Élèves en difficulté

À L’ÉCOLE DU JEU

Maryse Métra

Érès | « L'école des parents »

2013/6 n° 605 | pages 32 à 33

ISSN 0424-2238
DOI 10.3917/epar.605.0032
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 32 Point de vue
Dossier
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© D.R.
Maryse
Métra
Rééducatrice, formatrice,
présidente de l’Association
des groupes de soutien au
soutien (Agsas), membre du
comité scientifique
de la Fédération nationale
des associations des
rééducateurs de l’Éducation
nationale (Fnaren).
Auteure de L’Enfant
maître de sa parole,
(éd. Chronique sociale,
2010).
1. Fonctions sensorielles
et motricité.
2. Les maîtres E apportent
une aide pédagogique aux
élèves qui ont des difficultés
pour comprendre et
apprendre, les rééducateurs
ou maîtres G à ceux qui ont
besoin de se réinvestir
dans les tâches scolaires.
3. www.fnaren.fr
4. Groupe d’aide psycho-
pédagogique.
L’école des parents décembre 2013 N°605
32-33 DOS point.indd 32
Élèves en difficulté
à l’école du jeu
À l’école, les enseignants specialisés utilisent le jeu pour réconcilier
les élèves avec les apprentissages et prévenir l’échec scolaire.
L
es connaissances du déve-
loppement de l’enfant sou-
lignent l’importance du jeu
dans le processus cognitif, affec-
tif, social et sensorimoteur 1. Le
jeu a-t-il alors la place qu’il
mérite à l’école ? Les enseignants
sont-ils suffisamment formés à
en apprécier les enjeux dans leur
pratique pédagogique ? Le travail
des enseignants des Réseaux
d’aides spécialisées aux élèves en
difficulté (Rased) est-il menacé
en raison de l’importance accor-
dée au jeu, activité déconsidérée
à l’école ?
Si le jeu peut se mettre au service
de la pédagogie, il est aussi un
médiateur lorsque les élèves ren-
contrent des difficultés dans les
apprentissages. Les maîtres E et les
rééducateurs2 l’utilisent dans les
relations d’aide mises en place
dans les écoles. Les activités
ludiques donnent l’occasion de
mobiliser les intelligences multi-
ples (verbale, logico-mathéma-
tique, spatiale, musicale, corpo-
relle, interpersonnelle et
intrapersonnelle) dont parle
Howard Gardner, psychologue du
développement. Elles stimulent les
curiosités scolaires ou extrasco-
laires, et permettent de repérer les
talents personnels des enfants. Elles
développent aussi la capacité à
imaginer, à penser, à raisonner.
Le jeu, en se projetant et en antici-
pant, en abordant des situations
abstraites, permet à l’enfant d’accé-
der à la capacité de symbolisation
nécessaire pour lire, écrire et comp-
ter. Il facilite aussi la rencontre avec
l’autre, et aide l’enfant à trouver sa
place dans le monde. On a tendance
à opposer jeu et travail. Or, l’essence
même du travail est dans le jeu, qui
permet d’expérimenter presque tous
les préalables des apprentissages
cognitifs ultérieurs.
Quand les élèves rencontrent des
difficultés à l’école, ils peuvent être
aidés par les enseignants spécialisés
des Rased, dont nous réaffirmons
ici toute l’importance. Par le biais
de leur formation, ces profession-
nels abordent l’acte d’apprendre
dans toute sa complexité. C’est pour
cette raison qu’ils utilisent le jeu
comme une médiation dans les sou-
tiens proposés, ou dans les actions
de prévention mises en place dès
l’école maternelle. Nous pouvons
l’observer dans le film de Pierre de
Nicola diffusé par la Fédération
nationale des associations des réé-
ducateurs de l’Éducation nationale
(Fnaren)3, Un parmi les autres (voir
encadré). Le jeu, dans le cadre sco-
laire, offre toutes les facettes de
l’expérience sociale : il apprend à
coopérer, à tenir compte des réac-
tions de l’autre, à les anticiper, à
répondre à ses demandes sans
crainte, à se situer dans un groupe.
Les adultes, avec ces dispositifs de
prévention, peuvent s’adresser à des
classes entières, mais certains élèves
nécessitent une aide individuelle ou
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en petit groupe. Rééducatrice en
GAPP4, puis en Rased pendant plus
de vingt ans, j’ai pu évaluer les effets
positifs du jeu pour remobiliser
l’enfant, et lui permettre de réin-
vestir ses apprentissages
Des enfants confiants
En rééducation, Quentin, sept ans,
jouait principalement à des jeux
fonctionnels comme les puzzles ou
les Kapla, petites planches en bois à
assembler. Son enseignante m’avait
signalé qu’il se réfugiait dans les
manipulations d’objets. Je constatais
alors le sérieux de l’enfant pour
expérimenter et tenter de com-
prendre les mécanismes, les carac-
téristiques de l’objet, découvrir les
relations de cause à effet... Je lui fis
remarquer l’importance que cela
semblait représenter pour lui et, à
ma grande surprise, il revint à des
jeux d’enfants plus jeunes comme
le « caché-trouvé ». Quentin avait
du mal à entrer dans l’abstraction,
et semblait vouloir se rassurer sur la
permanence de l’objet, en multi-
pliant les expériences d’absence et
de présence.
Grâce au jeu, il se sentait autorisé
à prendre le risque du tâtonnement
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 33
On joue ensemble « Un parmi les autres »
À l’école maternelle de Villard-Benoît, à Pontcharra (38), les parents jouent Ce film est réalisé par Pierre de Nicola et produit par
avec les enfants. Tous les jeudis matin, Maryse Charmet, enseignante spécia- la Fédération nationale des associations des rééducateurs
lisée, rééducatrice en Rased, les accueille à 8h30 avec une poignée d’animateurs de l’Éducation nationale (Fnaren).
(ludothécaire, bibliothécaire, assistante sociale). Tandis que les enfants se
construisent des tours en Kapla, les adultes boivent un café et discutent de Vous y découvrirez : le métier du rééducateur et sa nécessité
problèmes d’autorité, de manque de sommeil... Maryse les invite alors à jouer au sein de l’école ; l’importance du jeu dans le développement
en groupe, ou avec leur enfant, avant de clore la séance sur un conte. À l’origine de l’enfant et dans l’aide
du dispositif « On joue ensemble », mis en place en 2008 à l’initiative du Rased à (re)trouver le chemin
et des structures psychosociales du quartier, il y a le désir d’intégrer à l’école des apprentissages ;
les parents qui ne s’y sentent pas très à l’aise, de tisser des liens de confiance des témoignages de
avec eux, et de leur apprendre à jouer en famille. « Le jeu contribue à désacra- parents, d’enseignants,
liser l’école, et c’est un formidable vecteur de socialisation, constate Maryse d’inspecteurs et de psy-
Charmet, par ailleurs présidente de la Fnaren. En jouant avec leurs enfants, les chanalystes parmi les-
parents réalisent ce que les jeux peuvent apporter au niveau éducatif, social, quels Boris Cyrulnik,
cognitif. Bien souvent, d’ailleurs, ils les empruntent à la ludothèque après. Quant Serge Tisseron, Alain
aux élèves, ils sont ravis que leurs parents aient trouvé leur place à l’école, ce qui Guy, etc.
contribue à leur réussite scolaire. »  Anne Lanchon
À commander
sur le site
expérimental. Parallèlement, l’en- sortir de la confusion soi/autre, de de la Fnaren :
seignante changea de regard sur vérifier la place qu’il occupe, et de fnaren.fr/mdias
l’enfant, dont le comportement lui prendre conscience de sa propre (15 €).
paraissait au départ « inadapté », identité.
elle transforma sa démarche Dans le cadre ludique et sécurisant Colette Darsac
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pédagogique.
Les difficultés d’Alexis étaient dif-
férentes. Cet élève de CE2 avait une
« énergie débordante », selon son
maître. Des jeux sensorimoteurs
avec des ballons, des cordes et des
cerceaux m’ont permis de l’accom-
pagner, avec la création de parcours,
où il a engagé son corps, et appris
à appréhender progressivement son
environnement (l’espace, les
autres...). Les décharges pulsion-
nelles du début ont évolué vers une
plus grande maîtrise corporelle et
une meilleure confiance en soi :
deux conditions indispensables,
pour, ultérieurement, prendre le
risque d’apprendre.
Les jeux de fiction ou d’imitation,
eux aussi, sont importants pour
trouver sa place dans le monde envi-
ronnant (l’école, la famille...). Ces
jeux mettent en scène des person-
nages incarnés par l’enfant (la maî-
tresse, le loup...) ou par des figurines
qu’il manipule (pâte à modeler,
Lego, etc.). Aux modèles réels ins-
pirés par l’entourage s’ajoutent
progressivement des personnages
imaginaires qui lui permettent d’ex-
périmenter alternativement les deux
pôles d’une même situation pour
de la relation d’aide, les enfants
peuvent vivre, mais aussi anticiper,
les changements de place auxquels
invite la scolarisation. Faire peur ou
se faire peur, par exemple, permet
de lever les blocages face aux
apprentissages.
Les jeux de règles posent problème
aux enfants qui présentent des dif-
ficultés relationnelles : ce n’est
guère surprenant. La règle com-
porte un certain nombre d’obliga-
tions face au groupe, mais elle
indique aussi comment trouver sa
place dans le jeu. Je l’ai expéri-
menté avec des élèves dans un cadre
rééducatif. Ils ont découvert que le
jeu est toujours un compromis
entre leur désir et celui de l’autre,
et que les contraintes qu’il induit
limitent et autorisent à la fois, tout
comme les apprentissages.
Nadège, une élève de CP, refusait
d’apprendre ses leçons et testait
toujours les limites au sein de la
classe, son enseignante avait du mal
à le supporter. En rééducation, je
décidais donc de jouer à des jeux
de société (jeu de l’oie, dominos...)
qui m’ont permis d’introduire un
autre niveau de règles à respecter.
Ses transgressions, parce qu’elles
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se manifestaient dans le cadre du
jeu, pouvaient être évoquées sans
que l’enfant se sente en danger. En
classe, Nadège voulait tout maîtri-
ser ; dans le jeu, elle s’abandonnait
à des choses qui lui échappaient :
le hasard, les règles du jeu. Un jour,
son enseignante me dit qu’à sa
grande surprise, Nadège lui avait
demandé de rappeler le règlement
de la classe parce qu’un élève ne
l’avait pas respecté. Elle se situait
désormais dans les attentes sco-
laires, en lien avec les autres, tout
en ayant acquis un certain degré
d’autonomie.
La médiation du jeu est essentielle
pour réconcilier les élèves en dif-
ficulté avec l’école, et prévenir un
éventuel échec scolaire. Mais elle
suppose un cadre et une relation
de qualité. D’où la nécessité de
doter les dispositifs Rased en per-
sonnels suffisants, spécialisés,
formés, avec des compétences et
un regard spécifiques, d’autant
que Vincent Peillon, ministre de
l’Éducation nationale, souhaite
étendre leur champ d’interven-
tion au collège. n

N°605 décembre 2013 L’école des parents

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