Vous êtes sur la page 1sur 21

L'Espace public et les médias

Une nouvelle ère ?


Peter Dahlgren, Marc Abélès, Daniel Dayan, Éric Maigret
Dans Hermès, La Revue 1994/1 (N° 13-14), pages 243 à 262
Éditions CNRS Éditions
ISSN 0767-9513
ISBN 227105138X
DOI 10.4267/2042/15528
© CNRS Éditions | Téléchargé le 16/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 176.88.82.191)

© CNRS Éditions | Téléchargé le 16/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 176.88.82.191)

Article disponible en ligne à l’adresse


https://www.cairn.info/revue-hermes-la-revue-1994-1-page-243.htm

Découvrir le sommaire de ce numéro, suivre la revue par email, s’abonner...


Flashez ce QR Code pour accéder à la page de ce numéro sur Cairn.info.

Distribution électronique Cairn.info pour CNRS Éditions.


La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le
cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque
forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est
précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.
Peter Dahlgren
Universite de Stockholm

L'ESPACE PUBLIC
, ET
LES MEDIAS*
une nouvelle ere ?

Traduit de l'anglais par Marc Abeles, Daniel Dayan


et Eric Maigret
© CNRS Éditions | Téléchargé le 16/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 176.88.82.191)

© CNRS Éditions | Téléchargé le 16/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 176.88.82.191)


Le concept d' espace public, a la lumiere des changements affectant notre societe, nous
amene a nous demander comment et dans quelle mesure les moyens de communication de
masse, participent a !'information des citoyens sur le monde eta !'elaboration de leur prises de
positions. Dans ce texte, je retrace brievement 1' evolution de I'idee d' « espace public», en
insistant sur I' apport de Jiirgen Habermas.
Devant les problemes souleves par la methodologie et le cadre theorique de Habermas, je
constate qu'en depit de l'indeniable originalite de ses travaux, de regrettables ambiguites s'y
maintiennent. Diverses reflexions ont alors eu pour objet de renouveler ce concept d' espace
public.
Des notions proches de celle que nous sommes progressivement venus a nommer « espace
public» ont toujours accompagne la theorie democratique. La volonte de susciter des lieux-
forum ou puisse se developper et s'exercer la volonte politique des gouvemes vis-a-vis des
dirigeants a toujours marque 1' evolution historique de la conception democratique. n s' avere en
effet que les points de vue des dirigeants et des gouvemes se sont souvent opposes. Le
developpement d'une democratie de masse dans les pays occidentaux cofucide historiquement
avec la promotion des moyens de communication de masse au rang d'institutions dominantes de
1'espace public.
Tandis que, face aux transformations sociales et aux developpements des medias, !'impor-
tance politique des lieux de debats traditionnels et localises ne cesse de diminuer, la notion

HERMES 13-14 1994


1 243
Peter Dahlgren

d'espace public devient non seulement centrale, mais acquiert une valeur normative. L'idee qu'il
existerait des sites institutionnels au sein desquels une politique populaire prendrait forme par Ia
participation active des citoyens aux processus politiques, devient cruciale pour toute concep-
tion d'une societe ideale. Le bon ou le mauvais fonctionnement de 1' espace public devient une
manifestation concrete du caractere democratique de Ia societe et done, en un sens, l'indicateur
le plus immediatement visible du degre de democratie atteint.
Le concept d' espace public peut etre utilise -et tel est en generalle sens qui s' en est degage
- comme un synonyme pour les processus d'opinion publique ou pour les medias d'informa-
tion eux-memes. Dans son acception plus ambitieuse- celle qu'elabore, par exemple, Jiirgen
Habermas - ce concept d' espace public doit etre compris comme une categorie analytique, un
outil conceptuel permettant non seulement de designer un phenomene social specifique mais
aussi de I'analyser et de l'etudier. Selon Habermas, le concept d'espace public bourgeois designe
un espace social specifique, dont 1'avenement coincide avec le developpement du capitalisme en
Europe occidentale.
L' adjectif « bourgeois » n' est pas ici secondaire, il sert a souligner les circonstances histo-
riques particulieres et Ia dimension de classe du phenomene. En tant que categorie analytique,
1' espace public bourgeois propose un lien dynamique entre une serie d' acteurs, de facteurs et de
contextes, a l'interieur d'une construction theorique coherente. C'est !'ensemble d'une telle
configuration, sa capacite a tenir compte des contingences institutionnelles et discursives qui
confere a ce concept sa puissance analytique. L' analyse de Habermas incorpore, entre autres
© CNRS Éditions | Téléchargé le 16/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 176.88.82.191)

© CNRS Éditions | Téléchargé le 16/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 176.88.82.191)


choses, des perspectives theoriques sur l'histoire, sur Ia structure sociale, sur Ia politique, sur Ia
sociologie des medias, sur Ia nature de !'opinion, et ceci ne donne qu'une faible idee de Ia
complexite de cette notion.
L' etude de Habermas s' acheve sur le constat du declin de 1' espace public bourgeois puis de
sa« desintegration »au sein des £tats-providence du capitalisme industrialise. Si I'on accepte le
verdict de Habermas, sur notre epoque «post-bourgeoise» et sur l'avenir, il ne reste plus grand
chose a dire ou afaire. Mais il est temps de ne plus se contenter de repeter les conclusions de
Habermas.
L'histoire n' est pas statique. L' espace public contemporain est modele par de nouvelles
forces historiques; il recele peut-etre de nouvelles potentialites. Dans Ia mesure ou nous sommes
concemes par Ia dynamique democratique, 1' elaboration d'une theorie de 1' espace public,
adaptee aux faits contemporains s'impose aux chercheurs autant qu'aux acteurs politiques. Ceci
passe par une reevaluation de 1' analyse de Habermas, analyse qu'il faut confronter aux nouvelles
donnees intellectuelles et politiques.
Bien que le texte integral de 1'ouvrage de Habermas, Strukturwandel der 0/fentlichkeit
(1962) ne soit que depuis peu disponible en langue anglaise, sous le titre de Structural
Transformation o/ the Public Sphere (1989), les .elements centraux de sa these sont devenus
familiers aux specialistes britanniques et americains des medias depuis Ia fin des annees 1970,
grace a un article de synthese de Habermas (1974) et a de nombreux commentaires.

244
L'espace public et les medias: une nouvelle ere?

Sur la base de ces quelques textes, il etait deja possible de voir a quel point la notion
d'espace public chez Habermas, et !'importance qu'elle accorde ala democratie et aux medias,
est en affinite avec la pensee liberale predominante des traditions anglo-americaines. Cette
notion se distingue cependant par une dimension theorique ambitieuse en contraste avec les
diverses traditions de la theorie liberale democrate, traditions dont 1' analyse de Habermas
construit aussi la critique.

L' ambiguite de Habermas


Cette breve presentation se contentera de proposer une version condensee des theses de
Habermas et d'identifier parmi celles-ci quelques elements problematiques. Mats Dahlkvist
(1984) propose une analyse plus detaillee dans son excellente introduction a la traduction
suedoise. Une discussion similaire existe aussi en anglais (Keane, 1984).
Les classes bourgeoises ascendantes en Europe de l'Ouest, en luttant contre les prerogatives
de l'Etat absolutiste, ont reussi a degager un espace de debats entre l'Etat et la societe civile.
Leur lotte a declenche des reactions en chaine, surtout au coors du XVIII" siecle. En opposition
avec ce que Habermas appelle la « publicite de representation» (representative publicness) de
1'epoque medievale, durant laquelle la noblesse gouvemante se contente d' offrir au people le
© CNRS Éditions | Téléchargé le 16/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 176.88.82.191)

© CNRS Éditions | Téléchargé le 16/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 176.88.82.191)


spectacle du pouvoir, le nouvel espace public offre aux citoyens la possibilite de debattre de
1'exercice du pouvoir etatique. Autrement dit, des individus prives usant de leur propre raison
critique se transforment en un public. Caracterise par les debats et les ecrits des « hommes de
lettres », 1' espace public bourgeois atteint son apogee entre le debut et le milieu du XIX" siecle.
En retra~ant cette evolution, Habermas souligne ses aspects positifs mais il fait ressortir
l'une des failles fondamentales de la vision du monde utilisee par les classes bourgeoises pour se
representer elles-memes, a savoir l'universalisme. Certes, il existe des variantes specifiques dans
le developpement general de l'espace public en Allemagne, en Grande-Bretagne et en France,
mais dans la plupart des cas on observe que les droits lies ala citoyennete, c'est-a-dire l'acces a
1'espace public, ou le vote, ne sont pas accordes a taus. Tis ne concement, pour 1'essentiel, que
les titulaires de proprietes.
De plus, 1' aptitude a lire et a ecrire introduit un principe de selection, principe implicite
dans le meilleur des cas, et qui, etant donnee la structure sociale de 1' epoque, tend a coincider
avec la possession de biens. Habermas s' applique ainsi a mettre en evidence les contradictions
entre I'ideal d' egalite formelle defendu par la doctrine liberale et les inegalites sociales engen-
drees par les relations de marche, contradictions dont nous debattons toujours aujourd'hui.
Malgre ces restrictions deja apportees a 1'acces a 1'espace public, le milieu du XIX" siecle, a
I' apogee d'un capitalisme du laisser-/aire1, voit des philosophes liberaux comme Mill ou Tocque-
ville s'activer a poser les limites du statut, du role et du pouvoir de ce que l'on va appeler

245
Peter Dahlgren

«I'opinion publique ». Ces philosophes entrevoient clairement les menaces qui pourraient peser
sur 1'ordre social dominant si le pouvoir devait reellement etre subordonne a Ia volonte
populaire. Mais ce ne sont pas des arguments philosophiques en soi qui amorcent Ia desintegra-
tion de 1'espace public bourgeois. De rapides transformations sociales alterent en effet son
environnement et ses conditions d' existence.
Dans Ia seconde moitie du XIX" siecle, !'industrialisation, Ia poussee de l' alphabetisation et
de Ia presse populaire, et enfin, element qui n'est pas des moindres, Ia mantee en puissance d'un
Etat interventionniste et administratif, contribuent respectivement a son declin. Ces change-
ments ont notamment pour consequences de brouiller Ia distinction entre public et prive dans
les domaines de l' economie et de Ia politique, d' entrainer une rationalisation et un retrecisse-
ment de Ia sphere privee intime (Ia vie de famille) et de mener graduellement au passage d'un
public, certes restreint mais activement engage dans les debats politiques et culturels, a un public
de masse desormais compose de consommateurs.
L'emergence de l'Etat-providence du XX" siecle entraine pour Habermas, de nouvelles
transformations de l' espace public. Le role critique du joumalisme s' efface devant l'essor de Ia
publicite, du spectacle et des relations publiques. L'opinion publique n'est plus le produit d'un
discours rationnel. Elle se fabrique a 1'aide de publicite et de manipulation mediatique. Parvenu
a ce point, le recit de Habermas aborde des questions plus familieres au lecteur anglo-americain.
En fait, dans Ia derniere partie de son livre, Habermas etaie ses arguments, en faisant appel a des
classiques des annees cinquante: La joule solitaire, de Riesman, et The Organization Man, de
© CNRS Éditions | Téléchargé le 16/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 176.88.82.191)

© CNRS Éditions | Téléchargé le 16/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 176.88.82.191)


Whyte. Dans les deux dernieres pages, Ia distinction que C. W. Mills opere entre «public» et
«masse» (cf. The Power Elite), lui sert a clarifier sa propre position. La rencontre avec Mills est
eclairante. Grace a 1' analyse de Mills sur les relations de pouvoir au milieu du siecle aux
Etats-Unis, le lecteur peut faire le lien entre Ia reflexion de Habermas et les differentes traditions
de recherche sur les medias apparus au cours des deux dernieres decennies. Celles-ci ne se
limitent pas aux courants neo-marxistes; un ouvrage tel que celui de Postman (1986) se fait
l' echo de bien des theses de Habermas.
L' analyse de Habermas est veritablement ambitieuse, et elle convainc pour 1' essentiel, mais
elle n'est pas sans poser quelques problemes. Ainsi, peut-on I'accuser d'une double exageration.
D'une part, meme a son zenith, le discours bourgeois n'a jamais manifeste le degre de rationalite
que Habermas lui attribue. D' autre part, Ia situation en periode de capitalisme avance - aussi
sombre soit-elle - est loin d'etre aussi bloquee et aussi desesperee qu'ill'affirme. Mais il ne
s'agit Ia que d'un probleme d'evaluation historique. En revanche, si on etudie Ia logique interne
de son discours, il semble que nous puissions y relever trois grandes zones d' ambigUite. Celles-ci
sont centrales. Elles sont de plus interdependantes :
-1. L'ideal d'un espace public bourgeois avec ses salons et ses publications litteraires,
sert de modele, bien que ses manifestations historiques fussent en fait relativement modestes. La
critique devastatrice de Habermas se teinte alors d'un romantisme qui confine a Ia nostalgie, et
d'un pessimisme diffus. Habermas semble attache a un ideal dont lui-meme a brillamment
montre que la realite historique relevait du mythe, donnant le sentiment d' aboutir a une impasse.

246
L'espace public et les medias : une nouvelle ere ?

Dans ses travaux ulterieurs, par exemple dans les deux volumes de la Theorie de l'agir
communicationnel (1987) 2, Habermas examine les problemes lies a la communication dans le
systeme social, mais il n' aborde que brievement les problemes specifiques et concrets de 1' espace
public. Dans cette etude qui opere une distinction fondamentale entre « systeme » et « monde
vecu » - dichotomie problematique selon plusieurs critiques (par exemple Baxter, 1987) -la
sphere privee et l'espace public se rejoignent a l'interieur d'un monde vecu colonise, ou une
communication normativement fondee est subvertie par la rationalite instrumentale du systeme.
lei, Habermas ne fait guere que repeter sa these a un niveau plus eleve d' abstraction, que la
reformuler dans le vocabulaire de la theorie des systemes.
A cette observation, on pourrait ajouter qu'il existe une omission majeure dans la critique
de 1' espace public bourgeois developpee par Habermas : alors qu'il en repere nettement la
dimension de classe, il n' en souligne pas la nature patriarcale. Sa conception de 1'espace public
est fondee sur une dichotomie public/prive, mais si l'on adopte une perspective feministe, le fait
d' adherer a une telle dichotomie sans recul critique, amene a se rendre - tout comme le
liberalisme - complice de la subordination des femmes. L'universalisme et 1'egalitarisme de la
theorie democratique sont ainsi remis en question par les rapports de domination entre les sexes
autant qu'entre les classes. Les alternatives proposees par les socialistes eux-memes, n'ont passu
prendre convenablement en charge les differences sexuelles, comme de recentes publications
feministes 1' ont demontre. Cependant, les critiques feministes reconnaissent volontiers la
complexite du probleme (Pateman, 1987). On peut trouver dans Fraser (1987) une excellente
© CNRS Éditions | Téléchargé le 16/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 176.88.82.191)

© CNRS Éditions | Téléchargé le 16/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 176.88.82.191)


analyse feministe des derniers travaux de Habermas, fidele a la tradition et a 1' esprit de la
Theorie critique.
- 2. Habermas ne dit rien de I'existence de spheres publiques alternatives, « ple-
beiennes », populaires, informelles ou oppositionnelles. n laisse ainsi un grand vide theorique.
Pourtant, a 1' epoque du liberalisme, comme a celle du capitalisme avance, il a existe d' autres
forums qui ont fa~onne la conscience politique des individus, servi de reseaux d'echange de
!'information, et fourni un cadre aI'expression culturelle. Le travail d'Oskar Negt et d'Alexan-
der Kluge, visant aformuler une theorie de 1'« espace public proletaire », tente de conceptualiser
une telle alternative (Knodler-Bunte, 1975). Historiquement, on peut ainsi evoquer les syndicats
entre autres mouvements politiques populaires qui ont combine des fonctions culturelles,
sociales et informatives tout en creant des milieux propices au debat.
- 3. Les recherches actuelles sur les medias, la semiologie, la Theorie culturelle et les
modes de pensee « postmodernes » permettent de suggerer un corollaire a ce second point. Le
livre de Habermas semble mettre en jeu une conception implicite de la fa~on dont une
conversation se deroule et dont se degagent les opinions politiques. Cette conception parait
etrangement abstraite, formaliste. Habermas ne fait reference ni aux complexites et aux contra-
dictions survenant dans la production de sens, ni aux contextes sociaux ou a lieu concretement
celle-d, ni aux ressources culturelles qu' elle met en reuvre.
Certes, il est un peu facile de se livrer a ce type de critique, trente ans apres, et en

247
Peter Dahlgren

connaissance de toutes les recherches menees entre temps. On peut neanmoins soutenir que les
travaux recents de Habermas sur la pragmatique universelle et sur les situations ideales de
parole, confirment la vision hautement rationaliste de la communication humaine qui se profilait
de fa\;on implicite dans ses premiers travaux.
C' est ici qu'il faudrait evoquer les debats sur le postmodernisme, debats dont Habermas a
ete l'un des grands protagonistes (Habermas, 1986; Bernstein, 1987). Sans vouloir aborder ici
ces debats en detail, il est neanmoins utile de souligner !'importance d'une question: celle de la
production du sens. Cette question est en effet essentielle pour la comprehension des processus
micro-sociaux qui determinent 1'acces des citoyens a1'espace public. La perspective developpee
par les chercheurs culturalistes est ici tout aussi indispensable que celle de la linguistique ou des
sciences politiques.

Pour une reconstruction


ll est impossible de bien comprendre 1' analyse proposee par Habermas de 1'espace public
bourgeois, sans tenir compte du fait que cette analyse represente une certaine tradition : celle de
la Theorie critique, de 1'ecole de Francfort. Cette appartenance donne au concept d' espace
public sa specificite intellectuelle ; elle l'inscrit dans un contexte historique concret. Methodolo-
© CNRS Éditions | Téléchargé le 16/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 176.88.82.191)

© CNRS Éditions | Téléchargé le 16/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 176.88.82.191)


giquement, elle signifie que le travail de Habermas privilegie une approche critique. L' apparente
factualite du phenomene observe (l'espace public bourgeois), et les categories conceptuelles
servant a l'apprehender (opinion publique, citoyen, vote), sont en effet soumises a un ques-
tionnement portant sur les conditions historiques et sur les limites de leur validite.
Ce questionnement est guide par une demarche emancipatoire. Autrement dit, lorsque
Habermas examine 1'espace public bourgeois, il n' en accepte pas 1'auto-definition mais cherche
plutot aelucider les circonstances historiques qui 1'ont rendu aun certain moment possible, et, a
un autre moment, caduc. Son analyse va alors porter sur les conditions, sur les causes sociales,
sur le mode de fonctionnement d'un decalage. Ce decalage oppose d'une part les categories
conceptuelles utilisees par le discours sur 1'espace public, et, de 1'autre, 1'ensemble des relations
sociales et des valeurs qui etaient effectivement en jeu. En un mot, Habermas fait ressortir la
composante illusoire ou ideologique de son objet. Une fois le decalage ainsi mis en evidence,
Habermas tente aussi de voir ce a quoi il a bien pu servir, ce qu'il a accompli socialement. ll
tente enfin de savoir sur quoi debouche la prise de conscience de ce decalage. C' est en ce sens
que l'on peut parler, chez lui, d'une methode critique.
L'approche critique de l'Ecole de Francfort constitue un immense progres dans le champ
de I'analyse des medias (Negt, 1980). Cela n'implique pas que nous devions conferer aux textes
a
de cette ecole une autorite biblique. Une telle canonisation ne ferait que mener une impasse et
serait contraire a!'ambition de cette critique elle-meme. nest bien plus fructueux d'integrer une

248
L'espace public et les medias : une nouvelle ere ?

telle demarche critique au projet general des sciences humaines et, en particulier, lorsqu'a
propos des medias, se posent notamment des problemes ideologiques (Thompson, 1988). La
dimension critique de 1' analyse devient alors une dimension necessaire, mais parmi d' autres. En
cela, elle vient completer des approches empirique, interpretative, reflexive (si on accepte de les
nommer ainsi..). Le moment critique n'est done ni exhaustif ni exclusif. De plus, on sait
desormais que son projet liberatoire se heurte a des limites conceptuelles (Benhabib, 1986; Fay,
1987).
Le type de savoir que permet 1' approche critique revele Ia contingence de certains pheno-
menes. n devoile aussi des possibilites nouvelles : possibilites de changement, d'intervention
humaine dans un monde social dont on finit souvent par oublier qu'il est cree par l'homme. A
cet egard, 1'approche critique de Habermas semble ne pas aller assez loin. Elle ne menage, en
effet, aucun lieu ou pourrait s' exercer une telle intervention. Dans le cas de 1'espace public, il
s'agit de ne pas abandonner le concept a un sort placide de referent descriptif. n s'agit de rester
a
vigilant ce que 1' espace public pourrait ou devrait etre. Et ici, 1'approche critique - si elle n' est
pas exclusive d' autres approches - est un instrument ideal. Elle permet en effet de depasser des
demarcations par trop rigides: le latent et manifeste; ce qui existe et ce qui pourrait exister. Elle
permet un nouveau trace des lignes de partage, et peut nous rapprocher d' autant d'une societe
plus democratique.
Si 1'on veut, a partir d'Habermas, reconstruire la categorie analytique d' espace public, il me
a
© CNRS Éditions | Téléchargé le 16/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 176.88.82.191)

© CNRS Éditions | Téléchargé le 16/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 176.88.82.191)


semble utile, voire imperatif, de retenir cette dimension critique. Mais, pour cela, il reste
depasser les analyses- souvent ambigues- qu'il a lui-meme menees. L'image romantique d'un
espace public ou les individus s'adressent Ia parole en face a face ou communiquent par
opuscules a faibles tirages, ne sert pas a grand-chose puisque nous ne disposons pas de machines
a remonter le temps. Pourtant, le fait que notre epoque soit celle des medias electroniques et des
publics de masse, ne condamne pas au pessimisme. Le concept d' espace public de masse peut
a
fonctionner comme !'evocation d'un but atteindre, nous offrir une vision concrete d'une
societe democratique, nourrir notre capacite a penser sur le mode utopique. L' espace public doit
etre, pour le citoyen, un sujet de preoccupation, de vigilance, d'intervention. L'espace public
demande a etre protege, a etre elargi. ll appelle un engagement politique. En un mot, il peut etre
mobilisateur plutot que paralysant.
Resumons : pour etre capable de guider la reflexion et la recherche, toute conception de
l'espace public contemporain - de l'espace public «post-bourgeois» - devra partir d'un
examen des configurations institutionnelles prop res aux medias et a 1' ensemble de 1'ordre social.
ll s'agit de voir si ces configurations favorisent (ou non) Ia participation democratique des
citoyens.
L'intersection que le concept d'espace public permet, entre plusieurs domaines, est ici
essentielle. n est egalement essentiel que les analyses tiennent compte des realites historiques du
moment et soient done episodiquement remises a jour. Certes, il est evidemment absurde
a
d'ignorer la suprematie dont jouissent actuellement les medias grand public. Mais le fait

249
Peter Dahlgren

d' exagerer leur homogeneite, ou leur monolithisme risque de nous rendre aveugles devant
l' emergence de nouvelles formes d' espace public. L' ordre social, les institutions politiques qui le
garantissent, et, par consequent, 1' espace public contemporain, sont tout sauf figes.
Nous devons egalement tenir compte des processus de creation de sensa l'ceuvre dans la vie
quotidienne, surtout lorsque celle-d entre en interaction avec la culture mediatique. Les
enquetes empiriques et les constructions theoriques se sont multipliees sur ce sujet. Nous
pouvons participer a ces travaux, ou en tout cas, en tirer les conclusions. Une comprehension
nuancee des possibilites et des limites de la production et de la circulation du sens nous
permettrait en effet d' echapper a bien des pieges : la croyance en un « homme rationnel » en
papier mache, la reduction de toute signification a l'ideologie, le regne d'une polysemie infinie
dans la perception des medias par leur public (Dahlgren, 1987, 1988).
Nous ne partons pas de zero. N'oublions pas tout ce que nous savons deja sur les medias, la
politique et les problemes de la democratie. Toutes sortes de travaux - interpretatifs, empi-
riques, re:flexifs, critiques - sont disponibles. lls sont souvent pertinents, parfois excellents. Par
exemple, la sociologie de la production des nouvelles nous en dit long sur les contraintes et sur
les contingences qui fa<;onnent les pratiques journalistiques, et les produits qui en resultent3 • Et,
si 1' on re:flechit sur la nature des preoccupations et sur les debats concernant la liberte des
journalistes - acces a !'information, utilisation des sources, cadres juridiques permettant
d'equilibrer les exigences du bien public et de la vie privee- on s'aper<;oit que ces preoccupa-
© CNRS Éditions | Téléchargé le 16/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 176.88.82.191)

© CNRS Éditions | Téléchargé le 16/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 176.88.82.191)


tions et que ces debats sont aussi cruciaux pour l'espace public aujourd'hui qu'ils etaient au
debut du XIX" siecle. Peut-etre meme davantage, si I' on tient compte des progres de l'informa-
tique.

Les configurations institutionnelles : une nouvelle ere


mediatique
Les configurations institutionnelles propres a 1'ordre social dominant et a ses medias sont
d'une complexite immense, et il existe d'innombrables fa<;ons de les representer. La categorie
d'espace public peut nous aider ales ordonner de fa<;on coherente a partir d'un critere: l'acces
et la participation du citoyen au processus politique. Les annees qui ont suivi la sortie du livre de
Habermas ont ete le theatre de nombreux et dramatiques changements de societe, changements
qui continuent a s' accelerer dans le domaine des medias. Parler d'une nouvelle ere mediatique
ne releve evidemment pas de ce que les historiens accepteraient comme une periodisation
serieuse. n s'agit simplement ici de souligner I'importance des transformations qui ont affecte les
medias et la societe en general. Ni les institutions mediatiques ni les constellations du pouvoir
social ne sont tout a fait ce qu' elles etaient au debut des annees soixante.
L'economie politique des moyens traditionnels de communication de masse dans les

250
L'espace public et les medias : une nouvelle ere ?

societes occidentales a evolue de maniere significative. De nombreux chercheurs ont attire notre
attention sur les changements dramatiques operes sur les medias dans les domaines de la
propriete, du controle et du pouvoir politique. Les processus de privatisation, de concentration
des entreprises, de transnationalisation et de deregulation ont amplifie et repandu la logique
mercantile des operations mediatiques, et progressivement exclu toute reference a d' autres
normes (Murdock, 1990 a).
Les chaines publiques ont toujours joue un role mineur aux Etats-Unis dans un systeme
presque totalement commercial. En Europe occidentale, les chaines de service public ont vu
leurs conditions historiques d' existence se desagreger a grande vitesse, ce qui a conduit bien des
pays a capituler devant les imperatifs commerciaux, l'Etat contribuant a ces changements au lieu
de leur resister (Keane, 1989; McQuail et Siune, 1986). L'espace public moderne semble alors
etre redevenu « 1'espace public de representation » de 1'epoque medievale, epoque durant
laquelle les elites se donnaient en spectacle aux masses, tout en utilisant les lieux publics pour
communiquer entre elles.
Le progres politique ne consiste certes pas a defendre contre les privatisations·les mono-
poles actuellement finances par l'Etat. Ceux-ci se sont souvent averes elitistes, vulnerables a
!'intervention de l'Etat et de plus, languissants. ll s'agirait plutot de jeter les bases d'un systeme
de radio et de television repondant a !'interet public, libere a la fois de !'intervention etatique et
des necessites de la commercialisation, systeme qui, en respectant la diversite des informations,
des opinions et des formes d' expression, favoriserait 1' exercice actif de la citoyennete (Murdock,
© CNRS Éditions | Téléchargé le 16/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 176.88.82.191)

© CNRS Éditions | Téléchargé le 16/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 176.88.82.191)


1990 b).
Dans un autre domaine, la « societe d'information » dont on a tant dame les vertus ne
favorise ni la diffusion d'informations politiquement utiles, ni les possibilites d'expression
culturelle pour le plus grand nombre (Schiller 1989; Garnham, 1990; Melody, 1990). Au
contraire, alors que les progres technologiques multiplient les interfaces entre communications
de masse, ordinateurs, telecommunications et satellites, les forces du marche couplees aux
politiques publiques ont favorise les interets prives au detriment du domaine public. Pour le
citoyen, l'acces a des informations pertinentes va couter de plus en plus cher, se repartir de plus
en plus inegalement, et cela compromettra un peu plus !'ideal universaliste de la citoyennete
(Murdock et Golding, 1989).
Dans le domaine du journalisme, un fosse de plus en plus grand se creuse entre les elites
que l'on informe et les masses que l'on divertit. La presse reussit a adapter ses structures de
fonctionnement a une logique commerciale, mais elle n'en reste pas moins complaisante vis-a-vis
du pouvoir etatique (Curran et Seaton, 1989, pour une etude du cas britannique). Dans le cas du
journalisme televisuel, il est difficile de parler serieusement d'un discours rationnel, au moment
ou la politique et !'information passent avec armes et bagages du cote d'une logique commerciale
de creation et de fidelisation des publics.
Toutes ces reflexions ne font que confirmer !'importance des theses de Habermas sur la
responsabilite des medias modernes face au declin de 1'espace public. Evidemment, ce message

251
Peter Dahlgren

est bien connu. C' est celui que les theoriciens critiques n' ont cesse de repeter depuis des annees.
Sur le statut politique et culture! des medias, une meme logique est a 1' ceuvre, et depuis fort
longtemps. Ce qui etait vrai au debut des annees 60, l'est toujours aujourd'hui, a ceci pres que la
situation a empire. Devant ce sombre tableau, il semble qu'il ne nous reste alors plus qu'a
proceder a quelques retouches. n faut, en somme, le remettre a jour, de temps en temps ; le
completer de donnees plus recentes sur les structures, les messages ou les publics. Pourtant, il y a
un danger a s' en tenir a cette condamnation globale. Elle risque de mener a une vision deformee,
si on ne tient pas compte des tensions et des contradictions internes aux medias, si on ignore les
fissures et les craquements qui s'y manifestent.
En d'autres termes, se contenter de souligner l'aspect monolithique des industries de la
communication, en denon~;ant leurs liens avec les pouvoirs de l'Etat et ceux du capital, c' est
risquer de perdre de vue qu'il existe d' autres configurations qui, elles aussi, determinent la
sphere publique. Pour illustrer cette assertion, je voudrais evoquer quatre domaines majeurs et
interdependants: la crise de l'Etat-nation, la fragmentation des publics, !'apparition de nou-
veaux mouvements politiques et sociaux, la relative liberte d' acces des consommateurs aux
technologies avancees de la communication et de !'information.
La democratie modeme se developpe a l'interieur d'un cadre theorique qui renvoie a
l'Etat-nation. En tant qu'entite politique, celui-ci traverse aujourd'hui une crise profonde,
accable qu'il est de problemes de gestion et de legitimation. Cette crise s'accompagne d'un
© CNRS Éditions | Téléchargé le 16/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 176.88.82.191)

© CNRS Éditions | Téléchargé le 16/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 176.88.82.191)


mouvement de dispersion de la production et d'intemationalisation des capitaux. Les economies
nationales sont de plus en plus controlees de 1' exterieur des frontieres, dependant du contexte
economique mondial.
Sur le front interieur, l'Etat doit faire face a la diminution de ses marges de manceuvre
administratives et politiques, et a une inertie parlementaire que traduit la convergence croissante
des programmes des differents partis.
Lorsque des initiatives politiques majeures connaissent le sucd~s - dans les Etats-Unis de
Reagan, dans la Grande-Bretagne du thatcherisme des annees quatre-vingt- il en resulte des
traumatismes sociaux dont les milieux populaires font les frais. On voit alors se dessiner les
contours d'une «societe des deux tiers»: une sorte d'ecremage social instaure un systeme qui, en
gros, semble ne beneficier qu' aux deux tiers de la population. Le tiers residue! est sacrifie, rejete
peu a peu dans une classe de sous-citoyens. Les partis politiques tombent en discredit et l' on
constate un recul - comprehensible - de la participation politique. Rappelons que Reagan
n'accede au pouvoir que par le soutien d'un quart des electeurs. Dans une telle situation, le
pouvoir fait l'objet d'une contestation passive. Une telle passivite de la sphere publique n'a
jamais ete observee depuis trente ans.
Avec I'adoption croissante d'une logique commerciale par les medias, on peut observer la
mise en place progressive d'un clivage des publics a partir de leurs caracteristiques demo-
graphiques, et d'une evaluation de leurs capacites de consommation. Le joumalisme d'informa-
tion se construit desormais differemment selon les divers groupes vises, en fonction de strategies

252
L'espace public et les medias : une nouvelle ere ?

de marche. Le processus est certainement complexe, mais en gros, il a tendance a reproduire la


polarisation de classe ci-dessus evoquee. On peut parler d'un recul general des medias de
qualite, de ceux qui pretendaient constituer un forum national, a l'instar de I'ex-service public
europeen.
Le conditionnement actif d'une information sur mesure pour des publics specifiques est
particulierement visible, lorsqu'il s'agit du radio-journalisme americain. n sevit aussi a la
television et dans la presse ecrite. La qualite de la presse aux Etats-Unis est ainsi fortement
affectee par le declin de la culture litteraire dans les nouvelles generations de lecteurs, declin
dont les effets retentissent sur !'ensemble de l'industrie (Shaw, 1989). De nouvelles initiatives
donnent !'impression d'inverser 1a tendance a la fragmentation. On peut ainsi parler du succes
d'un nouveau quotidien americain d'envergure nationale: «USA today». Pourtant, l'impact de
ce type d'initiative sur la participation politique reste negligeable. Le declin de tout espace
public viable pour la politique nationale semble irreversible.
A !'intersection de la crise de l'Etat-nation, de l'alanguissement des debats parlementaires et
de Ia fragmentation des publics, apparait par contre, un developpement dramatique : Ia floraison
drue de nouveaux mouvements politiques et sociaux. Ces derniers se manifestent dans des
domaines varies : environnement, desarmement, conditions sociales et droits juridiques des
femmes, des minorites sexuelles, des groupes ethniques et raciaux, problemes de politique
sociale tels que le logement ou Ia securite sociale.
Ces mouvements ne partagent ni les memes orientations, ni les memes objectifs, ni les
© CNRS Éditions | Téléchargé le 16/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 176.88.82.191)

© CNRS Éditions | Téléchargé le 16/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 176.88.82.191)


memes tactiques. De plus, certains d' entre eux se clivent rapidement en courants antagonistes.
Pourtant, malgre des interets tres distincts - ceux des feministes et des environnementalistes,
par exemple - ils reussissent de temps en temps a joindre leurs forces et a mener certaines
campagnes en commun. Une tentative« post-marxiste »de theorisation de ces mouvements peut
etre trouvee dans Laclau et Mouffe (1985). Voir aussi Aronowitz (1988).
Bien que ces mouvements soient majoritairement progressistes, il en existe egalement de
type conservateur ou reactionnaire comme les diverses ailes droites des mouvements chretiens
aux Etats-Unis, et les groupes racistes qui, en Europe, s'opposent a !'immigration. lis ont en
commun 1' origine de leurs militants qui, souvent, viennent des classes moyennes, encore que, Ia
aussi, il n'y ait pas uniformite absolue. Leurs bases politiques se situent en dehors des partis
politiques etablis, bien qu'il puisse leur arriver de contracter des alliances passageres avec ces
partis, ou avec des organisations de classe plus traditionnelles, comme les syndicats.
L'un des traits les plus significatifs de ces mouvements est qu'ils rattachent souvent les
experiences de Ia vie quotidienne, surtout celles de Ia sphere privee (famille, quarrier) a une
vision normative qu'ils traduisent en interventions politiques. Un des principaux facteurs de leur
reussite vient de ce qu'ils disposent d'une technologie informatique et de communication
obtenue a des prix abordables. A 1' aide d' ordinateurs de bureau, d'imprimantes et de fax, ils
reussissent a assurer les multiples taches d'organisation, d'information et de debat, qui leur
incombent. Ceci aurait ete impensable il y a quelques decennies. Ainsi, Ia lettre d'information a-

253
Peter Dahlgren

t-elle pu devenir un medium efficace, eta bon marche. Les divisions s'estompent entre la lettre
d'information, le prospectus et le journal. Par ailleurs, la possibilite de produire un livre dans la
semaine suivant le depot du manuscrit, a deja commence a estomper les frontieres entre le
joumalisme et 1' edition.
En fait, nous assistons a I'emergence d'une pluralite dynamique d'espaces publics altematifs
(Downing, 1988), dans un mouvement complementaire et inverse de celui qui mene a la
fragmentation des publics des medias dominants. Ce serait commettre une erreur que d' exagerer
!'importance de ces mouvements, car les Etats et les grandes entreprises sont certainement mieux
rodes que ceux-ci a !'utilisation des nouveaux medias. Mais, ce serait une erreur tout aussi grave
que de les ignorer.
En effet, si nous procedons maintenant a la synthese des quatre elements de notre
configuration : crise de l'Etat, fragmentation des publics, nouveaux mouvements sociaux, dispo-
nibilite des nouvelles technologies de communication, nous pouvons commencer a entrevoir de
nouvelles conditions historiques pour !'existence d'un espace public. ll suffit que deux de ces
elements entrent en contact pour que surgissent d'interessants points de tension. Par exemple,
les medias dominants ne cessent de delegitimer les nouveaux mouvements sociaux qu'ils
assimilent a une menace pour le systeme (parallelement aux efforts juridiques visant a penaliser
certaines formes d'action politique extra-parlementaire).
Pourtant, les definitions que les medias dominants donnent de la realite ne peuvent plus se
permettre d'etre en contradiction trop voyante avec les experiences et les points de vue de ceux
© CNRS Éditions | Téléchargé le 16/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 176.88.82.191)

© CNRS Éditions | Téléchargé le 16/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 176.88.82.191)


qui participent a de tels mouvements. A mesure que la taille de ces mouvements croit, les
batailles de definition se multiplient. Les grands medias soot contraints de reconnaitre, dans une
certaine mesure, les interpretations du monde social avancees par leurs interlocuteurs des petits
medias.
On peut voir, avec l'exemple de Greenpeace, avec quelle adresse certains mouvements
parviennent a se servir des medias dominants, ce qui suggere un nouveau type de rapports entre
les uns et les autres. Les medias propres a ces mouvements tendent en effet de plus en plus
souvent a servir de sources d'information pour les grands medias. Ainsi, ces mouvements, grace
a leurs medias commencent-t-ils a entrer en competition avec les organisations plus etablies qui
servaient jusqu'ici de «sources» (Schlesinger, 1990), en faisant pression pour obtenir plus
d'espace et de temps pour leurs nouvelles dans les principaux medias. n s'agit peut-etre la d'un
premier signe de la division de 1' espace public. Les medias des mouvements altematifs, lies aux
experiences et aux interpretations de la vie quotidienne de leurs membres, soot de plus en plus
capables d'imposer leurs versions de la realite politique aux medias dominants. Ceci permet ala
fois de diffuser et de legitimer un spectre plus large de points de vue et d'informations.
Si cette interpretation est correcte, nous pourrions bien assister ici a des changements
historiques, paralleles a ceux qu'avait decrits Habermas. Pour ce dernier, les luttes politiques
menees par les classes bourgeoises montantes contre les pouvoirs de l'Etat avaient abouti a creer
un nouvel espace public, espace qui etait entre en declin avant de finalement se desintegrer,

254
L'espace public et les medias : une nouvelle ere ?

a
faisant place ce que Habermas designe comme la « rejeodalisation » du pouvoir social sous
l'Etat-providence. Certes, ces nouveaux mouvements ne sont pas pres de dissoudre ou de
supplanter le pouvoir concentre par des medias lies aux Etats et aux regroupements industriels.
Pourtant leurs medias alternatifs pourraient tres bien parvenir a reequilibrer le systeme domi-
a
nant de communications. Si tel etait le cas, cet espace public deux voix serait en tout cas un
reflet de la transformation des relations sociales de pouvoir.
n faudrait parler en conclusion des evenements historiques sans precedent survenus en
Europe de l'Est et en Europe centrale. Bien que la mise en place d' espaces publics ouverts a
1'opposition soit impensable lorsque la repression d'Etat est totale et systematique (par exemple
dans l'URSS, la Tchecoslovaquie ou la Roumanie d'avant 1989), on peut observer par contre
qu'un appareil repressif relativement benin (en comparaison des autres) - comme celui qui
existait par exemple dans la Pologne des annees quatre-vingt - se montre suffisamment poreux
pour laisser fonctionner un espace public oppositionnel. Les relations entre cet espace public et
les medias dominants se revelent, comme 1' a montre Jakubowicz ( 1990)' inopinement
complexes.
Lorsque l'appareil est plus repressif et qu'il se trouve soudainement relache, nous assistons
aI'explosion de medias alternatifs (dans les republiques Baltes, par exemple), bien que ceux-ci
ne disposent pas des ressources financieres et technologiques dont beneficient les mouvements
a
sociaux l'Ouest. Avec la relative- et peut-etre provisoire - stabilite politique observable
aujourd'hui, notamment en Hongrie, en Pologne et en Tchecoslovaquie, la politisation atteint
© CNRS Éditions | Téléchargé le 16/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 176.88.82.191)

© CNRS Éditions | Téléchargé le 16/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 176.88.82.191)


son niveau le plus eleve. Une «normalisation » est accomplie. Notons pourtant que la conver-
sion aux modeles democratiques occidentaux s'accompagne d'importants investissements occi-
dentaux dans le domaine des medias. Inevitablement, de nouveaux rapports vont s'etablir entre
medias alternatifs et medias dominants, luttes dont, une fois de plus, la sphere public constituera
l'enjeu.

Le domaine de la production du sens


Parler en termes de configurations institutionnelles, c'est s'interesser a l'espace public au
niveau macro-social des structures. En comprendre la dynamique necessite cependant que 1' on
se tourne vers les processus et les conditions de la production du sens : des sujets combinent
leurs experience et leur reflexion pour produire du sens (politique ou autre). Pour rendre
compte d'une telle production, il faut tenir compte de trois facteurs: les interactions entre les
membres du public, !'interface entre medias et public, les produits mediatiques eux-memes.
Commen~ons par le public. La conception du public que developpe Habermas se rap-
proche beaucoup de celle de John Dewey, que l'on peut considerer comme son homologue
a
americain. Tis soulignent, l'un et l'autre, la necessite de penser le public comme un proces situe

255
Peter Dahlgren

l'interieur d'un cadre communautaire4• Pour Habermas, il s'agit de reagir contre une rationalite
technocratique, particulierement preponderante dans le contexte des grands medias. Celle-d
consiste a reduire la notion de public a celle d'une audience de consommateurs de medias. Le
public n'est plus alors qu'un produit a livrer aux publicitaires ou qu'un objet de manipulation
sociale: acheteurs potentiels des produits annonces, electeurs qu'il faut faire basculer du bon
cf>te. La montee en puissance de cette logique commerciale et instrumentale developpe entre les
medias et leurs publics, un climat de cynisme reciproque qui finit par ronger 1' espace public
(Miller, 1987). L'idee meme d'opinion, par exemple, tend a se vider de son sens lorsqu'on s'en
sert pour decrire les resultats des sondages (Bourdieu, 1979).
Malgre son etroitesse, cette vision du public, frequemment adoptee et renforcee par des
discours commerciaux, politiques ou universitaires, se revele indiscutablement utile, en termes
ideologiques. Elle dispense egalement d' avoir a reflechir sur un certain nombre de questions
veritablement centrales pour la sociologie. Celles de savoir, par exemple: comment les publics se
constituent ? Quel est le role joue par les medias dans ce processus ? Quelle est la nature des
liens sociaux entre les membres du public ? Comment le journalisme et les autres medias
reussissent-ils a favoriser ou a exclure la possibilite du dialogue et du debat ? Les publics, en
d'autres termes, different par des conditions et par des traits socioculturels specifiques. Quant
aux medias, ils jouent un role majeur dans la construction des publics.
n a
faut bien souligner que !'importance des medias sur ce point ne tient pas seulement leur
diffusion de !'information, mais aussi aleur logique et aleur strategie d' ensemble. Le journalisme
© CNRS Éditions | Téléchargé le 16/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 176.88.82.191)

© CNRS Éditions | Téléchargé le 16/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 176.88.82.191)


y fait partie d'un ensemble de discours qui lui servent de contexte et lui donnent, selon leur
contenu, un eclairage different. En d' autres termes, 1' espace public s' ouvre aux discours
publicitaires et au spectacle. Le maintien des frontieres devient d' autant plus artificiel, que les
medias eux-memes s'appliquent, avec brio, a en effacer le trace. Tout ceci est essentiel, si l'on
veut comprendre les determinations mediatiques de la production de sens dans 1'espace public.
L'effacement des frontieres entre journalisme, spectacle, relations publiques et publicite
illustre precisement ce que Habermas deplore. Pourtant, il a peut-etre sous-estime le role de la
culture mediatique dans l'instauration de cadres interpretatifs communs. L'existence de ces
cadres interpretatifs ne suffit evidemment pas a instaurer entre les partenaires de la sphere
publique !'interaction requise par un ideal de participation politique. Les medias contribuent
neanmoins, et fortement, a 1' elaboration de perceptions culturelles communes. Bonnes ou
mauvaises, celles-ci ont le merite d'exister. Le type de communaute qu'elles creent peut etre
authentique ou non : mais ceci est un autre probleme.
n est indubitable en tout cas que 1'existence de communautes interpretatives fondees sur les
medias conditionne la production de sens dans un espace public moderne. On peut ne pas aimer
les significations ainsi partagees. Pourtant, tout modele qui viserait aconstruire un public « non
a n
contamine » par la culture des medias se revelerait la fois illusoire et sterile. faut partir des
realites contemporaines telles qu' elles sont.
Signalons a ce propos une evolution significative. L' audiovisuel commercial cree depuis

256
L'espace public et les medias : une nouvelle ere ?

longtemps des « marches » qui ne coincident pas necessairement avec les frontieres politiques
d'une nation. Nous voyons aujourd'hui la television par satellite produire une culture inter-
nationale. Si la fragmentation des publics nationaux favorisait 1' apparition de communautes
interpretatives differenciees, l'intemationalisation de la production d'information televisuelle
favorisera peut-etre par contre la construction de reseaux intemationaux de sens commun.
Meme si de telles constellations n' ont pas de fondement politique forme!, elles peuvent avoir
leur importance dans la formation de 1' opinion intemationale.
Si un veritable «public» se construit dans !'interaction discursive des citoyens, peut-etre
faut-il voir la notion d'audience comme une etape, etape modeste mais necessaire, vers la
construction de ce public. L'appartenance a l'une peut debaucher sur l'appartenance a I'autre.
C' est dans le cadre de 1'audience que s' opere la rencontre avec le produit mediatique. C' est
!'audience qui constitue l'ecologie sociale du lecteur, du spectateur ou de l'auditeur. Quant ala
realite du « public », elle prend forme a partir des pratiques sociales qui, creees dans ce
contexte, se developpent bien au-dela.
De recents debats ont mis en avant le caractere problematique et complexe de la notion
d'audience5. En depit de ceux-ci, il est probablement plus facile, theoriquement et empirique-
ment, d' etudier des audiences que des publics. A condition, bien entendu, de clairement
specifier la relation entre les deux.
La derniere decennie a vu un enorme developpement des etudes sur la reception des medias
et done sur 1' audience. Ces etudes portaient notamment sur le lien entre 1' appartenance a une
© CNRS Éditions | Téléchargé le 16/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 176.88.82.191)

© CNRS Éditions | Téléchargé le 16/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 176.88.82.191)


audience et d'autres pratiques sociales pouvant s'averer pertinentes pour la constitution d'un
public. Un tel programme- notamment celui des chercheurs « culturalistes »-a suscite un
regain d' attention pour les processus actifs de production de sens mis en ceuvre par les membres
d'une audience, en termes d'interaction sociale et de decodage des medias. Au nombre des
problemes simultanement poses : celui des pratiques sociales et culturelles ; celui de la percep-
tion des structures textuelles ; celui du role joue par le langage, la conscience et la subjectivite
dans la construction de la realite sociale6 •
En nous permettant de mieux comprendre les produits mediatiques et la nature des
relations entre medias et audience, ces etudes, tout comme certains courants actuels de
recherche dans les disciplines litteraires nous offrent le moyen de depasser certaines premisses
rationnalistes de la theorie de Habermas. On peut constater un interet croissant pour des
problemes lies ala representation, au realisme, au rituel, ala reception eta la resistance (excusez
les alliterations ... ). Mentionnons enfin les problemes lies a la polysemie et a la conception
plurielle du sujet. Ces problemes sont souvent associes a des points de vue postmodemes, mais
certains des debats presents commencent a ne plus ressembler a des guerres de tranchees et les
nouvelles problematiques ne sont pas a priori rejetees par les courants critique et interpretatif (cf.
notamment: Hall, 1986; Wellmer, 1986; Kellner, 1989a, b).
Faisant simultanement intervenir des themes chers a la theorie critique et des themes
post-modemes, les notions de« plaisir » ou de« resistance» du spectateur se voient reconnaitre

257
Peter Dahlgren

une pertinence, meme lorsqu' on les invoque a propos de discours aussi ostensiblement ration-
nels que 1es programmes d'information (de Certeau, 1984; Fiske, 1987 a,b).
La distinction a priori faite entre information et divertissement devient fort problematique si
on 1a reconsidere du point de vue de la production du sens par 1'audience. Mais sans attendre 1es
conclusions des etudes de reception, 1a production mediatique s' oriente vers 1'« info-spectacle »,
dans un brassage accelere des genres traditionnels. Les recherches actuelles nous incitent a
reflechir sur 1e role joue par le sujet comme site de negociation ou de contestation. Le sens n' est
done jamais fixe. Devant le caractere po1ysemique du discours des medias et des interpretations
de !'audience, cette remarque entraine bien des consequences (Jensen, 1990; Streeter, 1989) que
1'on ne peut explorer ici. Soulignons simplement qu'une question de taille est soulevee : quels ·
rapports y a-t-il entre, d'une part, le « libre jeu » du sens, et, de I'autre, 1e caractere systemique
de 1a structure sociale et de l'ideo1ogie?
Les differents courants - conceptuels, theoriques, methodo1ogiques - qui se regroupent
au sein de l'ecole culturaliste (pour une synthese utile, voir Real, 1989) contribuent tous a un
savoir sur 1a dynamique de la production du sens dans 1'espace public. On peut simplement
regretter que ces travaux aient, pour 1a plupart, porte sur la fiction p1utot que sur 1e joumalisme
et !'information, et que dans ce dernier domaine, seules 1es nouvelles te1evisees, 1argement
etudiees aient fait !'objet d'une ambitieuse theorisation (Collins, 1989), 1es autres medias de
1'espace public ayant ete relativement negliges. Ainsi, les etudes empiriques traditionnelles et 1es
analyses de contenu nous ont certes beaucoup appris sur 1a sociologie de la presse ecrite. Mais
© CNRS Éditions | Téléchargé le 16/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 176.88.82.191)

© CNRS Éditions | Téléchargé le 16/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 176.88.82.191)


elles ne nous disent pas grand chose sur les processus de production de sens par leurs lecteurs.
Les recherches sur le joumalisme (Dahlgren, 1989), ont beaucoup a apprendre des etudes
culturalistes.
Dans cette presentation, j' ai privilegie une certaine interpretation de la notion d' espace
public. Cette notion renvoie adeux grandes questions. La premiere est une question de structure
institutionnelle. La seconde porte sur le processus ambigu de la production du sens. Mais, parler
d' espace public, c'est aussi se situer sur le plan pratique, apprendre aen identifier les manifesta-
tions dans le flux du discours des medias ; apprendre a reconnaitre ce qui est dit, ce qui ne 1'est
pas, et la fa~;on dont ce qui est dit est exprime. C'est se familiariser avec les themes, avec les
debats, avec les styles de presentation, 1es modes d'adresse, la rhetorique. Une telle familiarite
n'est pas seulement necessaire a une comprehension theorique. Elle est la condition d'un
engagement politique concret, engagement qu'il faut mener au sein et au nom de 1'espace public.
Personne n'a jamais promis qu'il etait facile d'etre un citoyen ...
Peter DAHLGREN

NOTES

* Cet article est une version legerement remaniee de !'introduction a l'ouvrage collectif, Communicating Citizenship:
journalism and the Public Sphere to the New Media Age, edite par Peter Dahlgren et Colin Sparks, London,
Routledge, 1991.

258
L'espace public et les medias : une nouvelle ere ?

Nous rappellerons ici que, sur ce sujet, Dominique Wolton a publie un article dans Hermes 10 (1992), intitule « Les
contradictions de 1'espace public mediatise ))
0

1. En fran\;ais dans le texte.


2. Edition fran~aise.
3. Lire Ericson et al. (1987 et 1989), pour un survol de ce champ, ainsi que pour lecompte rendu d'un projet tres
ambitieux qui deborde ce domaine d'etude. Schudson (1989), effectue par ailleurs une tres utile recension de la
litterature parue sur ce sujet.
4. Voir Dewey (1927), puis Carey (1989), et Rosen (1986) pour la discussion relative ala pertinence des propos de
Dewey.

5. Cf. Allor (1989) et les reponses qui lui sont faites dans le meme numero, ainsi que Erni (1989).
6. Pour un rapide survol de cette litterature abondante, ainsi que des syntheses sur les problemes methodologiques et
theoriques, consulter Morley (1989); Moores (1990); Hoijer (1990); Silverstone (1990); Jensen et Jankowski
(1991).

REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
© CNRS Éditions | Téléchargé le 16/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 176.88.82.191)

© CNRS Éditions | Téléchargé le 16/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 176.88.82.191)


ALLoR, M., Relocating the site of the audience, Critical Studies in Mass Communication 5, pp. 217-233, 1988.

ARONOWITZ, S. "Postmodernism ans politics" in A. Ross, ed. Universal Abandon ? The Politics of Postmodernism.
University of Edinburgh Press, 1988.

BARKER, D., "It's been real" : forms of televisual representation. Critical Studies in Mass Communication, March,
1988.

BAXTER, H., "System and life-world in Habermas' Theory of Communicative Action". Theory and Society, vol. 16 nr.
1, 1987.

BENHABIB, S., Critique, Norm and Utopia: A Study of the Fundations of Critical Theory. New York, Columbia
University Press, 1986.

BERNSTEIN, Red., Habermas and Modernity. Cambridge, MA, MIT Press, 1986.

BoURDIEU, P. "Public opinion does not exist" in A. Mattelart & S. Siegelaub, eds. Communication and Class Struggle.
New York International Genera4 1979.

CAREY, J., Communication as Culture. London, Unwin Hyman, 1989.

DE CERTEAU, M., The Practice of Everyday Life. Berkely, University of California Press, 1984.

COLLINS, J., Watching ourselves watch television, or who's your argent? Cultural Studies, Oct. Vol3 r 3, 1989.

259
Peter Dahlgren

CURRAN, J., SEATON, J., Power Without Responsibility; the Press and Broadcasting in Britain. London, Routledge,
1988.

DAHLGREN, P., "Ideology and information in the public sphere" in J.D. Slack and F. Fejes, eds. The Ideology of the
In/ormation Age. Norwood, NJ, Ablex, 1987.

DALGREN, P., "What's the meaning of this? Viewers' plural sense-making of TV news". Media, Culture & Society,
July, vol10 nr3., 1988.

DAHLGREN, P., "Journalism research: tendencies and perspectives". The Nordicom Review a/Nordic Mass Communi-
cation Reasearch. Nr. 2, 1989.

DAHLKVIST, M., "Jiirgen Habermas' teori om 'privat' och 'offentligt'". Introduction to the Swedish edition of
Habermas' Structural Trans/ormation a/ the Public Sphere: Borgerlig offentlighet. Lund, Arkiv, 1984.

DEWEY, J., The Public and its Problems. Chicago, Swallow Press, 1927.

DoWNING, J., "The alternative public realm : the organization of the 1980's antinuclear press in West Germ, any and
Britain". Media, Culture & Society April, vollO nr 2, 1988.

ERicsoN, R. et al, Visualizing Deviance: A Study of News Organization. University of Toronto Press, 1987.

ERicsoN, R. et al, Negotiating Control: A Study of News Sources. University of Toronto Press, 1989.
© CNRS Éditions | Téléchargé le 16/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 176.88.82.191)

© CNRS Éditions | Téléchargé le 16/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 176.88.82.191)


ERNI, J., Where is the "audience" ? : discenring the (impossible) subject. Journal of Communication Inquiry, summer
vol 13 nr 2, 1989.

FAY, B., Critical Social Science. Cambridge, Polity, 1987.

FERGUSON, M., ed., Public Communication: the New Imperatives. London, Sage, 1990.

FISKE, J., Television Culture, London, Methuen 1987.

FISKE, J., Understanding Popular Cultur. London, Unwin Hyman, 1989a.

FISKEJ., Reading the Popular. London, Unwin Hyman, 1989b.

FRASER, N., "What's critical about critical theory? The case of Habermas and gender" inS. Benhabib et D. Cornell,
eds., Feminism as Critique. Cambridge, Polity, 1987.

GARNHAM, N., Capitlism and Communinication. London, Sage, 1990.

HABERMAS, J., "The Public Sphere". New German Critue, nr 3., 1974.

HABERMAS, The Theory of Communicative Action, vols 1, 1984 and 2, 1987. London, Polity.

HABERMAS, J., The Philosophical Discourses of Modernity. Cambridge, MA, MIT Press, 1987.

HABERMAS, J., The Structural Trans/ormation of the Public Sphere. Cambridge, Polity, 1989.

260
L'espace public et les medias : une nouvelle ere ?

HALL, S., "On postmodernism and articulation : an interview with Stuart Hall". Journal of Communication Inquiry.
Summer vol. 10 nr 2, 1986.

H6JJER, B., "Studying viewers' reception of television programmes: theoretical and methodological considerations".
European Journal of Communication. March, vol. 5 nr 1, 1990.

JAKUBOWICZ, K., "Musical chairs ? The three public spheres of Poland". Media, Culture & Society, April, vol. 12, Nr
2, 1990.

JENSEN, K.B., "The politics of polysemy: television news, everyday consciousness ans political action". Media Culture
& Society, Jan., vol. 12 nr 1, 1990.

JENSEN, K.B., JANKOWSKI, eds. A Handbook of Qualitative Methodologies for Mass Communication Research.
London: Routledge, 1991.

KEANE, J., Public Life and Late Capitalism. New York, Cambridge University Press, 1989.

KEANE, J., "(Liberty of the press' in the 1990s". New Formations, summer nr 8, 1989.

KELLNER, D., Critical Theory, Marxism and Modernity. Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1989a.

KELLNER, D., ed., Postmodernism/]anmeson/Critique. Washington, D.C., Maisonneuve Press, 1989b.

KNODLER-BUNTE, E. "The proletarian public sphere and political organization: an analysis of Oskar Negt's and
Alexander Kluge's, The Public Sphere and Experience". New German Critique nr 4, 1975.
© CNRS Éditions | Téléchargé le 16/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 176.88.82.191)

© CNRS Éditions | Téléchargé le 16/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 176.88.82.191)


LACLAU, E. and MoUFFE, C., Hegemony and Socialist Strategy: Towards a Radical Democratic Politics. London, Verso,
1985.

McQuAIL, D., SIUNE, eds. New Media Politics. London, Sage, 1986.

MELoDY, W., "Communication policy in the global information society: whither the public interest?", in Ferguson,
op. cit., 1990.

MILLER, M.C., "Deride and conquor", in T. Gitlin, ed. Watching Television. New York, Pantheon, 1987.

MoRLEY, D., "Changing paradigms in audience studies" in Seiter, op. cit., 1989.

MooRES, S., Texrs, readers and contexrs of reading: developments in the study of media audiences". Media, Culture
& Society, Jan. vol 12 nr 1, 1990.

MURDOCK, G., "Redrawing the map of the communication industries: concentration and ownership in the era of
privatization", in Ferguson, op. cit., 1990a.

MURDOCK, G., "Television and citizenship: in defense of public broadcasting", in A. Tomlinson, ed. Consumption,
Identity and Style; London, Routledege, 1990b.

MURDOCH, G. and GoLDING, P., "Information poverty and political inequality : citizenship in the age of privatized
communication", Journal of Communication, summer, vol 39 nr 2, 1989.

261
Peter Dahlgren

NEGT, 0., "Mass media : tools of domination or instruments of liberation ? Aspects of the Frankfurt School's
communication analysis", inK. Woodward, ed., The Myths of Information. London, Routledge, 1980.

PATEMAN, C., "Feminist critiques of the public/private dichotomy", in A. Phillips, ed. Feminism and Equality.
Oxford, Basil Blackwell, 1987.

REAL, M., Supermedia: A Cultural Studies Approach. London, Sage, 1989.

ScHILLER, H., Culture, Inc. : The Corporate Takeover of Public Expression. New York, Oxford University Press, 1989.

ScHLESINGER, P., "Rethinking the sociology of journalism: source strategies and the limits of media-centrism", in
Ferguson, op. cit., 1990.

SCHUDSON, M., "The sociology of news production". Media, Culture & Society, July vol. 11 nr 3, 1989.

SEITER, E. et al, eds., Remote Control: Television, Audiences and Cultural Power. London, Routledge, 1989.

SHAW, D., "For papers, generation is missing". Los Angeles Times, March 15, 1989.

SILVERSTONE, R, Let us then return to the murmuring of everyday practices : a note on Michel de Certeau, television
and evetyday life". Theory, Culture and Society. Feb. vol 6 nr 1, 1989.

SPARKS, C., "The popular press and political democracy", Media, Culture & Society, April vol10 nr 2, 1988.
© CNRS Éditions | Téléchargé le 16/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 176.88.82.191)

© CNRS Éditions | Téléchargé le 16/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 176.88.82.191)


STREETER, T., "Polysemy, plurality, and media studies". Journal of Communication Inquiry, summer vol13 nr 2, 1989.

THOMPSON, J.B., "Mass communication and modem culture: contributions to a critical theory of ideology".
Sociology, 22 (3), 1988.

WELLMER, A., Dialektiken mellan de modema och det postmodema. Stockholm, Symposion, 1986.

262

Vous aimerez peut-être aussi