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Les « essences » des Recherches logiques

Claudio Majolino
Dans Revue de métaphysique et de morale 2006/1 (n° 49), pages 89 à 112
Éditions Presses Universitaires de France
ISSN 0035-1571
ISBN 9782130555988
DOI 10.3917/rmm.061.0089
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Dossier : f20593 Fichier : meta01-06 Date : 11/6/2007 Heure : 14 : 37 Page : 89

Les « essences »
des Recherches logiques

RÉSUMÉ. — Cet article se propose de montrer, contre l’interprétation de Heidegger,


que l’intuition catégoriale de Husserl n’est nullement l’analogon de l’intuition sensible.
Par le biais d’une analyse des rapports entre les recherches mathématiques du jeune
Husserl et l’ontologie aristotélisante de Brentano, on est à même de mettre en exergue
l’opposition cruciale entre analogie et variation. Une telle opposition est la clé même
de la phénoménologie de Husserl en tant que théorie non ontologique des multiplicités,
installée sur le terrain d’une grammaire pure a priori.

ABSTRACT. — The aim of this paper is to point out, against Heidegger’s interpretation,
that Husserl’s categorial intuition is not to be considered as the analogon of the sense
intuition. By analysing the relationship between Husserl’s early mathematical researchs
and Brentano’s ontological interpretation of Aristotle, we are in position to emphasize
the fundamental opposition between analogy and variation. Such an opposition is the
very key of Husserl’s phenomenology as a non ontological theory of multiplicities,
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considered from the point of view of a pure logical grammar.

LE SOURIRE DE HEIDEGGER

Dans le séminaire de Zähringen de 1973, Jean Beaufret posait à Heidegger


la question suivante : « Dans quelle mesure peut-on dire qu’il n’y a pas chez
Husserl de question de l’être ? » 1 Dans sa réponse, Heidegger parcourait
d’abord l’évolution interne de la question, qui va de l’interrogation du sens de
l’être dans Être et Temps au thème de la vérité de l’être, qui marque le
soi-disant tournant du second Heidegger. Quoi qu’il en soit, Heidegger de
répondre que « au sens étroit, il n’y a pas de question en quête de l’être chez
Husserl ». Cependant, « Husserl touche, effleure la question de l’être dans le
sixième chapitre de la sixième Recherche logique, avec la notion d’intuition
catégoriale ». Notion qui, de toute façon, reste bel et bien métaphysique dans
la mesure où « Husserl, pour parvenir à l’intuition catégoriale, part de l’intui-
tion sensible » 2.

1. Martin HEIDEGGER, Questions III et IV, Paris, Gallimard, 1976, p. 460.


2. Ibid., p. 461-462 (trad. à peine modifiée).

Revue de Métaphysique et de Morale, No 1/2006


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À la fin de la deuxième séance du séminaire, Heidegger, rappelant le texte


Mon chemin de pensée et la phénoménologie, revient sur la question en ratta-
chant Husserl à Brentano et notamment au Brentano de la Psychologie de 1874.
Et Heidegger d’ajouter, selon le compte rendu de la séance rédigé par Jean
Beaufret :

Mon propre point de départ a été le même Franz Brentano – mais non pas avec cette
œuvre de 1874 ; c’est en effet dans la Signification multiple de l’étant chez Aristote
que Heidegger a appris à lire la philosophie. Étrange et significative coïncidence, chez
Husserl et Heidegger, que cet identique premier pas avec le même philosophe, mais
non avec le même livre. Mon Brentano, dit en souriant Heidegger, est le Brentano
d’Aristote 3.

Si on lit ensemble ces deux extraits, on peut en tirer la conclusion suivante :


c’est le passage par le Brentano d’Aristote qui a permis à Heidegger d’aborder
finalement la question de l’être, alors que Husserl, ayant appris à philosopher
à l’école de la psychologie brentanienne, ne pouvait que rester sur le seuil de
la pensée de l’être. Ce qui lui fait simplement entrevoir, effleurer la question
de l’être, à la limite opérer une « percée », mais sans jamais la comprendre dans
toute sa portée.
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D’abord il serait aisé de montrer que Heidegger simplifie passablement les
choses en attribuant à la lecture de la seule Psychologie l’éveil philosophique
de Husserl. À proprement parler, le Brentano de Husserl est moins celui de
l’ouvrage de 1874, que Husserl lira avec une attention inégale, que celui des
cours sur la réforme de la logique tenus à Vienne lors du semestre d’hiver
1884-1885. En effet, force est de noter que si Husserl a toujours reconnu le rôle
joué par Brentano dans sa formation philosophique, il ne l’a jamais mis en
relation avec la lecture de sa Psychologie, alors que, par exemple, il évoque
encore, trente-cinq ans après, dans un manuscrit fribourgeois, ses cours de
philosophie pratique 4. En outre, dans les textes des années de Halle, Husserl
fait un usage assez discret – et même critique – aussi bien du concept d’in/
existence intentionnelle que de celui de l’évidence de la perception interne des
phénomènes psychiques. En revanche, il suffit de feuilleter la Philosophie de
l’arithmétique ou de chercher dans les manuscrits ou dans les notes qui se
réfèrent à la période de Vienne, pour trouver des indications plus pertinentes
quant à sa dette envers Brentano :

3. Ibid., p. 473.
4. F I 28/21b : « [...] die Wiener Universitätsvorlesungen über praktische Philosophie, an die
ich noch nach 35 Jahren mit großer Dankbarkeit zurückdenke ».
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Brentano, dans les cours intitulés De la logique élémentaire et de sa nécessaire


réforme, traitait de façon détaillée et à travers des formes toujours nouvelles et créa-
tives, de psychologie descriptive du continu (une attention particulière était accordée
aux Paradoxes de l’infini de Bolzano), de la distinction entre représentations intuitives
et non intuitives, claires et obscures, distinctes et confuses, propres et impropres,
concrètes et abstraites 5.

Selon un tel témoignage, tiré des Souvenirs de Franz Brentano de 1919, ont
d’abord impressionné Husserl des thèmes soit peu évoqués, soit complètement
ignorés par la Psychologie (au moins dans la première édition). Un historien
faisant confiance aux indications de Heidegger ne pourrait donc qu’être déçu.
Cependant, il faut bien reconnaître que Heidegger a raison : chez Husserl, il
n’y a pas de question de l’être. Mais il faudrait peut-être ajouter : et pour cause.
En effet, si Husserl passe à côté du problème fondamental de l’ontologie, ce
n’est pas parce qu’il a ignoré le Brentano d’Aristote, mais justement parce qu’il
l’a massivement critiqué. Autrement dit, c’est justement contre l’aristotélisme
brentanien, revu et corrigé à la lumière de la scolastique – et non avec lui,
comme ce sera le cas de Heidegger –, que Husserl aboutit à la phénoménologie
des Recherches logiques et à la notion d’« intuition catégoriale ».
Le sourire de Heidegger, noté par Jean Beaufret dans ses cahiers, non sans
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un brin de complaisance, indique donc une piste qu’il faut prendre au sérieux,
et non pas laisser tomber comme une simple anecdote. Il s’agit de l’idée
que la nature de la phénoménologie, et de ses possibilités, se joue sur l’axe
Aristote-Brentano-Husserl-Heidegger 6. C’est bien en acceptant le Brentano
d’Aristote que, sans aucun doute, Heidegger est devenu Heidegger – mais, en
même temps, c’est justement en refusant ce même Brentano aristotélisant que
Husserl a pu inventer la phénoménologie.

5. Husserl Chronik, p. 14. Dans le manuscrit A I 3/10a, Husserl reproduit exactement la même
liste de concepts clés brentaniens, en attribuant à une telle découverte le mérite de lui avoir fait
finalement comprendre des questions sur lesquelles il réfléchissait depuis son apprentissage chez
Weierstrass à Berlin.
6. La question complexe du rapport de Brentano à l’aristotélisme n’a, à ma connaissance, fait
l’objet que de deux remarquables mises au point, à savoir les études de Franco Volpi et celles de
Jean-François Courtine, auxquelles nous renvoyons volontiers. Voir notamment F. VOLPI, « War
Franz Brentano ein Aristoteliker ? Zu Brentanos und Aristoteles’ Auffassung der Psychologie als
Wissenschaft », Brentano Studien, no 2, 1989, p. 13-29, et J.-Fr. COURTINE, « L’aristotélisme de
Franz Brentano », Études phénoménologiques, no 27-28, 1998, p. 3-50.
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L E S M U LT I P L E S S I G N I F I C AT I O N S D E L ’ Ê T R E
– À S AVO I R : D E U X

L’ouvrage de Brentano de 1862 s’insère historiquement dans le cadre des


interprétations d’Aristote qui ont suivi ou accompagné l’édition critique Bekker
de l’Académie de Berlin. Bien que très diverses et souvent opposées, bien que
toujours motivées par un grand souci d’exactitude philologique et généreuse-
ment dévouées à la restitution de la pensée d’Aristote après – ou pendant – la
montée de la vague idéaliste, les lectures de la Métaphysique et du Traité des
catégories qui se sont suivies pendant la seconde moitié du XIXe siècle ont dû,
tôt ou tard, aborder la même question, celle de l’unité des significations de
l’être et notamment de la signification catégoriale.
En effet, Kant, en accusant Aristote, dans la première Critique (A 81/B 107),
de ne pas avoir su déduire la table des catégories, mais de s’être livré à une simple
« rhapsodie » de concepts, a placé les interprètes du XIXe siècle face au problème
de l’unité ou du fil conducteur (Leitfaden). Cette question concerne d’abord exclu-
sivement les catégories, mais s’élargit progressivement au problème de l’unité
des significations de l’être en général. Le topós « y a-t-il une unité interne des
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catégories qui en permet une déduction ou une quasi-déduction ? » empiète ainsi
sur le topós suivant : « y a-t-il une signification unitaire de l’être ? Y a-t-il une
unité de l’être au-delà de la pluralité des façons qu’on a de le dire » ?
La thèse du jeune Brentano s’installe dans un tel contexte d’élargissement de
la question du « fil conducteur », de l’unité des différentes catégories à l’unité
des différentes significations de l’être. Brentano commence par une analyse du
célèbre « to; o]n levgetai pollacw'" » (Mét., Z 1), et cherche ensuite à réduire
progressivement le « pollacw'" », jusqu’à atteindre la signification fondamen-
tale de l’être, signification autour de laquelle gravitent toutes les autres – et qui
empêche l’être d’être un concept absolument équivoque. La première étape du
parcours brentanien, si on suit les indications qu’Aristote donne lui-même en
Mét. E 2 (1026 a 34), est dans la réduction du « pollacw'" » à un « tetracw'" » :

Les multiples distinctions de significations différentes de l’être se laissent toutes


subordonner à une première distinction de quatre acceptions de ce nom [...]. La
pluralité de ses acceptions se subordonne à la quadruple distinction de l’être de
l’accident [o]n kata; sumbebekov"], de l’être du vrai [o]n wJ" alhqev"], de l’être [o[n] des
catégories et de l’être comme puissance et comme acte [o[n dunavmei kai; ejnergeiva] 7.

7. Franz BRENTANO, Aristote, les significations de l’être, trad. Pascal David, Paris, Vrin, p. 20-21.
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Il est important de noter que Brentano introduit dans sa phrase un mot très
révélateur : « se laissent subordonner à une première distinction ». Dès l’Intro-
duction, Brentano avoue qu’il ne saurait se satisfaire du « tetracw'" ». En effet,
cette réduction préliminaire établie, il s’agit maintenant pour Brentano d’inter-
roger chacune des quatre significations ainsi isolées sur son droit de cité dans
le domaine de la science de l’être en tant que tel.
À un tel examen ne résistera en fin de compte que la signification catégoriale.
En effet, l’ens per accidens est vite expulsé de la philosophie première parce
qu’il manque de toute autonomie ontologique, n’étant qu’en vertu d’un être à
lui étranger, qui se trouve fortuitement aller de pair avec lui. Il s’agit donc, écrit
Brentano, d’une « première signification impropre de l’être » 8. Il n’en va pas
autrement de l’ens tamquam verum et falsum, qui ne se trouve que dans les
jugements, affirmatifs ou négatifs, et qui manque donc de toute existence en
dehors de l’esprit (oujk e[xw ou\savn tina fuvsin tou' o[nto" dhlou'sin) : « Il a son
fondement dans les opérations de l’entendement humain qui relie et sépare,
affirme et nie, non dans les principes suprêmes de la réalité à partir desquels la
métaphysique tend à la connaissance de son être en tant qu’être [o]n h|/ o[n]. » 9
L’être de l’accident et l’être du vrai représentent donc des significations « impro-
pres » (uneigentliche) de l’être dans la mesure où, pour des raisons différentes,
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elles ne sont pas des significations « réelles » (reale).
Quant à l’être selon la puissance et l’acte, il indique certes « un étant en
dehors de l’esprit qui, ne faisant qu’un avec lui, lui appartient de façon propre ».
Néanmoins, Brentano rattache et subordonne cette dernière signification à la
signification « plus importante », à la seule et véritable subdivision ontologique
introduite et reconnue par Aristote, à savoir, celle qui détermine l’être selon les
figures des catégories (to; o]n kata; ta; schvmata tw'n kathgoriw'n).
En fin de parcours, Brentano a donc d’abord réduit les multiples significations
de l’être à quatre acceptions, avant de reconduire les trois premières à la qua-
trième, c’est-à-dire à la signification catégoriale.
Mais la signification catégoriale elle-même « englobe à son tour une grande
diversité d’acceptions » 10, elle aussi doit être soumise à une réduction qui,
finalement, puisse nous livrer à la fois le fil conducteur qui relie les différentes
acceptions catégorielles et l’objet « propre » (eigentlich) de la métaphysique en
tant que science de l’être en tant qu’être.
La tâche du cinquième et dernier chapitre de la dissertation brentanienne est
donc de retrouver l’unité de l’être catégoriel (dont dépendent les autres signi-

8. Ibid., p. 27 (trad. modifiée).


9. Ibid., p. 50 (trad. modifiée).
10. Ibid., p. 81.
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fications exclues ou relativisées au fil des analyses), tout en respectant l’interdit


aristotélicien, c’est-à-dire sans faire de l’être un genre. Pour parvenir à ses fins,
Brentano utilise le concept scolastique d’analogia entis (concept qui, comme
Aubenque l’a bien montré, est loin d’être aristotélicien) 11 :

l’o[n renvoyant aux différentes catégories, fût-ce homonymement, ne représente pas


pour autant une homonymie purement fortuite [ajpo; tuvch" oJmwvnumon] ; il convient
bien plutôt d’y chercher une unité de l’analogie. Cette analogie est double, étant non
pas seulement analogie de la proportionnalité, mais encore analogie par rapport à un
même terme 12.

Grâce à l’apport unifiant de l’analogie, Brentano peut traiter l’être comme un


genre. Il aboutit ainsi à ce qui, à plusieurs égards, fait la spécificité ainsi que
la radicalité de sa démarche et qu’on pourrait finalement résumer par la formule
« to; o]n levgetai dgadikw'" ». Dans une démarche qui n’est pas sans rappeler
l’un des gestes les plus propres du néoplatonisme 13, il soutient qu’en fin de
compte l’être se dit de deux façons : il y a l’être « au sens propre » (eigentlich),
à savoir la substance, et l’être « au sens impropre » (uneigentlich), à savoir l’être
de toutes les autres catégories qui « sont appelées elles aussi des êtres relati-
vement à l’un et à une seule nature (pro;" e}n kai; mivan tina; fuvsin), relativement
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à l’être unique de l’oujsiva » 14.
Tout ce qui n’est pas substance est en relation avec la substance, en tant
qu’accident. Et puisqu’il y a un isomorphisme strict entre la structure de la
prédication et la structure de l’être, les différentes catégories ne sont pas seu-
lement les différentes façons dont quelque chose est prédiqué de la substance
première, elles sont aussi des « modes d’existence » (Existenzweisen) différents.
Ce qui « est » existe soit comme substance, soit en rapport à la substance. Il y
a donc autant de significations de l’être que de modes d’être en rapport à la
substance première :

Vu que l’être qui se subdivise en catégories est dit par rapport à une unité [pros hen],
et que celles-ci se distinguent selon les différentes façons d’exister [Existenzweisen]
dans la substance première, une déduction de la subdivision des catégories ne s’avère
pas impossible 15.

11. Voir Pierre AUBENQUE, « Sur la naissance de la doctrine pseudo-aristotélicienne de l’analogie


de l’être », Les Études philosophiques, no 2, 1989, p. 291-304.
12. Fr. BRENTANO, Aristote, p. 91 (trad. modifiée).
13. Brentano va même jusqu’à reconnaître le bien-fondé de la critique plotinienne d’Aristote ;
voir p. 139.
14. Ibid., p. 101 (trad. modifiée).
15. Ibid., p. 139-140.
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C’est à ce moment que Brentano peut reprendre le fil des réductions et entamer
une véritable déduction des multiples significations de l’être à partir du couple
fondamental de la substance et de la relation à la substance. En restituant ainsi
à la métaphysique son objet véritable, en tant que « science de la réalité en tant
que réalité » (Wissenschaft der Realen als Realen), c’est-à-dire science de la
substance première : « c’est donc de la substance que la philosophie première
doit sonder les principes et les causes, c’est à elle qu’il revient en priorité, et
pour ainsi dire exclusivement, de considérer l’être » 16.

D E L ’ O N TO L O G I E À L A P S Y C H O L O G I E E T R E TO U R

Si l’aboutissement final de la dissertation de 1862 est donc une « ousiologie »


forte, il faut aussi remarquer que tout le texte est traversé par une différence
qui se répète à plusieurs niveaux, et qui s’avère bien plus importante pour
l’histoire des effets de ce texte. Il s’agit, on l’aura compris, du couple du
« propre » et de l’« impropre », qui est d’abord introduit pour départager la
signification catégoriale des autres (notamment de l’ens per accidens et de l’ens
tamquam verum et falsum), et qui revient ensuite, à un niveau différent, pour
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distinguer les deux catégories fondamentales de l’« ojusiva » et du
« sumbhbekov" » (qu’on ne doit pas confondre avec l’o[n kaqa; sumbhbekov",
expulsé de la philosophie première par le deuxième chapitre, et qui s’oppose à
l’o[n kaq!auJtov). La métaphysique, on l’a vu, étant définie par Brentano comme
la science de la signification propre de l’être (die Eigentliche), qu’il faut séparer
(trennen) de ses significations « impropres » (die Uneigentliche), coïncide avec
la « science du réel en tant que réel ».
Or, une telle décision d’établir la ligne de démarcation de la philosophie
première entre l’être au sens propre (réel) et l’être au sens impropre (qui n’est
qu’en relation à l’être réel) ne s’arrête pas à la dissertation de 1862. Bien au
contraire. La thèse des deux « Existenzweisen » fondamentaux accompagne
Brentano dans toutes ses recherches, au moins jusqu’au soi-disant tournant
réiste. Et elle projette sur chaque classification dans laquelle elle est employée
– qu’elle soit épistémologique, psychologique ou autre – l’ombre ontologique
de son origine.
Dans la Psychologie de 1874, par exemple, nous retrouvons le partage entre

16. Ibid., p. 201. « Platon croyait que le concept d’étant [das Seiende] était univoque par rapport
à tout ce qui est dit être. Par conséquent, il posa au-dessus de ses idées l’Idée de l’étant. C’est
exactement ce que Aristote lui a reproché, qui affirmait que l’expression “étant” a plusieurs signi-
fications. On dit que certains étants “sont” de façon tout à fait impropre [manches werde ganz
uneigentlich seiend gennant] » (Fr. BRENTANO, Über Aristoteles, Hambourg, Meiner, 1986, p. 191).
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l’existence au sens propre et l’existence au sens impropre ou dérivé au cœur de


la doctrine brentanienne de l’esse intentionale. En effet, la notion d’intentio
indique moins une qualité des actes – ou alors, elle le fait d’une façon passa-
blement ambiguë – qu’une dimension ontologique propre à un certain type
d’objets qui « sont », mais qui ne sont pas « au sens propre », à savoir les objets
immanents aux actes. En effet, il est connu que Brentano n’utilise point le mot
d’intentionnalité, mais plutôt celui d’in/existence intentionnelle. « Intentionnel »
est donc d’abord un prédicat de « existence » qui indique un « Existenzweise »,
un mode d’être propre à ce type d’étants qui ont une existence non pas réelle,
mais toujours relative à une réalité, c’est-à-dire à la réalité des phénomènes
psychiques. La définition brentanienne des phénomènes psychiques possède
donc deux niveaux dont le premier est sans doute psychologique et descriptif,
alors que le second est plutôt d’ordre ontologique. En ce sens, ce qui importe
est moins la thèse qui attribue à tout phénomène psychique un objet immanent
que celle qui lui attribue une existence aussi bien réelle qu’intentionnelle.

Par la suite nous avons indiqué, en tant que trait spécifique des phénomènes psychi-
ques, l’in/existence intentionnelle, à savoir la direction vers quelque chose en tant
qu’objet ; il n’y a aucun phénomène physique qui montre rien de semblable. [...] Il
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faut ajouter à cela encore la détermination suivante : il ne convient qu’aux phénomènes
psychiques d’avoir, outre une existence intentionnelle, aussi une existence réelle
[außer der intentionalen auch wirkliche Existenz] 17.

D’ailleurs Brentano confirme lui-même, dans le passage clé de Psychologie I


où il introduit l’in/existence intentionnelle, la courbure ontologique d’une telle
notion, en renvoyant à la tradition scolastique de l’esse intentionale en tant
qu’esse diminutum qui s’oppose à l’esse reale, doté d’une consistance onto-
logique pleine 18.
Il paraît clair que la différence ontologique entre un sens propre de l’être et
un sens impropre, entre deux « Existenzweisen » qui se partagent (de façon
asymétrique) le champ de l’être, opère encore à l’arrière-plan des distinctions
psychologiques de 1874 : entre phénomènes psychiques et physiques ainsi
qu’entre existence réelle et existence intentionnelle. Dans cette perspective, le
tournant réiste de Brentano n’en paraît donc pas vraiment un – il serait plutôt

17. Psychologie I, p. 137 (nous traduisons).


18. Attention à la critique suivante adressée à Philon d’Alexandrie : « Même chez Philon, écrit
Brentano, on trouve la doctrine de l’existence et de l’in/existence mentale. Mais dans la mesure où
il confond cette dernière avec l’existence au sens propre [mit der Existenz im eigentlichen Sinne],
il aboutit à la doctrine contradictoire du logos et des idées » (Psychologie I, p. 125, note ; nous
traduisons). La même critique touche le paralogisme d’Anselme : avoir attribué à l’existence mentale
une existence réelle.
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l’un des développements possibles des présupposés ontologiques dégagés par


la dissertation de 1862.
Dans les cours du semestre d’hiver 1884-1885 de Vienne, en présence de
Husserl, Brentano présente une nouvelle application psychologique du partage,
originairement ontologique, du propre et de l’impropre. Après avoir soutenu la
thèse du caractère fondamental de la représentation pour la vie psychique, en
tant que soubassement intentionnel de toute expérience de conscience, Brentano
introduit la distinction entre « représentations propres » et « représentations
impropres ». Comme quoi nous sommes apparemment passés du domaine des
modes d’existence (Existenzweisen) à celui des modes de représentation (Vor-
stellungsweisen). Ce dernier partage est d’une importance cruciale. En effet,
d’un point de vue historique, il s’agit d’un véritable point-source, reconnu
comme tel par tous les brentaniens les plus doués de la génération de Husserl.
Bien plus que l’intentionnalité (marginalisée par Marty, Meinong et par d’autres
encore), c’est la distinction entre le propre et l’impropre appliquée aux repré-
sentations qui traverse sans cesse les travaux des brentaniens – de Marty à
Twardowski, de Husserl à Meinong, de Kerry à Ehrenfels. Chacun d’entre eux,
sans exception, entre 1884 et 1900, a réfléchi, sollicité, élaboré, critiqué une
telle distinction 19.
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Que faut-il donc comprendre par l’expression « représentation propre » ? La
Psychologie de 1874 nous avait appris que l’acte représentationnel a pour
fonction de rendre présent quelque chose à la conscience à titre d’objet imma-
nent. Cependant, il ne faut pas croire que tout contenu soit effectivement
représenté. Dans les cours du WS 1884-1885, Brentano explique que nous nous
représentons quelque chose de façon propre lorsque cette chose est présente
en elle-même à la conscience à titre d’objet immanent. En revanche, nous nous
représentons quelque chose de façon impropre lorsque nous ne nous représen-
tons pas cette chose par elle-même, mais de façon « analogique » (analogisch) :
à savoir de façon relative, par le biais d’un substitut, d’un ersatz, d’une ou de
plusieurs représentations secondaires, par le biais de ses affections ou de ses
relations. Ce qui n’est pas saisi en soi, dans sa présence, est vécu de façon
simplement analogique comme ce qui est en rapport avec des représentations
propres.
Voici un long passage des leçons de Vienne qui donne une idée assez claire
de ce que Brentano entend par « représentation impropre » :

19. Je me permets ici de renvoyer à l’article suivant : « Appunti su Husserl, Brentano e la


questione delle rappresentazioni simboliche », dans Daniele GAMBARARA, Franco LO PIPARO (éd.),
Filosofia e linguaggio in Italia. Nuove ricerche in corso, Atti del VII Congresso Nazionale della
Società Italiana di Filosofia del Linguaggio, Cosenza, 2002, p. 82-92.
Dossier : f20593 Fichier : meta01-06 Date : 11/6/2007 Heure : 14 : 37 Page : 98

98 Claudio Majolino

Nous nous représentons de façon impropre [uneigentlich] ce dont nous n’avons pas
de représentations correspondantes. Dans cette catégorie, nous avons, par exemple, la
façon inadéquate de nous représenter Dieu à travers des analogies tirées des créatures.
L’on désigne ce à quoi de telles analogies se réfèrent par le biais du mot « Dieu ».
Mais ce que Dieu est en lui-même, cela se dérobe à notre représentation. Nous ne
savons pas, de façon propre [eigentlich], ce qu’est ce qu’on appelle « Dieu », nous
ne comprenons pas le sens ultime du mot « Dieu » [...]. Pareillement nous ne pouvons
pas former des concepts comme « infini », « illimité », « éternel », etc., de façon
propre. Nous ne pouvons que les atteindre grâce à des formations analogiques, en
regardant un espace que nous pouvons saisir par le regard ou en multipliant un
événement périodique comme l’alternance du jour et de la nuit. Mais les choses ne
sont guère différentes dans le cas où nous nommons des objets dont on ne saisit que
des caractères singuliers [Merkmale] sans que nous puissions nous les représenter
comme tels, en raison de leur complication. On ne peut pas avoir de représentation
propre [eigentlich] ni d’un million, ni d’un milliard ; nous utilisons ces noms sans les
comprendre jusqu’au bout 20.

En mêlant arguments issus de la scolastique et exigences d’ordre plutôt empiro-


criticiste, Brentano caractérise la distinction du propre et de l’impropre appli-
quée aux représentations d’un double point de vue. 1) Il oppose d’un côté ce
qu’on signifie et qui est également présent au vécu à ce qu’on signifie par
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complexions sans qu’il soit jamais présent à titre d’objet immanent. Et de l’autre
2) ce qui a une présence directe, autonome, séparée et individuelle de ce qui
ne possède qu’une présence relative et secondaire, la présence diminuée de
quelque chose qui « n’est pas en soi-même », mais qui se tient dans un mode
d’existence transitif, subordonné, non autonome : ce qui est là tant que ce qui
est représenté proprement est également là.
Cette dernière partition introduit une nouvelle inflexion au thème des « modes
d’existence ». Dans ce nouveau contexte, le « propre » (eigentlich) est un
domaine représentationnel marqué d’un côté par la solidarité entre langage et
vécu, et, de l’autre, par la présence à la conscience de la chose en elle-même,
de son in/existence intentionnelle (qui, à son tour, est impropre par rapport à
l’existence propre des actes) ; en revanche, l’« impropre » (uneigentlich) est le
domaine où nous nous représentons quelque chose uniquement par le biais du
langage, et uniquement par le biais de son être (représenté) relatif, par rapport
à d’autres choses qui sont « représentées » proprement. La nouvelle inflexion
ici introduite, inédite à l’époque de la dissertation de 1862 comme de la Psy-
chologie de 1874, tient donc à cette étrange proximité établie entre le lovgo" et
le prov" ti, entre le caractère simplement langagier et le caractère relatif de la
représentation.

20. Fr. BRENTANO, Die Lehre vom richtigen Urteil, Hambourg, Meiner, p. 64-65.
Dossier : f20593 Fichier : meta01-06 Date : 11/6/2007 Heure : 14 : 37 Page : 99

Les « essences » des Recherches logiques 99

« TO ARIQMOS LEGETAI POLLAKOS »

Si l’exemple de Dieu était sans doute peu parlant pour Husserl en 1884, il
n’y a aucun doute que le discours concernant l’infini devait lui paraître bien
plus familier. Husserl était en effet un jeune mathématicien qui venait d’achever
en 1883 une dissertation sur le calcul des variations. Et c’est uniquement avec
quelques connaissances en théorie des mathématiques – issues de son appren-
tissage berlinois chez Weierstrass et d’une lecture approfondie des textes d’his-
toire des mathématiques de Hankel – que Husserl affronte les leçons viennoises
de Brentano.
Husserl débarque donc à Vienne avec ses propres problèmes théoriques, hérités
de Weierstrass, concernant notamment la fondation du calcul infinitésimal par
l’arithmétisation de l’analyse. Soit l’idée que l’analyse tout entière doit se fonder
exclusivement sur le système des nombres, et qu’elle n’a finalement comme base
que le concept de nombre 21. Brentano offre à Husserl un moule philosophique,
une forme, pour reformuler ses problèmes et les aborder à nouveaux frais.
Au départ de la réflexion philosophique de Brentano, on l’a vu, il y a un
problème d’homonymie. Problème dont la solution – la voie analogique du
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propre à l’impropre – irrigue toute sa production ultérieure. Or, il peut paraître
étonnant de retrouver, dès le premier alinéa de l’Introduction à la Philosophie
de l’arithmétique, la question de l’unité de l’arithmétique et de l’analyse sur la
base d’une refonte du concept de nombre formulée, presque mot pour mot, dans
les termes de la question brentanienne de l’homonymie :

Le concept de nombre – écrit Husserl – est un concept multiple [Der Begriff der Zahl
ist ein vielfacher]. Nous en avons déjà une indication dans le fait que plusieurs mots
de nombre différents se présentent dans le langage de la vie quotidienne 22.

Et il ne l’est pas moins de remarquer au chap. XI que la solution au problème


de l’homonymie du nombre est dans la distinction et l’articulation entre une
« représentation propre » de nombre et une « représentation impropre » ou sym-
bolique :

21. « Weierstrass avait l’habitude, écrit Husserl dans une note de l’introduction à la Philosophie
de l’arithmétique (dorénavant PdA), de commencer ses mémorables leçons sur la théorie des
fonctions analytiques par les phrases : l’arithmétique pure (ou analyse pure) est une science qui a
uniquement et seulement pour base le concept de nombre. Elle n’a besoin par ailleurs d’aucune
espèce de présupposition, d’aucun postulat ni d’aucune prémisse » (Edmund HUSSERL, Philosophie
de l’arithmétique (trad. Jacques English), Paris, PUF, 1992 (1972), p. 14.
22. Ou, selon la traduction de Jacques English, qui, hélas, étouffe tout écho brentanien : « Le
concept de nombre se divise en plusieurs variétés » (p. 11).
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100 Claudio Majolino

Dans ses cours d’université, F. Brentano a insisté depuis toujours avec la plus grande
force sur la différence entre représentations « propres » et représentations « impro-
pres » ou symboliques. C’est à lui que je dois d’avoir profondément compris
l’extrême importance de la représentation impropre dans toute notre vie psychique,
qu’avant lui, autant que je sache, personne n’avait pleinement saisie. [Trad. English,
p. 236.]

Tout comme Brentano avait introduit le couple du propre et de l’impropre


pour répondre à un problème d’homonymie (quelle signification fondamentale
de l’être est à la base de la dispersion apparente dont le langage est le
témoin ?), le jeune Husserl s’interroge sur l’unité du concept de nombre (unité
qui seule peut donner à l’arithmétique un fondement stable et sûr), dans les
mêmes termes que ceux aménagés par Brentano lors de son interprétation
d’Aristote. Husserl croit donc pouvoir apprendre une chose de Brentano, à
savoir penser le nombre comme la métaphysique pense l’être. L’être se dit en
bien des façons – dit Brentano – et pourtant il y a une signification fonda-
mentale qui en fait une unité et qui remet de l’ordre dans cette dispersion :
une unité qui n’est pas l’unité d’un genre. Le nombre se dit en bien des façons
– comprend Husserl – mais toujours par rapport à l’unité d’un concept fon-
damental, qui permet de comprendre de quoi on parle quand on parle de
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nombres, même dans le cas de formations paradoxales (tels les nombres
imaginaires) qui ne semblent nullement être des spécifications du genus
conceptuel « nombre ». L’un et l’autre sont des concepts équivoques mais pas
complètement. Ainsi, en suivant les plis du langage, la multiplicité d’accep-
tions se révèle finalement une multiplicité relative, qui peut être progressive-
ment réduite à ses termes minimaux.

La science arithmétique parle de nombres positifs et négatifs, rationnels et irrationnels,


réels et imaginaires, de quaternions, de nombres alternatifs, idéaux, etc. Mais si
différentes que puissent être les expressions arithmétiques de tous ces nombres, il
n’en reste pas moins qu’elles renferment les signes de numérations 1, 2, 3... en tant
que parties constitutives, et ainsi les numérations semblent jouer aussi en arithmétique
d’une certaine façon le rôle de nombres de base, si tant est que conclure de la
dépendance des désignations à celle des concepts ne constitue pas une erreur complète.
[Trad. English, p. 13.]

Husserl ne s’était jamais occupé d’ontologie ni n’avait des connaissances pré-


cises sur Aristote. Il ne lira la monographie introductive de Grote consacrée à
Aristote qu’en 1884, juste après la rencontre avec Brentano 23. Cependant, à

23. Voir la bibliothèque privée de Husserl et l’ex libris sur la première page de son exemplaire
de George Grote, Aristotle, 1872 (cote BQ 164 I).
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Les « essences » des Recherches logiques 101

travers la pratique philosophique de Brentano – et certainement pas grâce


à sa lecture de la Psychologie de 1874 –, Husserl apprend et applique au pro-
blème du nombre une façon aristotélicienne de penser l’équivocité et la multi-
plicité – à savoir : celle qui s’articule selon les termes de l’« ojusiva » et du
« prov" ti ».

S P L E N D E U R E T M I S È R E D E S R E P R É S E N TAT I O N S P RO P R E S

Mais une telle solution n’était pas destinée à satisfaire longtemps Husserl.
Rappelons brièvement la tâche de la Philosophie de l’arithmétique. L’arithmé-
tique connaît plusieurs types de nombres, parfois difficiles à ranger sous un
concept unitaire (qu’il s’agisse du concept de numération, de quantité, etc.) ; et
pourtant, il faut les expliquer de façon unitaire ; pour cela, il faut d’abord
reconduire l’arithmétique générale à l’arithmétique des numérations, fondée sur
le simple concept de « nombre » (Anzahl) ; tout concept autre doit être soit
dérivé soit réduit à ce dernier, en un mot « fondé » (fundiert, begründet) sur
lui ; pour cela, il faut une explication théorique du concept de numération, telle
qu’on puisse d’abord établir son caractère fondateur et, ensuite, en déduire ou
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en dériver tous les autres concepts de l’arithmétique générale.
Pour accomplir une telle tâche, dans les deux parties respectives de la
Philosophie de l’arithmétique, Husserl introduit d’abord un concept « propre »
de nombre, à savoir celui qu’on tire de la réflexion sur l’acte psychique de la
liaison collective. Le nombre est le résultat de l’acte de rassembler et de
dénombrer des unités indéterminées. Un tel concept est dit « propre » dans la
mesure où, par le biais de l’acte de compter qui lui est sous-jacent, il est tiré
de la représentation d’une multiplicité présente en elle-même. Saisir une mul-
tiplicité en elle-même veut dire – ce qui est très important – la saisir en tant
que présente en face d’un acte réflexif (de second degré) orienté sur l’acte de
la liaison collective, qui relie plusieurs objets indéterminés dans l’unité d’une
quantité dénombrable. L’activité synthétique d’un tel acte est donc le phéno-
mène concret à partir duquel obtenir l’abstractum indiqué par le concept de
nombre 24.

C’est par la réflexion sur l’acte psychique qui accomplit l’unité des contenus liés dans
l’ensemble que nous obtenons la représentation abstraite de la liaison collective, et

24. Il y a donc quatre phases : 1) le rassemblement d’objets quelconques par le biais d’un acte
dit de « liaison collective » ; 2) la réflexion sur l’acte psychique qui relie ; 3) la représentation
abstraite du « lien collectif » ; 4) la formation du concept de quantité ou de pluralité dénombrable.
Voir PdA, p. 94.
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102 Claudio Majolino

c’est au moyen de celle-ci que nous formons le concept de la quantité en tant que
celui d’un tout qui lie des parties d’une manière simplement collective. [Chap. IV.]

Par la suite, dans la seconde partie, Husserl aborde les concepts de nombres
impropres ou symboliques, à savoir les autres concepts – les concepts de nom-
bres qui ne sont pas fondés sur la liaison collective, mais qui, pour autant, sont
censés présupposer et se référer toujours aux nombres propres. Les concepts
symboliques expriment donc des multiplicités impossibles à saisir par dénom-
brement. Des multiplicités qui sont bien saisies en elles-mêmes mais sans être
présentes « à proprement parler ». Ainsi :

En un sens symbolique, mais tout à fait déterminé, nous pouvons parler de nombres
là où leur représentation propre nous est à tout jamais refusée, et à ce stade nous
sommes même en mesure d’établir l’infinité idéale de l’empire des nombres. [Trad.
English, p. 275.]

À travers la relation du symbolique au propre, nous avons enfin des concepts


qui se fondent sur l’expérience d’une multiplicité concrète (saisie en tant que
multiplicité par le biais du dénombrement de ses éléments), et des concepts de
multiplicités qui ne s’appuient pas sur une telle expérience, et qui ne sont que
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des « représentations indirectes » – par le biais de symboles – de multiplicités
proprement représentées, et qui finalement remplacent ces dernières lorsque
leur représentation propre nous est refusée (comme dans le cas des nombres
très élevés ou des nombres paradoxaux).
Le modèle brentanien semble donc avoir été appliqué avec succès. Et pourtant,
malgré les efforts du texte de 1891, qui améliore largement l’état des recherches
conduites en 1886 dans la dissertation Sur le concept de nombre – l’objet
mathématique n’est pas mis dans le moule brentanien de l’homonymie sans se
montrer à plusieurs égards récalcitrant. Ce que Husserl lui-même ne tardera pas
à comprendre.
En effet, déjà dans une lettre à Stumpf de février 1890 – et donc écrite alors
même que la Philosophie de l’arithmétique allait paraître ! – Husserl avoue sa
déception vis-à-vis de la solution apportée au problème de l’unité de l’arithmé-
tique dans sa version brentanienne :

L’opinion qui me dirigeait encore dans ma thèse d’habilitation, selon laquelle le


concept de numération formerait le fondement de l’arithmétique générale, se révéla
bientôt fausse. Aucun tour d’adresse, quel qu’il soit, aucune « représentation impro-
pre » ne permet de dériver les nombres négatifs, rationnels, irrationnels, et les divers
nombres complexes à partir du concept de numération. [...] Dès lors qu’aucun concept
commun ne se trouve au fondement de ces différentes applications de l’ar<ithméti-
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Les « essences » des Recherches logiques 103

que>, à partir duquel cette science se laisserait dériver, qu’est-ce qui en constitue le
contenu, sur quel type d’objets conceptuels portent ses propositions ? Étrange ques-
tion ! [Trad. Gérard/Fabre, p. 174.] 25

L’idée de penser le rapport entre les numérations et les autres concepts de


nombre selon le modèle de dérivation entre le propre et l’impropre, entre ce
qui est en lui-même et ce qui est en rapport (de construction, de dérivation, de
production, de renvoi symbolique) avec ce dernier est vouée à l’échec. Quant
au concept de nombre : si le problème de l’homonymie reste intact, c’est que
la solution doit être cherchée ailleurs que dans la doctrine de l’analogie. L’échec
du premier tome de la Philosophie de l’arithmétique ne tient finalement qu’à
cela : Brentano nous a trompés ! On ne saurait penser l’homonymie du nombre
comme la métaphysique pense l’homonymie de l’être.

L A S O L U T I O N PA R L A F O R M E :
M U LT I P L I C I T É E T VA R I AT I O N

À la même époque, Husserl avait déjà recueilli une longue série de matériaux
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inédits, destinés au second volume de la Philosophie de l’arithmétique – qui,
comme on le sait, ne verra jamais le jour. Dans ces manuscrits, Husserl aborde
enfin le problème des domaines conceptuels de l’arithmétique générale sous un
angle d’attaque qui, à plusieurs égards, se situe à l’opposé du premier volume.
La question est toujours la même : l’arithmétique est-elle une science univoque,
équivoque et pourtant unitaire (en vertu du rapport à un même terme), ou bien
foncièrement équivoque ? La réponse ne laisse maintenant guère de doute :

En effet, ce qu’on nomme arithmétique n’est que equivocæ une science. En réalité 1,
+ et tous les signes fondamentaux de l’arithmétique n’ont que des significations
multiples [vielfache Bedeutungen], qui correspondent aux différents domaines d’appli-
cation possible du même algorithme. [Husserliana, XXI, p. 63-64.]

La solution proposée par Husserl dans ses cours du semestre d’été 1895 Sur les
dernières recherches en logique déductive, d’où est tirée la citation précédente,
renverse complètement la donne du problème. On l’a vu : Husserl en avait déjà
touché un mot à son ami Stumpf dans la lettre du février 1891 ; il le répète de
façon plus argumentée dans ses leçons quelques années plus tard : il n’y a aucun
domaine conceptuel fondamental pour l’arithmétique. L’arithmétique des nom-

25. Edmund HUSSERL, « Lettre à Stumpf », trad. Vincent Gérard et Jean-Pierre Fabre, Annales
de phénoménologie, no 1, 2002, p. 173-179.
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104 Claudio Majolino

bres et celle des grandeurs, par exemple, s’avèrent mutuellement irréductibles


et conceptuellement indépendantes. Inutile donc d’essayer de fonder l’une sur
l’autre. Il est également inutile de chercher dans les numérations les concepts
« propres » sur lesquels bâtir l’ensemble de l’arithmétique générale. Car l’arith-
métique est une science foncièrement équivoque. Son unité n’est pas à chercher
dans le rapport à l’unité d’un concept, elle se fonde uniquement sur l’unité d’un
algorithme : à savoir sur une unité de structure.
Rien n’est plus éloigné des solutions de 1891. En effet, par le biais d’un tel
renversement radical, Husserl se rend coupable d’une double apostasie. Il
renonce à l’idée (épistémologique) de fonder l’unité d’un domaine arithmétisa-
ble sur le concept de numération ; mais il se détache également du modèle
(métaphysique) de la solution brentanienne et de sa distinction conceptuelle
entre le propre (ou l’originaire, le fondamental) et l’impropre (ou le relatif, le
dérivé, le secondaire). Pour penser la multiplicité, il n’est nullement nécessaire
de s’accrocher à l’originaire.
Arrêtons-nous maintenant sur la nature de l’alternative husserlienne. À plu-
sieurs égards, il s’agit d’une solution de type formaliste. Un algorithme étant
donné – à savoir un domaine déductif général caractérisé par une suite finie
d’objets et d’opérations déterminées –, tout domaine conceptuel particulier
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(numérations, nombres ordinaux, etc.) qui en admet les lois formelles est, au
même titre, un domaine arithmétisable.
Une telle solution entraîne de nombreuses conséquences. (a) Premièrement, le
remplacement, au sommet des concepts fondamentaux de l’arithmétique, du
concept de nombre par celui de « multiplicité » (Menge, Mannigfaltigkeit),
concept dont l’importance dépasse le cadre restreint de l’arithmétique elle-même.
Le concept de multiplicité est abordé par Husserl notamment dans le ms. K
I 4 (1891-1892), où il compare et critique les différentes acceptions techniques
de ce terme proposées par Cantor et Riemann. Il en donnera également une
définition moins technique plus tard, dans les § 87c-d d’Expérience et Jugement,
où une multiplicité est définie comme un ensemble d’objets quelconques qui
peuvent se transformer les uns dans les autres, traversés par les mêmes rapports,
morphologiques ou syntaxiques. C’est le cas des différents concepts de nombre,
par rapport auxquels sont toujours valables certaines lois propres à l’algorithme
arithmétique. Le concept plus général de l’arithmétique est ainsi celui de « nom-
bre formel » – un nombre étant dès lors tout objet « qui est défini par la forme
de ses relations » (Articles sur la logique, trad. English, p. 551) 26.

26. En français, les seules, mais pour cela non moins brillantes, analyses approfondies consacrées
à cette question sont celles de Vincent Gérard, notamment dans son article « La mathesis universalis
est-elle l’ontologie formelle ? », Annales de phénoménologie, no 1, 2002, p. 61-98.
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Les « essences » des Recherches logiques 105

(b) Il en découle une deuxième conséquence, qui touche au statut hiérarchique


des différents concepts arithmétiques. La primauté du concept de multiplicité
gomme enfin toute différence entre le propre et l’impropre, entre l’originaire et
le dérivé, entre ce qui est donné en personne et ce qui est donné par le biais
d’un subrogé. Ce qui est prioritaire, ce n’est pas la dérivation des concepts les
uns des autres, mais le fait de partager les lois variables d’une multiplicité
donnée. Ainsi, tout primat de l’originaire perdu, Husserl remplace la catégorie
clé de « dérivation » ou de « réduction » (issue du registre brentanien) par celle
de « transformation » (Umwandlung) – qui n’est pas sans rappeler le concept
phénoménologique de « variation » (Veränderung, Variation), développé par
Husserl de façon systématique au début des années 1920. Lorsque deux objets
se transforment l’un dans l’autre sans que les rapports internes changent, c’est
que les deux objets font partie d’une même multiplicité.
(c) Il faut enfin reconnaître une dernière conclusion, bien plus radicale, et
qui touche à la nature aristotélicienne de la solution de 1891, désormais large-
ment dépassée : penser l’unité d’un domaine conceptuel en termes de variations
veut dire penser la question de l’homonymie en des termes foncièrement étran-
gers à la tradition aristotélicienne héritée de Brentano.
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LES « ESSENCES » DES RECHERCHES LOGIQUES

Si dans les cours du semestre d’été 1896 Husserl se débarrasse définitivement


du modèle analogique brentanien, cela ne l’empêche nullement de faire son
miel de sa solution, découverte dans le cadre d’une recherche sur l’homonymie
du nombre, en l’élargissant par la suite au questionnement même de l’homo-
nymie de l’être. Les recherches sur l’algorithme arithmétique des années 1890
amènent, en effet, à des thèses différentes, selon qu’on les aborde du côté de
l’épistémologie ou de celui de la métaphysique.
On l’a vu, Husserl tire de ses analyses l’impératif épistémologique qu’il ne faut
pas penser l’homonymie en arithmétique de la même façon qu’en métaphysique.
Exportés de l’être au nombre, l’analogia entis, le rapport du propre à l’impropre,
de l’« ojusiva » et du « prov" ti », etc., manquent de toute pertinence.
En même temps, un second impératif voit le jour, dont l’impératif épistémo-
logique n’est que le chiasme : il faut bien penser l’homonymie métaphysique
selon les termes appris par les recherches sur l’homonymie arithmétique. La
découverte des multiplicités formelles dépasse largement le cadre de l’arithmé-
tique et empiète sur le terrain métaphysique. En effet, une fois ouverte la porte
qui fait communiquer métaphysique et mathématiques, Brentano ne pourra pas
empêcher Husserl de l’emprunter dans le sens contraire et de déconstruire
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106 Claudio Majolino

l’ousiologie scolastique grâce aux arguments de la théorie des multiplicités. En


cela, Husserl reste fidèle à Brentano : une nouvelle façon de penser l’homonymie
peut toujours être utilisée pour en expliquer une autre. D’autant plus que – en
respectant ainsi l’interdiction de faire de l’être un genre – le concept le plus
général d’un domaine arithmétisable, à savoir celui de multiplicité ou de nombre
formel, n’est pas un concept qui désigne l’unité d’un genus, comme Husserl le
dit clairement dans un passage du ms. K I 36/3a (1890-1891) :

Le plus général en mathématique n’est nullement un genre logique au sens aristoté-


licien qui s’oppose à l’espèce. Le genre mathématique se rapporte à l’espèce comme
ce qui est plus complexe à ce qui est plus simple, comme la relation composée à celle
élémentaire.

Si donc, tout comme dans le cas des nombres, l’unité de l’être est à penser sur le
modèle de l’unité d’une multiplicité formelle (articulée selon des degrés différents
de complexité et selon différentes lois de transformation, et non pas des lois de
subsomption logique), il existe alors autant de façons de dire l’être que de pos-
sibilités de variation. Toutes les significations de l’être sont ainsi réhabilitées à
l’intérieur d’une nouvelle acception – démocratique – du catégorial.
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Ce dernier passage, où Husserl restitue en quelque sorte à Brentano, avec les
intérêts dus, ce qu’il lui avait emprunté – à savoir un paradigme pour penser
l’homonymie –, nous amène enfin aux Recherches logiques – terminus ad quem
de notre exposé. Il nous amène notamment au fameux chapitre consacré à
l’intuition catégoriale, dont Heidegger chantait les louanges. Un tel chapitre,
loin d’ouvrir sur la question de l’être, de l’ébaucher de façon maladroite, en
referme très nettement et à jamais la possibilité.
Il faut d’abord remarquer que Husserl s’efforce tout au long des Recherches
logiques, et déjà dans le crucial § 67 des Prolégomènes, de séparer les « caté-
gories sémantiques » (Bedeutungskategorien) de « catégories objectuelles pures
ou formelles » (reinen oder formalen gegenständlichen Kategorien) telles que :
« objet, état de choses, unité, pluralité, nombre, relation, connexion, etc. ». Tout
commence donc par un clivage fort établi entre le domaine phénoménologique
de la signification et celui de l’ontologie. Or, ce sur quoi Heidegger omet de
s’attarder, c’est d’abord le fait que, dans le § 40 de la sixième recherche, l’être
est réduit au rang d’un simple syncatégorème parmi d’autres :

Nous trouvons donc dans les significations des parties d’un caractère très différent,
parmi lesquelles attirent ici spécialement notre attention celles qui sont exprimées par
des formes comme le, un, quelque, beaucoup de, peu de, est, ne pas, lequel, et, ou,
etc. ; ou aussi par le mode de formation des mots, substantif ou adjectif, singulier ou
pluriel, etc. » [§ 40.]
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Les « essences » des Recherches logiques 107

On remarquera par la suite que « être » est chez Husserl toujours conjugué.
Ce qui signifie qu’il fait partie, au même titre que les autres syncatégorèmes,
d’un complexe signifiable « formé et articulé ». Le « ist » est donc une « caté-
gorie de signification », tout comme le « und » et le « oder ». Il s’agit d’insis-
ter sur le fait qu’il est question ici de parties de l’énoncé, tirées au clair déjà
dans la simple forme du jugement, et qui ne sont pas susceptibles d’avoir de
corrélat ontologique. Deux conclusions, donc : 1) toute catégorie sémantique
n’est en elle-même ni ontologique, ni susceptible de le devenir – elle n’a pas
de corrélat réel 27 ; 2) s’il se peut qu’il y ait quelque chose comme une
intuition catégoriale, l’intuition du « ist » ne saurait être en rien différente de
celle du « und » :

Ce qui est vrai de l’être l’est aussi des autres formes catégoriales dans les énoncés,
qu’elles relient entre elles des composantes des termes, ou les termes eux-mêmes,
pour former l’unité de la proposition. Le un et le le, le et et le ou, le si et le alors, le
tous et le aucun, le quelque chose et le rien, les formes de la quantité et les déter-
minations numériques, etc. – tout cela, ce sont des éléments propositionnels impor-
tants, mais nous cherchons en vain leur corrélat objectif (à supposer que nous puissions
même leur en attribuer) dans la sphère des objets réels, ce qui veut dire, purement et
simplement, des objets d’une perception sensible possible. [§ 43.]
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Or, la distinction objective entre catégories sémantiques et catégories ontologi-
ques recoupe la distinction parallèle entre différentes modalités intentionnelles,
et notamment entre l’intentionnalité signitive et l’intentionnalité perceptive.
C’est dans le cadre de la première que les syncatégorèmes ont droit de cité,
dans la « structure des discours articulés de structure variable ». Cependant,
selon un partage grammatical établi par la quatrième recherche, toutes les parties
d’un discours articulé n’ont ni la même fonction ni le même statut. Au contraire,
Husserl n’hésite pas à parler d’une « différence CATÉGORIALE voire ABSOLUE
entre FORME et MATÉRIAU de la représentation » (§ 42) 28. Il y a des composantes
grammaticales susceptibles d’être retrouvées dans l’intuition (les composantes
matérielles), et il y en a d’autres qui ne le sont pas (les composantes formelles).
Que faut-il alors comprendre par intuition catégoriale, si les parties formelles
du discours, absolument différentes en cela des parties matérielles, n’ont aucune
chance d’être données intuitivement ?
Il serait tentant de penser qu’à côté d’une intuition propre (à savoir celle des
parties nominales) il puisse y avoir une intuition impropre, une intuition au sens

27. Dans le § 43, il écrit, répondant à Kant : « dans l’objet l’être n’est rien, ni une partie ni un
moment ». En outre « l’être n’est absolument rien de perceptible ».
28. Pareillement, il ne faut pas « confondre des choses foncièrement différentes : les formes de
connexion sensibles ou réelles, avec les formes de connexion catégoriales ou idéales » (§ 48).
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108 Claudio Majolino

élargi ou analogique, qui porte sur les parties formelles. Mais la voie empruntée
par Husserl dans ses études des années 1890 nous oblige à une certaine méfiance
envers une solution aussi hâtive.
En effet, s’opposant en cela à la révision brentanienne de la théorie du
jugement – orientée sur une réévaluation du rôle du jugement existentiel –,
Husserl choisit d’aborder l’être toujours dans sa forme prédicationnelle, en tant
qu’« être relationnel » (das beziehende Sein) – à savoir toujours au sein d’une
multiplicité significationnelle grammaticalement articulée. Ainsi, ce n’est pas
tant l’être qui doit être intuitionné que la multiplicité qui doit trouver un rem-
plissement intuitif :

C’est ainsi que, dans le langage usuel, ensembles, multiplicités indéterminées, totalités,
nombres, termes disjonctifs, prédicat (l’être-juste), états de choses, deviennent
« objets ». [§ 45.]

Il faut en effet distinguer soigneusement – suivant en cela la critique husserlienne


de Locke – intuition et remplissement. L’intuition sensible n’est que le corrélat
de la saisie perceptive d’une matière nominale, alors que Husserl insiste à
maintes reprises sur le fait qu’il n’y a pas et qu’il ne peut pas y avoir d’analogon
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catégorial de l’intuition sensible. Un tel syntagme, litigieux, indique plutôt la
« mise en forme » (Formung) d’une multiplicité qui apparaît dans une synthèse
de recouvrement (§ 49). Il est donc important d’y insister : c’est une multiplicité
catégorialement structurée qu’on est censé voir dans l’intuition catégoriale, non
pas une catégorie isolée ou abstraite.
Mais comment faut-il alors penser le rapport de l’intuition sensible à l’intui-
tion catégoriale ? Husserl ne cache guère son jeu et parle à ce propos de « Fun-
dierung ». Heidegger comprend immédiatement : « Analogie ». Mais fondation,
au sens des cours des années 1890, lorsqu’il est question d’un étagement de
multiplicités, veut dire quelque chose de bien précis. Rappelons-le :

Le système de signes de l’arithmetica universalis se décompose en une certaine


suite de niveaux, comparable à celle d’un système de cercles concentriques. Les
signes 1, 2 = 1 + 1, 3 = 2 + 1, etc., remplissant le niveau le plus profond (le cercle
le plus inférieur), les signes fractionnaires le suivant, etc. Les [248] signes de niveau
le plus inférieur, et eux seuls, sont indépendants ; ceux du niveau supérieur sont
formellement dépendants de ceux du niveau plus profond, et finalement de ceux du
niveau le plus inférieur. À chaque cercle échoient des règles de calcul (des lois
formelles), celles du cercle supérieur sont dépendantes de celles du cercle plus
profond, elles les incluent formellement. Dès lors, les règles de calcul sont ainsi
formées, que chaque « équation », quelle que soit la voie, c’est-à-dire quel que soit
le niveau du cercle au moyen duquel on l’obtient, est identiquement satisfaite, eu
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Les « essences » des Recherches logiques 109

égard aux signes et au domaine de règles qu’elle implique effectivement. [Trad.


Fabre/Gérard, p. 176.]

Comparons maintenant ce passage, tiré de la fameuse lettre à Stumpf de février


1891, avec le passage suivant du § 46 de la sixième recherche :

Nous pourrons donc caractériser les objets sensibles ou réels comme objets du
degré inférieur d’une intuition possible, les objets catégoriaux ou idéaux comme des
objets des degrés supérieurs [...] Les objets sensibles sont là dans la perception, dans
une seule couche d’acte ; ils ne sont pas soumis à la nécessité de devoir se consti-
tuer par couches multiples, dans des actes d’un degré plus élevé, qui constituent
leurs objets au moyen d’autres objets constitués déjà pour eux-mêmes dans d’autres
actes.

Selon l’image des cercles concentriques, l’intuition sensible serait représentée


par le cercle le plus interne, alors que l’intuition catégoriale indique le cercle
supérieur, fondé sur le premier. D’ailleurs, au § 47, Husserl explique que
l’intuition sensible s’oppose à l’intuition catégoriale comme l’acte perceptif
simple (die schlichte Wahrnehmung) s’oppose à l’acte perceptif articulé, à ce
qu’il appelle une « perception relationnelle » (eine beziehende Wahrnehmung).
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Mais l’apport d’une forme de relation catégoriale fait que la différence entre
les deux niveaux n’est pas qu’une différence de degré. Du point de vue de la
théorie des multiplicités, reprise dans les Recherches logiques, une différence
de degré de complexité est aussi bien une différence de nature intentionnelle.
Chaque élément du cercle inférieur dès qu’il est saisi à titre de « Fundierungs-
glied » du point de vue des relations d’ordre supérieur est sujet à une modifi-
cation :

L’insertion dans le contexte catégorial lui confère une place et un rôle déterminés, le
rôle de membre d’une relation [eines Beziehungsgliedes], spécialement d’un membre-
sujet ou -objet ; et ce sont là des différences qui se manifestent phénoménologique-
ment. [§ 49.]

La manifestation d’une telle modification de la matière propositionnelle caté-


gorialement formée s’appelle « intuition catégoriale ». Il ne s’agit pas de voir
intuitivement l’originaire, l’être, il s’agit plutôt de ne pas voir que des étants.
Ce qui ne dégage nullement la question de l’être, mais plutôt celle du multiple.
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110 Claudio Majolino

A P R È S L ’ H O M O N Y M I E : Ê T R E O U M U LT I P L I C I T É ?

En effet, pour trouver dans cette chute du § 49 l’esquisse de la différence


ontologique, il ne faut pas seulement quelque chose comme un homologue
husserlien du « retrait de l’étant ». Il faut aussi que dans un tel retrait on puisse
reconnaître le mode de donation de l’être. Mais c’est bien cela que Husserl veut
empêcher, de façon aussi claire que radicale, dans les derniers paragraphes du
sixième chapitre de la sixième recherche !
Le § 50 commence par établir une condition essentielle à l’accomplissement
de l’intuition catégoriale. L’être peut se manifester, dans le remplissement d’un
acte signitif catégorialement formé, uniquement sous une forme syncatégoré-
matique qui ne peut et ne doit pas être rendue nominalement indépendante. S’il
apparaît dans la multiplicité, c’est qu’il est un syncatégorème. En ce sens, le
terme exact pour nommer l’intuition catégoriale serait plutôt celui d’« intuition
syncatégorématique ». Car si le « ist », le « bin », le « sind » sont susceptibles
d’apparaître au sein d’une multiplicité, ce n’est jamais le cas du « Sein » – encore
moins celui du « Sein überhaupt ».
C’est le § 51 qui remet l’être, si j’ose dire, à sa place. Consacré aux collectifs
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et aux disjonctifs (Kollektiva, Disjunktiva) « und » et « oder » – et qui, ce n’est
pas un hasard, se rattache à la Philosophie de l’arithmétique –, ce paragraphe,
qui conclut le chapitre, restitue aux autres syncatégorèmes la dignité des essen-
ces. L’énoncé collectif « A et B » est aussi fondamental et mystérieux que
l’énoncé existentiel « A est ». Il est même plus important, dans la mesure où il
dévoile la nature syncatégorématique de ce dernier. Dans les deux cas, il s’agit
de formes de multiplicité, ayant le même statut et la même dignité. Le retrait
de l’étant ne signifie donc pas pour Husserl la manifestation de l’être, c’est
plutôt le signe de l’apparaître d’une multiplicité.
Quand une référence intentionnelle unitaire saisit un lien relationnel – dont
la primauté sur les représentations isolées n’est jamais démentie par Husserl –,
lorsqu’on saisit non pas un étant mais une multiplicité, on accomplit une intui-
tion d’essence. Il y a autant d’essences que de syncatégorèmes. Donc : « intui-
tion d’essence » (Wesensschau) – certes, mais cette fois-ci « essence » est un
terme foncièrement et irrémédiablement équivoque.
Brentano avait unifié les significations de l’être, en les regroupant autour de
la métaphysique définie comme science du réel en tant que réel, dont le centre
est l’étant individu et ce qui lui revient à titre de catégorie réelle. Heidegger ne
peut s’empêcher de lire Husserl par le biais d’Aristote et de lui attribuer une
idée analogique du catégoriel (pensée sur la base du modèle du sensible). Mais
déjà à l’époque des Recherches logiques Husserl avait su renoncer à l’analogie
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Les « essences » des Recherches logiques 111

pour lui préférer la variation. Il n’a donc ni raté l’être, ni réduit l’être à l’être
de l’objet, simplement présent (dans la perception sensible ou dans l’intuition
intellectuelle). Husserl l’a d’abord mis à sa place parmi les essences formelles
exprimées par les syncatégorèmes. En cela, il a mis en exergue le rôle indépas-
sable du grammatical pour la phénoménologie. Ensuite, il en a pensé le rapport
avec le sensible selon les termes d’une « Fundierung » qui ne pouvait que
paraître incompréhensible (ou peut-être trop bien compréhensible – pourvu
qu’elle soit traduite en termes scolastiques !) à Heidegger. Il s’agit de la fon-
dation d’une multiplicité sur une autre, dévoilée par une performance intention-
nelle elle aussi multiforme et stratifiée.
Pour finir, Husserl a su repenser l’intuition brentanienne, avancée dans les
cours de Vienne, d’un rapport étroit entre le « lovgo" » et le « prov" ti », entre
le langage et la relation – mais pour cela, il a dû se débarrasser de l’homonymie
« kai! ajnalogivan ». Si l’on veut même simplement imaginer une intuition de
l’être, il faut d’abord le conjuguer (flexion) et ensuite renoncer à le nominaliser.
Si l’on veut penser l’être, il faut déjà penser le « Dasein » autrement que par
rapport à l’inauthenticité (Uneigentlichkeit) du quotidien. La théorie de l’inten-
tionnalité elle-même est subordonnée à ce projet de conjugaison des multipli-
cités. C’est également en ce sens que, encore une fois, Heidegger a raison : le
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sujet husserlien n’est pas jeté dans le monde. Mais peut-être est-ce que, selon
la belle image de J.-M. Salanskis, « dans une atmosphère de schizoïdie
rêveuse » 29, il est toujours à nouveau plongé dans une situation à plusieurs
mondes. Non pas un monde authentique et un monde inauthentique – il est
entre des mondes.
Ce qui nous amène, pour conclure, à la vexata quæstio du platonisme hus-
serlien. Si l’on ne comprend pas au préalable contre quel aristotélisme Husserl
s’est dit platonicien – on ne comprendra jamais sa notion d’« eido" ». Notion
que, en revanche, Cantor, ami de Husserl depuis les années de Halle, n’avait
sans doute pas de mal à comprendre :

Doctrine des multiplicités [Mannigfaltigkeitslehre]. Par ce mot je désigne un concept


doctrinal très étendu que je n’ai jusqu’à présent tenté de développer que sous la forme
particulière d’une théorie arithmétique ou géométrique des ensembles. Par « multi-
plicité » ou « ensemble », j’entends en effet en général toute multitude susceptible
d’être conçue de façon unitaire, c’est-à-dire toute collection d’éléments déterminés
que l’on peut par une loi réunir en un tout, et je crois définir ici quelque chose
d’apparenté à l’ei\do" ou ijdeva platoniciens tout comme à ce que Platon, dans son
dialogue du Philèbe ou le souverain bien, appelle mictovn 30.

29. Jean-Michel SALANSKIS, Husserl, Paris, Les Belles Lettres, 1988, p. 18.
30. Georg CANTOR, Grundlagen einer allgemeinen Mannigfaltigkeitslehre, Leipzig, 1883, p. 165
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112 Claudio Majolino

Husserl n’avait plus qu’à accomplir le travail de dés-ontologisation de la Man-


nigfaltigkeitslehre en la rattachant à la Bedeutungslehre pour poser les bases de
la phénoménologie.

Claudio MAJOLINO
Université de Rome I – La Sapienza
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(cité dans la traduction française proposée par Jean-Christophe Devynck dans son livre, à tort
méconnu, Logique du phénomène. Étude sur les « Recherches logiques » de Husserl, Presses aca-
démiques Diakom, 2000, p. 169-170).

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