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Décoloniser son théâtre à tâtons

Marine Bachelot Nguyen


Dans Tumultes 2017/1 (n° 48), pages 127 à 140
Éditions Éditions Kimé
ISSN 1243-549X
DOI 10.3917/tumu.048.0127
© Éditions Kimé | Téléchargé le 31/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 154.0.185.29)

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TUMULTES, numéro 48, 2017

Décoloniser son théâtre à tâtons

Marine Bachelot Nguyen


Autrice et metteuse en scène

Autrice et metteuse en scène, j’ai longtemps considéré qu’il


m’était déplacé de militer pour les combats qui m’importaient — le
féminisme, l’antiracisme et leurs liens intersectionnels — au sein
même de mon milieu professionnel, le théâtre. Ces questions
demandaient à être traitées et travaillées avant tout dans mon écriture,
dans mes textes et spectacles, comme matière artistique et politique.
Ou sur le terrain des luttes sociales, dans des collectifs militants, des
groupes féministes non mixtes où se mêlent des individus de diverses
provenances — là où l’on n’est pas dans un « entre-soi » artistique.
Lutter pour plus large que moi, pour plus large que mon statut
d’artiste-femme (et de descendante de colonisés), me paraissait
important. De peur d’être illégitimée, soupçonnée de collusion
d’intérêt dans mon milieu professionnel.
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Aujourd’hui je milite au sein de Décoloniser les Arts, et
également au sein du Mouvement HF. Ce qui à mes yeux m’a donné
la légitimité pour le faire, c’est d’avoir justement construit plusieurs
textes et spectacles traversés par les questions féministes et
postcoloniales, d’avoir commencé à brasser cette matière. Mais aussi
de me rendre compte, petit à petit, que c’est peut-être moins le fait
d’être une femme ou d’être eurasienne qui peut créer des obstacles,
que l’aspect politisé du théâtre que je défends.
Puisque c’est l’axe que Tumultes m’a suggéré, je vais tenter de
parler, très subjectivement, à partir de mon travail d’autrice et
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metteuse en scène, des tentatives et difficultés d’élaborer un théâtre à


ambition décoloniale.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, voici une présentation du
collectif Décoloniser les Arts et de son projet.

Décoloniser les Arts, le collectif


Décoloniser les Arts a été créé à l’automne 2015, quelques mois
après les polémiques autour de la programmation d’Exhibit B au TGP
de Saint-Denis, puis autour du débat sur la « diversité » en mars 2015
au Théâtre de la Colline1, qui se sont prolongées dans la presse et dans
plusieurs débats au festival d’Avignon. Décoloniser les Arts est un
collectif mixte, composé d’artistes et de professionnel.le.s de la
culture de toutes origines, qui lutte pour une meilleure présence et
représentation des artistes racisé.e.s aux postes décisionnaires, dans
les programmations, sur les plateaux, les écrans, etc., afin que les
Noirs, Arabes et Asiatiques de France ne restent pas au rang de
minoritaires subalternes, ou de clichés exotiques. Décoloniser les Arts
prône plus largement une décolonisation des imaginaires, qui passe
par une transformation des récits dominants, par la prise en charge
dans les arts des histoires liées à la colonisation et à l’esclavage, trop
souvent méconnues, oubliées ou passées sous silence. Parce que ce
passé peu exploré et non digéré pèse sur le présent, mine les
consciences et rend la France d’aujourd’hui explosive, nous pensons
que l’art et la culture doivent affronter sérieusement ces questions
pour ne pas rester un secteur détaché des réalités, des points
incandescents et urgences de la société. Nous luttons aussi contre les
assignations et les cantonnements, et défendons la liberté des artistes
racisé.e.s de s’emparer des sujets et des esthétiques qu’ils désirent.
Un des premiers gestes du collectif a été de compter (à la
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manière du rapport Reine Prat sur les inégalités femmes-hommes) la
part des personnes racisé.e.s dans les organigrammes, dans la
programmation des théâtres labellisés et dans les distributions des
spectacles. Ce comptage pirate a révélé ce que nous savions déjà : la
part infime des artistes racisé.e.s (et en particulier des artistes
racisé.e.s français.e.s) dans ces programmations de prestige, quand un

1. Voir le compte rendu de Claire Diao sur www.africultures.com/php/index.php?nav


=article&no=12874
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rapport de l’INED2 estime qu’environ 30% de la population française


n’est pas blanche. Une lettre ouverte a ainsi été envoyée à ces théâtres,
contenant une interpellation, un questionnaire, un lexique.
Une autre action médiatisée a consisté à dénoncer la sélection
monochrome du jury des Molières 2016 : parmi 86 artistes nommé.e.s
figurait une seule artiste racisée. Le 23 mai, tandis que des
manifestant.e.s tenaient silencieusement des pancartes devant les
Folies Bergère (avec des slogans comme « Le théâtre français est-il
raciste? », « L’entre-soi tue l’art », « Racisé.e.s et invisibles »,
« Décolonisons les arts »), sur la scène des Molières, sans que nous le
sachions, se tenait un personnage nommé Touchi-Toucha : un homme
noir au physique imposant de videur, sans paroles, monté sur
roulettes, ayant pour fonction de toucher les primés trop bavards, dans
le but d’écourter leur discours. Preuve qu’au racisme par omission de
la sélection s’ajoutait, sous couvert d’humour, un racisme de
représentation assumé.
L’association a aussi organisé plusieurs réunions ouvertes,
débats et table rondes, notamment au Théâtre de Chaillot en avril
2016, aux Journées de la diversité culturelle de Rouen en octobre
2016, dont les textes sont disponibles sur le blog Mediapart de
Décoloniser les Arts3. Elle prépare pour 2017 une publication de
textes théoriques et poétiques.
Décoloniser les Arts se veut un espace de réflexion, de veille,
d’actions institutionnelles ou pirates, d’empowerment pour les artistes
racisé.e.s, de propositions théoriques et pratiques.

Décoloniser son art, une autre affaire !


Mais le travail profond et radical de décolonisation des arts et
des imaginaires, d’élaboration de récits et de modèles alternatifs que
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Décoloniser les arts appelle de ses vœux, se construit aussi et surtout
dans les œuvres et les gestes des artistes.
Or l’entreprise est loin d’être évidente, dès lors qu’on met la
main à la pâte. Car on ne décolonise pas son écriture ou son théâtre à
coups de grandes déclarations d’intention théorique, emplies de pureté

2. Chris Beauchemin, Christelle Hamel, Patrick Simon (dir.), Trajectoires et origines.


Enquête sur la diversité des populations en France, Grandes enquêtes, INED, janvier
2016.
3. https://blogs.mediapart.fr/decoloniser-les-arts
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militante. C’est un travail fait de tentatives, d’essais, de bricolage, de


recherche de formes et dramaturgies hybrides, pour porter des
discours et sensibilités décoloniales. Un travail tâtonnant, empirique,
la méthode s’inventant pas à pas. Un processus évolutif, jalonné de
pièges et d’erreurs, de prises de conscience et de retours de bâton. Un
travail jamais fini d’affranchissement et d’auto-émancipation, qui
passe par des allers-retours entre l’individuel et le collectif, des
circulations entre la conscience de soi et le regard des autres, des
moments d’autocritique et de responsabilité. C’est du moins ainsi que
je le ressens.

Quand on doit se décoloniser soi-même


Dans tout rapport de domination, il y a oppression et aliénation.
Le rapport colonial ou postcolonial n’échappe pas à cette grammaire
et l’artiste, y compris racisé, est pris entre ces jeux écartelants.
Le sujet dominé se retrouve souvent enfermé dans une
alternative douloureuse et piégeante : soit vouloir ressembler au
dominant, c’est-à-dire l’imiter dans ses pratiques, adopter ses codes, le
singer parfois jusqu’au malaise ; soit vouloir lui plaire, le séduire,
rechercher sa compagnie (voire devenir son objet de compagnie) et
tout faire pour faire oublier (aux autres comme à ses propres yeux)
son statut d’opprimé.
Dans les deux cas, c’est prêter une forme d’allégeance au
dominant et à la domination, comme aux formes instituées du pouvoir.
Comment inventer d’autres voies, qui soient faites de
résistance, d’affirmations singulières, d’émancipation face au système,
d’invention de nouvelles puissances et modèles, d’empowerment et
d’action collective ?
L’aliénation passe aussi par les représentations et l’imaginaire
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que l’on a de soi-même comme des autres catégories opprimées ou
minorisées : l’imaginaire dominant (occidental et structurellement
raciste, masculin et structurellement sexiste, bourgeois, colonial,
hétéronormé, validiste, etc.) est aussi le creuset où se forment les
consciences des racisé.e.s, où s’élaborent nos visions, nos projections,
nos désirs.
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Là d’où je parle
En ce qui me concerne, la dialectique a été un peu particulière :
j’ai su assez vite que j’étais artiste femme et résolue à travailler sur le
féminisme, mais j’ai eu le privilège de pouvoir neutraliser, suspendre
ou invisibiliser mon origine ethnique, y compris dans ma conscience
de moi-même. Contrairement à d’autres artistes d’origine asiatique,
maghrébine ou afrodescendante, ni mon faciès ni mon patronyme4 ne
trahissaient clairement mon appartenance. Dans ma trajectoire j’ai
vécu un peu d’exotisation, mais pas d’assignation ethnique, de
racisme violent ou discriminant.
Deux fils entrecroisés se sont pourtant affirmés dans mon
travail : les questions féministes et les questions postcoloniales (en
tout cas l’idée de faire réémerger, sous les mécaniques racistes du
présent, les traces du passé et du système colonial). Ce deuxième
aspect, je l’ai découvert comme a posteriori, au moment où j’ai pris
conscience du fait que si ces questions étaient récurrentes et
obsessionnelles dans mes pièces c’était par antiracisme convaincu
certes, mais sans doute aussi en lien avec ma part suspendue ou
refoulée de descendante de colonisés.
Disons que l’Indochine est loin, que les Asiatiques de France
sont très invisibilisés, ou tendent à s’invisibiliser eux-mêmes. Disons
aussi que le racisme et la discrimination se sont déchaînés en France
ces dernières années massivement contre les Arabes et les Noirs,
contre les femmes musulmanes voilées, contre les migrants, les
immigrés, les personnes sans-papiers. Et le théâtre absorbant
l’actualité que je revendique allait forcément rencontrer ces sujets-là.
Ces dernières années, j’ai donc écrit des fictions, documentaires
et documentées, sur les centres de rétention administratifs et les
expulsions de personnes sans-papiers (Parc des expulsions, Tabaski,
La place du chien, Zoo humain). Sur les mécaniques communes au
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racisme et au sexisme, sur l’instrumentalisation du féminisme à des
fins racistes (« La femme, ce continent noir… », À la racine, La place
du chien). Sur la stigmatisation et l’exclusion des femmes musumanes
voilées (À la racine, Rebel girlz mascarade, Fureur d’août)5. Des
fictions mettant en jeu et donnant la parole à des personnages noirs,
blancs, arabes, musulmans, chrétiens, porteurs aussi de la place

4. J’ai ajouté récemment à mon patronyme le nom de ma mère, Nguyen, visibilisant


ma part d’origine viêtnamienne.
5. Pour plus de détails sur ces spectacles, voir www.lumieredaout.net
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sociale ou symbolique qu’ils incarnent. Des fictions sur des sujets


éminemment politiques, mais où les risques de poncifs et clichés sont
présents. Où la simplification, la projection, l’exotisation ou
l’humanitarisme peuvent vite rattraper au tournant.
Comment déjouer ou éviter ces écueils ? Et comment, en tant
qu’autrice ou auteur, prend-on éthiquement et légitimement la parole
au nom de personnes que l’on n’est pas soi-même, de situations que
l’on ne vit pas toujours soi-même ? Comment se pose-t-on ces
questions, sans cependant s’autocensurer ?
Mon tout dernier spectacle, Les ombres et les lèvres, affronte
des zones qui me concernent plus personnellement et intimement : il
traite de l’homosexualité et du mouvement LGBT au Viêtnam, et j’y
parle depuis mes identités croisées de française eurasienne, de femme,
de lesbienne. Ce recentrage et ce réancrage arrive à un moment juste
de mon parcours, et me permet d’éprouver une parole plus
explicitement située, dans un spectacle documentaire et intime à la
dramaturgie hybride.
J’ajoute aussi que les appuis théoriques qui ont marqué une
série de mes pièces ces dernières années émanent de théoricien.ne.s
antiracistes blanc.he.s, allié.e.s des racisé.e.s. Révélations
intersectionnelles avec les petits livres ramassés et brillants que sont le
Classer, dominer. Qui sont les autres ? de Christine Delphy ou La
mécanique raciste de Pierre Tevanian. J’ai aussi lu Frantz Fanon,
Angela Davis, Ho Chi Minh, Audre Lorde, Jasbir K. Puar, Edward
Said, etc., mais plus tard. Et je sais que j’ai encore beaucoup à lire
pour étoffer ma culture décoloniale.

Dramaturgies novatrices, savoirs situés et débordement de


l’universalisme
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Malgré la dévalorisation du théâtre politique et militant dans
l’histoire des arts, j’ai toujours eu l’intime conviction qu’un théâtre
politisé était potentiellement porteur d’esthétiques et de formes
nouvelles, de dramaturgies inventives et innovantes. Meyerhold,
Piscator ou Brecht l’ont dit, écrit, prouvé. Un discours révolutionnaire
s’accompagne de théâtralités neuves, et pour être incisif, le propos
doit forger une forme esthétique pertinente.
À rencontrer dernièrement des spectacles et écritures qui de
façon affichée ou non s’inscrivent dans une démarche décoloniale,
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force est de constater que ce sont souvent des dramaturgies savantes,


touffues, denses, entrelacées, hybrides et passionnantes. Quelque
chose de nouveau se fabrique, se bricole, s’élabore qui n’est
aucunement formaté, qui mixe les esthétiques et les références
culturelles, qui pense et plonge les mains dans les profondeurs de
l’histoire et de la mémoire, qui parle depuis des endroits très
singuliers. Ce sont des œuvres qui portent l’empreinte de leur projet
politique, mais aussi des artistes qui les élaborent, de leurs
appartenances culturelles mêlées. Voir par exemple les spectacles de
Karima El Kharraze, d’Eva Doumbia, lire les textes de Gerty
Dambury, entre autres artistes, m’a beaucoup touchée, et renseignée
sur ce que je tentais moi-même. J’y ai trouvé des parentés, des
problématiques communes de tissage et d’entrelacement, de tentative
de faire résonner des fragments d’histoire et de réalités méconnues, de
digestion, de relecture et réappropriation de ce passé traversé par
l’esclavage, la colonisation, les migrations.
À la fin de son documentaire La France est notre patrie,
bouleversant film constitué d’images d’archives de l’époque
coloniale, le réalisateur cambodgien Rithy Panh écrit : « Les images
se jouent de nous. Je les ai montées en silence, à ma façon indigène.
Ainsi déjouées, elles nous apprennent à regarder. À les regarder. »
Cette phrase m’a frappée. Faut-il revendiquer une « façon
indigène » de fabriquer des spectacles ? L’affirmation est sans doute
compliquée. On peut en tout cas revendiquer des savoirs situés, des
sensibilités situées. Des gestes artistiques qui tirent précisément
légitimité de la subjectivité de leur ancrage, et qui affirment mordicus
leur place dans l’universel.
Car les artistes racisé.e.s se retrouvent à affronter une idéologie
dominante et des programmateurs qui les renvoient souvent à leurs
particularismes, jugent leur travail « non universel », mettent en doute
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leur manque de distance par rapport aux sujets traités, ne voient pas
l’intérêt de telles thématiques, ou font la fine bouche face aux formes
singulières proposées. La frilosité, l’ignorance, l’universalisme
occidentalo-centré, blanc, masculin, bourgeois, hétéronormé, sont
hélas encore bien ancrés dans le milieu théâtral. Les artistes à la
démarche décoloniale travaillent précisément à décentrer, déstabiliser
et déborder cet universalisme faussement neutre et objectif. Et
œuvrent à enrichir un authentique universel, qui serait la somme de
tous les particularismes, la polyphonie de tous les récits, le croisement
de voix et de corps multiples, la somme infinie des subjectivités et des
134 Décoloniser son théâtre à tâtons

points de vue, l’émergence des récits manquants et des cultures


minorées.
Mais face à ceux qui détiennent le pouvoir et l’argent, et de qui
nous dépendons, l’on se retrouve parfois à tâtonner. À ne pas oser les
gestes plus radicaux dont on a véritablement envie, à s’autocensurer
par crainte de la sanction. À adoucir ses actes, mesurer ses propos,
vouloir rassurer, prendre des chemins détournés. À vivre des
complexes de dominés, en somme. Ces stratégies en zigzag ne sont
pas forcément négatives : tout dépend des gestes et œuvres qu’elles
produisent. Sans faire allégeance au pouvoir, on peut travailler à
l’effriter, tenter selon les moments des coups discrets ou des coups
francs, creuser patiemment le sillon, plutôt que de s’exposer à être
complètement éjecté du circuit.
Ajoutons que le public est en général plus visionnaire et moins
frileux que la plupart des professionnels. Qu’il sait accueillir avec
enthousiasme, intérêt et reconnaissance les formes proposées et les
récits déployés, la densité et l’entrelacement des questions creusées,
les savoirs et les sensibilités de ces spectacles, se souciant assez peu
du fait qu’ils ne correspondent pas aux esthétiques dominantes
formatées.

Dénicher le colonial
Pour poursuivre la réflexion un peu plus près du travail qui est
le mien, quelques axes et exemples de démarches non exhaustives, et
encore une fois tâtonnantes.
Travailler à dénicher, sous le présent, les traces et vestiges de
l’idéologie coloniale est un principe commun à plusieurs de mes
pièces.
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Dans La place du chien (sitcom canin et postcolonial)6, je mets
en jeu l’histoire mouvementée d’un couple interculturel : Karine,
jeune précaire française blanche, et Silvain, musicien congolais,
tombent amoureux. Mais Sherkan, le labrador noir de Karine, avec
lequel elle entretient un rapport fusionnel, vient créer tensions et
rivalités dans l’idylle naissante… Ce scénario vaudevillesque est peu à
peu contaminé par le politique et les résurgences du passé colonial qui
vient s’insérer dans le quotidien du couple. En me documentant sur
l’univers canin, j’ai découvert le L.O.F (Livre des Origines Français),

6. Pièce écrite en 2009 et créée en 2014. Publiée aux Éditions des Deux Corps, 2014.
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registre où sont inscrits les chiens de race et énoncés les critères du


parfait spécimen de chaque espèce, avec un langage qui n’est pas sans
rappeler les classifications physiognomoniques et raciales du dix-
neuvième siècle. Au passeport unique (au visa falsifié) de Silvain
s’oppose la pléthore de papiers d’identité du chien, la classification
administrative étant pointée comme une obsession occidentale, outil
de contrôle, de hiérarchisation et de domination. Des chansons
coloniales des années 1930 au contenu dérangeant surgissent dans la
fiction, pour des séquences surréalistes de rivalité/fraternité entre
Silvain et Sherkan, ainsi qu’un morceau du Discours de Dakar de
Nicolas Sarkozy, érigé lui aussi au rang de document colonial. Silvain
finira emprisonné et encagé derrière les grilles d’un centre de
rétention administratif, tandis que le chien restera « en laisse, mais
dehors ». Avant un ultime retournement, sous forme de manifeste
canin.
Le motif de l’animalisation de l’être humain, présente dans les
logiques coloniales et racistes (mais aussi sexistes), traverse plusieurs
de mes pièces. On le retrouve dans Tabaski, courte tragédie où Issa,
traité comme un animal par la police française et expulsé au Mali,
retourne dans son village en période de fête de l’Aïd : sans un sou face
aux attentes de sa famille et de la communauté, il s’offre en animal
sacrificiel de la Tabaski. Traité de fou et réexpulsé du village, il
poursuit son errance, jusqu’à se suicider dans la zone internationale de
l’aéroport de Bamako-Senou.
Pour Les ombres et les lèvres7, me documentant sur les
questions de genre et de sexualité à l’époque de l’Indochine coloniale,
je découvre que les colons français étaient très agacés et troublés par
leur incapacité à discerner les hommes des femmes parmi les
indigènes. L’indétermination genrée est à l’époque théorisée comme
un signe d’infériorité civilisationnelle, et permet de justifier
l’entreprise civilisatrice. Par ailleurs, le régime colonial met en place
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au Sud Viêtnam la répression policière de la « sodomie » chez les
Annamites (alors que nombre de coloniaux s’y adonnent avec les
indigènes…) et diabolise l’homosexualité.
Comment ne pas voir le fil entre cette idéologie coloniale et
l’obsession contemporaine des partisans français de La Manif Pour
Tous pour l’ordre hétérosexuel, les catégories étanches garçons-filles,
et la peur de l’indétermination genrée ?

7. Pièce écrite en 2015 et créée en 2016, après un voyage de recherche au Viêtnam en


2014.
136 Décoloniser son théâtre à tâtons

Cela dans des années 2010 où, au Viêtnam, les gays, lesbiennes
et trans s’affirment et s’affichent, dans l’espace public et médiatique
comme sur les réseaux sociaux, du sud au nord du pays. Et où même
le Parti communiste viêtnamien se montre à l’écoute de la société
civile et envisage l’ouverture du mariage aux personnes de même
sexe. Bien sûr, il s’agit aussi pour ce régime autoritaire de donner des
gages de modernité aux nations occidentales (le Viêtnam est entré
dans l’OMC en 2006), alors que par ailleurs la répression politique s’y
poursuit.
Logiques de pinkwashing du gouvernement viêtnamien, néo-
impérialisme des USA à travers le mouvement LGBT, poids invisible
du passé colonial et changements de cap du Parti communiste… La
réalité est complexe et entremêlée. Mon spectacle tente de rendre
compte de ces multiples intrications, des différentes couches et
influences historiques qui conduisent parfois à de furieux paradoxes.
Car dans le Viêtnam précolonial, l’homosexualité, les couples de
même sexe, les pratiques de travestissement ou de transgenrisme
existent dans plusieurs espaces, sociaux, rituels ou religieux. La
colonisation française vient condamner moralement et réprimer
politiquement ces pratiques, inscrire dans la langue viêtnamienne des
insultes stigmatisantes. Un siècle et demi plus tard, au début des
années 2000, au moment de la réouverture du Viêtnam à l’économie
de marché, l’homosexualité est soudain érigée par le Parti au rang de
« fléau social », de « maladie venue de l’Occident », prétendument
étrangère à la culture viêtnamienne — et donc à réprimer et endiguer.
Ce que j’ai découvert pour le Viêtnam est vraisemblablement
valable pour d’autres cultures et d’anciens pays colonisés, qui dans
leur stigmatisation ou répression actuelle des pratiques homosexuelles
ou homoérotiques ne font que reproduire un ordre moral imposé jadis
par l’Occident. Ordre moral et homophobie qui ressurgissent
d’ailleurs furieusement en France aujourd’hui, tandis que la société
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viêtnamienne, grâce aux luttes souterraines puis publiques des
activistes LGBT, devient rapidement inclusive sur ces questions, se
réappropriant une partie de son histoire.
« La femme, ce continent noir8… » est un solo pour actrice, une
conférence-performance qui veut interroger et disséquer la célèbre et
douteuse métaphore de Freud sur la sexualité féminine. Or la formule
freudienne a bien un lien avec la colonisation : Freud y fait référence,
sous forme de clin d’œil, à un ouvrage très connu à l’époque, Through

8. Pièce écrite et créée en 2010.


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the dark continent de Sir Henry Morton Stanley, ce journaliste et


explorateur britannique qui traversa l’Afrique équatoriale, travailla
pour Léopold II dans la conquête du Congo et n’hésita pas à déclarer
« Je déteste ce continent de tout mon cœur »… Si ce spectacle me
permet de souligner la mécanique ambiguë des désignations
exotisantes de « l’Autre » (mêlant fascination, mythification, mépris,
infériorisation et sous-humanisation), de déconstruire la notion
d’« Universel » (« un regard translucide qui nous définit et nous
sculpte à sa guise », figuré sur scène par un godemiché-phallus
transparent), il possède aussi quelques points aveugles. L’actrice sur le
plateau est blanche, et pour pousser la métaphore, elle se couvre le
corps de peinture noire, adoptant le stigmate telle une armure, avant
d’interpeller Freud-phallus sur ses théories sexuelles. À l’époque, je
suis totalement ignorante de l’historiographie du blackface, et je ne
mesure pas l’aspect risqué du geste (qui reste maîtrisé : l’actrice ne se
maquille pas le visage, et l’événement est dramaturgiquement
cohérent avec le discours). L’instrumentalisation des métaphores de la
colonisation ou de l’esclavage au profit du féminisme blanc est un
autre écueil : la simple mise en parallèle des mécaniques du racisme et
du sexisme peut conduire à éluder les effets de croisement et de cumul
des discriminations, au cœur de la pratique de l’intersectionnalité. Des
lectures de théoriciennes afroféministes, des discussions militantes et
débats avec le public m’ont permis de prendre du recul par rapport à
cette pièce, que j’assume mais n’écrirais plus ainsi aujourd’hui.

Affiner et déjouer le cliché ethnique, tenter de désamorcer


l’exotisme
La décolonisation des imaginaires passe aussi, dans le champ de
la représentation, par la multiplication et la diversification des
modèles de personnages racisés. C’est un chantier indispensable à
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mener, quand les fictions majoritaires proposent des rôles et figures de
Noirs, d’Arabes, de Maghrébins ou Asiatiques marqués par des
stéréotypes raciaux, teintés d’exotisme ou réduits à des visions-
clichés. Et quand les modèles complexes ou valorisants de
personnages racisés, pour se construire et se projeter, manquent
cruellement.
Comme je l’ai dit, j’ai plusieurs fois mis en jeu dans mes
fictions des figures de sans-papiers ou de migrants : ce qui incarne une
réalité sociale, mais aussi un cliché potentiellement humanitariste,
cette vision pouvant réduire les personnages racisés à l’état de
138 Décoloniser son théâtre à tâtons

sempiternelles victimes. J’avoue n’avoir pas d’autre solution que de


travailler à affiner les personnages et leur donner de l’épaisseur, quand
ils sont aussi des types sociaux — en leur donnant la parole, en les
montrant résistant contre un système qui les broie, en complexifiant
leur psychologie, en évitant le manichéisme.
Le terrain est souvent glissant. Sur le personnage de Silvain
dans La place du chien, j’ai eu quelques retours de militant.e.s
blanc.he.s gêné.e.s par le fait que le personnage ait des côtés sexistes
un peu caricaturaux, tandis que des militant.e.s noir.e.s, qui ont vu la
pièce ou à qui je l’avais fait lire, ne m’avaient pas renvoyé cela. La
pièce, j’en suis consciente, peut reconduire ce cliché, parmi d’autres
d’ailleurs, s’agissant d’un récit où chaque personnage, tour à tour
oppresseur et opprimé, en prend pour son grade. Je préfère assumer
certains risques et prendre mes responsabilités, plutôt que de ne rien
oser écrire. Aimer ses personnages, même avec leurs défauts ou leurs
lâchetés, ne jamais retrancher leur dignité ou leur subjectivité, est un
autre principe auquel je tiens, comme credo et comme garde-fou.
Mettre en jeu des personnages de militant.e.s racisées est une
démarche plus aisée : telles Angela et Shérazade dans À la racine9,
l’une militante afroféministe inspirée d’Angela Davis, l’autre
féministe musulmane traversant les siècles et les Révolutions arabes.
Sur une scène comme dans la société française, voir une femme
musulmane voilée prendre la parole politiquement, dénoncer
l’impérialisme et l’injonction occidentale au dévoilement, reste un
événement. Dans cette même pièce, Shérazade, après avoir interpellé
Jésus sur son angélisme de super-héros hollywoodien voulant sauver
les femmes d’Orient, lui racontera son histoire intime avec le sultan
sanguinaire des Mille et Une Nuits : une mise à bas de l’orientalisme
du conte, devenant le récit d’un viol conjugal répété, où Shérazade
s’insurge contre son propre aveuglement, contre les « services sexuels
et narratifs » qu’elle a rendus au sultan « pendant mille et une nuits »,
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et sur les conséquences de ce mythe sur les femmes aujourd’hui.
Même démarche de désamorçage de l’exotisme dans le début
du spectacle Les ombres et les lèvres, sous une tout autre forme. Le
spectacle s’ouvre sur la projection de magnifiques photos de Maika
Elan, montrant des couples viêtnamiens de même sexe, saisis dans

9. À la racine (écrite et créée en 2011) est une fiction-prétexte qui réunit Angela,
Sigmund, Ève, Jésus et Shérazade, personnages mythiques et êtres humains
d’aujourd’hui, dans un séminaire féministe à Barbès, au vingt-et-unième siècle…
Marine Bachelot Nguyen 139 139

leur intimité quotidienne10. C’est pour moi une façon d’introduire les
spectateurs occidentaux à la réalité contemporaine des couples
homosexuels viêtnamiens. Je sais aussi que ce diaporama satisfait leur
désir d’exotisme — s’agissant tant des corps viêtnamiens que des
corps LGBT. La séquence suivante veut donc retourner brusquement
le jeu de regard : figurant des colons français du dix-neuvième siècle
les quatre interprètes s’avancent et viennent observer le public, faisant
de celui-ci la foule indochinoise dont ils commentent et tournent en
dérision l’apparence physique ridicule, au genre indéterminé.
Je ne prétend pas échapper à ce que je dénonce. Quoique de
double culture, j’ai conscience du fait que mon regard est forgé lui
aussi par l’exotisme et l’érotisme colonial, les images et la
représentation des corps asiatiques que nous ont léguées la
photographie, la littérature ou le cinéma — et que le terrain est
toujours un peu piégé… Avec les interprètes (deux Blancs et deux
Asiatiques, tou.te.s ayant grandi en Europe), nous travaillons pour le
spectacle à doser les emprunts culturels, à nous imprégner de films
documentaires, à saisir gestuelles et corporéités, tout en nous méfiant
de la couleur locale. Il faut trouver un équilibre, rendre grâce à la
culture viêtnamienne contemporaine sans l’exotiser, et surtout
rapprocher la vie des Viêtnamien.ne.s LGBT de notre réalité
française.
La partition variée des interprètes, narrateurs assumant le récit
de l’autrice, puis soudain incarnant des personnages ou figures
diverses de la galaxie LGBT viêtnamienne, permet aussi des jeux de
passage, un mouvement des identités qui tente de ne rien figer.

Utopies et écueils de la distribution


Avoir plusieurs dizaines de rôles à distribuer et une équipe
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d’interprètes d’origines ethniques diverses est toujours passionnant,
car l’on fait face à une rupture des attendus liés à la couleur de peau.
Cela pousse à casser les évidences et les systématismes, à jouer à
redistribuer les cartes — à inventer l’utopie sur scène d’une société où
chacun.e est libre d’incarner tous les rôles, d’être un humain multiple,
non limité ou assigné à son apparence ethnique.

10. Issues de la série documentaire The Pink Choice, de la photographe viêtnamienne


Maika Elan.
140 Décoloniser son théâtre à tâtons

Pour de nombreuses pièces, classiques ou contemporaines, la


couleur de peau peut être dramaturgiquement neutre. Les Britanniques
l’ont compris depuis longtemps, montant Shakespeare avec des
distributions multiculturelles. En France cela résiste davantage, à
l’image d’une société qui a du mal à décoloniser son imaginaire.
La couleur de peau peut aussi être dramaturgiquement
signifiante. Notamment quand le récit porté évoque les tensions
raciales traversant la société, comme c’est le cas dans plusieurs de
mes pièces. J’ai parfois eu des réflexes aveugles, en embauchant
évidemment une actrice noire pour le rôle d’Angela Davis, mais en
donnant celui de Shérazade à une actrice blanche, sans penser qu’une
actrice maghrébine aurait pu l’incarner. Et surtout sans songer que
l’actrice noire se retrouverait la seule de la distribution à porter dans
sa chair un vécu de discrimination raciste, dans un spectacle qui en
parle. Être l’unique personne racisée dans une équipe blanche est
souvent difficile à vivre pour l’interprète, et j’avoue qu’à l’avenir je
tenterai d’éviter ce type de configuration. Pour réunir davantage de
situations au monde, de sensibilités situées, pour favoriser les
circulations, travailler à casser l’image d’une société française
majoritairement blanche. Cela passe aussi par les récits à écrire et à
déployer. Inspirée d’Antigone ma prochaine pièce mettra en jeu, dans
la France post-attentats de 2015, une lycéenne obstinément voilée face
à un proviseur intransigeant, et fera émerger dans le microcosme d’un
lycée divers conflits contemporains et leurs racines coloniales.
Il y aurait encore beaucoup à dire et à creuser, et ceci reste une
ébauche très partielle de réflexion, quelques pistes jetées… Si mon
théâtre est traversé par les questions intersectionnelles et
postcoloniales, et a commencé à les brasser, il me reste encore un long
chemin menant plus radicalement à un théâtre décolonial. Le
continent à faire émerger est enfoui et titanesque, fait d’histoires, de
luttes, de mémoires silenciées, qui lient le destin d’êtres humains du
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monde entier. Plus qu’à conquérir, il est à soulever. C’est aussi un
projet où l’on se transforme soi-même, en apprenant de ses erreurs et
de ses errances, des lectures, du militantisme et des discussions
collectives. Où l’on se décolonise pas à pas. Sentir que, même
minoritaires, nous sommes de plus en plus nombreuses et nombreux à
travailler à ce chantier en démultipliant les approches, en forgeant des
œuvres pour le rendre appréhensible et sensible, en inscrivant des
gestes ciselés dans le présent et dans l’histoire, donne du courage par
les temps réactionnaires qui viennent.

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