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Marie-France Morel
Dans Spirale 2004/3 (no 31), pages 15 à 34
Éditions Érès
ISSN 1278-4699
ISBN 2-7492-0289-2
DOI 10.3917/spi.031.0015
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1. Émilie Carles, Une soupe aux herbes sauvages, Paris, Simoën, 1977, p. 150.
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vérole » tue cinq cents enfants dans la ville du Puy), diphtérie, choléra,
typhoïde, méningites (qu’on ne sait ni diagnostiquer, ni soigner).
Enfin, hier encore plus qu’aujourd’hui, on reste confondu par la fré-
quence des accidents domestiques, souvent fatals aux tout-petits.
2. Tous ces exemples sont donnés par Philippe Ariès, L’enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime,
Paris, Plon, 1960 et Le Seuil, 1973, p. 29.
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Bilboquet, 2000
exemple, un extrait du livre de raison tenu pen-
dant trois générations, au XVIe siècle, par les
pères d’une famille de parlementaires de
Franche-Comté, les Froissard-Broissia :
« 10 octobre 1539 : … et aux vendanges d’icelle année étant à Sellières
retiré avec mon ménage pour faire vendange, ma dite fille (âgée de
4 mois) rendit son âme à Dieu, environ la minuit. Et auparavant avait été
malade d’une fièvre, comme aussi avait été malade mon second fils Jean,
ci-dessus nommé. Desquelles vendanges l’on fit tant de vin que l’on don-
nait la queue pour trois francs ; et étaient les vins fort verts ; et l’an pré-
cédent, 1538, les vignes avaient été universellement gelées, tellement que
je ne fis pas une pinte de vin en toutes mes vignes 3. »
Pour ce père du XVIe siècle, si la mort de sa toute petite fille doit être
notée, c’est parce qu’elle sera, peut-être, vite oubliée. La chose importante
pour lui, en cet automne 1539, ce sont assurément les vendanges qui le
préoccupent en tant que propriétaire de vignobles et dont il garde bon ou
mauvais souvenir d’une année sur l’autre, plus que de ses enfants qui ne
font que passer. La mort d’un enfant plus âgé est, semble-t-il, davantage
ressentie : en 1597, le petit Jehan Froissard meurt à l’âge de 8 ans. Son
père prend la peine de noter : « Et demeura la mère fort triste et affligée. »
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3. Cité par Jacques Gélis, Mireille Laget, Marie-France Morel, Entrer dans la vie. Naissances en
enfances dans la France traditionnelle, Paris, Gallimard, Archives, 1978, p. 193-194.
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6. Didier Lett, « Faire le deuil d’un enfant mort sans baptême aux XIIe-XIIIe siècles : la naissance du
Limbe des enfants », Devenir, vol. 7, 1995, n° 1 et, du même auteur, L’enfant des miracles. Enfance
et société au Moyen Âge (XIIe-XIIIe siècle), Paris, Aubier, 1997, p. 214-218.
7. J. Gélis, L’Arbre et le fruit. La naissance dans l’Occident moderne, Paris, Fayard, 1984, p. 509-520.
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Ex-voto autrichien avec une famille en prière, présentant trois nourrissons morts (1769)
Une des plus étonnantes peintures de famille avec petits morts a été
peinte par un anonyme hollandais en 1638, à Enkhuisen, pour la famille
de l’armateur Jan Gerritz Pan. Le père et la mère sont assis derrière leurs
onze enfants : les deux seuls survivants sont debout sur les côtés ; sur le
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9. Ce tableau est reproduit par Lorne Campbell, Portraits de la Renaissance, Paris, Hazan, 1991,
p. 166.
10. Ce tableau est reproduit par Luis Cortes Echanove, Nacimiento y crianza de personas reales en la
corte de España (1566-1886), Madrid, Consejo Superior de Investigationes Cientificas, 1958, Lamina
XIII & XVIII.
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11. C’est le cas par exemple de Léon Aymonier, pharmacien au Chatelard en Savoie au début du
XXe siècle, dont les clichés ont fait l’objet d’une exposition en 1981, avec un catalogue publié à
Seyssel chez Champ Vallon. Cf. aussi le catalogue de l’exposition du Musée d’Orsay, Le Dernier por-
trait, RMN, 2002.
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photos, où les petits ont les yeux fermés, sont clairement des photos mor-
tuaires.
D’autres, particulièrement poignantes, les montrent les yeux ouverts,
parfois dans les bras de leurs parents, parfois assis sur des coussins ou sur
un fauteuil, de manière à entretenir l’illusion de la vie : ils ont presque l’air
de vivre encore. Certaines photos sont entourées d’une guirlande faite des
cheveux du petit mort, ultime trace d’un être éphémère, dont on veut à tout
prix garder le souvenir. Ces photos sont ensuite exposées en évidence, pen-
dant de longues années, soit sur le buffet de la pièce commune, soit dans
un lieu plus intime comme la
chambre des parents. D’autres
sont aussi parfois scellées sur
la tombe du petit disparu. Elles
sont le témoignage irréfutable
qu’il y a bien eu conception,
gestation, naissance et vie,
même très brève, d’un enfant,
qui a le droit d’être pleuré par
les vivants et d’être accompa-
gné dans la mort par un vrai
rituel.
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12. Maryse Dumoulin et Anne-Sylvie Valat, « L’enfant décédé en maternité. Un rituel réinventé », dans
Catherine Le Grand-Sébille, Marie-France Morel, Françoise Zonabend (sous la direction de), Le fœtus,
le nourrisson et la mort, Paris, L’Harmattan, 1998.
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Un tombeau
pour l’enfant
Dans l’Antiquité déjà, il existe de nombreuses tombes d’enfants, bien
individualisées, certaines avec des épitaphes, très émouvantes, même si
elles sont parfois inspirées des lieux communs de la poésie de l’époque.
On se donne la peine de les composer et de les faire graver, comme pour
ce petit bébé, mort à la fin de l’Empire romain : « Voici qu’il faut déplorer
une toute petite fille, toute douce. Il aurait mieux valu ne pas venir au
monde, si, toi qui serais devenue si charmante, tu avais pour destinée dès
ta naissance, de retourner vite d’où tu étais venue et d’être une cause de
deuil pour tes parents. Elle a vécu 6 mois et 8 jours ; rose, elle a fleuri et
fané dans le même temps 13. »
Ces épitaphes antiques sont toujours très tristes. Car la douleur de
parents n’est guère apaisée par les croyances religieuses : la mort des
enfants est qualifiée d’« âpre » (acerba), comme pour un fruit qui n’a pas
eu le temps de mûrir. C’est une rupture de l’ordre naturel et en consé-
quence, les petits n’ont pas droit au bonheur du séjour aux Champs-Ély-
sées. Ils sont relégués dans un lieu intermédiaire de plaintes. C’est là
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13. Jean-Pierre Néraudau, Être enfant à Rome, Paris, Les Belles-Lettres, 1984, p. 380.
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tos, au plus près des reliques des saints et de leurs mérites. Jusqu’au
XVIIIe siècle, les corps des enfants n’ont jamais droit aux églises, même
dans les familles de notables. À partir du XIXe siècle, on individualise les
tombes, surtout celles des enfants ; on les fleurit, on y revient volontiers
pour se souvenir ou pour méditer.
Dans les cimetières, les fleurs sont le premier ornement des tombes
d’enfants : elles sont belles comme les enfants, mais elles ne durent pas
longtemps ; leur fragilité éphémère est particulièrement adaptée à la sym-
bolique de la trop courte vie enfantine. Il y a des décorations plus durables
et non moins fortes dans leur symbolisme : ainsi, les colonnes de marbre
blanc, brisées à mi-hauteur, font référence à la fois à la couleur de l’inno-
cence et au cours d’une vie trop tôt interrompue. Mais le thème le plus
fréquent est celui de l’ange, souvent représenté en pied. Ainsi, le grand-
père du petit Léopold Hugo se préoccupe très vite d’orner la petite
tombe : « Si tu pouvais trouver, de hasard, un petit ange en pied et en
marbre, tu m’en aviserais… »
D’autres tombes sont plus ambitieuses : les parents ont demandé au
sculpteur de représenter l’enfant comme s’il était encore en vie. S’il est
petit, l’enfant est dans son berceau : il semble dormir paisiblement. Plus
grand, il est debout, dans ses vêtements de tous les jours, dans une pose
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14. Philippe Ariès, Images de l’homme devant la mort, Paris, Le Seuil, 1983, p. 253.
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Conclusion
Aujourd’hui, la mortalité infantile a considérablement reculé. La baisse
des taux s’amorce à partir de 1750 : de 350 ‰ dans les années 1690-
1719, on passe à 263 ‰ dans les années 1750-1779. C’est un tout petit
gain, mais il est contemporain de la « découverte de l’enfance » au
XVIIIe siècle, mise en évidence par Philippe Ariès. La baisse s’accentue au
XIXe siècle, irrégulièrement d’abord, avec les effets de la vaccination anti-
variolique (découverte par Jenner en 1796), puis très fortement après
1880, avec la diffusion des autres vaccins et de l’hygiène pastorienne : en
1913, le taux de mortalité infantile descend à 126 ‰ ; mais en 1945, il est
encore de 110 ‰, et de 52 ‰ en 1950. En 2003, il est descendu à 4,1 ‰,
ce qui place la France dans le peloton de tête des pays développés.
N’oublions pas cependant que bien des pays du tiers monde ont encore
aujourd’hui des taux de mortalité infantile proches de ceux de la France
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Biblio
ARIES, Philippe. 1960. L’enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime, Paris, Plon, et Le
Seuil, 1973.
ARIES, Philippe. 1977. L’homme devant la mort, Paris, Le Seuil.
ARIES, Philippe. 1983. Images de l’homme devant la mort, Paris, Le Seuil.
Le Dernier portrait, catalogue de l’exposition du Musée d’Orsay, RMN, 2002.
« Les Deuils d’enfants de la conception à la naissance », Études sur la mort, n° 119, Le
Bouscat, L’Esprit du Temps, 2001.
GELIS, Jacques. 1984. L’arbre et le fruit. La naissance dans l’Occident moderne, Paris,
Fayard.
GELIS, Jacques. 1988. La sage-femme ou le médecin. Une nouvelle conception de la vie,
Paris, Fayard.
GELIS, Jacques ; LAGET, Mireille ; MOREL, Marie-France. 1978. Entrer dans la vie. Naissances
et enfances dans la France traditionnelle, Paris, Gallimard, Archives.
LE GRAND-SÉBILLE, Catherine ; MOREL, Marie-France ; ZONABEND, Françoise (dir.). 1998. Le
fœtus, le nourrisson et la mort, Paris, L’Harmattan.
LETT, Didier. 1995. « Faire le deuil d’un enfant mort sans baptême au Moyen Âge : la nais-
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