlché-
rien en 1848, le personnage n'hésitera pas à clamer son attachement à
Napoléon III sous le Second Empire 35. Pour s'en tenir aux faits, dès 1837, à
l'instigation du gouverneur, l'abbé Castelli vient soutenir devant le Conseil
colonial un projet visant à recruter des missionnaires spécialement chargés de
la population servile. S'adressant aux représentants des planteurs, il se permet
d'évoquer l'abolition, même à titre d'hypothèse lointaine. Il souligne en
tout cas la capacité du christianisme à faire passer « le nègre de l'état brut à
l'état moral », et donc à garantir le bon déroulement d'une éventuelle
libération 36.
Guillaume Lamache, né à Coutances, part en 1837 en Guyane. Deux ans
plus tard, il rejoint la Guadeloupe 37. Il y devient curé de Saint-François à la
Basse-Terre. En avril 1840, Casimir Dugoujon, dont il sera question plus loin,
déclare à son propos : « C'est lui le premier qui a ouvert le catéchisme aux
esclaves, j'en ai vu plus de quatre cent réunis autour de lui ^ ». Dans un
mémoire justificatif rédigé postérieurement, l'abbé Lamache dévoile sa
stratégie : « m'efforcer, tout en prêchant la soumission à l'ordre établi, de
restaurer la dignité humaine chez l'esclave, et de le préparer ainsi au périlleux
bienfait d'une émancipation espérée 39 ».
Frédéric Levavasseur est né en 1811 à l'île Bourbon dans une famille aisée.
Effectuant sa théologie à Saint-Sulpice à la fin des années 1830, il jette avec
Libermann les bases d'une société de prêtres dévouée à Févangélisation des
Noirs, les Pères du Saint-Cœur de Marie. En 1842, il revient dans son île natale
pour mettre ses projets en pratique. Bénéficiant de l'appui de riches colons, il
maintien d'un parfait statu quo social 48. En décembre de la même année,
l'abbé Lacombe, préfet apostolique de la Guadeloupe, indique que les
propriétaires de la Grande-Terre refusent de recevoir les prêtres sur leurs propriétés et
considèrent l'ordonnance royale du 5 janvier comme* subversive ^ ».
Dans un tel contexte, les ecclésiastiques les plus entreprenants doivent
rapidement afffronter la colère des maîtres d'esclaves. En septembre 1838, alors
que l'abbé Castelli est occupé à une tournée des paroisses, sa demeure du Fort-
Royal est mystérieusement détruite par un incendie 50. Par la suite, la carrière
du préfet apostolique ne sera plus qu'une longue suite de conflits plus ou moins
directs avec les blancs créoles. En 1841, le Conseil colonial lui reproche par
exemple l'introduction dans l'île d'un catéchisme « dangereux », car insistant
trop sur les devoirs des maîtres à l'égard de leurs esclaves. Il s'agit pourtant
d'un ouvrage déjà ancien, confectionné par le supérieur du séminaire du Saint-
Esprit, et exrêmement banal 51. L'abbé Castelli rentre à deux reprises en
France pour laisser aux pressions contraires le temps de se calmer. Mais il doit
finalement se résigner à démissionner en 1842, d'autant que ses absences ont
inquiété les autorités ecclésiastiques européennes 52.
Le devenir de l'abbé Lamache ne paraît guère différent. Son application à
moraliser les esclaves, et notamment quelques sermons durant lesquels il se
serait trop étendu sur les obligations des maîtres, lui valent une hostilité
contenue. En refusant de falsifier les comptes rendus de la mission des Noirs pour
leur donner un aspect plus favorable, il provoque la colère du préfet apostolique
de la Guadeloupe. Une affaire assez trouble scelle finalement son destin. Au
début de l'année 1841, l'abbé Lamache prête de l'argent à un commerçant de
Basse-Terre pour rendre service. Il faut noter au passage que dans des sociétés
frappées par un manque cruel de numéraire, de telles sollicitations ne sont pas
rares, puisque les prêtres disposent d'un salaire régulier de fonctionnaires
coloniaux. Au moment du remboursement, le commerçant dit redouter la faillite.
Il offre devant notaire de différer le paiement et propose en gage de sa bonne foi
des couverts en argent et une montre en or. Mais par la suite, le curé de Saint-
François se brouille avec le notaire en question, qui est aussi marguillier de la
paroisse. Par vengeance, ce dernier dépose une plainte auprès de
l'administration pour usure. L'accumulation des griefs aboutit en 1842 à une double
sanction contre l'abbé Lamache : le gouverneur lui intime d'embarquer tandis que
le préfet apostolique lui retire tout pouvoir spirituel 53.
48. A.C.S.Sp., 213 В II 226, lettre de l'abbé Lamache au supérieur, Basse-Terre, 27 janvier 1840.
49. A.C.S.Sp., 213BII312,lettrederabbéLacombeausupérieur,Basse-Terre,6décembre 1840.
50. Archives de la Sacrée Congrégation de Propanganda Fide, Scritture riferite nei congressi-
America Antille (A.S.C.P.F., S.C.A.), vol.6 f.346-347, Lettre de l'abbé Castelli, 20 octobre 1838.
51. Arch. dép. de la Martinique, 1 N, 1840-1841, p. 253-254.
52. A.S.C.P.F., S.C.A., vol. 7 ff. 144-147, Lettre de l'abbé Castelli, 24 août 1842.
53. A.C.S.Sp., 211 A II 2, Mémoire présenté à M. le ministre de la Marine, Lamache, 1842.
ÉGLISE ET ESCLAVAGE 65
Un indéniable apport
Philippe Delisle
Université Lyon-III
Résumé
Under the Restoration and during the first years of the July Monarchy, the clergy in the french
colonies, fearing liberal ideas and slave revolts, did not take part in the abolitionist movement.
The situation changed when it became necessary to prepare the population for liberty through
Christian moral teaching. Father Castelli in Martinique, Father Lamache in Guadeloupe, Father
Levavasseur in Bourbon island, or Mother Javouhey in Guyane joined this program with
enthusiasm. But the opposition of masters led some clergymen to adopt a more radical approach.
Dugoujon, Monnet, or Goubert rather quickly demanded immediate emancipation.
In der Restaurationszeit und den ersten Jahren der Julimonarchie beteiligt sich der Klérus der
alten franzôsischen Kolonien aus Furcht vor den liberalen Ideen und Sklavenaufstànden nicht an
der Bewegung des Abolitionismus. Die Situation andert sich jedoch, als die christliche Moral die
Vorbereitung auf die Befreiung fordert. Der Abbé Castelli auf Martinique, der Abbé Lamache
auf Guadeloupe, der Abbé Levavasseur auf der Ile Bourbon oder Mutter Javouhey in Guyana
sind enthusiastische Anhanger dieses Projektes. Aber der Widerstand der Besitzer fuhrt dazu,
dafi manche Geistliche einen noch radikaleren Weg einschlagen. Dugoujon, Monnet oder
Goubert verlangen sehr bald die sofortige Befreiung.