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Dernier roman d’Akli Tadjer : «D’amour et de Guerre», lignes de front et

de mémoire
Par REPORTERS - 22 July 2021

La liste des auteurs qui se sont penchés sur l’engagement des soldats coloniaux dans les
conflits de l’empire français est longue. Elle demeure même ouverte, puisque s’y invite
cette fois-ci l’écrivain franco-algérien Akli Tadjer, avec la publication toute récente chez
Casbah Editions de son dernier roman «D’amour et de Guerre».

Par Nordine Azzouz


Les soldats coloniaux dans les deux Grandes guerres mondiales du XXe siècle sont
fréquemment abordés durant ces dernières années. On les retrouve comme figures aussi
bien au cinéma, en littérature qu’au théâtre et dans la bande dessinée. Leur popularité
n’a pas de lieu d’expression ni de frontières spécifiques et s’observe dans le champ
francophone aussi bien en France que dans les divers pays anciennement colonisés, dont
de nombreux auteurs publient et créent par ailleurs sur la scène culturelle française. Elle
est significative d’une audience indicatrice du grand retour de mémoire qu’on remarque
depuis le tournant des années 2000 sur le «maelstrom colonial», terme qu’on empreinte
ici à l’historien français Nicolas Bancel, pour rappeler au moins que la séquence de
domination coloniale, plusieurs décennies après sa fin, est devenue par un effet
boomerang un champ ouvert aux polémiques médiatiques, politiques et même
législatives les plus virulentes, tout en restant partie du domaine ancien et fécond de la
recherche académique et matière à la création artistique.
Au cinéma, on a bien sûr en tête l’inévitable «Indigènes», long métrage de Rachid
Bouchareb (2006), sur les Maghrébins de l’armée française en Italie en 1943. Dans le
roman, on se souvient du récit d’Aziz Chouaki sur les combattants de la Grande guerre
de 14-18, «Les coloniaux» sorti en 2009. Pour la Seconde guerre mondiale, on a en
mémoire «Le terroriste noir» de Tierno Monémbo (2012), mais la liste des auteurs qui se
sont penchés sur l’engagement des coloniaux dans les conflits de l’empire français est
longue. Elle demeure même ouverte, puisque s’y invite cette fois-ci l’écrivain franco-
algérien Akli Tadjer, avec la publication toute récente chez Casbah Editions de son
dernier roman «D’amour et de Guerre». Il y raconte l’histoire d’Adam, 20 ans, fils d’un
ancien de la Première guerre mondiale, un vieux soldat traité comme quantité
négligeable avant de mourir de la gangrène. Ce jeune homme, qui aime son village
kabyle de Bousoulem et adore sa promise Zina, subit un double arrachement : on
l’enrôle de force dans la guerre de 1939-45 et on lui vole sa bien-aimée à la suite d’un
rapt qui la destinera, après une fuite ratée à deux, à un mariage forcé dont il ne saura
rien jusqu’à son retour du front.

Interrogation sur la condition humaine du colonisé


Son livre d’une belle écriture, qui emprunte à la fois à la «fictionnalisation» de l’histoire,
au conte traditionnel comme à la correspondance, est une interrogation romancée sur
l’histoire et sur la condition humaine du colonisé, ce «pas grand-chose» comme il est
nommé. Il est d’époque, pourrions-nous dire par rapport au contexte éditorial dans
lequel il est écrit et publié, mais ce n’est ni une fiction mimétique sur le tirailleur
indigène méprisé, mais conscient de sa situation et de sa position dans le système de
domination qu’il verra s’effondrer militairement sous la botte allemande et faillir
moralement dans les lâchetés et les combines du Paris occupé. Ce n’est en tout cas pas
une fiction qu’Akli Tadjer aurait créée pour la circonstance ou par vice éditorial de
profiter de la mode mémorielle du soldat colonial. Entre cet écrivain et l’histoire, les
affinités sont anciennes et c’est dans sa nature que de s’enfoncer dans les lignes du
passé et de l’interroger à partir de ce «lieu-monde», si parlant et si fécond quand il s’agit
de croiser l’histoire et les mémoires, qu’est le foyer migratoire dont il est issu en tant
que descendants d’immigrés en région parisienne. S’en rendent compte ceux qui ont
déjà lu «Le porteur de cartable» (2001) ou «La meilleure façon d’aimer» (2011), deux
beaux textes mettant en scène le fait colonial français, la guerre d’indépendance, et
même les évènements tragiques de la décennie rouge (1990-2000).

L’histoire comme fil textuel


Ces deux romans apparaissent comme une suite avant l’heure du roman «D’amour et de
Guerre». Adam, prénom qu’on retrouve comme celui de Zina dans une fiction de 2008,
«Il était une fois peut-être pas», comme indices de résonances ou comme fil d’Ariane
entre les différentes pièces de l’œuvre tadjerienne, est un homme au destin non tranché
et suspendu à l’enfilure que veut bien en faire le lecteur, selon qu’il soit d’ici ou d’ailleurs
(le roman est édité en France par les éditions les Escales). A la fin du roman, on ne sait
pas, en effet, s’il parviendra à retrouver Zina et à la libérer de l’époux imposé ; on ne
sait pas non plus ce qu’il fera de son existence, mais on sait au moins qu’il est en colère
et que sa rage contre le système colonial préfigure, d’ici, la perspective toute proche de
mai 1945 avant celle novembre 1954. De tout cela rien n’est, bien sûr, dit dans un récit
dont la seule logique narrative est de raconter le parcours d’un homme pris dans la
tourmente de l’histoire. Tout y est toutefois suggéré, semble-t-il, à travers son conflit
sourd et permanent avec les représentants de l’autorité coloniale. Sa recherche effrénée
de Zina, jamais rompue à travers les lectures qu’il lui a sans cesse écrites, pourrait
même être une métaphore de la terre perdue et qu’il désire à nouveau conquérir. Mais ce
n’est là qu’une hypothèse de lecture face à ce qui semble plus sûr : l’histoire personnelle
de l’écrivain, un des noms phares de la littérature «beure» et la nécessité pour lui de
témoigner, à partir du lieu où il écrit et s’exprime le plus souvent, sur ceux qui se sont
sacrifiés dans les guerres coloniales après la douleur qu’il pourrait avoir ressenti en
2018. Cette année-là, des lycéens de Picardie avaient refusé de lire «Le porteur de
cartable», alors qu’il était inscrit au programme du baccalauréat, au prétexte que ce
n’était pas un roman français. Akli Tadjer a dû se déplacer pour aller à la rencontre de
ces élèves de terminales pour qu’ils sachent «qu’il y a des Mohamed et des Messaoud qui
sont morts pour la France et que leur comportement inacceptable revient à cracher sur
leur tombe», avait-il dit dans une déclaration aux médias. Adam pourrait refaire la
guerre pour ça.
D’amour et de Guerre, Akli Tadjer, Casbah Editions, Alger 2021.
Prix : 1200 DA

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