Éditorial

ENJEUX DES TRANSFORMATIONS ORGANISATIONNELLES ET

STRATÉGIQUES : CAS D’UNIVERSITÉS ET D’HÔPITAUX

Annie Bartoli, Stéphane Trébucq

AIRMAP | « Gestion et management public »

2022/1 Volume 10 / N° 1 | pages 6 à 9

ISSN 2116-8865
DOI 10.3917/gmp.101.0006
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 É D I T O R I A L
Enjeux des transformations
organisationnelles et stratégiques :
cas d'universités et d'hôpitaux
«  On ne se baigne jamais deux fois dans le même
fleuve ». Ainsi Héraclite nous avertissait à juste titre de
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l'inconstance des choses et de notre nécessité de nous
adapter. Face à ce changement permanent des circons-
tances, on aborde souvent en effet miroir la notion de
« transformation ». Ainsi apparaissent dans les organi-
sations, tout autant privées que publiques, la nécessité
d'introduire de nouvelles démarches, de nouveaux ou-
tils, de nouvelles conceptions ou pratiques. Or, ces mo-
difications n'apparaissent pas spontanément évidentes.
Pour être effectives, elles supposent un pilotage des pro-
cessus et l'adhésion des membres de l'organisation, sous
réserve que certains phénomènes opportunistes de dé-
tournement n'apparaissent pas. Les travaux dans ce do-
maine ne manquent pas et apportent chacun une pierre
à la compréhension des processus d’évolution. Dans
cette même revue, Rochette (2012) a par exemple abor-
dé la question des marques pour les collectivités terri-
toriales, avec les transformations observées dans le cas
d’une région. Le besoin de développer un véritable mar-
keting territorial au service du projet de transformation
des collectivités a été mis en lumière (Charmard et al.,
1  Professeur des Universités – Rédactrice en chef de la revue GMP.
2  Professeur des Universités – Rédacteur en chef de la revue GMP.
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Annie BARTOLI1 et Stéphane TRÉBUCQ2
2017). Bartoli et Ewango-Chatelet (2016) ont pour leur
part traité du cas des transformations induites par les
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professionnels au sein des dispositifs pédagogiques des
universités, montrant en cela que les changements ne
sont pas systématiquement technologiques, et peuvent
aussi être de nature sociale et organisationnelle. Fortier
et al. (2016) ont quant à eux prêté attention aux trans-
formations de l'ethos public, en comparant les contextes
français et canadien. La thématique de la transformation
a également été étudiée dans des contextes spécifiques
de carences en personnel, comme dans le cas des pro-
fessionnels de santé en nombre insuffisant conduisant
les sapeurs-pompiers à s'adapter (Alfano et al., 2018).
Dans d'autres circonstances, on voit également que cer-
taines notions comme la « création de valeur organi-
sationnelle » sont à même de mieux s'interroger sur les
transformations nécessaires. Tel est le cas dans les hô-
pitaux devant intégrer l'introduction du dossier patient
informatisé (Béjean et al., 2018). Appliqué au secteur
agro-alimentaire, Tissone et al. (2019) identifient éga-
lement des situations où les contraintes sont transfor-
mées en opportunités, processus de facto éminemment
 stratégique. Barthod-Prothade et Leroux (2020) ont
relevé également des situations où la fabrique de l'in-
novation gagne à muter en management de l'innova-
tion, dans un contexte d'éco-tourisme. Enfin, Crozet et
Morgand (2021) ont exploré les conséquences dans les
universités de l'introduction de nouvelles métriques,
comme celle de l'insertion professionnelle. On le voit, la
thématique de la transformation et du management de
ses processus ont déjà très largement inspiré de nom-
breuses publications dans la revue GMP. Le présent nu-
méro réunit quatre nouvelles contributions relevant de
cette problématique, sous les angles organisationnel et
stratégique. Trois sont consacrées au contexte universi-
taire, et une à celui des hôpitaux.
Cyril Verdier, Laurent Mériade et Damien Talbot re-
tiennent comme objet le cas des universités. Ils notent
qu'en presque dix ans, de 2009 à 2018, pas moins de
neuf fusions d'établissements d’enseignement supé-
rieur et de recherche ont été réalisées, soulevant d'une
manière récurrente la question de l'efficacité de telles
opérations et de leurs effets en termes de performance
publique. Le modèle d'analyse retenu, au travers de qua-
torze entretiens conduits sur une étude de cas, est celui
de Boschma (2015), identifiant cinq sous-dimensions
à la notion de proximité, et permettant de mieux trai-
ter les problématiques de décentralisation au bénéfice
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de la performance. Celle-ci peut être explicitée à partir
des déclinaisons de la LOLF qui permet d'en identifier
trois dimensions, en lien avec l'efficacité socio-écono-
mique attendue par le citoyen, la qualité de service at-
tendue par l'usager, et l'efficience de gestion espérée
par le contribuable. La maîtrise des différentes proxi-
mités devient alors pour les présidents d'universités un
outil de contrôle, interactif au sens de Simons, facilitant
l'amélioration de la performance. Il est ainsi possible de
jouer de la proximité géographique, organisationnelle,
institutionnelle, cognitive, sociale. Les entretiens effec-
tués permettent de retrouver ces différentes formes de
proximité et leurs liens avec les différentes dimensions
de la performance. Cette recherche constitue en ce sens
un apport aux théories relatives à la transformation des
organisations, appliquée au cas et au contexte spéci-
fique des universités françaises.
Marie Stadge et Isabelle Barth, pour leur part, envi-
sagent une sous-thématique plus récente de la perfor-
mance des universités, en retenant la notion de RSU
(responsabilité sociétale des universités). Or, celle-ci
n'apparaît pas spontanément comme une évidence, et
une série de pressions institutionnelles voient le jour.
La promotion de la RSU est aussi assurée au travers
d'un réseau d’acteurs pouvant être qualifiés d'«  entre-
preneurs culturels », à savoir les chargés de mission
en charge du développement durable ou de la respon-
sabilité sociétale dans les universités. Son observation
permet de mieux comprendre les schémas directeurs
guidant les universités en matière de responsabilité
sociétale, ainsi que les jeux d'acteurs amenant ces or-
ganisations à se transformer. Les données s'appuient
tant sur des observations directes que sur dix-sept en-
tretiens, et sont analysées selon une approche inductive
et qualitative. De là, trois logiques sont distinguées. La
première est professionnelle, la RSU tirant sa légitimité
de travaux scientifiques. La seconde est contractuelle,
enchâssée dans un cadre juridique conférant aux uni-
versités à la fois une autonomie de gestion et des obliga-
tions de coordination, avec un portage politique au plus
haut niveau décisionnel des universités. Reste une troi-
sième logique, qualifiée de communautaire, puisqu'elle
correspond à des rassemblements de personnes parta-
geant des intérêts communs ou des responsabilités ou
objectifs similaires. De ce point de vue, il apparaît que
les chargés de mission ont réussi à faciliter le processus
de transformation des universités en s'entourant d'al-
liés multiples.
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Reste à savoir dans quelle mesure les universitaires,
eux-mêmes, perçoivent l'ensemble des transformations
engagées ou conduites dans leurs organisations. C'est à
ce sujet que s'attaque Nino Tandilashvili. Pour ce faire,
il mobilise à son tour la théorie néo-institutionnelle,
afin de procéder à une analyse thématique de contenu
auprès des représentants de trois universités avec une
cinquantaine d'entretiens. Les résultats issus des ana-
lyses qualitatives attestent d'une modification de l'iden-
tité professionnelle des académiques. Les interviewés
témoignent de transformations profondes, touchant à
un ensemble de dimensions : processus de fonctionne-
ment, sources de financement, priorité donnée à la re-
cherche sur l'enseignement, importance des classements
internationaux, associée avec une pression croissante à
la publication et à l'évaluation, et finalement accroisse-
ment des tâches administratives. Sur un plan managé-
rial, un certain mouvement de décentralisation a pu ren-
forcer le pouvoir des présidents d'université, lesquels
se sont entourés de fonctions support plus aguerries,
avec une montée en puissance de l'« accountability »,
conduisant à ce que la notion de performance devienne
incontournable. Les deux forces de transformation qui
Revue Gestion & Management public | Vol. 10, n°1 - 2022 7
 ressortent relèvent de l'isomorphisme coercitif et de
l'isomorphisme mimétique. Ce sont respectivement les
lois ou réglementations et un contexte organisationnel
partagé par toutes les universités qui président à leurs
transformations. Celles-ci s'appuient cependant sur des
valeurs entrant en contradiction ou en opposition avec
celles portées traditionnellement par les universitaires,
sans que l'on sache encore sur quelles conséquences dé-
bouchera un tel état de fait.
Ces trois recherches, toutes conduites dans des milieux
universitaires, illustrent bien un contexte de mutation,
au sein duquel certains acteurs mobilisent des stratégies
de transformation, et d'autres les subissent sans forcé-
ment y adhérer. Ces recherches nous ramènent en ce
sens à l'approche des organisations relues à l'aune des
conflits de pouvoirs, formels et informels, où la trans-
formation obtenue n'est jamais pleinement acquise.
Léo Cazin, Frédéric Kletz et Jean-Claude Sardas re-
tiennent, quant à eux, le cas des hôpitaux, organisations
faisant également l'objet de logiques de transformation.
Ils analysent plus précisément le cas des groupements
hospitaliers de territoire (GHT) issus de la loi de mo-
dernisation du système de santé datant de 2016. Ce
nouveau cadre se prête à une refonte du parcours des
patients, avec la mise en place nouveaux partenariats,
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en mutation, sans que ces changements puissent jamais
être tout à fait satisfaisants ou aboutis. Dans ce contexte,
les sciences du management public permettent d'opérer
non seulement un recueil et une interprétation de faits,
perceptions et phénomènes en action, mais également
une analyse compréhensive et distanciée des situations
à la fois particulières et globales. Les travaux présen-
tés ont reposé ici, principalement, sur l'observation des
pratiques et le témoignage direct des acteurs, dans un
contexte institutionnel et culturel spécifique, qui est
celui de la France. Leur portée constitue une invitation
à produire des recherches complémentaires, notam-
ment d'envergure internationale, afin d’aider à com-
parer ou à mettre en perspective plus directement les
situations des universités et des hôpitaux, tout en les
éclairant de leur environnement particulier. Il pourrait
ainsi être opportun d'étudier les spécificités, différences
et similarités de ces organisations selon leurs contextes
socioculturels, géopolitiques ou institutionnels. Ce fai-
sant, les processus de recherche sur les transforma-
tions organisationnelles et stratégiques des systèmes
publics continueront de progresser vers de futurs dé-
veloppements passionnants, auxquels la revue Gestion
et Management Public sera attentive. Cet éditorial est
donc l'occasion d'inviter les auteurs à poursuivre dans
cette voie.

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à vocation exploratoire, et un nouveau régime de gou-
vernementalité, au sens où l'entendait Michel Foucault
(2004). Dès lors, les GHT deviennent des instruments
permettant de mobiliser de nouvelles connaissances
afin de réguler les conduites collectives. La recherche
repose sur trois de ces groupements et s’appuie sur des
recherches-interventions. Selon l'échelle de Harman
(1989), les situations de coopération observées appa-
raissent contrastées, montrant ainsi que les transfor-
mations opérées sont fortement variables en fonction
des contextes. Là encore, l’analyse conduit à révéler que
les processus transformationnels trouvent leurs limites.
Ainsi, les GHT peinent à intégrer une pluralité d'acteurs
du système de santé. Des modes de gouvernementalité
contradictoires (planification, régulation, coopération)
peuvent par ailleurs coexister. Finalement, les nou-
veaux parcours de soins apparaissent peu accompagnés
par la tutelle publique. Une réforme peut dès lors en ap-
peler une autre…

L'ensemble de ces recherches illustre à nouveau l'impor-

tance du travail d'analyse d'une société en transforma-
tion, et d'organisations non marchandes elles-mêmes

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