Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
CHRISTIANISME PRIMITIF
La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les
limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la
licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie,
sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de
l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage
dans une base de données est également interdit.
ETUDES
THÉOLOGIQUES
& RELIGIEUSES
TOME 86 2011/ 4
RETOUR DE L’ÂME :
IMMORTALITÉ ET RÉSURRECTION
DANS LE CHRISTIANISME PRIMITIF
© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 11/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 181.66.169.69)
*
François BOVON est professeur honoraire de l’Université de Genève et Frothingham Research
Professor de l’Université Harvard (traduction assurée par Mireille HÉBERT, revue par l’auteur).
Christianity », in Harvard Theological Review 103:4, octobre 2010, p. 387-406. J’aimerais dire toute
1
Cette étude a paru sous le titre « The Soul’s Comeback: Immortality and Resurrection in Early
Lecture 2009, au doyen William A. Graham pour son aimable introduction et à ma collègue le professeur
ma gratitude à la Harvard Divinity School pour l’invitation qui m’a été faite de donner l’Ingersoll
433
p433_456_bovon:Mise en page 1 30/11/11 9:55 Page 434
équivalent français du grec psychè était « personne » Dans les années 1970 et
1980, des deux côtés de l’Atlantique le pendule oscilla encore plus loin, jusqu’à
donner la priorité au corps. À Paris, à l’École pratique des hautes études, Pierre
Geoltrain proposait un cours sur le « corps » dans différents textes du Nouveau
body shops et l’attention accrue pour les soins du corps devenait un fait de
de passages bibliques4. Dans le même temps s’ouvraient un peu partout des
société. Nous pouvons dire avec Merleau-Ponty que cette période récente
témoigne d’une redécouverte du corps5.
J’espère que mes nombreux collègues dont les cours ou les publications
comportent le mot « corps » dans leur intitulé me pardonneront si aujourd’hui,
au nom de l’âme, je réagis à ce que je considère être une inflation du corps. Ma
réponse ne sous-entend pas que nous devions négliger l’étude du corps comme
lieu de pratiques sociales et expression de relations de pouvoir. Elle vise
cependant à souligner que l’obsession du corps, c’est-à-dire de ce qui est visi-
© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 11/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 181.66.169.69)
Karen L. King qui, dans sa présentation, a montré de l’empathie pour mon travail et pour moi-même.
Je voudrais aussi remercier Hector G. Amaya et Eunyung Lim, mes assistants. Je remercie également
Linda Grant qui a amélioré l’anglais de cette leçon et qui a contribué à l’édition finale. J’exprime enfin
Harvard Theologidal Rewiew, ainsi qu’à Margaret Studier, secrétaire de rédaction de HTR.
ma reconnaissance aux professeurs Jon D. Levenson et Kevin J. Madigan, les nouveaux éditeurs de la
Voir Pierre GEOLTRAIN, « Origines du christianisme », Annuaire de l’École pratique des hautes
études n° 92, 1983-1984, p. 355-356 ; n° 93, 1984-1985, p. 365-367 ; Dale B. MARTIN, The Corinthian
2
il une religion ? Actes du colloque organisé par la Faculté de théologie protestante de l’Université des
sciences humaines de Strasbourg du 20 au 23 mai 1981, Strasbourg, Association des publications de la
Faculté de théologie protestante et Association pour l’étude de la civilisation romaine, coll. « Études et
travaux 5 », 1984, p. 111-124, en particulier p. 120-122.
434
p433_456_bovon:Mise en page 1 30/11/11 9:55 Page 435
deuxième partie d’en venir à Origène, Tertullien, Irénée ainsi qu’à d’autres
auteurs chrétiens du IIe et du IIIe siècles. Je me concentrerai ensuite, dans une
troisième partie, sur la promesse de vie éternelle dans l’Évangile de Jean et
dans les Épîtres de Paul ainsi que dans une sentence de Jésus selon l’Évangile
de Matthieu. Ma dernière partie suggérera une voie pour l’expérience spiri-
tuelle aujourd’hui.
I. L’ANTIQUITÉ TARDIVE
Eustrate
condition des âmes après la mort6. Eustrate n’a pas besoin de prouver l’exis-
tence de l’âme ou de sa survie après la mort, car c’était une idée communé-
ment acceptée à son époque. En revanche, il attaque l’opinion de ceux qui
soutiennent que l’âme des défunts entre en sommeil jusqu’à la résurrection. Il
a lui-même la conviction que l’âme a une vie active dans l’autre monde, et sa
défense a un fondement biblique, à commencer par le sang d’Abel qui « crie du
sol » vers le Seigneur (Gn 4, 9)7. L’âme peut intercéder pour les vivants tout
© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 11/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 181.66.169.69)
6
EUSTRATE, De statu animarum post mortem, CPG 7522, Peter Van DEUN, éd., Turnhout, Brepols,
coll. « CCSG 60 », 2006.
7
Ibid., p. 138-141.
8
Ces opposants, selon Eustrate, ne doutent pas que les âmes puissent se manifester de temps en
temps, toutefois en de tels cas elles ne sont pas des moi actifs mais sont mues par la puissance de Dieu.
9
Voir Frank GAVIN, « The Sleep of the Soul in the Early Syriac Church », in JAOS 40, 1920, p. 103-
120.
Constantinople’s De statu animarum post mortem », thèse de doctorat, Harvard University, 2010.
10
Voir Louis DEMOS, « The Cult of the Saints and Its Christological Foundations in Eustratios of
435
p433_456_bovon:Mise en page 1 30/11/11 9:55 Page 436
Augustin
la cité divine : « Mais dans cette cité, tous les habitants seront immortels, des
êtres humains qui pour la première fois jouiront de l’immortalité que les saints
anges n’ont jamais perdue11. » Ce sera, souligne-t-il, le fruit de la volonté bien-
veillante de Dieu12, telle qu’elle s’exprime dans Es 26, 19 et 65, 17-19 ; Dn 12,
1-213. Il propose alors une argumentation à la fois rationnelle et affective pour
soutenir sa propre vision de la survie de la personne. Son argument rationnel est
le suivant : si à chaque naissance d’un humain Dieu est assez puissant pour
joindre une âme au corps, il le sera suffisamment à la fin des temps pour ajou-
ter un corps à une âme14. L’argument affectif admet que la résurrection est certes
difficile à croire, mais grâce à la foi et à l’amour nous croyons en deux événe-
ments qui se sont déjà produits, la propre résurrection du Christ et le succès de
la mission chrétienne. La résurrection de Jésus n’est pas un événement spiri-
tuel : les chrétiens croient et savent que c’est la personne physique de Jésus qui
s’est levée d’entre les morts. La résurrection des morts est la conséquence de
la résurrection de Jésus-Christ15.
© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 11/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 181.66.169.69)
11
AUGUSTIN, La Cité de Dieu, XXII, 1.
12
Ibid., XXII, 2.
13
Ibid., XXII, 3.
14
Ibid., XXII, 4.
15
Ibid., XXII, 6-7. Augustin confirme son point de vue avec une double référence au témoignage
de la foi et du sang. Rejetant l’argument contemporain cosmologique selon lequel à la résurrection le
corps ne sera pas autorisé à atteindre le sommet de la création, il affirme que les ressuscités résideront
au-dessus de la terre, de l’eau, de l’air et du ciel, parce que leurs corps ne seront point de chair mais
d’esprit (X, 11). Voir aussi XXII, 21.
436
p433_456_bovon:Mise en page 1 30/11/11 9:55 Page 437
pas tous, mais tous nous serons transformés »16. Cette différence textuelle
reflète l’hésitation des théologiens et des scribes qui a duré plusieurs siècles.
Dans cette longue épître17, Jérôme présente d’abord un éloquent status
quæstionis. Diodore de Tarse, lisant probablement la première variante, soutient
que l’incorruptibilité suivra la mort universelle pour tous, mais que la
transformation (probablement en un corps glorieux) sera réservée aux justes
La seconde variante, explique Jérôme, est défendue entre autres par Théodore
d’Héraklion et Apollinaire de Laodicée, mais selon deux interprétations diver-
gentes. Ceux qui « ne mourront pas » peuvent être ceux qui seront encore
vivants le jour de la parousie ou – plus intéressant – ils peuvent être les croyants
dont il est question en Jean 11, 25-26, où il est dit que croire maintenant c’est
franchir la frontière de la mort et passer de la mortalité à l’immortalité18.
Après ce long parcours, Jérôme opte pour une solution proche de la position
d’Augustin, soutenant que la mort du corps n’est pas la fin de la personne
humaine. Mais la diversité des interprétations patristiques tout comme l’insta-
bilité du texte biblique montrent clairement que le problème de l’immortalité,
la destinée de l’âme et l’espérance d’une résurrection du corps restèrent des
© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 11/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 181.66.169.69)
Grégoire de Nysse
17
JÉRÔME, Lettres, Jérôme LABOURT, éd., 8 vol., Paris, Les Belles Lettres, coll. « Collection des
Universités de France », 1958, vol. 6, p. 97-120.
18
Ceux qui croient ont une âme vivante et imitent la destinée des apôtres, tandis que ceux qui ne
croient pas ont une âme qui est déjà morte même s’ils sont toujours physiquement en vie. Jérôme
comme la vie physique de l’ascétisme (une vie physique hic et nunc selon l’esprit et non la chair).
mentionne que cette opinion est celle d’Origène qui, à ses yeux, comprend la vie éternelle des croyants
19
À la fin de sa lettre Jérôme mentionne même une troisième variante textuelle de 1 Co 15, 51,
conservée selon lui uniquement dans la version latine de la Première aux Corinthiens : « Omnes
quidem resurgemus, non omnes autem inmutabimur » (« Nous serons tous ressuscités ; cependant, nous
Deutsche Bibelgesellschaft, 1983) un « sed » (« mais ») figure avant « non omnes autem inmutabi-
ne serons pas tous transformés »). À noter que dans la troisième édition de la Vulgate (Stuttgart,
mur ». En fait, cette troisième variante se trouve dans le codex Claromontanus, un manuscrit bilingue
en grec et latin (D=06). Elle est donc attestée dans au moins un manuscrit en grec.
437
p433_456_bovon:Mise en page 1 30/11/11 9:55 Page 438
Parfois comparé au Phédon de Platon, à cause de son style dialogué et de son sujet,
de son frère Basile le Grand, et alors que sa sœur Macrina était à l’agonie20.
mort – non pas une consolation facile comme la billige Gnade (« la grâce bon
miste confirme le principal objectif de Grégoire : trouver de la consolation face à la
Origène
GRÉGOIRE de Nysse, Dialogus de anima et resurrectione, PG 46, col. 11-160. En anglais, On the
Soul and the Resurrection, Philip SCHAFF, Henry WACE, éd., in Nicene and Post-Nicene Fathers [1893],
20
deuxième série, t. 5, réimpr. Peabody, Mass., Hendrickson, 1994, p. 428-468 ; On the Soul and the
Resurrection, traduction et introduction de Catherine P. ROTH, Crestwood, N. Y., St. Vladimir’s Semi-
nary Press, 2002. En français, L’âme et la résurrection, trad. Christian BOUCHET, introduction Bernard
POTTIER, notes Marie-Hélène CONGOURDEAU, Paris, Migne, 1998.
Voir Walther VÖLKER, Das Vollkommenheitsideal des Origenes. Eine Untersuchung zur
Geschichte der Frömmigkeit und zu den Anfängen christlicher Mystik, Tübingen, Mohr Siebeck, coll.
21
438
p433_456_bovon:Mise en page 1 30/11/11 9:55 Page 439
condamné par certains dès le IVe siècle pour son eschatologie et sa spiritualisation,
son interprétation de l’immortalité et de la résurrection aura une grosse
influence. Toute vie spirituelle cherche à devenir semblable à Dieu. Si Dieu a créé
les êtres humains à son image (imago) lors de la création, à la résurrection ceux
qui seront sauvés le seront dans un état encore plus proche de Dieu (similitudo)23.
Alors que Jérôme pense que la transformation finale ne prendra qu’un instant,
dans l’esprit d’Origène il s’agit d’un long processus d’éducation spirituelle.
Dans un autre passage du De principiis, Origène médite sur la punition et
la récompense24. Dans son effort pour expliquer qui affrontera le jugement
dernier, il réagit vivement contre ceux qu’il qualifie d’hérétiques qui limitent
la survie de l’âme, et insiste sur le fait que ce seront nos âmes et nos corps à la
fois qui hériteront la vie éternelle. Cette continuité est importante pour
Origène : ce sont nos propres corps qui seront ressuscités. Par ailleurs, il critique
les croyants qui s’attendent simplement à un retour à la vie de leur corps de
chair tel qu’il est. Nos corps relevés, précise-t-il, seront de nature spirituelle, car,
ainsi que le dit l’apôtre Paul, « la chair et le sang n’hériteront pas le royaume
de Dieu » (1 Co 15, 50). Nous habiterons notre corps spirituel et nous aban-
donnerons notre corps animal. Ainsi, Caroline Bynum oppose-t-elle deux
métaphores : l’une – périlleuse – est la reconstruction du corps comme une
maison, l’autre – plus efficace – est la graine qui se transforme en plante25.
© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 11/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 181.66.169.69)
Tertullien
Derrière la traduction latine imago doit se trouver le grec eikôn, et derrière similitudo, homoiô-
sis. Irénée avait déjà utilisé cette distinction, fondée sur une exégèse de Gn 1 ; voir IRÉNÉE de Lyon,
23
Adversus hæreses, IV, 38, 3-4 ; V, 6, 1 ; V, 28, 4 ; V, 36, 3. CLÉMENT d’Alexandrie, Les Stromates,
II, 8, 38 et II, 22, 131, utilise aussi cette distinction à la manière d’Irénée.
24
ORIGÈNE, De principiis, op. cit., II, 10.
25
Carolyn Walker BYNUM, The Resurrection of the Body in Western Christianity, 200-1336, New
York, Columbia University Press, coll. « Lectures on the History of Religion 15 », p. 1-43.
Voir TERTULLIEN, De anima, mit Einleitung, Übersetzung und Kommentar, Jan H. WASZINK, éd.,
Amsterdam, H. J. Paris, 1933, p. 9. Plus récent, voir TERTULLIEN, Opera, 2 vol., Jan H. WASZINK, éd.,
26
439
p433_456_bovon:Mise en page 1 30/11/11 9:55 Page 440
Tertullien écrit-il sur l’âme ? Deux choses sont indéniables : d’une part Tertullien
n’écrit pas pour clarifier sa pensée, d’autre part il n’a pas en face de lui un seul
adversaire insigne mais plusieurs. Il s’oppose à Pythagore et à sa vision de la
migration des âmes, âmes que lui-même décrit comme instables, qui vont et
viennent sans repos (§ 28). Il s’oppose à Platon, lui reprochant la nature spiri-
tuelle qu’il attribue à l’âme (§ 4, 9 et 24). Il s’oppose à ce qu’il appelle la
solution des magiciens, qui prétendent vaincre la mort en usant de formules
magiques et de supercheries (§ 57). Pour Tertullien l’âme est corporelle.
Philosophiquement, c’est lui qui est le plus proche des stoïciens, sauf que pour
lui l’âme est le fruit d’une création du Dieu transcendant, vrai et unique.
La longue liste des adversaires chrétiens de Tertullien témoigne du
brassage des points de vue chrétiens au IIe siècle. La vision de Saturnin, pour
qui à la mort l’âme s’envole directement au ciel, le choque (§ 23). Il a en
particulier de l’aversion pour la métempsychose et la métensomatose, deux
mots grecs qu’il utilise pour la réincarnation, réfutant ainsi Carpocrate et, avant
lui, Simon le magicien. Il lui est impossible d’être d’accord avec Apelle, le
disciple de Marcion, qui sépare les âmes masculines et féminines et, en fin de
compte, avec Ménandre qui avait conservé une formulation archaïque des
l’âme après la mort est physique (§ 7) et possède une certaine forme (une effi-
celui du corps. La parabole du riche et de Lazare (Lc 16, 19-31) prouve que
des morts (apud inferos). Tertullien visualise très concrètement cet espace, alors
monte pas triomphalement au ciel, comme nous l’avons vu, mais va au royaume
Cappadocien c’est une qualité de survie. Mais pour Tertullien, apud inferos est
que Grégoire de Nysse refuse de considérer l’Hadès comme un lieu. Pour le
27
En français dans le texte (NdT).
Comme nous l’avons vu, GRÉGOIRE de Nysse donne une interprétation différente. Voir Dialogus,
op. cit., p. 391. Pour TERTULLIEN, De anima, op. cit., p. 11-12, l’âme est une et simple. Sa force et son
28
pouvoir est l’animus, l’équivalent de l’intelligence (mens, nous). Sa « partie directrice » l’hégemonikon
(un terme stoïcien) est l’équivalent de ce que la Bible appelle le « cœur », ibid., XV, 1 et 4.
440
p433_456_bovon:Mise en page 1 30/11/11 9:55 Page 441
ne doit donc pas attendre le Moyen Âge pour célébrer la naissance du purga-
toire29. Sa réalité – sans le terme – est présente dans les œuvres de Tertullien,
et les écrits d’Origène et de Grégoire de Nysse. Tous ces théologiens de l’An-
tiquité tardive s’attendent à ce que la période entre la mort et la résurrection soit
un temps de rééducation, de punition temporaire et de premiers châtiments30.
Irénée
(v. 50), pour étayer leur position. Mais, dans le livre V de l’Adversus hæreses
Paul dans 1 Co 15, « la chair et le sang ne peuvent hériter du royaume de Dieu »
succès au cours du siècle suivant. » Jacques LE GOFF, La naissance du Purgatoire, Paris, Gallimard, coll.
la naissance au moment de l’épanouissement médiéval dans la seconde moitié du XIIe siècle, et le rapide
s’était répandu avec succès au IIIe siècle comme dans les siècles suivants. Dans les Actes de Philippe
30
Le message chrétien de l’espérance eschatologique à travers l’expression de la vie immortelle
(trad. Bertrand BOUVIER, François BOVON, présent. et notes Frédéric AMSLER), XII, 8, même les animaux
se convertissaient et exprimaient leur gratitude par la prière suivante : « Nous te glorifions Seigneur, Fils
lieu d’un corps animal. » in Écrits apocryphes chrétiens, tome I, François BOVON, Pierre GEOLTRAIN,
unique de Dieu, pour la vie immortelle dans laquelle nous sommes nés, ayant reçu un corps humain au
dir., Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade 442 », 1997, p. 1285. Dans l’Histoire de Joseph
le charpentier (trad., présent. et notes Anne BOUD’HORS), XXIV, 4, conservée en copte, la mort est
interprétée comme une sortie du corps. Et quant à cette mort Jésus, qui est supposé parler dans ce texte,
nelle. » in Écrits apocryphes chrétiens, tome II, Pierre GEOLTRAIN, Jean-Daniel KAESTLI, dir., Paris,
observe que : « Oui, il est mort, mais cette mort de mon père Joseph n’est pas une mort, c’est la vie éter-
Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade 516 », 2005, p. 53. Tout le monde doit mourir, même les
mourir avant la résurrection finale). Dans le texte en arménien, Martyre de Thaddée arménien (trad.,
plus saints tels que Joseph, Énoch et Élie (même s’ils sont transportés au ciel, Énoch et Élie devront aussi
présent. et notes Valentina CALZOLARI-BOUVIER), XXII, l’apôtre, qui est glorifié pour avoir converti
ibid., p. 688. Ce qui veut dire qu’il peut mettre ceux qu’il convertit sur le chemin de la vie éternelle. Le
Sandoukht, la fille du roi, est considéré être « un mode de vie et une médication pour l’immortalité »,
livre huit des Oracles sibyllins (trad., présent. et notes de J.-M. ROESSLI), VIII, 310-317, présente la
31
IRÉNÉE, Adversus hæreses, op. cit., V, 1-14. En français Contre les hérésies. Livre V, Adelin
ROUSSEAU, Louis DOUTRELEAU, Charles MERCIER, éd., Paris, Cerf, coll. « SC 152-153 », 1969.
441
p433_456_bovon:Mise en page 1 30/11/11 9:55 Page 442
contraire (en particulier le verset 44). La bataille des interprétations, sujet cher
à Paul Ricœur32, est déjà bien engagée au IIe siècle.
Mais nous devons être honnête avec Irénée : l’évêque de Lyon n’est pas
seulement le champion de la résurrection de la chair. Il qualifie sa position en
faisant le contraste suivant : tout comme Adam fut marqué par le souffle naturel
(pnoè), le Christ fut relié à l’Esprit divin (pneuma). De même, après leur vie
naturelle, les êtres humains se lèveront d’entre les morts dans un corps, mais ce
sera un corps transformé, un corps spirituel33.
Le IIe siècle fut pour les chrétiens une période d’incertitude et d’opinions
conflictuelles. Comparés aux auteurs de la seconde sophistique, les chrétiens
apparaissent naïfs et inexpérimentés dans leurs écrits. Comparés aux stoïciens
et aux autres philosophes, ils présentent des points de vue anthropologiques
inconsistants. La manière dont ils utilisent des mots tels que « âme », « intelli-
gence » ou « esprit » est souvent très vague. Et, surtout, il y a hésitation quant
à la vie future. Certains soulignent l’implication de la chair dans le processus
de la résurrection, tandis que d’autres se satisfont de l’aspect spirituel de la
© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 11/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 181.66.169.69)
pas sera lui aussi immortel » (Odes de Salomon 3, 8)34. Tel est l’enseignement
deviendrai « fils » ou « fille » moi-même : « Lors ce qui s’unit à ce qui ne meurt
32
Paul RICŒUR, Le conflit des interprétations. Essais d’herméneutique, Paris, Seuil, coll. « L’ordre
philosophique », 1969.
33
IRÉNÉE, op. cit., V, 12, 1-4.
34
Michael LATTKE, Odes of Solomon: A Commentary, trad. Marianne EHRHARDT, Minneapolis,
442
p433_456_bovon:Mise en page 1 30/11/11 9:55 Page 443
de la chair, mais pour eux l’âme reste importante39. La chair aide à jeter une
un texte récemment découvert que nous avons édité et traduit Bertrand Bouvier
et moi41. Cette apocalypse décrit les destins opposés du pécheur et de l’élu à
35
Ibid.
36
Ibid., p. 140.
37
Ibid., p. 149.
38
Ibid., p. 206.
Voir ATHÉNAGORE, Supplique au sujet des chrétiens et Sur la résurrection des morts, Bernard
POUDERON, éd., Paris, Cerf, coll. « SC 379 », 1992 ; en anglais, Embassy for the Christians: The
39
Resurrection of the Dead, traduit et annoté par Joseph Hugh CREHAM, Westminster, Md., Newman, coll.
© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 11/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 181.66.169.69)
40
Dans la Vision d’Esdras (recension B), Esdras est emmené par sept anges pour visiter les enfers
et par quatre archanges pour visiter le septième ciel. Puis il doit mourir et, comme beaucoup de bons
croyants, il a peur de la mort. Le Seigneur le console en lui disant que son corps retournera sur la terre
recensions latines sont obligatoirement plus tardives (IVe-IXe siècle). Voir Vision d’Esdras (trad., présent.
tandis que son âme retournera à Dieu. On peut dater ce document du IIe siècle apr. J.-C., mais les
et notes Flavio G. NUVOLONE) in Écrits apocryphes chrétiens, tome I, op. cit., p. 593-632, en particu-
lier p. 631. Puis, dans le Cinquième livre d’Esdras 2, 45 (trad., présent. et notes Pierre GEOLTRAIN),
quand le spectateur observe le Fils en compagnie d’une foule de croyants et demande qui sont ces gens,
qui ont confessé le nom de Dieu ; à présent, ils sont couronnés et reçoivent des palmes. » in Écrits
on lui répond : « Ce sont ceux qui ont déposé la tunique mortelle et ont pris l’immortelle tunique, eux
apocryphes chrétiens, tome I, op. cit., p. 650. Ce texte date probablement de la seconde moitié du
IIe siècle ou du début du IIIe.
Voir Bertrand BOUVIER, François BOVON, « Prière et apocalypse de Paul. Un fragment grec
inédit conservé au Sinaï. Introduction, texte, traduction et notes », in Apocrypha 15, 2004, p. 9-20.
41
Même si le texte est postérieur au IIe siècle, il défend la même position que l’Apocalypse de Pierre et
l’Apocalypse de Paul. Sur ces deux apocalypses du christianisme primitif, voir la note 45 infra. Voir
Louise DUDLEY, The Egyptian Elements in the Legend of the Body and the Soul, Baltimore, Md., Furst,
1911 ; « An Early Homily on the “Body and Soul” Theme », in Journal of English and German Philology
8, 1909, p. 225-253.
443
p433_456_bovon:Mise en page 1 30/11/11 9:55 Page 444
l’Exégèse de l’âme (NHC II, 6), la Lettre à Rheginus ou le Traité sur la résur-
solution adoptée par plusieurs textes qualifiés de gnostiques42, en particulier
rection (NHC I, 4)43. Certes, nous trouvons aussi des réflexions anthropolo-
giques dans des textes tels que l’Évangile de Marie44. Dans ce document,
l’auteur relie la matière aux passions et la vision du Seigneur à l’intelligence,
© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 11/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 181.66.169.69)
J’hésite à mentionner ici l’Évangile de la vérité (NHC I, 3 et XII, 2). Voir Évangile de la vérité
(trad. Anne PASQUIER, présent. et notes Einar THOMASSEN), XX, 10-14 et 30-36 in Écrits gnostiques. La
42
bibliothèque de Nag Hammadi, Jean-Pierre MAHÉ, Paul-Hubert POIRIER, dir., Paris, Gallimard, coll.
« Bibliothèque de la Pléiade 538 », 2007, p. 61 ; Harold ATTRIDGE, George W. MACRAE, The Gospel of
Truth (I, 3 et XII, 2), in The Nag Hammadi Library in English, James M. ROBINSON, éd., New York,
HarperSanFransisco, 19903, p. 38-39. À propos de ce document Hurtado écrit : « In the Gospel of truth,
however, Jesus’ death does not provide a ransom for sins. Instead, it vividly portrays the futility and
consequence of Jesus’ own pathfinding action. » Larry W. HURTADO, Lord Jesus Christ: Devotion to
unimportance of the flesh, and the secret of the transcendent destiny to which the elect can aspire in
op. cit.
44
Voir Karen L. KING, The Gospel of Mary of Magdala: Jesus and the First Woman Apostle, Santa
Rosa, Calif., Polebridge, 2003.
444
p433_456_bovon:Mise en page 1 30/11/11 9:56 Page I
I
p433_456_bovon:Mise en page 1 30/11/11 9:56 Page II
de Dionysiou.
II
p433_454_bovon:Mise en page 1 12/12/11 11:22 Page 445
le domaine de l’art, dont les témoignages conservés sont le plus souvent des
de l’orante (Fig. 1), la femme en prière aux bras tendus est peut-être la méta-
phore de l’âme qui s’en va. Ainsi que le dit Émile Mâle, peindre ou sculpter
cette image c’est exprimer sa foi dans l’immortalité : « Les peintures les plus
anciennes des catacombes respirent cette douceur et traduisent cette foi dans
l’immortalité et il est peu de chefs-d’œuvre qui nous touchent autant que ces
pauvres fresques à moitié effacées47. »
Sur ORIGÈNE, voir supra p. 438-439 et infra p. 446. Voir aussi Apocalypse de Pierre, trad. Paolo
MARRASSINI, présent. Richard BAUCKHAM, notes R. BAUCKHAM, P. MARRASSINI, in Écrits apocryphes
45
chrétiens, tome I, op. cit., p. 745-774 ; Apocalypse de Paul, trad., présent. et notes Claude-Claire
KAPLER, René KAPLER, ibid., p. 775-826 ; Claude CAROZZI, Eschatologie et au-delà. Recherches sur
l’Apocalypse de Paul, Aix-en-Provence, Publications de l’Université de Provence, 1994.
Émile MÂLE, Rome et ses vieilles églises, Paris, Flammarion, 1942, p. 18 (citation en français dans
46
En français dans le texte (NdT).
47
Jean CALVIN, in Commentaires de Jehan Calvin sur le Nouveau Testament, 4 vol., Paris,
le texte [NdT]).
Meyrueis, 1854, vol. 1 : Sur la Concordance ou Harmonie composée de trois évangélistes, ascavoir
48
445
p433_456_bovon:Mise en page 1 30/11/11 9:56 Page 446
trouvé la deuxième citation en lisant avec mes étudiants le texte grec du traité
plus que tous les corps49. » C’est ce que nous trouvons in nuce dans le christianisme
d’Origène sur le Martyre : « Car, créée à l’image de Dieu, elle [l’âme] vaut
du premier siècle, dans l’Évangile de Jean et dans les Épîtres de Paul, vers
lesquels nous nous tournons maintenant.
Évangile de Jean
ORIGÈNE, Traité sur le Martyre, XII, Leipzig, Hinrichs, coll. « GCS 2 », 1899, p. 13. Voir aussi
4 Maccabées, 7, 16-19.
49
Sur l’Évangile de Jean, voir Raymond E. BROWN, An Introduction to the Gospel of John, Francis
J. MOLONEY, éd., New York, Doubleday, coll. « ABRL », 2003 ; Jean ZUMSTEIN, L’Évangile selon saint
50
coll. « Supplements to Vigiliæ Christianæ 85 », 2007, p. 230, qui écrit : « References to eternal in the
first place allude not to a quantity of time, but to the quality of a certain existential state [c’est l’auteur
qui souligne]. »
446
p433_456_bovon:Mise en page 1 30/11/11 9:56 Page 447
de la vie naturelle, de sorte que nous vivrons même si nous mourrons (voir Jean
5, 24-29 et 6, 68)53.
Paul
Écrivant quatre ou cinq décennies avant Jean, Paul utilise les termes
anthropologiques qu’on trouve dans la Septante, la traduction grecque de la
Bible hébraïque54. Il utilise des mots tels que « cœur », « chair », « âme » et
« esprit » de manière vague, sauf quand il oppose la « chair » et l’« esprit »55.
Comme l’existence pécheresse commence avec le mauvais désir (epithumia),
se développe dans le péché (hamartia) et se termine avec la mort (thanatos)
(Rm 7, 7-25), l’existence rachetée, décrite comme « juste », est la vie dans
l’Esprit, ce qui ne veut pas dire spécifiquement vie spirituelle ou mystique,
mais guidée par l’Esprit de Dieu, active dans l’amour concret du prochain et
dans l’amour intense de la divinité.
Active dans la vie ancienne, la vie nouvelle est décrite par Paul comme un
sacrifice de nos corps et le renouvellement de nos intelligences (Rm 12, 1-2).
La source de l’espérance pour le moi vient de la grâce divine ; et la dimension
morale du corps et de l’âme ne peut résulter que de la décision de la foi, réponse
© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 11/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 181.66.169.69)
53
Il n’est pas surprenant que le Fils lui-même déclare : « Je suis la résurrection et la vie » (Jn 11, 25).
Les mots « résurrection » et « vie » forment un hendiadys, autrement dit, une manière d’exprimer par deux
mots une seule et même réalité. Le mot « vie » est qualifié par le mot « résurrection ». Il s’agit d’une vie
nouvelle, différente de la vie naturelle. Elle est en même temps une « résurrection » de la personne, mais
avec la présence du mot « vie », ce n’est pas simplement une espérance future pour le corps. C’est aussi une
réalité présente pour le moi. Par le don de ce type de vie particulier le moi cesse d’être « chair » : « Mais à
ceux qui l’ont reçu, à ceux qui croient en son nom, il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu. Ceux-
là ne sont pas nés du sang, ni d’un vouloir de chair ni d’un vouloir d’homme, mais de Dieu » (Jn 1, 12-13).
54
Exactement comme à Jérusalem et à Rome il y avait plusieurs synagogues distinctes les unes des
autres, une pluralité qui n’était pas ressentie comme une menace pour l’identité et l’unité juives, il y avait
différentes communautés chrétiennes à Jérusalem, à Antioche en Syrie, et à Éphèse. La communauté
johannique d’Éphèse, à qui s’adresse l’une des sept lettres de l’Apocalypse (Ap 2, 1-7) était probable-
ment différente de la communauté établie par Paul dans la même ville (voir 1 Co 15 et Ac 19). Malgré
cette différence, la même structure fondamentale de la foi était acceptée par les deux groupes. Ce que
nous avons vu pour le groupe johannique se retrouve dans les Églises pauliniennes.
Sur la terminologie anthropologique de Paul, voir Robert JEWETT, Paul’s Anthropological Terms: A
Study of Their Use in Conflict Settings, Leiden, Brill, coll. « AGJU 1 », 1971 ; George H. VAN KOOTEN, Paul’s
55
Anthropology in Context: The Image of God, Assimilation to God and Tripartite Man in Ancient Judaism,
Ancient Philosophy and Early Christianity, Tübingen, Mohr Siebeck, coll. « WUNT 232 », 2008.
56
Même si 1 Th 5, 23 semble présenter une anthropologie complète et solide (« Que le Dieu de paix
lui-même vous sanctifie totalement et que votre esprit, votre âme et votre corps soient parfaitement
gardés pour être irréprochables lors de la venue de notre Seigneur Jésus-Christ »), ce verset est une
exception et Paul – à la différence d’Épictète ou de Marc Aurèle, deux penseurs stoïciens – ne s’inté-
resse pas à la pratique du corps comme source de sanctification.
447
p433_456_bovon:Mise en page 1 30/11/11 9:56 Page 448
Jésus
cherchant dans une concordance du texte grec le mot psychè (« âme », « vie »
Si nous essayons de découvrir le point de vue de Jésus sur la question en
BULTMANN, Theologie des Neuen Testaments, Otto MERK, éd., Tübingen, Mohr, coll. « Uni-Taschen-
57
Sur la mort et la résurrection de Jésus comme événement de salut reçu par la foi, voir Rudolf
croyants, voir Rm 6, 3-11 ; Brendan BYRNE, Romans, Collegeville, Minn., Liturgical Press, coll. « SP
bücher 630 », 19808, § 33, p. 292-306. Pour les parallèles entre la résurrection de Jésus et celle des
6 », 1996, p. 189-193.
Ici nous trouvons déjà in nuce la future distinction entre imago et similitudo, car aujourd’hui les
êtres humains ressemblent à Adam et Ève, nés de la terre, naturels et mortels (à l’image de Dieu, imago),
58
mais du ciel (semblable à Dieu, similitudo, voir 1 Co 15, 42-49). Voir François ALTERMATH, Du corps
mais comme chrétiens ils seront assimilés au Christ, le dernier Adam, qui n’est pas venu de la terre
psychique au corps spirituel. Interprétations de 1 Cor. 15, 35-49 par les auteurs chrétiens des
quatre premiers siècles, Tübingen, Mohr Siebeck, coll. « BGBE 18 », 1977.
59
Sur 1 Co 15, voir Wolgang SCHRAGE, Der erste Brief an die Korinther (1 Kor 15, 1-16, 24),
Düsseldorf/Neukirchen-Vluyn, Benziger/Neukirchener Verlag, coll. « EKKNT 7.4 », 2001.
448
p433_456_bovon:Mise en page 1 30/11/11 9:56 Page 449
servir, et donner sa psychè en rançon pour la multitude, il est quasi certain qu’il veut dire sa « vie ». Mais
60
Selon Marc 10, 45, quand Jésus dit que le Fils de l’homme est venu non pour être servi, mais pour
quand à Gethsémani il soupire, disant « mon âme [psychè] est triste à en mourir », il parle de son âme
et de son esprit, la part de lui-même correspondant à l’affectivité et au mental (Mt 26, 38). Comparé à
Luc 22, 37, Marc 10, 45 – tel que formulé avec l’allusion sotériologique à la rançon – correspond plus
probablement à la manière de s’exprimer de la première communauté qu’aux paroles prononcées par le
Jésus historique. Voir aussi Lc 21, 19, Ac 20, 10 et He 4, 12.
61
Sur Mt 10, 28, voir Ulrich LUZ, Das Evangelium nach Matthäus (Mt 8-17), Zurich/Neukirchen-
de 4 Maccabées 13, 13b-15 : « With all our hearts let us consecrate ourselves unto God, who gave us
Vluyn, Benziger/Neukirchener Verlag, 1990, p. 126-128. Il faut se rappeler le parallèle avec la parole
our souls, and let us expend our bodies for the custodianship of the Law. Let us have no fear of him who
Introduction », in James H. CHARLESWORTH, éd., The Old Testament Pseudepigrapha, 2 vol., Londres,
Darton/Longman & Todd, 1983-1985, vol. 2, p. 558.
62
Dans les siècles qui ont suivi, les autorités chrétiennes ont souligné et opposé le destin des élus
et le châtiment des autres. La séparation des deux groupes est apparue dès les premiers écrits apoca-
lyptiques : « Beaucoup de ceux qui dorment dans le sol poussiéreux se réveilleront, ceux-ci pour la vie
éternelle, ceux-là pour la honte, pour l’opprobre éternelle » (Dn 12, 2). Cette perspective eschatolo-
gique est présente aussi bien dans les Synoptiques (on se souvient de la célèbre métaphore des brebis
et des boucs en Mt 25, 31-46) que dans l’Évangile de Jean : « Que tout ceci ne vous étonne plus !
L’heure vient où tous ceux qui gisent dans les tombeaux entendront sa voix, et ceux qui auront fait le
bien en sortiront pour la résurrection qui mène à la vie ; ceux qui auront pratiqué le mal, pour la résur-
rection qui mène au jugement » (Jn 5, 28-29).
449
p433_456_bovon:Mise en page 1 30/11/11 9:56 Page 450
le plus précieux fait à l’humanité. Mais je ne veux pas définir l’âme comme l’ont
fait Aristote63 ou Tertullien. Je ne veux pas spéculer comme Descartes64. Je
n’aurai pas l’audace d’expliquer la relation entre le corps et l’âme, ou l’incar-
nation, comme le fait Merleau-Ponty65. Mon seul objectif est d’éviter d’attribuer
une limitation décevante au corps et d’attirer l’attention sur le danger d’un
scepticisme purement théorique vis-à-vis de la vie future. Ces mots résonnent
comme une prédication, ce qui est le cas dans une certaine mesure. D’aucuns
peuvent refuser d’accepter cette tradition religieuse, mais intellectuellement ils
ne peuvent pas nier l’existence de la voix de l’espérance et de la foi telle qu’Ori-
gène s’en fait l’écho en affirmant que l’âme a plus de valeur que tous les corps66.
Maintenant que nous avons vu avec quelle congruence les chrétiens des
premiers siècles considéraient l’âme, que pouvons-nous faire de la réflexion
récente sur le corps menée par Maurice Merleau-Ponty, Michel Foucault,
Hannah Arendt, Pierre Hadot et Peter Brown67 ? J’aimerais utiliser cette masse
impressionnante de recherches d’abord comme une invitation à souligner la
responsabilité humaine dans cette vie et dans ce monde. Pour ce faire, j’intro-
duirai une expression forgée par les théologiens, la « réserve eschatologique ».
Pour comprendre cette notion, il est nécessaire d’examiner l’Épître aux
Romains. Alors que Paul dit dans Rm 6 que nous sommes crucifiés avec Jésus-
Christ, il ne va pas jusqu’à dire que nous sommes ressuscités avec lui68. Sensible
© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 11/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 181.66.169.69)
63
Voir ARISTOTE, On the Soul. Parva Naturalia. On Breath, Walter S. HETT, éd, Cambridge,
Harvard University Press, coll. « LCL 288 Aristotle VIII», édition révisée, 2000, p. 288.
René DESCARTES, Méditations touchant la première philosophie, surtout la deuxième et la sixième
méditations ; voir aussi la quatrième partie du Discours de la méthode. Voir Dale B. MARTIN, The
64
DEPRUN, éd., Paris, Vrin, coll. « Bibliothèque d’histoire de la philosophie 98 », édition revue, 1978.
66
Voir aussi Gregory J. RILEY, Resurrection Reconsidered: Thomas and John in Controversy, Min-
neapolis, Minn., Fortress Press, 1995, p. 31 : « Socrates felt it his divine mission to persuade his fellow
Athenians to concentrate their efforts on the cultivation of the good of the soul over against that of the
body. »
Michel FOUCAULT, Histoire de la sexualité, vol. 3 : Le souci de soi, Paris, Gallimard, coll.
« Bibliothèque des histoires », 1976 ; Hannah ARENDT, Vita activa oder Vom tätigen Leben, Munich,
67
Piper, 19812 ; Pierre HADOT, Exercices spirituels et philosophie antique, préface d’Arnold I. DAVIDSON,
Paris, Albin Michel, coll. « Bibliothèque de l’évolution de l’humanité », 20022 ; Peter BROWN, The Body
and Society: Men, Women, and Sexual Renunciation in Early Christianity, New York, Columbia Uni-
versity Press, édition du vingtième anniversaire avec une nouvelle introduction, 2008.
Outre la référence au commentaire de BYRNE (voir note 57), voir Ulrich WILCKENS, Der Brief an
die Römer (Röm 6-11), Zurich/Neukirchen-Vluyn, Benziger/Neukirchener Verlag, coll. « EKKNT 6.2 »,
68
19933, p. 5-33.,
450
p433_456_bovon:Mise en page 1 30/11/11 9:56 Page 451
premiers chrétiens ne fuyaient pas leur corps mais acceptaient leur insertion
dans cette vie. Ils s’efforçaient de respecter leur devoir moral69.
La récente importance donnée au corps nous incite à ne pas revenir au type
de spiritualité telle que la défendait l’éditeur Henri-Louis Mermod – il essayait
d’éduquer le jeune étudiant que j’étais à l’époque – qui proclamait : « Nous
appropriée, car notre âme est intimement dépendante de notre corps et vice
sommes tous des platoniciens, n’est-ce pas70 ? » Cette attitude n’est plus
dans le titre de sa thèse, Very thin things: Toward a Cultural History of the Soul
de l’Université Harvard (Département d’histoire), Gregory Smith, le souligne
Sur la « réserve eschatologique », voir Ernst KÄSEMANN, An die Römer, Tübingen, Mohr Siebeck,
coll. « HNT 8a », 1973, p. 214 et 336 ; Paulinische Perspektiven, Tübingen, Mohr Siebeck, 1969, p. 215.
69
70
Henri-Louis Mermod fut un éditeur influent des années 1940-1960 en Suisse romande. La conver-
sation que j’évoque a eu lieu à Vidy, au bord du lac Léman, alors que la marche matinale appelée
« Chemin du Château à Vidy » se préparait. Cette marche en l’honneur du Major Davel emprunta
Lausanne jusqu’au lieu de son exécution à Vidy. Voir Juste OLIVIER, Le Major Davel, suivi de Hommage
le 24 avril 1959 le chemin que le Major suivit le 24 avril 1723 pour aller de sa prison au Château à
451
p433_456_bovon:Mise en page 1 30/11/11 9:56 Page 452
exclusivement sur le jeu. Et Leder note à juste titre que nous nous souvenons
de notre corps uniquement quand quelque chose ne va pas, ce qu’il appelle un
« dysfonctionnement ». Par conséquent, un troisième résultat positif de
l’engouement récent pour le corps est de nous rappeler notre constitution
fragile – et non héroïque75.
CONCLUSION
gique : Erwin ROHDE, Psyche. Seelencult und Unsterblichkeitsglaube der Griechen, Tübingen, Mohr
75
Parmi les livres et les articles que je n’ai pas encore mentionnés, j’ai choisi par ordre chronolo-
Siebeck, 19105-6 ; Franz CUMONT, Lux perpetua, Paris, Geuthner, 1949 ; nouvelle version éditée par
© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 11/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 181.66.169.69)
Neuchâtel, Delachaux & Niestlé, 19592 ; Karel HANHART, The Intermediate State in the New Testament,
Groningen, V. R. B. Kleine, 1966 ; Walter F. OTTO, Die Manen oder von den Urformen des Totenglau-
bens. Eine Untersuchung zur Religion der Griechen, Römer und Semiten und zum Volksglauben über-
haupt, Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 19763 ; Jan N. BREMMER, The Early Greek
Concept of the Soul, Princeton, N. J., Princeton University Press, 1983 ; Alan E. BERNSTEIN, The
Formation of Hell: Death and Retribution in the Ancient and Early Christian Worlds, Ithaca, N. Y.,
Cornell University Press, 1993 ; Horacio E. LONA, Über die Auferstehung des Fleisches. Studien zur
frühchristlichen Eschatologie, Berlin, de Gruyter, coll. « BZNW 66 », 1993 ; A. I. BAUMGARTEN,
J. ASSMANN, G. G. STROUMSA, éd., Self, Soul and Body in Religious Experience, Leiden, Brill, coll.
in Patristic and Byzantine Literature », DOP 55, 2001, p. 91-124 ; La résurrection chez les Pères, Jean-
« SHR 78 », 1998 ; Nicholas CONSTAS, « “To Sleep, Perchance to Dream”: The Middle State of Souls
D. LEVENSON, Resurrection and the Restoration of Israel: The Ultimate Victory of the God of Life, New
Marc PRIEUR, éd., Strasbourg, Université Marc-Bloch, coll. « Cahiers de Biblia Patristica 7 », 2003 ; Jon
Haven, Conn., Yale University Press, 2006 ; Emmanuela PRINZIVALLI, « La risurrezione nei Padri », in
Morte–Risurrezione nei Padri della Chiesa, Salvatore Alberto PANIMOLLE, éd., Rome, Boria, 2006,
Aspekte spätantiker Körperlichkeit », JAC 50, 2007, p. 5-33 ; Kevin J. MADIGAN, Jon D. LEVENSON,
p. 169-288 ; Barbara FEICHTINGER, « “Quid est autem homo aliud quod caro…” (Tert. adv. Marc. 1, 24).
Resurrection: The Power of God for Christians and Jews, New Haven, Conn., Yale University Press,
2008 ; Christopher GILL, The Structured Self in Hellenistic and Roman Thought, Oxford, Oxford Uni-
versity Press, 2009 ; Turid Karlsen SEIM, Jorunn ØKLAND, éd., Metamorphoses, Resurrection, Body and
Transformation Practices in Early Christianity, Berlin, de Gruyter, coll. « Ekstasis 1 », 2009 ; Nancy
Art », in Robert J. DALY, éd., Apocalyptic Thought in Early Christianity, Grand Rapids, Mich., Baker
PATTERSON ŠEVČENKO, « Images of the Second Coming and the Fate of the Soul in Middle Byzantine
ELKAISY-FRIEMUTH, John M. DILLON, éd., The Afterlife of the Platonic Soul: Reflexions of Platonic
Academic, coll. « Holy Cross Studies in Patristic Theology and History », 2009, p. 250-272 ; Maha
Psychology in the Monotheistic Religion, Leiden, Brill, coll. « Studies in Platonism, Neoplatonism, and
au-delà dans la Bible hébraïque et dans le judaïsme ancien », BCPE 62, 2010, p. 1-53.
the Platonic Tradition 9 », 2009 ; Jean-Daniel MACCHI, Christophe NIHAN, « Mort, résurrection et
452
p433_456_bovon:Mise en page 1 30/11/11 9:56 Page 453
sous une forme qu’on peut nommer l’âme. Ils étaient intéressés par le corps
dans la mesure où il était lié à leur espoir de résurrection et à leur réflexion sur
l’incarnation du Fils. Ils préféraient la première personne du singulier « je » à
tion faite par l’allemand, ils préféraient Leib à Körper. Ils soutenaient une
la troisième personne jugée impersonnelle « elle » ou « il ». Selon la distinc-
453