Vous êtes sur la page 1sur 24

RETOUR DE L'ÂME : IMMORTALITÉ ET RÉSURRECTION DANS LE

CHRISTIANISME PRIMITIF

François Bovon, Mireille Hébert

Institut protestant de théologie | « Études théologiques et religieuses »

2011/4 Tome 86 | pages 433 à 453


ISSN 0014-2239
DOI 10.3917/etr.0864.0433
Article disponible en ligne à l'adresse :
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
https://www.cairn.info/revue-etudes-theologiques-et-
religieuses-2011-4-page-433.htm
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 11/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 181.66.169.69)

© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 11/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 181.66.169.69)


Distribution électronique Cairn.info pour Institut protestant de théologie.
© Institut protestant de théologie. Tous droits réservés pour tous pays.

La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les
limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la
licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie,
sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de
l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage
dans une base de données est également interdit.

Powered by TCPDF (www.tcpdf.org)


p433_456_bovon:Mise en page 1 30/11/11 9:55 Page 433

ETUDES
THÉOLOGIQUES
& RELIGIEUSES
TOME 86 2011/ 4

RETOUR DE L’ÂME :
IMMORTALITÉ ET RÉSURRECTION
DANS LE CHRISTIANISME PRIMITIF
© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 11/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 181.66.169.69)

© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 11/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 181.66.169.69)


Ces pages présentent un plaidoyer en faveur de l’âme face aux nombreux
travaux qui valorisent le corps. Remontant les siècles, François BOVON * met en
évidence l’attitude des auteurs chrétiens de l’Antiquité tardive et souligne
l’importance qu’il convient d’attribuer à l’âme. Il rappelle la position des
auteurs de l’époque apostolique et de Jésus lui-même avant d’évoquer la
contribution éthique des récentes réflexions sur le corps et d’inviter à une
certaine spiritualité.

Dans les années 1950, les exégètes défendaient l’unité de la personne

traduire le mot hébreu néphésh (« vie », « personne ») par « âme », et le meilleur


humaine comme étant le cœur de l’anthropologie biblique1 . On ne devait plus

*
François BOVON est professeur honoraire de l’Université de Genève et Frothingham Research
Professor de l’Université Harvard (traduction assurée par Mireille HÉBERT, revue par l’auteur).

Christianity », in Harvard Theological Review 103:4, octobre 2010, p. 387-406. J’aimerais dire toute
1
Cette étude a paru sous le titre « The Soul’s Comeback: Immortality and Resurrection in Early

Lecture 2009, au doyen William A. Graham pour son aimable introduction et à ma collègue le professeur
ma gratitude à la Harvard Divinity School pour l’invitation qui m’a été faite de donner l’Ingersoll

433
p433_456_bovon:Mise en page 1 30/11/11 9:55 Page 434

FRANÇOIS BOVON ETR

équivalent français du grec psychè était « personne » Dans les années 1970 et
1980, des deux côtés de l’Atlantique le pendule oscilla encore plus loin, jusqu’à
donner la priorité au corps. À Paris, à l’École pratique des hautes études, Pierre
Geoltrain proposait un cours sur le « corps » dans différents textes du Nouveau

publié sous le titre The Corinthian Body2. À Genève, où l’expression corpo-


Testament, tandis qu’aux États-Unis Dale Martin travaillait à un ouvrage qui fut

relle3 était devenue une forme d’enseignement dans le domaine de la danse et


de la pratique rythmique à l’Institut Jaques-Dalcroze, certains chercheurs
néotestamentaires introduisaient l’expérience corporelle dans leur interprétation

body shops et l’attention accrue pour les soins du corps devenait un fait de
de passages bibliques4. Dans le même temps s’ouvraient un peu partout des

société. Nous pouvons dire avec Merleau-Ponty que cette période récente
témoigne d’une redécouverte du corps5.
J’espère que mes nombreux collègues dont les cours ou les publications
comportent le mot « corps » dans leur intitulé me pardonneront si aujourd’hui,
au nom de l’âme, je réagis à ce que je considère être une inflation du corps. Ma
réponse ne sous-entend pas que nous devions négliger l’étude du corps comme
lieu de pratiques sociales et expression de relations de pouvoir. Elle vise
cependant à souligner que l’obsession du corps, c’est-à-dire de ce qui est visi-
© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 11/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 181.66.169.69)

© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 11/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 181.66.169.69)


ble, peut être le reflet d’une absence du divin – de l’invisible – dans une société
foncièrement laïque.
Mon angle d’attaque sera de remonter le temps, autrement dit, de traiter
d’abord quelques auteurs religieux de l’Antiquité tardive, puis dans une

Karen L. King qui, dans sa présentation, a montré de l’empathie pour mon travail et pour moi-même.
Je voudrais aussi remercier Hector G. Amaya et Eunyung Lim, mes assistants. Je remercie également
Linda Grant qui a amélioré l’anglais de cette leçon et qui a contribué à l’édition finale. J’exprime enfin

Harvard Theologidal Rewiew, ainsi qu’à Margaret Studier, secrétaire de rédaction de HTR.
ma reconnaissance aux professeurs Jon D. Levenson et Kevin J. Madigan, les nouveaux éditeurs de la

Voir Pierre GEOLTRAIN, « Origines du christianisme », Annuaire de l’École pratique des hautes
études n° 92, 1983-1984, p. 355-356 ; n° 93, 1984-1985, p. 365-367 ; Dale B. MARTIN, The Corinthian
2

Body, New Haven, Conn., Yale University Press, 1995.


3
En français dans le texte (NdT).
4
C’est toujours physiquement que je ressens la signification des mots « suivre », « attendre » ou

de Pentecôte. Voir François BOVON, « Le dépassement de l’esprit historique » in Le christianisme est-


« être transformé », comme une approche herméneutique de la rencontre avec Jésus ou de l’expérience

il une religion ? Actes du colloque organisé par la Faculté de théologie protestante de l’Université des
sciences humaines de Strasbourg du 20 au 23 mai 1981, Strasbourg, Association des publications de la
Faculté de théologie protestante et Association pour l’étude de la civilisation romaine, coll. « Études et
travaux 5 », 1984, p. 111-124, en particulier p. 120-122.

dans la redécouverte du corps propre. » Maurice MERLEAU-PONTY, Phénoménologie de la perception,


5
La citation complète est : « Avant de poser cette question, voyons bien tout ce qui est impliqué

Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des idées », 1945, p. 232.

434
p433_456_bovon:Mise en page 1 30/11/11 9:55 Page 435

2011/4 RETOUR DE L’ÂME

deuxième partie d’en venir à Origène, Tertullien, Irénée ainsi qu’à d’autres
auteurs chrétiens du IIe et du IIIe siècles. Je me concentrerai ensuite, dans une
troisième partie, sur la promesse de vie éternelle dans l’Évangile de Jean et
dans les Épîtres de Paul ainsi que dans une sentence de Jésus selon l’Évangile
de Matthieu. Ma dernière partie suggérera une voie pour l’expérience spiri-
tuelle aujourd’hui.

I. L’ANTIQUITÉ TARDIVE

Eustrate

Constantinople, écrivit à la fin du VIe siècle un essai polémique intitulé De la


Eustrate, prêtre de Sainte-Sophie et disciple d’Eutychès, patriarche de

condition des âmes après la mort6. Eustrate n’a pas besoin de prouver l’exis-
tence de l’âme ou de sa survie après la mort, car c’était une idée communé-
ment acceptée à son époque. En revanche, il attaque l’opinion de ceux qui
soutiennent que l’âme des défunts entre en sommeil jusqu’à la résurrection. Il
a lui-même la conviction que l’âme a une vie active dans l’autre monde, et sa
défense a un fondement biblique, à commencer par le sang d’Abel qui « crie du
sol » vers le Seigneur (Gn 4, 9)7. L’âme peut intercéder pour les vivants tout
© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 11/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 181.66.169.69)

© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 11/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 181.66.169.69)


comme les vivants peuvent adoucir la souffrance des morts par leurs prières
liturgiques. La position d’Eustrate expose une défense du culte des saints et on
peut considérer qu’elle est très différente de la terminologie de Paul qui parle
du sommeil des défunts. Pourtant, aussi tardivement que le VIe siècle, il y a
encore des chrétiens qui pensent dans les termes archaïques des Épîtres de Paul,
autrement dit, qui estiment que les morts devraient être comparés à des
personnes endormies qui ne sont ni mortes ni vraiment vivantes8. Nous savons
que des auteurs chrétiens de Syrie conservaient cette vision ancienne des morts9.
Enfin, c’est pour moi un plaisir de mentionner dans ce paragraphe la thèse qu’a
récemment soutenue Louis Demos, docteur en théologie, sur Eustrate10.

6
EUSTRATE, De statu animarum post mortem, CPG 7522, Peter Van DEUN, éd., Turnhout, Brepols,
coll. « CCSG 60 », 2006.
7
Ibid., p. 138-141.
8
Ces opposants, selon Eustrate, ne doutent pas que les âmes puissent se manifester de temps en
temps, toutefois en de tels cas elles ne sont pas des moi actifs mais sont mues par la puissance de Dieu.
9
Voir Frank GAVIN, « The Sleep of the Soul in the Early Syriac Church », in JAOS 40, 1920, p. 103-
120.

Constantinople’s De statu animarum post mortem », thèse de doctorat, Harvard University, 2010.
10
Voir Louis DEMOS, « The Cult of the Saints and Its Christological Foundations in Eustratios of

435
p433_456_bovon:Mise en page 1 30/11/11 9:55 Page 436

FRANÇOIS BOVON ETR

Augustin

XXII de La Cité de Dieu, Augustin s’interroge sur la béatitude éternelle dans


À la fin du IVe siècle et au début du Ve, nous pouvons noter que dans le livre

la cité divine : « Mais dans cette cité, tous les habitants seront immortels, des
êtres humains qui pour la première fois jouiront de l’immortalité que les saints
anges n’ont jamais perdue11. » Ce sera, souligne-t-il, le fruit de la volonté bien-
veillante de Dieu12, telle qu’elle s’exprime dans Es 26, 19 et 65, 17-19 ; Dn 12,
1-213. Il propose alors une argumentation à la fois rationnelle et affective pour
soutenir sa propre vision de la survie de la personne. Son argument rationnel est
le suivant : si à chaque naissance d’un humain Dieu est assez puissant pour
joindre une âme au corps, il le sera suffisamment à la fin des temps pour ajou-
ter un corps à une âme14. L’argument affectif admet que la résurrection est certes
difficile à croire, mais grâce à la foi et à l’amour nous croyons en deux événe-
ments qui se sont déjà produits, la propre résurrection du Christ et le succès de
la mission chrétienne. La résurrection de Jésus n’est pas un événement spiri-
tuel : les chrétiens croient et savent que c’est la personne physique de Jésus qui
s’est levée d’entre les morts. La résurrection des morts est la conséquence de
la résurrection de Jésus-Christ15.
© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 11/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 181.66.169.69)

© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 11/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 181.66.169.69)


Jérôme

Alors que l’argumentation d’Augustin représente une synthèse sur la

controverses de quatre siècles d’enquête chrétienne. Dans l’Epistula CXIX ad


résurrection, celle de Jérôme témoigne de la diversité, des tensions et des

Mineruium et Alexandrum, Jérôme, fin bibliste, fonde sa discussion de la


résurrection sur 1 Co 15, plus précisément sur le verset 51 où l’apôtre Paul
révèle le « mystère » de la résurrection. Comprendre ce mystère est particuliè-
rement complexe (Jérôme le sait), car le texte de 1 Corinthiens est douteux à
cet endroit. Certains manuscrits grecs traduisent : « Nous mourrons tous, mais
nous ne serons pas tous transformés » ; d’autres disent : « Nous ne mourrons

11
AUGUSTIN, La Cité de Dieu, XXII, 1.
12
Ibid., XXII, 2.
13
Ibid., XXII, 3.
14
Ibid., XXII, 4.
15
Ibid., XXII, 6-7. Augustin confirme son point de vue avec une double référence au témoignage
de la foi et du sang. Rejetant l’argument contemporain cosmologique selon lequel à la résurrection le
corps ne sera pas autorisé à atteindre le sommet de la création, il affirme que les ressuscités résideront
au-dessus de la terre, de l’eau, de l’air et du ciel, parce que leurs corps ne seront point de chair mais
d’esprit (X, 11). Voir aussi XXII, 21.

436
p433_456_bovon:Mise en page 1 30/11/11 9:55 Page 437

2011/4 RETOUR DE L’ÂME

pas tous, mais tous nous serons transformés »16. Cette différence textuelle
reflète l’hésitation des théologiens et des scribes qui a duré plusieurs siècles.
Dans cette longue épître17, Jérôme présente d’abord un éloquent status
quæstionis. Diodore de Tarse, lisant probablement la première variante, soutient
que l’incorruptibilité suivra la mort universelle pour tous, mais que la
transformation (probablement en un corps glorieux) sera réservée aux justes

mais in fine leur interprétation est proche de celle de Diodore.


ou aux élus. Didyme d’Alexandrie et Acace de Césarée insistent sur le mystère,

La seconde variante, explique Jérôme, est défendue entre autres par Théodore
d’Héraklion et Apollinaire de Laodicée, mais selon deux interprétations diver-
gentes. Ceux qui « ne mourront pas » peuvent être ceux qui seront encore
vivants le jour de la parousie ou – plus intéressant – ils peuvent être les croyants
dont il est question en Jean 11, 25-26, où il est dit que croire maintenant c’est
franchir la frontière de la mort et passer de la mortalité à l’immortalité18.
Après ce long parcours, Jérôme opte pour une solution proche de la position
d’Augustin, soutenant que la mort du corps n’est pas la fin de la personne
humaine. Mais la diversité des interprétations patristiques tout comme l’insta-
bilité du texte biblique montrent clairement que le problème de l’immortalité,
la destinée de l’âme et l’espérance d’une résurrection du corps restèrent des
© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 11/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 181.66.169.69)

© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 11/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 181.66.169.69)


sujets brûlants jusque tard dans l’histoire du christianisme19.

Grégoire de Nysse

Grégoire de Nysse écrivit L’âme et la résurrection quelques jours après la mort


Venons-en maintenant à un théologien grec du christianisme du IVe siècle.

Voir E. NESTLE, K. ALAND, Novum Testament Græce, Stuttgart, Deutsche Bibelgesellschaft,


200627, apparatus criticus ad loc.
16

17
JÉRÔME, Lettres, Jérôme LABOURT, éd., 8 vol., Paris, Les Belles Lettres, coll. « Collection des
Universités de France », 1958, vol. 6, p. 97-120.
18
Ceux qui croient ont une âme vivante et imitent la destinée des apôtres, tandis que ceux qui ne
croient pas ont une âme qui est déjà morte même s’ils sont toujours physiquement en vie. Jérôme

comme la vie physique de l’ascétisme (une vie physique hic et nunc selon l’esprit et non la chair).
mentionne que cette opinion est celle d’Origène qui, à ses yeux, comprend la vie éternelle des croyants

19
À la fin de sa lettre Jérôme mentionne même une troisième variante textuelle de 1 Co 15, 51,
conservée selon lui uniquement dans la version latine de la Première aux Corinthiens : « Omnes
quidem resurgemus, non omnes autem inmutabimur » (« Nous serons tous ressuscités ; cependant, nous

Deutsche Bibelgesellschaft, 1983) un « sed » (« mais ») figure avant « non omnes autem inmutabi-
ne serons pas tous transformés »). À noter que dans la troisième édition de la Vulgate (Stuttgart,

mur ». En fait, cette troisième variante se trouve dans le codex Claromontanus, un manuscrit bilingue
en grec et latin (D=06). Elle est donc attestée dans au moins un manuscrit en grec.

437
p433_456_bovon:Mise en page 1 30/11/11 9:55 Page 438

FRANÇOIS BOVON ETR

Parfois comparé au Phédon de Platon, à cause de son style dialogué et de son sujet,
de son frère Basile le Grand, et alors que sa sœur Macrina était à l’agonie20.

Grégoire attribue respectueusement à sa sœur le rôle de Socrate, le sage pédagogue,


et modestement se réserve le rôle de l’élève. Platonicienne par sa défense de
l’immortalité de l’âme et de sa nature spirituelle, l’œuvre est aristotélicienne dans son
affirmation de la naissance simultanée de l’âme et du corps et sa négation d’une
quelconque migration de l’âme. Ce qui m’intéresse ici, c’est la première préoccu-
pation de Grégoire, sa recherche d’une définition de l’âme qui établisse un parallèle
entre le Dieu invisible et l’âme spirituelle. Sa seconde préoccupation est d’harmo-
niser la désintégration du corps après la mort avec la croyance en la résurrection de
la chair. Ainsi, des péchés tels que la colère et le désir, même s’ils sont liés à l’âme,
ne font pas partie de la personne humaine.
Grégoire ne voit pas non plus la continuité de la personne après la mort dans la
présence physique de reliques ou dans l’attention toute-puissante de Dieu, mais dans
la mémoire que l’âme conserve de tous les détails concernant son frère le corps. La
parabole du riche et de Lazare (Luc 16, 19-31) ne confronte pas les corps ressusci-
tés en enfer à ceux ressuscités au paradis, mais parle des âmes qui se souviennent de
leurs partenaires corporels. Grégoire considère la vie après la mort – étrangement,
plus conjecturée que décrite – non pas comme un temps de récompense ou de
punition, mais, sous l’influence d’Origène21, comme un long processus d’entraîne-
© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 11/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 181.66.169.69)

© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 11/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 181.66.169.69)


ment et d’éducation dans une sorte de réhabilitation morale. Cette perspective opti-

mort – non pas une consolation facile comme la billige Gnade (« la grâce bon
miste confirme le principal objectif de Grégoire : trouver de la consolation face à la

marché ») condamnée par Dietrich Bonhoeffer, mais une véritable consolation.

II. DEUXIÈME ET TROISIÈME SIÈCLES

Origène

Au IIIe siècle, dans le De principiis d’Origène, nous découvrons le savoir-


faire de l’exégète biblique et la sophistication du théologien22. Même s’il est

GRÉGOIRE de Nysse, Dialogus de anima et resurrectione, PG 46, col. 11-160. En anglais, On the
Soul and the Resurrection, Philip SCHAFF, Henry WACE, éd., in Nicene and Post-Nicene Fathers [1893],
20

deuxième série, t. 5, réimpr. Peabody, Mass., Hendrickson, 1994, p. 428-468 ; On the Soul and the
Resurrection, traduction et introduction de Catherine P. ROTH, Crestwood, N. Y., St. Vladimir’s Semi-
nary Press, 2002. En français, L’âme et la résurrection, trad. Christian BOUCHET, introduction Bernard
POTTIER, notes Marie-Hélène CONGOURDEAU, Paris, Migne, 1998.
Voir Walther VÖLKER, Das Vollkommenheitsideal des Origenes. Eine Untersuchung zur
Geschichte der Frömmigkeit und zu den Anfängen christlicher Mystik, Tübingen, Mohr Siebeck, coll.
21

« BHT 7 », 1931, p. 36-38, 215-222.


22
ORIGÈNE, De principiis, III, 6.

438
p433_456_bovon:Mise en page 1 30/11/11 9:55 Page 439

2011/4 RETOUR DE L’ÂME

condamné par certains dès le IVe siècle pour son eschatologie et sa spiritualisation,
son interprétation de l’immortalité et de la résurrection aura une grosse
influence. Toute vie spirituelle cherche à devenir semblable à Dieu. Si Dieu a créé
les êtres humains à son image (imago) lors de la création, à la résurrection ceux
qui seront sauvés le seront dans un état encore plus proche de Dieu (similitudo)23.
Alors que Jérôme pense que la transformation finale ne prendra qu’un instant,
dans l’esprit d’Origène il s’agit d’un long processus d’éducation spirituelle.
Dans un autre passage du De principiis, Origène médite sur la punition et
la récompense24. Dans son effort pour expliquer qui affrontera le jugement
dernier, il réagit vivement contre ceux qu’il qualifie d’hérétiques qui limitent
la survie de l’âme, et insiste sur le fait que ce seront nos âmes et nos corps à la
fois qui hériteront la vie éternelle. Cette continuité est importante pour
Origène : ce sont nos propres corps qui seront ressuscités. Par ailleurs, il critique
les croyants qui s’attendent simplement à un retour à la vie de leur corps de
chair tel qu’il est. Nos corps relevés, précise-t-il, seront de nature spirituelle, car,
ainsi que le dit l’apôtre Paul, « la chair et le sang n’hériteront pas le royaume
de Dieu » (1 Co 15, 50). Nous habiterons notre corps spirituel et nous aban-
donnerons notre corps animal. Ainsi, Caroline Bynum oppose-t-elle deux
métaphores : l’une – périlleuse – est la reconstruction du corps comme une
maison, l’autre – plus efficace – est la graine qui se transforme en plante25.
© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 11/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 181.66.169.69)

© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 11/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 181.66.169.69)


Origène, comme Paul, préfère la métaphore de la graine. Le corps glorifié sera
à la fois un prolongement et une disjonction du corps naturel. Il sera sembla-
ble et différent, tout comme une plante est la continuité d’une graine bien
qu’elle ait une tout autre apparence. Le changement viendra de la grâce de
Dieu, mais par les exercices spirituels de leurs âmes sur leurs corps les croyants
coopèrent à l’effort divin.

Tertullien

Tertullien écrit le De anima en 210 ou au début de 21126. La difficulté qu’on


a à interpréter cette œuvre complexe commence avec la question : pourquoi

Derrière la traduction latine imago doit se trouver le grec eikôn, et derrière similitudo, homoiô-
sis. Irénée avait déjà utilisé cette distinction, fondée sur une exégèse de Gn 1 ; voir IRÉNÉE de Lyon,
23

Adversus hæreses, IV, 38, 3-4 ; V, 6, 1 ; V, 28, 4 ; V, 36, 3. CLÉMENT d’Alexandrie, Les Stromates,
II, 8, 38 et II, 22, 131, utilise aussi cette distinction à la manière d’Irénée.
24
ORIGÈNE, De principiis, op. cit., II, 10.
25
Carolyn Walker BYNUM, The Resurrection of the Body in Western Christianity, 200-1336, New
York, Columbia University Press, coll. « Lectures on the History of Religion 15 », p. 1-43.
Voir TERTULLIEN, De anima, mit Einleitung, Übersetzung und Kommentar, Jan H. WASZINK, éd.,
Amsterdam, H. J. Paris, 1933, p. 9. Plus récent, voir TERTULLIEN, Opera, 2 vol., Jan H. WASZINK, éd.,
26

Turnhout, Brepols, coll. « CCSL 1-2 », 1954, vol. 2, p. 779-869.

439
p433_456_bovon:Mise en page 1 30/11/11 9:55 Page 440

FRANÇOIS BOVON ETR

Tertullien écrit-il sur l’âme ? Deux choses sont indéniables : d’une part Tertullien
n’écrit pas pour clarifier sa pensée, d’autre part il n’a pas en face de lui un seul
adversaire insigne mais plusieurs. Il s’oppose à Pythagore et à sa vision de la
migration des âmes, âmes que lui-même décrit comme instables, qui vont et
viennent sans repos (§ 28). Il s’oppose à Platon, lui reprochant la nature spiri-
tuelle qu’il attribue à l’âme (§ 4, 9 et 24). Il s’oppose à ce qu’il appelle la
solution des magiciens, qui prétendent vaincre la mort en usant de formules
magiques et de supercheries (§ 57). Pour Tertullien l’âme est corporelle.
Philosophiquement, c’est lui qui est le plus proche des stoïciens, sauf que pour
lui l’âme est le fruit d’une création du Dieu transcendant, vrai et unique.
La longue liste des adversaires chrétiens de Tertullien témoigne du
brassage des points de vue chrétiens au IIe siècle. La vision de Saturnin, pour
qui à la mort l’âme s’envole directement au ciel, le choque (§ 23). Il a en
particulier de l’aversion pour la métempsychose et la métensomatose, deux
mots grecs qu’il utilise pour la réincarnation, réfutant ainsi Carpocrate et, avant
lui, Simon le magicien. Il lui est impossible d’être d’accord avec Apelle, le
disciple de Marcion, qui sépare les âmes masculines et féminines et, en fin de
compte, avec Ménandre qui avait conservé une formulation archaïque des

bonne dose de mauvaise foi27, Tertullien ridiculise Ménandre, disant qu’il


Évangiles et croyait que la vie future peut s’appeler vie et non mort. Doté d’une
© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 11/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 181.66.169.69)

© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 11/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 181.66.169.69)


refusait de mourir.
Contre tous ces adversaires, Tertullien construit une défense intellectuelle :
il fait confiance à la tradition religieuse chrétienne et non à la sagesse philoso-
phique. Il croit d’après les Écritures que l’âme est créée par l’esprit de Dieu
(§ 1). L’âme a un commencement (§ 4), et le jour de sa naissance coïncide avec

l’âme après la mort est physique (§ 7) et possède une certaine forme (une effi-
celui du corps. La parabole du riche et de Lazare (Lc 16, 19-31) prouve que

gies animæ, § 9)28. La mort consiste en la séparation du corps et de l’âme, la


suspension temporaire de ce que Tertullien nomme societatem carnis atque
animæ (« la compagnie du corps et de l’âme » [§ 37]). L’âme après la mort ne

des morts (apud inferos). Tertullien visualise très concrètement cet espace, alors
monte pas triomphalement au ciel, comme nous l’avons vu, mais va au royaume

Cappadocien c’est une qualité de survie. Mais pour Tertullien, apud inferos est
que Grégoire de Nysse refuse de considérer l’Hadès comme un lieu. Pour le

un espace liminal, l’endroit d’une transition entre la vie et la résurrection. On

27
En français dans le texte (NdT).
Comme nous l’avons vu, GRÉGOIRE de Nysse donne une interprétation différente. Voir Dialogus,
op. cit., p. 391. Pour TERTULLIEN, De anima, op. cit., p. 11-12, l’âme est une et simple. Sa force et son
28

pouvoir est l’animus, l’équivalent de l’intelligence (mens, nous). Sa « partie directrice » l’hégemonikon
(un terme stoïcien) est l’équivalent de ce que la Bible appelle le « cœur », ibid., XV, 1 et 4.

440
p433_456_bovon:Mise en page 1 30/11/11 9:55 Page 441

2011/4 RETOUR DE L’ÂME

ne doit donc pas attendre le Moyen Âge pour célébrer la naissance du purga-
toire29. Sa réalité – sans le terme – est présente dans les œuvres de Tertullien,
et les écrits d’Origène et de Grégoire de Nysse. Tous ces théologiens de l’An-
tiquité tardive s’attendent à ce que la période entre la mort et la résurrection soit
un temps de rééducation, de punition temporaire et de premiers châtiments30.

Irénée

Outre sa propre position, Irénée mentionne celle de ses adversaires31. De


cette façon, il témoigne de l’existence d’une interprétation spirituelle qu’on
trouve chez plusieurs auteurs du IIe siècle. Il y a des « hérétiques » (aux yeux
d’Irénée) qui négligent la chair et prétendent que, délivrés du fardeau du corps,
les élus à leur mort ont directement accès à Dieu. Irénée ajoute ici un commen-
taire intéressant : tous ses adversaires, dit-il, s’appuient sur l’affirmation de

(v. 50), pour étayer leur position. Mais, dans le livre V de l’Adversus hæreses
Paul dans 1 Co 15, « la chair et le sang ne peuvent hériter du royaume de Dieu »

où Irénée défend la sienne, nous découvrons qu’il utilise exactement la même


autorité et la même source, 1 Co 15, pour soutenir la position doctrinale
© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 11/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 181.66.169.69)

© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 11/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 181.66.169.69)


29
Jacques Le Goff fait une distinction entre la formation de la croyance en un purgatoire, déjà
présente dans l’Antiquité, et la naissance du purgatoire même au Moyen Âge : « Je me propose de
suivre la formation séculaire de ce troisième lieu depuis le judéo-christianisme antique, d’en montrer

succès au cours du siècle suivant. » Jacques LE GOFF, La naissance du Purgatoire, Paris, Gallimard, coll.
la naissance au moment de l’épanouissement médiéval dans la seconde moitié du XIIe siècle, et le rapide

« Folio Histoire 31 », 1991, p. 9.

s’était répandu avec succès au IIIe siècle comme dans les siècles suivants. Dans les Actes de Philippe
30
Le message chrétien de l’espérance eschatologique à travers l’expression de la vie immortelle

(trad. Bertrand BOUVIER, François BOVON, présent. et notes Frédéric AMSLER), XII, 8, même les animaux
se convertissaient et exprimaient leur gratitude par la prière suivante : « Nous te glorifions Seigneur, Fils

lieu d’un corps animal. » in Écrits apocryphes chrétiens, tome I, François BOVON, Pierre GEOLTRAIN,
unique de Dieu, pour la vie immortelle dans laquelle nous sommes nés, ayant reçu un corps humain au

dir., Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade 442 », 1997, p. 1285. Dans l’Histoire de Joseph
le charpentier (trad., présent. et notes Anne BOUD’HORS), XXIV, 4, conservée en copte, la mort est
interprétée comme une sortie du corps. Et quant à cette mort Jésus, qui est supposé parler dans ce texte,

nelle. » in Écrits apocryphes chrétiens, tome II, Pierre GEOLTRAIN, Jean-Daniel KAESTLI, dir., Paris,
observe que : « Oui, il est mort, mais cette mort de mon père Joseph n’est pas une mort, c’est la vie éter-

Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade 516 », 2005, p. 53. Tout le monde doit mourir, même les

mourir avant la résurrection finale). Dans le texte en arménien, Martyre de Thaddée arménien (trad.,
plus saints tels que Joseph, Énoch et Élie (même s’ils sont transportés au ciel, Énoch et Élie devront aussi

présent. et notes Valentina CALZOLARI-BOUVIER), XXII, l’apôtre, qui est glorifié pour avoir converti

ibid., p. 688. Ce qui veut dire qu’il peut mettre ceux qu’il convertit sur le chemin de la vie éternelle. Le
Sandoukht, la fille du roi, est considéré être « un mode de vie et une médication pour l’immortalité »,

livre huit des Oracles sibyllins (trad., présent. et notes de J.-M. ROESSLI), VIII, 310-317, présente la

une source d’immortalité, ibid., p. 1077.


passion du Christ de manière poétique : pendant son agonie, le Fils a mis à mort la mort et il est devenu

31
IRÉNÉE, Adversus hæreses, op. cit., V, 1-14. En français Contre les hérésies. Livre V, Adelin
ROUSSEAU, Louis DOUTRELEAU, Charles MERCIER, éd., Paris, Cerf, coll. « SC 152-153 », 1969.

441
p433_456_bovon:Mise en page 1 30/11/11 9:55 Page 442

FRANÇOIS BOVON ETR

contraire (en particulier le verset 44). La bataille des interprétations, sujet cher
à Paul Ricœur32, est déjà bien engagée au IIe siècle.
Mais nous devons être honnête avec Irénée : l’évêque de Lyon n’est pas
seulement le champion de la résurrection de la chair. Il qualifie sa position en
faisant le contraste suivant : tout comme Adam fut marqué par le souffle naturel
(pnoè), le Christ fut relié à l’Esprit divin (pneuma). De même, après leur vie
naturelle, les êtres humains se lèveront d’entre les morts dans un corps, mais ce
sera un corps transformé, un corps spirituel33.

Autres auteurs chrétiens du IIe siècle

Le IIe siècle fut pour les chrétiens une période d’incertitude et d’opinions
conflictuelles. Comparés aux auteurs de la seconde sophistique, les chrétiens
apparaissent naïfs et inexpérimentés dans leurs écrits. Comparés aux stoïciens
et aux autres philosophes, ils présentent des points de vue anthropologiques
inconsistants. La manière dont ils utilisent des mots tels que « âme », « intelli-
gence » ou « esprit » est souvent très vague. Et, surtout, il y a hésitation quant
à la vie future. Certains soulignent l’implication de la chair dans le processus
de la résurrection, tandis que d’autres se satisfont de l’aspect spirituel de la
© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 11/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 181.66.169.69)

© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 11/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 181.66.169.69)


résurrection. Cette diversité des opinions reflète les ambiguïtés des premiers
documents chrétiens qui constitueront le fonds des écrits normatifs, en parti-
culier 1 Co 15, et l’absence de formation intellectuelle chez bien des chrétiens.
Mais, plus encore, elle reflète la préoccupation du christianisme primitif pour
le message de salut : ce qui compte vraiment pour les chrétiens de cette époque
n’est pas une définition de l’âme ou une distinction philosophique des parties
du moi, mais l’espérance d’une vie future et une relation d’espérance et
d’amour avec le divin. Plus la promesse de la vie éternelle est claire, plus la
définition du moi est vague.

Odes de Salomon, où l’anthropologie n’intervient que sous la forme du


On en veut pour preuve la poésie chrétienne primitive, en particulier les

pronom personnel « je », et où la sotériologie brille d’une grande variété


d’expressions poétiques telles que le Fils m’a aimé le premier et je l’aime. Je

pas sera lui aussi immortel » (Odes de Salomon 3, 8)34. Tel est l’enseignement
deviendrai « fils » ou « fille » moi-même : « Lors ce qui s’unit à ce qui ne meurt

32
Paul RICŒUR, Le conflit des interprétations. Essais d’herméneutique, Paris, Seuil, coll. « L’ordre
philosophique », 1969.
33
IRÉNÉE, op. cit., V, 12, 1-4.
34
Michael LATTKE, Odes of Solomon: A Commentary, trad. Marianne EHRHARDT, Minneapolis,

Joseph PIERRE in Écrits apocryphes chrétiens, tome I, op. cit.


Minn., Fortress Press, coll. « Hermeneia », 2009, p. 35. La traduction française est celle de Marie-

442
p433_456_bovon:Mise en page 1 30/11/11 9:55 Page 443

2011/4 RETOUR DE L’ÂME

de l’esprit du Seigneur (ibid., 3, 10)35. Le Seigneur a ouvert mon cœur à sa


lumière et il « fit habiter en moi sa vie immortelle » (ibid., 10, 2)36. « Je bus et
m’enivrai des eaux vivantes, immortelles » (ibid., 11, 7 [grec])37. « Je vêtis
l’incorruptible au moyen de son Nom, dépouillai le corruptible en sa Grâce.
Mort se corrompit devant ma Figure, Sheol cessa en ma parole » (ibid., 15, 8-9)38.

la Troisième épître aux Corinthiens défendent une doctrine de la résurrection


Les apologistes Athénagore, Pseudo-Justin et l’auteur de ce qu’on a appelé

de la chair, mais pour eux l’âme reste importante39. La chair aide à jeter une

passerelle40. Ce qui devient évident quand on lit Prière et apocalypse de Paul,


passerelle entre la mort et la résurrection, mais l’âme est encore mieux qu’une

un texte récemment découvert que nous avons édité et traduit Bertrand Bouvier
et moi41. Cette apocalypse décrit les destins opposés du pécheur et de l’élu à

35
Ibid.
36
Ibid., p. 140.
37
Ibid., p. 149.
38
Ibid., p. 206.
Voir ATHÉNAGORE, Supplique au sujet des chrétiens et Sur la résurrection des morts, Bernard
POUDERON, éd., Paris, Cerf, coll. « SC 379 », 1992 ; en anglais, Embassy for the Christians: The
39

Resurrection of the Dead, traduit et annoté par Joseph Hugh CREHAM, Westminster, Md., Newman, coll.
© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 11/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 181.66.169.69)

© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 11/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 181.66.169.69)


« ACW 23 », 1956. PSEUDO-JUSTIN, Sulla resurrezione. Discorso cristiano del II secolo, Alberto
D’ANNA, éd., Brescia, Morcelliana, coll. « Letteratura Cristiana Antica », 2001 ; en allemand, Über die
Auferstehung. Text und Studie, Martin HEIMGARTNER, éd., Berlin, de Gruyter, 2001 ; PSEUDO-JUSTIN,
Terza Lettera ai Corinzi, Pseudo-Giustino, La risurrezione, Alberto D’ANNA, éd., Milan, Paoline, coll.
« Letture Cristiane del Primo Milennio », 2009. Vahan HOVHANESSIAN, Third Corinthians: Reclaiming
Paul for Christian Orthodoxy, New York, Lang, 2000. Récemment deux étudiants de Harvard ont
soutenu leur thèse de doctorat sur les sujets traités dans cet article : Taylor PETREY, « Carnal Resurrection:

« Remembering the Acts of Paul », Havard University, 2010.


Sexuality and Sexual Difference in Early Christianity », Havard University, 2010 ; Glenn E. SNYDER,

40
Dans la Vision d’Esdras (recension B), Esdras est emmené par sept anges pour visiter les enfers
et par quatre archanges pour visiter le septième ciel. Puis il doit mourir et, comme beaucoup de bons
croyants, il a peur de la mort. Le Seigneur le console en lui disant que son corps retournera sur la terre

recensions latines sont obligatoirement plus tardives (IVe-IXe siècle). Voir Vision d’Esdras (trad., présent.
tandis que son âme retournera à Dieu. On peut dater ce document du IIe siècle apr. J.-C., mais les

et notes Flavio G. NUVOLONE) in Écrits apocryphes chrétiens, tome I, op. cit., p. 593-632, en particu-
lier p. 631. Puis, dans le Cinquième livre d’Esdras 2, 45 (trad., présent. et notes Pierre GEOLTRAIN),
quand le spectateur observe le Fils en compagnie d’une foule de croyants et demande qui sont ces gens,

qui ont confessé le nom de Dieu ; à présent, ils sont couronnés et reçoivent des palmes. » in Écrits
on lui répond : « Ce sont ceux qui ont déposé la tunique mortelle et ont pris l’immortelle tunique, eux

apocryphes chrétiens, tome I, op. cit., p. 650. Ce texte date probablement de la seconde moitié du
IIe siècle ou du début du IIIe.

Voir Bertrand BOUVIER, François BOVON, « Prière et apocalypse de Paul. Un fragment grec
inédit conservé au Sinaï. Introduction, texte, traduction et notes », in Apocrypha 15, 2004, p. 9-20.
41

Même si le texte est postérieur au IIe siècle, il défend la même position que l’Apocalypse de Pierre et
l’Apocalypse de Paul. Sur ces deux apocalypses du christianisme primitif, voir la note 45 infra. Voir
Louise DUDLEY, The Egyptian Elements in the Legend of the Body and the Soul, Baltimore, Md., Furst,
1911 ; « An Early Homily on the “Body and Soul” Theme », in Journal of English and German Philology
8, 1909, p. 225-253.

443
p433_456_bovon:Mise en page 1 30/11/11 9:55 Page 444

FRANÇOIS BOVON ETR

l’instant de la mort et pendant le long séjour au royaume des morts en attendant


la résurrection finale. Suivant les scénarios byzantins et ceux du christianisme
primitif, nous entendons ici deux dialogues typiques entre l’âme et le corps, un
pour le pécheur et un pour le juste. Dans le cas du juste, l’âme remercie et
félicite le corps pour leur vie harmonieuse ensemble, comme des frère et sœur
aimants. L’attitude noble et éthique des deux pendant cette vie garantit l’unité
de leur personne au jour de la résurrection. Ils peuvent donc se séparer à l’heure
de la mort avec l’espoir d’être réunis à la fin des temps.
Une question se pose : dans leurs efforts pour donner la vie à l’âme après
la mort, quelle fonction les chrétiens attribuaient-ils au corps ? Comme pour
l’âme, les opinions sont diverses – et souvent contradictoires. Une réponse très
banale est de glorifier le sort futur de l’âme qui échappe au corps considéré
comme une prison (ici bien sûr l’influence de la tradition platonicienne est
incontestable). Même si on se doit de faire de prudentes distinctions, c’est la

l’Exégèse de l’âme (NHC II, 6), la Lettre à Rheginus ou le Traité sur la résur-
solution adoptée par plusieurs textes qualifiés de gnostiques42, en particulier

rection (NHC I, 4)43. Certes, nous trouvons aussi des réflexions anthropolo-
giques dans des textes tels que l’Évangile de Marie44. Dans ce document,
l’auteur relie la matière aux passions et la vision du Seigneur à l’intelligence,
© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 11/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 181.66.169.69)

© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 11/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 181.66.169.69)


qui est une partie du moi distincte de l’âme et de l’esprit humain. Mais ici aussi
la sotériologie est au centre de la réflexion, et entre les deux tendances

premier. Le chapitre 9 de l’Évangile de Marie décrit l’ascension de l’âme.


mentionnées – le salut spirituel et le salut physique – il choisit clairement le

Une deuxième solution souligne l’unité de la personne à la lumière du sort


réservé à ses différentes parties. Bien que le corps qui meurt soit distinct de
l’âme vivante, le destin de l’âme dans la vie future dépend de l’engagement
moral du corps dans cette vie, et la réunion des deux est attendue pour le jour

J’hésite à mentionner ici l’Évangile de la vérité (NHC I, 3 et XII, 2). Voir Évangile de la vérité
(trad. Anne PASQUIER, présent. et notes Einar THOMASSEN), XX, 10-14 et 30-36 in Écrits gnostiques. La
42

bibliothèque de Nag Hammadi, Jean-Pierre MAHÉ, Paul-Hubert POIRIER, dir., Paris, Gallimard, coll.
« Bibliothèque de la Pléiade 538 », 2007, p. 61 ; Harold ATTRIDGE, George W. MACRAE, The Gospel of
Truth (I, 3 et XII, 2), in The Nag Hammadi Library in English, James M. ROBINSON, éd., New York,
HarperSanFransisco, 19903, p. 38-39. À propos de ce document Hurtado écrit : « In the Gospel of truth,
however, Jesus’ death does not provide a ransom for sins. Instead, it vividly portrays the futility and

consequence of Jesus’ own pathfinding action. » Larry W. HURTADO, Lord Jesus Christ: Devotion to
unimportance of the flesh, and the secret of the transcendent destiny to which the elect can aspire in

Jesus in Earliest Christianity, Grand Rapids, Mich., Eerdmans, 2003, p. 545.


Voir Malcolm L. PEEL, The treatise on the Resurrection (I, 4), in The Nag Hammadi Library,
op. cit., p. 52-54. Le lecteur français consultera Écrits gnostiques. La Bibliothèque de Nag Hammadi,
43

op. cit.
44
Voir Karen L. KING, The Gospel of Mary of Magdala: Jesus and the First Woman Apostle, Santa
Rosa, Calif., Polebridge, 2003.

444
p433_456_bovon:Mise en page 1 30/11/11 9:56 Page I

© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 11/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 181.66.169.69)

© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 11/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 181.66.169.69)

Fig. 1 : Femme en prière, orante. Rome, Catacombes de Sainte-Priscille, chambre


sépulcrale dite du « voilement ».

I
p433_456_bovon:Mise en page 1 30/11/11 9:56 Page II

Fig. 2 : Les patriarches Isaac, Abraham et Jacob portant les âmes


des bienheureux. Fresque de Théophane le Crétois, 1512. Mont
Athos, réfectoire de la Grande Laure.
© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 11/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 181.66.169.69)

© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 11/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 181.66.169.69)

Image tirée d’un Psautier, le Dionysiou 65. Mont Athos, Monastère


Fig. 3 : Ange luttant pour faire sortir l’âme du corps d’un moine.

de Dionysiou.

II
p433_454_bovon:Mise en page 1 12/12/11 11:22 Page 445

2011/4 RETOUR DE L’ÂME

d’Origène sur le Martyre, et dans diverses apocalypses45.


de la résurrection. C’est la vision orthodoxe que nous trouvons dans le traité

Il existe une version particulière de ce respect de la personne humaine,


visible dans le corps, en tant qu’image de Dieu. Cette évaluation positive du
corps irradie dans la personne tout entière, l’âme en particulier. En effet, le

du christianisme primitif et leurs commanditaires46 ou leurs protecteurs. Dans


corps devient une métaphore de l’âme. C’est l’option choisie par les artistes

le domaine de l’art, dont les témoignages conservés sont le plus souvent des

en d’autres termes l’image post mortem de l’existence du moi. Dans la fresque


œuvres funéraires, la représentation du corps peut devenir l’image de l’âme,

de l’orante (Fig. 1), la femme en prière aux bras tendus est peut-être la méta-
phore de l’âme qui s’en va. Ainsi que le dit Émile Mâle, peindre ou sculpter
cette image c’est exprimer sa foi dans l’immortalité : « Les peintures les plus
anciennes des catacombes respirent cette douceur et traduisent cette foi dans
l’immortalité et il est peu de chefs-d’œuvre qui nous touchent autant que ces
pauvres fresques à moitié effacées47. »

III. L’ÉVANGILE DE JEAN, PAUL ET JÉSUS


© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 11/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 181.66.169.69)

© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 11/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 181.66.169.69)


Pourquoi ai-je intitulé cet exposé « Retour de l’âme » ? En tout état de cause,
je ne veux pas dire l’immortalité de l’âme, au sens de Platon, par opposition à
la résurrection des corps de la tradition chrétienne. Non, je parle de l’espérance
chrétienne d’une vie future du moi, par opposition à l’obsession actuelle du
corps dans un cadre de vie limité par la mort en tant qu’ultime perspective.
Deux citations m’aideront à rendre ce que je veux souligner. La première est de
Jean Calvin dans son commentaire de Mt 10, 28 (« Ne craignez pas ceux qui
tuent le corps mais ne peuvent tuer l’âme, craignez plutôt celui qui peut faire
périr âme et corps dans la géhenne »). Il écrit : « Car qui est cause qu’au
combat la crainte des hommes l’emporte, sinon pour ce qu’on préfère le corps
à l’âme, et que l’immortalité est moins estimée que ceste vie caduque48 ? » J’ai

Sur ORIGÈNE, voir supra p. 438-439 et infra p. 446. Voir aussi Apocalypse de Pierre, trad. Paolo
MARRASSINI, présent. Richard BAUCKHAM, notes R. BAUCKHAM, P. MARRASSINI, in Écrits apocryphes
45

chrétiens, tome I, op. cit., p. 745-774 ; Apocalypse de Paul, trad., présent. et notes Claude-Claire
KAPLER, René KAPLER, ibid., p. 775-826 ; Claude CAROZZI, Eschatologie et au-delà. Recherches sur
l’Apocalypse de Paul, Aix-en-Provence, Publications de l’Université de Provence, 1994.

Émile MÂLE, Rome et ses vieilles églises, Paris, Flammarion, 1942, p. 18 (citation en français dans
46
En français dans le texte (NdT).
47

Jean CALVIN, in Commentaires de Jehan Calvin sur le Nouveau Testament, 4 vol., Paris,
le texte [NdT]).

Meyrueis, 1854, vol. 1 : Sur la Concordance ou Harmonie composée de trois évangélistes, ascavoir
48

S. Matthieu, S. Marc, et S. Luc, p. 263.

445
p433_456_bovon:Mise en page 1 30/11/11 9:56 Page 446

FRANÇOIS BOVON ETR

trouvé la deuxième citation en lisant avec mes étudiants le texte grec du traité

plus que tous les corps49. » C’est ce que nous trouvons in nuce dans le christianisme
d’Origène sur le Martyre : « Car, créée à l’image de Dieu, elle [l’âme] vaut

du premier siècle, dans l’Évangile de Jean et dans les Épîtres de Paul, vers
lesquels nous nous tournons maintenant.

Évangile de Jean

L’Évangile de Jean, rédigé vers la fin du premier siècle, constitue le


meilleur témoignage pour conforter ma thèse selon laquelle la priorité doit être
donnée à la sotériologie avant l’anthropologie dans les communautés chrétiennes
primitives50. À aucun moment dans le lent processus de composition de cet
Évangile une attention particulière n’est donnée à une terminologie anthropo-
logique. Ce qui compte pour les auteurs et pour la communauté johannique
n’est pas une définition de l’être humain, mais le salut qui est donné (« la vie
éternelle ») et le Fils de Dieu comme source de ce salut. Jean 3, 14-16 compare
le Fils au serpent d’airain qui, levé par Moïse dans le désert apporta la guérison aux
Israélites malades (Nb 21, 6-9). Quand les humains regardent vers le Fils, comme
les Israélites ont levé les yeux vers le serpent d’airain, ils reçoivent la guérison
© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 11/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 181.66.169.69)

© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 11/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 181.66.169.69)


éternelle51.
En expliquant à la fin de La Cité de Dieu, ce que signifie « félicité éter-
nelle », Augustin soutient que l’adjectif « éternel » ne décrit pas simplement une
période qui dure toujours52, mais au contraire une période de qualité excep-
tionnelle. Cela est particulièrement vrai dans l’Évangile de Jean : la vie éternelle
n’est pas qu’un temps illimité qui commence à la mort des croyants. C’est la
qualité de la relation au Christ, la profondeur de l’amour entre Dieu et ses
enfants, et une existence qui commence au moment de la rédemption (selon
une chronologie christologique et non anthropologique). Elle est indépendante

ORIGÈNE, Traité sur le Martyre, XII, Leipzig, Hinrichs, coll. « GCS 2 », 1899, p. 13. Voir aussi
4 Maccabées, 7, 16-19.
49

Sur l’Évangile de Jean, voir Raymond E. BROWN, An Introduction to the Gospel of John, Francis
J. MOLONEY, éd., New York, Doubleday, coll. « ABRL », 2003 ; Jean ZUMSTEIN, L’Évangile selon saint
50

Jean (13-21), Genève, Labor et Fides, coll. « CNT, 2e série 4b », 2007.


51
À une autre occasion, changeant la métaphore, l’Évangile de Jean décrit le Fils comme l’origine
d’une eau curative particulière : « L’eau que je lui donnerai deviendra en lui une source jaillissant en
vie éternelle » (Jn 4, 14).
AUGUSTIN, Cité de Dieu, XXII, 1. Augustin partage en fait une opinion déjà défendue par
Origène ; voir Panagiōtēs TZAMALIKOS, Origen: Philosophy of History and Eschatology, Leiden, Brill,
52

coll. « Supplements to Vigiliæ Christianæ 85 », 2007, p. 230, qui écrit : « References to eternal in the
first place allude not to a quantity of time, but to the quality of a certain existential state [c’est l’auteur
qui souligne]. »

446
p433_456_bovon:Mise en page 1 30/11/11 9:56 Page 447

2011/4 RETOUR DE L’ÂME

de la vie naturelle, de sorte que nous vivrons même si nous mourrons (voir Jean
5, 24-29 et 6, 68)53.

Paul

Écrivant quatre ou cinq décennies avant Jean, Paul utilise les termes
anthropologiques qu’on trouve dans la Septante, la traduction grecque de la
Bible hébraïque54. Il utilise des mots tels que « cœur », « chair », « âme » et
« esprit » de manière vague, sauf quand il oppose la « chair » et l’« esprit »55.
Comme l’existence pécheresse commence avec le mauvais désir (epithumia),
se développe dans le péché (hamartia) et se termine avec la mort (thanatos)
(Rm 7, 7-25), l’existence rachetée, décrite comme « juste », est la vie dans
l’Esprit, ce qui ne veut pas dire spécifiquement vie spirituelle ou mystique,
mais guidée par l’Esprit de Dieu, active dans l’amour concret du prochain et
dans l’amour intense de la divinité.
Active dans la vie ancienne, la vie nouvelle est décrite par Paul comme un
sacrifice de nos corps et le renouvellement de nos intelligences (Rm 12, 1-2).
La source de l’espérance pour le moi vient de la grâce divine ; et la dimension
morale du corps et de l’âme ne peut résulter que de la décision de la foi, réponse
© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 11/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 181.66.169.69)

© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 11/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 181.66.169.69)


humaine à l’affirmation divine de l’amour56.

53
Il n’est pas surprenant que le Fils lui-même déclare : « Je suis la résurrection et la vie » (Jn 11, 25).
Les mots « résurrection » et « vie » forment un hendiadys, autrement dit, une manière d’exprimer par deux
mots une seule et même réalité. Le mot « vie » est qualifié par le mot « résurrection ». Il s’agit d’une vie
nouvelle, différente de la vie naturelle. Elle est en même temps une « résurrection » de la personne, mais
avec la présence du mot « vie », ce n’est pas simplement une espérance future pour le corps. C’est aussi une
réalité présente pour le moi. Par le don de ce type de vie particulier le moi cesse d’être « chair » : « Mais à
ceux qui l’ont reçu, à ceux qui croient en son nom, il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu. Ceux-
là ne sont pas nés du sang, ni d’un vouloir de chair ni d’un vouloir d’homme, mais de Dieu » (Jn 1, 12-13).
54
Exactement comme à Jérusalem et à Rome il y avait plusieurs synagogues distinctes les unes des
autres, une pluralité qui n’était pas ressentie comme une menace pour l’identité et l’unité juives, il y avait
différentes communautés chrétiennes à Jérusalem, à Antioche en Syrie, et à Éphèse. La communauté
johannique d’Éphèse, à qui s’adresse l’une des sept lettres de l’Apocalypse (Ap 2, 1-7) était probable-
ment différente de la communauté établie par Paul dans la même ville (voir 1 Co 15 et Ac 19). Malgré
cette différence, la même structure fondamentale de la foi était acceptée par les deux groupes. Ce que
nous avons vu pour le groupe johannique se retrouve dans les Églises pauliniennes.
Sur la terminologie anthropologique de Paul, voir Robert JEWETT, Paul’s Anthropological Terms: A
Study of Their Use in Conflict Settings, Leiden, Brill, coll. « AGJU 1 », 1971 ; George H. VAN KOOTEN, Paul’s
55

Anthropology in Context: The Image of God, Assimilation to God and Tripartite Man in Ancient Judaism,
Ancient Philosophy and Early Christianity, Tübingen, Mohr Siebeck, coll. « WUNT 232 », 2008.
56
Même si 1 Th 5, 23 semble présenter une anthropologie complète et solide (« Que le Dieu de paix
lui-même vous sanctifie totalement et que votre esprit, votre âme et votre corps soient parfaitement
gardés pour être irréprochables lors de la venue de notre Seigneur Jésus-Christ »), ce verset est une
exception et Paul – à la différence d’Épictète ou de Marc Aurèle, deux penseurs stoïciens – ne s’inté-
resse pas à la pratique du corps comme source de sanctification.

447
p433_456_bovon:Mise en page 1 30/11/11 9:56 Page 448

FRANÇOIS BOVON ETR

Il y a une harmonie évidente entre l’Épître aux Romains et la Première


épître aux Corinthiens. La vie éternelle commence déjà, ici et maintenant, mais
la participation présente à la vie éternelle se passe dans nos corps mortels et se
conforme à la croix du Christ57. La participation future – en continuité avec le
présent – coïncidera avec la résurrection de Jésus. Il est, par conséquent, d’une
importance vitale d’affirmer qu’il y a bien résurrection (1 Co 15, 12).
Parce qu’il est Juif, mais aussi parce que le grec est sa langue maternelle,
Paul ne peut pas imaginer un moi extérieur au corps, une existence sans corps.
Mais que sera le corps final ? Il sera certainement en continuité avec la vie
présente (pour être certain que c’est la même personne), mais il y aura aussi

naturelle. En conséquence, Paul crée l’expression soma pneumatikon, « corps


discontinuité, car la résurrection sera qualitativement différente de l’existence

spirituel », utilisant soma (« corps ») pour la continuité et pneumatikon (« spiri-


tuel ») pour la discontinuité, pour la nouveauté (1 Co 15, 44). En usant de cette
métaphore que Juifs et Grecs peuvent tous comprendre, il compare notre
souffrance présente et notre moi futur glorieux au destin d’une graine, semée
physiquement mais renaissant spirituellement, selon les anciennes normes et
croyances58. Non seulement nous ressemblons au Christ ressuscité, mais nous
participons aussi à son existence : « Et de même que nous avons été à l’image
de l’homme terrestre, nous serons aussi à l’image de l’homme céleste »
© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 11/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 181.66.169.69)

© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 11/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 181.66.169.69)


(1 Co 15, 49). « Il faut en effet que cet être corruptible revête l’incorruptibilité,
et que cet être mortel revête l’immortalité » (1 Co 15, 53)59.

Jésus

cherchant dans une concordance du texte grec le mot psychè (« âme », « vie »
Si nous essayons de découvrir le point de vue de Jésus sur la question en

BULTMANN, Theologie des Neuen Testaments, Otto MERK, éd., Tübingen, Mohr, coll. « Uni-Taschen-
57
Sur la mort et la résurrection de Jésus comme événement de salut reçu par la foi, voir Rudolf

croyants, voir Rm 6, 3-11 ; Brendan BYRNE, Romans, Collegeville, Minn., Liturgical Press, coll. « SP
bücher 630 », 19808, § 33, p. 292-306. Pour les parallèles entre la résurrection de Jésus et celle des

6 », 1996, p. 189-193.
Ici nous trouvons déjà in nuce la future distinction entre imago et similitudo, car aujourd’hui les
êtres humains ressemblent à Adam et Ève, nés de la terre, naturels et mortels (à l’image de Dieu, imago),
58

mais du ciel (semblable à Dieu, similitudo, voir 1 Co 15, 42-49). Voir François ALTERMATH, Du corps
mais comme chrétiens ils seront assimilés au Christ, le dernier Adam, qui n’est pas venu de la terre

psychique au corps spirituel. Interprétations de 1 Cor. 15, 35-49 par les auteurs chrétiens des
quatre premiers siècles, Tübingen, Mohr Siebeck, coll. « BGBE 18 », 1977.
59
Sur 1 Co 15, voir Wolgang SCHRAGE, Der erste Brief an die Korinther (1 Kor 15, 1-16, 24),
Düsseldorf/Neukirchen-Vluyn, Benziger/Neukirchener Verlag, coll. « EKKNT 7.4 », 2001.

448
p433_456_bovon:Mise en page 1 30/11/11 9:56 Page 449

2011/4 RETOUR DE L’ÂME

ou « personne »)60, nous trouvons en particulier une référence à la parole la


plus importante en ce qui concerne notre sujet, car elle présume la survie de la
personne d’une manière ou d’une autre après la mort ; elle souligne l’impor-
tance de l’« âme » en concomitance avec la réalité du « corps » ; elle donne la
force et l’espérance à tous les chrétiens en période de persécution ou de
détresse ; c’est en outre la parole expliquée par Jean Calvin, auteur déjà
mentionné dans ce texte. Sachant que la crainte peut submerger n’importe qui
en de nombreuses circonstances différentes, Jésus dit : « Ne craignez pas ceux
qui tuent le corps mais ne peuvent tuer l’âme, craignez plutôt celui qui peut
faire périr âme et corps dans la géhenne » (Mt 10, 28)61. Nous découvrons ici
que Jésus croit et présuppose que la vie humaine ne s’arrête pas au moment de
la mort, et que ce qu’il appelle « âme » peut survivre après la disparition du
corps. Cette parole confirme aussi l’importante dimension morale de la vie éter-
nelle : la rédemption des chrétiens n’est pas qu’une douce promesse de délices
éternelles, mais le don – qui n’est pas sans exigences – de la résurrection et de
l’immortalité dans les limites de la foi et de la persévérance62.

IV. L’EXPÉRIENCE SPIRITUELLE AUJOURD’HUI

Ce voyage à rebours dans le temps, depuis l’Antiquité tardive jusqu’à


© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 11/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 181.66.169.69)

© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 11/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 181.66.169.69)


l’époque de Jésus, m’oblige à plaider en faveur de l’âme comme étant le don

servir, et donner sa psychè en rançon pour la multitude, il est quasi certain qu’il veut dire sa « vie ». Mais
60
Selon Marc 10, 45, quand Jésus dit que le Fils de l’homme est venu non pour être servi, mais pour

quand à Gethsémani il soupire, disant « mon âme [psychè] est triste à en mourir », il parle de son âme
et de son esprit, la part de lui-même correspondant à l’affectivité et au mental (Mt 26, 38). Comparé à
Luc 22, 37, Marc 10, 45 – tel que formulé avec l’allusion sotériologique à la rançon – correspond plus
probablement à la manière de s’exprimer de la première communauté qu’aux paroles prononcées par le
Jésus historique. Voir aussi Lc 21, 19, Ac 20, 10 et He 4, 12.
61
Sur Mt 10, 28, voir Ulrich LUZ, Das Evangelium nach Matthäus (Mt 8-17), Zurich/Neukirchen-

de 4 Maccabées 13, 13b-15 : « With all our hearts let us consecrate ourselves unto God, who gave us
Vluyn, Benziger/Neukirchener Verlag, 1990, p. 126-128. Il faut se rappeler le parallèle avec la parole

our souls, and let us expend our bodies for the custodianship of the Law. Let us have no fear of him who

transgress the commandment of God. » H. ANDERSON, « 4 Maccabees: A New Translation and


thinks he kills. Great is the ordeal and peril of the soul that lies in wait in eternal torment for those who

Introduction », in James H. CHARLESWORTH, éd., The Old Testament Pseudepigrapha, 2 vol., Londres,
Darton/Longman & Todd, 1983-1985, vol. 2, p. 558.
62
Dans les siècles qui ont suivi, les autorités chrétiennes ont souligné et opposé le destin des élus
et le châtiment des autres. La séparation des deux groupes est apparue dès les premiers écrits apoca-
lyptiques : « Beaucoup de ceux qui dorment dans le sol poussiéreux se réveilleront, ceux-ci pour la vie
éternelle, ceux-là pour la honte, pour l’opprobre éternelle » (Dn 12, 2). Cette perspective eschatolo-
gique est présente aussi bien dans les Synoptiques (on se souvient de la célèbre métaphore des brebis
et des boucs en Mt 25, 31-46) que dans l’Évangile de Jean : « Que tout ceci ne vous étonne plus !
L’heure vient où tous ceux qui gisent dans les tombeaux entendront sa voix, et ceux qui auront fait le
bien en sortiront pour la résurrection qui mène à la vie ; ceux qui auront pratiqué le mal, pour la résur-
rection qui mène au jugement » (Jn 5, 28-29).

449
p433_456_bovon:Mise en page 1 30/11/11 9:56 Page 450

FRANÇOIS BOVON ETR

le plus précieux fait à l’humanité. Mais je ne veux pas définir l’âme comme l’ont
fait Aristote63 ou Tertullien. Je ne veux pas spéculer comme Descartes64. Je
n’aurai pas l’audace d’expliquer la relation entre le corps et l’âme, ou l’incar-
nation, comme le fait Merleau-Ponty65. Mon seul objectif est d’éviter d’attribuer
une limitation décevante au corps et d’attirer l’attention sur le danger d’un
scepticisme purement théorique vis-à-vis de la vie future. Ces mots résonnent
comme une prédication, ce qui est le cas dans une certaine mesure. D’aucuns
peuvent refuser d’accepter cette tradition religieuse, mais intellectuellement ils
ne peuvent pas nier l’existence de la voix de l’espérance et de la foi telle qu’Ori-
gène s’en fait l’écho en affirmant que l’âme a plus de valeur que tous les corps66.
Maintenant que nous avons vu avec quelle congruence les chrétiens des
premiers siècles considéraient l’âme, que pouvons-nous faire de la réflexion
récente sur le corps menée par Maurice Merleau-Ponty, Michel Foucault,
Hannah Arendt, Pierre Hadot et Peter Brown67 ? J’aimerais utiliser cette masse
impressionnante de recherches d’abord comme une invitation à souligner la
responsabilité humaine dans cette vie et dans ce monde. Pour ce faire, j’intro-
duirai une expression forgée par les théologiens, la « réserve eschatologique ».
Pour comprendre cette notion, il est nécessaire d’examiner l’Épître aux
Romains. Alors que Paul dit dans Rm 6 que nous sommes crucifiés avec Jésus-
Christ, il ne va pas jusqu’à dire que nous sommes ressuscités avec lui68. Sensible
© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 11/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 181.66.169.69)

© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 11/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 181.66.169.69)


à la réserve eschatologique, il dit que désormais nous pouvons vivre une vie
nouvelle, mais pas encore une pleine résurrection. En conformité avec l’apôtre, les

63
Voir ARISTOTE, On the Soul. Parva Naturalia. On Breath, Walter S. HETT, éd, Cambridge,
Harvard University Press, coll. « LCL 288 Aristotle VIII», édition révisée, 2000, p. 288.
René DESCARTES, Méditations touchant la première philosophie, surtout la deuxième et la sixième
méditations ; voir aussi la quatrième partie du Discours de la méthode. Voir Dale B. MARTIN, The
64

Corinthian Body, op. cit., p. 4-6.


Maurice MERLEAU-PONTY, Phénoménologie de la perception, op. cit. ; L’union de l’âme et du
corps chez Malebranche, Biran et Bergson. Notes prises au cours de Maurice Merleau-Ponty, Jean
65

DEPRUN, éd., Paris, Vrin, coll. « Bibliothèque d’histoire de la philosophie 98 », édition revue, 1978.
66
Voir aussi Gregory J. RILEY, Resurrection Reconsidered: Thomas and John in Controversy, Min-
neapolis, Minn., Fortress Press, 1995, p. 31 : « Socrates felt it his divine mission to persuade his fellow
Athenians to concentrate their efforts on the cultivation of the good of the soul over against that of the
body. »
Michel FOUCAULT, Histoire de la sexualité, vol. 3 : Le souci de soi, Paris, Gallimard, coll.
« Bibliothèque des histoires », 1976 ; Hannah ARENDT, Vita activa oder Vom tätigen Leben, Munich,
67

Piper, 19812 ; Pierre HADOT, Exercices spirituels et philosophie antique, préface d’Arnold I. DAVIDSON,
Paris, Albin Michel, coll. « Bibliothèque de l’évolution de l’humanité », 20022 ; Peter BROWN, The Body
and Society: Men, Women, and Sexual Renunciation in Early Christianity, New York, Columbia Uni-
versity Press, édition du vingtième anniversaire avec une nouvelle introduction, 2008.
Outre la référence au commentaire de BYRNE (voir note 57), voir Ulrich WILCKENS, Der Brief an
die Römer (Röm 6-11), Zurich/Neukirchen-Vluyn, Benziger/Neukirchener Verlag, coll. « EKKNT 6.2 »,
68

19933, p. 5-33.,

450
p433_456_bovon:Mise en page 1 30/11/11 9:56 Page 451

2011/4 RETOUR DE L’ÂME

premiers chrétiens ne fuyaient pas leur corps mais acceptaient leur insertion
dans cette vie. Ils s’efforçaient de respecter leur devoir moral69.
La récente importance donnée au corps nous incite à ne pas revenir au type
de spiritualité telle que la défendait l’éditeur Henri-Louis Mermod – il essayait
d’éduquer le jeune étudiant que j’étais à l’époque – qui proclamait : « Nous

appropriée, car notre âme est intimement dépendante de notre corps et vice
sommes tous des platoniciens, n’est-ce pas70 ? » Cette attitude n’est plus

versa. C’est un deuxième résultat positif de l’intérêt actuel porté au corps.


Cependant, à mes yeux, il y a un élément de mystère dans la personne humaine,
une subjectivité irréductible qui se trouve préservée par le mot « âme ». Cette
part de nous-même est aussi légère que le rappelle l’ancienne définition de
l’âme comparée à un papillon. Elle est extrêmement mince, ainsi qu’un docteur

dans le titre de sa thèse, Very thin things: Toward a Cultural History of the Soul
de l’Université Harvard (Département d’histoire), Gregory Smith, le souligne

in Roman Antiquity71. L’âme échappe à la main comme le ferait un fin tissu de


lin. C’est ce qu’elle fait à la mort du patriarche telle qu’elle est rapportée dans Le
Testament d’Abraham (XX, 9-10)72. Mais quelle que soit sa finesse, c’est une part
de nous-même qui récuse toutes les lois de la contingence et de la mortalité.
J’ai récemment lu avec plaisir The Absent Body de Drew Leder, dont
m’avait parlé Michael Jackson73, mon collègue anthropologue à la Divinity
© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 11/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 181.66.169.69)

© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 11/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 181.66.169.69)


School de Harvard. Merleau-Ponty et Leder refusent l’un comme l’autre de
considérer le corps comme un objet d’étude. Tous deux sont également partie
prenante de la réaction philosophique contre la tendance, jugée beaucoup trop

Merleau-Ponty, dans Phénoménologie de la perception, examine l’aspect du


facile, à préférer depuis Platon le dépouillement du corps74. Tandis que

corps extérieur, Leder s’intéresse à l’intérieur, à la partie viscérale de notre être.


Sa thèse principale est captivante : quand tout va bien, nous oublions notre
corps. Il est absent. Si je participe à une compétition sportive, je me concentre

Sur la « réserve eschatologique », voir Ernst KÄSEMANN, An die Römer, Tübingen, Mohr Siebeck,
coll. « HNT 8a », 1973, p. 214 et 336 ; Paulinische Perspektiven, Tübingen, Mohr Siebeck, 1969, p. 215.
69

70
Henri-Louis Mermod fut un éditeur influent des années 1940-1960 en Suisse romande. La conver-
sation que j’évoque a eu lieu à Vidy, au bord du lac Léman, alors que la marche matinale appelée
« Chemin du Château à Vidy » se préparait. Cette marche en l’honneur du Major Davel emprunta

Lausanne jusqu’au lieu de son exécution à Vidy. Voir Juste OLIVIER, Le Major Davel, suivi de Hommage
le 24 avril 1959 le chemin que le Major suivit le 24 avril 1723 pour aller de sa prison au Château à

au Major de Charles-Ferdinand RAMUZ, Lausanne, Mermod, 1959.


71
Harvard University, 2005.
Recension longue, voir Francis SCHMIDT, Le Testament grec d’Abraham. Introduction, édition
critique des deux recensions grecques, traduction, Tübingen, Mohr Siebeck, coll. « Texte und Studien
72

zum Antiken Judentum 11 », 1986, p. 166-167.


73
Drew LEDER, The Absent Body, Chicago, University of Chicago Press, 1990.
74
Ibid., p. 3.

451
p433_456_bovon:Mise en page 1 30/11/11 9:56 Page 452

FRANÇOIS BOVON ETR

exclusivement sur le jeu. Et Leder note à juste titre que nous nous souvenons
de notre corps uniquement quand quelque chose ne va pas, ce qu’il appelle un
« dysfonctionnement ». Par conséquent, un troisième résultat positif de
l’engouement récent pour le corps est de nous rappeler notre constitution
fragile – et non héroïque75.

CONCLUSION

Je lis dans le témoignage des premiers chrétiens un intérêt particulier pour


l’âme et son immortalité, fortement lié à leur foi en la résurrection elle-même.
L’immortalité n’était pas pour eux une donnée anthropologique mais un don
christologique. Ils y voyaient le fruit de la rédemption et non le résultat d’un
processus immanent. À la différence de ce qu’on observe souvent aujourd’hui,
leur préoccupation pour le corps, pour la chair même (dans le cadre de la
résurrection des morts), va main dans la main avec la continuité de la personne,

gique : Erwin ROHDE, Psyche. Seelencult und Unsterblichkeitsglaube der Griechen, Tübingen, Mohr
75
Parmi les livres et les articles que je n’ai pas encore mentionnés, j’ai choisi par ordre chronolo-

Siebeck, 19105-6 ; Franz CUMONT, Lux perpetua, Paris, Geuthner, 1949 ; nouvelle version éditée par
© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 11/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 181.66.169.69)

© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 11/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 181.66.169.69)


Turnhout (Belgique), 2009 ; Oscar CULLMANN, Immortalité de l’âme ou résurrection des morts ?,
Bruno ROCHETTE, André MOTTE, publiée par Nino ARAGNO, Turin (Italie), distribuée par Brepols,

Neuchâtel, Delachaux & Niestlé, 19592 ; Karel HANHART, The Intermediate State in the New Testament,
Groningen, V. R. B. Kleine, 1966 ; Walter F. OTTO, Die Manen oder von den Urformen des Totenglau-
bens. Eine Untersuchung zur Religion der Griechen, Römer und Semiten und zum Volksglauben über-
haupt, Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 19763 ; Jan N. BREMMER, The Early Greek
Concept of the Soul, Princeton, N. J., Princeton University Press, 1983 ; Alan E. BERNSTEIN, The
Formation of Hell: Death and Retribution in the Ancient and Early Christian Worlds, Ithaca, N. Y.,
Cornell University Press, 1993 ; Horacio E. LONA, Über die Auferstehung des Fleisches. Studien zur
frühchristlichen Eschatologie, Berlin, de Gruyter, coll. « BZNW 66 », 1993 ; A. I. BAUMGARTEN,
J. ASSMANN, G. G. STROUMSA, éd., Self, Soul and Body in Religious Experience, Leiden, Brill, coll.

in Patristic and Byzantine Literature », DOP 55, 2001, p. 91-124 ; La résurrection chez les Pères, Jean-
« SHR 78 », 1998 ; Nicholas CONSTAS, « “To Sleep, Perchance to Dream”: The Middle State of Souls

D. LEVENSON, Resurrection and the Restoration of Israel: The Ultimate Victory of the God of Life, New
Marc PRIEUR, éd., Strasbourg, Université Marc-Bloch, coll. « Cahiers de Biblia Patristica 7 », 2003 ; Jon

Haven, Conn., Yale University Press, 2006 ; Emmanuela PRINZIVALLI, « La risurrezione nei Padri », in
Morte–Risurrezione nei Padri della Chiesa, Salvatore Alberto PANIMOLLE, éd., Rome, Boria, 2006,

Aspekte spätantiker Körperlichkeit », JAC 50, 2007, p. 5-33 ; Kevin J. MADIGAN, Jon D. LEVENSON,
p. 169-288 ; Barbara FEICHTINGER, « “Quid est autem homo aliud quod caro…” (Tert. adv. Marc. 1, 24).

Resurrection: The Power of God for Christians and Jews, New Haven, Conn., Yale University Press,
2008 ; Christopher GILL, The Structured Self in Hellenistic and Roman Thought, Oxford, Oxford Uni-
versity Press, 2009 ; Turid Karlsen SEIM, Jorunn ØKLAND, éd., Metamorphoses, Resurrection, Body and
Transformation Practices in Early Christianity, Berlin, de Gruyter, coll. « Ekstasis 1 », 2009 ; Nancy

Art », in Robert J. DALY, éd., Apocalyptic Thought in Early Christianity, Grand Rapids, Mich., Baker
PATTERSON ŠEVČENKO, « Images of the Second Coming and the Fate of the Soul in Middle Byzantine

ELKAISY-FRIEMUTH, John M. DILLON, éd., The Afterlife of the Platonic Soul: Reflexions of Platonic
Academic, coll. « Holy Cross Studies in Patristic Theology and History », 2009, p. 250-272 ; Maha

Psychology in the Monotheistic Religion, Leiden, Brill, coll. « Studies in Platonism, Neoplatonism, and

au-delà dans la Bible hébraïque et dans le judaïsme ancien », BCPE 62, 2010, p. 1-53.
the Platonic Tradition 9 », 2009 ; Jean-Daniel MACCHI, Christophe NIHAN, « Mort, résurrection et

452
p433_456_bovon:Mise en page 1 30/11/11 9:56 Page 453

2011/4 RETOUR DE L’ÂME

sous une forme qu’on peut nommer l’âme. Ils étaient intéressés par le corps
dans la mesure où il était lié à leur espoir de résurrection et à leur réflexion sur
l’incarnation du Fils. Ils préféraient la première personne du singulier « je » à

tion faite par l’allemand, ils préféraient Leib à Körper. Ils soutenaient une
la troisième personne jugée impersonnelle « elle » ou « il ». Selon la distinc-

vision holistique de la personne, avec une incarnation morale aujourd’hui et la


personne ressuscitée demain. Ils suggéraient la préservation de la personne
(entre les deux) grâce à l’existence de l’âme et à leur Dieu qui se souciait d’eux
et ne les oubliait pas.
François BOVON
(traduit de l’anglais par Mireille HÉBERT)
© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 11/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 181.66.169.69)

© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 11/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 181.66.169.69)

453

Vous aimerez peut-être aussi