Vous êtes sur la page 1sur 15

La législation antiraciste française, support d’un racisme

structurel
Rachida Brahim
Dans Communications 2020/2 (n° 107), pages 237 à 250
Éditions Le Seuil
ISSN 0588-8018
ISBN 9782021442540
DOI 10.3917/commu.107.0237
© Le Seuil | Téléchargé le 01/12/2023 sur www.cairn.info par René Ndayisenga (IP: 91.177.37.49)

© Le Seuil | Téléchargé le 01/12/2023 sur www.cairn.info par René Ndayisenga (IP: 91.177.37.49)

Article disponible en ligne à l’adresse


https://www.cairn.info/revue-communications-2020-2-page-237.htm

Découvrir le sommaire de ce numéro, suivre la revue par email, s’abonner...


Flashez ce QR Code pour accéder à la page de ce numéro sur Cairn.info.

Distribution électronique Cairn.info pour Le Seuil.


La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le
cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque
forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est
précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.
Rachida Brahim

La législation antiraciste française,


support d’un racisme structurel

En France, depuis les années 1970, différentes générations de militants ont


dénoncé les « crimes racistes » ciblant les migrants maghrébins et leurs des-
cendants1, ainsi que l’« impunité » dont ont, d’après eux, bénéficié les auteurs
des faits. La notion de crimes racistes recouvre des cas d’homicides ou des
tentatives d’homicide, des coups et blessures volontaires ayant ou non entraîné
la mort de la personne ainsi que des destructions ou dégradations de biens.
© Le Seuil | Téléchargé le 01/12/2023 sur www.cairn.info par René Ndayisenga (IP: 91.177.37.49)

© Le Seuil | Téléchargé le 01/12/2023 sur www.cairn.info par René Ndayisenga (IP: 91.177.37.49)
Selon les périodes, les affaires ont mis en scène des groupuscules issus de la
guerre d’Algérie, des militants d’extrême droite, des vigiles, des commerçants,
les propriétaires d’une maison ou d’une voiture, des voisins des victimes et
des membres des forces de l’ordre2. Face à ces violences, le Mouvement des
travailleurs arabes (MTA) des années 1970, les marcheurs des années 1980, le
Mouvement immigration banlieue (MIB) ou encore les comités Vérité et justice
qui se sont multipliés depuis les années 1990 ont sensiblement porté le même
discours. Les militants ont pointé du doigt les morts violentes, mais également
la grande majorité des procès qui ont fini par des peines légères avec sursis,
des non-lieux ou des acquittements. Ils ont expliqué en substance que le fait
d’être différenciés en étant réduits à certains traits physiques et culturels les
exposait à une double violence. La première, violence physique, s’incarne dans
le coup qui est porté à un individu en raison des préjugés associés à la caté-
gorie raciale à laquelle il a été assigné. La seconde violence, psychique, est
une conséquence du traitement pénal qui a régulièrement échoué à mettre le
racisme meurtrier en procès. Le thème de l’impunité mobilisé par ces militants
visait à interroger la responsabilité de l’État dans ce racisme qui semblait se
renouveler en entrant dans l’arène judiciaire. Il porte en lui l’idée d’un racisme
que le droit lui-même rendrait structurel et systémique.
Qu’en est-il ? Le racisme structurel et systémique est un agencement métho-
dique de représentations culturelles et de normes établies par les pratiques ins-
titutionnelles qui permettent la production, mais aussi le maintien des inégalités

237

348717ZUJ_COMM107_CC2019_PC.indd 237 30/09/2020 11:09:50


Rachida Brahim

touchant les personnes racialisées3. La législation antiraciste participe-t‑elle


à cet agencement ? Permettrait-elle de maintenir les inégalités touchant les
personnes racialisées et de quelle manière un tel paradoxe peut-il advenir ?
Afin de répondre à cette question, cet article étudie la législation antiraciste
en revenant plus précisément sur la carrière juridique du mobile raciste. Il
montre qu’entre les années 1970 et 2000, le mobile raciste a été la pierre
d’achoppement des débats parlementaires. D’après les militants, la prise en
compte d’un tel mobile devait donner un cadre juridique à la notion de crime
raciste. Elle devait permettre de qualifier les faits et offrir une alternative aux
poursuites judiciaires sans issue. De leur côté, au cours des quatre lois qui
constituent le socle de la législation antiraciste française4, les lois de 1972,
1985, 1990 et 2003, les parlementaires se sont régulièrement opposés à cette
idée d’un mobile raciste qui serait constitutif de l’infraction pour réaffirmer la
nécessité de s’en remettre au droit commun5. L’étude des arguments mobilisés
par les parlementaires montre que cette constante référence au droit commun
au sein même de la législation antiraciste a permis d’universaliser les situations
particulières rencontrées par les personnes racialisées. Dans ce cadre, l’uni-
versalisme apparaît comme un outil du racisme structurel. Il a indirectement
permis de perpétuer les catégories raciales et les violences inhérentes.
© Le Seuil | Téléchargé le 01/12/2023 sur www.cairn.info par René Ndayisenga (IP: 91.177.37.49)

© Le Seuil | Téléchargé le 01/12/2023 sur www.cairn.info par René Ndayisenga (IP: 91.177.37.49)
La loi Pleven du 1er juillet 1972 relative
à la lutte contre le racisme.

La notion de droit commun renvoie à l’idée selon laquelle le droit républicain


est un droit universel. En se référant à la suprématie juridique de la norme
constitutionnelle affirmant l’égalité de tous les citoyens « sans distinction d’ori-
gine, de race ou de religion6 », il désigne les règles qui s’appliquent de la même
manière pour tous sur un territoire donné. Il se distingue du droit spécial qui
vise à l’inverse certaines catégories de la population, des relations juridiques
ou des biens spécifiques qui font exception aux principes généraux du système
juridique. Dès les années 1970, lors des débats qui entourent le vote de la loi
Pleven, les violences visant les migrants maghrébins ne sont pas considérées
comme des crimes racistes, ce qui en ferait des violences spécifiques nécessitant
l’adoption d’un droit spécial, mais comme des violences de droit commun. Or,
en étant placée sous le sceau du droit commun, la mise en procès des crimes
racistes a été empêchée et leur existence elle-même a durablement été invi-
sibilisée. La loi Pleven prend sa source dans la Convention internationale sur
l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale adoptée en 1965 par
l’Assemblée générale des Nations unies. En y adhérant, les États s’engagent,
entre autres, à prendre des mesures pénales afin de réprimer l’incitation, la
provocation, la propagande à la discrimination et à la haine raciale, mais aussi

238

348717ZUJ_COMM107_CC2019_PC.indd 238 30/09/2020 11:09:50


La législation antiraciste française

les actes de violence7. En janvier 1971, lors de la présentation du projet de


loi autorisant l’adhésion à cette convention, le ministre des Affaires étrangères,
Maurice Schuman, se prononce en faveur d’une adhésion, mais il émet quelques
réserves. Il explique que « le recours devant les tribunaux est réglé selon les
normes du droit commun », il estime que « la législation française est très lar-
gement conforme à la convention » et que « de nouvelles mesures législatives ne
paraissent donc pas être nécessaires à l’heure actuelle pour son application »8.
À cette date, la législation française sur le racisme repose uniquement sur la
loi du 29 juillet 1881 et sur le décret-loi Marchandeau de 1939 qui sanctionnent
les délits de diffamations et d’injures raciales. Les députés communistes Louis
Odru et Paul Laclavé dénoncent fermement la position du gouvernement français
qui ne fait pas état du racisme qui se manifeste à l’échelle nationale et s’estime
« très largement en conformité avec les exigences de la convention9 ». En matière
de racisme, ils citent la responsabilité d’organes tels qu’Ordre Nouveau ou celui
du journal Minute, mentionnent les « attaques grossières dont font l’objet les
travailleurs nord-africains », mais aussi « les Africains, les gitans, les juifs ». Ils
expliquent enfin que les tribunaux de droit commun ne peuvent pas se pronon-
cer en l’état actuel de la législation : « Il faut mal connaître ou vouloir ignorer
la situation de sujétion psychologique, sociale et économique que connaissent
la plupart des immigrés, pour penser qu’ils puissent croire à l’exercice de leur
© Le Seuil | Téléchargé le 01/12/2023 sur www.cairn.info par René Ndayisenga (IP: 91.177.37.49)

© Le Seuil | Téléchargé le 01/12/2023 sur www.cairn.info par René Ndayisenga (IP: 91.177.37.49)
droit […]. S’en tenir aux procédures de droit commun, c’est en fait refuser aux
opprimés tout droit à la défense. » De son côté, le député UDR (Union pour la
démocratie française) Alain Terrenoire rappelle les lacunes des textes en vigueur
en soulignant qu’entre 1968 et 1971 cinq propositions de loi visant à remédier
aux insuffisances du droit en matière de racisme ont été renvoyées devant la
commission des lois10. Il profite de l’occasion pour amener le gouvernement à
accepter une révision des lois antiracistes. Cela étant, parmi les faits énoncés
dans la convention, il ne retient pour la loi de 1972 que la possibilité de créer
une nouvelle incrimination réprimant la provocation à la haine raciale11.
La question des actes de violence, qui fait pourtant l’objet des plus vifs
débats dans la sphère militante, médiatique et politique, a été évincée au sein
de l’arène législative. Cette éviction a été initiée par des agents de l’Intérieur
et des Affaires étrangères. À cette période, l’État français tente de limiter l’im-
migration en provenance des anciens pays colonisés et notamment l’immigration
algérienne12. De son côté, l’État algérien tente de faire pression sur les négo-
ciations en demandant des comptes à l’État français sur le racisme dont sont
victimes les ressortissants algériens au sein de la politique d’immigration, mais
aussi à l’échelle interpersonnelle. Aussi, l’ambassade d’Algérie à Paris envoie
régulièrement des « listes de crimes et agressions » au ministère des Affaires
étrangères et au ministère de l’Intérieur pour connaître les circonstances des vio-
lences et leurs suites pénales. Afin de contredire les accusations de racisme et
de laxisme, des fonctionnaires de police, des préfets et des hauts fonctionnaires

239

348717ZUJ_COMM107_CC2019_PC.indd 239 30/09/2020 11:09:50


Rachida Brahim

de l’immigration se sont pour leur part livrés à un travail de réécriture des


affaires mettant en scène des migrants maghrébins en substituant aux mobiles
racistes des mobiles ordinaires13. Alors que le contexte sociodémographique et
les témoignages des migrants maghrébins surlignent le caractère raciste des
faits, les notes et rapports produits à différentes échelles de l’État insistent
au contraire sur le fait que les « incidents impliquant des Nord-Africains »
sont des « violences de droit commun » présentant des mobiles ordinaires. Ils
mentionnent des règlements de comptes, des rixes provoquées par l’ivresse, des
crimes crapuleux ou encore des morts accidentelles.
Le contenu des débats montre que les violences politisées par les militants
et l’État algérien ont effectivement atteint l’arène législative. Mais, au moment
de délimiter les actes répréhensibles, ces violences ont été invisibilisées. En
s’intéressant aux seuls délits relevant du discours et des pratiques discrimina-
toires, les parlementaires occultent à leur tour l’existence de violences inter-
personnelles pouvant avoir un mobile raciste. Ils confirment par omission le fait
que ce type de violences concerne des faits de droit commun et empêchent par
là même toute possibilité d’identifier et de caractériser un mobile raciste. Dans
des rapports rédigés à la fin des années 1970, le MRAP (Mouvement contre le
racisme et pour l’amitié entre les peuples), qui a contribué à l’élaboration de
cette loi, revient sur plusieurs cas au cours desquels l’impossibilité de mettre en
© Le Seuil | Téléchargé le 01/12/2023 sur www.cairn.info par René Ndayisenga (IP: 91.177.37.49)

© Le Seuil | Téléchargé le 01/12/2023 sur www.cairn.info par René Ndayisenga (IP: 91.177.37.49)
procès le racisme dans le cas d’infractions de type criminel est nettement appa-
rue. Ses membres regrettent notamment un « défaut de qualification raciste » :
« De nombreux crimes et délits sont commis pour des mobiles racistes et sont
poursuivis selon le droit commun sans que la loi de 72 puisse être invoquée
[…]. Ceci constitue à nos yeux l’imperfection la plus importante de la loi […].
De ce fait, ou bien ces crimes restent impunis ou même s’ils sont punis, on
cache sciemment ou inconsciemment leur caractère raciste14. »

Loi du 3 janvier 1985 portant diverses dispositions


d’ordre social.

Ce défaut de qualification raciste est à l’origine de la Marche pour l’égalité


et contre le racisme de 1983. À l’arrivée des marcheurs, à Paris, le 3 décembre
1983, 100 000 personnes sont réunies. Le gouvernement promet aux manifes-
tants une carte de résident de dix ans, un projet sur le vote des étrangers aux
élections locales, mais aussi une loi contre les crimes racistes15. Trois mois
plus tard, une nouvelle délégation se mobilise. Le 21 mars 1984, l’Association
nationale des mères de famille des victimes des crimes racistes organise un
rassemblement devant le ministère de la Justice afin de réitérer la demande
des marcheurs16. Les mères dénoncent la « banalisation de meurtres contre des
enfants » et une « jurisprudence encourageant l’impunité voire l’arrogance des

240

348717ZUJ_COMM107_CC2019_PC.indd 240 30/09/2020 11:09:50


La législation antiraciste française

meurtriers bénéficiant en outre d’un certain soutien populaire au nom de la


légitime défense ». Elles demandent les « modifications du Code pénal et de
la loi de 72 pour que les crimes à caractère raciste soient définis et considérés
pénalement comme circonstance aggravante et pour que les nouvelles associa-
tions d’immigrés autorisées depuis 81 puissent se constituer partie civile ».
Du point de vue législatif, une loi a effectivement été votée, la loi n° 85‑10
du 3 janvier 1985 portant diverses dispositions d’ordre social. Un seul article,
l’article 62, porte sur le racisme, mais il ne concerne pas le traitement pénal
des crimes racistes. Les législateurs se sont uniquement focalisés sur le fait
d’élargir les possibilités de se porter partie civile à de nouvelles infractions.
Selon cet article, toute association régulièrement déclarée depuis au moins cinq
ans à la date des faits, se proposant par ses statuts de combattre le racisme, peut
exercer les droits reconnus à la partie civile dans les cas de discriminations,
mais aussi dans les cas de meurtres, d’assassinats, d’empoisonnements, de tor-
tures, de meurtres aggravés, de menaces, de coups et blessures volontaires et
de destructions de biens « lorsque ces atteintes sont perpétrées pour des motifs
racistes17 ». La Commission des affaires culturelles, familiales et sociales a été
chargée d’examiner le projet de loi en première lecture. En tant que rapporteur
de cette commission, le socialiste Michel Coffineau présente les motivations du
gouvernement. Les demandes des marcheurs et des mères de la place Vendôme
© Le Seuil | Téléchargé le 01/12/2023 sur www.cairn.info par René Ndayisenga (IP: 91.177.37.49)

© Le Seuil | Téléchargé le 01/12/2023 sur www.cairn.info par René Ndayisenga (IP: 91.177.37.49)
ont bien été entendues, mais un choix a été effectué. L’accent a volontairement
été mis sur les possibilités de se porter partie civile au détriment d’une modi-
fication de la loi de 1972 et d’une sanction pénale des crimes racistes. Michel
Coffineau concède à demi-mot que le fait de contrevenir au droit commun
apparaît encore comme une limite infranchissable et qu’« à défaut de l’instau-
ration d’infractions spécifiques relatives aux actes de racisme », les associations
antiracistes « pourront se constituer partie civile dès lors que l’instruction aura
établi le motif raciste de l’un des crimes ou délits susmentionnés »18.
Au cours des débats, alors que Michel Coffineau explique que le gouver-
nement a voulu éviter la mise en place d’un droit particulier, le sénateur UDR
Jacques Thyraud voit d’ores et déjà, dans cette seule proposition en faveur
des parties civiles, la création d’une infraction spécifique19. Il consent à ce
que soient prises en compte les discriminations, mais il dépose un amende-
ment afin que soit supprimée la mention aux infractions relevant des meurtres,
assassinats, empoisonnements, tortures, meurtres aggravés, menaces, coups
et blessures volontaires et destructions de biens. Jacques Thyraud s’oppose à
cette mention, car il croit déceler dans la disposition mise à l’ordre du jour
une volonté d’instituer des « infractions racistes spécifiques », et ce « quoi
qu’en disent les auteurs du projet de loi ». Citant le projet, il indique que des
associations pourront se porter partie civile « dès lors que l’instruction aura
établi le motif raciste de l’un des crimes ou délits susmentionnés ». D’après
lui, l’instruction sera dès lors amenée à créer des crimes racistes. Or, cette

241

348717ZUJ_COMM107_CC2019_PC.indd 241 30/09/2020 11:09:50


Rachida Brahim

idée d’un motif raciste qu’il serait possible de circonscrire est rejetée par le
sénateur : « Il semble difficile d’admettre l’introduction dans notre procédure
pénale de notions aussi vagues et sujettes à controverse que celles de “motifs
racistes” ou de “mobile raciste”. Si le comportement de discrimination raciale
peut être aisément circonscrit et puni, il n’en est pas de même des “assassi-
nats racistes”, des “empoisonnements racistes” ou des “destructions de biens
racistes”. » Il compare la liste des articles à « un véritable catalogue ! » et
réaffirme la prépondérance qui doit être accordée au droit commun : « Selon
nous, il ne faut pas de droit pénal particulier : le droit pénal doit viser des
dispositions générales […]20. » L’article modifié selon les vœux de la commis-
sion des lois du Sénat a été voté et adopté. Cela étant, après la réunion d’une
commission mixte paritaire et une deuxième lecture, les parlementaires sont
revenus au texte initialement proposé. Ainsi l’article 62 tel qu’il a été pensé
par le gouvernement figure dans la loi finalement adoptée le 3 janvier 1985.
Contrairement à ce que craignait Jacques Thyraud, la seule possibilité de
se porter partie civile dans le cas d’infractions criminelles présentant un motif
raciste n’a pas fait du crime raciste une catégorie juridique à part entière. Les
comptes rendus des procès rapportés par les médias ou les milieux associatifs
montrent que le droit de se porter partie civile est difficilement mobilisable en
raison d’une contradiction interne à la législation. Rien dans le texte de loi ne
© Le Seuil | Téléchargé le 01/12/2023 sur www.cairn.info par René Ndayisenga (IP: 91.177.37.49)

© Le Seuil | Téléchargé le 01/12/2023 sur www.cairn.info par René Ndayisenga (IP: 91.177.37.49)
définit le mobile raciste. Par conséquent, lors de l’instruction, en dehors des
rares cas où les contrevenants expriment ouvertement leurs préjugés racistes,
il reste quasiment impossible de qualifier un crime de raciste. Dans un bilan
sur la manière dont le racisme a été jugé entre 1972 et 198921, le MRAP et la
LICRA soulignent « le découragement ou la déception » qui peuvent émerger
à la lecture des délibérations. Les associations évoquent une jurisprudence qui
évolue « à la faveur de l’éclosion dans notre société du problème de l’immigra-
tion » et qui est « surtout marquée par les variations tenant à la personnalité
des magistrats qui les ont rendues ».

La loi Gayssot du 13 juillet 1990.

Dans les années 1990, les écarts d’interprétation qui divisent les acteurs
gravitant autour des procès perdurent. Comme au cours des années précédentes,
à l’idée d’actes de violence motivés par des préjugés raciaux, s’opposent des
interprétations mettant en scène des violences policières dites accidentelles,
des rixes teintées d’excès d’alcool ou encore de cas de légitime défense. Le
débat sur la qualification des faits qui a entouré le procès des trois colleurs
d’affiches mis en cause dans la mort d’Ibrahim Ali à Marseille au mois de
février 1995 est un exemple probant22. La légitime défense a été invoquée par
les trois militants FN. De leur côté, le MRAP, la LICRA, la LDH, SOS Racisme,

242

348717ZUJ_COMM107_CC2019_PC.indd 242 30/09/2020 11:09:50


La législation antiraciste française

deux associations comoriennes et la Ville de Marseille ont déposé une demande


en vue de se constituer partie civile. Dans un premier temps, et contre toute
attente au vu des circonstances dans lesquelles le meurtre a eu lieu, le juge
d’instruction a rejeté leur requête au motif suivant : « Bien que les faits se
soient déroulés dans le contexte exacerbé de la campagne d’affichage électorale
menée par les personnes mises en examen, rien ne permet à ce jour de dire
que lesdits faits ont été commis en raison de l’origine nationale des victimes,
de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une
ethnie, une race ou une religion déterminée. » Les commentaires de l’avocat des
colleurs d’affiches montrent que le débat initié dans les années 1970 poursuit
son cours : « Cette décision judiciaire prouve que le crime n’était pas un crime
raciste, mais bien un crime de droit commun23. »
À l’instar de la loi Pleven de 1972, la loi Gayssot du 13 juillet 1990 est
considérée comme un des piliers de la législation antiraciste française. Elle
est associée à la répression du négationnisme. Or, dans sa version initiale,
cette mention était totalement absente, cette loi fut d’abord pensée comme un
outil visant à pénaliser les crimes racistes. Dès la première étape du processus
législatif, dans le rapport qu’il rédige au nom de la Commission des lois24, le
rapporteur François Asensi rejette l’article 5 qui visait à faire du mobile raciste
une circonstance aggravante en matière correctionnelle et criminelle. Il ouvre
© Le Seuil | Téléchargé le 01/12/2023 sur www.cairn.info par René Ndayisenga (IP: 91.177.37.49)

© Le Seuil | Téléchargé le 01/12/2023 sur www.cairn.info par René Ndayisenga (IP: 91.177.37.49)
par ailleurs un tout autre débat en ajoutant un article visant à créer une nouvelle
incrimination dans le droit français, le délit de négationnisme. François Asensi
justifie l’instauration de ce délit en déclarant qu’il est « nécessaire d’adopter la
répression à l’évolution de la société ». Ce faisant, il fait référence à l’actualité, à
la diffusion des thèses négationnistes du professeur Robert Faurisson, mais éga-
lement aux propos de Jean-Marie Le Pen qui, en 1987, considérait les chambres
à gaz comme un « détail de la Seconde Guerre mondiale ». Il procède par
ailleurs à une distinction, perceptible dans le titre du texte mis en discussion,
qui sépare les actes racistes ou xénophobes des actes antisémites. Il concède
que le racisme antimaghrébin envers ceux qu’il nomme « les immigrés » est
plus prégnant : « On constate à partir de 1982 une augmentation globale des
actes de racisme (hors antisémitisme), la violence raciste prenant pour cible de
façon privilégiée la population immigrée maghrébine. Depuis 1987, une nouvelle
progression du racisme a été constatée, et l’on a compté, en 1989, 53 actions
racistes (dont 44 contre les Maghrébins) et 237 menaces (dont 188 contre les
Maghrébins). » Il s’attache néanmoins à mettre en évidence l’urgence qu’il
y aurait à agir pour réprimer spécifiquement les discours négationnistes qui
participent au développement de l’antisémitisme : « L’évolution de la violence
antisémite fait apparaître de grandes oscillations, mais il y a eu également
depuis 1987 une progression sensible des manifestations antisémites, et l’on
a compté, en 1989, 18 actions et 149 menaces antisémites. Ainsi, le racisme
antimaghrébin apparaît-il aujourd’hui le plus répandu, mais l’on constate aussi

243

348717ZUJ_COMM107_CC2019_PC.indd 243 30/09/2020 11:09:50


Rachida Brahim

une résurgence du vieil antisémitisme, longtemps camouflé, qui tend à s’affirmer


dans des formes assez proches de celles connues dans le passé. »
Enfin, François Asensi justifie le rejet de l’article 5 visant à faire du mobile
raciste une circonstance aggravante en avançant deux types d’arguments contra-
dictoires. Il déclare qu’il « semble inutile d’augmenter le maximum des peines
d’emprisonnement » puisque « les tribunaux prononcent déjà très rarement les
peines actuellement prévues ». À travers le second argument, il ignore sa pre-
mière assertion quant à la non-application des peines et explique que « l’insti-
tution d’une circonstance aggravante pour certaines infractions à mobile raciste
pourrait être envisagée, mais qu’une telle solution serait difficile à mettre en
œuvre » puisqu’il existe déjà des peines planchers. Ce raisonnement laisse au
contraire entendre que les peines prévues sont bien appliquées. Il cite l’exemple
du meurtre, passible de réclusion à perpétuité, et indique qu’il serait impossible
de prévoir une peine plus lourde en cas de mobile raciste. La question est
donc écartée et reléguée à la réflexion qui doit être engagée dans le cadre de
la réforme du Code pénal. Les parlementaires ne mettent pas encore à l’agenda
législatif la réflexion continue qui traverse l’espace public depuis une ving-
taine d’années et qui remet en cause le traitement des crimes racistes. Comme
en 1972, ils s’en tiennent à une répression de la parole raciste et évoquent à
nouveau une difficulté technique.
© Le Seuil | Téléchargé le 01/12/2023 sur www.cairn.info par René Ndayisenga (IP: 91.177.37.49)

© Le Seuil | Téléchargé le 01/12/2023 sur www.cairn.info par René Ndayisenga (IP: 91.177.37.49)
La loi du 3 février 2003 visant à aggraver les peines
punissant les infractions à caractère raciste, antisémite
ou xénophobe.

En 2003, le mobile raciste devient une circonstance aggravante suite à


une proposition de loi déposée par les députés UMP (Union pour un mouve-
ment populaire), Pierre Lellouche et Jacques Barrot. Deux éléments conduisent
cependant à nuancer l’idée d’un basculement du droit en faveur des groupes
minorisés. Le premier se situe dans les motifs qui ont été avancés pour légi-
férer sur ce point. Ils témoignent d’une lutte contre le racisme qui alimente
paradoxalement les frontières ethniques. Le second réside dans les conditions
qui ont été énoncées pour qu’un mobile raciste puisse être reconnu. Il met à
nouveau en évidence la primauté accordée à l’universalité du droit. Parmi les
raisons invoquées pour justifier l’adoption d’une nouvelle loi, Pierre Lellouche
déclare qu’il s’agit d’anticiper une demande du droit communautaire. Il fait
référence à une proposition de décision-cadre datant du 29 novembre 2001 dans
laquelle le Conseil de l’Union européenne indique que, dans un but dissuasif,
« la motivation raciste ou xénophobe doit être prise en compte en tant que
circonstance aggravante25 ». Les députés UMP proposent de faire du mobile
raciste une circonstance aggravante dans le cas des crimes. Ils souhaitent par

244

348717ZUJ_COMM107_CC2019_PC.indd 244 30/09/2020 11:09:50


La législation antiraciste française

ailleurs étendre la procédure de comparution immédiate pour les délits commis


par les mineurs ayant atteint l’âge de quinze ans.
Si l’hypothèse d’une circonstance aggravante est émise depuis le début des
années 1980, la seconde option quant à l’extension de la procédure de compa-
rution immédiate est une nouveauté dans la législation antiraciste. Les députés
expliquent que cette proposition est faite « dans un souci d’efficacité et compte
tenu de l’expérience vécue au cours des derniers mois26 » ; ils mettent en avant
la « gravité de la situation » et évoquent une « vague de violences ouvertement
racistes, sans précédent, depuis les années sombres de l’entre-deux-guerres
et de l’Occupation [qui] a déferlé sur la France ces dernières années ». Ils
insistent enfin sur la nécessité de réagir face à ce qu’ils considèrent comme un
« renouveau de l’antisémitisme ». Les rapports de la CNCDH servent de base à
la démonstration que Pierre Lellouche fait au nom de la Commission des lois.
À l’instar de François Asensi quelques années auparavant, il distingue les actes
racistes, xénophobes et antisémites commis entre 1991 et 2001. Avec 497 cas,
les « actions racistes et xénophobes » qui « visent majoritairement la popula-
tion d’origine maghrébine » sont les plus nombreuses27. Il considère néanmoins
que « l’augmentation récente des actes antisémites et l’évolution du contexte
dans lequel ils sont perpétrés constituent aujourd’hui l’une des caractéristiques
les plus marquantes du racisme ». Il fait observer l’« augmentation brutale de
© Le Seuil | Téléchargé le 01/12/2023 sur www.cairn.info par René Ndayisenga (IP: 91.177.37.49)

© Le Seuil | Téléchargé le 01/12/2023 sur www.cairn.info par René Ndayisenga (IP: 91.177.37.49)
la violence antisémite » durant l’année 2000 et 2001 qu’il explique par la reprise
des affrontements israélo-palestiniens et les attentats du 11 Septembre. Ainsi,
d’après lui, par-delà la directive européenne qu’il anticipe, il s’agit surtout de
contrecarrer l’« antisémitisme maghrébin » qui se manifesterait dans le milieu
scolaire parmi les jeunes d’origine maghrébine sous l’influence des réseaux
islamistes. Ce constat est à l’origine de la proposition de comparution immédiate
pour les délits commis par les mineurs ayant atteint l’âge de quinze ans28. Le
député défend cette idée en citant des extraits de deux ouvrages publiés en 2002,
La Nouvelle Judéophobie de Pierre-André Taguieff et Les Territoires perdus de
la République de Georges Bensoussan. Si les thèses et les exemples mentionnés
par ces auteurs sont bien exploités par Pierre Lellouche, celui-ci fait par contre
un usage partiel des éléments qui se trouvent dans les rapports de la CNCDH
et sur lesquels il s’appuie également. En l’occurrence dans le rapport portant
sur l’année 2002, la sociologue Nonna Mayer a été sollicitée afin de livrer son
analyse sur l’antisémitisme au sein de l’opinion publique française. À partir des
chiffres du ministère de l’Intérieur, elle constate également une « recrudescence
de violences antisémites ». Cela étant, en étudiant les résultats de deux sondages
cherchant à évaluer l’antisémitisme au sein de l’opinion publique, elle indique
les limites des sondages effectués et réfute la thèse de Pierre-André Taguieff
reprise par le député : « Les deux sondages sollicités montrent que dans la
population dans son ensemble, l’antisémitisme au sens classique de préjugé
contre les Juifs n’a pas progressé depuis deux ans, et qu’il n’a, pour l’instant,

245

348717ZUJ_COMM107_CC2019_PC.indd 245 30/09/2020 11:09:50


Rachida Brahim

pas fondamentalement changé de nature. » Elle replace par ailleurs le racisme


dans une dimension sociale, infirme l’opposition entre « Juifs » et « Arabes » et
réaffirme le poids des idées frontistes. D’après elle, « c’est, encore et toujours,
à l’extrême droite qu’on trouve le plus de racistes et d’antisémites29 ».
Ainsi, l’analyse du racisme faite par Pierre Lellouche reflète une vision elle-
même racialisante. Le second élément qui conduit à nuancer l’idée selon laquelle
la loi de 2003 constitue une réelle avancée se situe dans le principe finalement
retenu pour déterminer le mobile raciste. Alors que différentes directives euro-
péennes incitent les États membres à favoriser une « protection catégorielle des
victimes30 » et à inverser la charge de la preuve, les parlementaires français
continuent à penser que prendre en compte la seule catégorie raciale à laquelle la
victime a été assignée ne suffit pas à considérer que l’action est de nature raciste.
La proposition de loi fait bien de certaines infractions commises « à raison de
l’appartenance ou de la non-appartenance, vraie ou supposée, des victimes à une
ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée » une circonstance aggra-
vante, mais Pierre Lellouche explique que cette seule appartenance « ne saurait
en elle-même conférer à l’infraction un caractère raciste ». Il réintroduit ici l’idée
d’une difficulté technique qui entraverait l’action des législateurs. Il évoque
notamment une « impossibilité à établir l’existence de ce motif en l­’absence
d’éléments objectifs ». La Commission des lois ajoute ainsi un paragraphe pour
© Le Seuil | Téléchargé le 01/12/2023 sur www.cairn.info par René Ndayisenga (IP: 91.177.37.49)

© Le Seuil | Téléchargé le 01/12/2023 sur www.cairn.info par René Ndayisenga (IP: 91.177.37.49)
préciser les cas dans lesquels la circonstance aggravante peut être constituée.
Pour être reconnue, celle-ci doit avoir été « précédée, accompagnée ou suivie de
propos, écrits, images, objets ou actes de toute nature portant atteinte à l’honneur
ou à la considération de la victime ou d’un groupe de personnes dont fait partie
la victime à raison de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou
supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ». Ainsi
les parlementaires ne contreviennent pas à l’idée de droit commun en considérant
à nouveau que le racisme ne peut exister pénalement que s’il est exprimé par
l’auteur des faits. Pour leur part, à travers les affaires médiatisées depuis les
années 200031, les familles des victimes témoignent encore du caractère inopérant
de la loi antiraciste en matière criminelle.

Conclusion.

Dans l’arène législative, la mise à l’agenda du racisme a été accompagnée de


discours visant à écarter l’idée d’un mobile raciste en expliquant qu’il s’agissait
d’un point sur lequel il était techniquement impossible ou difficile de légiférer.
Durant l’élaboration de la loi Pleven en 1972, le mobile raciste qui était au
centre des échanges à l’échelle diplomatique est paradoxalement devenu un point
aveugle de cette loi qui renouvelle la législation antiraciste française. À travers
la loi de 1985, en se concentrant sur les possibilités de se porter partie civile,

246

348717ZUJ_COMM107_CC2019_PC.indd 246 30/09/2020 11:09:51


La législation antiraciste française

le gouvernement socialiste a contourné la demande des marcheurs qui visait la


qualification des faits. En 1990, au sein de la loi Gayssot, le mobile raciste a été
remplacé par la répression du délit de négationnisme. La loi Lellouche de 2003 a
finalement fait du mobile raciste un élément constitutif de l’infraction. Le député
à l’origine de cette loi reprend bien les propos tenus par des militants depuis les
années 1970 en précisant qu’il s’agissait « de rattraper le retard, de combler un
vide juridique et de mettre fin à la passivité, objectivement conciliante, des auto-
rités judiciaires32 ». Cependant, les conditions sous lesquelles le mobile raciste
peut être considéré comme une circonstance aggravante témoignent encore de la
prévalence accordée au droit commun. Elles ont réduit le champ d’application
du texte de loi et limité l’impact qu’il aurait pu avoir sur la procédure pénale.
À travers cette référence au droit commun, le droit apparaît comme un
outil de normalisation sociale. La législation antiraciste contribue à structu-
rer le racisme, car, contrairement à ce qui a été invoqué au sein des débats,
­l’impossibilité ou les difficultés à légiférer ne relèvent pas d’un problème d’ordre
technique, mais d’une cécité à l’égard des constructions raciales. Or, c’est pré-
cisément cette cécité qui permet le maintien de ces catégories et des inégalités
inhérentes. Elle met en scène des parlementaires qui manipulent d’une part les
catégories raciales à travers les lois sur l’immigration ou les dispositifs à desti-
nation des quartiers prioritaires de la ville par exemple, mais qui se refusent à
© Le Seuil | Téléchargé le 01/12/2023 sur www.cairn.info par René Ndayisenga (IP: 91.177.37.49)

© Le Seuil | Téléchargé le 01/12/2023 sur www.cairn.info par René Ndayisenga (IP: 91.177.37.49)
considérer d’autre part que l’assignation à de telles catégories puisse induire une
violence spécifique qui demanderait un aménagement du droit. En convoquant la
notion générique de droit commun, les parlementaires ont en réalité défendu une
conception universaliste du droit et écarté ce qui s’apparentait à l’instauration
d’un droit particulier dans certains pans de l’action publique. Autrement dit, le
particularisme qui caractérise et violente les groupes ethniquement minorisés
s’arrête au moment où ces derniers revendiquent une justice qui tienne compte
de la différence à laquelle ils ont été assignés. Ainsi, en étant aveugle à la race
qui continue à être produite au sein du corps social, l’universalisme perpétue
les rapports sociaux de race par-delà leur dénonciation.

Rachida Brahim
rbrahim@mmsh.univ-aix.fr
LAMES – UMR 7305 (AMU – CNRS)

NOTES

1. Les traces laissées par le passé colonial et une stigmatisation qui a perduré par-delà la décoloni-
sation expliquent les violences à l’égard de cette frange de la population. Par ailleurs, entre 1962 et 1973,
l’immigration maghrébine a doublé. Dans cet ensemble, l’immigration algérienne est la plus remarquable.
En 1973, avec un total de 845 694 personnes, elle représente le plus grand nombre de migrants en France.

247

348717ZUJ_COMM107_CC2019_PC.indd 247 30/09/2020 11:09:51


Rachida Brahim

2. Il est difficile de quantifier cette violence en raison de l’absence de statistiques officielles et du


fort risque de sous-déclaration. Pour ma part, en consultant des archives du ministère de l’Intérieur, des
archives associatives et des archives de presse, j’ai pu relever 731 actes dénoncés comme étant des crimes
racistes entre 1970 et 1997, soit une moyenne de 27 cas par an.
3. John A. Powell, « Structural racism : Building upon the insights of John Calmore », North ­Carolina
Law Review, vol. 86, n° 3, 2008, p. 791‑816. Eduardo Bonilla-Silva, « Rethinking racism : Toward a
structural interpretation », American Sociological Review, vol. 62, n° 3, 1997, p. 465‑480.
4. La loi n° 72‑546 du 1er juillet 1972 relative à la lutte contre le racisme (dite loi Pleven), la loi
n° 85‑10 du 3 janvier 1985 portant diverses dispositions d’ordre social, la loi n° 90‑615 du 13 juillet
1990 tendant à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe (dite loi Gayssot) et la loi n° 2003‑88
du 3 février 2003 visant à aggraver les peines punissant les infractions à caractère raciste, antisémite ou
xénophobe (dite loi Preben).
5. Sous certaines conditions, la loi n° 2003‑88 du 3 février 2003 a finalement permis de faire du
mobile raciste une circonstance aggravante dans les infractions de type criminel.
6. Article 1er de la Constitution française du 4 novembre 1958.
7. Article 4 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination
raciale, ouverte à la signature des États le 21 décembre 1965, ONU.
8. Projet de loi n° 1617 autorisant l’adhésion à la Convention internationale sur l’élimination de
toutes les formes de discrimination raciale, ouverte à la signature le 7 mars 1966, enregistrée le 23 janvier
1971. Archives de l’Assemblée nationale.
9. Débats parlementaires, Assemblée nationale, séance du jeudi 15 avril 1971. Archives de
­l’Assemblée nationale.
10. Ibid.
11. La loi Pleven autorise par ailleurs les associations ayant cinq ans d’existence et dont les statuts
© Le Seuil | Téléchargé le 01/12/2023 sur www.cairn.info par René Ndayisenga (IP: 91.177.37.49)

© Le Seuil | Téléchargé le 01/12/2023 sur www.cairn.info par René Ndayisenga (IP: 91.177.37.49)
mentionnent la lutte contre le racisme à se porter partie civile dans le cas de diffamations, d’injures et
de provocation à la haine raciale, elle sanctionne les « discriminations raciales » et permet la dissolution
des associations incitant à la discrimination, la haine ou la violence.
12. Sylvain Laurens, Une politisation feutrée. Les hauts fonctionnaires et l’immigration en France,
Paris, Belin, « Socio-histoires », 347 p., 2009.
13. Rachida Brahim, « Nous exécrons le racisme : contrôle migratoire et approche culturaliste des
crimes racistes dans la France des années 1970 », Cultures & Conflits, vol. 107, n° 3, « La production
officielle des différences culturelles », 2017, p. 43‑60.
14. Rapport sur la loi française du 1er juillet 1972 réprimant la discrimination raciale. Archives du
MRAP, Paris, carton 1, loi de 1972.
15. Abdellali Hajjat, La Marche pour l’égalité et contre le racisme, Paris, Éd. Amsterdam, 2013, 262 p.
16. Mogniss H. Abdallah, « Les mères de la place Vendôme (1982‑1986) », Plein droit, vol. 72,
n° 1, 2007, p. 33‑39.
17. Projet de loi n° 2428 portant diverses dispositions d’ordre social, enregistré le 15 novembre
1984. Archives de l’Assemblée nationale.
18. Rapport n° 2458, fait par M. Coffineau, député, au nom de la Commission des affaires culturelles,
familiales et sociales sur le projet de loi n° 2428 portant diverses dispositions d’ordre social, annexe au
procès-verbal de la séance du 28 novembre 1984. Archives de l’Assemblée nationale.
19. Avis n° 139, présenté par Jacques Thyraud, sénateur, au nom de la Commission des lois consti-
tutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale sur le projet
de loi adopté par l’Assemblée nationale, après déclaration d’urgence, portant diverses dispositions d’ordre
social, annexe au procès-verbal de la séance du 12 décembre 1984. Archives de l’Assemblée nationale.
20. Débats parlementaires, Sénat, séance du lundi 17 décembre 1984. Archives de l’Assemblée
nationale.
21. « Le racisme en justice ou le racisme dans la jurisprudence, 1972‑1989 ». Archives du MRAP,
Paris, carton 1, loi de 1972.

248

348717ZUJ_COMM107_CC2019_PC.indd 248 30/09/2020 11:09:51


La législation antiraciste française

22. Le 21 février, vers 22 heures, Ibrahim Ali et une quinzaine de jeunes sortent d’une répétition de
danse. Alors qu’ils courent pour ne pas louper leur bus, ils croisent la route de trois colleurs d’affiches
du FN. Un d’entre eux ouvre le feu et blesse mortellement Ibrahim Ali alors âgé de 17 ans.
23. Libération, « Pour le parquet, le meurtre d’Ibrahim Ali n’était pas un acte raciste », 17 mai 1995.
24. Rapport fait par François Asensi, député, au nom de la Commission des lois constitutionnelles,
de la législation et de l’administration générale de la République sur la proposition de loi n° 43 tendant
à réprimer tout acte raciste, antisémite et xénophobe, annexe au procès-verbal de la séance du 26 avril
1990. Archives de l’Assemblée nationale.
25. Rapport n° 452 fait par Pierre Lellouche, député, au nom de la Commission des lois constitution-
nelles, de la législation et de l’administration générale de la République sur la proposition de loi n° 350
visant à aggraver les peines punissant les infractions à caractère raciste et à renforcer l’efficacité de la
procédure pénale, enregistré à la présidence de l’Assemblée nationale le 4 décembre 2002. Archives de
l’Assemblée nationale.
26. Proposition de loi n° 350 visant à aggraver les peines punissant les infractions à caractère raciste
et à renforcer l’efficacité de la procédure pénale, enregistrée à la présidence de l’Assemblée nationale le
7 novembre 2002. Archives de l’Assemblée nationale.
27. Rapport n° 452 fait par Pierre Lellouche, art. cité.
28. Après examen, la Commission des lois a rejeté cette proposition.
29. CNCDH (Commission nationale consultative des droits de l’homme), La Lutte contre le racisme
et la xénophobie. Rapport d’activité 2002, Paris, La Documentation française, 2003, p. 104.
30. Gwenaëlle Calvès, « Il n’y a pas de race ici », Critique internationale, 17, 2002, p. 173‑186.
31. Durant la période récente, les affaires dénoncées sont surtout des violences policières considé-
rées comme illégitimes et déterminées par une volonté de coercition à l’égard de corps racisés perçus
comme déviants.
© Le Seuil | Téléchargé le 01/12/2023 sur www.cairn.info par René Ndayisenga (IP: 91.177.37.49)

© Le Seuil | Téléchargé le 01/12/2023 sur www.cairn.info par René Ndayisenga (IP: 91.177.37.49)
32. Proposition de loi n° 350 visant à aggraver les peines punissant les infractions à caractère raciste
et à renforcer l’efficacité de la procédure pénale, art. cité.

RÉSUMÉ

La législation antiraciste française, support d’un racisme structurel


Cet article retrace la carrière juridique du mobile raciste au sein de la législation antiraciste française
entre les années 1970 et 2000. À travers la mise en exergue des débats qui ont accompagné la prise en
compte du mobile raciste, il interroge la manière dont la législation antiraciste, en étant aveugle à la race
pourtant produite dans d’autres champs de l’action publique, participe elle-même au racisme structurel
et à l’émergence d’une deuxième violence au sein de l’arène judiciaire.
mots-clés : racisme structurel, crimes racistes, sociologie du droit, études législatives

SUMMARY

French Antiracist Legislation : Basis for Structural Racism


This article recounts the legal career of the racist motive within French antiracist legislation between
the 1970s and 2000. By shedding light on the debates which discussed the racist motive, it questions the
way the antiracist legislation, by being blind to the race yet produced in other fields of public action, itself
participates in structural racism and in the emergence of a second violence within the judicial arena.
keywords : structural racism, hate crimes, sociology of law, legislative studies

249

348717ZUJ_COMM107_CC2019_PC.indd 249 30/09/2020 11:09:51


Rachida Brahim

RESUMEN

La legislación antirracista francesa, como vehículo de un racismo estructural


Este artículo presenta la trayectoria jurídica de las motivaciones racistas en el seno de la legislación
antirracista francesa entre los años 1970 y 2000. Al poner de relieve los debates que acompañaron a la toma
en consideración de las motivaciones racistas, cuestiona la manera en que la legislación antirracista, al no
tener en cuenta la raza, que sin embargo aparece en otros ámbitos de la acción pública, participa también
en el racismo estructural y en la aparición de una violencia adicional en el ámbito judicial.
palabras claves : racismo estructural, crímenes racistas, sociología del derecho, estudios legislativos
© Le Seuil | Téléchargé le 01/12/2023 sur www.cairn.info par René Ndayisenga (IP: 91.177.37.49)

© Le Seuil | Téléchargé le 01/12/2023 sur www.cairn.info par René Ndayisenga (IP: 91.177.37.49)

348717ZUJ_COMM107_CC2019_PC.indd 250 30/09/2020 11:09:51

Vous aimerez peut-être aussi