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Le médecin de campagne, ou l'ambiguïté des symboles

François Tonnellier
Dans Les Tribunes de la santé 2009/2 (n° 23), pages 57 à 63
Éditions Presses de Sciences Po
ISSN 1765-8888
DOI 10.3917/seve.023.0057
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dos s ier

Littérature et santé
Le médecin de campagne,
ou l’ambiguïté des symboles
François Tonnellier

Le médecin de campagne est le personnage


fondateur d’un genre littéraire créé au début
du XIXe : le roman médical. Le héros, médecin
exemplaire, illustre les valeurs fondatrices de
la société en exerçant dans une campagne
paisible, loin des bruits et de l’agitation des villes.
Mais ces symboles sont ambigus : à côté de
romans célébrant la victoire de la science et du
progrès, d’autres romanciers donnent une vision
plus réaliste, loin de la société du spectacle. À
côté d’un paysage idéalisé apparaît un paysage
bouleversé par la maladie, la souffrance, le
désarroi des soignés comme des soignants.

Le médecin de campagne est le personnage fondateur d’un genre littéraire


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créé au début du XIXe siècle : le roman médical. Ce genre sera appelé à un bel
avenir qui se poursuit aujourd’hui dans les séries télévisées. Balzac n’oublie
pas le « M » majuscule dans le titre du roman Le Médecin de campagne pour
souligner l’importance du rôle.
Le médecin de campagne, avec une vision traditionnelle de la médecine,
évoque des valeurs fondatrices de la société : le bon médecin, humaniste,
héroïque, qui exerce dans une campagne paisible, fertile, loin des bruits et de
l’agitation des villes. Le paysage est celui de L’Angelus de Millet, et le « doc-
teur » y joue un rôle équivalent au prêtre. L’industrie, la lutte des classes sont
laissées aux villes, et à la plus dangereuse de toutes : Paris.
Le « médecin de campagne » est un personnage important de la société du
1. Feuerbach, cité
par Guy Debord en spectacle : le roman médical donne une vue édifiante de la médecine et de la
exergue de La Société
du spectacle, Galli-
société. « Et sans doute notre temps […] préfère l’image à la chose, la copie à
mard, Paris, 1967. l’original, la représentation à la réalité, l’apparence à l’être... »1
Mais ces symboles sont ambigus : à côté de romans qui célèbrent la vic-
toire de la science conduite par une bourgeoisie éclairée, d’autres romanciers

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emploieront la satire et l’ironie pour donner une vision qui n’est plus l’éloge
des notables. L’ambivalence est d’ailleurs présente dès l’origine dans la my-
thologie grecque : Hermès, dieu des marchands, des messagers, mais aussi
de la santé était également le dieu… des voleurs. Et Esculape (Asclépios),
dieu de la médecine, avait deux filles : Hygie (origine du mot « hygiène ») et
Panacée. Dans le serment d’Hippocrate au IVe siècle avant J.-C., l’aspirant
médecin prêtait serment « par Apollon médecin, par Hygie, par Panacée ».

La campagne idéale pour l’ascension

de la bourgeoisie

La France a été marquée durant toute son histoire par une « économie
2. Braudel F., L’Iden- agricole »2 et l’importance des pâturages et labourages. Le médecin de cam-
tité de la France,
Arthaud/ Flamma-
pagne donne cette image de la société proche de la nature nourricière : « La
rion, Paris, 1986. terre, elle, ne ment pas… » Dans le roman « médical », une campagne idéa-
lisée s’oppose à un monde urbain vorace, menteur, corrompu. Les notions
de ville et campagne ont toujours été porteuses de valeurs à la fois négatives
et positives. Des valeurs positives avec la ville lumière, la cité radieuse mais
négatives comme bidonville, ville dortoir, cité d’urgence. Symétriquement,
les espaces ruraux représentent l’écologie, la vie naturelle ou au contraire le
manque de modernité et de culture.
Mona Ozouf dans Les Aveux du roman3 a montré que la littérature du XIXe
3. Ozouf M., Les
Aveux du roman, siècle traduisait le passage entre l’Ancien Régime et un nouveau monde
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le XIXe siècle entre d’après la Révolution. Avec la bourgeoisie, le médecin prend place entre
Ancien Régime et
Révolution, Fayard, l’aristocrate et le prolétaire et représente l’archétype de la « modernité » :
Paris, 2001.
progrès scientifique, positivisme, justes récompenses du mérite. Le médecin
4. Léonard J., La devient donc un personnage central des romans en France. L’essor de la mé-
vie quotidienne du
médecin de province decine au XIXe siècle, « c’est aussi le développement d’une classe moyenne
au XIXe siècle, Ha- plus prospère et plus instruite qui célèbre et soutient l’ascension de valeurs
chette, Paris, 1977.
nouvelles »4. C’est dans ce mouvement que s’inscrit le roman médical.
Après avoir abordé les principaux thèmes du roman de Balzac, nous exami-
nerons d’autres romans qui ont une vision beaucoup moins idéaliste.

Avec Balzac, le Napoléon de la vallée

Balzac publie Le Médecin de campagne en 1833. L’action se déroule en


1829 : un ancien commandant de la Grande Armée se rend dans un canton
du Dauphiné pour venir consulter le docteur Benassis, médecin du village.
Dans la première partie (« Le Pays et l’Homme »), le lecteur découvre avec
le visiteur les réformes accomplies par le médecin (amélioration du confort
des habitations, suppression des habitats insalubres, progrès économique par

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l’implantation d’une activité semi-industrielle, désenclavement de la com-
mune par le commerce). La seconde partie (« À travers champs ») décrit une
tournée à travers le canton, occasion d’admirer l’œuvre exemplaire accom-
plie dans tous les domaines. Dans ce livre apparaissent tous les thèmes qui
feront le succès du « roman médical ».

Un paysage grandiose pour un héros providentiel

L’ouvrage débute par une leçon de géographie. Décor d’une action qui va
bouleverser l’économie locale, le paysage décrit par Balzac est aussi excep-
tionnel que l’épopée racontée. Dès les premières pages, l’auteur nous pré-
vient que le paysage a une valeur exemplaire, et ne concerne pas simplement
une particularité locale (« C’était un beau pays, c’était la France »). Très
fréquemment, le paysage est associé à des adjectifs qui en soulignent le côté
remarquable (majestueux, délicieux, grand) avec parfois « un pouvoir surhu-
main qui se montre à chaque pas ». De nombreuses descriptions soulignent
aussi la splendeur du décor (ainsi une galerie de verdure est comparée aux
« voûtes d’une cathédrale »).
Le paysage, arrière-plan ou décor du roman, a une signification symbolique.
Lieu de l’action, mais aussi témoignage de l’action humaine (ou au contraire
preuve de l’impuissance à changer le monde), le paysage n’est pas seulement
un décor neutre et interchangeable, le romancier le construit, l’utilise pour
conforter une thèse et mettre en correspondance la situation romanesque
5. Gesler W.M., The
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Cultural Geography avec son cadre : « Les idées humaines et la vie en société créent les paysages
of Health Care, Uni- et les lieux et vice-versa […]. Les paysages sont des manifestations de systè-
versity of Pittsburgh
Press, 1991. mes symboliques »5.
D’autres formulations montrent l’accord entre le paysage et le mode de vie
(« l’harmonie entre la maison et la nature »). L’accord entre les habitants et
le paysage est d’abord mis en valeur pour souligner l’action du médecin qui
conduira ensuite à l’accord avec la culture. Le paysage a un rôle symbolique :
il représente une nature grandiose, mais nullement hostile ou réfractaire,
que l’action civilisatrice du médecin de campagne pourra façonner sans en
détruire le caractère.
Lieu et décor d’une entreprise utopique, le paysage de Balzac n’en présente
pas moins quelques invraisemblances. Dans une préface au roman (1974),
Emmanuel Le Roy Ladurie remarque que la montagne de Chartreuse est « un
décor de semi-fiction », avec « l’ardoise distinguée de l’Anjou, la tuile du
6. Balzac H. de, Le
Médecin de campagne, Midi, la chaume d’un peu partout » et que la neige ne semble pas exister en
Préface de E. Le Roy Dauphiné…6
Ladurie, Gallimard,
Paris, 1974. Pour le héros de Balzac, le progrès et le développement économique (com-

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me nous le dirions aujourd’hui) sont la clef des progrès sanitaires (« Le travail


a produit l’argent, et l’argent en donnant la tranquillité a rendu la santé,
l’abondance et la joie ») et le bon médecin se préoccupe d’abord de civiliser
le bourg des Alpes où il est installé (« Je guérissais mes paysans de leurs mala-
dies, si faciles à guérir, il ne s’agit jamais en effet que de leur rendre des forces
par une nourriture substantielle […] leurs maladies ne viennent que de leur
indigence »).
Le héros de Balzac affirme clairement son rôle d’aménageur : « Je résolus
d’élever ce pays comme un précepteur élève son enfant ». Ce rôle civilisa-
teur est celui assigné aux institutions : le prêtre, l’homme de loi, le médecin
(« Ces trois professions m’ont semblé les plus grands leviers de la civilisa-
tion »). Ce village peu développé sera le lieu d’un miracle économique et
même démographique puisque la population y sera multipliée par trois en
quelques années. On voit ici le rôle assigné aux nouvelles élites : moderniser
l’activité comme le paysage. Les idées nouvelles serviront de révélateur dans
« ce canton que la nature faisait si riche et que l’homme rendait si pauvre ».
Le rôle de civilisateur est mis en parallèle avec celui de Napoléon. Le mé-
decin affirme d’ailleurs : « Au maire de village et au conquérant, mêmes
principes : la Nation et la Commune sont un même troupeau ». Et après la
mort du héros, quelqu’un s’exclame : « C’est, sauf les batailles, le Napoléon
de notre vallée ».
Le modèle de développement proposé par le médecin (et Balzac) est fondé
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sur les technologies douces et ignore l’industrie lourde. À ce propos, Le Roy
Ladurie remarque : « Ce manuel est utile, aujourd’hui encore, aux spécia-
listes de la croissance, déçus par le gigantisme et le grandiose. Pragmatique,
modeste, Le Médecin de campagne n’aurait pas son pareil pour déniaiser nos
technocrates. À supposer qu’ils le lisent. »6 On peut aussi ajouter que dans
cette vision utopique de Balzac, l’argent sert à financer l’économie…

« Le Médecin de campagne » et la maladie

7. Laplantine F., Dans une étude sur la littérature et la maladie, Laplantine7 distingue trois
Anthropologie de la
maladie, Bibliothè-
types de romans : celui qui considère la maladie à travers les yeux d’un mé-
que scientifique decin, celui où le personnage principal est confronté à la maladie par l’in-
Payot, Paris, 1986.
termédiaire d’une autre personne, et enfin celui où le narrateur (ou le héros
du roman) fait lui-même l’expérience de la maladie. Le roman médical ap-
partient au premier type, alors que le dernier type (le malade écrivain) est
apparu dans la deuxième partie du XXe siècle.
Car le roman médical, même quand le héros est médecin, parle peu de la
maladie... Dans Le Médecin de campagne, les mots « santé » ou « maladie »

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apparaissent fréquemment associés à des réflexions philosophiques ou mora-
les, mais il y a peu de reflets de la morbidité de l’époque. Il n’est fait aucune
mention des crises de mortalité qui arrivaient périodiquement (comme le
choléra), de la mortalité infantile (à l’époque où se situe le roman, elle était
de l’ordre de 20%). D’ailleurs, ces crises sanitaires apparaissent peu dans la
littérature de l’époque.
La médecine prônée par le docteur de Balzac est dans la droite ligne d’Hip-
8. Hippocrate, « Des pocrate avec « des airs, des eaux, des lieux »8. Le médecin a par exemple
airs, des eaux et des
lieux », traduction soigneusement vérifié l’effet des « vicissitudes de l’atmosphère, avec les va-
E. Littré, Baillière, riations de la lune » sur la constitution nerveuse d’une patiente. Plusieurs
Paris.
fois sont soulignées les vertus de la vie au contact de la nature : « La pureté
de l’air entre pour beaucoup dans l’innocence des mœurs ». Cette vision est
donc très moraliste.

Le monde rural contre Paris


Dans le roman de Balzac, avec la vision idéale de la prospérité d’un vil-
lage, c’est aussi l’opposition du monde rural à Paris qui apparaît. Les formu-
lations reprennent le thème de la capitale corruptrice contre la campagne
vertueuse (« Cette grande ville paraît avoir pris à tâche de n’encourager que
les vices »). Cette thématique est courante dans les romans du XIXe siècle :
9. Tonnellier F., Cur-
tis S., « Medicine,
Stendhal, dans la Vie de Henry Brulard (1836, publié en 1890), décrit Paris
Landscapes, Sym- comme une « nouvelle Babylone ». Ceci reprend une lutte éternelle entre la
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bols: The country
Doctor by Honoré province et la capitale dans un pays très centralisé (« Paris et le désert fran-
de Balzac », Health çais »), à laquelle s’ajoute une vision médicale : la campagne est un « paysage
& Place, 11, 2005,
Elsevier. thérapeutique » qui soigne par sa nature même9.

De Flaubert à Maupassant, la critique de la vision

idéaliste

Le médecin de campagne n’est pas le seul médecin de la Comédie humaine.


Dans Le Cousin Pons, le docteur Poulain, médecin sans grande clientèle, se
rend complice de la captation d’un héritage (le roman se déroule évidem-
ment à Paris…). Un autre personnage est Horace Bianchon, présent dans
plusieurs romans, notamment dans Le Père Goriot où, encore étudiant, il af-
firme que « les médecins qui ont exercé ne voient que la maladie ; moi je
10. Balzac H. de, Le vois encore le malade » (1835, réflexion qui reste pertinente aujourd’hui)10.
Père Goriot, Pocket
Classique, Paris,
Preuve de l’importance de ce personnage de fiction pour le romancier, c’est
1989. lui que Balzac, dans un semi-coma, appellera à son chevet à la veille de sa
mort.
Le médecin est présent dans d’autres romans du XIXe siècle. Dans Madame

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11. Flaubert G., Bovary (1856), on est loin des spectacles grandioses du médecin de campa-
Madame Bovary,
Pocket Classique, gne11. Une recherche systématique montre que le mot « paysage » est associé
Paris, 1990.
à « sans caractère », le mot « campagne » à « ennuyeuse » ou « monotone » ;
quant au pays, Emma rêve « de l’immense pays des félicités et des passions ».
La description de la tournée du médecin, promenade bucolique chez Balzac,
y est beaucoup plus réaliste, avec cette phrase qui résume l’intrigue : « Elle
voulait tout à la fois mourir et habiter Paris. Charles, à la neige à la pluie,
chevauchait par les chemins de traverse. » Pour Balzac, la neige est rare dans
le Dauphiné, et pour Flaubert fréquente durant la tournée du médecin…
Dans une certaine mesure, l’histoire de Charles Bovary (la désillusion de
l’ambition bourgeoise) est le négatif de celle du Médecin de campagne.
Il y a d’étonnantes similitudes à un siècle et demi d’intervalle entre la
pensée administrative et l’officier de santé de 1856 : ainsi, quand Charles
Bovary cherche un nouveau lieu d’installation : « … il écrivit au pharmacien
de l’endroit pour savoir quel était le chiffre de la population, la distance où
se trouvait le confrère le plus voisin, combien par année gagnait son prédé-
cesseur, etc. ». Les critères énoncés sont très proches de ceux édictés pour les
zones éligibles à l’installation de nouveaux médecins… en 2003.
Au cours du temps, les symboles du roman médical perdent leur ambiva-
lence. Le médecin devient révélateur de la société, en montrant une autre
réalité : la maladie. Pour paraphraser une formule célèbre, Balzac décrit les
médecins tels qu’ils devraient être, et Proust, Céline et Soljénitsyne tels
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qu’ils sont.
12. Maupassant Mont-Oriol (1886) de Guy de Maupassant raconte la création et le déve-
G. de, Mont-Oriol,
Pocket Classique,
loppement d’une ville de cure dans le Massif Central12. Les vertus médica-
Paris, 1998. les de l’eau sont entièrement inventées par des promoteurs et des médecins
13. Zola E., Le soutenus par de « grands professeurs parisiens ». Ce roman décrit un paysage
Docteur Pascal, Folio bouleversé par la recherche du profit et par l’affairisme médical.
Classique, Paris,
1993. Le héros du Docteur Pascal (1893), d’Émile Zola13, est plus proche de la no-
tion contemporaine de l’evidence-based medicine : le héros avec ses recherches
et son souci d’expérimentations est un savant « qui fait la part du milieu, des
circonstances, de l’hérédité ». Bonne formulation pour ce que nous appelons
aujourd’hui, en copiant l’anglais, les déterminants de la santé.
Dans les romans français, la transition du rôle du médecin dans la société
est progressive, depuis le conquérant du Médecin de campagne jusqu’à l’appro-
che scientifique pasteurienne illustrée par Le Docteur Pascal de Zola. Flaubert
et Maupassant contestent la vision du médecin bienfaiteur, l’un critiquant le
jargon scientifique et les idées reçues de la médecine, l’autre décrivant sans
complaisance un monde médical uniquement guidé par le capitalisme. Ils

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critiquent aussi les nouvelles élites et l’aristocratie qui succèdent à la nobles-
se d’Ancien Régime. Le personnage du docteur Cottard chez Marcel Proust
illustre aussi cette ambition de reconnaissance sociale et de respectabilité
auprès du grand monde.
Avec Céline, la banlieue de Paris apparaît dans Voyage au bout de la nuit
14. Céline L.-F., (1934)14. Le héros est un médecin pauvre dans une banlieue pauvre, ni hé-
Voyage au bout de
la nuit, Folio, Paris, ros, ni surhomme. Ce roman donne une version très sombre de la banlieue
1972.
soulignée par une topographie symbolique (boulevard de la Révolte, rue Ma-
gnanime).
Au XXe siècle, deux œuvres majeures marqueront dans la littérature mon-
diale le bouleversement apporté par la maladie, l’incertitude des traitements
médicaux et le rôle des soignants dans des contextes particuliers. La Monta-
gne magique (1924) de Thomas Mann décrit un sanatorium isolé dans les Al-
pes au début du siècle dans l’attente de guérisons et de traitements salvateurs,
avant que la conflagration de la Première Guerre mondiale ne détruise com-
15. Mann T., La
Montagne magique,
plètement ce monde clos15. Le Pavillon des cancéreux (1968) de Soljénitsyne
Arthème Fayard, montre un hôpital en URSS où se croisent membres de la nomenklatura,
Paris, 1931.
habitants de la ville voisine, déportés ou anciens déportés, au début de la
16. Soljénitsyne
A., Le Pavillon des
déstalinisation16. Dans ce roman à la structure classique, on trouve l’unité
cancéreux, Julliard, de temps, l’unité de lieu, et l’unité d’action : le cancer. Car ce que montre
Paris, 1968.
simplement Soljénitsyne, c’est que contrairement à l’impérialisme, le cancer
n’est pas un tigre de papier… La médecine et la maladie sont alors des révé-
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lateurs de la société, loin de la société du spectacle.
Le médecin de campagne traduit l’ambiguïté des symboles : à côté d’un
paysage ordonné par un notable existe un paysage bouleversé par la mala-
die, la souffrance, le désarroi des soignés comme des soignants. Au cours du
temps, le roman médical a d’abord parlé des médecins, puis des maladies et
enfin des malades. Car il est plus facile de parler de la santé dans l’abstrait, ou
l’imaginaire. Au XXe siècle, le roman est passé progressivement du spectacle
de la société médicale à la réalité des malades : la douleur, et la perspective
de la mort.

contact
fr.tonnellier@club-internet.fr

François Tonnellier est directeur de recherche honoraire à l’Irdes où il


a travaillé dans le domaine des inégalités géographiques. Il a publié avec
Emmanuel Vigneron La géographie de la santé en France (PUF, Que sais-
je ?, 1999) et collaboré à plusieurs ouvrages dont le Dictionnaire de la
pensée médicale (PUF, 2004), et Santé et Territoire (sous la direction de
Jean de Kervasdoué et Henri Picheral, Dunod, 2004).

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