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Cahiers de l'Association

internationale des études


francaises

« Monsieur de Balzac » : Le dandysme de Balzac et son influence


sur sa création littéraire
Charles Gould

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Gould Charles. « Monsieur de Balzac » : Le dandysme de Balzac et son influence sur sa création littéraire. In: Cahiers de
l'Association internationale des études francaises, 1963, n°15. pp. 379-393;

doi : https://doi.org/10.3406/caief.1963.2269

https://www.persee.fr/doc/caief_0571-5865_1963_num_15_1_2269

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« MONSIEUR DE BALZAC »

LE DANDYSME DE BALZAC,
ET SON INFLUENCE SUR SA CRÉATION
LITTÉRAIRE

Communication de M. Ch. GOULD


(Bristol)

au XIVe Congrès de l'Association, le 28 juillet 1962.

Je voudrais d'abord examiner les motifs qui ont poussé


Balzac vers le dandysme, ensuite discuter les raisons qui l'ont
porté à s'intéresser au dandy comme type, et finalement
parler très brièvement de sa façon de présenter ce personnage.
C'est surtout, peut-être, l'exemple d'Eugène Sue et de
ses succès mondains qui a poussé Balzac à entrer «
vigoureusement dans le sentier périlleux et coûteux du dandysme » —
comme il dit lui-même en parlant du jeune comte d'Esgri-
gnon dans le Cabinet des antiques (1).
« Eugène Sue, écrivit Balzac à Madame Hanska en mars 1833,
est un bon et aimable jeune homme, fanfaron de vices, désespéré
de s'appeler Sue, faisant du luxe pour se faire grand seigneur... (2) »

Dans cette même lettre à Madame Hanska — qu'il n'avait


pas encore rencontrée — Balzac disait, avec son inconséquence
habituelle et délicieuse : « il me répugne d'être mis en évi-

(1) Ed. P.-G. Castex, Classiques Garnier, p. 109.


(2) Lettres à V Étrangère, Calmann-Lévy, I, pp. 16-17.
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dence. Que ceux qui m'accusent de l'amour-propre me


connaissent peu ! »
Cependant, c'est pendant cette période, entre 1829 et x^34
ou 1835, à peu près, que Balzac lui-même était
particulièrement « en évidence » — cette période que Madame Ancelot
appelait « l'ère de ses excentriques magnificences » (3). Lui
aussi, il aurait pu dire qu'il était désespéré de s'appeler Balzac
tout court — nous savons qu'il est devenu « Monsieur de
Balzac »en 1831, avec la publication de La Peau de Chagrin.
Comme son jeune héros, Lucien Chardon, il avait « la soif
des distinctions » (4) et voulait être reçu dans le beau monde.
Pendant la Restauration en France, selon plusieurs
témoignages contemporains, les salons aristocratiques
n'accueillaient les écrivains dépourvus de titre qu'avec une extrême
hésitation (5). C'était seulement peu à peu, grâce à l'influence
de la duchesse de Rauzan, nous dit la comtesse d'Agoult,
qu'il devint possible « d'ouvrir nos salons à des personnes
nouvelles, à des hommes de condition moindre, bourgeois
anoblis, écrivains, artistes... » (6).
Le désir de rivaliser avec Eugène Sue, et d'autres viveurs
et dandies comme Lautour-Mézeray, n'était pas chez Balzac
simplement le résultat d'un snobisme naïf, comme plusieurs
de ses contemporains se plaisaient à croire. Voir à cet égard
l'article intitulé « M. Balzac », publié dansXa: Mode en 1834 —
la revue hebdomadaire qui avait déjà publié certains articles
de Balzac lui-même sur le sujet du dandysme, notamment
Des Mots à la mode, 22 mai 1830, et surtout son Traité de la
vie élégante (2, 9, 16, 23 octobre, 6 novembre 1830). Balzac
s'est brouillé en 1834 avec Emile de Girardin, qui revendi-

(3) Les Salons de Paris, J. Tardieu, 1858, pp. 58-59.


(4) Illusions perdues, éd. Antoine Adam, Cl. Garnier, Les deux poètes,
p. 65.
« En un instant, elle [madame de Bargeton] fit abjurer ses idées popu-
lacières sur la chimérique égalité de 1793, elle réveilla chez lui la soif des
distinctions [...] elle lui montra la haute société comme le seul théâtre
sur lequel il devait se tenir.»
(5) Voir par exemple la description donnée par Lady Blessington de
son séjour à Paris pendant 1828-9, dans The Idler in France, Henry Col-
burn, 1841, I, p. 266.
(6) Mes Souvenirs, 1806-1833, 1877, Calmann-Lévy, 2e édition,
pp. 338-42 ; voir aussi p. 257, pp. 286-7.
MONSIEUR DE BALZAC 38 1

quait la propriété de certains de ses articles dans La Mode,


•comme Monsieur Castex a signalé (7).
Dans cet article, l'auteur se moque des aspirations
nobiliaires de Balzac, et le raille d'avoir ajouté un «DE à son nom
roturier » (8). L'année suivante, nous trouvons dans Psyché,
un journal presque toujours hostile à Balzac, dans la période
183 5- 1840, un article contenant des références sarcastiques à
son apparence personnelle, sa canne, son cabriolet, son appa-
tement. « Depuis que M. de Balzac est un personnage
célèbre, depuis qu'il est sorti de la classe des écrivains
vulgaires, où il a végété vingt ans, [ . . . ] toutes les trompettes
à piston de la renommée ont sonné pour lui [ . . . ] on a fait
à M. de Balzac une réputation de dandy, on l'a représenté
comme un être poétique, svelte, merveilleux, plein de grâce
et de séduction, donnant le ton à nos jeunes gens à la mode. »
Mais la vérité était tout autre, nous assure l'auteur de cet
article :

M. Honoré de Balzac est un homme qui touche à la quarantaine


[...] il s'est [. . .] lancé dans les hautes régions de la littérature,
mais [ . . . ] il est demeuré complètement étranger aux régions
distinguées de la société. [. . .] il n'a et ne peut avoir aucune notion de
l'élégance ; l'ampleur de sa tournure s'oppose d'ailleurs à ce qu'il se
donne les grâces d'un merveilleux, et à ce qu'il revête des habits
coupés pour les formes dégagées d'un svelte fashionable (9). »

Pour Balzac lui-même, cette espèce de publicité, comme


nous allons voir, n'était pas entièrement mal venue. Son
dandysme était avant tout une question de prestige. Pour
confirmer l'opinion qu'il chérissait lui-même concernant ses
mérites, il avait besoin, croyait-il, de gagner les suffrages du
beau monde, et d'être accepté là-dedans. Dans l'article de

(7) Dans son édition de La Vieille Fille, Garnier, pp. xxix-xxx. Voir la
lettre de Girardin à ce propos, dans H. de Balzac, Correspondance, éd. R.
Pierrot, Garnier, II, pp. 479-82.
(8) Signé « Th. M », 1834, vol. XXI, pp. 281-6. Dans le premier
paragraphe, l'auteur dit que « M. Balzac a vendu trente mille francs
(authentique :) » les Scènes de la vie privée, « composées aux trois quarts d'histoires
déjà publiées çà et là, et payées en détail à leur auteur par les recueils et
revues » (p. 282).
(9) 1835, vol. II, pp. 5O7-9-
382 CHARLES GOULD

La Mode que nous venons de citer, l'auteur se déclare


convaincu, non pas sans ironie, que « M. Balzac», comme il
persiste à l'appeler, « bornera son ambition à la royauté
littéraire; il peut s'en faire une assez belle, pour qu'il doive s'en
contenter ». Mais Balzac ne se résignait pas si facilement à
être simplement « un des rois de la pensée », comme Gautier
l'appelait dans son article célèbre (10). C'est un paradoxe
dans la personnalité de Balzac, et aussi de Byron, de sembler
vouloir estimer plus sérieusement les choses frivoles et
éphémères que les choses plus durables, plus dignes d'attention.
Ce renversement des valeurs est décrit d'une façon
remarquable par Balzac dans ses portraits de ses jeunes dandies —
Rastignac, Lucien de Rubempré, Victurnien d'Esgrignon,
Raphaël — car c'est non seulement un trait du dandysme,
mais aussi une caractéristique de cette jeunesse tout court —
ou plutôt, pour employer la phrase de Balzac lui-même : « cet
être multiple qu'on appelle la jeunesse» (11) — pour laquelle
Balzac avait une si évidente sympathie, et de laquelle il avait
une compréhension si intime.
« Naguère insouciant en fait de toilette, je respectais maintenant
mon habit comme un autre moi-même », nous dit Raphaël. « Entre
une blessure à recevoir et la déchirure de mon frac, je n'aurais pas
hésité (12) ! »

Dandysme et jeunesse — ces deux conditions vont


naturellement ensemble, en ce qui concerne un sens de
proportion, et le renversement des valeurs conventionnelles. Ce
renversement, nous dit Jules Lemaître dans son article sur
Barbey d'Aurevilly, est un des traits essentiels du dandy :
« Cette vue volontairement absurde du monde, il arrive à
l'imposer aux autres. Il réussit à faire croire [. . .] que d'innover en
fait d'usages mondains, de conventions élégantes, d'habits [...]
est aussi rare, aussi méritoire [. . .] que d'inventer et de créer en
politique, en art, en littérature. Il spiritualise la mode (13). »

(10) Portraits contemporains, Charpentier, 1874, pp. 121-2.


(11) Le Bois de Boulogne et le Luxembourg, Conard, Œuvres diverses,
П, p. 53.
(12) La Peau de Chagrin, Cl. Garnier, pp. 130-1.
(13) Les Contemporains, 4e série, Lecène-Oudin, 1893, p. 52.
MONSIEUR DE BALZAC 383

Balzac formule des paradoxes pareils dans Le Bois de


Boulogne et le Luxembourg , et dans son Traité de la vie élégante.
Impossible de ne pas croire qu'une certaine partie de sa
sympathie va à l'oisif, car c'est l'homme élégant, l'homme
supérieur qui peut jouir de ce loisir qui est la marque de sa
supériorité (14). Ici Balzac anticipe de façon curieuse sur les
théories de l'économiste moderne Thorstein Veblen au sujet
du « conspicuous leisure » — « loisir ostentatoire » —
considéré comme une indication de « supériorité » sociale (15).
Mais malgré ses éloges de la vie oisive, Balzac est loin
d'adopter les poses d'un Byron ou d'un Lamartine, d'un
Musset ou d'un Mérimée. Il peut bien dire à Madame Hanska
qu'on le prend « pour un homme frivole », et que cela
l'amuse (16), mais il n'a jamais affecté de faire croire qu'il
était un amateur qui écrivait simplement pour son bon plaisir,
et il n'a jamais cultivé la négligence voulue qui formait une
partie de leur dandysme littéraire. Chez lui, un dandysme en
apparence frivole, et le travail ardu qu'il entreprenait
pouvaient exister simultanément, car c'est précisément quand
il était en train de devenir un auteur célèbre que Balzac
voulait surtout impressionner le monde élégant, et aussi
satisfaire ses penchants naturels pour le luxe et la vie en grand (17).
Le 26 octobre, 1834, il écrivit à Madame Hanska à propos
d'un dîner qu'il allait donner à Rossini et à ses « Tigres
de la loge », comme il appelle ses co-abonnés de la « loge

(14) Dans le Traité de la vie élégante, Librairie nouvelle, 1853, p. 19.


Balzac parle « des signes matériels du plus ou moins de repos qu'un
homme pouvait prendre, du plus ou moins de fantaisies qu'il avait le droit de
satisfaire », dans les siècles passés. « Alors un passant distinguait, rien qu'à
le voir, un oisif d'un travailleur, un chiffre d'un zéro. » Mais au xixe siècle,
« les différences ont disparu : il n'y a plus que des nuances. Aussi, le
savoir-vivre, l'élégance des manières, le je ne sais quoi [...] forment la
seule barrière qui sépare l'oisif de l'homme occupé. » (p. 29) (Voir la
note (38) sur la date de cette édition).
Voir aussi ce qu'il dit dans Le Bois de Boulogne et le Luxembourg sur les
deux jeunesses en France, celle qui travaille, et celle qui se divertit :
« l'une jouit de la vie et l'autre l'emploie ; l'une attend son avenir et
l'autre l'escompte. La première est la plus sage sans doute, mais elle salue
bien mal ! », loc. cit., pp. 53-6.
(15) The Theory of the Leisure Class. An Economic Study of Institutions,
[1899], Macmillan, 1912, chap. Ill, pp. 35-67.
(16) Lettres à V Étrangère, I, p. 195 ; 18 octobre, 1834.
(17) Dans Illusions perdîtes, il nous apprend que « Lucien mordit à
la pomme du luxe aristocratique et de la gloire » (éd. Adam, p. 65).
384 CHARLES GOULD

infernale » à l'Opéra : « je fais des somptuosités sans raison


[ . . .] enfin, je veux me distinguer » — deux phrases qui nous
en disent long sur la vraie nature de son dandysme. Mais c'est
aussi dans cette même lettre qu'il lui parle de son travail sur
le Père Goriot, César Birotteau, et d'autres ouvrages
importants, et qu'il trace le célèbre programme de son travail
futur — une des étapes essentielles dans le développement de
son grand dessein pour la Comédie humaine (18).
A part les raisons que nous avons déjà citées pour son
dandysme, il y en avait deux autres peut-être plus importantes.
Nous savons que pour Balzac c'était une espèce de réclame,
pour gagner de la publicité pour ses ouvrages ; en donnant
les apparences d'un succès mondain, il croyait pouvoir
obtenir un meilleur prix pour ses livres — voir à cet égard ce
que dit sa sœur Laure Surville, et les lettres de Balzac lui-
même à Mme Hanska du 19 juillet 1837, et du 17 septembre
1844 (19) et aussi sa description de Lucien de Rubempré
quand il veut vendre son roman historique à un libraire
parisien (20). « II aimait qu'on parlât de lui en bien ou en
mal, nous dit Hippolyte Lucas, et il redoutait par-dessus tout
l'indifférence du public (21). » Cette description de Balzac
correspond avec ce qu'il dit lui-même au sujet de la publicité
dans César Birotteau (22) — il aurait pu donner des conseils
utiles à un agent de publicité moderne en train de lancer
quelque vedette. Voir aussi ses remarques dans la Femme
abandonnée :
« II existe un prestige inconcevable dans toute espèce de
célébrité, à quelque titre qu'elle soit due [ . . . ] Nous ne sommes
impitoyables que pour les choses, pour les sentiments et les aventures
vulgaires. En attirant les regards, nous paraissons grands. Ne faut-il
pas en effet s'élever au-dessus des autres pour en être vu (23) ? »

(18) Lettres à l' Étrangère, I, 200-206.


(19) Balzac, sa vie et ses œuvres d'après sa correspondance, [1858],
dans les Œuvres complètes de Balzac, Calmann-Lévy, XXIV, p. xxxviii ;
Lettres à V Étrangère, I, pp. 415-6 ; II, p. 431.
(20) Illusions perdues, éd. Adam, pp. 221-4.
(21) Portraits et souvenirs littéraires, Plon-Nourrit, 1890, p. 125.
(22) Éd. Conard, XIV, p. 37. En France, dit Balzac ici, « on ne rit que
des choses et des hommes dont on s'occupe, et personne ne s'occupe de ce
qui ne réussit point ».
(23) La Femme abandonnée, éd. Conard, IV, pp. 265-6.
MONSIEUR DE BALZAC 385

Pour justifier sa vie dispendieuse aux yeux de Mme Han-


ska, Balzac lui explique que sa canne « fait jaser tout Paris »,
et il lui dit avec joie dans une autre lettre que

« Tout le dandysme de Paris en a été jaloux, et les petits journaux


en ont été défrayés pendant six mois [ . . . ] Jamais la queue du chien
d'Alcibiade n'a été si remueuse. J'ai encore trois ou quatre queues
comme celle-là à couper pour les Parisiens (24). »

II y avait aussi une autre raison pour son dandysme.


Interrogé par Gustave Claudin vers la fin de sa vie sur ce qu'il
fallait faire pour réussir comme romancier, Balzac a répondu
que la chose la plus essentielle était de « savoir très bien
vivre ». Pour cela, il était indispensable de fréquenter « le grand
monde » aussi souvent que possible. On pourrait imaginer
d'autres sortes de vie, mais non pas la vie des salons.
L'observation personnelle était nécessaire, « pour savoir de quelle
façon on y cause, et comment on doit s'y tenir » (25). [Voir les
opinions pareilles exprimées par Stendhal, dans un article
imprimé en 1828 dans le New Monthly Magazine et reproduit
dans son Courrier anglais (26).]
Ainsi, comme nous dit sa sœur Laure, « dans les premières
années de sa vie littéraire », Balzac « se priva plus d'une fois
du nécessaire afin de se procurer le superflu, si utile pour
occuper une place dans cette société qu'il voulait peindre ! » (27)
Cette société, c'est « le monde des superfluités
nécessaires » — comme Lucien de Rubempré, mal vêtu et
embarrassé, le découvre si péniblement, dans le jardin des Tuileries.
On remarquera la ressemblance entre la phrase employée
par Laure, et celle que Balzac a introduite dans cette
description — le passage tout entier étant une de ses meilleures
réussites comme description, et une des meilleures preuves de

(24) Lettres à V Étrangère, I, p. 195, 18-19 oct. 1834 ; I, p. 244, 30 mars


1835-
(25) « II insistait beaucoup sur ce point, rappelant qu'il avait beaucoup
vu le faubourg Saint-Germain, et qu'Eugène Sue lui-même était allé
étudier et observer dans ce milieu élégant. » Gustave Claudin, Mes
Souvenirs ; les boulevards de 1840 à 1870, Calmann-Lévy, 1884, p. 105.
(26) The New Monthly Magazine, 1828, XXII, p. 486 ; Courrier anglais,
Éd. du Divan, 1935, III, pp. 360-1.
(27) Op. cit., pp. XLIII-IV.
25
386 CHARLES GOULD

sa connaissance de la psychologie de l'adolescence inquiète


et mal assurée (28).
L'art de Balzac se voit également dans les portraits de
ces dandies qui ne sont plus jeunes, notamment dans celui
du Chevalier de Valois dans la Vieille Fille, ce portrait que
le romancier George Moore considérait comme
incomparable, avec, disait-il, les qualités d'une belle peinture par
Holbein, et aussi le brio d'un Hogarth (29).
Que Balzac ait voulu dépeindre le beau monde, c'était une
ambition naturelle pour quelqu'un qui avait l'ambition de
peindre la société tout entière de son époque, avec ses valeurs
nouvelles, ses rivalités, ses changements de classe, son
insistance sur les apparences, sur les valeurs matérielles comme
preuve de mérite. En particulier, il y avait le phénomène
de l'arriviste. Le Bourgeois gentilhomme nous fournit la preuve
que ce phénomène existait déjà au temps de Molière, mais
c'est au xixe siècle qu'il est devenu tellement important,
comme Stendhal et Balzac ont eu le mérite de le reconnaître,
et de nous le faire connaître.
Dans cette nouvelle organisation de la société, le dandy,
aux yeux de Balzac, occupait une place particulièrement
importante — plus importante, sans doute, que dans la vie
réelle. Il joue un rôle dans beaucoup des récits qui font partie
de la Comédie humaine, et parmi tous les personnages qui
reparaissent dans les œuvres de Balzac, il y a certains dandies
qui reviennent avec une fréquence frappante, d'après les
chiffres établis par le docteur Lotte (30). A cet égard, ils

p. (28)
178. Illusions
Une idéeperdues,
semblableéd. au
Adam,
sujet des
Un jeunes
grand homme
gens estdeexprimée
province par
à Paris,
Balzac dans le Père Goriot : « Riches ou pauvres, ils n'ont jamais d'argent pour
les nécessités de la vie, tandis qu'ils en retrouvent toujours pour leurs
caprices [...]. Si le jeune homme assis au balcon d'un théâtre offre à la
lorgnette des jolies femmes d'étourdissants gilets, il est douteux qu'il ait
des chaussettes...» (Ed. Castex, p. 173).
Cf. ce que Balzac dit lui-même dans une lettre à Auguste Borget, écrite
vers le Ier mars 1835 : « Je serai riche en 1836 — 1835 est encore plein
de misères secrètes, quoiqu' éclatant d'un luxe extérieur. » Correspondance,
éd. R. Pierrot, II, p. 643.
(29) Impressions and opinions, [1891], Nutt, 2nd impression, 1914,
pp. 18-21.
(30) « Le " retour des personnages " dans la Comédie humaine »,
L'Année balzacienne, 1961, pp. 233-234 ; de Marsay revient 27 fois.
MONSIEUR DE BALZAC 387

constituent une partie du « mobilier social », de l'arrière-


plan vivant, et ils aident à développer l'idée de continuité
et de simultanéité. Quelquefois, il est vrai, le procédé
semble un peu artificiel, quand Balzac se contente de donner
une liste des « illustres impertinents de l'époque » (31).
Mais leur rôle n'est pas seulement d'être des accessoires,
ou de former des liens entre un récit et un autre ; et ils ne
sont pas non plus les pantins et les fats qu'on retrouve dans
les caricatures et dans les œuvres satiriques contemporaines.
Pour Balzac, le dandy était bien autre chose. Il représentait
d'abord quelqu'un qui gardait un caractère distinctif et
individuel au milieu du nivellement général de l'époque — ce
nivellement qui rendait la tâche du romancier du présent
bien plus difficile que celle du romancier historique (32).
En outre, c'était souvent un personnage dangereux, même
sinistre — et ce trait fait partie de l'originalité de Balzac,
comme M. Citron l'a indiqué (33). Pour Balzac, le dandy c'était
l'aventurier, le « condottiere du dandysme », comme Gautier
disait d'Henri de Marsay (34) ; l'admiration de Balzac pour
ce personnage comme un homme supérieur trouve son
expression dans la préface à son Histoire des Treize, dans
sa description de

« cette vie de flibustier en gants jaunes et en carrosse ; cette union


intime de gens supérieurs, froids et railleurs, souriant et maudissant
au milieu d'une société fausse et mesquine... (35). »

Rastignac 25, Ronquerolles et Maxime de Trailles 21. Deux personnages


qui ne sont pas dandies viennent en tête de liste de personnages
reparaissants : Nucingen, avec 31 « apparitions », et Bianchon avec 29.
(31) Le Père Goriot, éd. Castex, pp. 44-5; voir aussi Illusions perdues,
éd. Adam, p. 450, et le Cabinet des Antiques, éd. Castex, pp. 86-7. M.
Castex a signalé les analogies entre ces passages dans les endroits que nous
venons de citer.
(32) Voir les idées exprimées à ce sujet par son porte-parole Félix
Davin dans son introduction aux Études de mœurs au XIXe siècle, Balzac,
Contes drolatiques, Préfaces, etc., éd. R. Pierrot, Bibl. de la Pléiade, vol. XI,
pp. 231-2.
(33) La poésie de Paris dans la littérature française de Rousseau à
Baudelaire, Les Éditions de Minuit, 1961, I, pp. 346-7.
(34) Portraits contemporains, pp. 116.
(35) Éd. Castex, Garnier, p. 16. Cette idée de supériorité est soulignée
par Balzac dans sa description de Maxime de Trailles dans Le Député
ďArcis : « Cet homme, le prince des mauvais sujets de Paris, s'était jusqu'à
ce jour soutenu dans la position supérieure qu'occupent les dandies. »
(Conard, XXI, pp. 386-7).
388 CHARLES GOULD

Ces dandies, ces lions, ces « corsaires à gants jaunes, à


cabriolets, à belles manières », comme Balzac les appelle (36),
se rattachent en partie à la conception du héros byronien,
en partie aux légendes du dandysme établies par le Beau
Brummell, en partie aux types du petit-maître ou du marquis
français, ou du roué du xvine siècle : ils représentent en
effet une convergence de traditions françaises et britanniques.
Mais Balzac a encore ajouté une conception qui lui est propre,
je crois, c'est-à-dire son idée d'une conjuration, une société
d'aide mutuelle. Il est vrai que dans plusieurs endroits il
nous montre la jalousie mesquine, et l'implacable égoïsme
qui caractérisent la peinture conventionnelle du dandy comme
type, mais il insiste aussi sur cette idée de coopération
entre une bande de dandies, avec leurs féroces loyautés de
gangsters — une idée, cependant, à laquelle il est loin d'avoir
donné tout le développement qu'il semble avoir prévu en
écrivant la préface à l'Histoire des Treize. Il est intéressant
aussi de noter que c'est un criminel, Vautrin, qui est chargé
d'instruire Rastignac dans les derniers raffinements du
monde élégant, et de lui donner des recommandations qui
auraient pu sortir directement de la bouche du Beau
Brummell lui-même — c'est là, n'est-ce pas, un paradoxe des plus
curieux, que d'entendre ces paroles venant de quelqu'un qui
se plaisait à bafouer la société et ses conventions, et se
considérait bien supérieur à elle.
« Vous seriez indigne de votre destinée si vous ne dépensiez trois
mille francs chez votre tailleur, six cents francs chez le chapelier [ . . . ]
Quant à votre blanchisseuse, elle vous coûtera mille francs. Les
je unes gens à la mode ne peuvent se dispenser d'être très forts sur
l'article du linge : n'est-ce pas ce qu'on examine le plus souvent
en eux ? (37) »

Nous venons de prononcer le nom du Beau Brummell, ce


personnage qui était déjà devenu une légende dans les années
de jeunesse de Balzac. Brummell s'était créé une personnalité
pour se lancer dans le monde ; c'était l'arriviste par excel-

(36} Un homme d'affaires, Conard, XVIII, p. 404.


(37) Le Père Goriot, éd. Castex, Gamier, pp. 171-2.
MONSIEUR DE BALZAC 389

lence, et en même temps un artiste qui cherchait la


perfection en matière de goût et d'élégance — des qualités bien
calculées pour provoquer l'admiration de Balzac, bien qu'il
n'ait pas suivi trop fidèlement lui-même les sages conseils
qu'il attribue à Brummell sur l'art de s'habiller (38).
Il faut d'abord noter que Balzac parle certainement d'une
façon ironique quand il appelle Paul de Manerville « le Brum-
mel bordelais », car de tous les dandies de Balzac, c'est lui qui
ressemble le moins au Brummell que Balzac admirait (39).
Paul de Manerville est simplement une imitation provinciale
du véritable dandy, comme l'est aussi Amédée de Soûlas, le
lion de Besançon, décrit dans Albert Savarus, qui devait se
contenter d'obtenir des gants à cinquante sous, et de les faire
nettoyer « dans le plus profond secret pour les faire servir
trois fois » (40). Pour un vrai dandy, c'était pire que
lèse-majesté.
Le mérite de Brummell, à la fois dans la vie réelle, et dans
la description que Balzac a donnée de lui dans le Traité de
la vie élégante, était de n'imiter personne. Il établissait ses
propres lois, et faisait croire à tout le monde qu'il était
indispensable de les suivre avec la dernière exactitude et fidélité.
Il correspond à la conception de l'artiste, du héros
romantique, de l'homme de génie tracée par Balzac au
commencement de son Traité :
4 L'artiste est une exception : son oisiveté est un travail, et son
travail un repos (41) ; il est élégant et négligé tour à tour ; [. . .]
il ne subit pas de lois : il les impose. Qu'il s'occupe à ne rien faire,
ou médite un chef-d'œuvre, sans paraître occupé ; qu'il conduise un
cheval avec un mors de bois, ou mène à grandes guides les quatre
chevaux d'un britschka ; qu'il n'ait pas vingt-cinq centimes à lui,

(38) Dans son Traité de la vie élégante, Balzac avait écrit : « Tout ce qui
vise à l'effet est de mauvais goût, comme tout ce qui est tumultueux.
Brummel a du reste laissé la maxime la plus admirable sur cette matière,
et l'assentiment de l'Angleterre Га consacrée ! Si le peuple vous regarde
avec attention, vous n'êtes pas bien mis : vous êtes trop bien mis, trop
empesé, ou trop recherché. » (P. 85, dans la première édition en volume,
qui porte la date de 1855, bien que publiée en 1853.)
(39) Le Contrat de mariage, Conard, VII, p. 214.
(40) Conard, III, p. 10.
(41) Cf. ce que Balzac dit de Victurnien d'Esgrignon : « II organisa
son oisiveté de manière à être occupé. » (Le Cabinet des Antiques, éd.
Castex, p. 109.)
39О CHARLES GOULD

ou jette de l'or à pleines mains, il est toujours l'expression d'une


grande pensée et domine la société (42). »

A la différence de certains critiques moins bien renseignés,


Balzac ne considère pas Brummell tout simplement comme
un fat, pas plus que Byron ni Stendhal.

« Quand il était dandy, nous dit Stendhal dans sa description de


Lord Byron, c'était avec le frémissement de la jalousie qu'il
prononçait le nom de Brummell ; ce fut, continue Stendhal, le roi de
la mode de 1796 à 1810 ; c'est l'existence la plus curieuse que le
dix-huitième siècle ait produit en Angleterre et peut-être en
Europe (43). »

Stendhal semble avoir momentanément oublié le nom de


Bonaparte en faisant cette remarque ; à cette époque, en
effet, on associait souvent les deux noms ensemble et on
comparait souvent le sort tragique de ces deux hommes :
« Brummel en perruque ; Napoléon en jardinier ; Kant en
enfance ; Louis XVI en bonnet rouge et Charles X à Cherbourg !...
voilà les cinq plus grands spectacles de notre époque. »

disait Balzac lui-même dans le Traité de la vie élégante (44).


Il appelle Brummell tour à tour « le patriarche de la fashion » ;
« cet universel créateur du luxe anglais » ; « Гех-dieu du
dandysme » ; « l'homme qui avait inventé la philosophie des
meubles, des gilets » ; « le fashionable qui avait imposé des
lois à l'Angleterre ».
Les deux dernières phrases méritent notre attention tout
particulièrement. Comme M. Jean Pommier l'a indiqué dans
les cours qu'il a donnés au Collège de France en 1950-51, le
Traité de la vie élégante anticipe sur bien des théories au sujet
du costume que Balzac allait introduire dans ses romans (45).
Balzac attribue à Brummell les idées qu'il était en train de

(42) Édition citée, p. 14.


(43) Revue de Paris, mars 1830. " Lord Byron en Italie, récit d'un témoin
oculaire, 1816."
(44) Édition citée, p. 39.
(45) Créations en littérature, Hachette, 1955, " La création littéraire
chez H. de Balzac ", pp. 41-42.
MONSIEUR DE BALZAC 391

formuler sur la « Vestignomie », comme il l'appelle lui-même


— c'est-à-dire les rapports entre les vêtements et les
sentiments, les attitudes et les réactions de l'homme qui les portait
à un certain moment. Balzac associe Brummell à cet égard avec
les idées de Laurence Sterne sur le même sujet. A noter ici
les analogies curieuses entre le Traité de la vie élégante et
le Sartor Resartus de Carlyle, écrit en 1828 et publié en 1833.
Mais c'est peut-être surtout l'ascendant de Brummell qui
a fasciné l'auteur de Falthurne, car ce « fashionable qui avait
imposé des lois à l'Angleterre » avait réussi, comme le jeune
héros d'un des premiers romans de Balzac, à traverser « cette
frontière où commence le triomphe des esprits
supérieurs » (46). Brummell avait adopté son mode de vie d'une
façon délibérée. Comme il expliquait à Lady Hester Stanhope
dans un instant de franchise qui lui était peu habituelle, il
y voyait le chemin qui menait au pouvoir social.

« Qui aurait jamais entendu parler de George Brummell, lui


disait-il, s'il avait été autre chose que ce qu'il est. C'est mon
extravagance qui m'a créé. Si je ne dévisageais avec insolence des
duchesses, si je n'adressais un petit salut cavalier à un prince, on
m'aurait oublié au bout d'une semaine, et si le monde est assez bête pour
admirer mes absurdités, vous et moi nous sommes peut-être plus
clairvoyants, mais quelle importance cela a-t-il (47) » ?

On retrouve cette idée de la satisfaction née d'un sentiment


de supériorité dans l'explication fournie par Henri de Marsay

(46) Éd. Castex, J. Corti, p. n.


pp.(47) 280-1.
Memoirs
LadyofHester
the Lady
Stanhope,
Hester Stanhope,
la nièce de
Henry
Pitt,Colburn,
était une
1845,
desvol.
plus
I,
célèbres Anglaises — et une des plus excentriques — de son époque.
Voir le compte rendu de ces Memoirs par Philarète Chasles, Revue des
deux mondes, 1845, nouvelle série, XI, pp. 900-912. (Balzac nous dit que
Madame de Bargeton « enviait lady Esther Stanhope, ce bas-bleu du
désert ». {Illusions perdues, éd. Adam, p. 46.)
D'après une autre anecdote, elle fit à Brummell des reproches pour
quelque extravagance, et lui demanda pourquoi une personne aussi
intelligente que lui n'appliquait pas ses talents à un but plus élevé.
Brummell répliqua qu'il connaissait bien la nature humaine et qu'il avait adopté
la seule ligne de conduite qui pût le mettre bien en vue et lui permettre
de se dissocier de la société du commun des mortels, pour lequel il avait
un profond mépris. (Capt. Jesse, The Life of Beau Brummell, [1844],
Navarre Society Reprint, 1927, vol. I, p. 110.)
392 CHARLES GOULD

quand Paul de Manerville l'interroge sur les raisons de sa


fatuité, dans La Fille aux yeux d'or (48).
Jouissances, pouvoir, domination, assurance, voilà les
caractéristiques que Balzac se plaît à décrire — non pas sans
une certaine envie — dans les portraits de ces dandies réussis,
comme Marsay et Maxime de Trailles, « qui tenaient le haut
du pavé dans le royaume de la fashion » (49). Il est tellement
fasciné par leur succès qu'il les rend, peut-être, trop
facilement triomphateurs. « Rien ne lui résiste », dit Paul de
Manerville au sujet de Marsay (50), et ce personnage serait sans doute
plus convaincant et plus dramatique, si l'on voyait dans son
histoire plus d'évidence de luttes sévères, de difficultés
vaincues. « On ne dit pas qu'il soit impossible ; mais c'est le moins
possible des héros de roman », disait Barbey d'Aurevilly de
lui dans Du Dandysme et de Georges Brummell (51).
Balzac semble exagérer à la fois le charme et le pouvoir
séducteur de ces personnages, et aussi leur côté sinistre ;
à certains instants, sa description devient romanesque, et
nous pensons au héros typique du roman noir, comme dans
certaines phrases de sa description de Maxime de Trailles
dans le Père Goriot (52) ou dans le Député d'Aras (53). Ce
n'est pas dans leurs moments de triomphe, en effet, que les
dandies de Balzac nous intéressent surtout. Rastignac, inquiet
au sujet de la boue qui va tacher ses bottes, marchant « avec
mille précautions pour ne se point crotter » (54) et presque
trop pauvre pour prendre une voiture pour se protéger con-

(48) Éd. Castex, Garnier, pp. 409-411. Il y a une ressemblance


frappante entre l'attitude de Brummell et celle de Marsay, quand ce dernier
dit : « Mais crois-tu que ce ne soit rien aussi d'avoir le droit d'arriver dans
un salon, d'y regarder tout le monde du haut de sa cravate, ou à travers un
lorgnon, et de pouvoir mépriser l'homme le plus supérieur s'il porte un
gilet arriéré ? » (p. 411, loc. cit.).
(40Л Illusions perdues, éd. Adam, p. 450.
(50) La fille aux yeux d'or, éd. Castex, p. 399.
(51) [1845], Émile-Paul Frères, 1918, p. 84 (en note).
(52) « Le spirituel enfant de la Charente sentit la supériorité que la mise
donnait à ce dandy, mince et grand, à l'œil clair, au teint pâle, un de ces
hommes capables de ruiner des orphelins. » Éd. Castex, p. 70.
(53) « Les yeux, comme ceux des joueurs qui ont passé des nuits
innombrables, étaient couverts comme d'un glacis ; mais, quoique affaibli, le
regard n'en était que plus terrible, il épouvantait. » Conard, XXI, p. 392.
(54) Le Père Goriot, éd. Castex, p. 67. Voir aussi la description semblable
de Raphaël dans La Peau de Chagrin, Garnier, pp. 129-30.
MONSIEUR DE BALZAC 393

tre le mauvais temps, nous semble un personnage bien plus


sympathique et bien plus vivant que le dandy fieffé qui
lorgne Marsay, Rubempré et les autres dans la loge à
l'Opéra (55). C'est quand il nous montre ses jeunes dandies luttant
contre l'adversité, passant de l'exaltation au désespoir, s'at-
tachant aux fausses apparences d'un monde basé sur des
valeurs irréelles, se trouvant comme Victurnien d'Esgri-
gnon dans l'impossibilité d'abandonner une vie ruineuse,
une fois adoptée, puisqu'une « honte éprouvée par bien des
jeunes gens, la honte d'abdiquer, lui conseilla de garder son
attitude » (56), que Balzac réussit d'une façon vraiment
remarquable, et aussi quand il nous montre les humiliations
et les angoisses qui attendaient ceux parmi ses héros qui le
suivaient sur le chemin sablonneux et malaisé qui mène vers
les hauteurs sociales : « Quand j'allais dans les hautes régions
de la société, disait-il à Mme Hanska en 1833, je souffrais par
tous les points de l'âme où la souffrance arrive (57). »
Mais c'était justement à ces expériences que Balzac devait
sa connaissance du monde. Il est clair que son dandysme
n'était pas la faiblesse que ses critiques lui ont si souvent
reprochée, car cette école d'adversité avait été l'école où il
avait appris à connaître la vie, si nous donnons foi à la phrase
qui suit celle que je viens de citer : « il n'y a que les âmes
méconnues et les pauvres qui sachent observer, parce que
tout les froisse et que l'observation résulte d'une souffrance. »

Charles Gould.

(55) Illusions perdues, éd. Adam, p. 189.


(56) Le Cabinet des Antiques, éd. Castex, Garnier, p. 89.
(57) Lettres à Г Étrangère, I, p. 15.

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