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Marie-Claude Schapira
Dans Libres cahiers pour la psychanalyse 2006/1 (N°13), pages 35 à 49
Éditions In Press
ISSN 1625-7480
ISBN 2848350954
DOI 10.3917/lcpp.013.0035
© In Press | Téléchargé le 22/04/2023 sur www.cairn.info par Dominique Demartini (IP: 92.184.105.226)
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MARIE-CLAUDE SCHAPIRA
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Le texte de Varchi met en scène un Lorenzo inquiétant et pervers
dont il ne cherche pas à expliquer la part d’ombre. Il évoque un enfant
orphelin de père, élevé avec soin par sa mère et ses précepteurs. À peine
sorti de l’enfance, il « montre un esprit inquiet, insatiable et désireux de
mal faire », se lie avec des gens au-dessous de sa condition dont il fait
ses âmes damnées et, dans le même temps, a « un appétit de célébrité
étrange » qui l’amène à fréquenter les puissants. Très vite son scepticisme
s’étend de la religion à la politique, puis à l’ensemble de l’espèce
humaine. Il est dit encore : « Il se passait toutes ses envies, surtout en
affaires d’amour, sans égard pour le sexe, l’âge et la condition des
personnes. Il caressait tout le monde, et, au fond, méprisait tous les
hommes1. » Dans ce texte seulement, se trouve une allusion non équi-
voque à une possible homosexualité de Lorenzo. Le contexte politique
est à peine évoqué, sur un mode très péjoratif. Une fois, il est fait allu-
sion aux « leçons » de Philippe Strozzi qui, paradoxalement, le condui-
sent à la dérision de toute chose. Une autre fois, il est question de ses
relations avec les bannis qu’il approche pour mieux les vendre au prince.
Il devient donc l’espion et l’entremetteur d’Alexandre sans qu’une autre
motivation que le désir de célébrité soit avancée. D’autre part, il lit, il
étudie et le duc, qui lui fait confiance, l’appelle « le Philosophe ». Il
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du côté de la ruelle […]. Lorenzo le repoussa sur le lit et l’y tint renversé en
pesant sur lui de tout le poids de son corps; et, afin de l’empêcher de crier, il
lui serra la bouche avec le pouce et l’index de la main gauche… Alors le duc,
se débattant comme il pouvait, prit entre ses dents le pouce de Lorenzo et le
serra avec une telle rage que Lorenzo tombant sur lui appela Scoronconcolo
à son aide. Celui-ci courait d’un côté et de l’autre, et il ne pouvait atteindre le
duc sans blesser du même coup Lorenzo, que le duc tenait étroitement embrassé.
Scoronconcolo essaya d’abord de faire passer son épée entre les jambes de
Lorenzo, sans autre résultat que de piquer le matelas; enfin il prit un couteau
qu’il avait par hasard sur lui, et l’ayant fixé dans le cou de la victime, il appuya
si fort que le duc fut égorgé. […] C’est une chose à remarquer, que pendant
tout ce temps, où il était tenu par Lorenzo et où il voyait Scoronconcolo tour-
ner et se démener pour le tuer, le duc ne poussa ni un cri ni une plainte, et ne
lâcha point ce doigt qu’il serrait entre ses dents avec fureur2.
2. Ibid.
38 Passions et caractères
Sans doute n’a-t-elle pas peur du sang, mais son esprit épris de ratio-
nalité supporte mal l’imprécision du caractère de Lorenzo et ne résiste
pas au besoin d’organiser un peu de cohérence autour d’un personnage
qui lui échappe et qui a de quoi décourager toute identification théâ-
trale. Elle lui donne une conscience politique, désabusée certes, dans
laquelle elle inscrit au moins autant les déceptions parisiennes de 1830
que les affrontements florentins de 1537. Désenchantement que Musset
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reprendra à son compte dans Lorenzaccio avant de le théoriser dans
La confession d’un enfant du siècle. Enfin, elle donne un vrai mobile au
meurtre. Elle prête à Alexandre une haine jalouse de bâtard, arrivé indû-
ment au pouvoir, à l’égard de l’enfant doué qui le méritait mieux que lui.
Par vengeance, il organise sciemment, et efficacement, la corruption
de Lorenzaccio qui le tue pour se venger. L’élément déclencheur du
meurtre reste la vertu menacée de Catherine. Le héros de Sand est le seul
à expliquer son geste :
Je n’ai pas tué cet homme pour mettre sa couronne ducale sur ma tête. Je
l’ai tué pour ses forfanteries, pour les affronts que j’en ai reçus, pour venger
ton honneur et le mien. Je l’ai tué parce que je le haïssais mortellement, et
qu’il avait voulu m’avilir […]. Je l’ai tué pour assouvir ma soif, pour guérir
mes blessures profondes, pour retrouver le sommeil, le bonheur et le calme4.
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tion dans la scène du meurtre, peu ému semble-t-il par la violence, et,
sans la mésestimer, allégorise avec retenue la dimension sexuelle de
l’étreinte finale. Il est plus proche du texte de Varchi dont les non-dits
sont en profonde affinité avec l’aspect le plus sombre de son moi. Le
scepticisme, le goût de la provocation et de l’excès, le mal-être de la
dissociation psychique sont des souffrances qui lui sont familières et
auxquelles il sait donner une expression théâtrale autrement plus subtile
que celle de Sand, en faisant appel à une rhétorique élaborée de l’arti-
fice et du dédoublement.
L’inconscient du texte cherche à se faire entendre par-dessus les
longs discours désabusés sur la médiocrité de l’humanité et l’inanité
de la quête de la justice et de la liberté. Il y a en Lorenzaccio des failles
qui le conduisent à un crime qu’elles ne justifient pas. Aussi peut-on
se demander si le texte de Freud5 sur « Quelques types de caractères
dégagés par le travail psychanalytique » – qui fait, à première vue de
façon surprenante, une assez large part aux configurations de pouvoir,
en particulier dans le théâtre shakespearien – permettrait de rendre plus
intelligible le crime d’un idéaliste sans croyance.
Ce qu’il dit de la prétention à l’exception de certains caractères qui
se placent avec obstination au-dessus des lois, au mépris de tout principe
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C’est sur le mode de la Révélation – expression conventionnelle de la
Providence – qu’à vingt ans, une nuit, dans les ruines du Colisée,
Lorenzo est averti qu’il doit tuer un tyran. Si l’on peut accepter le
procédé théâtral qui confie à une épiphanie élective le soin de mani-
fester ce que sera fatalement l’avenir7, il est plus difficile de croire à
l’extériorité d’une prédestination donnée comme miraculeuse et dont,
comme Freud nous y invite, on serait tenté de chercher l’origine dans
l’histoire privée du personnage. La pulsion de meurtre ressemble à une
pulsion érotique : « Peut-être est-ce là ce qu’on éprouve quand on
devient amoureux » (Acte III, scène 3). Et, comme dans l’Éros, le
problème est moins d’expliciter un désir, qui a vocation à demeurer
mystérieux, que de trouver le bon objet pour le satisfaire, c’est-à-dire,
ici, le bon ennemi : Clément VII ou Alexandre. Cependant, comme
même les pulsions ont besoin d’un ancrage dans le réel, « l’orgueil » –
le désir d’être un « Brutus » – vient lester du poids de l’histoire un
projet halluciné. On voit bien que l’explication patriotique et morale
du crime apparaît comme la justification a posteriori, ou si l’on veut la
rationalisation, au demeurant contestée par Lorenzo lui-même, d’un
désir de meurtre né de « l’insubordination » (le terme est de Freud)
d’une personnalité qui se veut d’exception.
6. Id., p. 142.
7. L’oracle des sorcières dans la première scène de Macbeth, l’apparition du spectre
dans Hamlet relèvent du même procédé.
Autopsie d’un meurtre : Lorenzaccio 41
S’il faut chercher dans des frustrations antérieures, dans ce que Sand
appelle justement des « blessures profondes », les causes de ce droit à
tuer dont s’autorise Lorenzaccio, on n’a que l’embarras du choix. La
configuration œdipienne qui est la sienne n’est pas faite pour le stabili-
ser. Il a perdu son père jeune. Sa mère ne lui pardonne pas la personna-
lité de débauché qu’il a endossée pour venir à bout d’Alexandre et, dans
son discours, passe de l’idolâtrie incestueuse à une violente exclusion :
Cela est trop cruel d’avoir vécu dans un palais de fées, où murmuraient les
cantiques des anges, de s’y être endormie, bercée par son fils, et de se réveiller
dans une masure ensanglantée, pleine de débris d’orgie et de restes humains,
dans les bras d’un spectre hideux qui vous tue en vous appelant encore du nom
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de mère. (Acte I, scène 6)
Si fort est le lien malheureux qui les unit, que le meurtre d’Alexandre
aura comme conséquence immédiate la mort de la mère de Lorenzo,
puis celle de Lorenzo lui-même qui, apprenant son décès, sort dans la
rue, sachant qu’on l’y attend pour le tuer. Autre frustration, son physique :
il est plutôt chétif et féminin, face au puissant « garçon boucher » qu’est
Alexandre. On l’appelle péjorativement Lorenzaccio mais aussi
Lorenzetta, quand il manque de s’évanouir devant une épée. Il a perdu,
avec sa moralité, la beauté qui a été la sienne. Enfin, il a été dépossédé
du trône auquel il pouvait prétendre et qui est revenu au bâtard d’un
pape. Sa mère s’en lamente. Lui-même revient sur sa jeunesse pour
Philippe :
J’étais heureux alors, j’avais le cœur et les mains tranquilles; mon nom m’ap-
pelait au trône, et je n’avais qu’à laisser le soleil se lever et se coucher pour
voir fleurir autour de moi toutes les espérances humaines. (Acte III, scène 3)
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simples peuvent être le fruit d’un cheminement qui l’est moins et c’est
ce que montre le cas de Lorenzaccio.
Il existe à coup sûr un fondement moral à l’échec de son entreprise.
Le meurtre d’Alexandre est dépourvu de la seule motivation susceptible
de le justifier (si un meurtre est de quelque façon justifiable) qui serait
la volonté et la certitude de servir l’intérêt général. Le chemin pris par
Lorenzo pour parvenir à Alexandre, gagner sa confiance et le tuer n’est
pas davantage acceptable puisqu’il choisit de partager sa débauche.
Pour devenir son ami et acquérir sa confiance, il fallait baiser sur ses lèvres
épaisses tous les restes de ses orgies. J’étais pur comme un lys et cependant
je n’ai pas reculé devant cette tâche. Ce que je suis devenu à cause de cela,
n’en parlons pas… Je suis devenu vicieux, lâche, un objet de honte et d’op-
probre. (Acte III, scène 3)
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débauche d’une actualité assez poignante, puisqu’il analyse des
problèmes qui sont les siens et qu’il vient de prêter, au théâtre, à des
jeunes hommes de son âge. La débauche est moins un abandon sensuel
qu’une perversion de l’intelligence en perte de repères. La rencontre
avec le mal est une épreuve de vérité devant laquelle la plupart des
hommes organisent leur repli :
Les débauchés, plus que tous les autres, sont exposés à cette fureur et la
raison en est toute simple […] Qui plus qu’eux est habitué à cette recherche
du fond des choses, et, si l’on peut ainsi parler, à ces tâtonnements profonds
et impies9 .
9. La confession d’un enfant du siècle, Le Livre de Poche, 2003, p. 339-340. C’est moi
qui souligne.
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passe comme s’il éprouvait le besoin de vérifier l’inutilité de son geste,
dont il est convaincu à l’instant même où il se met en situation de l’ac-
complir. En somme, ce qui fait le « débauché » (puisqu’il faut bien
employer ce vocable qui relève de catégories morales non contestées)
est moins une habitude de conduites répréhensibles que la conscience
souffrante de son état et le bénéfice intellectuel que, paradoxalement,
il y trouve. Ce contenu philosophique dévolu au terme dans
La confession permet de mieux comprendre Lorenzo, lui-même ami
des livres et penseur désabusé, et, en particulier, rend inopérante la
vision superficielle d’un débauché par imitation et par contagion. Toute
une dramaturgie de l’hallucination, du double, du spectre, élabore, en
parallèle de la scène réelle, une « autre scène » où tente de se manifester
un inconscient qui accède difficilement à l’expression, par des moyens
qui lui sont propres.
L’autre face de l’intempérance est celle qui touche aux privautés
sexuelles. Si l’initiation au mal, dont la forme ultime est un nihilisme
désespéré, est décrite avec tous les atours métaphoriques de la rhétorique
romantique, les excès sexuels font plutôt dans la litote. Il y a davan-
tage de ressentiment à l’égard de la femme que de volonté de la dégra-
der. La plus pure d’entre elles, Lucrèce, qui s’est tuée après avoir été
violée par Tarquin, est soupçonnée de s’être « donné le plaisir du péché
et la gloire du trépas » (II, 4)11. C’est une femme qui est à l’origine de
ses désillusions :
Lumière du ciel! Je m’en souviens encore; j’aurais pleuré avec la première
fille que j’ai séduite, si elle ne s’était mise à rire. (Acte III, scène 3)
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jamais, des Marie-Madeleine non repenties qui constituent l’espèce
féminine, et vaut qu’on se sacrifie pour elle. Si le savoir des femmes de
Lorenzo relève de la banale misogynie du siècle de Musset, la relation
qui s’établit entre Alexandre et lui est moins prévisible.
C’est une attraction sourde et mal définie qui unit les deux cousins.
Alexandre paraît avoir une certaine inclination pour Lorenzo dont il se
sert mais qu’il n’humilie pas, ce que ce dernier reconnaît volontiers : « Il
a fait du mal aux autres, mais il m’a fait du bien, du moins à sa manière »
(Acte IV, scène 3). La facilité avec laquelle il est berné témoigne plutôt
en sa faveur et dit son penchant pour son double ironique, féminin,
cultivé et pervers. Il est évident que Lorenzo éprouve une attraction-
répulsion fascinée pour un soudard dont la beauté vulgaire triomphe
des plus inaccessibles – comme la Marquise Cibo qui se donne à lui
pour des raisons patriotiques qui trouvent leur rétribution dans un
compromis à la Lucrèce témoignant des capacités de séduction de celui
qu’elle renoncera à vaincre. La sexualité naturelle et puissante
d’Alexandre est une métonymie du pouvoir sans partage et sans nuances
qu’il exerce. Sexe et pouvoir déterminent les rapports de domination
qui régissent la vie de la cité et les relations des personnages. Alexandre,
porteur d’une promesse de vie ou de mort, est l’objet d’un investissement
11. On peut être surpris que cette formule ait été textuellement reprise du drame de George
Sand, qui montre, par une telle trouvaille, sa capacité – même si elle est ironique – à
donner une interprétation éminemment masculine des outrages faits aux femmes.
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sanglante, inestimable diamant. (Acte IV, scène 11)
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politique, l’illégitimité du meurtre suffit à expliquer la perte du meur-
trier. Cela se vérifie dans l’identification que revendique Lorenzo à l’image
de Brutus ou plutôt des Brutus, car ils sont deux dans l’Histoire à s’être
opposés au pouvoir. L’un a tué César, son père adoptif, n’a rien changé
au cours de l’histoire et s’est suicidé, l’autre, simulant la folie, a, appuyé
par le peuple, chassé Tarquin sans le tuer et établi la république. L’un a
réussi sans tuer et a survécu, l’autre a tué sans réussir et s’est suicidé.
L’un a échoué « du fait du succès » et l’autre non. Et le sixième sens de
l’Histoire lui commande de se ranger du côté du vainqueur. Ainsi en va-
t-il de la destinée de Lorenzo. Son acte est davantage l’accomplissement
d’une idée fixe que d’une conviction. Il ne faut pas longtemps pour que
le contenu de la Révélation qui lui intime de tuer un tyran, s’enrichisse
d’une révélation seconde, celle de la perte de l’innocence dans le champ
du pouvoir. Ainsi son crime va se commettre non dans l’affirmation de soi
mais dans la modalité du déni, c’est-à-dire dans le simulacre : « Je sais
bien (que cela ne sert à rien) mais quand même (je vais le faire). » Rien
d’étonnant à ce que s’accomplisse ce qu’il avait prévu :
Quand j’entrerai dans cette chambre, et que je voudrai tirer mon épée du
fourreau, j’ai peur de tirer l’épée flamboyante de l’archange, et de tomber en
cendres sur ma proie. (Acte IV, scène 3)
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fonction cathartique qui purge de tous les désespoirs.
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Le pouvoir corrompt et il faut accepter d’être corrompu pour s’en
approcher. Et cela vaut aussi pour celui qui, comme Lorenzo, entend
exercer un contre-pouvoir. Soucieux de lutter avec le tyran à armes
égales, il s’empêtre dans une corruption qu’il a cru choisir et dont il ne
connaît pas la vraie nature. Victime du même contre-sens, Brutus, le
modèle qui était censé donner grandeur et consistance à un adolescent
en quête de justice, avant de se jeter sur son épée, prononça la phrase
qui résumait son apprentissage : « Vertu, tu n’es qu’un nom ! »
Freud, attaché à des fonctionnements psychiques particuliers, est
sensible mais peu attentif aux effets produits par le politique, indépen-
damment des individus qui s’y consacrent. Le problème, dans une confi-
guration donnée, est, pour chaque personnage, de savoir comment
intégrer son histoire dans l’Histoire et c’est à l’articulation du privé et
du public que la déraison frappe le plus fort. C’est la grande force du
drame de Musset d’en avoir proposé une virulente démonstration.
Marie-Claude Schapira