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Réinterpréter l'histoire : représentations du nazisme dans

la presse égyptienne
Goetz Nordbruch, Traduit de l'anglais par Claire Darmon
Dans Revue d’Histoire de la Shoah 2004/1 (N° 180), pages 246 à 263
Éditions Centre de Documentation Juive Contemporaine
ISSN 1281-1505
ISBN 9782850567186
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RÉINTERPRÉTER L'HISTOIRE : REPRÉSENTATIONS
DU NAZISME DANS LA PRESSE ÉGYPTIENNE1
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par Goetz NORDBRUCH
Traduit de l'anglais par Claire Darmon

Introduction
Depuis le début des années quatre-vingt-dix, le national-socialisme
suscite un intérêt croissant au sein de l'opinion publique arabe. Alors
qu'auparavant, auteurs et intellectuels évitaient presque totalement
d'aborder ce thème - rejetant tout rapport entre le monde arabe et les
crimes nazis perpétrés par les Allemands -, récemment, ce vide a été
comblé. Un certain nombre d'événements impliquant inévitablement la
mention du national-socialisme et de ses crimes - comme la visite planifiée
de Yasser Arafat au musée de la Shoah à Washington en 1998 - ont
déclenché des réactions controversées dans les médias arabes. Ces
dernières années, des intellectuels comme Edward Said et Hazem Saghieh
ont, à plusieurs reprises, remis en cause cette esquive délibérée du sujet et
demandé au public arabe de reconnaître la Shoah comme un crime extra-
ordinaire contre l'humanité. Cependant, les Israéliens demeurent fréquem-
ment accusés de déformer l'histoire nationale-socialiste, de la falsifier et de
l'exploiter afin d'exercer un chantage sur l'opinion publique mondiale 2.

* Universitaire, université Humboldt, Berlin, spécialiste du monde arabe.


1. Cet article est traduit d'un texte à paraître à l'été 2004 in Dietrich Jung (éd.), The
Middle East and Palestine : Global Politics and Regional Conflict, New York, Palgrave
McMillan.
2. Esther Webman, « Rethinking the Holocaust : An Open Debate in the Arab World »
(Repenser la Shoah : un débat ouvert dans le monde arabe) in Anti-Semitism Worldwide
1998-1999, Institut Stephen Ross, Tel-Aviv, Tel Aviv University, 1999 ; Saghieh, Hazem/
Bashir, Saleh « Universalizing the Holocaust », in Palestine-Israel Journal, vol. 3-4, 1998-
1999, et Rainer Zimmer-Winkel, Die Araber und die Shoa (Trier, AphorismA, 2000). Voir
également Hazem Saghieh, Défendre la paix (en arabe), Beyrouth. Dar al-Nahar, 1997.
Divers arguments empruntés à des négationnistes comme le Britannique
David Irving et le Français Robert Faurisson sont encore monnaie
courante. Des traductions récentes du « Rapport Leuchter » ou du livre
Six millions sont-ils vraiment morts ? dans lesquels la Shoah est catégori-
quement niée continuent d'être diffusées par des éditeurs de renom. La
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première traduction en arabe du livre controversé de Norman Finkelstein
L'Industrie de l'Holocauste était en vente à Beyrouth et au Caire avant
même qu'une traduction en allemand paraisse en librairie.

L'importance croissante que prend le thème du national-socialisme


dans les médias arabes ces dernières années ne traduit guère un authentique
intérêt historique pour cette idéologie ou pour la politique menée par ce
parti. Il n'existe presque aucune publication d'auteur arabe sur cette
période de l'histoire moderne allemande. À de rares exceptions près, ni la
théorie raciale (tout à fait centrale) ni la politique étrangère expansionniste
nazies - auxquelles le Moyen-Orient et ses habitants sont de toute évidence
sensibles-n'ont fait l'objet d'une recherche historique, politique ou philo-
sophique 1. La politique nazie et ses composantes idéologiques fondamen-
tales sont abordées dans des publications traitant essentiellement du conflit
contemporain entre Israël et ses voisins arabes. La récente vague de polé-
miques anti-israéliennes a placé le nazisme au centre de divers articles
publiés ces dernières années2. Toutefois, l'importance de la Shoah en tant
que pierre angulaire de la légitimité internationale de l'État d'Israël a
contraint des auteurs et des hommes politiques arabes à reconsidérer leur
évitement délibéré de ce phénomène. Bien que la mise en doute de la réalité
historique des crimes perpétrés par les Allemands contre les Juifs
européens soit très répandue, plusieurs auteurs ont découvert la valeur

1. Pour une exception, avec une étude de l'impact de l'idéologie nazie chez les intellec-
tuels arabes, voir Ahmed Abd al-Halim Atiyya, « Abd al-Rahman Badawi - Du nazisme au
libéralisme » (en arabe), Riwaq Arabi n° 18, 2000, p. 21-38.
2. Voir le chapitre « L'Holocauste. Le mensonge de la Mahraqa (Holocauste) et la tenta-
tive de brûler Garaudy » in Muhammad al-Ghiyati, Israël pille les lettres égyptiennes (en
arabe). Le Caire, Madbuli, 1997 ; le chapitre « Les Juifs et l'Allemagne » in Hamdi al-
Tahiri, Les Juifs et leur État (en arabe), Le Caire, Maktaba al-Adab, 2001, le chapitre
« Zola, Faurisson, Garaudy et les juges sionistes » in Ashraf al-Dabagh, Les Péchés
d'Israël. Le sionisme et l'effondrement de l'Union soviétique (en arabe), Le Caire, Gama’a
Hur al-Thaqafa, 2000 ; le chapitre « L'Holocauste : le service funèbre qui n'en finit pas »
in Muhammad Galal Anayya, Le Pouvoir juif en Amérique (en arabe), Le Caire, 2001 ; et
Mustafa Mahmud, Israël nazi et le langage de l'Holocauste (en arabe), Le Caire, Dar
Akhbar al-Yaum, 2001. Parmi les autres livres abordant le nazisme, un certain nombre de
volumes traitent des « personnalités du XXe siècle ». À titre d'exemple, voir le chapitre sur
Adolf Hitler dans Ahmad Hassan, Les Maux du monde (en arabe), Le Caire, Dar Akhbar al-
Yaum, 2000.
discursive du nazisme pour leur propre cause. Point de référence historique
exceptionnel pour solliciter un soutien international et une intervention, la
reconnaissance des persécutions racistes et antisémites allemandes autorise
l'établissement de parallèles et de comparaisons avec un précédent histo-
rique reconnu. Auxiliaire complexe des attaques contre Israël, ces
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dernières années, le nazisme est devenu un langage codé multifonctionnel
dans les discours publics arabes 1.

Les débats récents sur le nazisme ne peuvent cependant être réduits à


l'utilisation directe qui en est faite dans les polémiques anti-israéliennes.
On a encore tendance à expliquer les déclarations niant la Shoah - de
même d'ailleurs que les sentiments antijuifs exprimés de plus en plus
fréquemment dans des articles, caricatures, pièces de théâtres et chansons
- comme un instrument destiné à délégitimer l'État d'Israël. Même dans
la littérature scientifique qui analyse la propagation des expressions anti-
sémites dans les pays arabes, ces positions sont souvent considérées
comme des instruments fonctionnels sur le champ de bataille de la légiti-
mité internationale. La nature de cette attitude est illustrée par les propos
de Bernard Lewis. Après avoir examiné l'évolution historique de l'antisé-
mitisme dans les pays arabes, il conclut que « si les chefs d'État arabes
pouvaient se convaincre de suivre l'exemple de Sadate et entamer un
dialogue avec Israël [...], on peut penser que les campagnes antisémites
perdraient peu à peu de leur vigueur et finiraient par n'être plus, comme en
Occident, que l'apanage de groupuscules marginaux ou de régimes
extrémistes 2 ».

À travers l'analyse de trois importantes controverses, la présente étude


reconsidérera cette hypothèse. Loin de constituer des arguments détermi-
nants avancés dans les polémiques anti-israéliennes, la manière dont la
Shoah est présentée dans les discours publics arabes reflète des interpréta-
tions précises de la société, de la politique et des conflits sociaux. Sembla-
bles aux images négatives implicites des Juifs, ces interprétations ne sont
limitées ni aux réflexions sur la Shoah ni au conflit israélo-arabe. La
recherche de complots et les descriptions négatives des Juifs sont en effet

1. Parmi les études menées sur les rapports entre le nazisme et le monde arabe, citons
Stefan Wild, « National Socialism in the Arab Near East Between 1933 and 1939 », in Die
Welt des Islams, vol. 27, 1985, p. 126-173 et Edmond Cao-Van-Hoa, « Der Feind meines
Feindes... » in Darstellungen des nationalsozialistischen Deutschlands in ägyptischen
Schriften, Francfort-sur-le-Main, Europäische Hochschulschriften, 1990.
2. Bernard Lewis, Sémites et Antisémites, Paris, Fayard, 1987, p. 340.
des motifs qui reviennent dans d'innombrables discours publics arabes
contemporains 1.

La présente étude porte sur trois débats majeurs autour du nazisme et de


la Shoah qui ont impliqué des auteurs et des commentateurs de divers hori-
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zons politiques et religieux. Après avoir décrit l'accueil enthousiaste
réservé par l'opinion publique au négationniste français Roger Garaudy et
à son livre Les Mythes fondateurs de la politique israélienne paru en 1995,
on exposera la controverse sur la conférence internationale intitulée
« Révisionnisme et sionisme » qui avait été prévue à Beyrouth pour mars
2001. L'analyse des articles publiés en amont et en aval de la conférence
de l'ONU contre le racisme à Durban en août 2001 pour étayer les compa-
raisons entre le nazisme et le sionisme mettra en évidence l'existence de
textes plus récents formulant des approches de l'histoire nazie communé-
ment répandues dans l'opinion publique arabe.

Les sources sur lesquelles se fonde cette analyse correspondent à


l'opinion publique égyptienne. Bien que tous les débats examinés ici se
soient déroulés dans la plupart des pays arabes, les textes-clés consultés se
limitent aux publications égyptiennes. Compte tenu de la relative liberté de
la presse et de la variété des journaux et magazines dans ce pays, les
médias égyptiens constituent une source fiable permettant de dégager des

1. Les théories du complot dans le monde arabe attirent de plus en plus l'attention d'intel-
lectuels arabes qui ont exprimé leur inquiétude face à l'impact négatif de ces interprétations
de la société. Des exemples détaillés de réflexions sur la conspiration sont fournis par
Bassam Tibi, Die Verschwörung. Das Trauma arabischer Politik, Munich, Deutscher
Taschenbuch Verlag, 1994. L'une des rares études sur le contexte socio-psychologique de
ces points de vue se trouve dans Marvin Zonis et Craig M. Joseph, « Conspiracy Thinking
in the Middle East », Political Psychology, n° 15, 1994, p. 443-459. La présence de stéréo-
types antisémites dans les pays arabes en général et en Égypte en particulier est attestée par
diverses études. La majorité d'entre elles se limitent cependant à des recensements descrip-
tifs des images actuelles, à la notable exception de celle de Hazem Saghieh, Les Nationa-
listes arabes du Levant. De Dreyfus à Garaudy (en arabe), Beyrouth, Riad El-Rayyes
Books, 2000. Saghieh remonte aux sources de la pensée antijuive dans les idéologies natio-
nalistes. Parmi les autres études publiées dernièrement, cf. Said Ismail Daif Allah, L'Autre
dans la culture populaire, Le Caire, Centre d'études sur les droits de l'homme, 2001 ; al-
Tahir Labib, « L'Autre dans la culture arabe » (en arabe), in L'Image de l'Autre, la percep-
tion des Arabes et la façon dont ils sont perçus (en arabe), sous la direction de al-Tahir
Labib (Beyrouth, Centre d'études sur l'unité arabe, 1999), p. 187-227 ; Abd al-Basit Abd
al-Ma’ati, « La perception de l'Israélien par l'Égyptien. Entre la culture publique et le spec-
tacle télévisé » (en arabe) in L'Image de l'Autre. La perception des Arabes et la façon dont
ils sont perçus, op. cit., p. 357-372 ; Hilal Khasan, « Arab Attitudes Toward Israel on the
Eve of the New Millennium », The Journal of Social. Political and Economic Studies, vol.
25, été 2000, p. 132-229.
conclusions sur les sentiments et interprétations de l'opinion publique.
Cependant, si cette étude porte principalement sur les débats en Égypte, ses
conclusions ne se limitent pas aux discours tenus dans l'opinion publique
égyptienne. Malgré l'augmentation du nombre de médias arabes allant
dans le même sens, qu'il s'agisse de journaux, de radios ou de télévisions,
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l'importance des médias égyptiens demeure inégalée pour former et
refléter l'opinion publique des autres pays arabophones.

Le nazisme dans les médias égyptiens


« Le mythe fondateur de la politique israélienne » :
complots révélés
Publié en France en décembre 1995, le livre de Roger Garaudy intitulé
Les Mythes fondateurs de la politique israélienne est devenu l'un des sujets
les plus abondamment traités dans les médias égyptiens pendant les deux
années qui ont suivi. Entre les interviews de l'auteur à l'été 1996 et les
rassemblements et réunions publiques en faveur du négationnisme lors du
procès de Garaudy à Paris en février 1998, plusieurs centaines d'articles
ont été publiés sur les thèses du négationniste et son procès. Aujourd'hui,
plus de six traductions en arabe sont disponibles, dont l'une, proposée par
le célèbre éditeur égyptien Dar al-Shuruq, en est à sa quatrième édition.
Abordant ce qu'il présente comme les mythes forgés par le mouvement
sioniste, Garaudy traite principalement de l'histoire allemande nazie.
Outre la remise en cause de l'existence des chambres à gaz et du nombre
de victimes juives de la Shoah, on trouve dans ses principaux arguments
l'accusation selon laquelle les récits sionistes et israéliens déforment et
mystifient l'histoire nazie. Selon lui, l'objectif des sionistes de favoriser
l'émigration des Juifs d'Europe en Palestine les amena à jouer un rôle
décisif dans les persécutions des Juifs sous le nazisme. Après l'indépen-
dance d'Israël en 1948, ces collaborations entre sionistes et nazis furent
dissimulées grâce à l'influence des Juifs dans les médias internationaux.
Au lieu de mettre en évidence la participation du sionisme aux crimes alle-
mands, Garaudy suggère que le sionisme exploita ces crimes pour légi-
timer aussi bien la création d'Israël que la politique du nouvel État contre
les Arabes et les Palestiniens au cours des décennies suivantes.
Les premières interviews de Garaudy et les premiers articles sur ses
thèses parurent dans les journaux arabes quelques semaines seulement
après la publication de son livre et l'annonce de son inculpation pour inci-
tation à la haine raciale conformément au droit français. Déjà connu pour
ses publications sur le marxisme et surtout sur l'islam, l'ancien membre
éminent du Parti communiste français converti à cette religion au début des
années 1980 bénéficiait d'une popularité considérable dans la population
arabe. Au cours des mois qui suivirent, Garaudy effectua plusieurs voyages
dans des pays du Moyen-Orient dont l'Égypte, la Syrie, la Jordanie et le
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Liban, et donna de nombreuses conférences sur son livre et sur les accusa-
tions et poursuites dont il était l'objet. L'immense intérêt suscité par ses
thèses lui valut un accueil triomphal à la Foire internationale du livre du
Caire en février 1998, où il donnait une conférence. Quelques jours seule-
ment avant que le tribunal de Paris ne rende son verdict, Garaudy bénéfi-
ciait d'un soutien populaire revêtant diverses formes : rassemblements,
lettres de protestation émanant d'institutions comme l'Association des
écrivains palestiniens et dons pour aider au financement de son procès.

Les poursuites contre son livre ne firent finalement qu'ajouter à l'intérêt


qu'avaient éveillé ses doutes sur l'histoire réelle du nazisme. Accusant le
sionisme et les « médias dominés à 95 % par les sionistes » d'être à
l'origine des charges qui pesaient sur lui, Garaudy fut perçu comme
l'ultime victime de l'influence juive dans les médias et la politique. Si la
plupart des critiques et des comptes rendus évoquaient aussi bien sa remise
en cause des chambres à gaz que ses accusations de collaboration entre
sionistes et nazis, ils s'attardèrent surtout sur l'idée de groupes de pression
sionistes agissant sur les autorités françaises, et sur le « contrôle des
médias internationaux par les sionistes ». L'immense majorité des articles
reflétaient un soutien massif à Garaudy et à son livre. Ses « révélations »
sur les « mythes » et ses thèses sur l'implication sioniste dans les crimes
nazis ont été accueillies comme des vérités établies. Des universitaires
respectés, tel l'historien Muhammad Hassanine Haikal, et des personna-
lités religieuses comme le cheikh d'Al-Ahzar, Muhammad Said Tantawi,
ont fait bon accueil à ses positions contre le sionisme et Israël. Dans sa
préface à la traduction des Mythes fondateurs publiée par Dar al-Shuruq,
Haikal adopte sur les thèses de Garaudy et leur contexte un point de vue
largement partagé. Qualifié d’« examen universitaire de l'histoire du
sionisme », Les Mythes fondateurs est présenté comme la continuation
d'une recherche historique sérieuse menée par des collègues historiens
comme Douglas Reed et David Irving. Far and Wide, le livre de Reed
publié à la fin des années 1940, remet en cause le nombre de victimes
juives ; quant à l'ouvrage d'Irving, il porte principalement sur la politique
de persécution en tant que telle. Niant toute implication antisémite de
l'idéologie nazie, Irving met en doute au final l'utilisation de chambres à
gaz dans les camps de concentration. Terminant son introduction en faisant
allusion aux débats publics suscités à la fois par Reed et Irving ainsi que
par Garaudy, Haikal exprime son admiration devant l'empressement de
Garaudy à « affronter la puissance sioniste », alors qu'il connaît les
dangers d'une telle entreprise1.

Cependant, malgré la réputation de Haikal et la place de choix dont a


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bénéficié la publication de son introduction, c'est Muhammad Salmawy
qui fournit l'exemple le plus frappant parmi les accueils faits aux Mythes
fondateurs. Rédacteur en chef du journal francophone Al-Ahram Hebdo et
assistant du prix Nobel Naguib Mahfouz, il propose une interprétation de
l'action en justice intentée contre Garaudy qui reprend les points de vue
communément formulés dans l'opinion égyptienne 2. Dans cet article paru
en février 1998, qu'il a intitulé « Cherchez les Juifs ! », Salmawy aborde
trois sujets alors d'actualité3. Outre le sort de Garaudy, il fait allusion aux
restrictions juridiques imposées à David Irving ainsi qu'au procès de
Monica Lewinsky aux États-Unis. Son article début ainsi :

Le président américain Bill Clinton est soumis à des interrogatoires aux


États-Unis pour ses relations féminines, tandis [qu'en même temps] le
jugement contre le penseur français Roger Garaudy approche à Paris et
que l'historien britannique David Irving est expulsé d'Autriche, d'Italie,
d'Allemagne, du Canada et des pays du Commonwealth. Ces trois inci-
dents qui pourraient sembler sans rapport correspondent tous au célèbre
mot de Napoléon : « Cherchez la femme ! » Cette fois [cependant], il
semble que — si l'on veut comprendre ce qui se passe autour de nous, il faut
brandir le slogan : « Cherchez les Juifs ! ».

L'auteur présente ensuite le contexte présumé des trois incidents.


Commençant par l'enquête dont Clinton fait l'objet, Salmawy établit un
lien entre l'affaire publique concernant la stagiaire de la Maison-Blanche
Monica Lewinsky et une visite attendue du président israélien Benyamin
Nétanyahou à Washington : L'affaire « a commencé à l'époque où la
Maison-Blanche était disposée à exercer une certaine pression sur le visi-
teur israélien Benyamin Nétanyahou pour qu'il relâche son emprise sur les
terres arabes occupées afin d'empêcher une explosion de la situation ».
L'allusion implicite à un complot des forces pro-israéliennes dans le but de

1. Muhammad Hassanine Haikal, préface à Roger Garaudy, Les Mythes fondateurs de la


politique israélienne, (en arabe), Le Caire, Dar al-Shuruq, 2000, p. 5-11. Une traduction en
anglais est publiée par la revue de droite The Journal for Historical Review, n° 19, 2000.
2. La remise à Salmawy de la Grande Médaille de la francophonie de l'Académie fran-
çaise en 1998, qui a suscité des protestations de diverses organisations et institutions, a fina-
lement été annulée.
3. Al-Ahram, 2 février 1998, p. 23 et al-Ahram Hebdo, 2 avril 1998.
saper la position et la réputation du président Clinton en l'entraînant dans
un scandale public finit par apparaître clairement dans l'affirmation selon
laquelle Monica Lewinsky avait publiquement justifié « son admiration
pour Clinton en invoquant sa politique pro-israélienne ». Pendant ce
temps, poursuit Salmawy, le procès contre Garaudy à Paris révèle la vraie
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nature de la France comme terre de libertés. Se référant à la loi Gayssot
votée en 1990 par l'Assemblée nationale pour lutter contre le nombre
croissant de publications encourageant l'antisémitisme et la négation de la
Shoah, Salmawy affirme que la mesure juridique adoptée contre la mise en
doute radicale des crimes commis contre l'humanité définit « l'humanité
non comme l'ensemble du genre humain, mais plutôt comme les six
millions de Juifs qui auraient été exterminés par le régime nazi d'Hitler en
Europe pendant la dernière guerre mondiale ». L'unique crime commis par
Garaudy, poursuit Salmawy, est d'avoir émis des doutes sur le nombre réel
de victimes juives de la Shoah. Si seulement quatre millions de Juifs
vivaient en Europe à l'époque, le nombre de six millions de Juifs tués par
les nazis est dénué de toute pertinence. Salmawy reprend en outre l'affir-
mation de Garaudy quant à l'impossibilité d'avoir utilisé des chambres à
gaz pour tuer des êtres humains : « D'un point de vue technique, l'idée
elle-même [dit Garaudy] est une impossibilité. Jusqu’à aujourd'hui,
personne n'a expliqué comment ces supposés fours fonctionnaient. » En
dépit de sa réputation et de sa participation à la Résistance lors de l'Occu-
pation, Garaudy est devenu la victime d'un acharnement public orchestré
par des groupes juifs contre lui et ses partisans.

Salmawy insiste sur le fait que ces campagnes ne sont pas sans précé-
dents. L'exemple de David Irving dont le dernier livre sur Joseph Goebbels
fut refusé par la plupart des maisons d'édition montrerait l'existence
d'autres campagnes de ce type menées contre des historiens mettant en
cause l'existence des chambres à gaz et la politique antisémite d'Adolf
Hitler. Selon lui, les limitations de déplacement imposées à Irving par suite
de sa participation et de ses contributions à des réunions internationales
d'extrême droite en Europe, aux États-Unis et au Canada constituent de
même des tentatives pour saper la recherche historique. Le lien explicatif
qu'établit Salmawy entre les incidents évoqués devient évident dans sa
conclusion rhétorique :

En fin de compte, quel est le dénominateur commun entre ce à quoi Clinton


est exposé en Amérique et ce qu'affrontent en Europe des personnes
comme Garaudy et David Irving ? Est-ce vraiment la femme que Napoléon
cherchait ? Ou est-ce quelque chose de moins beau que la femme, mais
d'infiniment plus destructeur ?
L'intérêt de cet article comme exemple des représentations du nazisme
qui, communément répandues, s'expriment dans le débat sur Garaudy, ne
tient pas tant au choix des aspects de l'histoire nazie abordés ici. À l'instar
de la plupart des commentateurs, Salmawy tenait à le présenter comme la
simple restitution des thèses avancées par Garaudy. Dans un article ulté-
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rieur visant à défendre son point de vue, il insiste sur le caractère descriptif
de son texte et rejette avec véhémence les arguments l'accusant de soutenir
Garaudy et Irving. En dépit de ces tours rhétoriques visant à suggérer une
position neutre dans la controverse, la vision sous-jacente proposée par
Salmawy n'est pas anodine. L'idée d'une main cachée préparant des lois,
les faisant voter et appliquer en Europe et aux États-Unis et contrôlant
l'opinion publique à travers les médias et le marché du livre fait écho à des
théories du complot fortement répandues. La façon dont Salmawy présente
ces complots ne laisse aucun doute quant à leur origine. Alors que la
plupart des auteurs limitent soigneusement leurs accusations à Israël ou au
sionisme, Salmawy assimile ouvertement la puissance cachée aux
« Juifs ». Les médias internationaux ainsi que la politique internationale
sont ainsi présentés comme dirigés par des forces juives utilisant tous les
moyens possibles pour atteindre leurs objectifs.

Cet article reflète l'une des principales approches du nazisme que l'on
retrouve dans les réactions du public égyptien aux Mythes fondateurs 1. La
plupart des auteurs, loin de le traiter comme un sujet d'intérêt universitaire,
se sont abstenus d'approuver la validité historique des thèses de Garaudy.
Cependant, les longues citations non commentées de ses livres ou de ses
conférences ne laissent aucun doute quant à leurs positions. En exprimant
des doutes quant au discours historique officiel tout en dénonçant un
supposé plan secret mis en œuvre par le sionisme, ces points de vue repren-
nent des interprétations que l'on retrouve de manière récurrente dans
l'opinion égyptienne sur d'autres aspect de la société. En fin de compte, en
tant qu'exemple de discours sur les complots et les forces occultes, la
présentation des Mythes fondateurs et de la manière dont ce livre aborde
l'histoire nazie reflète des approches courantes dans la société.

La conférence de Beyrouth sur « Révisionnisme et sionisme » :


la remise en cause du souvenir
L'annonce d'une conférence organisée au Liban par l'Institute for
Historical Review (IHR), organisme américain, et l'organisation suisse

1. On trouvera un compte rendu détaillé de ce débat dans Goetz Nordbruch, « La négation


de la Shoah dans les pays arabes » dans ce numéro (NDLR).
Vérité et Justice a encore accru l'intérêt du public pour le nazisme. En
appelant à une révision de l'histoire nazie et notamment de la Shoah —
« l'instrument de propagande clé des intérêts israélo-sionistes », suggérait
l'annonce de la conférence -, les organisateurs tentaient ouvertement d'en
appeler à la solidarité arabe et à leur combat prétendument commun 1. Les
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préparatifs de cette conférence prévue en mars 2001 à Beyrouth sur le
thème « Révisionnisme et sionisme » furent abondamment couverts par les
médias aussi bien locaux qu'internationaux. Après les premiers rapports
qui révélaient les liens des organisateurs de la conférence avec l'extrême
droite internationale, des protestations émanant des États-Unis, d'Europe
et d'Israël relancèrent le débat dans le public arabe. Malgré l'annulation de
la réunion par le Conseil des ministres libanais quelques jours avant la date
prévue, la controverse sur la conférence et son interdiction furent l'occa-
sion d'un débat sur les objectifs des organisateurs et leur pertinence pour
le monde arabe. Tentative patente de s'adresser au public arabo-islamique,
la conférence reflétait les débats en cours au sein de la droite occidentale à
propos de ses liens avec les mouvements politiques islamiques et arabes 2.
L'empressement des éditeurs du monde arabo-islamique à traduire et à
publier les travaux de ces représentants de l'extrême droite encourageait ce
type d'approche. Escomptant l'intérêt porté à la conférence, l'un de ses
organisateurs, le Suisse Jurgen Graf qui, dit-on, avait élu résidence en Iran
après avoir été condamné à une peine de prison dans son pays, souligna que
« ceux qui mentent en permanence à propos des “chambres à gaz” et des
“six millions” sont précisément ceux qui s'acharnent à calomnier l'Iran et
la révolution islamique. Ce sont d'ailleurs les mêmes qui propagent l'avor-
tement, les droits des homosexuels [...], le porno hard et autres
abominations3 ».

Dans une lettre ouverte au gouvernement libanais, quatorze intellec-


tuels arabes mirent en cause ces approches et exprimèrent leur opposition

1. Déclaration de l'IHR, « Conférence de Beyrouth », 24 décembre 2000.


2. Il faut souligner que des représentants de l'extrême droite occidentale furent invités à
plusieurs conférences et cours d'organisations nationalistes arabes islamistes ou extré-
mistes. Le dirigeant du parti allemand néo-nazi NPD, Horst Mahler, ainsi que le prétendu
ancien membre du Ku Klux Klan américain, David Duke, comptaient au nombre des confé-
renciers les plus marquants qui faisaient appel à la solidarité arabe pour lutter contre le
« mythe sioniste de l'Holocauste ». Cf. Goetz Nordbruch, « An Attempt to Internationalize
the Denial of the Holocaust », (Tentative d'internationaliser la négation de la Shoah),
Annual Report of the Vidal Sassoon International Center for the Study of Antisemitism,
octobre 2001.
3. Juergen Graf, Holocaust Revisionism and its Political Consequences, Téhéran, n. p.,
2001.
à la conférence. Ces signataires, parmi lesquels Adonis, Mahmoud
Darwish et Edward Said, dénonçaient vigoureusement la proposition de
recevoir le soutien de l'extrême droite occidentale pour lutter contre
Israël1. Ces critiques rencontrèrent cependant d’âpres réactions de la part
du public. Perçues comme un refus de révéler les « mythes sionistes », elles
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déclenchèrent, tant à l'encontre des signataires que du gouvernement liba-
nais, des accusations de trahison de la cause arabe et de soumission à
l'ennemi, voire de collaboration.

À partir du début du mois d'avril, l'hebdomadaire littéraire égyptien


Akhbar al-Adab ouvrit ses colonnes au débat et publia une série d'articles.
Le « dialogue sur l'Holocauste » qu'étaient censées constituer les activités
de la conférence de Beyrouth étaient le principal arrière-fond de ce débat.
Mais des incidents liés à cette conférence relancèrent les contributions. Un
de ces incidents locaux fut l'annulation d'une invitation adressée à Tzvetan
Todorov, directeur de recherches au CNRS, qui devait effectuer une inter-
vention sur la mémoire collective au département de français de l'univer-
sité Ain Shams au Caire au début d'avril 2001. Le département de français
aurait décidé d'annuler cet exposé après avoir eu connaissance d'un
manuscrit dans lequel Todorov présentait longuement la Shoah comme un
crime perpétré spécifiquement contre les Juifs.

Dans un compte rendu détaillé, Azzat al-Qamhawi a évoqué la décision


du département de français d'interdire la conférence de Beyrouth. Dans
son article intitulé « La Shoah a eu lieu et a lieu », al-Qamhawi s'oppose
vigoureusement aux objectifs des partisans de la conférence de Beyrouth
tout en remettant en cause la décision du département de français2. Selon
lui, il « n'est pas dans l'intérêt des Arabes et de leur lutte contre Israël de
traiter de la question de savoir si Hitler a brûlé des Juifs ou non. À cette
époque particulièrement, durant laquelle le peuple palestinien est confronté
à une guerre de liquidation », mieux vaudrait, si cette question suscite de
l'intérêt, « prouver plutôt que nier l'Holocauste, parce que prouver [la
vérité sur l'Holocauste] signifie exposer la férocité sioniste et les préjugés
de l'Occident ». Tout en rejetant les risques que pourrait représenter le fait
d'être assimilés à la droite occidentale et à l'apologie du nazisme à laquelle
celle-ci se livre, al-Qamhawi considère le phénomène de la Shoah comme

1. Le Monde, 15 mars 2001. Cependant, certains signataires comme Said et Darwish


prirent ensuite publiquement leurs distances avec cette lettre. Tous deux rejetèrent l'appel
implicite à restreindre la liberté d'expression. Voir la déclaration de Darwish dans une inter-
view accordée à la chaîne de télévision libanaise LBC, reproduite in Al-Dirasat al-Filasti-
niyya, vol. 48, automne 2001, p. 7-23.
2. Akhbar al-Adab, 15 avril 2001.
faisant partie de la « conscience européenne ». Refusant la distinction
établie par Todorov entre la Shoah et les autres génocides, et notamment le
conflit israélo-palestinien, al-Qamhawi justifie l'utilisation de la Shoah
comme argument pour légitimer la cause palestinienne. Dans sa rubrique
hebdomadaire, le rédacteur en chef d'Akhbar al-Adab, Gamal al-Ghitani,
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défend une approche analogue de la Shoah et exprime son soutien aux
signataires de la lettre ouverte 1. Mettant en doute la pertinence des thèmes
prévus pour la conférence de Beyrouth, il considère l'Holocauste nazi
perpétré contre les « Juifs, Tsiganes, Russes ainsi que contre les Arabes »
comme une occasion de bénéficier d'un soutien international pour mettre
fin à « l'Holocauste contemporain » dont les Palestiniens sont victimes :
« Aucun Arabe n'a quoi que ce soit à voir avec les crimes perpétrés contre
les Juifs livrés aux nazis européens. » En revanche, « les Palestiniens et les
Arabes sont victimes de l'Holocauste sioniste qu'est l'extermination du
peuple arabe de Palestine ».

Dans ses numéros suivants, le journal a publié une vigoureuse critique


de ces positions. Si Said al-Bahrawi, membre du comité sur la liberté de
l'Union des écrivains égyptiens, rejette l'interdiction de la conférence « au
nom de la liberté d'opinion », il accueille favorablement la résistance du
département français à la tentative « d'imposer » ce sujet aux Arabes 2. De
même, l'auteur syrien Ghazi Abu Aql affirme que la propagande sioniste a
divisé la population entre « croyants en l'Holocauste et infidèles 3 ». Les
intellectuels arabes libéraux auraient ainsi de plus en plus tendance à se
soumettre à une foi en l'Holocauste imposée. Ala Abd al-Wahab attire lui
aussi l'attention sur l'impact de la propagande sioniste sur le récit histo-
rique du nazisme. Sans remettre en cause les crimes en tant que tels, il
soutient qu’« une coopération sionisto-nazie a produit l'Holocauste4 ».
Ainsi, après 1945, le sionisme aurait eu pour projet principal non seule-
ment d'élaborer un mythe de persécution, mais également de forger une
image présentant le nazisme et le sionisme comme des antagonistes
ennemis. Or, affirme Abd al-Wahab, le sionisme a contribué à la persécu-
tion des Juifs, et pas seulement du point de vue pratique ; il partageait avec
le nazisme ses composantes idéologiques fondamentales et ses théories
raciales. Suivant cette logique, le débat sur l'Holocauste ne devrait pas
rappeler seulement « l'Holocauste sioniste » contemporain, mais égale-
ment souligner les relations historiques entre nazisme et sionisme. Al-

1. Akhbar al-Adab, 22 avril 2001.


2. Akhbar al-Adab, 22 avril 2001.
3. Akhbar al-Adab, 29 avril 2001.
4. Akhbar al-Adab, 6 mai 2001.
Qamhawi, dans une réponse aux critiques dont il est l'objet et où il réitère
ses commentaires, non sans faire preuve de son hostilité à l'égard d'Israël
en commençant son article par la phrase de la chanson populaire « Je hais
Israël1 », Akhbar al-Adab poursuit la controverse. La publication de la
traduction d'un article de Robert Faurisson a en outre ouvert le débat aux
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participants prévus pour la conférence de Beyrouth. Tandis que l'article de
Faurisson brossait un tableau général du négationnisme en Europe et aux
États-Unis, la réimpression d'une lettre ouverte du directeur de l'IHR,
Mark Weber, au poète libanais Adonis mettait l'accent sur les positions en
faveur de la conférence de Beyrouth. Dans sa rubrique hebdomadaire,
Ahmad al-Khamisi fait précéder cette lettre d'une brève présentation
élogieuse de l'IHR et de ses activités, et il reprend les accusations de
Weber à l'encontre d'Adonis et des signataires de la lettre contre la confé-
rence, qu'il décrit comme des traîtres non seulement à la cause arabe et
palestinienne, mais également à ceux qui recherchent la vérité historique.

Le débat animé autour de la conférence de Beyrouth sur le négation-


nisme qui se reflète dans ces articles porte également sur la question du
souvenir et de la mémoire du nazisme. De façon intéressante, malgré des
positions apparemment contradictoires sur ces conférences, tous ces
auteurs décrivent l'occupation israélienne comme une réédition de la
Shoah perpétrée par les nazis. Exploitant ouvertement l'importance que
revêt la Shoah dans les controverses publiques et ses connotations impli-
cites dans la politique internationale, ils gomment les différences évidentes
entre le nazisme et le sionisme ou la politique israélienne. Alors que, selon
ces opinions, le nazisme apparaît comme une forme d'occupation raciste,
le sionisme est décrit comme menant une « guerre d'extermination ». Les
points de vue contradictoires présentés par al-Qamhawi d'une part et al-
Khamisi de l'autre semblent ainsi limités à un raisonnement pragmatique
dans le cadre de perspectives politiques. À cet égard, le nazisme est réduit
à une image dont la valeur ajoutée historique, morale et politique implicite
est appliquée au conflit arabo-israélien.

La similitude de ces points de vue avec ceux de l'extrême droite n'est


pas purement formelle. Ces références sciemment avancées par Akhbar al-
Adab reflètent des façons communes d'aborder l'histoire allemande. Si des
auteurs comme Bahrawi ont justifié leur critique de l'interdiction de la
conférence de Beyrouth en invoquant la liberté d'opinion - tout en applau-
dissant à l'annulation décidée à l'université Ain Shams -, la publication
non commentée des collaborations de Faurisson et Weber remet en ques-

1. Akhbar al-Adab, 29 avril 2001.


tion ces justifications. Des arguments comme ceux qu'avance Ghitani
contre la remise en cause du nombre de victimes juives mettent en relief
l'impact douteux de ces approches. Avec l'affirmation selon laquelle « il
n'y a guère de différence entre l'élimination d'un seul homme, d'un
million ou davantage 1 », la reconnaissance supposée de la Shoah implique
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en définitive une réinterprétation du nazisme présenté comme un crime
regrettable, mais dénué de spécificité.

La Conférence de l'ONU contre le racisme à Durban :


combattre les nouveaux nazis
Les préparatifs de la conférence de l'ONU contre le racisme tenue à
Durban ont offert la tribune la plus récente aux comptes rendus sur
l'histoire nazie et la Shoah dans le public arabe, comptes rendus qui ont été
innombrables. Tentant de remettre en vigueur la résolution adoptée par
l'Assemblée générale de l'ONU en 1975 puis abrogée, et assimilant le
sionisme à une forme de discrimination raciale, les rencontres prépara-
toires des ONG arabes et les reportages des médias les accompagnant
décrivaient Israël comme l'héritier historique du nazisme et de ses crimes.
Depuis le début de la seconde Intifada à l'automne 2000, les médias ont
adopté de plus en plus fréquemment ces interprétations. Les accusations
communément avancées de « purification ethnique », de « génocide » et de
« politique de supériorité raciale » envers les Palestiniens sont quelques
exemples des comparaisons établies entre la politique israélienne et la poli-
tique et l'idéologie nazies. Les réunions et controverses précédant la confé-
rence de Durban ont ainsi mis en relief un débat constant dans le public
arabe. Tandis que la représentation de Juifs et d'Israéliens affublés de croix
gammées sont monnaie courante dans les dessins humoristiques, de
nombreux auteurs tentent d'étayer ces accusations par des exposés minu-
tieux sur de prétendues similitudes et parentés idéologiques. Les comparai-
sons entre nazisme et sionisme dans les discours et interventions prononcés
à la conférence des ONG reprennent ces arguments. À l'instar des accusa-
tions de racisme et d'apartheid, ces interprétations du sionisme et de la
politique israélienne assimilés à une réplique du nazisme remontent à des
polémiques plus anciennes.
L'interprétation donnée par l'intellectuel égyptien Abd al-Wahab al-
Missiri peut être considérée comme l'une des principales contributions de ce
débat. Le fait qu'il ait été nommé membre de la délégation égyptienne au
sommet des ONG à Durban témoigne de l'importance accordée à son

1. Akhbar al-Adab, 22 avril 2001.


approche. Dans son livre Sionisme, nazisme et fin de l'histoire, publié pour
la première fois en 1997, il tente de démontrer les similitudes idéologiques
essentielles entre nazisme et sionisme. Selon lui, l'origine de ces deux
mouvements est l'Occident moderne et l'on peut imputer ces similitudes aux
ambivalences des Lumières et à la laïcisation croissante de la pensée occi-
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dentale moderne1. Al-Missiri conclut que les crimes du nazisme reflètent les
tendances immanentes de la « civilisation d'extermination » occidentale 2.
En conséquence, les persécutions antijuives et notamment la Shoah sont
l'expression de la pensée occidentale moderne. Exemple historique de ces
tendances, les crimes allemands perpétrés contre les Juifs sont considérés
comme un précédent de la politique israélienne à l'égard des Palestiniens.

Avant de culminer dans les semaines precédant la réunion de Durban, une


série de débats similaires avait été déclenchée par une représentation du
ministre israélien des Affaires étrangères Shimon Pérès en uniforme nazi sur
la couverture de l'hebdomadaire nassérien Al-Arabi3. Les réactions en Israël
et les reportages dans les médias internationaux sur le montage et sa
légende provocatrice « Le nazi » suscitèrent divers articles en faveur de
cette comparaison. Après la publication d'une illustration comparable
représentant Sharon et Pérès comme de simples répliques masquées
d'Adolf Hitler, plusieurs intellectuels interviewés justifièrent la descrip-
tion comme historiquement fondée. Muhammad Awda se sentit toutefois
obligé d'objecter à l'ordre historique implicite. Attirant l'attention sur des
réflexions prétendument racistes dans la Torah et sur la définition des Juifs
donnée par les sionistes, il précisa que ces points de vue étaient antérieurs
à l'élaboration de l'idéologie nazie et à la fondation du parti national-socia-
liste en 1919 4. Ibrahim Abd al-Madjid précisa quant à lui les nuances idéo-
logiques entre les deux mouvements. Atteints du complexe de Versailles et
affectés par les pertes infligées aux Allemands à l'issue de la Première
Guerre mondiale, Hitler et ses partisans nazis reprirent les revendications
populaires réclamant la revanche et la restauration des anciennes frontières
allemandes. Israël, cependant, « né il y a un demi-siècle, procède aux mêmes
actions nazies contre un peuple qui ne l'a pas combattu auparavant. Il ne les
a pas déportés ni supprimés tout au long de l'histoire. Israël pratique cela [la
politique envers les Palestiniens] en l'absence du vieux traumatisme qu'avait
subi Hitler et qu'il n'avait jamais surmonté. [...] Pérès n'a pas subi de trau-

1. Abd al-Wahab al-Missiri, Sionisme, nazisme et fin de l'histoire (en arabe), Le Caire,
Dar al-Shuruq, 1997.
2. Al-Missiri, interview, in al-Djadidfi-Alam al-Kutub w-al-Maktabat, hiver 1997, p. 45.
3. Al-Arabi, 29 avril 2001.
4. Al-Arabi, 6 mai 2001.
matisme semblable à celui d'Hitler, mais il a commis et commet contre les
Arabes des actes plus répugnants » que les nazis n'en ont commis contre les
Juifs. Hitler, enfin, n'est qu’« un disciple de second plan dans l'école israé-
lienne de terrorisme et de racisme1 ». Outre d'autres accusations -
l'« Holocauste sioniste » en cours aurait causé plus de cinq millions de
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victimes —, Gamal Fahmi conclut finalement que si quelqu'un devait se
plaindre de la comparaison entre Pérès et Hitler, « nul doute que c'est le nazi
qui a été traité injustement2 ».

La réunion préparatoire régionale arabe pour la conférence de Durban,


qui s'est déroulée en juillet 2001 au Caire, a développé ces propositions.
Des exposés détaillés sur les fondements religieux du sionisme et les
racines racistes que dénoteraient des thèmes comme « le peuple élu » et
« la terre promise » ont été au centre des débats pour tenter de justifier la
comparaison entre le sionisme d'une part et l'apartheid sud-africain et le
nazisme d'autre part3. En dépit du langage adopté et des déclarations
solennelles dans lesquelles les accusations contre Israël étaient de plus en
plus « réduites » à une politique d'apartheid, la supposition selon laquelle
l'idéologie sioniste et la politique israélienne revêtent un caractère nazi est
demeurée omniprésente. Tandis que Muhammad Sawi parlait du nazisme
et du sionisme « comme de stades avancés de la barbarie et de la férocité
de la civilisation occidentale dans le cadre de son projet colonial
mondial4 », la critique anti-occidentale implicite s'est intensifiée à
l'annonce du refus américain et européen d'inclure ce type de déclarations
dans le communiqué final.

L'utilisation du nazisme et de ses crimes antisémites pour évoquer la


situation dans les territoires palestiniens reprend en fin de compte les accu-
sations plus anciennes d'une implication sioniste dans les crimes néo-nazis
contre les musulmans et les Arabes. Tentant de démontrer les parentés
idéologiques de ces mouvements, al-Missiri conclut que la « différence
entre les paradigmes sioniste et antisémite ne réside pas dans leurs
prémisses, ni dans leurs modalités, ni dans leur logique ou leurs solutions,
mais dans le mécanisme utilisé pour mettre en œuvre cette solution. En
d'autres termes, la différence est purement mécanique et non
conceptuelle5 ». Distribuée au sommet de l'Association des juristes arabes

1. Al-Arabi, 6 mai 2001.


2. Al-Arabi, 6 mai 2001.
3. Voir par exemple Muhammad Gala Idris, « Zionism and Racism », Manbar al-Islam,
n° 9-10, 2001, p. 67-75.
4. Al-Qahira, 28 août 2001.
5. Al-Ahram Weekly, 26 avril 2001.
égyptiens, une petite brochure contenant une série de caricatures qui
venaient d'être publiées par des journaux égyptiens illustre cet usage impli-
cite du nazisme et de la Shoah1.
Dans ces approches, à nouveau, le nazisme sert de code pour dénoncer
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le sionisme. Réduire la pensée occidentale à l'idéologie nazie et présenter
le sionisme comme son héritier le plus moderne brouille ainsi toute pers-
pective historique. Dans le contexte de la conférence de Durban et de
l'affrontement auquel elle a donné lieu entre les États-Unis et l'Union
européenne d'une part, et les États arabes les plus islamistes de l'autre, la
description d'un « Israël nazi », représentant une « civilisation occidentale
d'extermination » justifiait les demandes de condamnation d'Israël et de sa
politique « d'occupation » par la communauté des nations.

Conclusion
Deux ans après l'acmé des répercussions, l'esprit de Garaudy demeure
manifeste dans les médias arabes. Loin de constituer des arguments appli-
qués temporairement au conflit arabo-israélien, les accusations de falsifi-
cation et de déformation du nazisme et de la Shoah resurgissent
régulièrement. Bien que des personnalités publiques aient renouvelé leurs
appels au public pour une reconnaissance de la Shoah en tant que fait histo-
rique, le négationnisme continue à se répandre ouvertement.
Ce tour d'horizon de trois controverses majeures sur le nazisme met en
évidence la variété des arguments - du négationnisme aux comparaisons.
Fournissant un lien argumentatif, le débat sur Garaudy a permis de
surmonter le silence délibéré qui avait tant perduré dans le discours public
égyptien s'agissant du nazisme. Les perceptions évoluant de l'évitement
volontaire à la minimisation, le nazisme et ses crimes sont devenus un
élément discursif des controverses publiques.
Ces interprétations de l'histoire nazie sont de toute évidence liées à des
points de vue exprimés sur l'évolution des événements après la Shoah.
Dans le récit historique dominant, les hypothèses générales de complot
présentées comme des forces sociales et politiques majeures s'accompa-
gnent d'accusations de distorsion et de falsification constantes des événe-
ments. L'histoire ainsi que l'évolution politique et sociale contemporaine
sont alors interprétées comme des complots fomentés à des fins politiques
particulières. L'interprétation d'Israël, du sionisme, et en fin de compte des

1. Union des juristes arabes, Racism of Zionism, Le Caire, n. p., 2001.


Juifs comme un équivalent historique du nazisme ajoute le lien ultime dans
cet ensemble argumentatif.

En dépit de la variété des arguments avancés dans les débats, la corré-


lation des points de vue formulés apparaît de façon exemplaire dans
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l'image qui est donnée des Juifs. Mises en relief par l'exclamation de
Salmawy « Cherchez les Juifs ! », les références aux « Juifs », au
« sionisme » et à « Israël » fonctionnent comme des synonymes. L'appli-
cation de stéréotypes antijuifs dans les débats sur le nazisme et la Shoah et
en particulier l'histoire post-Shoah constitue une caractéristique frappante
des controverses analysées. La description des Juifs comme des êtres sour-
nois et conspirateurs peut être identifiée comme un moyen de représenta-
tion courant. Cependant, ces modèles d'interprétation ne se limitent pas
aux controverses sur l'histoire nazie. Les théories de conspiration et les
accusations de complots juifs reviennent régulièrement pour expliquer
divers phénomènes sociaux et politiques.
Dans ses écrits les plus récents, Edward Said illustre les limites de ces
changements sensibles des perceptions de l'histoire national-socialiste par
le public arabe 1. Étant l'une des rares voix appelant ouvertement à une
reconnaissance de la Shoah en tant que crime particulier perpétré contre les
Juifs européens, Said a insisté à plusieurs reprises sur les comparaisons
symboliques établies entre la Shoah et les souffrances palestiniennes sous
occupation israélienne. À l'instar d'al-Missiri dont la reconnaissance de la
Shoah se fonde sur l'importance des crimes nazis pour illustrer ce qu'il
présente comme les menaces inhérentes à la pensée occidentale moderne,
Said fait allusion à la fonction de la Shoah comme moyen rhétorique dans
son argumentation. Le national-socialisme en général et la Shoah en parti-
culier servent de précédents historiques permettant de fonder des appels à
des interventions internationales, des réclamations d'indemnités ou des
demandes de procès internationaux comparables au procès de Nuremberg
pour les criminels de guerre allemands.
À cet égard, les changements analysés et la variété des interprétations
publiques du nazisme demeurent ambivalents. Parallèlement à une tendance
de plus en plus affirmée à reconnaître l'impact de la Shoah, ces interpréta-
tions tendent à être exploitées dans l'argumentaire anti-israélien. En tant que
source fondamentale de légitimation de la politique israélienne, la Shoah - et
l'affirmation d'une répétition de la Shoah dans les territoires palestiniens -
se retourne contre le récit israélien. Selon ces points de vue, les exigences
palestiniennes sont légitimes non pas malgré la Shoah mais à cause d'elle.

1. Al-Ahram Weekly, 26 octobre 2002.

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