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Vodou, Religion et Civilisation

Vodou, religion, culture


Ginette P. Mathurin, ing.-Chercheur
Présidente de la Fondation DR Daniel Mathurin
Institut Français
19 avril 20017

La traite des noirs et la translation du vaudou en Amérique

Quand Las Casas a fait le plaidoyer auprès de la reine Isabella de mettre fin au génocide des Indiens en
Amérique par la déportation des nègres d’Afrique, il n’avait pas imaginé l’ampleur que cette traite allait
prendre dans ce nouveau monde. En effet, au milieu du XVIIe s on comptait 4220 expéditions négrières
dont 1744 partant de Nantes représentaient 41.3% du total et 33 5% de Bordeaux, la Rochelle et du
Havre. Ces négriers transportaient principalement des ethnies Soudanaises (Wolofs, Bambaras, Sérères
Mandingues et Congos), des Guinéennes (Ashantis, Aguas, Thiambas ou Quimbas, Aradas, Nagos, Adjas,
Yorubas, Haoussas, Ibos,) et des Bantous (Congos et Bandias). Toutes ces expéditions venaient se
ravitailler sur la côte Ouest de l’Afrique depuis le Sénégal jusqu’au Congo pour les transplanter dans le
Nouveau monde sous le nom de commerce triangulaire.

Comme le dit Laennec Hurbon dans son livre Dieu dans le vodou Haïtien, p 73 «Les traits culturels
africains ont dû se détacher des ethnies et survivre en dehors d’elles et les Africains ont dû s’adapter
aux civilisations esclavagistes qui imposèrent sans merci leur prépondérance».

« Les traits culturels des africanismes en Amérique sont persistants dans la technologie, la vie
économique, l’organisation sociale, la religion, l’art, le folklore et des langues cependant c’est dans les
caraïbes, particulièrement en Haïti et au Brésil que la conservation de cet héritage est plus forte. Malgré
le mélange des ethnies intentionnellement réalisé par les esclavagistes sur les plantations, le
regroupement se faisait quand même autour des traditions culturelles. En Haïti il y eut une
réinterprétation des groupes culturels en termes de cultes avec une structure dominante des cultes
africains des Fon et des Yoruba (Mahi et Nago) et le vodou haïtien est né de la cohérence d’une religion,
d’une culture propre à un groupe d’êtres se partageant la même histoire. »

Pour mieux déraciner les esclaves, leur christianisation était d’une importance capitale d’une part pour
les forcer à admettre l’esclavage comme un fait avéré en leur prêchant la soumission aux maitres et
d’autre part pour les acculturer afin d’éviter qu’ils recréent leur vie communautaire. Face au
christianisme le syncrétisme a vu le jour. Ce qui permettait les esclaves de pratiquer leur croyance
ancestrale en utilisant les symboles du christianisme.

Pour les esclaves, le vodou a été le seul lien entre les multiples ethnies qui ont été appelées à vivre une
histoire commune loin de l’alma mater malgré leur christianisation forcée.

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Tout peuple déraciné garde incontestablement dans leur mémoire leur croyance ancestrale afin d’y
trouver un ancrage pour leur survie. On peut donc comprendre pourquoi le vodou a été la toute
première forme de résistance contre l’esclavagisme. Très tôt le marronnage a débuté qui consistait pour
ces africains de retrouver un refuge loin des plantations pour récréer leurs traditions ancestrales afin de
retrouver une unité spirituelle qui leur permet de mieux affronter les maitres. C’est de ces cellules que
la conscience d’une autonomie politique et culturelle allait voir le jour et c’est le vodou qui a été le
ciment dans la cohésion de ces esclaves.

Deux dates ont en effet marqué ce fait :

1757 : où Mackandal un guinéen d’origine utilisa les croyances vodou pour influencer une bande
d’esclaves marrons et les porter à exterminer des colons par le poison. Ce dernier a été brulé vif après
avoir été capturé en pleine cérémonie.

1791 : la célèbre cérémonie du Bois Caïman présidée par Dutty Boukman un hougan qui a su galvanise
les chefs de bandes pour les conduire à l’épopée de 1804. Et, on parlera de pacte de sang des esclaves
en omettant que toutes les églises chrétiennes ont pour base le pacte de sang. «Je mange la chair et je
bois le sang…»

Selon le Dr en théologie Jean Fils Aimé, dans son livre Vodou 101 une spiritualité moderne sans
sorcellerie, publié par Clermont éditeur les sociologues de la religion s’accordent à reconnaitre que le
vodou a joué un rôle déterminant dans l’unification et la conscientisation des esclaves, en ce qui a trait
au processus qui a conduit à la conquête de l’indépendance du territoire haïtien. Ainsi dès 1517 le vodou
servait de force unificatrice aux marrons, qui se regroupaient dans les hauteurs pour échapper à la
rigueur du système esclavagiste, et qui gardaient des révoltes plus ou moins organisées contre les
colons.

Afin d’éviter ces multiples révoltes d’esclaves, il fallait à tout prix Sataniser le vodou qui était à leur base
et qui représentait leur force de cohésion contre toutes formes d’oppression. Et, cela a perpétué dans le
temps car après l’indépendance les premiers chefs d’état ont tous d’une manière ou d’une autre
combattu le vodou.

De Dessalines à Magloire, on peut dire qu’ils l’ont presque tous condamné ou ignoré officiellement mais
officieusement consultaient au moins un hougan ou une mambo afin de connaitre leur sort dans la
politique ou dans leur vie quotidienne.

Dessalines devenu Empereur témoigna de la défiance envers ce vodou jusqu’à interdire les services-
loas. Selon Thomas Madiou, il fit fusiller 50 adeptes de cette religion;

Henry Christophe devenu Roi Henry du Nord après l’assassinat de Dessalines s’alliât avec les pasteurs
anglicans et leur confie la direction de son collège royal.

Alexandre Pétion adoptera le catholicisme romain dans sa constitution du 27 décembre 1806


cependant un bémol y est ajouté concernant l’introduction des autres religions.

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Jean Pierre Boyer son successeur (1818-184) mena une persécution ouverte contre le vodou qui disait-il
est «impropre et défavorable au développement économique et social de la jeune république» et le
protestantisme en chassant les pasteurs d’Haïti et formula le vœu d’un concordat avec le Saint Siege.

Jean-Baptiste Riché (1846-1847) malgré qu’il ait passé une seule année au pouvoir a eu le temps de
réviser la constitution de 1816 et de mener une guerre sans merci au vodou et ses pratiquants.
Cependant il favorisait le protestantisme.

Faustin Soulouque (1847-1859) lui quoique fervent catholique fut un farouche défenseur du vodou.

Pendant toute cette période, le pays était considéré comme un pays d’avatars qui ont su malgré leur
dépouillement et leur ignorance mettre à mal l’armée Napoléonienne et déclarer l’abolition des esclaves
sur leur territoire. Face à cet acte qui menaçait de changer le paradigme esclavagiste sur la carte
mondiale, il fallait que les grandes puissances d’alors représentent Haïti comme un pays de sorciers
assoiffés de sang humain. Et comme le vodou a été le ciment de la révolte qui amena à l’indépendance,
ce dernier devait être diabolisé. Donc à la veille de la signature du concordat du 28 mars 1860 toutes les
grandes nations se liguaient pour étouffer la jeune république. Tout était bon pour montrer aux esclaves
des autres pays esclavagistes l’exemple à ne pas suivre et particulièrement le caractère barbare et
primitif de la religion vodou.

Face à cette situation d’embargo économique et culturelle qui dura 56 ans, tous les dirigeants, à
l’exception de l’Empereur Dessalines et du Roi Henry, ont pensé entrer dans le concert des nations en
rachetant leur indépendance de la France et en rétablissant les liens avec le Saint Siège. C’est ce
qu’entreprend le président Géffrard dès son accession au pouvoir en 1859. Et, le concordat fut signé le
28 mars 1860 avec deux points importants :

1. Le rétablissement de la suprématie de l’Eglise catholique romaine en Haïti


2. L’éradication du vodou haïtien

«Dès lors la religion catholique est considérée par les haïtiens comme la religion officielle tandis que le
vodou est la religion nationale». Tiré de l’extrait de l’analyse du sociologue Jean Claude de Verger cité
par le Dr jean Fils-Aimé. Par ce concordat, la guerre ouverte est donc déclarée au vodou qui a dû se
replier pour mieux survivre en s’accommodant du cadre formel du catholicisme romain. Le syncrétisme
est né.

Ce cadre formel si bien décrit par Milot Rigaud dans son livre La tradition vodou et le vodou haitien parut
en 1953, éditions Niclaus : « Malgré toutes ces misères, le vodou se survit perpétuellement. Tantôt dans
l’ombre, tantôt à ciel ouvert et même par le canal de virulentes polémiques de journaux, la lutte Rome-
vodou continue, sans merci, atténuée cependant, parfois par de rares "tempéraments".

« Souvent traqués dans la personne de leurs propres mystères, honorés par les vodouisants sous la
forme de certaines statues de l’église catholique romaine, grâce à une évolution morphologique due au
syncrétisme religieux opéré entre le Catholicisme romain et le Vodouisme africain, les adeptes du vodou
se sont vus privés de ces statues elles-mêmes ; ce qui veut dire que certaines églises et certains lieux de

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pèlerinage catholiques ont été privés de leurs ornements que les vodouisants avaient, par un adroit
syncrétisme religieux, adoptés pour pouvoir continuer à adorer leurs propres mystères… »

« Plus ou moins obligés de se cacher, le sacerdoce vodou trouve alors bien plus adroit d’opérer
totalement le syncrétisme religieux entre le Vodou et les saints de Rome.»

L’occupation américaine (1915 – 1935) avec sa cohorte de mésaventures socio politiques (assassinat des
leaders comme Charlemagne Péralte et Benoit Batraville, désarmement et expropriation des paysans, et
leur soumission à un régime de travaux forces dans les plantations) va remettre en question la
signification de la victoire de 1804 et provoquer une crise au niveau de l’élite qui va conduire à la révolte
de la classe moyenne et donnera naissance à l’indigénisme. L’haïtien cultivé en pleine crise sociétale se
rapprochera de sa culture, le vodou, à travers ce mouvement. Il faut noter que dans la politique, le
peuple élit Dumarsais Estimé, un noir, à la présidence (1946). A cette époque, deux tendances se sont
alignées, celle de la déculturation et celle qui prône la culture africaine et le retour aux sources
ancestrales. Ce retour aux sources prôné quelques années auparavant par Jean Price Mars,
anthropologue haïtien dans son livre Ainsi parla l’oncle où il présente le vodou comme le ciment de la
culture haïtienne. Il a été le premier a élevé la voix contre la déculturation de l’haïtien par l’église
catholique et ses alliés. Grace à ce mouvement le Bureau d’Ethnologie a vu le jour en 1941 et la faculté
d’ethnologie aussi un peu plus tard. Dès lors, les haïtiens cultivés ont commencé à montrer un intérêt
pour le vodou afin de s’approprier de leur vraie culture.

L’avènement de Duvalier, fervent adepte du vodou et appartenant au mouvement indigéniste, a


favorisé l’émergence du clergé noir mais n’a pas pour autant reconnu le vodou comme la religion
officielle même s’il s’en servait au profit de son pouvoir. A la chute de Duvalier, certains intellectuels de
la classe moyenne ont commencé à s’identifier comme des adeptes de la religion vodou ce qui a favorisé
l’émergence d’organisations vodouisantes qui ont clamé haut et fort leur appartenance.

A travers cette histoire, on peut faire la remarque suivante : la culture haïtienne est une culture de lutte
qui trouve son ciment dans le vodou.

Comment peut-on définir le vodou en Haïti ?

Dans un sens strict, le vodou est une pratique religieuse du peuple haïtien où l’on trouve des croyances,
des cérémonies, des rituels et une forme d’organisation.

Dans un sens large, le vodou est une culture globale, une forme de vie. C’est une culture totale avec ses
composantes (art, religion, symboles, langage, médecine) dans sa dimension ethnologique qui montre
les porteurs matériels de cette culture. Jean Yves Blot, Maitre en Anthropologie, «Culture haïtienne».

Hors de la culture globale, Laennec Hurbon définit le vodou comme «le langage original des masses, le
langage des frustrations socio-historiques des opprimés, un langage de résistance et un lieu
d’invulnérabilité face aux exploiteurs et des oppresseurs».

Le vodou et sa conception du monde et du cosmos

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Si une culture est d’abord une vision de l’interrelation entre le monde et le cosmos, plus qu’une religion,
le vodou est une culture. Selon Harold Courlandier dans son livre Drum and the Hoe, publié dans les
Presses de l’Université de Californie et 1973, le «vodou est un système intégré de concepts concernant
la conduite humaine, régissant les rapports de l’humanité avec ceux qui ont vécu jadis et avec les forces
naturelles et surnaturelles de l’univers». On peut comprendre le vodou comme une complexe et
mystique vision du monde dans laquelle l’homme, la nature et l’invisible sont intimement lies et où le
sacré et le temporel, le matériel et le spirituel n’en font qu’un. Wade Davis va plus loin dans son livre
The Sergent and the Rainbow publie a New York par Warner Book, «Le vodou ne renferme pas
seulement un ensemble de concepts spirituels, il prescrit un mode de vie, une philosophie et un code
éthique qui régulent le comportement social».

Quelles sont les Dimensions de la culture haïtienne ?

Le professeur Jean Yves Blot, actuel doyen de la faculté d’ethnologie les regroupe sous le vocable
dimensions de la culture haïtienne. Et nous citons :

Langue créole est un important instrument de communication du peuple haïtien avec sa grammaire, sa
syntaxe, son lexique qui lui est propre.

L’agriculture haïtienne sème une diversité de produits agricoles avec une technologie propre qui date
de la période coloniale. Elle allie la mise en terre avec les phases lunaires pour améliorer la récolte.

Les associations de travailleurs ont une structure spécifique selon les régions (durée, moment du début,
formes de rémunération, accompagnement musical, nourriture et boisson, …). Ces associations sont
nommées : kombit, kolonn, eskwad, ranpono, douvant jou et autres…

La médecine traditionnelle, a sa vision particulière du corps humain et de l’âme, le Ba et le Ka.


Le ka (gros bon ange) est l'énergie vitale et un double spirituel qui naît en même temps que l'humain. Le
ka survit dans la tombe après la mort grâce au culte funéraire et aux livraisons d'offrandes alimentaires.
Le bâ (ti bon ange), improprement traduit par âme, est un principe spirituel qui prend son envol à la
mort du défunt. Cette composante représente l'énergie de déplacement, de dialogue et de
transformation inhérente à chaque individu. Chaque individu compte en lui des composantes
matérielles et immatérielles qui l'intègrent dans la sphère terrestre du sensible et dans la sphère
impalpable des dieux et ancêtres. Après la mort, grâce à ses composantes éthérées, l'individu peut
espérer une survie posthume dans la tombe et une existence immortelle auprès des puissances
surnaturelles qui règlent les phénomènes cosmiques. D’où le culte des morts, les loas, dans le vodou.

C’est cette compréhension du corps et de l’âme qui porte le serviteur a utilisé des méthodes spécifiques
de diagnostic et de traitement des maladies où les multiples plantes utilisées jouent un grand rôle dans
la pharmacopée haïtienne. Il faut aussi mentionner le rapport des astres dans les traitements ainsi que
les mantras.

L’Art culinaire : La manière de préparer les mets et les épices qui y sont ajoutées fait de l’art culinaire
haïtien une richesse culturelle. Sa richesse vient aussi du fait de ses multiples variétés selon les régions.

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Les chants : dans les chants haïtiens on y trouve codifier, ses mythes, sa cosmogonie, ses craintes, sa
joie, sa vision de la nature, de l’homme, de son environnement et de son histoire. L’haïtien a une
chanson pour toutes les circonstances.

Les contes : Les contes mettent en valeur ses croyances, sa philosophie de la vie et de la mort.

La musique et les danses : la musique traditionnelle se joue avec des instruments spécifiques (tambour,
chacha, flute de bambou, tanbous de toutes dimensions). Les danses sont aussi variées on trouve (le
congo, le yanvalou, le raboday, le mayi, le banda, le zepol, le zarenyen) pour ne citer que celles-là.

La zombification : est une pratique ancestrale perdue sur la planète qui se conserve et se pratique en
Haïti.

Les sociétés secrètes : les sociétés secrètes sont hiérarchisées comme une armée avec leurs limites,
leurs principes et leurs rites propres. Elles sont dénommées : Bizango, Champwel, Makaya, Vlenn
Benndeng. Ils agissent en intelligence secrète pour juger, condamné et protéger les membres de leur
communauté.

Le lakou : regroupe la cellule familiale élargie incluant tante, oncle, cousins et parfois même des voisins
proches. Au sein du lakou on retrouve le cimetière de la famille ainsi que son démembré (sanctuaire).

Les vèvès ou diagrammes rituels : appartiennent à la tradition vodou, ils sont tracés avant et pendant
les cérémonies. Ce sont des condensateurs de forces astrales et des attracteurs rituels de puissances
planétaires auxquelles ils sont mystérieusement liés par une chaine géométrique occulte dont sont
sortis l’écriture et le Langage, l’Architecture et la Cybernétique. Sous l’aspect diversifié de
l’hexagramme, ces diagrammes attractent cérémoniellement les loas ou mystères dont ils sont à la fois
les attributs géométriques. Milot Rigaud, in Diagrammes rituels du Voudou.

En guise de conclusion

« La religion vodou est une spiritualité sans dogme, souple inclusive et fondée sur la rencontre avec les
manifestations du divin ». En Haïti, elle est la synthèse de toutes les pratiques vodou des ethnies
africaines qui ont été déportés pour subir l’esclavage. C’est donc à partir de la force spirituelle qu’elle a
su galvaniser chez ces opprimés que la nation haïtienne a vu pu voir le jour et qui lui a imprimé sa
culture. Il revient à nous, haïtiens, de s’en imprégner, de le nettoyer des scories, d’en tirer la science qui
s’y dégage afin qu’il soit à nouveau non seulement le ciment qui nous lie dans le dialogue inter haïtien
mais aussi pour finalement nous permettre de jouer notre vrai rôle dans le concert des Nations.

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