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Psychanalyse et criminologie

De quelques indications trouvées dans « Introduction théorique aux


fonctions de la psychanalyse en criminologie », et dans les réponses
apportées lors de la discussion de ce rapport, par Jacques Lacan
Martine Menès
Dans La lettre de l'enfance et de l'adolescence 2004/3 (no 57), pages 53 à 54
Éditions Érès
ISSN 2101-6046
ISBN 274920285X
DOI 10.3917/lett.057.0053
© Érès | Téléchargé le 29/06/2023 sur www.cairn.info (IP: 90.79.26.198)

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Problématiques

Psychanalyse et criminologie
De quelques indications trouvées
dans « Introduction théorique
aux fonctions de la psychanalyse en
criminologie », et dans les réponses apportées
lors de la discussion de ce rapport,
par Jacques Lacan 1
Martine Menès

Cette intervention, et la discussion qui suivit, datent de mai 1950. Retenons-


en ce que Lacan souligne des raisons de la sanction et des conditions nécessaires,
du côté du sujet et du côté du corpus socioculturel qui la décrète, pour que la
sanction puisse garder sa logique.
Lacan prévoit que dans la société qui s’installe, dominée par les lois du mar-
ché, le sens de réparation qu’a la punition va disparaître : « Une civilisation dont
les idéaux seront toujours plus utilitaires, engagée qu’elle est dans le mouvement
accéléré de la production, ne peut plus rien connaître de la signification expiatoire
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du châtiment. » N’est-il pas vrai qu’actuellement l’argent peut faire obstacle, voire
se substituer à la condamnation ? Et que l’évolution de la conception même du
délit, selon des valeurs où l’humanisme ploie devant le pragmatisme, fait évoluer
parallèlement l’idée de la sanction ?
Quant au sujet, quels préacquis lui sont indispensables pour comprendre
l’usage de la sanction ? pour y consentir ? En effet, « toute société manifeste la rela-
tion du crime à la loi par des châtiments dont la réalisation exige un assentiment
subjectif » qui « est nécessaire à la signification de la punition ». Le préalable à tout
traitement possible par la sanction suppose d’avoir repéré dans quelle logique
l’acte criminel se situe : métaphorique, inscrit dans le symbolique, ou réel, réalisa-
tion d’un acte au sens souvent obscur. Car « il y a des crimes qui n’ont de sens que
dans la structure fermée de la subjectivité », autrement dit dans le monde intérieur
de celui qui a agi. Or « la guérison ne saurait être autre chose qu’une intégration
par le sujet de sa responsabilité véritable […] qui doit le conduire à l’acceptation
d’un juste châtiment ». Lorsque le sentiment de culpabilité manque, ou reste indé-

Martine Menès, psychanalyste.


1. J. Lacan, Écrits, Paris, Le Seuil, 1966, p. 125-149, et Autres écrits, Paris, Le Seuil, 2001, p. 121-125.
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cis, le sujet cherche lui-même le châtiment du côté de l’autopunition. Mais senti-


ment de culpabilité et autopunition ne relèvent pas du même registre : le premier
renvoie au refoulement de la névrose, le second à la loi du talion imposée par l’in-
sensé de l’acte, que seul un identique en miroir pourrait annuler. Les actes du sujet
sont déterminés par sa réalité en fonction de sa structure psychique. Or l’irréalité
du crime ne se traite que par la responsabilisation du sujet qui le commet. Béné-
ficier d’un non-lieu fait disparaître le sujet non seulement comme irresponsable,
mais aussi comme existant. Le témoignage d’Althusser en atteste. (Lire à ce pro-
pos dans La lettre du Grape n° 47 de mars 2002 le commentaire de L’avenir dure
longtemps et le texte : « On tue un sujet », de M.V. Bittencourt.)
La responsabilité garantit l’humanité du condamné : « L’homme se fait recon-
naître de ses semblables par les actes dont il assume la responsabilité, c’est-à-dire
le châtiment, caractéristique essentielle de l’idée de l’homme qui prévaut dans une
société donnée. » D’où il se déduit que nul ne peut se faire justice lui-même : « Seul
l’État, avec la Loi positive qu’il soutient, peut donner à l’acte criminel sa rétribu-
tion. » Ce serait la tâche de la psychanalyse de faire passer le responsable d’un rap-
port de contrainte strictement extérieur (regretter l’acte uniquement à cause des
désagréments qu’il provoque à son auteur) à une prise de conscience. Mais est-ce
toujours possible ?
Lacan répond affirmativement dans le cas de névroses, voire de perversions :
« Les cas qui relèvent clairement de l’œdipisme devraient être confiés à l’analyste
sans aucune des limitations qui peuvent entraver son action. » Il répond par la
négative pour les psychotiques car « la responsabilité qu’elle restaure répond à l’es-
poir, qui palpite en tout être honni, de s’intégrer dans un sens vécu ». La psycha-
nalyse peut aider à construire du sens là où il n’y en a pas, à l’envers de ce qu’elle
peut alléger des motifs là où ils sont de prétexte.
Mais Lacan revient aux conditions d’exercice : « La psychanalyse du criminel
a des limites qui sont exactement celles où commence l’action policière, dans le
champ de laquelle elle doit se refuser d’entrer. » Non sans ajouter comme un
exemple cette petite phrase qui intéressera tous les cliniciens œuvrant de près ou
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de loin sous mission judiciaire : « C’est pourquoi elle ne s’exercera pas sans peine,
même là où le délinquant, infantile, par exemple, bénéficie d’une certaine protec-
tion de la loi. » Pas impossible donc dans ces cas-là, mais non sans peine…
Concluons sur cette brève lecture commentée : de quoi la psychanalyse peut-
elle répondre en criminologie ? Du sujet en personne, et du maintien de l’huma-
nité. Car « c’est précisément parce que la vérité qu’elle recherche est la vérité d’un
sujet qu’elle ne peut que maintenir la notion de responsabilité, sans laquelle l’ex-
périence humaine ne comporte aucun progrès ».
Plus de quarante ans après ces « conseils » aux gens de lois et aux cliniciens,
souhaitons qu’ils soient entendus par tous ceux et celles qui ne se contentent pas
de marcher sur les pavés infernaux des bonnes intentions.

RÉSUMÉ : Note de lecture sur un texte de Lacan des années 1950 dans lequel il ana-
lyse les éléments de compréhension de l’acte criminel, des conditions de l’effica-
cité de la sanction, et les limites de l’intervention psychanalyique en la matière.
MOTS CLÉS : Psychanalyse, criminel, sanction, responsabilité, culpabilité, autopu-
nition.

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