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Université Pétrole-Gaz de Ploiesti

11/7/2022

Le vodou haïtien, un patrimoine


controversé.

Steeve MATHIEU
Le vodou haïtien, un patrimoine controversé

Le vodou tout au long de son évolution et de son histoire a toujours fait l’objet d’une
marginalisation accrue et d’actes de violence physique. Cependant, il a pu subsister à travers les
regards et traitements discriminatoires pour être perçu aujourd’hui comme un élément central de
la vision du monde traditionnel du peuple haïtien. C’est aussi un puissant marqueur identitaire et
il est reconnu sur le plan culturel comme une source vivante et intarissable d’inspiration et de
créativité. Autrement dit, le vodou joue une part contributive importante à la diversité culturelle
d’Haïti (Régulus, 2013, p.103). Ici, dans notre travail, il est question d’une part de montrer
l’évolution douloureuse de cette pratique ancestrale en remontant à la genèse de la nation haïtienne
et d’autre part d’établir le rapport entre le cultuel et le culturel de celle-ci tout en expliquant
pourquoi cette pratique a été tant refoulée.

Mots-clefs, Esclavage, patrimoine, Vodou

Nature et histoire du vodou haïtien

Le vodou est considéré comme un culte aux croyances ancestrales et aux racines africaines.
Différents anthropologues et autres chercheurs en sciences humaines et sociales se sont penchés
sur diverses formes de manifestation du culte apparu au XVIe siècle sans réussir à proposer une
définition rigoureuse et exhaustive du vodou (Gilles, 2017, p22). Toutefois, Hurbon explique la
base du vodou haïtien par l’arrivée de diverses ethnies africaines. À l’origine l’auteur rappelle, il
y eut deux traditions en présence le Rada et le Petro. Plus loin, Desquiron (1990) dira que la
frontière entre ces deux traditions était poreuse et que la différence n’est pas de nature mais plutôt
de degré (Gilles, 2017, p.23). Avec le temps les deux rites se sont joints pour former une structure
binaire dans le panthéon vodou. Cependant Owuso a tenu quant à lui à établir une nuance entre les
rites :

« Les loas ou divinités du rite Rada servent plutôt à la création, à la construction et à la


conservation de la vie. Sont membres de cette famille les divinités telles que le dieu de la forêt
Loco, le maitre des océans Agwé et la déesse de la beauté Erzulie. Elles sont modérément actives,
de sorte que leur invocation n’est pas trop dangereuse. Néanmoins certaines divinités
appartiennent aux deux catégories. Ainsi Legba le dieu des croisés des chemins peut aussi bien
être invoqué en tant que loa Rada bienveillant ou accomplir une œuvre de destruction en tant que
loa Petro ».

Ainsi les loas purement Petro forment une catégorie de démons qui sont principalement
invoqués dans la magie nuisible. Il est important ici de noter que bon nombre de ces divinités ne
proviennent pas de la tradition africaine mais qu’ils ont été adoptés par les tribus indigènes
(Owuso,2009, cité par Gilles ,2017, p.23).

Pour retracer l’histoire du vodou, il faudrait remonter à l’aventure de l’occident en Haïti


c’est-à-dire la période esclavagiste. À la fin du XVe siècle, en 1493, le pape Alexandre VI livre
donc à l'Espagne et au Portugal les « nouveaux mondes » conquis, dans la perspective précise de
l'extension de la chrétienté médiévale. Les méthodes des Croisades et de l'Inquisition étaient
suffisamment passées dans les mœurs pour donner à la « grâce » de l'esclavage son caractère
légitime et naturel. Élever l'étendard de la foi chrétienne tout autant que celui de la civilisation, tel
est le premier mouvement d'une histoire qui, pour l'esclave noir, va signifier violence,
enchaînement, dépersonnalisation. : la perte irrémédiable de son corps. Car l'esclavage est le
désaisissement d'un être de lui-même, sa désappropriation absolue : une œuvre de destruction de
ses institutions, de ses coutumes, de sa mythologie, de ses valeurs, dont le baptême prescrit par le
Code noir de 1685 reste le premier symbole. L’évangélisation elle-même a été esclavagiste et
préposée comme fondement divin de l’esclavage. les missionnaires c’est-à-dire les capucins, les
jésuites, les dominicains qui avaient pour mission d’évangéliser, étaient également propriétaires
d’esclaves et ne ressentaient nulle contradiction entre eux et les colons (Hurbon, 1975, p.12-13).

Au cours de la période esclavagiste dans les Amériques, les traditions religieuses africaines
n'ont pu être sauvegardées que dans la plus stricte clandestinité. Ainsi les maîtres, aidés des
missionnaires catholiques et protestants, ont très tôt compris le danger que représentait pour le
système esclavagiste le libre exercice des cultes africains. Le Code noir de 1685, promulgué par la
France pour ses colonies, a été repris, sans remaniement sensible, par les îles anglaises de la
Caraïbe. Un consensus existait en Europe pour faire des cultes africains des lieux d'expression de
la « barbarie » nègre, ou des pratiques diaboliques à réprimer avec la plus grande sévérité. Or ce
que l'on constate, c'est plutôt la détermination des masses esclaves à recréer et à revivre les
traditions religieuses africaines. Dans le cas d'Haïti, on sait que la lutte pour l'indépendance prend
son point de départ au cours d'une cérémonie-vodou en août 1791(Hurbon, 1987, p.139). On peut
donc conclure que le vodou haïtien est intrinsèquement lié à l’esclavage. Puisque celui-ci à travers
la cérémonie du Bois-Caïman va jouer un rôle important au réveil de la conscience collective des
esclaves et va déboucher sur l’indépendance d’Haïti.

Le vodou, un héritage refoulé

De 1804 à 1806, la première constitution est promulguée et elle stipule la liberté des cultes
à travers le pays. Mais, de cette date à nos jours, la pénalisation du vodou a été systématique.
Enraciner l'esclavage sur des bases raciales, renforcer le catholicisme dans une tâche de
justification idéologique de tout le système, telle a été, on le sait, la signification du dispositif mis
en place par le Code noir de 1685. Les esclaves consentent à entrer massivement dans les églises,
mais pour mieux annexer les symboles catholiques à leurs propres représentations religieuses. Au
lendemain de l'indépendance, les nouveaux maîtres du pays (généraux noirs et mulâtres) se
souviennent du rôle positif du vodou. Le supprimer par la répression ou par les décisions juridiques
s'avère difficile. Aussi seront-ils écartelés entre le maintien du vodou comme appui inavouable à
leur pouvoir, et l'appel à l'Église catholique comme seule religion officielle. Jouer sur les deux
tableaux, ce sera une tentative constamment réitérée du pouvoir politique en Haïti. Tous les
gouvernements seront précisément obsédés par la mise en place d'un concordat entre l'État et le
Vatican. En 1860, ce sera chose faite, comme un acte politique décisif qui doit entraîner d'un côté
la reconnaissance de la nation haïtienne comme nation libre et civilisée, et de l'autre le dévouement
de l'Église à une tâche de pacification des âmes, c'est-à-dire de lutte inquisitoriale contre le vodou.
(Hurbon, 1987, p.140). Ainsi ils ont fait du vodou une religion de résignation sans potentialités
critiques.

Si l'on veut donc comprendre les difficultés que rencontre l'État haïtien pour accorder au
vodou le statut de religion, il convient d'interroger les pratiques de la classe dominante. Ce que
celle-ci demande à l'Église à cette époque, c'est moins la suppression du vodou, - tâche à vrai dire
impossible - que sa relégation au rang de symbole de la primitivité, de source d'ignorance et de
superstition. Les intellectuels haïtiens annoncent la disparition du vodou du sol haïtien, même si,
pour eux, quelques pratiques parviennent à subsister ici ou là dans les campagnes les plus reculées,
encore peu touchées par l’Église catholique. Ils espèrent ainsi fournir une réponse au racisme
européen, qui gagnait du terrain au XIXe siècle. Les Européens ne pouvant reconnaître dans le
vodou un culte ou une culture originale, l'État haïtien se croyait obligé de faire la preuve de la
disparition de cette pratique sous le feu de l'action missionnaire de l'Église. De 1896 à 1899, une
première grande campagne dite « antisuperstitieuse » est organisée par les autorités ecclésiastiques
à travers le pays ( Hurbon, 1987, p.142).

En 1899, l'une des « campagnes antisuperstitieuses » les plus violentes sera lancée par
l'Église catholique contre le vodou. En dépit de toute une tâche de réhabilitation du vodou
entreprise pour la première fois dès les années 1930 (sous la direction de J.-P. Mars), rien ne pourra
empêcher la grande flambée d'inquisition anti-vodou de 1941. L'Église et l'État se retrouvent
solidaires contre le même ennemi. Mais on aurait tort de croire que le problème réside tout entier
dans la seule persécution du vodou. L'obsession réelle, c'est l'immense foule de paysans
parcellaires ou sans terres et de mendiants de bidonvilles, qui représente une menace permanente
pour la « paix sociale ». Le vodou est alors réinscrit dans la société comme un prétexte, plus
précisément comme un signifiant d'immoralité, de désordre, de primitivisme, donc comme un
marquage social. À la limite, plus on prononce des anathèmes contre le vodou, plus on espère
enfermer le vodouisant dans son univers. Le vodouisant redevenait au XIXe siècle un délinquant,
comme aux beaux jours de l'esclavage.

Le vodou et sa patrimonialité

Avant d’aborder la question de la patrimonialité du vodou, il convient définir la notion


même du patrimoine. La nature englobante dont jouit celui-ci aujourd’hui le présente comme une
notion dynamique et il s’élargit au fil du temps. Ce qui n’était pas patrimoine peut le devenir avec
le temps. Les limites temporelles et spatiales de la notion de patrimoine sont donc largement
extensibles. À cet effet, la notion de patrimoine serait donc interchangeable à plusieurs autres
termes (monuments, objets d’art, héritage…). Ainsi Michel Vernière (2011) définit le patrimoine
comme « un ensemble de biens, matériels ou immatériels, dont l’une des caractéristiques est de
permettre d’établir un lien entre les générations, tant passées que futures. Il est donc lié à un
héritage à transmettre, issu de l’histoire, plus ou moins ancienne, du territoire ou groupe
considéré. Le patrimoine, au sens retenu ici, a nécessairement une dimension collective et sa
conservation relève de l’intérêt général. Pour les économistes, il s’agit d’un bien collectif, d’une
ressource collective » (Vernière, 2011, p. 8).
Le paysage culturel haïtien est dominé par le vodou. Celui-ci est considéré comme source
vivante où l’haïtianité puise sa singularité, son originalité. Le Vodou, étant religion traditionnelle
du peuple haïtien et élément constitutif essentiel de l’identité nationale, le concevoir à la fois
comme « religion vivante » et patrimoine suscite de nombreux enjeux en ce sens que la
patrimonialisation d’un objet ou d’un bien religieux supposerait le déplacement de sa fonction et
son appropriation cultuelle vers le culturel (Régulus, 2008, cité dans Régulus, 2010, p7). Sur ce,
nous allons analyser le vodou sur l’angle du patrimoine culturel immatériel en tenant compte des
trois principaux critères de ce type de patrimoine qui sont la reconnaissance l’appropriation et la
transmission. La question de patrimonialité du vodou fait référence à toute une série de caractères
propres à cette tradition religieuse et qui lui confère la légitimité d’être considéré ou perçu comme
source vive de nombreux éléments du patrimoine culturel haïtien en plus d’être en lui-même un
patrimoine national en raison de son ancrage sociohistorique et territorial. Cette patrimonialité peut
s’expliquer à travers trois axes : le lien mémoriel entre le vodou et l’accession à l’indépendance,
le rapport étroit entre le cultuel et le culturel autrement dit l’appropriation du vodou et la
transmissibilité de ce dernier.

Considérer le patrimoine comme héritage c’est dire qu’il renvoie à un passé, il apparaît
dans une naissance et signifie des origines. Ainsi, il est relatif à la mémoire individuelle et
collective d’une communauté, d’une société. Selon Le Goff (1998), le fait d’attribuer une origine
mythique à un patrimoine c’est lui donner une solidité, une propriété sacrée et c’est ce qui semble
être la caractéristique principale d’un « vrai patrimoine ». Et en ce sens le vodou ne fait pas
exception à ce cas de figure puisqu’il est intimement lié à l’histoire et à la mémoire collective du
peuple haïtien.

Bon nombre d’effort ont été consentis en vue d’éradiquer le vodou mais cette tradition
ancestrale persiste dans la société haïtienne comme une religion vivante en raison de son
importance dans la construction de l’identité haïtienne. Ce dernier peut être perçu comme le pilier
de la culture haïtienne. « En observant le vécu de l’haïtien, Claude Planson s’interroge de la
manière suivante : On est seulement en droit de se demander s’il existe un seul Haïtien qui, d’une
manière ou d’une autre, ne soit pas relié au vaudou, même si ces liens sont souvent, pour nous,
imperceptibles » (Régulus, 2010, p 15). Au-delà de l’aspect religieux ou cultuel que revêt le vodou
il convient aussi de souligner son aspect culturel, puisqu’il peut être considéré comme une source
vive de la musique, de la peinture, de la danse et de la littérature orale. Dans cette veine, en
observant les peintres de Saint-soleil, en 1976 André Malraux eut à dire que la peinture haïtienne,
ancrée sur l’imaginaire des dieux du vodou, a une portée universelle (Malraux 1976, cité dans
Hurbon, 2001, p51).

Après la reconnaissance et l'appropriation, la transmission est l’un des éléments


fondamentaux qui distingue le patrimoine immatériel. L’être humain demeure seul à pouvoir
reconnaître et s’approprier un patrimoine culturel immatériel. En ce sens, sans transmission sur un
support humain, ce type de patrimoine est appelé à disparaître. Car la dimension humaine de
l’appropriation, de la reconnaissance et de la transmission repose, entre autres, sur les organes
sensoriels. La photographie, les enregistrements sonores et audiovisuels d’une pratique culturelle
ne peuvent être que fragmentaires (Le Scouarnec, 2004 cité par Régulus, 2010 p.17).

Dans le vodou haïtien, celui qui a accédé au rang d’ougan ou de manbo à la fin du cycle
initiatique (ce qu’on appelle prise d’ason ), n’a pas seulement à jouir de la protection ou des
privilèges qui se rattachent à son patrimoine mystique, mais il a aussi une vocation ou un devoir
de transmettre ce qu’il a reçu des générations précédentes tout en adaptant cet héritage aux
évolutions du monde qui l’entoure. Ayant hérité de ceux qui l’ont précédé, il est invité à produire
à son tour d’autres héritiers qui s’inscriront dans un projet continu de transmission (Régulus, 2010
p.17).

En somme, le vodou fut pendant longtemps associé à la superstition barbare et au culte


démoniaque et a fait l’objet d’une éradication. Cependant malgré cet acharnement à l’encontre du
vodou il y demeure encore. Et ceci en se positionnant comme l’axe fondamental de la cuture
haïtienne. En se basant sur les trois critères de patrimonialisation qui sont la reconnaissance,
l’appropriation et la transmission l’on est en passe de dire que le vodou respecte largement ces
derniers. Bien que les conditions de cette conservation aient été très douloureuse mais aujourd’hui
l’ethnogenèse des haïtiens comme peuple ne peut être expliquée sans se référer aux bagages
culturels et religieux du vodou.
Bibliographies

Gilles, Claude (2017), Oralité et transmission des savoirs : Etudes de cas sur les pratiques du
vodou haïtien à Montréal-Nord. (Mémoire de maîtrise en communication à l’Université du Québec
à Montréal, Canada. Récupéré d’archipel, l’archive de publication de l’UQAM :
https://archipel.uqam.ca/6135/ , consulté le 02 \11\22.

Hurbon, Laënnec (2001), « Transformations du vodou haïtien dans le contexte de la


mondialisation », Conjonction, 206, pp. 49-56.

Hurbon, Laënnec (1987), Comprendre Haïti. Essai sur l’Etat la nation, la culture, Paris, Les
Editions Karthala, p. 174.

Hurbon, Laënnec (1975), « le culte du vodou. Histoire, pensée, vie » Paris, Les Editions
Buchet/Castel, pp.225-249.

Vernières, Michel, 2011. Patrimoine, patrimonialisation, développement local : un essai de


synthèse interdisciplinaire, patrimoine et développement, p.7-18

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