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LE PROGRAMME POUR UNE POLITIQUE PÉNALE DE L'UNION ENTRE

MYTHE ET RÉALITÉ

Stefano Manacorda

Dalloz | « Revue de science criminelle et de droit pénal comparé »

2011/4 N° 4 | pages 908 à 924


ISSN 0035-1733
DOI 10.3917/rsc.1104.0908
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-de-science-criminelle-et-de-droit-penal-
compare-2011-4-page-908.htm
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CHRONIQUES
CHRONIQUE INTERNATIONALE
Droit de l’Union européenne
Le programme pour une politique pénale
de l’union entre mythe et réalité

Stefano MANACORDA
Professeur à la Seconda Università di Napoli
Professeur associé à l’École de droit de la Sorbonne (Université Paris 1)

◆ INTRODUCTION : BILAN ET PERSPECTIVES DU DROIT PÉNAL


EUROPÉEN À L’AUNE D’UNE ANNÉE CHARNIÈRE

On aurait pu raisonnablement s’attendre à ce que 2011 représente une année-clé pour le


renforcement des interventions de l’Union européenne en matière pénale. Les expectatives
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reposaient, d’une part, sur la fin de la première phase de « rodage » du traité de Lisbonne,
à l’heure de son second anniversaire et qui signe une consolidation remarquable des bases
juridiques sur lesquelles repose la coopération en matière pénale  1 et, d’autre part, sur la
mise en œuvre définitive de la Charte des droits fondamentaux, débarrassée du statut incer-
tain de document essentiellement politique pour être désormais revêtue d’une force juri-
dique égale à celle des traités  2. Ces deux facteurs étaient à eux seuls susceptibles de modi-
fier en profondeur le paysage de la coopération pénale sur le plan de l’intervention tant
législative que judiciaire.

Pourtant, les douze derniers mois se sont écoulés sans nouveautés majeures, à tout le moins
apparentes, dans le domaine pénal.

Le chantier législatif a été marqué par un certain ralentissement du rythme de production.


Quelques propositions ont été abandonnées en cours de route – notamment, comme on le
verra, en relation avec la confiance mutuelle, dont la mise en œuvre s’est avérée plus com-
plexe que prévu. D’autres se sont multipliées, sans donner lieu néanmoins à une approba-
tion définitive  : cela notamment dans les domaines du rapprochement du droit pénal de
fond et de procédure, où l’empilement des projets s’est soldé par la difficulté de dépasser
le simple accord politique au niveau du Conseil, à une exception près, concernant la direc-
tive sur la traite des êtres humains, sur laquelle on reviendra.

(1) G. Giudicelli-Delage, Les eaux troubles du droit pénal de l’Union européenne, Archives de philosophie du
droit, 2010, p. 130 s. ; C. Sotis, Criminaliser sans punir. Réflexions sur le pouvoir d’incrimination (directe
et indirecte) de l’Union européenne prévu par le Traité de Lisbonne, dans cette Revue 2010. 773 ; J. Vogel,
Die Strafgesetzgebungskompetenzen der Europäischen Union nach Art. 83, 86 und 32 AEUV, in K. Ambos
(dir.), Europäisches Strafrecht post-Lissabon, Universitätsverlag Göttingen, 2011, p. 40 s.
(2) V. le notre La Carta dei diritti fondamentali e la CEDU: una nuova topografia delle garanzie penalistiche in
Europa?, in V. Manes et V. Zagrebelsky (dir.), La Convenzione europea dei diritti dell’uomo nell’ordinamento penale
italiano, Giappichelli, 2011, p. 147 s.

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De manière inattendue, c’est aussi l’activité de la Cour de justice de l’Union qui n’a pas ren-
contré les attentes de ceux qui espéraient voir monter le contentieux touchant à la coopé-
ration pénale, et par là se multiplier les prises de position des juges européens sur les ques-
tions extrêmement sensibles qui traversent l’Espace de liberté, de sécurité et de justice. Le

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judicial activism, signalé depuis quelques années, s’est estompé, et cela, non pas en raison
d’une fermeture de la part des juges de Luxembourg – l’irrecevabilité ne jouant pas un rôle
majeur devant la Cour de justice de l’Union, à la différence de la Cour européenne des
droits de l’homme – mais à la suite d’une réduction des questions préjudicielles, facteur
auquel ne doit pas être étrangère une certaine méconnaissance des mécanismes du renvoi
par les juridictions pénales, laquelle est accentuée par une difficulté de nature technique
intrinsèque au droit pénal communautaire.

Plus que de tirer un bilan, l’heure est venue de décrypter les lignes de tendance et les pers-
pectives de développement qui s’esquissent au terme de cette année charnière. Tout récem-
ment, en effet, l’Union européenne a pris soin d’afficher son programme de travail pour
les années à venir quant au recours à l’instrument pénal. La lecture de la Communication
de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social
européen et au Comité des Régions, du 20 septembre 2011  3, intitulée « Vers une politique
de l’UE en matière pénale : assurer une mise en oeuvre efficace des politiques de l’UE au
moyen du droit pénal  » dévoile les démarches que l’exécutif européen envisage d’entre-
prendre à l’avenir. Pétri de « bonnes intentions » mais également de propos naïfs – et par-
fois carrément critiquables –, le document émanant de la Commission importe surtout par
ce qu’il révèle de logiques qui inspirent la construction de l’Europe pénale de demain.
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Une telle prise de position se montre d’autant plus intéressante que depuis le 1er décembre
2009 la Commission a regagné sa place principale dans l’initiative législative. Si l’on souligne
fréquemment – et à juste titre, compte tenu des avancées que cela entraîne – que la Cour
de justice est destinée progressivement à voir son rôle renforcé dans le cadre de la coopé-
ration judiciaire en matière pénale (ce qui, cependant, pour le moment ne semble avoir
donné lieu qu’à des résultats ponctuels et discontinus), et que les instances parlementaires,
à la fois européennes et nationales, sont désormais plus étroitement associées à la prise de
décision, on a tendance à oublier, en revanche, que la Commission a également repris – par
la généralisation de la procédure législative ordinaire – son rôle en ce qui concerne la pré-
sentation des propositions législatives (art. 294, al. 2 TFUE). Alors que, sous l’empire du
traité d’Amsterdam, elle devait partager ce pouvoir avec chaque État membre (art. 34, al. 2
TUE ancienne version), désormais seul un quart des États membres réunis peut exercer l’ini-
tiative législative (art. 76 TFUE).

La lecture de la Communication permet ainsi de saisir les orientations de fond que la Com-
mission entend imprimer à la politique pénale de l’Union. Séparant apparemment deux ins-
tances différentes de légitimation de l’intervention sur le droit et la procédure pénale, le
document les combine en réalité de manière efficace. D’une part, c’est la dimension fonc-
tionnaliste et dissuasive d’un droit répressif tourné vers la protection « forte » de certaines
valeurs, qui est mise en avant. D’autre part, c’est la dimension apparemment idéale et sym-
bolique d’un droit répondant aux besoins des citoyens européens, en quête de conditions
garantissant bien-être et développement, qui s’impose. Si ces deux perspectives se soudent
au sein d’un projet politique aux caractères ambigus, et non dénué de contenus réaction-
naires, sur elles se greffe ensuite – comme un remède qui devrait magiquement résoudre
les apories et apaiser les inquiétudes – la revendication d’une troisième dimension, celle

(3) COM(2011) 573 final, 20.9.2011.

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tenant à la protection des droits de l’homme. Le vent qui souffle de Bruxelles emprunte
pour l’essentiel ces trois directions  : dimension expressive, efficacité et garanties fonda-
mentales, trois courants dont il n’est pas facile d’assurer la coordination ni saisir pleinement
la cohérence.
CHRONIQUES

◆ I - LA FONCTION EXPRESSIVE ET SYMBOLIQUE : OBJECTIF


AFFICHÉ

Selon une idée largement exploitée par l’Union, et déjà soulignée en doctrine, l’objectif
principal poursuivi par Bruxelles consiste à « socialiser l’Europe par le droit pénal »  4. Le
renforcement de la cohésion économique, politique et sociale passe – pour ainsi dire – par
un message adressé aux États membres et aux individus : l’Union attache une importance
particulière à certains intérêts communs, considérés comme fondamentaux pour les citoyens
européens et dont l’atteinte suscite une alerte sociale importante ; les comportements cri-
minels qui menacent de tels intérêts exigent une réponse pénale uniforme d’un État
membre à l’autre, afin d’éviter les zones d’impunité ; seule l’intervention européenne, sub-
sidiaire, mais justifiée dans les cas d’espèce, pouvant atteindre un tel résultat, l’Union montre
par ce biais – bien plus que son utilité – sa nécessité ; et cela malgré le fait que les disposi-
tions qu’elle adopte sont dépourvues d’effet direct et ne peuvent donc pas représenter, à
elles seules, le fondement de poursuites pénales.
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Si une telle philosophie de l’intervention pénale est aisément compréhensible, une certaine
vertu pédagogique du droit pénal étant indéniable, elle n’est pas pour autant exempte de
risques dès lors que cet effet (expressif) de la norme d’incrimination devient le but (sym-
bolique) poursuivi par son adoption. Tant la Communication de la Commission que certains
des actes législatifs récents visant la protection de personnes particulièrement vulnérables
risquent de susciter l’impression d’un tel glissement.

J A - Sauvegarde de valeurs et consensus social dans la Communication de la


Commission
Dès son ouverture, la Communication de la Commission nous informe qu’« une politique
pénale de l’UE devrait avoir pour objectif général de renforcer la confiance des citoyens
dans le fait qu’ils vivent dans une Europe de liberté, de sécurité et de justice, que le droit
de l’UE protégeant leurs intérêts est pleinement appliqué et respecté ».

La recherche d’une telle fonction de construction et de renforcement de la confiance des


citoyens par le recours au droit pénal n’a, en soi, rien d’étonnant. Traditionnellement, les
normes d’incrimination sélectionnent les intérêts dignes de protection et en assurent la sau-
vegarde de manière ciblée, en punissant les atteintes qui dépassent un certain seuil de gra-
vité : le message qui émane du pouvoir politique à destination des citoyens est donc chargé
d’une fonction expressive. Il est pour autant escompté que, dans son appel au droit pénal
des États membres, l’Union s’attaque à la protection des intérêts que les mécanismes d’inté-

(4) C. Sotis, Mauvaises pensées et autres, à propos des perspectives de création d’un droit pénal communau-
taire, in G. Giudicelli-Delage et S. Manacorda (dir.), L’interaction pénale indirecte, Interactions entre droit
pénal et coopération judiciaire au sein de l’Union européenne, Société de législation comparée, 2005, p.
243 s.

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gration semblent exposer à des risques particuliers et qu’elle adresse par ce biais un mes-
sage tendant à rassurer ses citoyens.

De même, la peine exerce – par l’effet de sa simple prévision dans la norme d’incrimina-

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tion – une finalité de prévention générale vis-à-vis de la totalité des individus, à la fois dans
sa composante négative de dissuasion collective, et dans sa dimension positive de message
pédagogique par lequel le législateur affiche le rang de l’intérêt protégé  5. C’est donc
conformément à cette aspiration traditionnelle que la politique pénale de l’Union vise à ren-
forcer la confiance des citoyens et de les rassurer.

On est toutefois conscient que de tels objectifs se prêtent également à un usage instru-
mental : largement mise en exergue par la doctrine depuis plusieurs décennies au niveau
interne  6, et dénoncée plus récemment de manière critique par rapport au droit interna-
tional  7, la surestimation de la dimension expressive risque de porter vers un usage essen-
tiellement symbolique de la peine, dans lequel seul compte le message à destination des
citoyens/électeurs, tandis que la norme est souvent dénuée d’efficacité et apparaît suscep-
tible d’entrer en conflit avec les principes régissant l’intervention pénale (ultima ratio 8, pro-
portionnalité, nécessité  9).

Le risque apparaît clairement dès lors que l’on prétend faire du droit pénal un instrument
s’appuyant sur le consensus social, et que l’on conçoit ainsi la demande des citoyens non
comme un effet susceptible de découler de la réponse punitive, mais comme le fondement
même de l’intervention pénale. C’est précisément une telle inversion logique qui ressort des
actes de la Commission : la préoccupation des instances européennes est de répondre à des
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demandes de sécurité exprimées, pour s’en tenir aux statistiques citées par la Communica-
tion, par la plupart des citoyens : « Lorsqu’on leur demande de citer les domaines dans les-
quels les institutions européennes devraient concentrer leur action dans les années à venir
pour renforcer l’Union européenne, les citoyens classent la lutte contre la criminalité parmi
les quatre domaines prioritaires ». La Communication s’empresse de mentionner, au sou-
tien de tels sondages, les priorités apparues dans l’Eurobaromètre 75, de printemps 2011 :
« Les quatre domaines dans lesquels l’UE devrait concentrer son action sont : la politique
économique et monétaire, l’immigration, la santé et la lutte contre la criminalité », ce qui
amène en réalité à faire de la sécurité un objectif prioritaire à plusieurs titres, compte tenu
de la dimension fortement répressive de la politique de l’Union en matière d’immigration.

La revendication si explicite et « décomplexée » par les pouvoirs publics européens, du fon-


dement consensuel des instruments de contrôle social, sans s’inquiéter des dérives populistes
ou démagogiques qui sous-tendent une telle démarche, apparaît critiquable. L’idée que le
droit pénal intervienne lorsque les sondages l’indiquent et que sa fonction essentielle
consiste à rassurer les citoyens par rapport au sentiment d’incertitude croissant est suscep-
tible d’entraîner une sur-pénalisation aux effets liberticides. En outre, le renforcement des
instruments punitifs, à des fins de réconfort moral, est loin d’être un remède efficace pour

(5) M. Van De Kerchove, Sens et non-sens de la peine : entre mythe et mystification, Facultés universitaires Saint-
Louis, 2009.
(6) A. Baratta, Les fonctions instrumentales et les fonctions symboliques du droit pénal Déviance et société, 1991,
p. 1 s. ; D. Salas, La volonté de punir : essai sur le populisme pénal, Hachette littératures, 2007.
(7) E. Fronza et J. Tricot, Fonction symbolique et droit pénal international: une analyse du discours des tribu-
naux pénaux internationaux , in E. Fronza et S. Manacorda (dir.), La justice pénale internationale dans les
décisions des tribunaux ad hoc, Dalloz-Giuffré, 2003, p. 299 s.
(8) M. Van De Kerchove, Le principe de subsidiarité, in G. Giudicelli-Delage et C. Lazerges, Le droit pénal au len-
demain du traité de Lisbonne, Société de législation comparée, 2012, sous presse.
(9) C. Sotis, Les principes de nécessité et de proportionnalité, in G. Giudicelli-Delage et C. Lazerges, Le droit
pénal au lendemain du traité de Lisbonne, Société de législation comparée, 2012, sous presse.

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contrecarrer l’augmentation – vraie ou souvent prétendue – de la criminalité. Plus en pro-


fondeur, les peurs collectives – découlant de facteurs de crise économique et sociale (perte
du pouvoir d’achat des classes moyennes, fragilisation des droits sociaux, croissance des
grands risques, etc.) – ne sont pas efficacement contrecarrées par les choix de pénalisation
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désignant des boucs émissaires qui ressemblent étrangement à ceux qui hantent le droit
pénal depuis plusieurs siècles  10.

Dans ce cadre, chargé de dimensions expressives et symboliques, s’inscrit une série d’initia-
tives normatives récentes, et notamment l’impulsion toujours plus forte donnée aux poli-
tiques répressives concernant certaines catégories d’individus dangereux ou déviants  11.

L’on pense premièrement aux politiques en matière d’immigration : si dans ce cadre aucune
initiative nouvelle n’a été adoptée récemment, des risques de dérives autoritaires découlant
de la réglementation interne sont apparus. C’est la Cour de justice qui, à deux reprises, est
intervenue pour mettre un frein aux politiques des États membres portant sur l’immigra-
tion irrégulière. Comme on le sait, dans la célèbre affaire Melki de 2010, elle avait déjà
déclaré non conforme au droit de l’Union la législation française conférant aux autorités
de police de l’État membre concerné la compétence de contrôler l’identité de toute per-
sonne, indépendamment du comportement de celle-ci et de circonstances particulières éta-
blissant un risque d’atteinte à l’ordre public, en vue de vérifier le respect des obligations de
détention, de port et de présentation des titres et des documents prévues par la loi, sans
prévoir l’encadrement nécessaire 12. Plus récemment dans l’affaire El Dridi de 2011, concer-
nant l’Italie, la Cour a considéré que la directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008, rela-
tive aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des
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ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (directive «  retour  »), s’oppose à la régle-
mentation nationale prévoyant l’infliction d’une peine d’emprisonnement à un ressortissant
d’un pays tiers en séjour irrégulier pour le seul motif que celui-ci demeure, en violation d’un
ordre de quitter le territoire de cet État dans un délai déterminé, sur ledit territoire sans
motif justifié  13.

Dans d’autres domaines, la dimension expressive du droit pénal apparaît davantage justifiée,
s’agissant de formes de criminalité qui constituent des atteintes insupportables à la dignité
humaine, et demandant donc effectivement le recours à des sanctions extrêmement sévères.

J B - La protection des personnes particulièrement vulnérables: la Directive


sur la traite et la Proposition de directive sur les abus sexuels sur les
mineurs
Depuis plusieurs années, l’Union européenne a pris soin d’accorder une place d’envergure
au droit pénal pour renforcer la protection de personnes particulièrement vulnérables. Un
tel objectif ne s’inscrit pas spontanément parmi les priorités de l’intégration européenne,
ne touchant pas à la dimension économique qui en est le fondement. Son élaboration est
plutôt le résultat d’un ensemble de prises de décisions politiques qui combinent différents

(10) D. Garland, The Culture of Control : Crime and Social Order in Contemporary Society, Oxford University Press, 2001.
(11) G. Giudicelli-Delage et C. Lazerges (dir.), La dangerosité saisie par le droit pénal, PUF, 2011.
(12) V. not. les chroniques de L. Idot, Droit de l’Union européenne Jurisprudence de la Cour de Justice. Procédures
quasi-répressives, dans cette Revue 2011. 466 s. et B. Aubert, L’affaire Melki et Abdeli, cette Revue 2011. 466.
(13) CJUE, 28 avr. 2011, n° C-61/11, El Dridi, AJDA 2011. 878 ; ibid. 1614, chron. M. Aubert, E. Broussy et F. Don-
nat ; D. 2011. 1880, note G. Poissonnier ; ibid. 1400, entretien S. Slama ; AJ pénal 2011. 362, note S. Slama
et M.-L. Basilien-Gainche. V. L. D’Ambrosio, La politique criminelle en matière d’immigration irrégulière à
l’épreuve du droit de l’Union européenne. Quelques réflexions sur l’après El Dridi au regard de l’expé-
rience italienne et française, AJ pénal 2011. 502.

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éléments  : la valeur universelle, et donc supranationale, de la protection des personnes
vulnérables, toute atteinte grave à leurs égards appelant une sanction  ; la dimension fré-
quemment transnationale des atteintes contre de tels individus, justifiant l’intervention de
l’Union aux termes du principe de subsidiarité.Dans ce cadre, deux axes principaux d’in-

CHRONIQUES
tervention ont été donc dégagés : celui de la traite, par sa nature transfrontalière, et celui
de la pédopornographie, notamment dès lors qu’elle se réalise par le biais d’internet, dépas-
sant ainsi les frontières étatiques. Dans les deux domaines susmentionnés, l’Union a adopté
dans le temps plusieurs actes de droit dérivé (notamment actions communes et décisions-
cadre) mais une certaine volonté d’extension et de durcissement du cadre juridique pénal
est apparue au courant de la dernière année. Les textes récents visant ces deux domaines
sont, respectivement, la Directive du 5 avril 2011 concernant la prévention de la traite des
êtres humains et la lutte contre ce phénomène, seul texte normatif adopté en forme défi-
nitive au cours des douze derniers mois dans le secteur du droit pénal, et la Proposition de
directive relative à la lutte contre les abus sexuels et l’exploitation sexuelle des enfants, ainsi
que la pédopornographie, approuvée en première lecture par le Parlement européen le 27
octobre 2011.

Avant d’analyser les éléments principaux des deux textes, il conviendra d’observer qu’ils sont
fortement empreints d’une dimension expressive, l’Union souhaitant marquer – à juste titre
– le rejet inconditionné de toute forme de déni de la dignité personnelle et de violence
contre l’individu, et mobilisant le droit pénal à cet effet, notamment en réaction à des
affaires extrêmement retentissantes qui avaient profondément bouleversé l’opinion (telle
que l’affaire Dutroux en Belgique). Tant la traite que la pornographie enfantine et les autres
formes de violence sont, sans aucun doute, des comportements à réprimer très sévèrement
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par le droit pénal et l’Union est en première ligne d’un tel mouvement de stigmatisation.

Bien heureusement, certains excès de la pénalisation – toujours présents dès lors que le droit
est appelé à répondre à des thèmes si délicats et riches d’implications morales – ont pu être
évités. Ainsi, il fut empêché, au cours des travaux préparatoires, que la juste demande de
répression débouche sur une réponse purement symbolique de l’interdit, en visant seule-
ment à satisfaire une demande de pénalisation et à rassurer l’opinion, même au coût de
quelques excès de répression. On constatera d’ailleurs qu’une certaine surestimation de la
portée de la norme pénale est toujours présente dans les directives, en raison du fait qu’elles
n’introduisent pas des normes pénales directement applicables, mais exigent plutôt des auto-
rités nationales de le faire, ce qui suppose un certain degré «  d’ineffectivité escomptée  ».
Témoin d’ailleurs d’un relatif insuccès des politiques de l’Union : la traite comme la por-
nographie enfantine ont fait l’objet, au cours des dernières années, d’une pluralité de textes
normatifs rapidement remplacés.

La Directive 2011/36/UE sur la traite  14 « établit des règles minimales relatives à la défi-
nition des infractions pénales et des sanctions dans le domaine de la traite des êtres
humains. Elle introduit également des dispositions communes, en tenant compte des ques-
tions d’égalité entre hommes et femmes, afin de renforcer la prévention de cette infrac-
tion et la protection des victimes  » (art. 1er) et ainsi remplace la décision-cadre
2002/629/JAI relative à la lutte contre la traite des êtres humains. Les infractions liées à
la traite des êtres humains sont listés à l’article 2 et incluent : « le recrutement, le trans-
port, le transfert, l’hébergement ou l’accueil de personnes, y compris l’échange ou le
transfert du contrôle exercé sur ces personnes, par la menace de recours ou le recours à
la force ou d’autres formes de contrainte, par enlèvement, fraude, tromperie, abus d’au-

(14) JOUE n° L. 101 du 15 avr. 2011 p. 0001 s.

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torité ou d’une situation de vulnérabilité, ou par l’offre ou l’acceptation de paiements ou


d’avantages pour obtenir le consentement d’une personne ayant autorité sur une autre,
à des fins d’exploitation. Ce dernier concept comprend, au minimum, l’exploitation de
la prostitution d’autrui ou d’autres formes d’exploitation sexuelle, le travail ou les services
CHRONIQUES

forcés, y compris la mendicité, l’esclavage ou les pratiques analogues à l’esclavage, la ser-


vitude, l’exploitation d’activités criminelles, ou le prélèvement d’organes. [...] Lorsque les
actes visés au paragraphe 1 concernent un enfant, ils relèvent de la traite des êtres
humains et, à ce titre, sont punissables, même si aucun des moyens visés au paragraphe 1
n’a été utilisé ».

Quant à l’extension de la répression, aux termes des considérants (point 11), la directive
« adopte une conception de la traite qui est plus large que celle adoptée dans la décision-
cadre 2002/629/JAI et englobe donc d’autres formes d’exploitation. Dans le contexte de la
présente directive, par “mendicité forcée”, il y a lieu d’entendre toute forme de travail ou
de service forcés tels que définis dans la convention n°  29 de l’OIT concernant le travail
forcé ou obligatoire de 1930. En conséquence, l’exploitation de la mendicité, y compris l’uti-
lisation d’une personne à charge victime de la traite pour mendier, relève de la définition
de la traite des êtres humains uniquement lorsque sont réunis tous les critères du travail ou
des services forcés. [...] L’expression “exploitation d’activités criminelles” devrait s’entendre
comme l’exploitation d’une personne en vue de commettre, entre autres, du vol à la tire,
du vol à l’étalage, du trafic de drogue et d’autres activités analogues passibles de sanctions
pénales et qui ont un but lucratif. Cette définition englobe également la traite des êtres
humains à des fins de prélèvement d’organes, qui constitue une violation grave de la dignité
humaine et de l’intégrité physique, ainsi que d’autres comportements tels que l’adoption
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illégale ou les mariages forcés, dans la mesure où les éléments constitutifs de la traite des
êtres humains sont réunis ».

Quant au durcissement de la répression (pt 12 des consid.) « les niveaux de sanctions pré-
vus dans la [présente] directive reflètent la préoccupation croissante que suscite parmi les
États membres l’aggravation du phénomène de la traite des êtres humains. C’est pourquoi
la [présente] directive utilise comme base les niveaux 3 et 4 des conclusions du Conseil des
24 et 25 avril 2002 sur l’approche à suivre en vue d’une harmonisation des peines  », res-
pectivement passible d’une peine maximale d’au moins cinq ans et d’au moins dix ans d’em-
prisonnement.

Afin de compléter le dispositif mis en œuvre par la directive 2011/36/UE, quelques pas ont
été accomplis aussi également en matière de protection de mineurs, « dans la mesure où
certaines victimes de la traite des êtres humains sont également des enfants victimes d’abus
sexuels ou d’exploitation sexuelle ». C’est donc la Proposition de directive relative à la lutte
contre les abus sexuels et l’exploitation sexuelle des enfants, ainsi que la pédopornographie,
déjà présentée par la Commission au mois de mars 2010, qui a fait l’objet d’une position
du Parlement européen arrêtée en première lecture le 27 octobre 2011  15. Il s’agit, encore
une fois, d’un texte de substitution, appelé à remplacer la décision-cadre 2002/629/JAI du
Conseil, et visant l’élargissement et le renforcement de la portée des instruments pénaux.

Le projet de directive vise à établir des règles minimales relatives à la définition des
infractions pénales et des sanctions non seulement dans le domaine de l’exploitation et

(15) Résolution législative du Parlement européen du 27 oct. 2011 sur la proposition de directive du Parlement
européen et du Conseil relative à l’exploitation et aux abus sexuels concernant des enfants et à la pédo-
pornographie, abrogeant la décision-cadre 2004/68/JAI (COM(2010)0094 - C7-0088/2010 -
2010/0064(COD)) P7_TC1-COD(2010)0064.

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Droit de l’Union européenne - Stefano MANACORDA


des abus sexuels concernant des enfants, mais aussi dans le domaine de la pédoporno-
graphie et de la sollicitation d’enfants à des fins sexuelles. De très nombreux compor-
tements sont visés, dépassant largement le cadre de la proposition initiale de la Com-
mission, et ils sont classés dans diverses catégories aux articles 3 et suivants. Les

CHRONIQUES
infractions liées aux abus sexuels (art. 3), consistant dans le fait de faire assister, à des
fins sexuelles, un enfant qui n’a pas atteint la majorité sexuelle, même sans qu’il y par-
ticipe, à des abus sexuels, devraient être passible d’une peine privative de liberté maxi-
male d’au moins deux ans. En outre, le fait de faire usage, à l’égard d’un enfant, de la
contrainte, de la force ou de menaces pour qu’il se livre à des activités sexuelles avec
un tiers devrait être passible d’une peine privative de liberté maximale d’au moins dix
ans si l’enfant n’a pas atteint la majorité sexuelle et d’au moins cinq ans dans le cas
contraire. Les infractions liées à l’exploitation sexuelle (art. 4), aux termes du texte
amendé, incluent les comportements intentionnels suivants  : le fait de faire participer
un enfant ou de le recruter pour qu’il participe à des spectacles pornographiques  ; le
fait de faire usage, à l’égard d’un enfant, de la contrainte ou de la force pour qu’il par-
ticipe à des spectacles pornographiques  ; le fait d’assister en connaissance de cause à
des spectacles pornographiques impliquant la participation d’un enfant ; le fait de favo-
riser la participation d’un enfant à la prostitution enfantine ou de le recruter à cette
fin  ; le fait de faire usage, à l’égard d’un enfant, de la contrainte ou de la force pour
qu’il se livre à la prostitution enfantine, ou de le menacer à de telles fins ; le fait de se
livrer à des activités sexuelles avec un enfant, en recourant à la prostitution enfantine.
En ce qui concerne les actes liés au spectacle pornographique qui sont érigés en infrac-
tion, la directive considère comme tels les actes d’exhibition organisée en direct pour
un public, ce qui exclut de la définition – de manière opportune – la communication
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personnelle en face à face entre pairs consentants, ainsi que les enfants ayant atteint la
majorité sexuelle et leurs partenaires.

Les infractions liées à la pédopornographie (art. 5) consistent enfin dans le fait d’accéder
en connaissance de cause, au moyen des technologies de l’information et de la commu-
nication, à du matériel pédopornographique. Pour être tenue pour responsable, la per-
sonne devrait, à la fois, avoir l’intention d’accéder à un site sur lequel de la pédoporno-
graphie est disponible et savoir que de telles images peuvent s’y trouver. Des sanctions ne
devraient pas être appliquées aux personnes qui y accèdent par inadvertance, ce qui repré-
sente une limitation opportune de l’intervention pénale. Le caractère intentionnel de l’in-
fraction peut notamment être déduit du fait qu’elle est récurrente ou que l’infraction a
été commise par l’intermédiaire d’un service en contrepartie d’un paiement. À cet égard,
un problème délicat concerne la dite « pédopornographie virtuelle », le texte visant éga-
lement tout matériel représentant de manière visuelle une personne qui paraît être un
enfant se livrant à un comportement sexuellement explicite, réel ou simulé, ou toute
représentation des organes sexuels d’une personne qui paraît être un enfant, à des fins
principalement sexuelles ; ou des images réalistes d’un enfant se livrant à un comporte-
ment sexuellement explicite ou des images réalistes des organes sexuels d’un enfant à des
fins principalement sexuelles. Comme cela avait déjà été mis en exergue par la doctrine,
le des tel comportements – en ce qu’ils ne concernent pas un individu en chair et en os,
mais plutôt une image qui peut être simplement numérique – paraissent relever d’une
répression fondée sur des préoccupations de nature essentiellement morale, mettant ainsi
à mal le principe de l’atteinte sur lequel le droit pénal devrait reposer. Aux termes de l’ar-
ticle 6, enfin, la sollicitation d’enfants à des fins sexuelles couvre toute tentative par un
adulte de solliciter, au moyen des technologies de l’information et de la communication,
un enfant qui n’a pas atteint l’âge de la majorité sexuelle afin qu’il lui fournisse de la
pédopornographie le représentant. Est notamment concernée dans ce contexte, la solli-
citation en ligne d’enfants à des fins sexuelles sur les sites de réseaux sociaux et les forums
de discussion.

Octobre / Décembre 2011 915


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Droit de l’Union européenne - Stefano MANACORDA


◆ II - LA DIMENSION INSTRUMENTALE ET DISSUASIVE : OBJECTIF


RECHERCHÉ
CHRONIQUES

C’est en relation avec la compétence pénale annexe de l’article 83, par. 2, TFUE – justi-
fiant « des règles minimales relatives à la définition des infractions pénales et des sanctions
lorsque le rapprochement des dispositions législatives et réglementaires des États membres
en matière pénale s’avère indispensable pour assurer la mise en œuvre efficace d’une poli-
tique de l’Union dans un domaine ayant fait l’objet de mesures d’harmonisation » 16 – que
la Commission formule des propositions spécifiques. Pour déterminer le recours par les ins-
titutions de l’UE au droit pénal (plutôt qu’à d’autres mesures, telles que des sanctions admi-
nistratives), plusieurs critères sont étayés par la Communication. Derrière les mots, cepen-
dant, le droit pénal se voit reconnue une place privilégiée en raison de la « valeur ajoutée »
dont il serait porteur, une telle expression désignant à bien y regarder sa dimension dis-
suasive et instrumentale. La toute récente application de ces critères dans le domaine de
la protection contre les abus de marchés, vient confirmer une telle analyse.

J A - La « valeur ajoutée » de la sanction pénale aux fins du rapprochement


et de la reconnaissance mutuelle dans la Communication
La Communication consacre une partie importante aux critères justifiant le recours au droit
pénal et à ceux guidant le choix entre sanction pénale et administrative, en s’alignant ainsi
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à l’expérience que certains États membres avaient faite trente ans auparavant. Le raisonne-
ment, tout à fait pertinent et largement inspiré de réflexions de la doctrine pénale (le Mani-
feste signé par certains pénalistes européens étant explicitement cité)  17, impose cependant
de vérifier sur quelles bases la Commission fait reposer une telle option en faveur du droit
pénal. Une présentation des arguments utilisés nous amènera à conclure – dans un premier
temps – que la Commission est bien consciente des enjeux du recours au droit pénal et de
la nécessité de ne l’utiliser qu’en dernier recours, en lui confiant une dimension subsidiaire.
Cependant – comme on le verra dans un second temps – elle prône le renforcement de la
sanction pénale dès lors que celle-ci permet d’assurer de meilleurs effets par rapport à la
sanction administrative, ce qui risque de replacer le droit pénal au premier plan.

C’est d’abord l’alternative entre droit pénal et droit administratif qui fait l’objet de préci-
sions dans le document.

Afin de décider si des mesures de droit pénal doivent être adoptées, la Commission indique
que le législateur de l’UE devrait procéder en deux étapes. Premièrement, ce choix fonda-
mental suppose que les principes traditionnels du droit pénal soient satisfaits : nécessité et
proportionnalité, faisant du droit pénal un outil de dernier recours (« ultima ratio »), sont
évoqués par la Commission. Au-delà de leur consécration générale, de tels principes s’im-
posent dans l’Espace de liberté, de sécurité et de justice, le traité fixant explicitement pour
condition que les mesures pénale soient « indispensables pour atteindre l’objectif de mise
en œuvre efficace de la politique en question. Par conséquent, le législateur doit examiner

(16) A. Bernardi, L’harmonisation accessoire, in G. Giudicelli-Delage et C. Lazerges, Le droit pénal au lendemain


du traité de Lisbonne, Société de législation comparée, 2012, sous presse.
(17) V. tout dernièrement C. Prittwitz, Lissabon als Chance zur kriminalpolitischen Neubesinnung. Das Manifest
zur Europäischen Kriminalpolitik, in K. Ambos (dir.), Europäisches Strafrecht post-Lissabon, Universitätsverlag
Göttingen, 2011, p. 29 s.

916 Octobre / Décembre 2011


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Droit de l’Union européenne - Stefano MANACORDA


si des mesures autres que de droit pénal, comme par exemple des régimes de sanctions de
nature administrative ou civile, pourraient permettre une mise en œuvre satisfaisante de la
politique en question et si le droit pénal permettrait de régler les problèmes plus efficace-
ment ».

CHRONIQUES
À partir d’un tel constat, un certain nombre de facteurs sont énumérés pour fonder le
choix entre la sanction pénale et la sanction administrative, même s’ils n’apparaissent pas
toujours totalement justifiés. Tout d’abord, la gravité de l’infraction est évoquée, ce qui se
justifie aisément : « Pour certains actes illicites considérés comme particulièrement graves,
une sanction administrative pourrait ne pas constituer une réponse suffisamment forte ».
Ensuite la prise de position en faveur du droit pénal a lieu «  lorsqu’il s’agit de marquer
[une] vive désapprobation à des fins dissuasives  »  : si l’inscription de condamnations au
casier judiciaire peut avoir un effet particulièrement dissuasif, comme la Commission le sou-
ligne, la simple adoption de la norme pénale entraîne à elle seule des effets généraux-pré-
ventifs. Quant au constat que « les procédures pénales offrent souvent une meilleure pro-
tection des droits de l’accusé, qui reflète aussi la gravité du chef d’accusation  », s’il est
incontestable, il ne peut pas, en soi, servir de fondement pour le recours au pénal, le prin-
cipe de l’ultima ratio n’étant pas susceptible d’inversions logiques. Un argument ultérieur
concerne les risques de forum shopping, la Commission observant à juste titre que  :
«  compte tenu de la dimension transfrontière de nombreuses infractions, l’adoption de
mesures de droit pénal au niveau de l’UE pourrait permettre d’empêcher les auteurs d’in-
fraction de se cacher derrière les frontières ou d’exploiter les différences entre les systèmes
juridiques nationaux à des fins criminelles ».
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Il n’est donc pas exclu qu’une sanction administrative soit préférable. Elle peut souvent
être prononcée et exécutée sans délai, ce qui peut permettre d’éviter des procédures
longues et exigeant beaucoup de ressources. Dans de nombreux cas, la législation admi-
nistrative offre également un éventail plus large de sanctions possibles, allant de l’amende
à l’exclusion du bénéfice de prestations publiques en passant par la suspension de licence,
qui peuvent être adaptées à la situation particulière. La conclusion s’impose : « Les sanc-
tions administratives peuvent donc souvent s’avérer suffisantes, voire plus efficaces que des
sanctions pénales ».

Ce préalable posé, à bien voir, un certain glissement se produit au sein des documents
officiels, dès lors que les considérations théoriques cèdent le pas à l’analyse des politiques
de l’UE faisant l’objet de mesures d’harmonisation, ces dernières exigeant souvent – selon
la Commission – que le droit pénal soit en première ligne afin de garantir leur mise en
œuvre efficace. À cet égard, la Communication insiste surtout sur la « valeur ajoutée » du
droit pénal de l’UE. Elle tient à deux facteurs, le droit pénal étant susceptible, à la fois,
de parfaire le rapprochement et de garantir la coopération mutuelle entre autorités judi-
ciaires.

Premièrement, selon la Commission, le droit pénal est censé assurer au mieux les exigences
du rapprochement et il aide à prévenir et à sanctionner les infractions graves au droit de
l’Union dans des domaines d’action importants, tels que la protection de l’environnement
ou la lutte contre le travail illégal. Ainsi, « le droit pénal peut jouer un rôle important dans
l’application des politiques de l’Union européenne. Ces politiques dépendent d’une mise
en œuvre efficace par les États membres. Seule, l’Union ne peut pas s’assurer que ses règles,
qui s’étendent de la protection de l’environnement et de la conservation des ressources
halieutiques à la sécurité routière, la réglementation des services financiers, la protection des
données ou encore la protection des intérêts financiers de l’UE, ont bien les effets souhaités
pour les citoyens. Les États membres sont tenus de faire en sorte que les politiques de
l’Union soient mises en œuvre. Ils peuvent généralement décider eux-mêmes des moyens

Octobre / Décembre 2011 917


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Droit de l’Union européenne - Stefano MANACORDA


pour y parvenir. À cet égard, les contrôles et les vérifications jouent un rôle essentiel. Lorsque
les choix des États membres ne produisent pas les effets souhaités et que la mise en œuvre
reste inégale, l’Union peut fixer elle-même des règles communes visant à assurer cette mise
en œuvre, y compris, au besoin, en faisant appel à des sanctions pénales pour infraction au
CHRONIQUES

droit de l’UE ».

Deuxièmement – et c’est une raison convergente – « des règles minimales communes quant
à certaines formes de criminalité sont également essentielles pour renforcer la confiance
mutuelle entre les États membres et les autorités judiciaires nationales. Ce niveau de
confiance élevé est indispensable à une coopération harmonieuse entre les autorités judi-
ciaires des différents États membres. Le principe de reconnaissance mutuelle des mesures
judiciaires, clef de voûte de la coopération judiciaire en matière pénale, ne peut en effet
fonctionner efficacement que sur cette base ». Par ce biais, la notion de confiance mutuelle
prend un sens juridique qui l’éloigne de sa simple dimension politique : « l’existence de
règles communes renforce la confiance mutuelle entre les autorités judiciaires et les ser-
vices répressifs des États membres. La reconnaissance mutuelle des mesures judiciaires s’en
trouve facilitée, les autorités nationales trouvant plus confortable de reconnaître des déci-
sions prises dans un autre État membre si les définitions des infractions pénales concernées
sont compatibles et si les niveaux de sanctions ont été un minimum rapproché. Des règles
communes facilitent également la coopération lorsque sont prises des mesures spéciales
d’investigation dans les affaires transfrontalières. » Il était grand temps que la Commission
prenne conscience de la nécessité que la reconnaissance mutuelle ne soit pas faite indé-
pendamment des contenus du droit pénal de fond, comme la doctrine l’avait déjà préco-
nisé de longue date. C’est dans ce cadre – marqué par un certain renforcement des ins-
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truments pénaux – que s’inscrivent les travaux législatifs plus récents.

J B - Le fonctionnement des marchés : la Proposition de directive sur les


sanctions pénales pour les délits financiers
Un double constat s’impose concernant la mise en œuvre des politiques de l’Union au
cours de la dernière année : alors que les travaux du chantier de la reconnaissance mutuelle
ont sensiblement ralenti, un effort a été fait pour parvenir à une harmonisation accrue en
droit pénal.

Quant à la reconnaissance mutuelle, face à l’opposition de certains États membres à avan-


cer sur cette voie à défaut d’un niveau satisfaisant d’harmonisation, la Proposition de
directive concernant la décision d’enquête européenne en matière pénale a marqué un
coup d’arrêt. Alors que la proposition initiale date du mois de mai 2010, le Conseil ne
s’est mis d’accord sur les principes généraux que lors de sa réunion du 30 juin 2011 et la
première lecture du Parlement n’a pas encore eu lieu. La décision d’enquête européenne
permettrait à un État membre d’exécuter des mesures d’enquête à la suite d’une décision
émanant d’un autre État membre de l’UE, sur la base du principe de reconnaissance
mutuelle des décisions judiciaires. Ces mesures d’enquête comprendraient, par exemple,
l’audition de témoins, des mesures de perquisition et de saisie et, moyennant des garan-
ties supplémentaires, l’interception de télécommunications, des opérations d’observation
ou d’infiltration et la surveillance de comptes bancaires. L’accord porte sur les points
d’ordre généraux suivants : la décision d’enquête européenne peut être utilisée dans les
procédures pénales, mais également dans les procédures engagées par les autorités admi-
nistratives, lorsqu’elles revêtent un caractère pénal ; plusieurs garanties ont été mises en
place pour que la décision d’enquête européenne ne soit pas exécutée si elle risque de
nuire à des intérêts nationaux essentiels en matière de sécurité ou à une immunité dans
l’État d’exécution.

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Droit de l’Union européenne - Stefano MANACORDA


D’autres propositions relevant de la reconnaissance mutuelle ont été avancées ces derniers
mois en matière de preuve 18, compte tenu du fait que désormais le Traité de Lisbonne s’em-
presse de souligner que la coopération judiciaire en matière pénale est fondée sur une telle
technique d’intégration normative (art. 82 TFUE).

CHRONIQUES
En revanche, le rapprochement du droit pénal a repris vigueur  : si la protection des per-
sonnes particulièrement vulnérables a déjà fait l’objet d’une analyse dans la première par-
tie de cette chronique, d’autres propositions visent directement « la mise en œuvre efficace
d’une politique de l’Union dans un domaine ayant fait l’objet de mesures d’harmonisation »
aux termes de l’article 83, par. 2 TFUE susmentionné. En particulier, la lutte contre les phé-
nomènes illégaux ayant lieu sur les marchés financiers représente le paradigme d’une
demande de pénalisation instrumentale et dissuasive dont la Commission se fait la porte-
parole. Dans un contexte de crise économique mondiale, ou plus exactement de redéfini-
tion des équilibres économiques mondiaux qui pourrait aussi favoriser le changement radi-
cal de certains impératifs du modèle de développement actuel, les institutions européennes
souhaitent se montrer particulièrement rigoureuses envers les acteurs économiques
déloyaux. Dans la Communication on lit ainsi qu’« il existe un certain nombre de domaines
d’action ayant été harmonisés et pour lesquels il a été établi que des mesures de droit pénal
au niveau de l’UE étaient nécessaires. Il s’agit notamment de mesures pour lutter contre des
pratiques gravement préjudiciables et des profits illégaux dans certains secteurs écono-
miques, afin de protéger les activités des entreprises légitimes et de préserver les intérêts du
contribuable  : le secteur financier, par exemple en ce qui concerne les manipulations de
marché ou les opérations d’initiés ; la lutte contre la fraude affectant les intérêts financiers
de l’Union européenne, pour faire en sorte que l’argent du contribuable bénéficie d’une
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protection équivalente dans toute l’Union [...] ; la protection de l’euro contre le faux mon-
nayage au moyen du droit pénal afin de renforcer la confiance des citoyens dans la sécurité
des moyens de paiement. La Commission continuera de réfléchir à la façon dont le droit
pénal pourrait contribuer au redressement économique en aidant à combattre l’économie
souterraine et la criminalité financière ».

Une double proposition a été ainsi avancée au mois d’octobre 2011, afin de renforcer la
cadre juridique régissant les marchés financiers. À côté d’un Règlement sur les opérations
d’initiés et les manipulations de marché (abus de marché)  19, les aspects répressifs sont
confiés à une Proposition de Directive relative aux sanctions pénales applicables aux opé-
rations d’initiés et aux manipulations de marché 20. Dans ce dernier cadre, le premier constat
tient à l’inefficacité du système – à dominante administrative – mis en place auparavant.
Ainsi, aux termes du considérant (4) de la proposition de directive, le bon fonctionnement
d’un cadre législatif sur les abus de marché nécessite une application effective  : une éva-
luation des régimes nationaux de sanctions administratives au titre de la directive
2003/6/CE a montré, en revanche, que les autorités compétentes nationales ne disposaient
pas toutes d’un ensemble complet de pouvoirs pour répondre aux abus de marché par la
sanction appropriée. En particulier, les États membres n’avaient pas tous mis en place des
sanctions administratives pécuniaires pour les opérations d’initiés et les manipulations de
marché et le niveau de ces sanctions variait fortement entre les États membres. Le considé-
rant (5) précise également que «  l’adoption de sanctions administratives par les États
membres s’est révélée insuffisante pour assurer le respect des règles relatives à la prévention

(18) J. Lelieur, La reconnaissance mutuelle appliquée à l’obtention transnationale de preuves pénales dans
l’Union européenne : une chance pour un droit probatoire français en crise ?, cette Revue 2011. 1.
(19) Bruxelles, le 20.10.2011 COM(2011) 651 final 2011/0295 (COD).
(20) Bruxelles, le 20.10.2011 COM(2011) 654 final 2011/0297 (COD). Proposition de directive du parlement
européen et du conseil relative aux sanctions pénales applicables aux opérations d’initiés et aux manipula-
tions de marché {SEC(2011) 1217} {SEC(2011) 1218}.

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Droit de l’Union européenne - Stefano MANACORDA


et à la lutte contre les abus de marché ». On en tire donc la conséquence qu’« il est essen-
tiel que ce respect soit renforcé par la disponibilité de sanctions pénales marquant une
désapprobation sociale d’une nature qualitativement différente par rapport aux sanctions
administratives. L’érection en infractions pénales des formes les plus graves d’abus de mar-
CHRONIQUES

ché signale très clairement, en droit, que de tels comportements sont considérés comme
inacceptables et adresse au public et aux auteurs potentiels le message que ces comporte-
ments sont pris très au sérieux par les autorités compétentes »

Sur une telle base, la proposition définit, aux articles 2 et 3, « les formes d’abus de marché
qui devraient être considérées comme des infractions pénales. Deux formes d’abus de mar-
ché, à savoir les opérations d’initiés et les manipulations de marché, devraient être
considérées comme des infractions pénales si elles sont commises intentionnellement. Le
fait de tenter de commettre des opérations d’initiés et des manipulations de marché devrait
également être passible de sanctions en tant qu’infraction pénale. L’infraction relative aux
informations privilégiées devrait s’appliquer aux personnes qui détiennent des informations
privilégiées dont elles savent qu’il s’agit d’informations privilégiées. L’infraction relative aux
manipulations de marché est applicable à toute personne ». Quant aux sanctions pénales à
adopter en droit interne, elles devront être effectives, proportionnées et dissuasives et la res-
ponsabilité des personnes morales est préconisée.

En définitive, vingt ans après l’adoption de la première directive en matière d’insider tra-
ding, la Commission parvient à la conclusion que la marge de liberté excessive dont les États
membres ont bénéficié n’a pas permis d’atteindre un niveau satisfaisant de prévention et
répression de ces infractions, et qu’un encadrement pénal s’impose désormais. Derrière la
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mise en place d’un cadre fortement dissuasif, s’affiche désormais la volonté de l’Union de
promouvoir ses propres politiques économiques sur la scène du droit pénal national.

◆ III - LA PROTECTION DES DROITS DE L’HOMME EN DROIT


PÉNAL : OBJECTIF DÉCLARÉ

Le renforcement des droits de l’homme est érigé en objectif principal de l’intervention


pénale de l’Union par les traités, ainsi que par un certain nombre de documents politiques.
Dans ce cadre, plusieurs textes de droit dérivé ont amené à un renforcement des droits des
accusés et des victimes, sans que cela se coordonne nécessairement avec les autres lignes
directrices de la politique criminelle de l’Union.

J A - L’appel constant aux droits de l’homme dans la Communication


La Communication tient à souligner que, quel que soit le domaine concerné, toutes les poli-
tiques de l’Union doivent respecter les droits fondamentaux garantis par la Charte des droits
fondamentaux de l’Union européenne et la Convention européenne de sauvegarde des
droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Dans ce cadre, l’Espace de liberté, de sécurité et de justice mérite une attention particulière.
Comme nous l’avions observé il y a quelques années, ce dernier a été longuement caracté-
risé par un développement inégal des composantes répressives, qui avaient fait l’objet d’une
impulsion hors pair, notamment à la suite du Sommet de Tampere, et des droits et libertés
fondamentaux, auxquels on n’avait accordé qu’un intérêt tout à fait mineur. Un tel désé-
quilibre – il était facile de le constater – n’était pas simplement critiquable en termes d’af-

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Droit de l’Union européenne - Stefano MANACORDA


faiblissement des garanties individuelles, mais il menaçait également l’efficacité du chantier
de la coopération pénale, destiné à subir des coups d’arrêt sur le plan judiciaire et politique.
Désormais, la Commission a changé d’attitude et l’attention renouvelée vis-à-vis des droits
fondamentaux en matière pénale est consacrée définitivement par la Communication : « les

CHRONIQUES
mesures de droit pénal sont susceptibles d’affecter les droits fondamentaux. Elles empiètent
immanquablement sur les droits individuels, qu’il s’agisse de ceux du suspect, de la victime
ou des témoins. Enfin, parce qu’elles peuvent entraîner une privation de liberté, elles exi-
gent une attention particulière de la part du législateur ».

D’ailleurs, en termes plus généraux, le renforcement de la protection des droits de l’homme


caractérise le Traité de Lisbonne. L’article 6, par. 3, TUE dispose que les droits fondamen-
taux, tels qu’ils sont garantis par la Cesdh et tels qu’ils résultent des traditions constitution-
nelles communes aux États membres, font partie du droit de l’Union en tant que principes
généraux. L’article 6, par. 1, du TUE reconnaît les droits, les libertés et les principes énoncés
dans la Charte, laquelle a la même valeur juridique que le TFUE et le TUE. La Charte s’ap-
plique aux institutions de l’Union européenne et aux États membres lorsqu’ils mettent en
œuvre le droit de l’Union, notamment dans le domaine de la coopération judiciaire en
matière pénale dans l’Union européenne. Enfin, la procédure d’adhésion de l’Union à la
Cesdh est actuellement en cours  21.

L’objectif du renforcement des droits fondamentaux apparaît également à l’article 82 TFUE,


là où il est envisagé que le rapprochement des dispositions législatives et réglementaires des
États membres – permettant de mieux assurer la reconnaissance mutuelle – concerne aussi
la procédure pénale. Plus particulièrement, ce sont les droits des personnes dans la procé-
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dure pénale et les droits des victimes de la criminalité qui peuvent faire l’objet d’un rap-
prochement par l’adoption de règles minimales communes, ce qui a représenté un domaine
intensément investi par l’activité législative de l’Union.

Le programme de mesures destiné à mettre en œuvre le principe de reconnaissance


mutuelle des décisions pénales, adopté par le Conseil et la Commission indique d’ailleurs
que « la reconnaissance mutuelle dépend étroitement de l’existence et du contenu de cer-
tains paramètres qui conditionnent l’efficacité de l’exercice  ». Parmi ces paramètres, il
convient de citer les mécanismes de protection des droits des suspects (paramètre 3) et la
définition des normes minimales communes nécessaires pour faciliter l’application du prin-
cipe de reconnaissance mutuelle (paramètre 4). La reconnaissance mutuelle des décisions
pénales ne peut être efficace que dans un climat de confiance, au sein duquel non seule-
ment les autorités judiciaires, mais aussi tous les acteurs de la procédure pénale, considè-
rent les décisions des autorités judiciaires des autres États membres comme équivalentes aux
leurs, ce qui implique une confiance mutuelle en ce qui concerne non seulement le
caractère approprié des règles des autres États membres, mais aussi l’application correcte
de ces règles.

Pour mettre en œuvre un tel objectif, la Feuille de route relative aux droits procéduraux a
été adoptée par le Conseil le 30 novembre 2009 visant à renforcer les droits procéduraux
des personnes soupçonnées ou poursuivies dans le cadre des procédures pénales. Elle
recommande l’adoption, sur la base d’une approche progressive, de mesures portant sur les
droits procéduraux les plus essentiels et invite la Commission à présenter des propositions
à cet effet. Le Conseil a reconnu qu’à ce jour, les efforts fournis à l’échelon européen pour
protéger les droits fondamentaux des personnes dans le cadre des procédures pénales

(21) V. J.-C. Bonichot, Cour de justice et Cour européenne des droits de l’homme, in G. Giudicelli-Delage et C.
Lazerges, Le droit pénal au lendemain du traité de Lisbonne, Société de législation comparée, 2012, sous presse.

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Droit de l’Union européenne - Stefano MANACORDA


étaient insuffisants. L’avantage d’une législation de l’Union ne se fera pleinement sentir que
lorsque ces mesures auront toutes été transposées en droit national.

Le programme de Stockholm, adopté par le Conseil européen des 10 et 11 décembre 2009,


CHRONIQUES

a réaffirmé l’importance des droits de la personne dans le cadre des procédures pénales en
tant que valeur fondamentale de l’Union et en tant que composante essentielle de la
confiance réciproque entre les États membres et de la confiance des citoyens dans l’UE. La
protection des droits fondamentaux des personnes éliminera également les entraves à leur
libre circulation. Le programme de Stockholm indique que la feuille de route fait partie inté-
grante du programme pluriannuel et invite la Commission à présenter des propositions en
vue d’une mise en œuvre rapide.

J B - Le rapprochement en procédure pénale : la Directive sur l’interprétation


et la traduction et les Propositions de directive sur le droit à l’information
et à l’avocat
La première mesure mettant en œuvre la feuille de route consiste en la Directive
2010/64/UE du parlement européen et du conseil du 20 octobre 2010 relative au droit
à l’interprétation et à la traduction dans le cadre des procédures pénales portant sur la
mesure A de la feuille de route. Elle établit des règles minimales communes à appliquer
dans les domaines de l’interprétation et de la traduction dans le cadre des procédures
pénales afin de renforcer la confiance mutuelle entre les États membres. Elle devrait
garantir une assistance linguistique gratuite et appropriée, afin de permettre aux suspects
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ou aux personnes poursuivies qui ne parlent pas ou ne comprennent pas la langue de la
procédure pénale d’exercer pleinement leurs droits de défense et afin de garantir le
caractère équitable de la procédure. L’interprétation pour les suspects ou les personnes
poursuivies devrait être fournie sans délai. Cependant, s’il s’écoule un certain temps avant
que l’interprétation soit fournie, cela ne devrait pas constituer une atteinte à l’exigence
de mise à disposition sans délai d’un service d’interprétation, pour autant que ce délai
soit raisonnable compte tenu des circonstances.

Plus récemment un second texte portant Proposition de directive relative au droit à l’in-
formation dans le cadre des procédures pénales 22 et visant à définir des normes minimales
communes concernant le droit à l’information dans le cadre des procédures pénales dans
l’ensemble de l’Union européenne, a été présenté par la Commission. Il représente le
deuxième volet d’une série de mesures exposées dans la feuille de route. Pour ce qui est
de la base juridique, la proposition se fonde sur l’article 82, par. 2 TFUE, portant sur les
droits des personnes dans la procédure pénale mais reprend également la Charte (l’article
47, consacrant le droit à un procès équitable  ; l’article 48 garantissant les droits de la
défense) et la Cesdh (le droit d’être informé de ses droits découlant de la jurisprudence
de la Cour européenne des droits de l’homme concernant l’article 6).

La proposition de directive concrétise donc l’objectif de renforcer la protection des droits


de la personne : « Il ressort de plusieurs études récentes que la façon dont les suspects sont
informés de leurs droits varie énormément et que, dans la plupart des cas, l’information rela-
tive aux droits est uniquement fournie oralement, ce qui réduit son efficacité et rend les
contrôles plus compliqués. Le droit à l’information n’est pas mentionné explicitement dans
la Cesdh. Cependant, certains cas de jurisprudence imposent aux autorités judiciaires de

(22) COM(2010) 392 final, 2010/0215 (COD), 20.7.2010.

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Droit de l’Union européenne - Stefano MANACORDA


prendre des mesures positives afin de garantir le respect de l’article 6 de la Cesdh, la pré-
sente directive fixe des obligations minimales au niveau de l’Union en matière d’informa-
tion des personnes soupçonnées et poursuivies de leurs droits procéduraux et des charges
retenues contre elles ».

CHRONIQUES
L’article premier présente l’objectif de la directive, à savoir la définition de règles concer-
nant le droit des personnes soupçonnées et poursuivies d’être informées de leurs droits et
des charges retenues contre elles dans le cadre de procédures pénales. Une annexe I
contient un modèle indicatif de la déclaration de droits à remettre à toute personne
soupçonnée ou poursuivie lors de son arrestation, conformément à l’article 4, paragraphe
1. Le modèle de déclaration de droits explique dans une langue simple les droits mini-
mums immédiatement pertinents tels qu’ils sont énoncés à l’article 3, par. 2, de la direc-
tive. Une annexe II contient un modèle indicatif de la déclaration de droits à remettre à
toute personne arrêtée sur la base d’un mandat d’arrêt européen, comme l’exige l’article.

Le troisième jeu de mesures prévues dans la feuille de route concerne le droit de consul-
ter un avocat. Il a conduit à la Proposition de Directive relative au droit d’accès à un avo-
cat dans le cadre des procédures pénales et au droit de communiquer après l’arresta-
tion  23. Le texte a pour objet de fixer des normes minimales communes, applicables
partout dans l’Union européenne, concernant les droits des personnes soupçonnées ou
poursuivies dans le cadre de procédures pénales, ainsi que des personnes visées par un
mandat d’arrêt européen, d’avoir accès à un avocat et de communiquer après l’arresta-
tion avec un tiers, et ce en faisant application des principes établis par la Convention
européenne.
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Il convient de garantir cet accès à un avocat au plus tard au moment de la privation de
liberté, et dans les meilleurs délais au regard des circonstances de chaque affaire. Que la
personne concernée soit privée de liberté ou non, elle doit pouvoir bénéficier de l’assis-
tance d’un avocat dès son audition. Cette assistance doit également être offerte lorsqu’un
acte de procédure ou la collecte de preuves requiert ou autorise la présence de la per-
sonne soupçonnée ou poursuivie, sauf si les éléments de preuve à recueillir risquent d’être
altérés, déplacés ou détruits du fait du temps écoulé jusqu’à l’arrivée de l’avocat. Cela est
conforme à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme qui a déclaré
que le suspect doit bénéficier de l’assistance d’un avocat « dès les premiers stades des inter-
rogatoires de police et dès qu’il est privé de liberté, et cela indépendamment des inter-
rogatoires qu’il subit ».

Il est également prévu le droit de communiquer, dès que possible après l’arrestation, avec
au moins une personne, laquelle sera un parent ou un employeur dans la plupart des cas,
afin de l’informer de la mise en détention. Les représentants légaux d’enfants privés de
liberté devraient être avertis le plus tôt possible de la mise en détention de ces enfants et
des raisons qui la motivent, sauf si cela est contraire à l’intérêt supérieur des enfants
concernés. Lorsqu’il n’est pas possible de communiquer avec la personne désignée par le
détenu ni de l’informer, en dépit de toutes les tentatives effectuées à cet effet (par
exemple, si le tiers désigné ne répond pas au téléphone), la personne détenue doit être
informée du fait que le tiers n’a pu être prévenu. Toute conséquence à cet égard est régie
par le droit national. Il n’est possible de déroger à ce droit que dans des cas limités
énoncés à l’article 8.

(23) COM(2011) 326 final 2011/0154 (COD), 8.6.2011.

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Droit de l’Union européenne - Stefano MANACORDA


◆ CONCLUSION

La mise en œuvre de la politique criminelle de l’Union laisse apparaître trois lignes direc-
CHRONIQUES

trices, donnant lieu à un cadre juridique extrêmement riche mais parfois complexe. La forte
valeur expressive conférée à l’appel au droit pénal, débouchant parfois dans une mise en
valeur de sa dimension symbolique, pousse vers une extension et un renforcement de la
répression. De même la « valeur ajoutée » qui est reconnue au droit pénal, en ce qu’il assure
le rapprochement des législations internes et facilite la reconnaissance mutuelle, comporte
une certaine marginalisation des réseaux de sanctions extra-pénales. Une telle demande de
(sur-)pénalisation est partiellement contredite, ou du moins atténuée, par la protection des
droits fondamentaux au cours du procès, exigeant un renforcement des garanties entourant
le suspect et l’accusé. Ce troisième axe d’intervention est cependant lui aussi porteur d’am-
biguïtés, dans la mesure où il place au centre de la scène pénale également la victime  24.
C’est autour d’une telle stratégie de protection des victimes de la criminalité, véritable fer
de lance de la Commission dans ces dernières années, qu’une Proposition de Directive éta-
blissant des normes minimales concernant les droits, le soutien et la protection des victimes
de la criminalité a été adoptée  25 et que la Cour de justice a été amenée à se prononcer en
2011 dans l’affaire Guye  26.

Rechercher une cohérence d’ensemble parmi ces différentes lignes d’intervention qui tra-
versent la politique criminelle de l’Union, telle que la Commission l’envisagerait, est une
opération extrêmement difficile, d’autant plus que chacune de ces directions est loin d’être
linéaire. Entre le mythe d’un législateur rationnel et particulièrement attentif au respect des
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principes fondamentaux du droit pénal et des garanties du prévenu – conforme à l’héritage
qui nous est parvenu de l’époque des Lumières – et la réalité d’un usage des directives
pénales – désormais solidement ancrées dans le nouveau traité – en fonction des contin-
gences événementielles ou des urgences médiatiques ou encore des objectifs d’intégration
poursuivis par l’Union, le pronostic semble hélas devoir se faire en faveur de la seconde
option.

(24) G. Giudicelli-Delage, C. Lazerges (dir.), La victime sur la scène pénale en Europe, PUF, coll. Voies du droit, 2008.
(25) COM(2011) 275 final, 2011/0129 (COD), 18.5.2011.
(26) CJUE, 15 sept. 2011, n° C-483/09 et C-1/10, Magatte Gueye & Valentín Salmerón Sánchez, affaires jointes.

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