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18/11/2023, 13:39 Autrices dans l'histoire de la littérature : le grand effacement | TV5MONDE - Informations

RÉHABILITATION

Autrices dans l'histoire de la


littérature : le grand effacement
LE 06 OCT. 2023 À 05H23 (TU) • Par Terriennes , Isabelle Mourgere

Georges de Peyrebrune contribua à plusieurs revues féminines et publia un grand nombre de romans qui
connurent un succès populaire. Elle fit partie du premier jury du prix Fémina en 1905. Elle mourut dans la
pauvreté et l'oubli en 1917. Octave Mirbeau s'est inspiré de son roman Victoire la Rouge pour plusieurs de
ses œuvres, notamment Le Journal d'une femme de chambre. - ©Wikipédia

5 minutes de lecture

Qui hormis celui de George Sand, saurait citer le nom d'une


écrivaine du 19e siècle ? Pourquoi en 2023, seules trois autrices
figurent sur la liste des épreuves du bac ? Dans sa série
Autrices, Daphnée Ticrizénis nous emmène à la rencontre de
grandes plumes féminines, grandes oubliées de la postérité.

Le propre d'un génie est d'être incompris, selon Oscar Wilde. Celui d'un
génie au féminin serait de rester inconnu ?

Si je vous dis Voltaire, Rousseau, Chateaubriand, Victor Hugo, Balzac,


Maupassant ... Facile. Ces grands philosophes ou écrivains de la littérature
française, ces génies donc, sont ceux qu'on étudie en classe. Que des
hommes. Quid des écrivaines ? N'ont-elles donc pas existé ? Le talent
littéraire serait-il réservé à une seule moitié de l'humanité ?

Évidemment, non, répondrez-vous. Et de citer l'autrice des Malheurs de


Sophie, la célèbrissime Comtesse de Ségur, George Sand ou l'illustre et
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incontournable Colette et sa Claudine à l'école, entre autres, ou bien


encore Olympe de Gouges, rendue plus populaire depuis que son buste en
marbre a pris place dans un couloir de l'Assemblée nationale ... Mais quid
des autres ? Car il en a existé, et pas qu'une petite poignée...

(Re)lire dans Terriennes :

Pourquoi Olympe de Gouges a sa place au Panthéon

Il y a 150 ans naissait Colette, l'immortelle

Empêchées, spoliées, moquées, effacées

Dans son premier tome, Daphnée Ticrizénis retraçait le parcours de


femmes qui ont écrit du Moyen Âge à la Renaissance. Une période
particulièrement favorable à celles qui osaient prendre la plume. Dans son
deuxième tome, l'autrice explore leurs héritières, qui vont pâtir d'un
contexte particulièrement mouvementé. Empêchées, spoliées, moquées,
puis tout simplement effacées, ces écrivaines du XVIIIe siècle ont pourtant
contribué aux réflexions des Lumières. Mais pour publier, elles vont devoir
se soumettre à de nombreuses contraintes, et le faire soit de manière
anonyme, soit par l'intermédiaire d'un proche.

Elles vont aussi prendre part activement aux révolutions de 1789 et de 1848,
comme à la Commune en 1870, comme l'attestent leurs écrits. Romans,
littérature épistolaire, pamphlets, poèmes, essais, pièces de théâtre ... Un
matrimoine quasiment ignoré qu'il s'agit de nous remettre en mémoire,
afin de procéder à un rééquilibrage nécessaire. Guérir de cette amnésie
patriarcale, c'est ce à quoi travaille l'universitaire, qui signe Autrices (Tome
1 et Tome 2) aux Editions Hors d'atteinte, que nous avons rencontrée.

Terriennes : Pourquoi est-il si difficile de citer le nom d'une autrice dans


l'histoire de la littérature française?

Daphnée Ticrizénis : Cet effacement des autrices du 18e et du 19e, il


commence courant 17e où elles ont eu beaucoup de succès, écris des
best-seller, inventé des nouveaux genres -le roman, les contes de fées-,

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lancé des modes littéraires comme le mode épistolaire. De fait, cela a


provoqué une forte réaction conservatrice.

C'est au 17e que le mot autrice va disparaître, au moment de la création de


l'Académie française en 1635. On voit aussi, dans la lignée de la publication
de l'ouvrage de Molière Les précieuses ridicules, trouver des ouvrages
entiers qui attaquent ouvertement les femmes qui écrivent, et qui sont très
misogynes. C'est là qu'on va retrouver tous les arguments sexistes contre
ces femmes qui osent publier. Elles sont "immorales", ou alors si par
chance, les oeuvres sont de bonne qualité, "c'est qu'elles ne les ont pas
écrites toutes seules, et qu'un père, un frère a tenu la plume". C'est aussi à
ce moment là qu'on va voler leurs oeuvres. Je pense notamment à
Catherine Bernard, une autrice dramatique, qu'on commence à connaitre
aujourd'hui, qui est la première à avoir fait jouer des tragédies sur la scène
de la Comédie française.

Notre article Auteure ou autrice ? Un mot qui dérange

Les hommes qui vont écrire cette histoire, vont


intégrer dans leur dictionnaire et leur
encyclopédie déjà ces arguments sexistes et
puis même effacer les noms de ces autrices.
Daphnée Ticrizénis

Ce 17e siècle est un siècle de contrastes très forts, et malheureusement ce


sont les réactions conservatrices qui vont mener la danse de l'histoire
littéraire. Les hommes qui vont écrire cette histoire, vont intégrer dans leur
dictionnaire et leur encyclopédie, déjà, ces arguments sexistes, et puis
même effacer les noms de ces autrices. Elles n'auront ainsi purement et
simplement jamais existé.
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Du coup, cela va compliquer les choses pour les autrices du 18e siècle ?

Quand on arrive au 18e siècle, ces autrices, dont je parle dans le Tome 2,
évoluent dans un contexte très dur. Elles savent que les femmes qui
écrivent sont attaquées. Elles n'ont pas envie elles-mêmes, forcément, de
se "découvrir" publiquement. Il y a un risque pour leur réputation. Et par
ailleurs, on est en train d'effacer leur héritage. C'est difficile pour elles de se
faire une place dans le domaine des lettres.

On va trouver au 18e beaucoup d'écrits à l'état


de manuscrits, car elles ne vont pas oser
publier leurs textes. Ce sont souvent des
publications posthumes qui se font grâce à
l'intervention de proches. Ou alors, elles vont le
faire, mais de manière totalement anonyme.
Daphnée Ticrizénis

On va trouver au 18e beaucoup d'écrits à l'état de manuscrits, car elles ne


vont pas oser publier leurs textes. Ce sont souvent des publications
posthumes qui se font grâce à l'intervention de proches. Ou alors, elles vont
le faire, mais de manière totalement anonyme. La recherche d'aujourd'hui
découvre des textes qu'on pensait avoir été écrits par des hommes, mais
on arrive à leur réattribuer ces textes qu'elles n'ont pas signés de leur nom.

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DR

Par exemple Louise d'Epinay qui est une penseuse des Lumières, ce que l'on
sait grâce à sa correspondance. Pendant très longtemps, on a cru que le
conte Qu'en pensez-vous avait été écrit de la main de Diderot, et ce n'est
que récemment que l'on a compris que c'était elle, la véritable autrice. Ce
contexte participe à l'effacement et à l'histoire dont on a hérité aujourd'hui.

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Louise Florence Pétronille Tardieu d'Esclavelles, est mariée à l'âge de dix-neuf ans à son cousin.
Sous le nom de Louise d'Epinay, écrivaine philosophe, elle a écrit plusieurs ouvrages dont Histoire
de Madame de Montbrillant (ou Les Contre-Confessions). Elle fut l'amie de Rousseau, qui lui
présenta celui qui deviendra son ami intime, le baron Grimm. - DR

Ces autrices trouvent malgré tout des stratégies ...

Aucune période n'est complétement sombre. On peut caler l'histoire des


autrices sur l'histoire des droits des femmes, avec des périodes d'avancées
et de recul. La période révolutionnaire est un moment où l'on va entendre
d'avantage les femmes, qui vont à la fois revendiquer leurs droits et tout
simplement leur droit à s'exprimer. Au 19e, le recul arrive au moment de la
promulgation du Code civil. C'est un retour en arrière pour les droits des
femmes qui ont besoin de l'autorisation de leur père ou leur mari pour à
peu près tout ! Et donc pour publier également.

Le pseudonyme masculin, c'est un peu particulier. C'est une mode qui


apparait au 19e siècle. C'est finalement assez minoritaire sur l'ensemble de
l'histoire littéraire, mais aussi au 19e. Dans le cas de George Sand, elle n'est
pas la seule à choisir un pseudo mixte, on pense aussi à Daniel Stern pour
Marie d'Agout ou André Léo (de son vrai nom Victoire Léodile Béra, ndlr). On
ne sait pas exactement ce qui a poussé au choix de ces pseudonymes, si
c'est une demande de l'éditeur, ou si c'est pour se montrer plus "sérieuses"
ou simplement une mode littéraire. A mesure que l'on avance dans le
siècle, on en trouve d'autres, comme Gérard d'Houville (Marie de Heredia,
ndlr), une poétesse. C'est une époque où les auteurs sont photographiés,
donc elles ne vont pas pouvoir cacher très longtemps leur identité sous ce
pseudonyme masculin.

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Marie d'Agoult, alias Daniel Stern, photographie d'Antony-Samuel Andam-Salomon (vers 1861),
Paris, musée d'Orsay. - ©Antony-Samuel Andam-Salomon

Dans votre ouvrage, vous évoquez l'expression bas-bleu, qui désignait


les femmes qui "osaient" devenir autrices, expliquez-nous...

La première fois que l'on entend cette expression, c'est dans un salon
littéraire au 18e siècle. L'hôtesse fait un mot d'esprit et, ironie de l'histoire,
c'est un homme qui porte des bas bleus, elle dit que son salon n'est pas fait
pour les élégants, mais pour parler littérature. L'expression sera reprise au
19e pour mépriser les femmes qui écrivent. Des caricatures représentent
ces femmes, qui oublient le rôle qu'elle doivent occuper dans la société et
qui, au lieu de s'occuper de leur mari, préfèrent écrire des vers ou des
romans. Cette expression continue d'évoluer.

Plus l'on avance, moins cette expression sera humoristique et devient une
insulte virulente. L'auteur Jules Barbet d'Aurevilly va signer un ouvrage à
charge contre les bas-bleus. Il y explique très clairement qu'il s'oppose à
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l'égalité entre les femmes et les hommes. Et finalement, ce sont les autrices
elles-mêmes qui vont se réapproprier cette expression pour se définir, en
disant "Et bien oui, je suis bas-bleu !" comme Olympe Audouard. Petit à
petit, elle deviendra synonyme du mot écrivaine et elle finira par
disparaitre.

« ...dussent-ils me maudire... », dans la série des bas-bleus de Honoré Daumier, parue dans Le
Charivari en 1844. - © Wikipedia

Ces autrices écrivaient-elles pour les femmes ?

On s'opposait aux femmes écrivaines et on s'opposait aux femmes qui


lisaient. C'est ça qui dérangeait, finalement. Là, c'est l'accès à l'éducation
qui est en jeu. Je pense au roman, qui a longtemps été considéré comme
un genre mineur, ou immoral, parce qu'il donnait de faux exemples aux
jeunes filles et pouvait les inciter à se conduire d'une manière qui ne

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correspondait pas à ce qu'on attendait d'elles dans la société.


Evidemment, le destin des autrices est intimement lié au destin des
lectrices.

Toutefois, dans les écrits de ces autrices, elles ne s'adressent pas


particulièrement aux femmes, mais à tout un lectorat. Il n'y a pas d'essence
féminine à leurs ouvrages. C'est ce que j'essaye de montrer dans mon
texte. Elles sont d'horizons politiques totalement variés, s'expriment dans
tous les genres, sur tous les thèmes. Il n'y a pas vraiment de points
communs. Ce qui les différencie des oeuvres des hommes, c'est qu'elles
vont chercher des thèmes qui n'ont pas été exploités par les auteurs.

Ce sont toutes ces histoires, tous ces genres


littéraires qui participent à la richesse de notre
patrimoine et notre matrimoine littéraire qu'il
faut retrouver.
Daphnée Ticrizénis

Finalement, en redécouvrant les textes des autrices, on découvre leur


quotidien, leur intimité, leur subjectivité. Ce sont des histoires qu'on n'a pas
forcément entendues. Et évidemment, il y a beaucoup plus de
personnages féminins, d'héroïnes. C'est vrai qu'on en manque dans notre
histoire littéraire. Souvent ce sont des héros qui sont les personnages
principaux de nos romans. Et pour certaines, qui sont féministes, c'est aussi
l'histoire de leur combat, des violences qu'elles ont subies. Ce sont des
histoires qui nous ont été enlevées et qui méritent de reprendre place dans
notre histoire.

Ce n'est pas qu'une question de parité de remettre ces autrices sur le


devant de la scène. Ce sont aussi toutes ces histoires, tous ces genres

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littéraires qui participent à la richesse de notre patrimoine et notre


matrimoine littéraire qu'il faut retrouver.

Comment rendre visibles aujourd'hui toutes ces autrices ?

Aujourd'hui, il y a deux enjeux : dans l'éducation et dans l'édition. Parce que


finalement, on a hérité de plusieurs siècles d'histoire littéraire qui nous est
enseignée où il n'y a que des hommes. C'est difficile de revenir dessus. Moi
même je n'ai rencontré que très peu d'autrices dans mes études
supérieures. Ce n'est qu'en explorant le travail des chercheuses que j'ai
découvert tout ce pan de l'histoire littéraire.

Les enseignants d'aujourd'hui vont faire étudier des auteurs qu'ils ont eux-
mêmes étudié au cours de leur parcours. C'est le serpent qui se mord la
queue ! Il faut absolument inscrire des autrices au programme. Dès le
secondaire, mais aussi au programme des concours pour que les
enseignants de demain connaissent les textes de ces autrices pour pouvoir
les transmettre. Et puis sur le marché éditorial, on ne les trouve pas, ces
textes ! Pourtant, ils ont été numérisés par la bibliothèque nationale et on
les trouve sur internet gratuitement, mais on ne les trouve pas en librairie. Il
faut que les éditeurs s'en emparent.

Aujourd'hui en 2023, au programme du bac, il y a Olympe de Gouges,


Colette, et Hélène d'Orion, québécoise, première poétesse vivante à être
intégrée dans ce programme. On peut faire mieux.

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Hélène d'Orion, écrivaine québécoise est reconnue autant au Québec qu'à l'international. Ses
ouvrages sont traduits dans de nombreuses langues et font l'objet d'études dans plusieurs pays.
Son recueil de poèmes Mes forêts est inscrit au programme du bac français à partir de 2023-
2024. - ©Wikipédia

Lire aussi dans Terriennes :

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