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Mexique ?
Fernanda Núñez
Dans Travail, genre et sociétés 2020/1 (n° 43), pages 173 à 178
Éditions La Découverte
ISSN 1294-6303
ISBN 9782348059063
DOI 10.3917/tgs.043.0173
© La Découverte | Téléchargé le 24/04/2023 sur www.cairn.info via BIU Montpellier (IP: 194.57.207.220)
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Fernanda Núñez
Est-ce qu’une loi pourra mettre fin
aux féminicides au Mexique ?
Dans l’État de Veracruz, un des plus violents et corrom-
pus du Mexique, on peut entendre très souvent les radios
locales chanter les merveilles d’une flambante et nouvelle
loi, conçue avec « une perspective de genre », qui garanti-
rait à toutes les femmes « une vie sans violence » et un châ-
timent allant jusqu’à 70 ans de réclusion pour qui tuerait
ou violenterait une femme « pour la simple raison d’être
femme ».
Entendre ce message de propagande officielle peut
faire enrager tant on constate, par ailleurs, que les fémini-
cides continuent à se perpétrer quasi impunément dans
tout le pays. Le gouvernement et les institutions policières
persistent à regarder dans une autre direction quand ils ne
sont pas partie prenante d’un nouveau type de délinquance
que l’on commence à nommer « nécropolitique ». C’est ain-
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si que l’on peut constater amèrement que ni la loi d’Accès
des femmes à une vie libre de violence promulguée en 2007
ni les Alertes de violences de genre qui devaient guider les
recherches policières, lorsque des disparitions de femmes
étaient signalées, n’ont réussi à faire baisser le nombre très
élevé de féminicides. L’organisation onu Femmes confirme
qu’au Mexique, en 2018, se produisent 7,5 féminicides par
jour.
Selon les données de l’Observatoire national citoyen du
féminicide du Mexique, seulement 30 % des féminicides
se sont produits dans le domicile des victimes ou de leur
partenaire, dans les années 2014-2017, alors que, dans les
pays européens, il s’agit en majorité de crimes conjugaux.
L’Observatoire national citoyen du féminicide dénonce le
fait que, la plupart du temps, les autorités ne cherchent pas à
établir la relation entre victime et bourreau, montrant ainsi le
peu d’intérêt à retrouver réellement les agresseurs. Cet orga-
nisme, les mères de victimes, comme les organisations de la
société civile, n’ont cessé de proclamer que ces délits ressor-
tissaient de la responsabilité de l’État, que celui-ci, jusqu’à
maintenant, n’a pas été en mesure d’enrayer ce phénomène.
Les pratiques institutionnelles conduisent finalement à l’im-
punité en dépit des bonnes intentions de la nouvelle loi.
Une loi qui, par ailleurs, ne s’applique pas de manière uni-
forme dans tout le pays. Amnesty International, pour sa part, a
conclu que cette loi est inefficace en raison du manque de vo-
lonté des différents niveaux institutionnels pour la mettre en
œuvre.
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fiquants, avait permis que l’assassinat des jeunes femmes se
transforme en un sport pour certains hommes, de là le nom
de son livre, Safari dans le désert.
Les meurtres de femmes, où qu’ils soient commis, ont
beaucoup en commun : toutes sont jeunes, pauvres, more
nitas1, minces aux cheveux longs, sont étudiantes ou tra-
1
NDLR : Petite brune.
vaillent en usine. Toutes présentent des traces de violences
extrêmes. Elles ont été séquestrées pendant plusieurs jours,
torturées, violées, mutilées, souvent les bouts des seins arra-
chés par des morsures. Leurs dépouilles sont exposées dans
le désert et disposées selon une sinistre et macabre mise en
scène. Le tout, au milieu d’un vide institutionnel absolu.
Dans pratiquement tous les cas, les autorités sont absentes,
tant dans la préservation de la scène de crime, que dans la ré-
cupération des pièces à conviction qui « disparaissent ». Les
avocat·e·s qui suivent ces cas et les journalistes menant des
recherches parallèles sont menacé·e·s. Nombre d’entre eux
sont morts de manière suspecte. Par ailleurs, presque tou-
jours, les instances policières et judiciaires « fabriquent » des
coupables. En réalité, les autorités font davantage d’efforts
pour cacher leur incurie et les violations constantes des droits
humains qu’elles perpètrent que pour exercer sereinement la
justice. En outre, la police stigmatise ces jeunes femmes et
leurs familles en utilisant des stéréotypes péjoratifs de genre
qui criminalisent les victimes elles-mêmes.
C’est seulement en 2009 que la Cour interaméricaine des
droits de l’homme a promulgué une sentence historique
contre le Mexique pour huit jeunes filles torturées, violées et
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verse ressemble à un véritable ossuaire.
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finalement les réduit à de simples « ordures », les basuriza.
Pour cela, il est important de considérer le « mandat de la
masculinité » comme un élément fondamental de la « culture
latino-américaine » dans cette version néolibérale du ca-
pitalisme, que Sayek Valencia [2016] appelle « capitalisme
gore », pour souligner que, dans cette étape de la globalisa-
tion où les êtres humains sont des marchandises, la profusion
du sang, les cadavres, les corps mutilés, sont des dispositifs
pour la reproduction du capital. Ce capitalisme gore a impo-
sé un nouveau champ symbolique qui produit des subjecti-
vités des plus féroces capables de réaliser, sans sourciller, ces
monstrueuses cruautés. Cette production biopolitique est la
conséquence des rapports entre la délinquance organisée et
le monde du politique. Aujourd’hui, tuer est un business plus
rentable pour ces hommes qui exhibent une virilité exigée
par ce sinistre contexte et qui contribuent à soutenir le pou-
voir de la masculinité hégémonique.
Hommes pauvres et morenos mais aussi blancs et riches
partagent la défense d’une virilité prédatrice, réaffirmant
leur masculinité en commettant des crimes horribles qu’ils
exercent sans aucun danger. Les mises en scènes macabres
leur permettent de proclamer leurs messages moralisateurs et
de renforcer leur pouvoir disciplinaire sur les autres femmes.
Les mortes, elles, retrouvées après plusieurs jours, avec des
traces de torture dans des terrains vagues, des canaux d’eaux
usées, ou des décharges publiques, sont exposées à la vue de
tou·te·s pour rappeler à l’ensemble de la société qui exerce le
pouvoir.
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célébrait l’arrivée au pouvoir d’un président progressiste.
Son discours d’investiture, très émouvant, s’articulait autour
de l’idée de mettre des freins à l’insécurité générale, la vio-
lence extrême, les enlèvements de personnes. Il promettait,
dans un même mouvement de rénovation, d’en finir avec la
corruption et l’impunité des politiques qui avaient été jusque-
là les axes structurants de la vie politique et sociale du pays.
En dépit de ces bonnes intentions et d’un nouveau gou-
vernement auto-baptisé « de la quatrième transformation »
comportant 50 % de femmes, les féministes affligées re-
grettent que le président n’ait jamais mentionné spécifique-
ment la « violence de genre » ni les féminicides. Certaines
pensent que probablement ces crimes étaient inclus dans la
catégorie plus générale d’homicide avec violences. Il ne faut
pas oublier que les crimes d’hommes contre des hommes
sont effectivement plus nombreux que ceux commis sur les
femmes (quatre hommes pour une femme).
Toutefois, aujourd’hui, la majorité des Mexicain.e.s entre-
tiennent l’espoir qu’en mettant fin à l’impunité et à la vio-
lence généralisée, les actions promises par la « quatrième
transformation » pourront faire baisser le niveau général
de la violence, dont la violence de genre. Les disparitions
forcées de jeunes femmes, les féminicides, devraient donc
tendre à diminuer. La création d’une police nationale et gé-
nérale, unifiée, appuyée sur l’armée, devrait conduire à ce
que l’État cesse enfin de protéger « les intérêts du patriar-
cat » et que l’on poursuive et châtie réellement tous les assas-
sins des hommes et des femmes.
Références bibliographiques
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Lagarde y de los Ríos Marcela, 2006, « Introducción. Por la vida y la libertad de
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Mexico, p. 15-42.
Monárrez Fragoso Julia Estela, 2002, « Feminicidio sexual serial en Ciudad
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2014-2017, México, Católicas por el Derecho a Decidir A.C.
Segato Rita Laura, 2013, La escritura en el cuerpo de las mujeres asesinadas en
Ciudad Juárez. Territorio, soberanía y crímenes de segundo estado, Buenos Aires,
Tinta Limón Editiones.
Valencia Sayek, 2016, Capitalismo Gore, Prólogo Marta Lamas, México, Paidós.
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