Vous êtes sur la page 1sur 12

Bulletins et Mémoires de la

Société d'anthropologie de Paris

De l'origine des Egyptiens


Dr Adolphe Bloch

Citer ce document / Cite this document :

Bloch Adolphe. De l'origine des Egyptiens. In: Bulletins et Mémoires de la Société d'anthropologie de Paris, V° Série. Tome 4,
1903. pp. 393-403;

doi : https://doi.org/10.3406/bmsap.1903.6514

https://www.persee.fr/doc/bmsap_0037-8984_1903_num_4_1_6514

Fichier pdf généré le 13/12/2018


ADOLPHE BLOCH. — DE L'oRIGINE DES EâÏJPTIËÎfë 393
La Géographie (15 mai 1903). — A. Chevalier : Mission scientifique au Chari
et au Tchad.
Revue scientifique (30 mai 1903). —: G. Loisel : La sexualité.
Revue tunisienne (mai 1903). — Bertholon : Origine et formation de la
langue berbère; —- Mohamed Saïd : Les Touareg de la région de Tombouctou.
Journal of the Anthropological Institute (July to clecember 1902). —
Cunningham : Right-Handedness and Left-Brainedness; — Seligmann : The Medicine,


Surgery, and Midwifery of the Sinaugolo; — Cole : Notes on the Wagogo of
German East Africa; — P. Molesworth : Anthropological Notes on Southern
Persia; — Dames : Note on Major Sykes's Gypsy Vocabulary; — H. Holmes :


Classification and Arrangement of the Exhibits of an Anthropological Museum;
— J. Abebcromby : The Oldest Bronze-Age Ceramic Type in Britain; its Close
Analogies on the Rhine; its Probable Origin in Central Europe; — H. Bryce :
Note on Prehistoric Human Remains found in the Island of Arran ; — Annan-
dale et H. C. Robinson : Malay Peninsula; — J. Holmes: Initiation Ceremonies
of Natives of the Papuan Gulf; — J. Holmes : Notes on the Religious Ideas of
the Elema Tribe of the Papuan Gulf; — W. L. II. Duckworth : Craniology of
the Natives of Rotuma; — W. H. Furness : The Ethnography of the Nagas of
Easter Assam; — L. T. Moggride : The Nyassaland Tribes, their Customs and
Poison Ordeal.
American Antiquarian (1903, N° 2). — Ch. E. Brown : The Stone Spud; —
C. S. Wake : The Peopling of Asia and America compared.


Memoirs of the American Museum of Natural History (Anthropology, Vol.
in, N° 4). — H. I. Smith : Shell-Heaps of the Lower Fraser River British
Columbia.

DE L'ORIGINE DES EGYPTIENS.

Par M. Adolphe Bloch,

Les explorateurs, les linguistes, les archéologues et les anthropologistes,


tour à tour, se sont occupés de rechercher l'origine des Egyptiens, les uns
optant pour l'origine autochthone, les autres pour l'origine extérieure,
soit libyenne, soit asiatique.
Il est certain que la linguistique et l'archéologie fournissent souvent de
précieux renseignements sur l'origine des peuples, mais dans le cas
présent les linguistes ne sont pas d'accord entre eux, pas plus que les
archéologues,
Ainsi E. de Rougé, et avec lui d'autres linguistes, admettent que
l'égyptien et les langues sémitiques appartenaient primitivement à un même
groupe, d'où il résulterait que les indigènes d'Egypte seraient de
provenance asiatique.
Renan, au contraire, démontra que l'égyptien n'avait rien de sémitique,
mais qu'il se rapprochait d'autres langues du nord de l'Afrique en
formant avec elles un groupe particulier (langues chamitiques.)
M. Maspero dont la compétence en cette matière est bien connue, pro-
JUIN 1903

teste contre ce qu'il appelle la sémitisation à outrance de la langue et de


la population égyptienne.
Parmi les historiens et les archéologues, les uns supposent que la
civilisation a remonté le cours du Nil, tandis que d'autres pensent qu'elle a
suivi une marche inverse; dans la première des suppositions, les
Egyptiens seraient venus de l'Asie, au lieu que dans l'autre, ils seraient
d'origine africaine.
M. de Morgan admet même une origine différente pour les Egyptiens
primitifs et pour les Egyptiens suivants, les premiers étant africains et
les autres asiatiques.
Mai^ avant d'aborder la question d'origine, il faut, au préalable, savoir
si les Egyptiens constituent une race blanche ou une race de couleur
foncée, car des anthropologistes, parmi lesquels de Quatrefages, disent
positivement que les Egyptiens sont de race blanche, voire même de race
caucasique, suivant d'autres auteurs. Or, ils sont de race foncée, et ils
l'ont toujours été, ainsi que nous nous proposons de le démontrer.

Couleur de la peau.

Le chapitre X de la Genèse décrit l'Egyptien comme descendant de


Cham et non de Sem. Je ne tiens compte dans cette description
allégorique que de la couleur de la peau, qui était brûlée, suivant l'étymologie
hébraïque du mot Gham ; par conséquent, les Egyptiens n'étaient pas
d'origine sémitique, ni d'origine japhétique; du moins, ils n'avaient pas
l'aspect qui caractérise ces diverses races.
Hérodote en parlant des indigènes de la Colchide dit qu'ils étaient noirs
comme les Egyptiens.
Eschyle, dans les Suppliantes, attribue la même couleur aux Egyptiens.
Lucien, dans un de ses Dialogues, fait le portrait d'un Egyptien, qu'il
représente comme étant noir.
Galien, qui séjourna pendant cinq ans à Alexandrie, dit que les
Egyptiens avaient le teint noir.
Certainement les anciens Egyptiens n'étaient pas absolument noirs, et
ce que voulaient dire les auteurs, c'est que les Egyptiens avaient la peau
foncée par rapport à la peau blanche des Grecs.
Ainsi Ammien Marcellin rapporte que les Egyptiens sont, pour la
plupart, foncés ou bruns noirâtres (subfusculi et atrati.)
Au reste, les Egyptiens eux-mêmes se représentaient en rouge brun
sur les monuments, et les femmes en jaune. Mais il n'est pas probable,
cependant, que la couleur était si uniforme dans l'antiquité.
Quant aux Egyptiens actuels, leur couleur est très variable.
Nous avons vu des Egyptiens aux Expositions de Paris de 1889 et
de 1900, ainsi qu'au Jardin d'Acclimatation en 1891, mais on préférera,
sans doute, connaître sur ce sujet l'avis des anthropologistes qui ont vu
les Egyptiens dans leur propre pays.
D'après Pruner-Bey, l'on observe des nuances nombreuses dan& la
ADOLPHE BLOCH. — DE l/oRIGINÉ DES EGYPTIENS 395

coloration de la peau, depuis le bistre clair chez les habitants du Delta,


jusqu'au brun assez foncé du campagnard de la Haute-Egypte.
Cependant le milieu de ces deux extrêmes, ajoute-t-il, correspond encore de
nos jours à la couleur typique des monuments. (Sur l'origine de l'ancienne
race égyptienne. Mém. Soc. Anthr. T. 1.)
Selon M. Hamy la couleur de la peau peut se représenter par le n° 30
de l'échelle Broca, pour les sujets les plus clairs, et par le 28 ou le 29 pour
les individus les plus foncés. (Bull. Soc. Anthrop. 1885 p. 726.) Or le 28
est nuance très foncée, puisqu'elle est brun-chocolat.
Virchow, qui examina également un grand nombre d'Egyptiens, a
remarqué qu'ils étaient rouges, mais en exerçant une certaine traction
sur la peau, il vit des points noirâtres, particulièrement autour des
follicules pileux, tandis que le fond général du tégument était jaune.
Les femmes, d'après cet auteur, ont la peau jaunâtre comme chez les
chlorotiques, et il concluait de ses observations que la race égyptienne
était une race jaune, vu que la teinte rougeâtre, que présentent les
hommes, ne provenait que de l'exposition continuelle au soleil !.
Mais si le soleil rougit la peau, il ne la noircit cependant pas; il ne faut
donc pas toujours attribuer au soleil ce qui n'est que l'effet d'une
pigmentation normale et spéciale à chaque race.
Hartmann fait observer que la transition, entre le type clair du nord de
l'Egypte et le type foncé du sud, se trouve entre Kené etSyène 2.
Si donc la peau s'éclaircit en remontant vers le nord, c'est qu'il y a
évidemment là une influence climatérique qui contribue à la décoloration
du tégument, et comme nous savons que jamais un blanc n'est devenu
noir en changeant de climat, mais qu'au contraire un noir peut devenir
moins foncé sous cette même influence, nous sommes en droit d'admettre
que les premiers Egyptiens sont venus du sud et non du nord.
Quoi qu'il en soit, nous sommes bien fixé : de l'aveu unanime de tous
les auteurs anciens et modernes, et comme l'indiquent aussi les
monuments, les Egyptiens sont une race de couleur foncée et non une race
blanche, bien que l'on puisse rencontrer parmi eux des individus
parfaitement blancs.
On nous objectera bien que de Quatrefages ne rangeait les Egyptiens,
parmi les blancs, que parce qu'ils présentent certains caractères
extérieurs, propres aux races sémitiques où caucasiques, tels que la forme du
nez, celle de la bouche, etc.. mais nous allons démontrer qu'il y a, sous
ce rapport, de très grandes différences qui ne permettent pas de
rattacher les Egyptiens au tronc blanc.
Nous rechercherons l'origine des Egyptiens en suivant une méthode
qiiê—nûTis~rvon5~OTJIrTnnpTuyéë^Tnis~des recherches antérieures, c'est-à-
dire que nous étudierons les caractères ataviques de race, qui peuvent

1 Virchow. — Correspondenzblatt, 188S.


8 Hartmann. ~~ Les peuples de l'Afrique, Paris, 4879,
396 4 juin 1903

nous mettre sur la voie des origines ancestrales, ainsi que nous l'avons
prouvé dans notre communication à là Société en 1900, dans laquelle
nous avons donné des preuves ataviques de la transformation des races.
Lorsqu'on parcourt des musées d'antiquités égyptiennes, comme ceux
de Paris et de Londres, l'on peut constater que le même type se répète
souvent sur les bas reliefs, sur les statues et statuettes, sur les peintures,
sur les couvercles de sarcophages, etc..
Le type des anciens Egyptiens a déjà été fréquemment décrit, mais
on n'a jamais insisté sur les caractères primordiaux qui contribuent à
former ce type. Pour nous, c'est la forme du nez et des lèvres qui en
constituent les éléments principaux.

Le nez.-

Il doit être étudié de face et de profil.


De face, l'on remarque que l'organe à sa base est plus large que dans
les races sémitiques et caucasiques, de sorte que les ailes du nez sont plus
écartées et que le lobule est moins effilé et moins proéminent.
Des fois même la largeur du nez atteint celle de la bouche.
On voit donc que ce n'est pas un nez leptorrhinien comme dans les
races blanches.
En haut, la racine du nez remonte, sans démarcation, jusqu'à la ligne
qui réunit les sourcils, et le nez, dans sa totalité, présente absolument la
forme d'une pyramide triangulaire dont l'arête antérieure, qui
représente le dos du nez, serait arrondie.
De profil l'on observe que le nez est moins saillant que chez les blancs
■— ce qui concorde, du reste avec la largeur de la base du nez — et que
la racine du nez se continue presque en ligne droite avec le front, sans
former ce qu'on appelle l'échancrure naso-frontale, qui est toujours plus
prononcée dans les races caucasiques.
Le dos du nez est presque droit ou légèrement aquilin, et non de
forme sémitique, mais en raison de la continuité de la racine avec le
front, il parait plus allongé de profil que lorsqu'il est vu de face.
Toutes ces particularités donnent au nez un aspect caractéristique qui
est propre aux anciens Egyptiens.

Les lèvres.

Elles nous fournissent de précieuses indications pour retrouver l'origine


des Egyptiens.
Presque toujours, elles sont épaisses, quelquefois même retroussées et
d'une grosseur que n'atteint aucune race sémitique ou causasique, dans
lesquelles c'est la lèvre inférieure seule qui peut être relativement épaisse
chez certains individus. Elles rentrent dans la catégorie des lèvres qui
caractérisent les peuples de couleur foncée, dont nous avons parlé dans
notre communication à la Société en 1897.
ÀDOLPËE ËLOGri. — DE lWgINE DES ÉGYPTIENS 397

Quant à la grandeur de la bouche, elle dépasse le plus souvent celle des


races blanches.
Les lèvres des Egyptiens ne sont certainement pas aussi volumineuses
que celles des nègres, mais elles sont charnues, et elles forment, entre les
noirs et les blancs, un degré intermédiaire qui est absolument
caractéristique et qui contribue aussi à faire paraître le nez moins saillant. —
Du reste, la plupart des observateurs ont déjà signalé cette grosseur
particulière des lèvres chez les anciens Egyptiens, mais ils n'ont pas
cherché à en reconnaître la valeur anthropologique.
Or, pour nous, ce caractère n'est autre qu'une preuve atavique de
l'origine négroïde des Egyptiens, et par conséquent de leur origine
africaine. Il en est de même de l'élargissement de la base du nez et de la
faible proéminence de l'organe.
Certainement il y a des statues dont les têtes présentent des lèvres et
des nez relativement minces, (car en Egypte, comme partout ailleurs, les
caractères anthropologiques peuvent varier), mais c'est un type fin
apparenté au précédent, comme le démontrent également l'étude des crânes
anciens de l'Egypte, ainsi que l'examen des indigènes actuels.
Blumenbach, en étudiant les peintures et les sculptures égyptiennes,
reconnut trois types principaux, savoir : le type éthiopien, le type
indou et le type berber. Cela correspond, en somme, aux deux variétés
précitées : le type grossier et le type fin.
Peut-être dira-t-on que cette épaisseur des lèvres, sur les monuments, a
été systématiquement exagérée par les artistes, mais, par exemple, sur la
momie de Ramsès II, les lèvres sont charnues, suivant l'expression du
Dr Fouquet qui, en 1886, a fait une communication à la Société sur les
momies royales d'Egypte.
Il est étonnant cependant que la dessication n'ait pas diminué le
volume des lèvres.
Blumenbach parle également d'une momie qu'il ouvrit à Londres et
qui avait des lèvres boursouffïées et un nez large. (Philosophical
transactions of the royal Society of London, 1794, page 191.)
D'un autre côté, M. Hamy, dans sa description des races humaines delà
vallée du Nil, remarque que les Fellahs ont des lèvres fortes, charnues et
légèrement retroussées (p. 721).
Larrey disait que les Coptes avaient de grosses lèvres, le nez évasé
vers sa pointe et les narines dilatées.
Mais, outre cela, il y a encore d'autres caractères anthropologiques qui
peuvent être considérés comme des caractères ataviques de race. Ce sont,
la couleur de la peau, la pauvreté du système pileux et la conformation
particulière des membres inférieurs.
Nous avons déjà insisté sur la coloration de la peau.

Système pileux.

Le menton est garni d'une petite mèche de barbe, disait Pruner-Bey.


soc. d'anthrop. 1903. 27
39Ô 4 juin 19Ô3

La barbe est clair semée,. et ne pousse dru qu'au menton, dit M. ïïamy.
Les Pharaons se représentaient souvent avec une barbe postiche ail
menton, ce qui prouve aussi que le système pileux de la face était peu
développé chez les anciens Egyptiens.
.

C'est encore le contraire de ce qui se remarque chez les Sémites, et c'est


donc une raison de plus pour ne pas considérer les Egyptiens comme
étant d'origine asiatique, et pour les rapprocher plutôt des races glabres
à peau noire.
Comment comprendre d'ailleurs que les Sémites aient pu perdre leur
forte barbe en venant s'implanter sur le sol de l'Egypte?

Conformation des membres.

Les épaules sont larges, les bras mnsculeux, dit M. Hamy, les
hanches, au contraire, sont étroites, les jambes plutôt sèches, n'offrent que
fort peu de mollet.
Ce constraste entre les membres supérieurs et les membres inférieurs,
ne se remarque pas chez les Sémites, ni dans les races caucasiques, mais
il est particulier à un grand nombre de races noires de l'Afrique et de
l'Asie, ainsi que nous l'avons observé sur les Indous exhibés en 1902,
au Jardin d'Acclimatation '.
' Mais ce n'est pas une raison pour admettre que les Egyptiens sont
d'extraction indoue, ni que les Indous sont d'extraction égyptienne.
Nous n'avons pas besoin d'aller jusque dans l'Inde pour trouver des
peuples qui ressemblent sous ce rapport aux Egyptiens, car en Afrique
même et près de l'Egypte, les Gallas, les Somalis et d'autres races dites
éthiopiennes, ont la même conformation des membres inférieurs, en
opposition à celle des membres supérieurs.
Il en était de même dans l'antiquité. Ainsi l'Égyptien de Lucien, que
nous avons déjà mentionné plus haut, avait de grosses lèvres saillantes et
des jambes très menues.
Somme toute, il n'y a aucun rapprochement à faire entre l'Égyptien
et le Blanc sémite ou caucasien, au moins pour les caractères extérieurs
sur le vivant, et quanta l'étude des crânes, elle n'est pas plus affirmative
sur ce sujet.

Les crânes égyptiens.

La dolichocéphalie est commune aux Égyptiens et aux Sémites mais


cette raison n'est pas suffisante pour faire venir les premiers de l'Asie.
D'un autre côté l'hypothèse asiatique de l'origine égyptienne a fait place
depuis quelque temps à la théorie libyenne, qui consiste à faire venir les
Égyptiens de l'Afrique du Nord . Il y a, en effet, comme l'avait déj à démontré
Pruner-Bey, une certaine analogie des crânes préhistoriques de l'Egypte

i Voir notre communication à ce sujet dans les Bulletins de tannée 1902.


ADOLPHE BLOCK. — DE l'oRIÛINE DES ÉGYPTIENS 399

avec les crânes berbers ; entre autres caractères la dolichocéphalie a été


également constatée par les recherches de Flinders Petne (1896 et 1901) au
moyen de mensurations sur les Berbers actuels, ainsi que sur les crânes
des dolmens de Roknia, dont la description avait été faite par Faidherbe.
Mais à ce compte l'on pourrait tout aussi bien faire venir les Libyens
de l'Egypte.
Nous croyons, pour notre part, que les uns et les autres sont des
autochtones du pays qu'ils habitent respectivement, et qu'ils ont une
origine indépendante.
Du reste, des recherches récentes (1901) faites par MM. Randall, Mac-
Iver, Laycock et A. Wilkin, dans le domaine des peuples de race libyenne,
n'ont pas confirmé les idées de Pétrie sur l'origine libyenne de ce qu'il
appelait primitivement la nouvelle race égyptienne (new race) de l'époque
préhistorique, et ce que nous devons faire remarquer à ce sujet, c'est que
l'un des auteurs, M. Mac-Iver avait antérieurement présenté, à la Société
d'Anthropologie de Londres, un important travail dans lequel il concluait
à l'identité des Égyptiens préhistoriques et des Libyens. Or. à la suite de
ses dernières recherches, il changea d'avis en se basant sur de nouvelles
mensurations '.
Mais il est un point important sur lequel nous devons insister à propos
de l'étude des anciens crânes égyptiens, c'est que parmi eux, il y en a
qui présentent des caractères nigritiques incontestables, et le fait a déjà
été remarqué par Soemmering, Blumenbach, Larrey et Morton.
Ainsi Soemmering, sur quatre momies qu'il eut l'occasion d'examiner,
remarque que l'une des têtes avait la forme africaine, reconnaissable en
ce que l'attache du muscle temporal s'y montrait sur une surface plus
grande que chez les Européens 2. ,
Blumenbach, sur trois crânes égyptiens qu'il décrit dans ses Décades,
observe que l'un d'eux a quelque chose du caractère éthiopien3.
L'illustre Larrey, comme nous l'avons vu, eut l'occasion, pendant la
campagne d'Egypte (1798-99) de s'occuper d'anthropologie. Aussi savant
anatomiste qu'habile chirurgien il sut, à une époque où l'anthropologie
était peu connue, faire une description intéressante des caractères
anthropologiques sur le vivant et sur le squelette.
« Les Gophtes, dit-il, qui se trouvent en grand nombre au Caire et dans
la Haute-Egypte sont les descendants des vrais et anciens Égyptiens; ils
en ont conservé les formes physiques, les connaissances, le langage, les
mœurs et les usages... Cependant, je ne conclus pas, comme Volney, que
ces hommes soient de la race des nègres de l'intérieur de l'Afrique.

1 D. Randall Mac Iver, M. A. Laycock and Anthony Wilkin. — Libyan notes,


London, 1901. — Compte rendu dans MAN, 1901, par M. Capart, conservateur-adjoint
du Musée de Bruxelles.
2 Soemmering. — Vom Bau des menscblichen Kôrpers. Francfort, 1791. T. I", p. 73.
8 Blumenbach. — Collect, suae crâniorum diversarum gentium, etc, Goettinguc,
1790-1876.
400 . 4 juin 4903

L'analogie des traits de la face, chez ces derniers, avec ceux des
Ethiopiens, présente des différences assez sensibles pour ne pas les confondre.
Les noirs africains ont les dents plus longues, plus espacées, les arcades
alvéolaires plus étendues et plus prononcées., les lèvres plus épaisses,
renversées et la bouche plus fendue. Chez eux, les pommettes sont moins
saillantes, et les joues plus petites, les yeux moins brillants et plus ronds,
lés cheveux plus lanugineux... Mais désireux d'avoir des données plus
certaines sur le vrai caractère physique des Cophtes, j'ai profité de la
démolition de quelques-uns de leurs cimetières, que des travaux publics
avaient nécessitée, pour me procurer une suffisante quantité de crânes
que j'ai comparés avec ceux d'autres races, desquels j'avais fait une
collection i, surtout avec ceux de quelques nègres éthiopiens que je m'étais
encore procurés, et je me suis convaincu que ces deux espèces de crânes
présentaient absolument les mêmes formes. La visite, que je fis dans les
Pyramides et les puits de Saccarrah, me mit à portée de dépouiller un assez
grand nombre de momies. Leurs crânes m'ont présenté les mêmes
caractères que les premiers, tels que la saillie des pommettes et des arcades
alvéolaires, la grande ouverture des fosses nasales, ce qui indique la
forme courte et évasée du nez, et la proéminence des angles de la
mâchoire... Ces motifs, les relations qui ont toujours existé entre les
Abyssins et les Cophtes, la concordance de leurs usages, de leurs mœurs et
même de leur culte me paraissent être plus que des probabilités que les
Égyptiens descendent réellement des Abyssins et des Éthiopiens 8. »
On voit que Larrey ne manquait pas de squelettes véritablement
égyptiens pour ses recherches anthropologiques.- Notons aussi qu'il signalé
déjà la grande ouverture des fosses nasales sur certains crânes.
Connaissait-il les travaux des anthropologistes allemands, Blumenbach et Soem-
mering qui étaient ses contemporains?
Quant à Volney, il soutenait que les anciens Égyptiens étaient des
nègres, et les Égyptiens modernes des mulâtres, par suite de leur mélange
avec les Grecs et les Romains; mais Volney, ne pouvant s'appuyer sûr
l'étude des crânes, s'étaitbasé sur l'examen du Sphinx de Gizeh pour dire
que cette tête était caractérisée nègre dans tous ses traits; or, M. Hamy ayant
vu ce Sphinx, objecte, avec juste raison, que ce monument doit l'aspect
particulier de sa physionomie à la fracture du nez qui n'existe presque
plus 3»
Morton, paraît-il, eut à sa disposition cent crânes anciens et 37 modernes
(Crania aegyptiaca. Philadelphie, 1842). Avec une série aussi
considérable, il y avait de quoi faire de fructueuses comparaisons. Or, cet auteur

1 En note Larrey ajoute : Cette collection déjà fort nombreuse fut laissée dans une
maison du Kaire avec d'autres objets précieux.
2 Larrey. — Relation historique et chirurgicale de l'expédition de l'armée d'Orient
en Egypte et en Syrie, 2 vol, Paris, 1803. T. I"j p* -504-407.
3 Loc. cit., p. 628.
ADOLPHE BLOCH. — DE l/ORIGINE DES ÉGYPTIENS 401

était arrivé à reconnaître 5 variétés de crânes, parmi lesquelles se


trouvaient une variété qu'il appelle négroïde, et une autre nègre.
A l'époque où il écrivait (1844), l'on ne pratiquait pas encore la crânio-
métrie comme aujourd'hui; malgré cela, les recherches de cet auteur
méritent d'être prises en considération, car la plupart des anthropologistes
qui l'ont suivi, ont également trouvé des caractères négroïdes sur certains
crânes égyptiens.
Ainsi Pruner-Bey décrit, sur le crâne comme sur le vivant, un type
grossier et un type fin. Le crâne du type grossier, dit-il, est plus volumineux
et plus massif, dans toutes ses parties, que celui du type fin. La glabelle
est légèrement déprimée, et en haut de celle-ci passe un bourrelet
transversal et semi-lunaire qui s'obserYe aussi chez les Berbers, les Éthiopiens
et quelquefois chez les Hottentots (Loc. cit., p. 407-408).
M. Schmidt, en 1888, décrit deux variétés de crânes égyptiens, l'un
véritablement égyptien, l'autre présentant des caractères éthiopiques qu'il
attribue à un mélange avec les Nubiens. (Arch. f. Anth., 1888.)
Dans l'ouvrage de M. de Morgan, sur les origines de l'Egypte, se trouvent
décrits par le Dr Fouquet un certain nombre de crânes qui ont été l'objet
d'une discussion à la Société d'Anthropologie (4896) entre G. de Mortiljet,
Zaborowski et Piètrement et d'une communication de M. Zaborowski
(1898) sur les crânes préhistoriques de l'Egypte.
G. de Mortillet et M. Zaborowski, contrairement à M. de Morgan,
concluaient à l'origine africaine des Egyptiens. ;
Enfin M. Verneau, à propos de cette discussion, fit connaître le résultat
de ses recherches sur des séries de têtes égyptiennes remontant à l'Ancien
au Moyen et au Nouvel Empires, et il dit qu'il constata deux types cépha-
liques : 4° pentagonal, 2° elliptique, et parmi les crânes de l'ancien
Empire un type éthiopien qui s'y montrait beaucoup plus fréquemment que
le type pentagonal '.
Mais il ne suffit pas de dire que les Egyptiens sont d'origine africaine,
il faut aussi chercher à savoir où et comment les premiers Egyptiens ont
fait leur apparition.
Nous basant sur les caractères ataviques que nous avons décrits, c'est-
à-dire : la largeur du nez, l'épaisseur des lèvres, la couleur de la peau, la
pauvreté du système pileux, la conformation particulière des membres
inférieurs, ainsi que sur les caractères nigritiques de certains crânes
égyptiens, nous croyons que les Egyptiens sont le produit de la
transformation d'une race noire, nègre ou éthiopienne, qui est venue du sud et qui
s'est modifiée sur le sol de l'Egypte, sous l'influence des milieux et de
l'évolution, dont la première phase a été la formation du type grossier
auquel a succédé le type fin.
Mais il va sans dire que ce ne sont pas les Egyptiens de la première
dynastie, ni même ceux des époques précédentes, qui représentent le

1 Verneau. — Voir aussi du même auteur un important mémoire sur les


Migrations des Ethiopiens. — L'Anthropologie 1899, p. 6U-663.
402 4 juin 1903
type primitif, car ils ont sur les plus anciens monuments, le même type
que sur les plus récents, (les nègres que l'on y voit figurés n'étaient que des
étrangers au pays.) Et quant aux crânes néolithiques, ils sont déjà plus
ou moins analogues aux crânes ultérieurs, abstraction faite des caractères
ataviques qu'ils peuvent présenter.
La transformation du type primitif est donc déjà extrêmement ancienne,
et pour ce qui est du croisement, l'on sait qu'il n'a eu aucune influence
sur le type égyptien, toutes les races immigrantes, à part les Arabes,
ayant été absorbées dans la masse des indigènes, sans laisser de traces
bien manifestes.
Il est probable qu'il existe encore chez les Egyptiens d'autres
caractères ataviques que l'on ne découvrira que quand on aura entièrement
examiné un certain nombre d'individus : hommes et femmes.
Ainsi il paraît que les femmes ont les petites lèvres normalement très
développées comme dans certaines races de l'Afrique, les Abyssins, par
exemple; c'est donc encore là un caractère de nature atavique.
Ces petites lèvres pouvant devenir très volumineuses, on les excise aux
approches de la puberté.
Mais pourquoi fait- on cette opération? Est-ce une prescription
religieuse ou un genre de mutilation ethnique? Ni l'un ni l'autre, car on la
pratique, parait-il, parce qu'elle pourrait gêner les rapports sexuels1.
En tous cas, cette coutume est antérieure à l'islamisme (qui la réprouve
d'ailleurs,) car Strabon la signale déjà en disant qu'en Egypte, on excise
les filles. » (lxvii.xïi. § 5.)
Aujourd'hui encore, on enlève les petites lèvres et même le clitoris,
comme nous l'ont appris le regretté Godard *, et notre collègue, M. Btihous-
set (Bull. So3. Anthr. 1877.)
Il semble aussi que les femmes Egyptiennes ont des seins qui se
relâchent aussi facilement que ceux des négresses, car Denon, dans un langage
pittoresque, raconte que, dès que leurs gorges cessent de croître, elles
commencent à tomber et leur gravitation est telle, ajoute-t-il, qu'il serait
difficile de persuader jusqu'où quelques-unes pussent arriver 3.
En résumé, l'on voit qu'il ne manque pas de caractères ataviques qui
rappellent l'origine noire des Egyptiens.
Il serait difficile d'ailleurs de leur trouver une autre origine si l'on
tient compte des caractères anthropologiques.

Discussion

M. ZABOROwsKi.se rappelle que M. Bloch a autrefois cherché à établir

1 Voir à ce sujet les Bulletins de la Société de l'année 489i. (p. 91-72.)


2 Godard, E, — Egypte et Palestine. — Observations mèd. et scient. Paris, 1867.
3 Denon. — Voyage dans la Haute etla Basse Egypte. — 2 vol. Paris, 1829, T. 1er p. 97.
DISCUSSION 403
que les nègres avaient occupé aux temps préhistoriques, des régions de
l'Afrique méditerranéenne. Il cherche maintenant à établir qu'en Egypte
également les nègres ont formé un des éléments premiers de la
population. Ces vues ne sont pas nouvelles. Mais il ne les accepte pas.
Il n'y pas de preuves que les nègres furent à aucune époque indigènes
de l'Afrique méditerranéenne. Et en Egypte, ils sont un élément surajouté
à la population égyptienne qui, dans sa masse et par ses origines, est
de la même souche que les Berbères. Seulement en des temps reculés
l'Egypte historique a guerroyé avec les noirs de la Nubie et même du
pays Galla. Elle a ainsi introduit du sang noir dans sa population, sang
dont la présence si ancienne peut aujourd'hui faire illusion.
M. Huguet ne peut que confirmer les remarques de M. Zaborowski et
insiste sur quelques points de détail.

M. Azoulay. — M. Huguet fait remarquer luirmême que les premiers


Targui vivent en milieu confiné, et l'on sait que les Targui sont archi-
couverts. De sorte que chez eux l'air et le soleil ne pourraient guère avoir
d'influence sur le teint.
M. Bloch. —■ J'ai déjà souvent démontré que les caractères
anthropologiques peuvent se modifier sans l'intermédiaire d'aucun mélange., et
par le seul fait de l'évolution ; je n'y reviendrai donc pas.
On admet bien l'origine simienne de l'homme! Or, est-il plus difficile
de comprendre qu'une race humaine puisse descendre d'une autre race
de la même espèce., ayant des caractères anthropologiques plus ou moins
différents?
Ici cependant les preuves ataviques sont bien plus manifestes.
Les Egyptiens ne sont d'ailleurs pas les seuls Africains qui soient
issus d'une race noire ; à l'extrémité opposée de l'Afrique, c'est-à-dire à
l'Occident, les Marocains présentent également des caractères négroïdes,
ainsi que nous avons pu le constater lors d'un voyage à Tanger il y a
quelques semaines, (Nous nous proposons, du reste, d'en faire
prochainement l'objet d'une communication à la Société).
Mais si M. Zaborowski n'admet pas que les Egyptiens puissent
descendre d'une race noire, anciennement établie sur leur sol, qu'il veuille
bien nous expliquer leur origine, car il faut cependant que les Egyptiens
soient venus de quelque part. S'ils ne proviennent pas d'une autre race
humaine, ils doivent être issus directement d'une race de singes
anthropoïdes, conformément à la doctrine du transformisme, et dans ce cas quel
est cet anthropoïde?

Vous aimerez peut-être aussi