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Élodie Apard est docteure en Elle est spécialiste dans l’étude notamment les circulations
histoire de l’université Paris-1 des processus politiques au Niger religieuses entre le Niger
(Panthéon-Sorbonne), chercheure et au Nigeria et dans l’analyse et le Nigeria.
à l’IFRA-Nigeria (2011-2015). des mouvements transfrontaliers,
1. Certains se risquent à développer de langage ou les expressions commenté dans le cadre du projet de
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10. Petit bâton de bois de neem ou modèle étatique nigérian et de son 15. Depuis les pogroms de 1966
d’acacia faisant office de cure-dent caractère laïque. Ibrahim Al-Zakzaki et les discours de vengeances
ou de brosse à dent, très populaire en a d’ailleurs été souvent arrêté et alternativement portés par les
Afrique de l’Ouest, qui fait également emprisonné pour ses prises de acteurs du Nord et du Sud, de
référence aux pratiques du prophète position. nombreuses figures publiques,
et de ses compagnons et constitue 13. L’Alarama est la personne qui se religieuses comme laïques, se sont
donc un des marqueurs de l’identité tient à côté du Mallam – ou illustrés dans des discours haineux
salafi. prêcheur – pendant les sermons et ayant provoqué des massacres. Des
11. Entretien avec le professeur qui récite les versets du Coran en les leaders de mouvements identitaires
Kyari Mohammed, historien originaire psalmodiant. Les Alaramas les plus comme le MEND (Movement for the
de Maiduguri et contemporain de renommés sont ceux qui ont Emancipation of the Niger Delta),
Yusuf. Le centre a été détruit par mémorisé la totalité des sourates. l’OPC (O’Odua People’s Congress)
l’armée lors de la vague de répression 14. C’était notamment le discours ou des prédicateurs, chrétiens
de juillet 2009. d’un des piliers de l’Izala, le cheikh comme musulmans, ont souvent
12. Également appelé Yan Shi’a en Abubakar Gumi, pour qui appelé à venger leurs militants ou
raison de leurs liens étroits avec le « la politique (était) plus importante leurs coreligionnaires lorsque
chiisme iranien, les membres de que la prière » et « le vote, plus ceux-ci étaient victimes de violences.
l’Islamic Movement se caractérisent important que le pèlerinage à
par un discours très dur vis-à-vis du La Mecque ».
16. Chehidi (en haoussa) ou chahîd 18. Au cours du premier week-end les actions de représailles embrasent
(en arabe) signifie « martyr », celui qui de février 2006, les manifestations les États du Sud et près de
meurt en défendant sa foi. anti-caricatures tournent en 140 personnes sont tuées. Onitsha
17. Le Mallam est le maître manifestations antichrétiens dans les est l’épicentre de la crise et environ
coranique, il parle ici de lui-même. villes du Nord-Nigeria et notamment 5 000 musulmans fuient la ville.
Ses fidèles étaient d’ailleurs parfois à Maiduguri et à Bauchi, où
appelés Yan Mallam, les « enfants du respectivement 18 et 25 personnes
maître ». sont tuées. Dans les jours qui suivent,
20. Le terme « marabout » a ici une cheikh Albani Zaria, dont les propos fermement les agissements du
connotation péjorative et désigne les visant Boko Haram étaient groupe.
autres prêcheurs, ceux des particulièrement virulents, est 22. La chahada (Laa ilaaha illalaah,
mouvements confrériques ou assassiné le 1er février 2014. La lutte Mohamed ar-Rasul Allah) est la
réformistes qui s’opposent à acharnée de Boko Haram contre les profession de foi à travers laquelle le
l’idéologie de Yusuf. leaders musulmans du Nord-Nigeria croyant affirme qu’il n’y a de Dieu
21. Cheikh Ja’afar est assassiné dans s’est principalement focalisée sur les qu’Allah et que Mahomet est son
sa mosquée à Kano le 13 avril 2007. cheikhs du mouvement Izala qui ont messager.
Un autre prêcheur très populaire, été les premiers à condamner 23. Un des 99 noms d’Allah.
24. La branche paramilitaire de la 25. Lors de son interrogatoire bras droit ? » (en anglais second
police nigériane. dans les locaux de la police à in command), il répond
Maiduguri, à la question « Qui est ton « Abubakar Shekau ».
Shekau s’adresse à Jonathan. Cette capture d’écran correspond au message vidéo d’Abubakar Shekau destiné à
Goodluck Jonathan, président du Nigeria, et daté du 11 janvier 2012. Ce message est un droit de réponse au président
Jonathan à la suite d’une déclaration publique de celui-ci à propos du combat que le pays doit mener contre Boko Haram.
L’élection de Goodluck Jonathan en 2010 avait suscité des mouvements de protestation dans le nord, Shekau profitant des
tensions existantes pour ranimer les vieux démons du Nigeria que sont les violences interconfessionnelles.
Photo prise en capture d’écran à partir du message vidéo archivé par Élodie Apard.
« Après ceci, chers frères, je vous salue dans le nom puissant de Dieu.
Après les salutations et après avoir rendu grâce à Dieu, nous saluons aussi toute
la communauté musulmane. Ceci est un message et un appel à l’intention de
Goodluck Jonathan et aussi aux responsables des chrétiens et à tous les autres.
Nous sommes la Jama–’atu Ahl al-Sunnah Lidda’awati wa-l-Jiha– d, ceux à qui
ils ont attribué le nom de Boko Haram. Dieu merci, nous avons diffusé l’infor-
mation, tout ce que nous devions dire a été dit. Tout le monde a vu ce qu’on nous
a fait et tout le monde sait ce que l’on s’apprête à nous faire. Et tout le monde est
au courant du sujet de discorde entre nous et ceux qui nous combattent.
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Dans les premiers messages de Shekau, Yusuf est encore très présent,
avec des références très claires à ces idées, l’utilisation de références coraniques
similaires et même une invitation à écouter ses prêches disponibles sur « cas-
settes », un terme générique qui désigne les différents supports numériques
(CD, DVD, MP3) grâce auxquels la diffusion de l’idéologie du groupe a été assu-
rée. Shekau s’inscrit donc, dans un premier temps, dans une logique de conti-
nuité. Comme Yusuf, il s’attache à rappeler les exactions commises contre les
musulmans du Nigeria afin de raviver le sentiment d’injustice et de provoquer
le désir de vengeance.
Ce message est un droit de réponse au président Jonathan suite à une
déclaration publique de celui-ci à propos du combat que le pays doit mener
contre Boko Haram. L’élection de Goodluck Jonathan en 2010 avait suscité
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26. Le président précédent, Umaru L’arrivée au pouvoir de Jonathan, garantit une alternance du pouvoir
Musa Yar’Adua, musulman originaire chrétien originaire de la région du entre chrétiens et musulmans. Le
de Katsina, était mort en exercice et delta, avait alors suscité une Nord s’était alors senti floué.
n’avait donc pas pu finir son mandat. polémique car un accord tacite
« Après ceci, je vous salue mes frères et sœurs en Islam. Que Dieu nous
donne la patience et qu’Il continue à nous donner, nous qui sommes Ses servi-
teurs, la force d’accomplir Son œuvre. »
[…]
« Que Dieu fasse que nous soyons Ses serviteurs. Nous sommes les dis-
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27. Le haoussa parlé à Kano est 29. Surnom donné aux Civilian JTF (aujourd’hui région de Maiduguri,
considéré comme le haoussa de (Forces conjointes civiles), les milices dans l’État de Borno).
référence ; et Ado Bayero était d’autodéfense mises en place pour 31. Acronyme qui désigne à la fois le
l’ancien émir de Kano (1963-2014). combattre Boko Haram. State Security Service (le service de
28. Join Task Force : la force 30. Le titre de Shehu est l’équivalent renseignement de l’État fédéral
conjointe déployée dans le nord-est du titre d’émir ou de sultan, attribué nigérian) et ses agents.
du Nigeria pour lutter contre Boko au chef de l’ancien émirat du Borno
Haram.
32. En citant le nom de l’ancien sud-sud et du sud-est du Nigeria, Salafyyia, est assassiné par la secte
territoire Ibo qui avait fait sécession majoritairement chrétiennes. le 31 janvier 2014.
en 1967 et l’État de Cross-River, il fait 33. Cheikh Albani Zaria, prédicateur
simplement référence aux régions du nigérian et leader du mouvement
34. Il ne fait pas ici référence aux 35. L’attaque a été filmée par les effectivement en retraite après de
Occidentaux à la peau blanche et combattants de Boko Haram. Les brefs échanges de tirs. Les
parle donc de personnes à la peau images, diffusées sur Internet, prisonniers libérés qui quittent la
claire. montrent l’avantage numérique du caserne apparaissent également sur
groupe sur l’armée qui bat la vidéo.
Shekau, maître de la communication. Ce message d’Abubakar Shekau est daté du 25 mars 2014. Long de trente-sept
minutes, retranscrit dans le texte 5 (encadré 5) dans sa quasi-totalité, il est tout d’abord un message de revendication de
l’attaque du camp Giwa – une des casernes militaires de Maiduguri – au cours de laquelle les militaires nigérians ont dû
battre en retraite. Défaite cuisante et humiliante pour l’armée, cet événement est l’occasion pour Shekau de ridiculiser
ses ennemis, utilisant pour cela métaphores animalières et insultes telles que shegue (bâtard), expression haoussa très
populaire et particulièrement injurieuse. Il profite par ailleurs de l’annonce de la victoire remportée à Giwa pour clarifier la
question des attaques abusivement attribuées à son mouvement.
Photo prise en capture d’écran sur YouTube : www.youtube.com/watch?v=Pba8uvuf9Is&list=PL8I07KufxEm9IVxSukAv
Mp1AvAVB5qQTq&index=42.
36. Olusegun Obasanjo, président Abubakar, vice-président de 1999 à président de 1985 à 1993, sont tous
du Nigeria de 1999 à 2007, Atiku 2007, et Ibrahim Babangida, des hommes politiques musulmans.
37. Un message vidéo diffusé le Shekau dans les vidéos diffusées en se rapprocher, idéologiquement et
24 août 2014 avait été titré « Boko novembre 2014 avec des allusions à politiquement, du modèle qu’il
Haram Declares a New Caliphate in un « États des opprimés », représente, mais elles ne peuvent
Northeaster Nigeria » lors de sa mise territorialement défini, des certainement pas être interprétées
en ligne. Pourtant, dans cette vidéo, références directes à Abubakar comme une allégeance ou la
Shekau ne fait à aucun moment une Al-Bagdadi, ainsi qu’une mise en déclaration d’un califat. La
déclaration de ce type et n’évoque scène inspirée par le discours de déclaration d’allégeance en bonne et
même pas la question (voir Apard, Mossul. Jusqu’au printemps 2015, les due forme est diffusée en format
2015, p. 158). Les seules références à références à Daech servent d’outil de audio le 7 mai 2015.
un « État islamique » sont faites par propagande et sont une manière de
Première mention d’un « sultanat de Dieu ». Cette capture d’écran est extraite du message vidéo d’Abubakar Shekau
daté du 17 décembre 2014. Ce message est avant tout un droit de réponse à l’émir de Kano. Il contient un élément essentiel
qui renseigne sur les objectifs et l’évolution du groupe et qui n’a pourtant pas été relevé par les médias. Shekau déclare
vouloir instaurer un « sultanat de Dieu ». C’est la première formulation claire d’une ambition politique visant à la création
d’une entité étatique car, contrairement à ce qui avait été dit en août 2014, le leader du groupe n’avait pas annoncé la créa-
tion d’un califat ou d’un quelconque autre modèle théocratique.
Photo prise en capture d’écran à partir du message vidéo archivé par Élodie Apard.
Conclusion
Que ce soit dans la rhétorique religieuse de Yusuf ou dans l’outrance verbale
de Shekau, l’utilisation des mots, le choix du vocabulaire, les expressions et
les manières d’illustrer le propos jouent un rôle considérable. D’abord dans la
réception de l’idéologie, puis dans la perception du mouvement.
Écouter – ou lire – les prêches et les messages est la manière la plus
efficace de déceler les stratégies discursives des deux leaders successifs. Les
textes proposés ici ne représentent qu’une infime partie des discours dispo-
nibles. Or, la constitution d’un corpus exhaustif, ainsi que son interprétation,
sont des étapes nécessaires vers une meilleure compréhension du phénomène
Boko Haram. Si on n’analyse pas le discours dans son intégralité, on passe à
côté d’une quantité d’informations fondamentales, notamment la dimension
sociale et même culturelle du mouvement. Car si le recrutement forcé et l’aspect
financier sont effectivement des facteurs de persistance du mouvement, ils ne
suffisent pas à l’expliquer. Les jeunes qui grossissent les rangs de Boko Haram