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Mustapha Harzoune
Édition électronique
URL : https://journals.openedition.org/hommesmigrations/13463
DOI : 10.4000/hommesmigrations.13463
ISSN : 2262-3353
Éditeur
Musée national de l'histoire de l'immigration
Édition imprimée
Date de publication : 1 octobre 2021
Pagination : 213-214
ISBN : 978-2-919040-59-9
ISSN : 1142-852X
Référence électronique
Mustapha Harzoune, « Mohamed Mbougar Sarr, La plus secrète mémoire des hommes », Hommes &
migrations [En ligne], 1335 | 2021, mis en ligne le 01 octobre 2021, consulté le 28 février 2022. URL :
http://journals.openedition.org/hommesmigrations/13463 ; DOI : https://doi.org/10.4000/
hommesmigrations.13463
« Rimbaud nègre » pour louer son la même et belle Mossane, la circonstances et des thèmes avec
talent ! Elimane devient un rivalité gémellaire symbolise aussi au centre la question du sens de la
phénomène… de foire, des colonies, les conflits politiques en cours et à littérature dans l’Histoire et chez les
d’Afrique, un singe savant, un venir. Tandis qu’Assane est envoyé à hommes ; « Nous ne pensions pas
sauvage mal dégrossi, l’exotique de l’école des Blancs, « vers le monde du tout qu’elle sauverait le monde ;
bon aloi, un prétexte, un motif, une extérieur », Ousseynou lui, est nous pensions en revanche qu’elle
cause, une cible, une justification… chargé de protéger la tradition. était le seul moyen de ne pas s’en
tout sauf un écrivain et son écriture. Assane, le « petit Noir blanc » sauver. » Et il y a ces questions
Pour l’intéressé, personne n’a pris le partira à la guerre de 1914, pour annexes, conjoncturelles,
temps de lire son roman. Ce qui est défendre « la mère patrie », historiques et politiques :
un « pêché » ! Lui, qui aspirait à la Ousseynou restera au village : il y l’imprimatur de Paris, du centre,
qualité d’écrivain, se voit ravalé au recueille Mossane devenue l’épouse donné à telle œuvre ou écrivain des
statut de « phénomène d’Assane et élève, comme oncle, marges ; les commentaires qui ne
médiatique ». Dès lors, il s’enferme Elimane, le fils d’Assane et de valent pas lectures, le « Ghetto »
dans le silence, refuse de se Mossane, né en 1915. Assane ne littéraire de la diaspora, les
justifier, devient introuvable. Ainsi reviendra pas du front. Ousseynou « négreries » de l’exotisme
commence la légende Elimane ; le prendra soin de la mère et de complaisant des anciens, les pièges
mystère Elimane et son livre, sur l’enfant jusqu’à la mort de l’une et… de l’universalisme – « Arrachez les
lequel viendront buter la journaliste le départ de l’autre. « Les Blancs derniers lambeaux de l’ère coloniale
Brigitte Bollème, ses éditeurs et sont arrivés, et certains de nos plus et n’attendez rien ! Au feu toutes ces
amis, Thérèse Jacob et Charles valeureux fils sont devenus fous. vieilleries ! À la braise, à la cendre, à
Ellenstein et deux générations Fous à lier. Fous d’amour pour eux, la mort ! Écrivez au pétrole ! » –,
d’écrivains noirs. Il y a d’abord le leurs maîtres. Assane et Elimane « l’incontinence littéraire » de
narrateur et déjà « prometteur » font partie de ces fous. » L’école, l’époque, les équivoques du statut
Diégane Latyr Faye. Siga D., la « c’était une brèche qui s’ouvrait des écrivains africains dans le
soixantaine, « l’ange noir de la dans notre monde, et on ne savait champ littéraire français, chantres
littérature sénégalaise » dont pas encore ce qui pourrait entrer de l’« ambiguïté culturelle »,
chacun des livres provoque un par-là, ni ce qui pouvait en sortir. » « bâtards civilisationnels » ou
scandale. Elle est la cousine Une chose semble sûre : « L’épine témoins aliénés de la destruction
d’Elimane. Musimbwa est un est dans sa chair et il est impossible d’un monde.
écrivain congolais reconnu. Sa de la retirer sans mourir. ( …) cette Elimane n’a pas plagié les grands
lecture du Labyrinthe de l’inhumain épine-là fait désormais partie de auteurs blancs. Il a voulu rendre
le bouleverse au point qu’il quitte notre grande blessure, c’est-à-dire hommage à toute la littérature des
Paris et rentre au pays. Sans oublier de notre vie. » siècles qui l’ont précédé. Dans « ce
la poétesse haïtienne, qui fut, au Roman protéiforme, polyphonique, qui était une longue référence (…)
temps de l’exil sud-américain, à cheval sur plusieurs continents personne n’a vu qu’il était riche
l’amante d’Elimane. (l’Afrique, l’Europe, l’Amérique avant d’avoir emprunté quoi que ce
La quête devient vite pour les uns latine) et plusieurs périodes (du soit. ». Elimane, Madag l’Africain !, a
et pour les autres une obsession, un premier âge de la colonisation tenté, par son récit de « relater »,
cauchemar où se mêlent tourment jusqu’au fleuve détourné de autrement, et de « relier »,
et crainte. Car le mystère demeure l’indépendance, de la Première à la autrement. Mais il n’était pas d’ici.
si épais qu’on en arrive à prêter à Seconde guerre mondiale, de Lui.
cet Elimane quelques pouvoirs l’entre-deux guerres à la résistance, Mustapha Harzoune
surnaturels, un petit diable de la d’exil, ceux de Gombrowicz ou de
magie noire par son oncle héritée… Sábato, des années 80 en France
Le roman prend alors des allures aux mobilisations sans lendemain à
d’enquête consistant à suivre – Dakar ou à Alger).
tenter de suivre – la trace d’Elimane Le style est fiévreux, incandescent,
sur près d’un siècle d’histoire la narration est étouffante : qui est
collective et individuelle, à chercher Elimane ? De quels pouvoirs
un sens à son roman, à remonter le (maléfiques) est‑il doté ? ‑ « J’ai
fil d’un récit qui trouve son origine senti son souffle sur ma nuque, son
dans un lointain village sénégalais souffle surgi d’entre les morts » dit
et une famille déchirée, au temps du Siga D. Étouffante et touffue : le
colonialisme impératif. Ici sont nés lecteur avance, à l’aveugle, se perd,
Ousseynou et Assane Koumakh, les emberlificote raison et émotion, au
deux jumeaux. Non contents d’aimer gré des événements, des