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@ L'Harmattan, 2005
ISBN: 2-7475-8188-8
EAN:9782747581882
~I}IE
J..Je SDRVI LLE
(NÉE DE BALZAC)
BALZAC
S..\. VI E
ET SES ŒUVRES
Déjà parus
II
l'auteur offre un caractère si pittoresque, des contrastes si
criants, qu'ils captivent par eux-mêmes l'intérêt des auteurs et
des lecteurs.
Mme Surville nous dépeint l'âme d'un homme angoissé et
révolté. Dans une de ses lettres, Balzac nous fait part de son
ressentiment: "- Il faudra que je meure, disait-il amèrement,
pour qu'ils sachent ce que je vaux! ".
Elle nous explique que cela ne résultait pas tant de sa
précarité matérielle ou de ses opinions politiques que de
l'ignorance de son potentiel d'écrivain. Il avait de plus la
conscience aiguë d'être à la merci d'un système de
communication complexe, aléatoire et pervers. Pouvons-nous
aller, dès lors, jusqu'à suggérer une parole inquiète chez un
homme qu'on imagine trop facilement tonitruant?
Balzac utilise donc la transgression. Une transgression
limitée, mais, paradoxalement, efficace, car sa liberté de
création passe par un jeu avec les codes et les contraintes.
Balzac nous donne l'image d'un écrivain qui avance en terrain
miné, en butte aux caprices des critiques. Mais son obstination
n'avait d'égale que sa puissance de travail: " il travaillait dans
un réduit, où il trouvait la liberté et portait de belles espérances,
malgré ses premières déceptions littéraires". Balzac a une
approche mystique du travail: il croit en la force de l'esprit.
Du côté des femmes, Balzac s'entendait très bien avec
George Sand; mais sa grande, sa seule véritable amie fut Zulma
Carraud (1796-1889), qu'il avait connue par sa sœur Laure.
Durant toutes les années 1830, principalement, elle entretint
avec lui une correspondance exceptionnelle, tout animée d'un
souci moral bien exprimé par cette phrase: " Je me tourmente
du désir de vous savoir ce que vous devriez être" (3 mai 1832).
Zulma Carraud comptait tellement pour Balzac que lui, l'amant
de quelques maîtresses, accepta de n'être que son ami. Il vantait
à Laure sa "haute intelligence" et "son sens littéraire"
(octobre 1838). Idéalisées par l'auteur, les femmes que Balzac a
connues font l'objet des dédicaces de ses romans.
Laure Surville peint Balzac dans une posture d'historien
philosophe, témoin lucide de son temps. L'auteur de la Comédie
humaine choisit la forme romanesque pour s'exprimer. Cela est
III
assez nouveau. Elle explique bien des malentendus avec une
partie de la critique qui voit encore dans le roman un genre
mineur. Mais Balzac revendique le roman comme objet
d'études sociales en faveur de ses idées philosophiques. Il en
fait le théâtre d'un monde en transformation où se meut une
société tout entière. En 1836, il lance la Chronique de Paris.
Six mois plus tard, la publication est suspendue. Les années
suivantes le voient débordant d'activité: il entre à la Société des
gens de lettres qui milite pour la défense des droits des auteurs
face au développement de la presse. Il achète une propriété aux
" Jardies ", à Sèvres, se rend en Sardaigne où il escompte
exploiter d'anciennes mines d'argent (mai à juin 1838) ; prend
la défense du notaire Peytel accusé de meurtre (août 1839).
Balzac fonde en 1840 une nouvelle revue, la Revue parisienne,
qui se solde par un nouvel échec. Après avoir acquis des
terrains autour des" Jardies ", il est obligé de vendre la
propriété, saisie par un créancier.
Certes le style de Mme Surville, à travers ces anecdotes, est
une glorification de Balzac. On peut donc s'interroger, à travers
cette écriture, sur son statut d' écrivaine. Autrement dit, par-delà
cette glorification, dans quelle mesure Mme Surville existe-t-
elle pour elle-même? Comment alors s'affranchir de l'héritage
de son frère?
Elle ne s'affranchit que dans l'espace de cette
correspondance qu'elle réunit et annote. La présente édition est,
de fait, une mine de renseignements sur la genèse des lettres de
Balzac. Le titre de l'ouvrage indique avant tout une volonté de
témoignage à propos d'un homme, sa vie, son œuvre littéraire.
Mais Mme L. Surville évite l'erreur de nombreux critiques qui
abordent l' œuvre et la vie de Balzac avec des élans trop
subjectifs. Or, ici on est en présence d'un éclairage à la fois
intimiste et réaliste. Sa démarche est ambivalente: elle met en
exergue une vérité émotionnelle et apporte une pierre
supplémentaire dans l'édification du grand homme, à travers la
part significative accordée au moi.
Par ailleurs, ce retour aux sources permet de dissiper trop
de légendes pittoresques qui entourent la vie de Balzac.
Beaucoup de contemporains ou de biographes à la mémoire
IV
défaillante ont en effet pour principal souci de se mettre en
valeur aux dépens de l'auteur.
L'authenticité est ici respectée grâce à de très nombreuses
lettres largement citées, comme celle dans laquelle Balzac
montre son premier accès de découragement. Car rien ne peut
remplacer la lettre envoyée ou reçue, document qu'il convient
de citer. Elle permet la consignation d'un certain nombre de
petits faits. Elle joue donc le rôle d'une mémoire tout en
affirmant une parole première. C'est la source à partir de
laquelle les critiques ont puisé, même si la pertinence du travail
de Mme Surville n'a pas été saluée. En effet, elle est victime
d'une double disparition, étant à la fois la sœur de Balzac et la
secrétaire de ses biographes. Mais le lecteur sera sensible à cet
hommage symbolique et universel.
v
Je me crois ob1igée envers mOll frère et envers
tous, à publier des détails que, seule aujourd'h.ui,
je puis donner, et qui permettront d'écrire une
biographie exacte de l'auteur de LA COMÉDIE HUl\IAINE.
Les alnÎs de Balzac m'ont pressée de couper court
le plus tôt possible à ces légendes qui ne manquent
pas de se former alltour des noms illustres, afin de
prévenir les erreurs qlli pourraient s'accréditer sur
le caractère et sur les circonstances de la vie de mon
frère~ J'ai compris qu'il valait mieux dire la vérité,
quand bon nombre de personnes pouvaient encore
l'attester.
LA COl\iÉDIEHUMAINE a suscité presque autant
d'attaques que d'admiratiol1s. Tout récemment en-
core, des critiques l'ont jugée sévèrement au non1
de la religion et de la nlorale, que les adversaires des
t
grandes renomrnées tâchent toujours de mettre de
leur parti. Je ne sais si, à aucune époque, il y a eu en
France un peintre c}emœurs qui n'ait pas été accusé
de faire scandale, et quelle littérature sortirait des
principes sévères qu'on veut imposer aux écrivains;
si ceux qui les professent se mettent à I:œuvre,
réussiront-ils à prouver, par l'exemple, que Balzac
s'est troll1pécllland il a cru clue le roman de mœurs
ne peut se passer de contrastes, et qu'on n'instruit pas
les hommes par la seule peinture de leurs vertus?..
Je n'ai ni le pouvoir l1i]a volonté d'appeler de ces
arrêts, et je ne prétends pas ici défendre mon frère.
Le temps, qui a consacré tant de génies contestés ou
insultés à lellr époque, lui assignera sa place dans la
littérature française. Rapporto11s-nous-enà ce juge,
le seul qui soit impartial et infaillible.
D'APRÈS SA CORRESPONDANCE
DEMAIN.
(
Pus d'Iris encore!... Se dérangerait-elle?,.
(Elle avait soixante-dix ans. ) Je ne la vois jamais
qu'à la volée et toujours si essoufflée, qu'elle peut il
11eineme rendre compte dl1 quart de ce que je
voudrais savoir. Pensez-vous à moi autant que jo
pense à vous? Criez-vous quelquefois au ,vI1istOll
au bostol1: « Honoré, où es-tu? ») Je ne t'ai pas
dit qu'avec l'incendie j"ai eu aussi d'affre'uses
rages de dents. Elles ont été suivies ll'une fluxion
qui me rend présentement llideux.
Qui dît: Fais arracher?Que diable! on tient
))
REAUX-ARTS.
ACTE PRE~IIER.
eller .
» Aurai-je assez de talent? Je veux que 111atra-
gédie soit le bréviaire des peuples et des rois!
») Il faut délJuter par un chef-d'œuvre ou me
tordre le cou!... J f' te SUPI)lie, IHIrnotre am011r
fraternel, de ne jamais me dire: C'est bien. Ne me
découvre que les,fautes~; quant aux beautés, je les
connais de reste.
» Si quelques, pensées t'arrivent cl1eminfaisant,
écris-les en marge; laisse les joljes, il ne faut qu,e
les suJ)lin1es.
IJA LZAC 57
») Il csl ill1po8sil>leque lu ne trouves pas ce
I)lan superbe! Quelle belle e-xposition! Comme l'in-
térêt grandit de scène en scène! L'incident des fils
de Cron1,vell est adnlirablement trouvé. J'ai aussi
jnventé fort lleureusement le caractère du fils de
Strafford. La magnanjmité de Cllarles 1erren,lant
it Crom,vell ses fils est plus belle que celle d'4~U-
guste pardonnnnt à Cillna.
») Il y a }Jjenencore quelques faules, filais elles
sont légères et je les ferai (lisparatt.re.
») J'ai tellen1ent I)ris part à tout ce que tu 'nl'é..
cris, qlte je file sentais attendri comme s',il s'agis-
sait d'Utl vers de Crolntvell.
» Pourvu que le cllâteau n'aille pas d-éfendrc
Ina tragédie !
») Si je m'écoutais, je couvrirais une rame de
papier en t'écrivant; mais Croln'well! Cro'1nwell
qui crie après moj !
» Ce qui me co,ûtele plus, c'est l'exposition. Il
faut que ce luron de Strafford fasse le portrait du
régicide, et Bossuet m'épouvante. Cependant j'ai
lléjà q,u~lques vers qui ne sont pas mal tournés.
1\11!sœur! sœur! que d'espérances et de décel)-
t.ionsI... 11eut-être... ))
Il ,
'.
1111Ions....
« Il1le (atl! j(l1nais q1lecela, 'filachère! »
Habituée aux illllsions qui rappelaient son
courage et sa gaieté, je ne montrais jalnais
aucun étollllelnent.
Cette fal)le faite, il elltassait raisons sur
râisons .POtll'y croire.
- Ces gens-là dépensent tallt ell fal1laÎ-
sies !... Une belle action est une falltaÎsie
comme une autre, et (lui donne de la joie à
tOlIte heure!.. . C'est quelqtle cll0se de se
dire: J' ai Sa~l1}é~{1tBalzac!... L'}111manitéa
pq.r~cipar-là de bons mouvements, et il y a
des gens clui, sans être Anglais, SOllt capa-
bles de l)areilles ex centrici tés! ... l\Ioi, di-
sait-il en frappant sur sa poitrine, 1110i9
millionnaire Oll ba11qllier, je les aurais!...,
La cro~1allce faite, il se promel1ait joyell-
seme11t par la cI1anJ])re en levant et agitant
ses bras:
- Ah! Balzac est /]i])re!... ,r ans ,.errez,
BA.LZAC 429
« 1\JHan.
» Cllère Sœtlf,
» Il serait trop long de t'écrjre tout ce que je
te raconterai en détail quand je te verrai, ce qui
sera bientôt, je l'~sl)ère. Je suis, après des voyages
très-fatigants, retenu ici pour les intérêts de la fa-
mille de v... La politique les embrouillait telle-
ment, que le reste du bien qu'elle possède en ce
pays eût été séquestré, sans toutes mes démarcl1es,
qui ont heUretlSement réussi.
» M. d'EtchegoJren, qui retourne à Paris, a
l'ob1igeance de -se cllarger de cette lettre. Quant à
8.
158 B~4.L Z..\.C
(c l\'Iadame,
J) J'ai encore le regret de vous annoncer que je
ne pourrai aller d~main à Saint-Cyr; les intérêts
de ma mère me retiennent ici; il Y aUTaitde l'i11-
gratitude à ne pas m'employer pour elle, quand
ell~ vient de faire tant de sacrifices pour me con-
server tIll nom inlact.
» Je suis obligé, pour vivre et pour aider un
ami plus malheurellx que moi encore (son' ancien
associé), de fajre des efforts inouïs. Je travaille
donc nuit et jour; j'ai à revoir samedi un Jong
article pour la Revue de Paris et à faire la Mode,.
162 BA.LZAC
<lvec laquelle je suis el1 retard. Pardonnez-moi
dOllC, avec votre bonté habituelle, de remettre
ainsi le plaisir de vous voir.
. Notre pays, madame, enlre dans des cir-
COllstances bien graves. Je suis effrayé des luttps
qui se préparent. Je vois de la passion partout et
rIe la raison nulle part... C'est alors qli.ele courage
et la science, dont nous avons porté si loin les
ressources, pourront aider la France à en triom-
1111er.Quel sera le dénoûment de toutes ces lultes?
salIra-t-on se rendre maître de la révolte des in-
térêts froissés qui sont au dedans du corps poli-
tique? Ah! madame, le nombre de ceux, parn1i
les patriotes, pour lequel le mot patrie n'est rien,
est bi~n grand! Personne ne veut s'unir aux l)rin-
cipes mito~yens dont je vous ai tracé en quelques
lllots le plan constitutif! NOllS sommes entre les
exagérés du libéralisme et les gens de la légitimité
qui vont s'unir pour renverser.
») Ne m'accusez pas de non-patriotisme, parce
<lue mOl1intelligence nie sert à faire le décon1pte
exact des 110mmes et des choses; c'est s'irriter
d'une additiol1 qui vous démontre le malheur
tl'une fortune.
» A cl1aque l'évûlution, le génie gouvernemental
consiste à opérer une fusion des llommes et des
clloses; voilà ce qui a fait le grand talent de Na-
BALZA.C tG:)
(
Le sentiment cIe répulsion que vous arez
éprouvé à la leeture des l)remières pages du livre
que je vous ai porté; est troI) honora))le et tr01)
délicat pour qu'un esprit, flIt-ce mên1e celui tIe
l'auteur, pujsse s'en offe11ser; il prouve que 'TOUS
n'appartenez pas à un monde de faussetés et de
pertidies, que vous ne connaissez pas 1lne société
qui flétrit tOllt, et clue vous êtes cligne de la soli-
164 BALZA.C
tude où l'llolnme devient toujours si grand, si
noble et si l)Uf.
» Il est p~eut-êtremalheureux pour l'auteur que
vous n'ayez pas résisté à ce premier sentiment qui
saisit tout -être innocént à l'audition d'un cri-me, à
la peinture de tout rnallleur, à la lecture de Juvé-
nal, de RatJelais, de Perse et autres satiriques de
mème force, car je crois que vous vous seriez ré-
concilié-e avec lui en lisant quelques leçons fortes,
qt1elques plaidoyers vigoureux en faveur de la
vertu de la (em1ne.
» Mais comment vous reprocher unerrépugnance
qui fait votre éloge? Comment vous en vouloir
d'être de votre -sexe?
»)Je vous demande donc ]Jlen l1umblement par-
don de cet olltrage involontaire contre lequel je
n1'étaÏs prélnuni, s'il vous en souvient! Et je vous.
supplie de croire que le jugement le plus rigou-
reux ll\le vous avez porté sur cette œuvre ne peut
altérer la sincérité de l'amitié que vous m'avez
permis de vous porter. Daignez en agréer les nou-
veaux témoignages, etc. »
)
L'existence de mon parti est liée à la recon-
naissance, sans arrière-pensée, des choses vou..
lues par la nature et des idées du siècle.
)
Je vous recommanderai la propag:Ition de
nl0n lYédecfin de(carJ~pagne;il me fera des amis.
(~'estun écrit bienfaisant à gagner le prix l\lontyon,.
» PardonnBz-moi, chère, mes plaisanteries sur
l'argent de mes écrits; elles vous ont choquée;
elles étaient toutes enfantines comme beaucoup
de choses que je dis et fais! Cr-oyez-vollS que
}'argent puisse payer mes travaux, fila san té ? non,
non! Si mon imagination m'emporte quelquefois,
je reviens bien vite au beau et au vrai, croyez-le!...
BALZAC t6j
»)VOUSavez eu tort et raison cIe me laisser par-
tjr; tort? parce que j'étais bien près de vous; rai-
son, parce que les voyages agral1dissent les idées;
je dois Sllivre ma destinée largement!... »)
. . . . . . .
« La Flettr des pois est achevée... »