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Le déclin du droit pénal : l'émergence d'une politique

criminelle de l'ennemi
Christine Lazerges, Hervé Henrion-Stoffel
Dans Revue de science criminelle et de droit pénal comparé 2016/3 (N° 3), pages 649
à 662
Éditions Dalloz
ISSN 0035-1733
ISBN 9782995516032
DOI 10.3917/rsc.1603.0649
© Dalloz | Téléchargé le 21/08/2023 sur www.cairn.info (IP: 197.155.130.236)

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CHRONIQUES
Chronique de politique criminelle
Christine Lazerges
Professeur émérite de l’Université
Paris I, Panthéon-Sorbonne,
Présidente de la Commission
nationale consultative des droits
de l’homme (CNCDH)
Hervé Henrion-Stoffel
Magistrat, docteur en droit, ancien
Conseiller juridique à la CNCDH

Le déclin du droit pénal : l’émergence d’une


politique criminelle de l’ennemi

Le droit pénal moderne, tel que l’a pensé en Europe mais aussi en Amérique du 649
la Déclaration de 1789 inspirée par la Nord et en Amérique latine. L’élément
philosophie pénale de Beccaria 1, est un déclencheur en a été un essai et plu-
droit pénal qui croit en l’homme, dès sieurs chroniques écrits par Günther
lors qu’il envisage le délinquant comme Jakobs 3, aujourd’hui professeur émérite
une personne susceptible de se conduire de l’université de Bonn. Cet auteur, dont
à l’avenir conformément au droit. Les on ne sait si le discours est descriptif ou
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comportements réprimés sont enserrés normatif, provoque indéniablement chez © Dalloz | Téléchargé le 21/08/2023 sur www.cairn.info (IP: 197.155.130.236)
dans le principe de légalité, l’établisse- ses lecteurs des réactions oscillant entre
ment de la culpabilité est encadré par le fascination et rejet. Conscients, à la suite
principe de la présomption d’innocence de Zaffaroni, de « l’indéniable nature
et les excès de la contrainte étatique politique du savoir juridique pénal » 4,
sont elles aussi encadrées par la pré- nous nous devons d’emblée d’insister
somption d’innocence et le droit à la sur l’absolue nécessité d’une démarche
sûreté pour les privations de liberté. critique en la matière : « Tous les États
de droit de ce monde sont en réalité un
Aux antipodes – est-ce là un signe de la processus de contradiction permanente
postmodernité ? 2 –, une autre concep- entre l’État de droit et l’État de police
tion du droit pénal a, ces vingt der- qui reste enfermé à l’intérieur de l’État
nières années, suscité un débat très vif de droit, encapsulé, contenu mais avec

(1) C. Beccaria, Des délits et des peines, rééd. G.-Flammarion 2006.


(2) V. A. Giudicelli et J.-P. Jean, Un droit pénal postmoderne ?, PUF 2009.
(3) G. Jakobs, Bürgerstrafrecht une Feindstrafrecht, HRRS 3/2004, p. 88 s. ; G. Jakobs, Feindstrafrecht ? – Eine Unter-
suchung zu den Bedingungen von Rechtlichkeit, HRRS 8-9/2006, p. 289 s. ; G. Jakobs, Aux limites de l’orientation
par le droit : le droit pénal de l’ennemi, RSC 2009. 7 ; G. Jakobs, Rechtsgüterschutz ? Zur Legitimation des Stra-
frechts (Nordrhein-Westfälische Akademie der Wissenschaften und der Künste - Vorträge : Geisteswissenschaf-
ten), Verlag Ferdinand Schöningh GmbH 2012.
(4) E. R. Zaffaroni, Dans un État de droit il n’y a que des délinquants, RSC 2009. 45.

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des pulsions constantes essayant de la dangerosité justifie la condamnation


perforer et, si possible, de faire éclater de l’ennemi, dont la dépersonnalisation
la capsule. Aussitôt que la contention peut être extrême. Le droit pénal de
s’affaiblit, l’État de police émerge avec l’ennemi déshumanise les ennemis les
la tendance à dériver vers un État absolu réduisant de la sorte à leur dangerosité
[…] les lois continuent d’exister, mais la et les privant du principe d’égale dignité
science juridique pénale doit les délégi- des êtres humains 9.
timer… C’est la puissance du discours,
qui est l’unique force qu’exerce le savoir Son second constat réside dans le fait
juridique » 5. Aussi, la science juridique que « le droit pénal de l’ennemi est
doit-elle s’inscrire dans – et non en un droit d’exception et qu’il vaut mieux
dehors – de l’État de droit partant du le reconnaître comme tel afin de ne
postulat du lien intime, pour ne pas dire pas brouiller les catégories juridiques ».
fusionnel entre le droit pénal et les droits Non seulement le droit pénal de fond est
de l’homme 6. Cela s’impose d’autant d’exception mais la procédure pénale
plus à l’heure où l’Homme est indénia- l’est aussi, privant d’un certain nombre
blement « délaissé » par le droit pénal 7. de garanties jusqu’à annihiler les règles
du procès équitable.
Le droit pénal de l’ennemi ne croit
plus en l’homme, il scelle la chute de En bref, le droit pénal de l’ennemi est
l’Homme. En effet, l’ennemi (« Feind ») un droit qui exclut, il est un droit qui
est celui qui n’offre aucune garantie refuse par principe l’universalité et l’in-
quant à sa conduite future ; il veut divisibilité des droits de l’homme et en
détruire l’ordre juridique et il vit dans conséquence le combat pour les rendre
un état de guerre permanent. effectivement universels. C’est le droit
650 en quelque sorte du renoncement au
Le droit pénal de l’ennemi, en distin- Droit pour certains, les ennemis.
guant citoyens et ennemis, sonne le glas
de l’universalité des droits et libertés Sous l’effet du terrorisme, la péné-
fondamentaux, excluant de la commu- tration du droit pénal de l’ennemi fut
nauté des hommes les ennemis. C’est d’abord insidieuse puis plus explicite
un droit du rejet et sans espérance par un empilement dans nombre d’États
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aucune pour ceux qui ont lourdement de textes successifs destinés à lutter © Dalloz | Téléchargé le 21/08/2023 sur www.cairn.info (IP: 197.155.130.236)
porté atteinte à la Nation par des actes contre le terrorisme et la grande cri-
terroristes ou des crimes considérés minalité. En France, on compte plus de
comme très graves. Geneviève Giudicel- trente réformes législatives depuis 2000
li-Delage analyse de façon particulière- retouchant divers codes (pénal, de pro-
ment intéressante les thèses de Günther cédure pénale, de la sécurité intérieure,
Jakobs 8. Elle observe que la distinc- des douanes, etc.) qui renvoient plus
tion entre citoyens et ennemis induit ou moins clairement au droit pénal de
la dépersonnalisation des ennemis les l’ennemi ou à tout le moins au rejet hors
privant des droits fondamentaux. de la communauté des citoyens comme
le suggère le droit pénal de l’ennemi à
Son premier constat est celui d’une dis- l’égard de certains criminels. L’examen
sociation du fondement de la répression, des textes les plus récents, à travers
la culpabilité ne s’adresse qu’au citoyen, le prisme de la doctrine pénale de la

(5) Ibid., p. 56-57.


(6) R. Koering-Joulin et J.-F. Seuvic, Droits fondamentaux et droit criminel, AJDA 1998. 106 ; J. Alix, La place de
l’homme dans le droit pénal contemporain, Mélanges en l’honneur de Christine Lazerges, Dalloz 2014, p. 73-74.
(7) J. Alix, art. préc., p. 80-85.
(8) G. Giudicelli-Delage, Droit pénal de la dangerosité, droit pénal de l’ennemi, RSC 2010. 69.
(9) V. égal. G. Giudicelli-Delage et C. Lazerges (dir.), La dangerosité saisie par le droit pénal, PUF 2011.

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Commission nationale consultative des aux actes préparatoires. En effet, le


droits de l’homme (CNCDH) 10 fait net- législateur contourne ostensiblement
tement apparaître un mouvement, une l’interdiction de punir en amont d’un
dynamique qui a rendu le droit pénal de commencement d’exécution en érigeant
fond liquide (I) et a désorienté la procé- en infraction ce qui en réalité consti-
dure pénale (II). tue une simple étape intellectuelle ou
matérielle préalable au commencement
de l’infraction et devrait donc échapper
I - Un droit pénal de fond liquide à toute répression 12. C’est l’irruption
d’un droit pénal du risque réprimant des
comportements dont les conséquences
Le droit pénal de fond devient liquide, dommageables ne sont pas certaines,
lorsqu’il s’émancipe des principes et mais simplement possibles, voire pro-
règles que l’on pensait nécessaires pour bables 13. Commentant le code pénal
le fonder 11. Aussi, la quête de sens et de de 1994, nous relevions déjà la montée
repères stables fait-elle place à l’incer- des infractions dites de prévention, où
titude perpétuelle, du fait du délitement la répression au stade des actes prépa-
constant de ces principes et règles. En ratoires ou avant même ceux-ci (comme
matière pénale, l’on constate une réelle c’est le cas pour le complot de l’art.
dilution des principes de légalité (A) et 412-2 du code pénal, la mise en péril
de culpabilité (B). des mineurs des art. 227-18 à 227-21
du code pénal ou encore de la mise en
danger d’autrui de l’art. 223-1 du code
A - La dilution du principe de pénal). On pouvait y voir l’expression
légalité d’une pédagogie de la menace et de
l’intimidation mais n’était-ce pas déjà 651
le signe d’une politique criminelle peu
Le principe classique réside dans l’ab- ferme sur les principes fondateurs du
sence de répression des actes prépa- droit pénal classique ? 14
ratoires, dès lors qu’en vertu de l’ar-
ticle 121-5 du code pénal, il n’y a pas de Cette évolution a tout particulièrement
tentative punissable sans « commence- touché les infractions terroristes et nous
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ment d’exécution ». Cela étant, Günther évoquerons la création du délit d’en- © Dalloz | Téléchargé le 21/08/2023 sur www.cairn.info (IP: 197.155.130.236)
Jakobs précise clairement que le droit treprise terroriste individuelle (C. pén.,
pénal devient « prospectif » en étendant art. 421-2-6) 15 par la loi no 2014-1353
son filet à des comportements non pas du 13 novembre 2014 renforçant les
univoques mais équivoques (« anticipa- dispositions relatives à la lutte contre
tion de la conduite pénale non réali- le terrorisme. Il consacre la possibilité
sée »). C’est très clairement le cas de la de condamner des personnes qui pro-
répression d’actes préparatoires, voire jettent de commettre seules un acte
de la répression d’actes préparatoires terroriste, prenant ainsi acte d’une nou-

(10) Pour une présentation de la doctrine pénale de la CNCDH, v. C. Lazerges (dir.), Les grands avis de la Commission
nationale consultative des droits de l’homme, Dalloz 2016, p. 352-357 (comm. R. Parizot), p. 365-374 (comm.
J. Leblois-Happe), p. 436-442 (comm. J. Alix), p. 449-455 (comm. F. Johannes) ; H. Henrion-Stoffel, Das strafrecht
im Fokus der Commission nationale consultative des droits de l’homme, Goltdammer’s Archiv für strafrecht
12/2015, p. 701 s.
(11) V. Z. Bauman, Le présent liquide. Peurs sociales et obsession sécuritaire, Seuil 2007. Pour cet auteur, une société
devient « liquide » quand elle a atteint un nouvel âge de l’émancipation des règles que l’on pensait jusque tout
récemment nécessaires au maintien et à la reproduction de la société.
(12) Dans ce sens R. Parizot, L’anticipation de la répression, in O. Cahn et K. Parrot (dir), Actes de la journée d’études
radicales : le principe de nécessité en droit pénal, Cergy-Pontoise 12 mars 2012, p. 126 s.
(13) Ibid., p. 127.
(14) Ch. Lazerges, La participation criminelle, in Réflexions sur le nouveau code pénal, p. 11, Pedone 1995.
(15) V. sur cette question J.-M. Brigant, L’entreprise individuelle terroriste, nouvelle arme contre le terrorisme, in
A. Jabobs et D. Flore (dir.), Les combattants européens en Syrie, L’Harmattan 2015, p. 107 s.

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velle menace émanant d’individus agis- tion. Pouvant donner lieu à une appré-
sant seuls ou en « microcellules » 16. ciation dangereusement subjective, elle
Les nouvelles dispositions, qui évoquent est de nature à poser de considérables
« l’acte préparé », la « préparation » ou problèmes de prévisibilité, au plan théo-
« le fait de préparer » la commission rique, et de preuve, au plan pratique 19.
d’une infraction, laissent présager, à On est bien confronté dans ce cas à
première lecture, qu’elles consacrent des actes qui ne sont même pas encore
une nouvelle hypothèse d’actes prépa- « préparatoires » au sens juridique du
ratoires incriminés de façon autonome, terme, et dont le lien trop ténu avec
comme cela existe déjà en droit pénal l’infraction projetée exclut l’incrimina-
français (association de malfaiteurs par tion. C’est pourquoi la CNCDH recom-
exemple) 17 et dans le droit de l’Union mandait la suppression de l’action de
européenne 18. En punissant un com- « rechercher ». Elle n’a malheureuse-
portement très éloigné en amont de ment pas été suivie par le législateur.
l’infraction pénale redoutée, l’incrimi- Par ailleurs, les quatre comportements
nation d’actes préparatoires s’appuie définis par le nouvel article 421-2-6 du
nécessairement sur un élément maté- code pénal le sont de manière alter-
riel et un élément moral équivoques, native 20. Ces actes étant antérieurs au
ce qui révèle un affaissement voire un commencement d’exécution, ils sont
écroulement du principe de légalité (art. en principe non réprimés. La CNCDH
8 de la Déclaration de 1789 et 7 de la estime en conséquence qu’une pluralité
Conv. EDH) de faits matériels est nécessaire pour
constituer l’infraction. Elle recommande
S’agissant de l’élément matériel du nou- au législateur de les définir avec une
veau délit, il semble néanmoins que l’on extrême précision, les actes incriminés
652 puisse établir une distinction entre les ne devant en aucun cas, sous peine de
comportements dont l’incrimination est violation du principe de légalité, porter
prévue. Ceux qui consistent en l’action sur la « préparation de la préparation »
« de détenir […], de se procurer ou de de l’infraction.
fabriquer des objets ou substances de
nature à créer un danger pour autrui » À cet égard, l’Étude d’impact sur le pro-
impliquent une vraie matérialité dont le jet de loi fait référence au paragraphe 89
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lien avec le projet terroriste peut être du code pénal allemand permettant la © Dalloz | Téléchargé le 21/08/2023 sur www.cairn.info (IP: 197.155.130.236)
établi. Dans son avis du 25 septembre poursuite d’individus isolés préparant
2014, la CNCDH considère que ces com- des actes de terrorisme 21. Ce texte,
portements peuvent être incriminés à issu de la loi du 30 juillet 2009 visant à
titre autonome. En revanche, l’action de lutter contre la préparation de graves
« rechercher » évoque une conduite fort attentats contre l’État 22 a fait l’objet de
imprécise car située trop en amont du commentaires extrêmement critiques
commencement d’exécution de l’infrac- en Allemagne 23. En effet, les incrimina-

(16) V. Assemblée nationale, Rapport no 1056 fait au nom de la Commission d’enquête sur le fonctionnement des
services de renseignement français dans le suivi et la surveillance des mouvements radicaux armés, Paris, le
24 mai 2013, p. 14.
(17) V. sur ce point X. Pin, Droit pénal général, 5e éd., Dalloz 2012, p. 148.
(18) Pour davantage de détails, v. S. Manacorda, Les conceptions de l’Union européenne en matière de terrorisme,
in H. Laurens et M. Delmas-Marty (dir.), Terrorismes. Histoire et droit, CNRS éditions 2010, p. 201 s.
(19) CNCDH 25 sept. 2014, Avis sur le projet de loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme,
JO no 0231 du 5 oct. 2014, texte no 45, §§ 12-16.
(20) Détenir, rechercher, se procurer « ou » fabriquer.
(21) Étude d’impact, 2.5.2.
(22) Gesetz zur Verfolgung der Vorbereitung schwerer staatsgefährlichender Gewalttaten, GVVG : BGBl 2009, I, 2437.
(23) V. X. Pin, Chronique de droit pénal allemande, RIDP 2011. 191 ; H. Ratdke et M. Steinsiek, Bekämpfung des
internationalen Terrorismus durch Kriminalisierung von Vorbereitungshandlungen ?, Zeitschrift für Internatio-
nale Strafrechtsdogmatik, www.zis-online.com, 9/2008, p. 383 ; M. A. Zöller, Willkommen in Absurdistan. Neue
Straftatbestände zur Bekämpfung des Terrorismus, Goltdammer’s Archiv für Strafrecht 2010, p. 607.

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de l’ennemi

tions introduites aux paragraphes 89 et réprimées. Au-delà, nous partageons les


suivants du code pénal concernent déjà réserves de la doctrine allemande qui
la « préparation de la préparation » 24, voit dans la pénalisation accrue d’actes
comme en atteste le paragraphe 89 a, II, antérieurs au commencement d’exécu-
no 1 qui punit le simple fait d’adopter un tion, une résurgence inquiétante de la
comportement qui pourrait à l’avenir se doctrine du « droit pénal de l’ennemi » :
révéler terroriste (tel un entraînement ce serait une « victoire de la peur »,
militaire ou l’apprentissage du manie- la victoire d’un droit pénal sécuritaire
ment de certaines armes). De même, sur un droit pénal classique strictement
le paragraphe 89 b, alinéa 1 réprime encadré par le principe de légalité 25.
le fait de prendre contact par courriel
avec une organisation terroriste, dans le Le nouvel article 421-2-6 du code pénal
dessein de réaliser plus tard un atten- précise que les actes exposés précé-
tat. Quant au paragraphe 91, il rend demment doivent être « intentionnel-
punissable le fait de mettre à disposition lement en relation avec une entreprise
ou de télécharger sur Internet certains individuelle ayant pour but de troubler
modes d’emploi dont le contenu pourrait gravement l’ordre public par l’intimi-
servir à la perpétration d’un attentat dation ou la terreur ». À juste titre,
(par exemple les plans de fabrication dans son avis du 25 septembre 2014, la
d’une bombe). Ces comportements sont CNCDH constate l’imprécision de l’élé-
extrêmement proches de ceux retenus ment moral du nouveau délit 26, en rai-
à l’article 421-2-6 exigeant que l’action son de ce que les actes accomplis par
de détenir, rechercher, se procurer ou l’individu isolé ne peuvent s’expliquer
fabriquer des objets ou substances de que par la volonté d’accomplir l’une
nature à créer un danger pour autrui des infractions visées par le nouveau
soit complétée par un second sous-élé- texte 27. À défaut, les actes incriminés 653
ment matériel, pouvant notamment seraient nécessairement équivoques.
consister en des repérages, en une En effet, l’élément moral de l’infraction
formation au maniement des armes, à terroriste est, en soi, un élément « à
la fabrication d’engins explosifs ou au tiroirs », produit complexe de l’imbri-
pilotage ou encore dans la consultation cation d’une volonté, d’une intention et
habituelle de sites internet provoquant d’un mobile, eux-mêmes parfois fondés
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au terrorisme. Au regard de ce qui a sur de simples présomptions de fait © Dalloz | Téléchargé le 21/08/2023 sur www.cairn.info (IP: 197.155.130.236)
été précédemment exposé, dès lors que destinées à réduire les difficultés pro-
l’un de ces derniers comportements est batoires de cet élément 28. De surcroît,
combiné à l’action de rechercher, l’in- plus on remonte dans le temps de l’iter
tégralité des actes réprimés est située criminis, s’éloignant ainsi de l’instant de
au stade de la simple « préparation de la commission de l’infraction finale, plus
la préparation » de l’infraction. La viola- il devient délicat d’établir avec certitude
tion du principe de légalité ne fait aucun la réalité exacte de cet élément. Au total,
doute, en raison du manque de clarté et non seulement la qualité de la loi voulue
donc de prévisibilité des conduites ainsi par le principe de légalité criminelle

(24) Dans ce sens, M. A. Zöller, art. préc., p. 607.


(25) X. Pin, Chronique de droit pénal allemand, RIDP 2011. 192.
(26) CNCDH 25 sept. 2014, Avis précité sur le projet de loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le
terrorisme, § 17.
(27) Cette définition s’inspire de la théorie de l’acte univoque, qui a notamment été appliquée par la chambre
criminelle pour distinguer le commencement d’exécution punissable des actes préparatoires non punissables (v.
sur ce point R. Merle et A. Vitu, Traité de droit criminel. Tome I. Problèmes généraux de la science criminelle,
7e éd., Cujas 1997, no 498, p. 632).
(28) En pratique, le ministère public devrait prouver que l’agent a la connaissance du danger pour autrui, que
cette connaissance existe au moment de la fabrication ou de l’acquisition de tel ou tel produit, et en plus la
connaissance que cette fabrication ou acquisition s’inscrit dans une entreprise à visée terroriste. Cela conduirait
à multiplier les présomptions de fait pour consolider l’élément moral lorsqu’il se révèlerait fragile.

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se trouve nécessairement affectée par traliser le délinquant pendant plusieurs


ce type d’incrimination, mais encore la années après l’exécution de la peine pri-
présomption d’innocence (art. 9 de la vative de liberté. De « surveiller et punir »
Déclaration de 1789 et 6-2 de la Conv. on est passé à « punir et surveiller ».
EDH), qui exige une preuve certaine et
complète de la culpabilité, se voit éga- Au surplus, le constat de la mutation
lement mise à mal. En bref, le « flou de apportée aux règles de responsabilité
l’incrimination » peut entraîner un « flou pénale est bien établi. La CNCDH a
dans l’administration de la preuve ». estimé très justement dans un avis du
7 février 2008 portant sur la rétention
de sûreté que « Le lien de causalité
B - La dilution du principe de entre une infraction et la privation de
culpabilité liberté est rompu. La personne n’est
plus condamnée en raison de l’infrac-
tion, puisqu’elle a purgé sa peine. Mais
Le principe de culpabilité – « Pas de elle reste l’auteur virtuel d’une infrac-
peine sans faute » – est ancré dans tion possible. La mesure sera alors
notre tradition juridique 29. Pourtant, le prononcée sur la base de “la particu-
lien, normalement indissoluble entre lière dangerosité du condamné”, soit un
la peine et la faute, est mis à mal avec qualificatif flou lié à la personnalité de
l’essor des fonctions de neutralisation et l’individu et sans aucun rapport avec un
de dépersonnalisation. élément matériel, le fait. À cet égard, le
projet de loi remet en cause les prin-
S’agissant de la fonction de neutralisa- cipes fondamentaux du droit pénal issus
tion, la lecture de plusieurs dispositions de la Révolution de 1789 » 31.
654 du code pénal montre que la réponse à
la criminalité ne repose plus uniquement Par ailleurs, l’article 11 de la loi no 2016-
sur l’idée classique de châtiment (sanc- 731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte
tion d’une faute), mais aussi sur le trai- contre le crime organisé, le terrorisme
tement d’un état dangereux. Autrement et leur financement, et améliorant l’ef-
dit, le délinquant manifeste une dange- ficacité et les garanties de la procédure
rosité qui doit certes être puni au sens pénale modifie le régime juridique de la
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classique du terme (châtié, blâmé), mais période de sûreté en matière de terro- © Dalloz | Téléchargé le 21/08/2023 sur www.cairn.info (IP: 197.155.130.236)
aussi soigné, traité, comme un « microbe risme en intégrant dans le code pénal
social » (Lacassagne). Comme le précise un article 421-7 ainsi rédigé : « Les deux
Günther Jakobs, la peine a pour objet premiers alinéas de l’article 132-23 rela-
l’élimination de tout risque futur par la tif à la période de sûreté sont applicables
neutralisation du criminel. À cet égard, aux crimes ainsi qu’aux délits punis de
il suffit de mentionner le développement dix ans d’emprisonnement prévus au
des « double voies » 30 : réclusion cri- présent chapitre. Toutefois, lorsque le
minelle puis rétention ou surveillance crime prévu au présent chapitre est puni
de sûreté (C. pr. pén., art. 706-53-13) ; de la réclusion criminelle à perpétuité,
réclusion ou emprisonnement avant un la cour d’assises peut, par décision spé-
suivi socio-judiciaire (C. pén., art. 131- ciale, soit porter la période de sûreté
36-1 s.). En conséquence, le châtiment jusqu’à trente ans, soit, si elle prononce
(peine privative de liberté) ne suffit plus la réclusion criminelle à perpétuité, déci-
pour payer sa faute, dès lors que le der qu’aucune des mesures énumérées
contrôle social prend la relève pour neu- à l’article 132-23 ne pourra être accor-

(29) X. Pin, Droit pénal général, op. cit., no 22, p. 21.


(30) Ibid., no 21, p. 22.
(31) CNCDH 7 févr. 2008, Avis sur le projet de loi relatif à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité
pour cause de trouble mental, en ligne sur www.cncdh.fr, § 7.

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Le déclin du droit pénal : l’émergence d’une politique criminelle CHRONIQUES
de l’ennemi

dée au condamné. En cas de commuta- retour de la déchéance de nationalité,


tion de la peine, et sauf si le décret de d’abord dans l’arsenal programmatique
grâce en dispose autrement, la période du Front national puis dans un projet de
de sûreté est égale à la durée de la peine réforme constitutionnelle d’un gouver-
résultant de la mesure de grâce ». À cet nement de gauche, rappelle combien
égard, nous soutenons la position de la le droit pénal de l’ennemi n’est jamais
CNCDH et ses plus vives inquiétudes à loin, toujours prêt à infiltrer nos textes y
l’endroit du système des périodes de compris la loi Fondamentale.
sûreté, dont la mise en œuvre repose sur
la prédiction aléatoire de comportements L’inscription de la déchéance de natio-
futurs, marquant ainsi le développement nalité dans un projet de réforme consti-
du droit pénal de la dangerosité 32. tutionnelle qualifié de « protection de la
Nation », heureusement abandonnée 34,
S’agissant de la fonction de déperson- prouve que la sanction de la déchéance
nalisation, Günther Jakobs précise que de nationalité est facilement comprise
dans le droit pénal classique le délin- comme une mesure sécuritaire de pro-
quant continue à bénéficier du statut de tection des citoyens par l’exclusion d’en-
personne après la commission d’actes nemis. À cet égard, il convient de rappeler
délictueux, alors que l’ennemi perd défi- que la nationalité étant le « support natu-
nitivement ce statut et donc tous ses rel » de la citoyenneté, le national d’un
attributs (citoyenneté, nationalité). État déterminé jouit de la plénitude des
droits civils et politiques de cet État 35. En
Les débats vifs sur la déchéance de revanche, un individu sans nationalité est
nationalité ayant eu lieu au cours des étranger en tous pays et un étranger de
premiers mois de l’année 2016 peuvent la pire condition puisqu’il ne bénéficie de
être interprétés comme une montée la protection d’aucun État 36… 655
paroxystique du droit pénal de l’ennemi.
Un autre exemple relatif à l’essor de la
Avec Emmanuel Decaux, rappelons que fonction de dépersonnalisation découle
les dictatures ont utilisé la déchéance du nouvel article 122-4-1 du code pénal 37
de nationalité comme une arme poli- qui règlemente l’usage des armes à feu
tique pour mettre au ban les « ennemis par les forces de l’ordre en fondant une
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du peuple » et exclure les « traîtres à cause d’irresponsabilité pénale sur une © Dalloz | Téléchargé le 21/08/2023 sur www.cairn.info (IP: 197.155.130.236)
la patrie ». Les démocraties n’ont pas probabilité de réitération de passage à
échappé à diverses formes de bannisse- l’acte après la commission d’un ou de
ment, de prescription, de « mort civile » plusieurs homicides. Si une évolution du
ou d’indignité nationale, de la Révolution droit sur cette question était envisagée
française à l’épuration 33. Voilà que le depuis plusieurs années 38, il ne faudrait

(32) CNCDH 17 mars 2016, Avis sur le projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur
financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale, JO no 0129 du 4 juin 2016, texte
no 69, § 38. V. également sur cette question M. Delmas-Marty, Les politiques sécuritaires à la lumière de la doc-
trine pénale du xixe au xxie siècle, RSC 2010. 5.
(33) E. Decaux, Le droit à une nationalité en tant que droit de l’homme, RTDH 2011. 260.
(34) V. CNCDH 18 févr. 2016, Avis sur le projet de loi constitutionnelle de protection de la Nation, JO no 0048 du
26 févr. 2016, texte no 103.
(35) P. Lagarde, Le droit à une nationalité, in R. Cabrillac (dir.), Libertés et droits fondamentaux, 21e éd., Dalloz 2015,
p. 366.
(36) Ibid.
(37) « N’est pas pénalement responsable le fonctionnaire de la police nationale, le militaire de la gendarmerie natio-
nale, le militaire déployé sur le territoire national dans le cadre des réquisitions prévues à l’article L. 1321-1 du
code de la défense ou l’agent des douanes qui fait un usage absolument nécessaire et strictement proportionné de
son arme dans le but exclusif d’empêcher la réitération, dans un temps rapproché, d’un ou plusieurs meurtres ou
tentatives de meurtre venant d’être commis, lorsque l’agent a des raisons réelles et objectives d’estimer que cette
réitération est probable au regard des informations dont il dispose au moment où il fait usage de son arme ».
(38) V. F. Debove, L’égalité des armes… à feu, in F. Debove et O. Renaudie, Sécurité intérieure, les nouveaux défis,
Vuibert 2013, p. 277-281.

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CHRONIQUES Le déclin du droit pénal : l’émergence d’une politique criminelle
de l’ennemi

cependant pas que l’application de ce à ce propos ce que l’on peut appeler la


nouveau texte n’aboutisse en pratique « procédure pénale bis, ter, quatro, etc. »
à consacrer un « droit de tuer » des
personnes considérées dangereuses sur La loi précitée n o 2014-1353 du
la base d’informations forcément incom- 13 novembre 2014 a fait basculer dans
plètes et incertaines au moment précis l’article 421-2-5 du code pénal les délits
de l’usage de l’arme par le policier ou le de provocation et d’apologie d’actes de
gendarme. Le risque d’une violation de terrorisme. Par ce biais, il s’agissait
l’article 2 de la Convention européenne d’écarter l’application de la procédure
des droits de l’homme garantissant le pénale protectrice spécifique aux délits
droit à la vie est avéré 39. de presse 40, afin d’accroître les pou-
voirs des enquêteurs, qui seraient juri-
diquement habilités à réaliser des actes
II - Une procédure pénale d’investigation dans le cadre du régime
désorientée dérogatoire relatif aux infractions ter-
roristes (à l’exception des règles spé-
cifiques relatives à la prescription de
La procédure pénale n’est plus une, pas 20 ans, de celles relatives aux per-
même dédoublée mais plurielle. Elle en quisitions et de celles relatives à la
perd tout cap dans l’espace (A) et tout garde à vue). Les nouvelles dispositions
repère dans le temps (B). sont de « véritables sorties du droit
pénal de la presse pour contrarier le
principe de mesure dont il s’inspire
A - Une procédure pénale déso- au nom des libertés de pensée, d’ex-
rientée dans l’espace pression et d’opinion » 41. Un simple
656 abus de la liberté d’expression suffit
aujourd’hui pour porter le manteau de
Pour Günther Jakobs, l’ennemi n’est l’ennemi, comme en atteste l’embal-
plus sujet du procès, mais objet de la lement répressif dans plusieurs juri-
procédure. À ce titre, il bénéficie non dictions à l’occasion de jugements en
de l’intégralité des droits et garanties comparution immédiate à la suite des
procéduraux, mais de droits au rabais. tragiques attentats terroristes du mois
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de janvier 2015 42. © Dalloz | Téléchargé le 21/08/2023 sur www.cairn.info (IP: 197.155.130.236)
Cela s’observe en droit français avec
l’extension continue des régimes déro- L’évolution récente du régime relatif à
gatoires qui désorientent totalement la la criminalité organisée est également
procédure pénale de droit commun par symptomatique. Le recours à cette
le biais de voies de contournement desti- procédure dérogatoire repose sur la
nées à restreindre les garanties procédu- notion extrêmement floue de « bande
rales consacrées à l’article préliminaire organisée », circonstance aggravante
du code de procédure pénale. Evoquons critiquée par la CNCDH 43 et par la

(39) Dans ce sens v. également CNCDH 17 mars 2016, Avis précité sur le projet de loi renforçant la lutte contre le
crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure
pénale, § 31. Pour une analyse détaillée de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme,
v. F. Debove, art. préc., p. 274-277.
(40) La loi précitée no 2012-1432 du 21 déc. 2012 a déjà permis de placer en détention provisoire les personnes
poursuivies pour provocation au terrorisme ou apologie du terrorisme et allongé de 3 mois à un an le délai de
prescription de l’action publique exercée de leur chef (v. les art. 52 et 65-3 de la loi du 29 juill. 1881).
(41) Cf. Y. Mayaud, La politique d’incrimination du terrorisme à la lumière de la législation récente, AJ pénal 2013. 446.
(42) D. Liger, Analyse de la jurisprudence en construction, Actes du colloque « Non à la société de surveillance ! Non
aux lois d’exception ! », organisé par le Syndicat des Avocats de France à Bayonne le 12 juin 2015, http://0602.
nccdn.net//000/000/0fc/89a/Actes-colloque-Bayonne-Surveillance-2015-version-web.pdf, p. 49 s.
(43) CNCDH 27 mars 2003, Avis sur l’avant-projet portant adaptation des moyens de la justice aux évolutions de la
criminalité, en ligne sur www.cncdh.fr.

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Le déclin du droit pénal : l’émergence d’une politique criminelle CHRONIQUES
de l’ennemi

doctrine 44 tant sur le plan juridique de la criminalité organisée ne crée la


que sur le plan criminologique, comme possibilité juridique d’une éviction du
le fut et l’est encore celle d’associa- droit commun par une extension des
tion de malfaiteurs, incrimination dont restrictions apportées aux garanties
la définition (C. pén., art. 450-1) est procédurales.
identique à celle de bande organisée
(C. pén., art. 132-71) 45. À cela s’ajoute La CNCDH déplore à longueur d’avis
que le régime de la criminalité et de la la « banalisation d’un droit d’excep-
délinquance organisée est tentaculaire tion ». Elle se doit de rappeler que,
car la liste des infractions qui en relève selon elle, plus l’infraction est grave,
est vaste, fluctuante et peu cohérente plus la protection du présumé inno-
(v. C. pr. pén., art. 706-73, 706-73-1 et cent s’impose, et de réitérer sa ferme
706-74) 46. L’article 25 de la loi préci- opposition au maintien de tels régimes
tée no 2046-731 du 3 juin 2016 a encore dérogatoires 49. Ceux-ci sont en outre
étendu cette liste à plusieurs délits en à l’origine d’un éclatement de la pro-
matière d’armes et de produits explo- cédure pénale : à chaque infraction ou
sifs. Quant à l’article 28 de cette même type d’infraction correspond un régime
loi, il complète l’article 706-73-1 par procédural spécifique découlant de
le délit d’atteinte aux systèmes de l’applicabilité de l’intégralité ou d’une
traitement automatisé de données à partie seulement du régime dérogatoire
caractère personnel mis en œuvre par (terrorisme, criminalité organisée) 50.
l’État et par le délit d’évasion. En défi- C’est la qualification retenue en tout
nitive, les articles 706-73, 706-73-1 et début de procédure qui va déterminer
706-74 ne définissent pas un compor- le régime procédural. Il y a place à cet
tement incriminé, mais désignent un endroit pour un véritable détournement
inventaire d’infractions dont le seul de la procédure de droit commun au 657
point commun est d’être commises bénéfice d’une procédure d’exception
en bande organisée 47. Pour toutes ces dès lors que la qualification retenue in
raisons, nous craignons, à l’instar de fine est autre 51. L’ennemi peut donc ab
la CNCDH 48, que l’extension du champ initio être soupçonné d’être partout.
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(44) V. B. de Lamy, La loi no 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité
(Crime organisé - Efficacité et diversification de la réponse pénale), D. 2004. 1912 ; B. de Lamy, L’avancée de la
conception matérielle de la légalité criminelle, D. 2004. 2756 ; C. Lazerges, Le Conseil constitutionnel acteur de
la politique criminelle. À propos de la décision 2004-492 DC du 2 mars 2004, RSC 2004. 725.
(45) «…tout groupement formé ou toute entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs
faits matériels… », « d’une ou de plusieurs infractions » (C. pén., art. 132-71) ou bien « d’un ou plusieurs crimes
ou d’un ou plusieurs délits punis d’au moins cinq ans d’emprisonnement » (C. pén., art. 450-1). Néanmoins, sur
l’affirmation que les composantes de l’infraction et de la circonstance aggravantes sont distinctes, v. Crim. 8 juill.
2015, n° 14-88.329, D. 2015. 2541, note R. Parizot ; ibid. 2465, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet,
M.-H. Gozzi et S. Mirabail ; AJ pénal 2016. 141, obs. C. Porteron ; Dr. pénal 2015, comm. 120, note P. Conte ;
Gaz. Pal. 2015. 1, p. 29, obs. S. Détraz.
(46) B. de Lamy, La loi no 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité
(Crime organisé - Efficacité et diversification de la réponse pénale), D. 2004. 1912.
(47) C. Lazerges, La dérive de la procédure pénale, RSC 2003. 644.
(48) CNCDH 17 mars 2016, Avis précité sur le projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme
et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale, § 18.
(49) V. déjà CNCDH 10 juin 2010, Avis sur la réforme de la procédure pénale, en ligne sur www.cncdh.fr, § 18 ; CNCDH
6 janv. 2011, Avis sur le projet de loi relatif à la garde à vue, en ligne sur www.cncdh.fr, § 29 ; CNCDH 29 avr.
2014, Avis sur la refondation de l’enquête pénale, JO no 0108 du 10 mai 2014, texte no 84, § 46.
(50) V. C. Lazerges, Dédoublement de la procédure pénale et garantie des droits fondamentaux, Mélanges Bernard
Bouloc, Dalloz 2007, p. 573 s. Sur les incidences de l’extension des procédures dérogatoires, v. C. Lazerges, La
dérive de la procédure pénale, RSC 2003. 644 ; E. Rubi-Cavagna, L’extension des procédures dérogatoires, RSC
2008. 23 ; M. Touillier, L’évolution des procédures spéciales et dérogations, in Les Nouveaux Problèmes Actuels
de Sciences Criminelles, Tome XXIV, PUAM 2013, p. 46 s.
(51) CNCDH 27 mars 2003, Avis sur l’avant-projet de loi portant adaptation des moyens de la justice aux évolutions
de la criminalité, en ligne sur www.cncdh.fr.

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CHRONIQUES Le déclin du droit pénal : l’émergence d’une politique criminelle
de l’ennemi

B - Une procédure pénale déso- ticle 28-3 du statut de la magistrature,


rientée dans le temps exercée par un magistrat du premier
grade nommé par décret du Président
de la République, ayant une compétence
La procédure pénale est traditionnel- de droit commun en matière de contrôle
lement rétrospective, dès lors qu’elle des investigations et de garantie judi-
a pour objet d’établir la vérité d’un fait ciaire des droits et libertés fondamen-
passé. Elle devient lentement prospec- taux à tous les stades de la procédure.
tive étant gouvernée par une logique Les articles 2, 9 et 18 de la récente
prédictive, propre au droit de l’ennemi. loi organique no 2016-1090 du 8 août
2016 relative aux garanties statutaires,
La possibilité prévue à l’article 1er de la aux obligations déontologiques et au
loi précitée no 2016-731 du 3 juin 2016 recrutement des magistrats ainsi qu’au
d’ordonner, dans des locaux d’habita- Conseil supérieur de la magistrature
tion, des perquisitions de nuit dans le répondent aux préconisations de la
cadre d’une enquête préliminaire ou CNCDH. L’avenir dira si le nouveau JLD
d’une instruction « afin de prévenir un disposera de moyens suffisants pour
risque d’atteinte à la vie ou à l’inté- exercer un contrôle effectif.
grité physique » pose question. En effet,
la CNCDH relève le caractère extrê- La procédure pénale est également
mement vague de ces motifs, dont la désorientée dans le temps par les mul-
mise en œuvre reposera vraisembla- tiples brouillages de la frontière entre
blement sur un diagnostic de dange- police administrative et police judi-
rosité et un pronostic de passage à ciaire 54, autrement dit entre prévention
l’acte par définition aléatoires 52. Dans et répression.
658 ces conditions, le périmètre exact des
personnes concernées par la mesure La loi précitée no 2014-1353 du
n’est pas défini avec précision, ce qui 13 novembre 2014 prévoit la possibilité
en pratique est de nature à porter une pour l’autorité administrative d’ordon-
atteinte disproportionnée à l’article 8 ner aux fournisseurs d’accès à internet
de la Convention européenne des droits le blocage de l’accès aux sites incitant
de l’homme garantissant le droit au à commettre des actes terroristes ou
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respect de la vie privée. Précisons que en faisant l’apologie (art. 6-1 de la loi © Dalloz | Téléchargé le 21/08/2023 sur www.cairn.info (IP: 197.155.130.236)
la nécessité d’une autorisation du juge sur la confiance dans l’économie numé-
des libertés et de la détention reste un rique). Un tel mécanisme existait déjà en
rempart insuffisant. En effet, il convient, matière de pédopornographie depuis la
comme l’a recommandé la CNCDH, de loi no 2011-267 du 14 mars 2011 d’orien-
renforcer le statut de l’actuel « juge des tation et de programmation pour la per-
libertés et de la détention » de manière formance de la sécurité intérieure 55, le
à instituer un authentique « juge des Conseil constitutionnel n’ayant constaté
libertés » 53, à savoir : une fonction juri- à cet endroit aucune violation de l’ar-
dictionnelle spécialisée au sens de l’ar- ticle 11 de la Déclaration de 1789 relatif à

(52) CNCDH 17 mars 2016, Avis précité sur le projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme
et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale, § 19.
(53) V. déjà CNCDH 29 avr. 2014, Avis précité sur la refondation de l’enquête pénale, § 13 ; CNCDH 17 mars 2016,
Avis précité sur le projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement,
et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale, § 10.
(54) V. M.-A. Granger, Constitution et sécurité intérieure. Essai de modélisation juridique, LGDJ 2011, p. 203 s.
(55) V. l’art. 4 de la loi 14 mars 2011 modifiant l’art. 6 de la loi no 2004-575 du 21 juin 2004 relative à la confiance
dans l’économie numérique : « Lorsque les nécessités de la lutte contre la diffusion des images ou des représen-
tations de mineurs relevant de l’article 227-23 du code pénal le justifient, l’autorité administrative notifie aux
personnes mentionnées au 1 du présent I les adresses électroniques des services de communication au public en
ligne contrevenant aux dispositions de cet article, auxquelles ces personnes doivent empêcher l’accès sans délai ».

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Le déclin du droit pénal : l’émergence d’une politique criminelle CHRONIQUES
de l’ennemi

la liberté de communication 56. Toutefois, tion de liberté devant impérativement


le blocage administratif de l’accès aux répondre aux exigences de l’article 5 de
sites internet incitant à commettre des la Convention européenne des droits de
actes terroristes ou en faisant l’apologie l’homme 59. À cet égard, les nouvelles
est de nature à brouiller la distinction dispositions prévoient que la retenue est
classique entre police administrative et destinée à une vérification approfondie
police judiciaire. Le nouveau texte habi- de la situation de l’intéressé par un offi-
lite l’autorité administrative à décider du cier de police judiciaire « permettant de
blocage, alors même qu’une ou plusieurs consulter les traitements automatisés
infractions ont déjà été commises 57. Il de données à caractère personnel rele-
ne peut donc être considéré qu’il s’agit vant de l’article 26 de la loi no 78-17 du
d’une mesure de police purement admi- 6 janvier 1978 relative à l’informatique,
nistrative destinée à prévenir la provoca- aux fichiers et aux libertés, selon les
tion à des actes de terrorisme ou l’apolo- règles propres à chacun de ces traite-
gie de ceux-ci. Les nouvelles dispositions ments, et, le cas échéant, d’interroger
relèvent indéniablement du domaine de les services à l’origine du signalement
la police judiciaire dont la direction et le de l’intéressé ainsi que des organismes
contrôle sont dévolus à l’autorité judi- de coopération internationale en matière
ciaire, seule compétente pour la pour- de police judiciaire ou des services de
suite et la répression des infractions. police étrangers ». L’Étude d’impact
Il est en conséquence porté atteinte au précise utilement à ce sujet que ces
principe de la séparation des pouvoirs vérifications ont pour finalité le recueil
(article 16 de la Déclaration de 1789) 58. de renseignements 60. En conséquence,
l’on ne peut que s’interroger sur la com-
Autre exemple, l’article 78-3-1 du code patibilité des nouvelles dispositions avec
de procédure pénale issu de la loi pré- l’article 5 de la Convention européenne 659
citée no 2016-731 du 3 juin 2016 permet des droits de l’homme qui ne permet
aux forces de l’ordre, à l’occasion d’un pas de priver un individu de liberté aux
contrôle ou d’une vérification d’iden- seules fin de recueillir des renseigne-
tité, de retenir une personne pendant ments 61, étant précisé que l’interdiction
quatre heures « lorsqu’il existe des de l’audition de l’intéressé n’est pas de
raisons sérieuses de penser que son nature à atténuer ce risque de violation
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comportement peut être lié à des acti- de la Convention. De plus et surtout, les © Dalloz | Téléchargé le 21/08/2023 sur www.cairn.info (IP: 197.155.130.236)
vités à caractère terroriste ». Ces nou- motifs de la retenue de quatre heures,
velles dispositions consacrent, du fait pourtant considérée par les auteurs du
de l’exercice de la coercition et indé- projet de loi comme une mesure de
pendamment de sa brièveté, une priva- police administrative 62, se distinguent

(56) Cons. const. 10 mars 2011, no 2011-625 DC, consid. no 8 : « Considérant, en second lieu, que les dispositions
contestées ne confèrent à l’autorité administrative que le pouvoir de restreindre, pour la protection des utili-
sateurs d’internet, l’accès à des services de communication au public en ligne lorsque et dans la mesure où ils
diffusent des images de pornographie infantile ; que la décision de l’autorité administrative est susceptible d’être
contestée à tout moment et par toute personne intéressée devant la juridiction compétente, le cas échéant en
référé ; que, dans ces conditions, ces dispositions assurent une conciliation qui n’est pas disproportionnée entre
l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et la liberté de communication garantie
par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ».
(57) En effet, le nouvel art. 6 I. 7 de la loi no 2004-575 du 21 juin 2004 fonde le blocage administratif sur des « actes
relevant de l’article 421-2-5 du code pénal ».
(58) Dans ce sens CNCDH 25 sept. 2014, Avis précité sur le projet de loi renforçant les dispositions relatives à la lutte
contre le terrorisme, § 19.
(59) V. not. CEDH 24 juin 2008, req. no 28940/95, Foka c/ Turquie, § 78.
(60) Étude d’impact, p. 63 : « Au fond, la finalité de cette vérification de situation est l’obtention du renseignement,
notamment sur la localisation de la personne. Ce renseignement est précieux pour le suivi d’un certain nombre
de réseaux pour lesquels les éléments recueillis demeurent insuffisants pour la judiciarisation ».
(61) CEDH, 30 août 1990, n° 12244/86, 12245/86 et 12383/86, §§ 29-36, Fox, Campbell & Hartley c/ Royaume-Uni, RFDA
1991. 843, chron. V. Berger, H. Labayle et F. Sudre.
(62) Étude d’impact, p. 61, qui évoque une mesure privative de liberté organisée à des fins de police administrative.

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CHRONIQUES Le déclin du droit pénal : l’émergence d’une politique criminelle
de l’ennemi

mal de ceux prévus pour la garde à çonnées au minimum, voire susceptibles


vue (C. pr. pén., art. 62-2 et 77 : « une d’être mises en examen du chef d’en-
personne à l’encontre de laquelle existe treprise individuelle terroriste (C. pén.,
une ou plusieurs raisons plausibles de art. 421-2-6) ou d’association de mal-
soupçonner qu’elle a commis ou tenté faiteurs en relation avec une entreprise
de commettre un délit puni d’une peine terroriste (C. pén., art. 421-2-1). Dans
d’emprisonnement »), dont le régime ces conditions, les mesures de police
juridique est plus protecteur. Il y a là administrative de l’article L. 225-1 sont
une nouvelle confusion entre police vouées à être mises en œuvre à des
administrative et police judiciaire, sus- fins répressives et relèvent ainsi de la
ceptible de caractériser une violation de police judiciaire. En application de l’ar-
l’article 16 de la Déclaration de 1789 63. ticle 16 de la Déclaration de 1789, il
Les nouvelles dispositions ne sauraient est interdit de faire basculer dans le
être destinées à évincer les droits du champ de la police administrative des
gardé à vue (C. pr. pén., art. 63-1 s.) 64. mesures normalement répressives et
Aussi, la nécessité, l’adéquation et la qui, à ce titre, devraient être assorties
proportionnalité de la retenue de quatre de toutes les garanties entourant la pro-
heures sont-elles difficilement percep- cédure pénale 65. Aussi, les personnes
tibles. La loi n’ayant pas donné lieu à concernées devraient-elles exclusive-
saisine du Conseil constitutionnel, il est ment relever des dispositions du code de
souhaitable qu’une question prioritaire procédure pénale et faire l’objet, le cas
de constitutionnalité vienne trancher échéant, d’un contrôle judiciaire, décidé,
cette question. selon les cas, par un juge d’instruction
ou par un juge des libertés et de la
Quant à l’article L. 225-1 du code de la détention (C. pr. pén., art. 138) 66.
660 sécurité intérieure issu de la loi préci-
tée no 2016-731 du 3 juin 2016, il dis- À ce dernier propos, il convient de sou-
pose : « Toute personne qui a quitté ligner que ces mesures administratives,
le territoire national et dont il existe qui évoquent fortement certaines obli-
des raisons sérieuses de penser que gations du contrôle judiciaire (cf. art.
ce déplacement a pour but de rejoindre L. 225-2 et L. 225-3 du code de la sécu-
un théâtre d’opérations de groupe- rité intérieure), ne font l’objet que d’un
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ments terroristes dans des conditions contrôle juridictionnel a posteriori (art. © Dalloz | Téléchargé le 21/08/2023 sur www.cairn.info (IP: 197.155.130.236)
susceptibles de la conduire à porter L. 225-4 al. 3 et 4 du code de la sécu-
atteinte à la sécurité publique lors de rité intérieure) et voient au surplus leur
son retour sur le territoire français peut violation sanctionnée pénalement de 3
faire l’objet d’un contrôle administratif ans d’emprisonnement et 45 000 euros
dès son retour sur le territoire natio- d’amende (art. L. 225-7 du code de la
nal ». Cette formulation est de nature à sécurité intérieure).
mettre de la confusion dans la distinc-
tion entre police administrative et police En conclusion, le consensus dont font
judiciaire, dès lors que les personnes l’objet les enjeux sécuritaires et la lutte
concernées sont inévitablement soup- contre le terrorisme 67 nuit à un débat

(63) Dans ce sens CNCDH 17 mars 2016, Avis précité sur le projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé,
le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale, § 14.
(64) Dans ce sens Défenseur des droits 12 févr. 2016, Avis no 16-04, p. 10 ; CNCDH 17 mars 2016, Avis précité sur le
projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’effi-
cacité et les garanties de la procédure pénale, § 14.
(65) Sur le développement des mesures préventives liberticides et l’apparition d’une « prévention punitive »,
v. B. E. Harcourt, Preventing Injustice, Mélanges en l’honneur de Christine Lazerges, Dalloz 2014, p. 633 s.
(66) CNCDH 17 mars 2016, Avis précité sur le projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme
et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale, §§ 27-28.
(67) V. P. Berthelet, Crimes et châtiments dans l’État de sécurité. Traité de criminologie politique, EPU 2015. 652 s.

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public de qualité : tout se passe comme Nation –, n’importe quelle mesure 69. La
si la simple invocation d’une plus grande plus grande victoire des « ennemis des
efficacité pouvait justifier l’adoption, droits de l’homme » 70 serait de mettre
sans aucune discussion, des mesures en péril l’État de droit 71 par l’émergence
les plus attentatoires aux libertés 68 et la consolidation d’un état prétendu de
dans une confusion lourde de consé- sécurité qui se légitimerait par l’adoption
quences entre droit à la sûreté et droit de mesures de plus en plus sévères et
à la sécurité. Dans le contexte actuel de plus en plus attentatoires aux droits
marqué par des années de dérive sécu- et libertés fondamentaux 72, marquant le
ritaire, nous nous devons de réaffirmer déclin du droit pénal. Combien il est dif-
avec force que les États ne sauraient ficile de « raisonner la raison d’État » 73
prendre, au nom d’intérêts considérés à lorsque le courage politique laisse place
juste titre comme primordiaux – comme à la démagogie et que l’équilibre entre
la lutte contre le terrorisme ou la sau- droit à la sûreté et droit à la sécurité est
vegarde des intérêts fondamentaux de la rompu 74.

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(68) CNCDH 20 déc. 2012, Avis sur la loi relative à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme, en ligne sur www.
cncdh.fr.
(69) CNCDH 25 sept. 2014, Avis précité sur le projet de loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le
terrorisme, § 5.
(70) V. D. Hoeges, Die Menschenrechte und ihre Feinde. Deutsche Profile zwischen Kaiserreich und Bundesrepublik,
Machiaveli Édition 2013.
(71) Dans ce sens v. C. Lazerges, Dédoublement de la procédure pénale et garantie des droits fondamentaux,
Mélanges en l’honneur de Bernard Bouloc, Dalloz 2007, p. 573 s.
(72) V. P. Berthelet, op. cit., p. 652 s.
(73) V. M. Delmas-Marty, Raisonner la raison d’État. Vers une Europe des droits de l’homme, PUF 1989.
(74) C. Lazerges, Les enjeux politiques de la fondamentalisation du droit à la sécurité, in Actes du colloque : Le Code
de la sécurité intérieure (22 janv. 2016), à paraître, Les sens du droit, Dalloz 2017 ; V. Sizaire, Sortir de l’imposture
sécuritaire, La dispute 2016.

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