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EGLISE CATHOLIQUE

1934-1957
Mgr Colignon
Evêché des Cayes - Juniorat des Frères oblats (Camp-Perrin)
Maison des Petits Frères de Ste Thérèse
Maison des Petites Soeurs de Ste Thérèse

I. Quand les vagues de fond émergent


II. L’Eglise pendant le calme apparent du Gouvernement Vincent
III. Dans l’imbroglio du Président Lescot
1. Campagnes anti-vodou
2. Clergé indigène
3. Changements dans la réalité sociale haïtienne
IV. L’Eglise face aux événements 1946 et sous e gouvernement d’Estimé
V. L’Eglise sous la présidence du général Magloire
1. Clergé indigène
2. Les laïcs s’engagent dans la vie de la sociale haïtienne
4. Eglise et culture
VI. Retombées de l’Occupation américaine

I. Quand les vagues de fond émergent (l934-l957)

Avec le départ apparent de l’occupant, certains secteurs de la vie nationale se ressaisissent.


Les bandes armées ne sortent plus ni du Nord, ni du Sud pour investir le palais national. Les
Américains ont mis en place des structures d’hygiène publique qui vont améliorer la santé de la
population. A la faveur du retour au calme l’économie semble se réorganiser. Certes, l'occupant
n'a pas pu mettre en exécution son plan de grandes plantations sucrières comme ailleurs dans
la Caraïbe. On dirait que le souvenir macabre du système économique des plantations de la
colonie qui, en partie, a fait échouer Toussaint et tous les gouvernements haïtiens qui ont
entrepris de faire revivre ce système, a bloqué également le plan des Américains. Néanmoins
le capitalisme a envahi davantage la vie économique du pays.
Il n’a pas pris beaucoup de temps au peuple haïtien pour comprendre que la politique du bon
voisinage de Franklin D. Roosevelt qui remplaçait celui du gros bâton de la doctrine Monroe
assure la domination américaine de manière aussi efficace qu’avant. La gendarmerie haïtienne
que l’occupant a laissé en cadeau, en héritage, à Haïti se charge de contrôler la politique du
pays et, en s’alliant à la bourgeoisie commerçante, de diriger la vie nationale. D'autre part, la
pénétration capitaliste prive le petit paysan de son lopin de terre et l'oblige davantage à émigrer
vers Cuba et la République Dominicaine. L’Occupation a eu par contre l’heureux effet de révéler
à l’Haïtien les ruses et l’immoralité de l’impérialisme et en conséquence de réveiller en lui les
forces cachées de sa culture et de sa personnalité; nous en avons déjà vu poindre une lueur
quand parut Ainsi parla l’oncle. Ce réveil affecte les idées et la vie sociale s’en ressent
profondément. C’est ici que les orientations premières de la pastorale de l’Église d’Haïti vont
connaître l’épreuve et même subir de rudes chocs.

II. L’Église pendant le calme apparent du Gouvernement de Vincent

Sous le Gouvernement de Sténio Vincent (l930-l94l) rien ne semble avoir bougé. Les quatre
premières années de Vincent se sont passées dans la paix: on est même porté à croire que la
Nation a trouvé le chemin de l’entente, de l’unité des classes à travers les élites. L’Église s’en
réjouit, elle dont les écoles ont offert des fournées de "gens bien" au pays : Saint-Louis de
Gonzague, Saint Martial, Sainte Rose de Lima, l'Institut du Sacré-Cœur, le Collège Notre-Dame
au Cap-Haïtien. Le 25 janvier l940, le Gouvernement Vincent signe une Convention avec le
Saint-Siège sur les biens de l’Église Catholique en Haïti et l’Administration des Fabriques
paroissiales. Cet accord veut « consolider davantage la bonne harmonie qui existe entre l’Église
catholique et l’État d’Haïti » depuis l860 (Blot, l99l: l58). En l935 arrivent les Salésiens pour
s’occuper surtout des jeunes délaissés et cette Congrégation est l'objet des largesses du
gouvernement. En octobre l937 le Président dominicain Léonidas Trujillo massacre des milliers
d’Haïtiens sur la frontière. L'Église catholique élève enfin la voix: au nom de la Religion, de la
Justice et de la Charité, elle condamne "ces crimes monstrueux, qui soulèvent, à juste titre,
l'unanime réprobation de l'univers civilisé" et souhaite le succès des démarches diplomatiques
du gouvernement haïtien, elle demande prières et secours matériels pour les rescapés (Le
Bulletin de la Quinzaine, 28 novembre l937).
Vincent devient de plus en plus impopulaire. Pourtant il prépare sa réélection; le
mécontentement se propage alors et des secteurs s’interrogent et cherchent de nouvelles voies
qui atteignent le cœur de nos problèmes. Ainsi les idées de Price Mars font leur chemin. De
plus en plus s’énoncent la réalité culturelle haïtienne et ses attaches solides avec l’Afrique. Le
Mouvement indigéniste et le Bureau d’Ethnologie naissent avec Jacques Roumain et ne
cessent de s’affirmer. Le journal Les Griots , fondé à la fin des années 30 par Lorimer Denis,
François Duvalier, Léonce Viaud fait émerger les problèmes de la race et ceux du Vodou. Il
s’agit d’une secousse qui ébranle la vie politique également: c'est en l934 déjà que Jacques
Roumain fonde le Parti Communiste Haïtien.

III. L’Église dans l’imbroglio du Président Lescot

1. La campagne anti-vodou
Le Gouvernement d'Élie Lescot s’inscrit en faux contre le mouvement indigéniste et se
présente comme le gouvernement de l’élite. Il nourrit même le préjugé de couleur et fait appel à
des mulâtres aux postes de commande. Son symbole est le Cercle Bellevue de Port-au-Prince
que fréquentent assidûment les mulâtres et les officiers de l’armée. L’Église, elle, s’emmure
dans sa doctrine, et au lieu d’ouvrir ses antennes au souffle de l’Esprit, elle prend le contre-pied
de cette houle en déployant, en l941, la “campagne anti-superstitieuse”, kanpay rejete , contre
le Vodou. Elle s’appuie sur le pouvoir en place d’Elie Lescot pour déraciner le Vodou de l’âme
haïtienne. On est en pleine guerre mondiale. Lescot, américanophile, a déjà offert à la SHADA
(Société Haïtiano-Américaine pour le Développement de l’Agriculture) de vastes étendues de
terre dans la plaine des Cayes et de la Grand’Anse ainsi que la Forêt des Pins, pour pourvoir
les États-Unis en terres pour la plantation du crystoptégia, une plante à latex pour la fabrication
du caoutchouc. Il serait entré dans cette lutte anti-vodou pour protéger les Américains contre les
« maléfices » du Vodou. « A la date du 23 juin l94l, dans une lettre au Père Peters du diocèse
de Port-de-Paix, S. E. le Président de la République, M. Élie Lescot, ‘demande’ que les
autorités civiles et militaires apportent leur concours le plus complet aux Pères dans la lutte
contre la superstition. » ( Jan, l959: 4l8.)
Aidés de l’armée, les prêtres bretons aussi bien que les prêtres haïtiens s’emploient à
détruire les ounfò, tous les objets de culte des lwa, à forcer les oungan à renoncer à leur
croyance et à leurs fonctions, à obliger les fidèles à prêter serment contre toute participation au
service des lwa. D’un autre côté, en la personne du P. Joseph Foisset, spiritain français, elle
soutient des polémiques publiques avec l’École Indigéniste.. cependant que des prêtres
haïtiens tels que Rémy Augustin, Farnèse Louis-Charles, Duguesclin Boston, etc. composent
des cantiques et des ouvrages en créole contre le Vodou. Jacques Stephen Alexis critiquera la
position des prêtres haïtiens dans son célèbre roman Les Arbres musiciens qu'il dédie
d'ailleurs au clergé haïtien. Cet ensemble d’actes de violence, dignes de l’Inquisition et de ses
autodafés, ne s’apaisera que quand le Président Lescot aura pris peur du mécontentement
manifesté dans le peuple. A ce moment, il s’en prendra au Nonce Apostolique, Mgr Silvani, qui
va en Dominicanie et annonce qu’en Haïti on se débarrassait de la sauvagerie du Vodou. Le
Nonce sera déclaré persona non grata . Le mécontentement contre la campagne anti-
superstitieuse se généralise. En la fête de Notre-Dame d’Altagrâce, le 2l janvier l942, en pleine
célébration eucharistique à Delmas, on tire des coups de feu dans la chapelle. Cet acte
d’intimidation se répétera plus tard dans d’autres églises de la capitale. Cet incident mettra fin à
la campagne, à la violence déchaînée contre le Vodou (Nérestant, l994: l28-l29.)

2. Le clergé indigène
Quelque temps après, en décembre l942, le Président Lescot demande aux évêques
d’Haïti de consacrer le pays à Notre-Dame du Perpétuel Secours. Dans sa circulaire il explique
lui-même que c’est pour « confondre les détracteurs impénitents d’Haïti qui n’ont jamais cessé
de faire passer notre pays pour la terre de prédilection - et ce jusqu’ici - du paganisme le plus
répugnant. » ( Lescot, l974: 459). Et il ajoute une deuxième raison: pour manifester au monde
entier notre foi catholique en face de l’idéologie nazie qui bouleverse l’Europe et menace
l’Amérique . D’aucuns pensent que c’est aussi en préparation de l’arrivée en Haïti de l’évêque
américain, Mgr Louis Collignon, Oblat de Marie Immaculée, comme évêque des Cayes. Le
gouvernement déclare le 8 décembre l942 jour férié à travers toute la République et il ordonne
l’émission de timbres-poste à l’effigie de Notre-Dame du Perpétuel Secours, patronne d’Haïti.
Le Président Lescot n’y a peut-être pas pensé, mais la nomination d’un non-breton à la
tête du Diocèse des Cayes se révélera un événement capital pour la constitution d’un clergé
indigène et de communautés religieuses haïtiennes. La France qui subit alors les affres de la
guerre est incapable d’envoyer des missionnaires en Haïti. Mgr Collignon fait appel à des
religieux américains parlant français, surtout de la zone Nord-Est des États-Unis, appelée
France-Amérique, et à des communautés canadiennes. Ses confrères Oblats de Marie
Immaculée qui l’ont accompagné en l943 répondent généreusement à l’appel. Et la même
année les Sœurs de Saint-François d’Assise, les Sœurs Missionnaires de l’Immaculée
Conception, les Sœurs de la Charité de Saint-Hyacinthe, les Frères du Sacré-Cœur arrivent en
Haïti. L’année suivante ce sera le tour des Sœurs de Sainte Anne et en l945 les Sœurs de la
Charité de Saint-Louis…
Peu de temps après son arrivée en Haïti, Mgr Collignon n’aura pas peur de dévoiler que
la première priorité de son épiscopat sera la formation du clergé autochtone et il s’y met de tout
cœur. En l945 il ouvre un collège secondaire, le Juniorat Saint-Jean l’Évangéliste sur
l’habitation Brouette, à Camp-Perrin, pour la formation des jeunes Haïtiens qui aspirent au
sacerdoce. Pour Haïti cet acte constitue une vraie révolution missionnaire qui consacre la visée
ecclésiale de Mgr Collignon. Monseigneur entoure d’une affection particulière les séminaristes
de son diocèse tant ceux qui étaient déjà à l’École Apostolique de Port-au-Prince que les jeunes
séminaristes diocésains et oblats du Juniorat de Camp-Perrin (Parent, l988: l90-l96.) Désormais
les jeux sont faits: les jeunes Haïtiens ont pris confiance en eux-mêmes; ils savent que Dieu
appelle l’Haïtien aussi à la vie sacerdotale et ils nourrissent l’espérance d’un clergé haïtien
comme le réclament les Papes depuis longtemps.
C’est ce que le P. Antoine Adrien, historien, salue comme la fin d’un monopole pour
signifier que le clergé breton n’avait plus le contrôle absolu de l’Eglise d’Haïti De fait, en plus de
cette brèche faite dans les rangs de l’épiscopat breton, les vocations augmentent dans le
diocèse des Cayes et même dans les autres diocèses du pays. Beaucoup de jeunes frappent à
la porte des Oblats. Les premières communautés religieuses féminines d’Haïti, elles, quoique
nourrissant certains préjugés de classe, n’étaient pas tentées cependant par l’appât du pouvoir
comme les prêtres et les frères. Elles s’étaient beaucoup mieux appliquées au recrutement des
vocations haïtiennes que ne l’avaient fait le clergé breton et les communautés religieuses
masculines qui travaillaient en Haïti. Mais la présence de nouvelles congrégations religieuses
dans le pays fait augmenter sensiblement le nombre d’Haïtiennes dans la vie religieuse.

3. Des changements dans la réalité sociale d’Haïti


La concession de nouvelles terres au gouvernement américain par Lescot aggrave la
situation des paysans dont la misère augmente. D’autre part, en l943, le Comité de diffusion de
l’enseignement par le créole est créé sous l’initiative de McConnell, Dorsainville, Bourand,
Bouchereau. C’est à cette époque que remonte également l’acquisition de droit de vote pour les
femmes par La Ligue Féminine d’Action Sociale. L’Église catholique est étrangère à ces
mutations. Les protestants ont le mérite de compter le Pasteur méthodiste Mc Connell parmi les
pionniers de ce mouvement. L'Évangile de Luc, de Jean et les Actes des Apôtres seront traduits
en créole entre l94l et l950 par les méthodistes, en attendant la parution de la première bible en
créole, éditée par la Société Biblique Haïtienne en l985

IV. L’Église face aux événements de 1946 et sous le gouvernement d’Estimé

Lescot est renversé en janvier l946. Sur le plan politique on assiste à une montée populaire
étonnante qui est à l’origine de ce qu’on appellera exagérément la « révolution de 1946 ». En
l945, des jeunes Haïtiens s’orientent politiquement à gauche. Déjà en décembre 1945, René
Dépestre a créé le journal La Ruche qui sera l’objet de la répression du gouvernement
d’Estimé. A cette époque Jacques Roumain a déjà fondé le Parti Communiste Haïtien (PCH)
depuis l934. Il existe de même en l946 le PSP (Parti Socialiste Populaire) de Max D. Sam,
Etienne Charlier, Christian Beaulieu, Max Hudicourt avec leur journal La Nation. Plus tard
apparaîtra le Mouvement Ouvrier Paysan (MOP) de Daniel Fignolé, mouvement plutôt
populiste. Parallèlement à ce bouillonnement de la gauche se construit un mouvement noiriste
celui des authentiques d’Émile Saint-Lôt et de Roger Dorsinvil qui débouche en août l946 sur
l’élection de Dumarsais Estimé et constitue le commencement du pouvoir noir. Nous assistons
à la naissance de syndicats, de nombreux syndicats qui s’organisent en quatre groupes,
comprenant travailleurs, ouvriers, paysans ( Collectif Paroles, l988: 2l7). Ce nouveau souffle de
changement sera malheureusement étouffé par Dumarsais Estimé, contrairement à ce que
pensent certains qui identifient ce chef d’État, simplement noiriste, à l’auteur de la révolution de
1946.
Il ne s’agit certes que d’un sursaut de révolution qui ne concerne d’ailleurs que Port-au-Prince
et quelques villes de province. On constate cependant que quelque chose de nouveau se
produit. Tandis que le Vodou "sort de la clandestinité" (Métraux, l958: 304), l’Église, elle, se tapit
dans l’ombre. Elle s’effraie de l’éclosion de groupes socialistes et est l’objet d’attaques de la
part d’un secteur anticlérical qui demande la révocation du Concordat. Il n’y a pas
d’événements qui méritent d’être soulignés, si ce n’est la présence en Haïti du Cardinal cubain
Arteaga y Betancourt à la célébration des fêtes du Bicentenaire de Port-au-Prince en l949.
L’Église n’a pas su lire les signes des temps, comme le souligne justement Ernst Verdieu
(Verdieu, l989: ll3-l33. ) Un fait le prouve éloquemment: quand le P.S.P. de Max Hudicourt invite
le Parti Populaire Social Chrétien (PSC) à une collaboration entre démocrates, le Père Joseph
Foisset C.S.Sp. lance dans le journal La Phalange de l’Archidiocèse de Port-au-Prince une
violente campagne pour faire échouer cette initiative. Elle attaquera de la même façon le Vodou
qui conquiert un espace de liberté. On peut cependant se demander si la fondation en l946 des
Petites Sœurs de Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus par le Père Farnèse Louis-Charles,
première congrégation religieuse de fondation autochtone, ne doit pas une partie de son
inspiration au mouvement culturel indigéniste et à l’expression de ce besoin du nouveau dans le
pays..

V. L’Église sous la présidence du Général Magloire

1. Le clergé indigène
Sous le Gouvernement de Paul Eugène Magloire, la nomination du premier évêque
haïtien, Mgr Rémy Augustin, en l953, paraît comme un pas important vers la solution du
problème du clergé indigène. De fait, cette nomination n’entre pas dans un plan de croissance
de l’Église d’Haïti ni du côté de Rome ni du côté du Gouvernement de Magloire. On doit y voir
un simple geste de décence, un simple cadeau fait par le Vatican à Haïti pour préparer le cent-
cinquantième anniversaire de l’Indépendance d’Haïti. D’ailleurs, l’initiative est prise par la
Congrégation des Montfortains qui pousse l’un des leurs à l’épiscopat et le Président Magloire
acquiesce dans le but d’ajouter quelque parure rouge aux fêtes nationales qu’il prépare.
Certains voient en Magloire un général qui se balance entre noirs et mulâtres (Barros, l984:
559), on peut relever également son louvoiement entre clergé indigène et clergé étranger. En
l955, en effet, quand il est question de remplacer Mgr Le Gouaze démissionnaire comme
archevêque de Port-au-Prince, Magloire ignore Mgr Rémy Augustin auxiliaire de Port-au-Prince
et il fait chercher en France le Père François Poirier qu’il avait connu au Cap-Haïtien.
L’année l953 amène deux autres événements importants pour l’avenir de l’Église d’Haïti.
En l953, un Canadien, le P. Albert Cousineau de la Congrégation de Sainte-Croix, est nommé
quatrième évêque du Cap-Haïtien. Ainsi donc deux des cinq évêques résidentiels ne sont plus
des Bretons et un évêque auxiliaire est haïtien En octobre de la même année, le Saint-Siège
confie aux Jésuites canadiens la direction du Grand Séminaire de Port-au-Prince; désormais
Haïti a un Grand Séminaire qui fonctionne sur son propre territoire. Le clergé breton a si bien
compris l’ensemble de ces nouveautés comme un tournant vers l’indigénisation du clergé qu’il
a pris sagement les devants: en l954 il se constitue en Société de Vie Apostolique, ce qui
signifie une institution ecclésiale de Vie consacrée, analogue à une congrégation religieuse, qui
lui permettra d’offrir ses services à d’autres diocèses en dehors d’Haïti. Cette Société appelée
Société de Saint Jacques sera vite approuvée par le Saint-Siège en l964 comme compromis
pour obtenir la démission de Mgr Poirier, archevêque de Port-au-Prince expulsé.

2. Les Laïcs s’engagent dans la vie de la société haïtienne


Depuis les années l940 il existe en Haïti des groupes de chrétiens, de laïcs, jeunes et
moins jeunes, qui constituent L’Action Catholique. Celle-ci se développe merveilleusement
durant les années 50: la JEC (Jeunesse Étudiante Catholique), la JIC, (Jeunesse
Indépendante catholique), la JOC (Jeunesse Ouvrière Catholique, la JAC (Jeunesse Agricole
catholique), et plus tard la JUC (Jeunesse Universitaire Catholique) et l’A.C.O. (Action
Catholique Ouvrière). Toutes ces associations offrent aux chrétiens laïcs l’opportunité
d’approfondir leur foi et de la vivre dans leur engagement au sein de la société. L’ensemble sera
coiffé vers l950 par l’ACJH (Action Catholique de la Jeunesse Haïtienne). On peut rapprocher
de ces mouvements de jeunes chrétiens l’Action Sociale. qui, elle, regroupe des adultes et a
une orientation nettement politique; elle possède un journal du même nom et elle s’opposera
aux mesures répressives du Général-Président qui se nomme « kanson fè » pour signifier à
l’opposition qu’il est bien cuirassé.

3. Église et culture
En l956, un livre écrit par un groupe de prêtres africains et haïtiens, Des Prêtres noirs
s’interrogent, fait choc dans les milieux européens et en Haïti. Ces prêtres s’inspirent de
l’enseignement de l’Église sur les missions et présentent des réflexions pertinentes sur le rôle
de la culture de chaque peuple dans la constitution du clergé, dans la vie sacerdotale, dans la
liturgie. Pour la première fois peut-être, un article d’un prêtre haïtien, le P. Jean Parisot,
présente le Vodou sous un jour nouveau: on est à la découverte de points de rencontre entre
Vodou et Christianisme (Parisot, l956: 2l3-258.) D’ailleurs, le titre même est provocateur pour
l’époque: on ose mettre l’un à côté de l’autre Vodou / Christianisme, pour essayer de les
comprendre dans une même pensée.
Il faut bien se rappeler qu’en Haïti l’Église catholique avait toujours "satanisé" le Vodou
et qu’elle lui avait prêté la volonté de « corrompre la religion chrétienne »(Robert, l964: 26). Bien
plus, Monseigneur Robert le comprend dans ses origines africaines et le dénonce en
conséquence comme le premier obstacle à l’évangélisation des esclaves qui « eût donné
d’autres résultats si leur âme profonde ne l’avait pas refusée trop souvent à cause de la
mystique africaine » (Robert, l964: 27.) Autant dire que Dieu n’a pas envoyé Jésus-Christ à
l’Afrique du même élan qu’il l’a envoyé à l’Europe... Des Prêtres noirs s’interrogent a ainsi
violé des interdits, forcé des barrières: un champ d’études objectives est désormais ouvert aux
prêtres haïtiens, aux chrétiens haïtiens, sur le Vodou: les lwa sont-ils Satan? Et plus tard, on
verra “Dieu dans le Vodou haïtien” ou encore Jésus-Christ à la rencontre des religions, à la
rencontre du Vodou lui-même. Après un siècle de concordat, l’Église est en train de s’adresser
de façon appropriée aux vrais problèmes du peuple haïtien.

VI. Retombées de l’occupation américaine


Ainsi donc, l’Occupation américaine a cristallisé des problèmes qui ont paru au
lendemain de la signature du Concordat de l860 et elle a des retombées positives sur la vie
sociale du pays. Elle a permis aux contradictions de la société haïtienne de s’énoncer et,
depuis, celles-ci n’ont cessé de se préciser et d’éclater en pleine lumière surtout à partir de
l946. Ces contradictions touchent plusieurs aspects de la vie de l’Église en elle-même et dans
ses relations avec l’État. Durant la période suivante, à partir de l957, d’autres exigences de la
vie de l’Église feront surface et affecteront son histoire. Parmi elles on peut déjà annoncer des
événements ou des orientations divergentes: mainmise de la dictature sur l’Église, constitution
d’un épiscopat haïtien et désir du peuple haïtien d’une Église qui l’accompagne dans ses efforts
et dans ses luttes pour sa libération et le progrès.

William Smarth

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