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TRAUMA
Muriel Salmona
2018/1 N° 1 | pages 69 à 87
ISSN 1958-3702
ISBN 9782996218010
DOI 10.3917/cdlj.1801.0069
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-les-cahiers-de-la-justice-2018-1-page-69.htm
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Les principales victimes de violences sexuelles sont les enfants, les filles étant trois à six fois plus exposées que
les garçons : une fille sur cinq subit des agressions sexuelles (Hillis, 2016 ; OMS, 2016), un garçon sur treize
(OMS, 2014). En plus d'être une grave atteinte à leurs droits, les violences sexuelles ont de lourdes consé-
quences psychotraumatiques à court, moyen et long termes. Elles impactent leur santé, leur scolarité, leurs
vies affective, sexuelle et sociale, et sont un facteur de risque majeur de re-victimisation. L'absence de dépis-
tage, de protection et de prise en charge de ces enfants est une lourde perte de chance pour eux, d'autant
plus que les soins dont ils pourraient bénéficier sont efficaces. Reconnaître ces violences et leurs consé-
quences, dépister, protéger, soigner ces enfants et leur rendre justice est un impératif absolu et une urgence
de santé publique.
The main victims of sexual violence are children, with girls being three to six times more exposed than boys :
one girl in five is a victim of sexual aggression (Hillis, 2016 ; WHO, 2016) as against one boy in thirteen (WHO,
2014). In addition to the serious infringement of their rights, sexual violence carries serious psycho-traumatic
consequences over the short, medium and long term. It impacts their health, their schooling, their emotional,
sexual and social life and constitutes a major risk factor for renewed victimisation. The absence of screening,
protection and management of such children weighs heavily against their chances, especially as the care from
which they could benefit is effective. The recognition of such violence, the screening, protection, care and the
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L
es violences aboutissent à la
constitution d'une mémoire mécanismes exceptionnels de sauvegarde,
traumatique de l'événement, qui sont déclenchés par le cerveau pour
symptôme central du psycho- échapper au risque vital que fait courir une
traumatisme. Cette mémoire est réponse émotionnelle extrême face à un
différente de la mémoire autobiographique trauma.
et lui faire subir en toute tranquillité tous les mettent de lui faire la leçon et même de se
sévices qu'il veut exercer comme si elle était moquer d'elle en lui posant la question : « Et
un pantin, parfois pendant de longues années. si on t'avait pris ton ordinateur portable,
L'agresseur peut la soumettre physiquement, qu'est-ce que t'aurais fait ? » Et les policiers
l'esclavagiser et la coloniser psychologique- d'éclater de rire, tout comme les specta-
ment pour lui faire faire et lui faire penser ce teurs… Ils se moquent d'une victime grave-
qu'il veut, et la formater pour qu'elle se res- ment traumatisée.
sente comme coupable, nulle, sans valeur, Les victimes dissociées sont des proies de
sans droit, un objet à sa disposition. choix pour les prédateurs. La confusion, la
La dissociation est un facteur de risque désorientation liées aux symptômes disso-
majeur de re-victimisation et de mise sous ciatifs entraînent des troubles cognitifs et
emprise (70 % des victimes de violences des doutes continuels sur ce qui est perçu,
sexuelles subissent d'autres violences sexuelles entendu, sur ce qu'on a dit et sur ce qu'on a
tout au long de leur vie, IVSEA, 2015). Les compris, rendant la victime vulnérable, et la
prédateurs vont cibler de préférence une per- mettant en grande difficulté pour défendre
sonne déjà dissociée par des violences précé- ses convictions et ses volontés. Déconnectées
demment subies, le plus souvent dans de leur cortex frontal (siège de l'analyse
l'enfance, ce qui leur garantit à la fois une intellectuelle et de la prise de décisions) et de
impunité et la possibilité d'exercer quasiment leur hippocampe (système d'exploitation qui
sans limite les pires sévices. Les personnes dis- gère leur mémoire et leurs apprentissages), les
sociées, particulièrement les enfants, sont fré- victimes dissociées sont facilement influen-
quemment perçues comme bizarres, ou bien çables et « hypnotisables » ; il leur est très dif-
comme étant masochistes, ou comme ayant ficile de dire non. Elles fonctionnent souvent
une pathologie mentale (psychose, troubles sur un mode automatique, préprogrammé.
autistiques,…). Elles n'ont aucune confiance en elles et elles
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ressentie sans le filtre de la dissociation et daire très important, d'autant plus si la vic-
cela sera intolérable. time a été confrontée à une intentionna-
Si la dissociation disparaît, ce qui peut se lité meurtrière au moment des violences,
produire quand la victime est enfin sécurisée elle revit cette intentionnalité comme si
et qu'elle n'est plus en permanence confron- elle émanait d'elle, dans une compulsion à
tée à des violences, à leur contexte, ou à son se tuer.
agresseur, ou bien parce qu'elle sort de son C'est à ce moment-là que les victimes
état d'incompréhension et de confusion en sortent de leur état de « pseudo indifférence »
grandissant, en accédant à des informations, et de leur amnésie traumatique dissociative
à une thérapie ou en étant confrontée à un et peuvent enfin avoir la capacité de réaliser
contexte sexuel, à une grossesse, ou à d'autres la gravité de ce qu'elles ont subi et de dénon-
violences. Alors, la mémoire traumatique cer les violences. Cette sortie d'état dissocia-
s'impose avec un tel cortège émotionnel que tif peut se produire plusieurs années après les
la gravité des violences et de leurs consé- violences, voire plusieurs dizaines d'années
quences apparaît soudain à la victime dans après, alors que les faits sont prescrits.
toute son horreur. La victime peut être De nombreuses situations sont donc sus-
ceptibles de déclencher cette mémoire trau-
« De nombreuses situations sont donc matique : une date, une heure de la jour-
gestes et ses mises en scène, de sa haine et de atteintes à leur estime de soi, ils sont en per-
son mépris, et de son excitation perverse. manence colonisés par les agresseurs.
Tout y est mélangé, sans identification, ni tri Cela explique également que, quand les
ni contrôle possible. Au moment des vio- enfants sont tout petits (avant 6-7 ans) et/ou
lences, cette indifférenciation empêchera la quand ils sont très dissociés, privés de leurs
victime de faire une séparation entre ce qui émotions et qu'ils n'ont pas encore de repré-
vient d'elle et de l'agresseur, elle pourra à la sentations suffisantes de ce qui est interdit, ils
fois ressentir une terreur, qui est la sienne, peuvent, lors d'un allumage de leur mémoire
associée à une excitation et une jouissance traumatique, rejouer les scènes de violences
perverses, qui sont celles de l'agresseur. De sexuelles, qui les envahissent, du côté vic-
même, il lui sera impossible de se défendre times comme du côté agresseur, et avoir des
des phrases mensongères et assassines comportements sexuels inappropriés en
de l'agresseur : « tu aimes ça », « c'est ce que public : se déshabiller, exposer leur sexe, se
tu veux », « c'est ce que tu mérites », elles masturber, se mettre des objets dans le sexe,
s'installeront telles quelles dans l'amygdale toucher le sexe d'adulte, se frotter, tenir
cérébrale. Après les violences, cette mémoire des propos hypersexualisés, injurieux, voire
traumatique y restera piégée. agresser sexuellement d'autres enfants. Ces
À titre d'exemple, un enfant, qui a subi troubles du comportement doivent immédia-
des violences avant d'apprendre à parler, tement alerter, ils signent un trauma sexuel.
pourra dix ans après, au moment où sa Il faut rappeler qu'un fœtus, un nouveau-
mémoire traumatique se manifestera, se né, un nourrisson traumatisé, un enfant non
retrouver dans l'incapacité de parler, il ne conscient des faits de violences car endormi,
pourra que pleurer ; de même, un enfant drogué, trop petit ou trop handicapé intellec-
ayant subi des violences sexuelles dans le tuellement pour comprendre, peut dévelop-
noir, au moment où sa mémoire traumatique per une mémoire traumatique, même s'il ne
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Soit l'enfant est dissocié et ne ressent plus et d'abandon, les enfants s'hyperadaptent à
cette mémoire traumatique s'il subit conti- leurs agresseurs et, pour cela, ils s'identifient
nuellement des violences, ou s'il reste en à eux, ils apprennent à percevoir et à antici-
contact avec l'agresseur et le contexte des per leurs moindres changements d'humeur.
violences. Soit l'enfant est sécurisé, par Ils deviennent de véritables scanners,
exemple à l'école ou bien plus tard quand il capables de décrypter et d'anticiper les
ne sera plus du tout en contact avec le sys- besoins de leurs bourreaux. Il est essentiel
tème agresseur, et il est alors envahi par sa que ceux-ci ne soient jamais contrariés, éner-
mémoire traumatique. Dans le contexte de vés ni frustrés, il faut donc les connaître par-
l'école : celle-ci peut s'exprimer par des faitement, être en permanence attentifs à ce
attaques de paniques, une grande détresse, qu'ils font, à ce qu'ils pensent. Ce phéno-
mais également par une violence dans ses mène peut donner l'impression aux enfants
propos et dans ses actes (quand il est envahi d'être très attachés à leurs bourreaux puisque
par la violence de l'agresseur). ces derniers prennent toute la place dans leur
tête (syndrome de Stockholm). Les enfants
peuvent croire que leurs agresseurs comptent
4– Les stratégies de survie plus que tout pour eux (c'est ce que leur rap-
mises en place par les enfants pelle sans cesse l'agresseur : « je suis tout pour
traumatisés toi, sans moi tu n'es rien… ») et penser que
ce qu'ils ressentent est un sentiment amou-
Quand les victimes sont abandonnées sans reux alors que c'est une réaction d'adaptation
protection, ni solidarité, ni soutien (ce qui à une situation de mise sous terreur ;
est le cas pour 83 % des victimes, enquête – un mécanisme neuro-biologique de pro-
IVSEA, 2015), elles sont condamnées à tection : mis en place par le cerveau face au
mettre en place des stratégies de survie han- stress extrême et à des situations intolérables,
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cuit émotionnel pour protéger les organes sortent de leur état dissociatif permanent,
vitaux que sont le cerveau et le cœur, et mais nous l'avons vu la mémoire traumatique
entraîne en permanence une dissociation prend le relais et ils continuent d'être colo-
traumatique chez les victimes. Les enfants nisés par les violences et l'agresseur aussitôt
sont alors déconnectés de leurs émotions, qu'un lien les leur rappelle (lieu, situation,
avec une anesthésie émotionnelle et un seuil sensation, émotion,…). Et c'est soudain
de douleur très augmenté. Ils se retrouvent insupportable et cela peut donner l'impres-
à fonctionner sur un mode automatique, sion de sombrer dans la folie, c'est souvent
comme robotisés, détachés d'eux-mêmes, vécu par les victimes comme pire que l'état
comme s'ils étaient spectateurs. Cela de dissociation antérieur et, si elles n'ont pas
entraîne une pseudo-tolérance à l'intolé- d'explications sur les mécanismes qui en sont
rable : « même pas mal ! ». Tant que dure la cause, elles peuvent être tentées de retour-
cette dissociation, la situation paraît irréelle ner voir l'agresseur ou de reprendre contact
et il est très difficile pour les enfants d'arriver avec le contexte violent (comme la famille
à identifier la gravité des violences qu'ils incestueuse, la prostitution ou les fréquenta-
subissent. De plus cette dissociation trauma- tions dangereuses). Les victimes traumatisées
tique fera que face aux agresseurs ou à toute doivent alors essayer d'éviter à tout prix cette
autre personne, les enfants paraîtront indiffé- mémoire traumatique hyper anxiogène et
rents à leur sort, inertes, puisqu'ils seront douloureuse ; pour cela deux stratégies sont
coupés de leurs émotions. Grâce à cette dis- possibles :
sociation, les agresseurs ne sont pas gênés par – L'enfant, pour éviter les déclenchements
des signaux de détresse trop importants de effrayants de sa mémoire traumatique, va
leurs victimes ; c'est très dangereux pour les mettre en place des conduites de contrôle et
enfants car les actes violents pourront deve- d'évitement vis‑à-vis de tout ce qui est sus-
nir de plus en plus extrêmes, sans qu'ils ceptible de la faire « exploser » (avec des
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en place et il adoptera des conduites d'hyper- siant et calmer ainsi l'état de tension into-
vigilance (avec une sensation de peur et de lérable ou prévenir sa survenue. Cette dis-
danger permanent, un état d'alerte, une jonction provoquée peut se faire de deux
hyperactivité, une irritabilité et des troubles façons, soit en provoquant un stress très
de l'attention). Ces conduites d'évitement et élevé, qui augmentera la quantité de drogues
d'hypervigilance sont épuisantes et envahis- dissociantes sécrétées par l'organisme, soit
santes, elles entraînent des troubles cognitifs en consommant des drogues dissociantes
(troubles de l'attention, de la concentration (alcool, stupéfiants).
et de la mémoire), qui ont souvent un impact Ces conduites à risques dissociantes sont
négatif sur la scolarité et les apprentissages. des conduites auto-agressives (se frapper, se
Mais les enfants traumatisés sont souvent mordre, se brûler, se scarifier, tenter de se
contrecarrés dans leurs conduites d'évite- suicider), des mises en danger (conduites
ment et de contrôle par un monde adulte, routières dangereuses, jeux dangereux, sports
qui ne comprend rien à ce qu'ils ressentent. extrêmes, conduites sexuelles à risques, situa-
Ils doivent s'autonomiser et s'exposer à ce tions prostitutionnelles, fugues, fréquenta-
qui leur fait le plus peur, comme être séparé tions dangereuses), des conduites addic-
d'un parent ou d'un adulte protecteur, dormir tives (consommation d'alcool, de drogues, de
seul dans le noir, être confronté à son agres- médicaments, troubles alimentaires, jeux
seur ou à quelqu'un qui lui ressemble, à des addictifs), des conduites délinquantes et vio-
situations nouvelles et inconnues, etc. lentes contre autrui (l'autre servant alors de
Quand un enfant n'est pas sécurisé et n'a fusible grâce à l'imposition d'un rapport de
pas la possibilité de mettre en place des force pour disjoncter et s'anesthésier).
conduites d'évitement efficaces, sa mémoire Les conduites à risques sont donc des mises
traumatique va exploser fréquemment, ce qui en danger délibérées. Elles consistent en une
le plonge à chaque fois dans une grande recherche active, voire compulsive, de situa-
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toujours plus nécessaires, créant une véri- peut, à l'adolescence et à l'âge adulte, osciller
table addiction aux mises en danger et/ou à entre :
la violence. Ces conduites dissociantes sont – une impossibilité ou une très grande dif-
incompréhensibles et paraissent paradoxales ficulté d'avoir une vie sexuelle avec une per-
à tout le monde (à la victime, à ses proches, sonne qu'elle aime, la plupart des gestes et les
aux professionnels). Elles sont chez les vic- fonctions sensorielles (tactiles, olfactives)
times à l'origine de sentiments de culpabilité d'un acte sexuel entraînant des réminis-
et d'une grande solitude, qui les rendent cences traumatiques les rendant insuppor-
encore plus vulnérables. Elles peuvent entraî- tables ou très angoissants, générant des
ner un état dissociatif permanent comme lors sensations de rejet et de dégoût impossibles à
des violences avec la mise en place d'un déta- surmonter, des douleurs intolérables (dou-
chement et d'une indifférence apparente qui leurs pelviennes, dyspareunies, vaginismes,
les mettent en danger d'être encore moins cystites, douleurs lombaires, mais également
secourues et d'être ignorées et maltraitées. en cas de violences sexuelles, celles concer-
nant la sphère buccale, des contractures très
Ces conduites à risque dissociantes servent
douloureuses de la mâchoire, des nausées
à provoquer « à tout prix » une disjonction
incoercitives, des vomissements), à tel point
pour éteindre de force la réponse émotion-
qu'un rapport sexuel ne sera possible qu'en
nelle en l'anesthésiant. Il faut comprendre
étant dissocié (drogué, alcoolisé ou après
qu'un enfant traumatisé trouvera préférable
s'être stressé par des images mentales vio-
de se scarifier ou de se mettre en danger pour
lentes) ; elle peut également éviter tout exa-
s'anesthésier, plutôt que de revivre les vio-
men gynécologique, anal, stomatologique ou
lences extrêmes qu'il a subies. Ce comporte-
dentaire ;
ment paraît incompréhensible, mais il est au
– et, lors de situations de grand mal-être,
contraire très logique. Il est d'ailleurs très des conduites à risques sexuelles, avec des
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pas elles-mêmes, d'avoir un faux-self, comme ciation a mis en ligne « Pourquoi vous n'avez
dans une mise en scène permanente. L'anes- pas pu en parler », les réponses sont par ordre
thésie émotionnelle les oblige à « jouer » des de fréquence (sur plus de 1 200 réponses) :
émotions dans les relations avec les autres, – la difficulté à mettre des mots sur ce qui
avec le risque de n'être pas tout en fait en s'est passé et à l'identifier,
phase, de sur ou sous-jouer. – le sentiment de culpabilité (« je pensais
que c'était de ma faute »),
– la peur de ne pas être cru (ou crue),
Sortir du déni, protéger – l'impossibilité d'en parler du fait de la
et soigner les enfants victimes souffrance que cela réactive,
de violences : une urgence – la peur des menaces de l'agresseur,
de santé publique – l'amnésie traumatique et la dissociation,
– la peur des réactions de l'interlocuteur.
Par ailleurs, il est évident que c'est bien Il faut aider les victimes à parler ; pour cela
parce que les enfants n'ont pas été protégés, il faut communiquer sur la réalité des vio-
ni reconnus (pour rappel, 83 % d'entre eux lences sexuelles et sur leurs conséquences, les
selon notre enquête), ont été abandonnés informer sur la loi, les droits des personnes, il
sans soins appropriés qu'ils doivent composer faut, et c'est essentiel, leur poser des ques-
avec une mémoire traumatique redoutable tions. Et quand elles arrivent à parler, il faut
les écouter, les croire, reconnaître les vio-
« Et quand elles arrivent à parler, il faut lences sexuelles subies et les traumas qu'elles
intellectuels ou des troubles d'allure autis- tôme, tout cauchemar, tout comportement,
tique, ce qu'elles ne sont pas bien sûr. Tous qui n'est pas reconnu comme cohérent avec
ces troubles sont régressifs dès qu'une prise en ce que l'on est fondamentalement, toute
charge de qualité permet de traiter la pensée, réaction, sensation incongrue doit
mémoire traumatique. être disséquée pour la relier à son origine,
La méconnaissance de tous ces méca- pour l'éclairer par des liens qui permettent
nismes psychotraumatiques et l'absence de de la mettre en perspective avec les vio-
soins participent à l'abandon où sont lais- lences subies. Par exemple une odeur qui
sées les victimes, à la non-reconnaissance de donne un malaise et une envie de vomir se
ce qu'elles ont subi, et à leur culpabilisation. rapporte à une odeur de l'agresseur ; une
Les victimes, condamnées à organiser seules douleur qui fait paniquer se rapporte à une
leur protection et leur survie, sont considé- douleur ressentie lors de l'agression ; un
rées comme responsables de leurs propres bruit qui paraît intolérable et angoissant est
malheurs. un bruit entendu lors des violences (comme
un bruit de pluie s'il pleuvait) ; une heure de
la journée peut être systématiquement
Des soins essentiels angoissante ou peut entraîner une prise
d'alcool ; des conduites boulimiques ; des
Les soins sont essentiels, la mémoire raptus suicidaires ; des auto-mutilations, s'il
traumatique doit être traitée. Il s'agit de s'agit de l'heure de l'agression ; une sensation
faire des liens, de comprendre, de sortir d'irritation, de chatouillement ou d'échauf-
de la sidération en démontant le système fement au niveau des organes génitaux
agresseur et en remettant le monde à survenant de façon totalement inadaptée
l'endroit, de, petit à petit, désamorcer la dans certaines situations, peut se rapporter
mémoire traumatique, de l'intégrer en aux attouchements subis ; des « fantasmes
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qui auront de graves conséquences sur leur lences. La prévention des violences passe
vie future, leur santé, leurs scolarisation et avant tout par la protection et le soin des
socialisation, et sur le risque de perpétua- victimes. Parce qu'elles ne seront plus
tion des violences. Et il est nécessaire de condamnées au silence, ni abandonnées
sensibiliser et de former tous les profession- sans protection et sans soins, ces enfants
nels de l'enfance, des secteurs médico- victimes pourront sortir de cet enfer où les
sociaux, associatifs et judiciaires sur les condamne la mémoire traumatique des vio-
conséquences psychotraumatiques des vio- lences sexuelles subies.
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