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Lire à l'adolescence : enjeux psychiques

Jean-Marc Talpin
Dans La lettre de l'enfance et de l'adolescence 2005/3 (no 61), pages 25 à 30
Éditions Érès
ISSN 2101-6046
ISBN 2749204410
DOI 10.3917/lett.061.30
© Érès | Téléchargé le 13/11/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.159.213.20)

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Problématiques

Lire à l’adolescence :
enjeux psychiques
Jean-Marc Talpin

Les salons du livre et les chiffres des éditeurs le soulignent, la multiplication


des maisons d’éditions et des collections en témoigne, la littérature jeunesse se
porte bien. Le secteur des livres publiés en direction des adolescents présente une
offre très diversifiée qui va des BD et mangas (avec des qualités très hétérogènes)
aux romans relevant d’une authentique recherche littéraire (on peut citer ici,
parmi tant d’autres, L. Sebbar 1 ou M. Burgess 2), en passant par les collections ou
les séries organisées autour d’un univers, d’un genre ou encore d’un personnage.
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En préalable aux développements ultérieurs, et en paraphrasant une formule
célèbre de D.W. Winnicott, je garderai ouverte la question de savoir si l’adoles-
cence existe et s’il y a une littérature pour adolescent. C’est dire, pour aller vite,
qu’il n’y a pas une adolescence mais des adolescents, de surcroît chacun soucieux
de trouver, sinon d’affirmer, sa singularité ; c’est dire aussi, à ce moment-là plus
encore qu’à d’autres périodes de la vie, que la catégorisation, qu’elle soit parentale,
professionnelle ou commerciale, de la lecture est toujours à remettre en débat, ne
serait-ce que parce que ceux auxquels elle s’adresse tendent à y réagir en se tenant
souvent ailleurs que là où les adultes croient les trouver et que, quand les adultes
les ont trouvés, ils se déplacent.
En second préalable, je soulignerai aussi que pour tout un chacun, adolescent
comme adulte, la lecture est prise dans de multiples dimensions qui vont de l’ex-
périence personnelle de celle-ci dans ses apprentissages comme dans ses plaisirs,
aux positions idéologiques quant au texte et à l’image. Il convient de se méfier de
l’idée d’un hypothétique âge d’or, durant lequel tout le monde aurait lu, contras-

Jean-Marc Talpin, psychologue clinicien, maître de conférences à l’Université Lumière-Lyon 2.


1. L. Sebbar, Soldat, Paris, Le Seuil, coll. « Point-Virgule », 2004, 88 p.
2. M. Burgess, voir ci-après notes 9, 10 et 11.
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tant avec un présent où les jeunes seraient captifs des images et autres jeux vidéo.
En effet, parler des enjeux psychiques de la lecture pour les adolescents suppose
une mise à distance suffisante de nos propres rapports à l’écrit dans la mesure où
les adultes qui pensent ces questions sont le plus souvent ce que je nomme « des
croyants de la lecture », pour ne pas dire du texte.
La lecture est, pour la grande majorité des parents, un élément fort de l’édu-
cation des enfants, du « apprendre à lire », du côté de la maîtrise d’une technique,
au « lire » comme activité de plaisir, de culture ou de promotion sociale. Dès lors,
cet investissement initial, renforcé par le passage par l’école et le collège, temples
du lire, occupe une place importante dans les enjeux psychiques de la lecture à
l’adolescence.
Je propose, d’une manière schématique mais nécessaire à l’exposition de
ceux-ci, de traiter les enjeux à partir de deux dimensions apparemment antago-
nistes. À l’adolescence, la lecture peut être abordée soit dans sa dimension rela-
tionnelle (et contre relationnelle le cas échéant), soit comme un en soi pour
l’adolescent, les rapports de celui-ci au lire étant alors traités dans la perspective
de son monde interne en transformation et/ou en crise. Choisir cet ordre de pré-
sentation (la relation, l’intersubjectif, avant l’intrapsychique) s’étaye sur les posi-
tions de R. Kaës pour lequel le groupe précède le sujet qu’il accueille et à
l’émergence duquel il participe tant dans la logique du contrat narcissique
(P. Aulagnier 3) que dans celle des pactes inconscients (R. Kaës 4) et de la forma-
tion de l’idéal du moi (S. Freud 5). Intersubjectif et intrapsychique ne sont donc
ici présentés séparément que pour des raisons de clarté ; en effet la réalité clinique
est à comprendre dans un jeu de tensions, de projections, de déplacements entre
l’une et l’autre de ces scènes.

La lecture et l’intersubjectivité
Une partie de cette problématique a trait à la « sociabilité du lire » (M. Burgos
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et coll. 6). Cet aspect intègre l’en deçà de l’actuel de l’adolescence. En effet, ainsi que
je l’ai déjà signalé, la lecture, le rapport au texte débutent bien avant que l’enfant
ne commence à apprendre ou n’en ait les capacités, et ceci même si certaines tech-
niques tendent à faire lire les enfants de plus en plus tôt, parfois avant 2 ans ! Ce
désir démarre dans le désir des parents que l’enfant entende des histoires qu’ils lui
liront, qu’il entre dans le monde de l’écrit. Une telle introduction de l’enfant au
texte, mais aussi du texte dans l’enfant (G. Haddad 7), porte la trace de l’histoire de
chacun des parents avec le texte et avec son apprentissage. Cependant bien des
enfants conservent un écart entre le scolaire du lire et leurs investissements per-
sonnels et pulsionnels, la lecture pouvant former aussi bien un jardin secret auquel
le psychisme vient se ressourcer qu’un écran défensif entre soi et le monde.

3. P. Castoriadis-Aulagnier, La violence de l’interprétation, Paris, PUF, 1975, 363 p.


4. R. Kaës, L’appareil psychique groupal, Paris, Dunod, 1976, 273 p. ; Contes et divan, Paris, Dunod, 1984,
227 p.
5. S. Freud (1914), « Pour introduire le narcissisme », dans La vie sexuelle, Paris, PUF, 1977, 81-105 ; (1929),
Malaise dans la civilisation, Paris, PUF, 1976, 107 p.
6. M. Burgos et coll, Sociabilités du lire et communautés de lecture, Paris, BPI, 1996, 289 p.
7. G. Haddad, Manger le livre, Paris, Grasset, 1984, 218 p.
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Problématiques : Lire à l’adolescence : enjeux psychiques 27

La manière dont l’adolescent se positionne par rapport à la lecture dépend


donc de cette histoire relationnelle telle qu’il l’a inscrite dans sa propre réalité
interne mais aussi de la personne avec laquelle il en parle. Je reprendrai ici briève-
ment une situation rencontrée lors d’entretiens de recherche avec des adolescents.
Une jeune fille fit savoir à une bibliothécaire jeunesse qui mettait des jeunes en
relation avec moi qu’elle souhaitait me parler car elle n’aimait pas lire. Or, durant
tout l’entretien, elle me fit part de sa difficulté à se concentrer un peu longtemps sur
un texte. Cette petite vignette peut être lue de différentes façons : soit cette jeune
fille n’avait pas osé me dire, du fait de mon statut de psychologue et de chercheur,
qu’elle n’aimait pas lire, soit elle me disait ce que masquait le discours provocateur
du « je n’aime pas lire », à savoir, en réalité, la souffrance d’une difficulté person-
nelle. Il est aisé de transposer cette observation à ce qui se passe entre un adoles-
cent et sa famille ou ses enseignants.
Si cette dimension relationnelle de la lecture concerne au premier chef le lien
aux parents puis le lien à l’institution scolaire, elle est aussi en jeu, autrement et de
manière complexe, dans la relation aux pairs. Certains jeunes affirment ne jamais
parler de lecture, ou de leurs lectures, avec des camarades, là où d’autres en font
au contraire ce que C. Guérin nomme « un objet de relation ».
Lors d’entretiens ou de situations groupales, plusieurs dimensions sont ainsi
apparues. D’abord, parler de ses lectures, c’est se positionner par rapport à une
pratique connotée socialement et culturellement. Ainsi un groupe de jeunes de 4e
et 3e qui en débattait s’était organisé en deux polarités opposées, ceux qui aimaient
lire et ceux qui n’aimaient pas, les seconds traitant les premiers « d’intellos » et leur
reprochant de ne penser qu’à travailler, de ne pas savoir s’amuser. Or ces derniers,
loin de se laisser assigner à cette identité péjorative, répondirent en expliquant
tout le plaisir qu’ils prenaient à la lecture de certains livres qu’ils évoquèrent briè-
vement. De plus, ils ne se laissèrent pas enfermer dans une opposition simpliste,
évoquant aussi les jeux vidéo, les sorties avec les copains… Dans des entretiens
individuels, certains (en fait surtout certaines) jeunes me dirent ne pas parler de
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leurs lectures en groupe pour éviter les moqueries mais aussi, ce qui relève plus
d’une posture narcissique, parce qu’ils pensaient que les autres ne les compren-
draient pas.
Ensuite, parler de ses lectures, c’est dévoiler quelque chose de son intimité, en
particulier lorsque l’on raconte ce que l’on a aimé (ou détesté !). En ceci, le livre
proposé à la lecture à des amis, le livre offert contiennent des enjeux relationnels
forts dans la mesure où ils parlent du sujet lui-même dans une dimension d’inti-
mité mais aussi de la manière dont ce sujet se représente et investit l’autre. Le livre
est dès lors bien objet de relation puisqu’il permet de dire quelque chose de soi à
l’autre et d’entretenir, voire d’approfondir, en tout cas de modifier le lien.
On insiste souvent sur la dimension oppositionnelle de l’adolescence dans la
logique de la construction identitaire. Ceci est certes vrai car l’adolescent « se
cherche » c’est-à-dire cherche à se démarquer des figures parentales. Ceci ne doit
cependant pas occulter que cette logique, du moins dans les situations dans les-
quelles la crise est suffisamment contenue, se double d’une autre qui passe par la
recherche de figures identifiantes et par la recherche de liens. Si certains parents
proposent des lectures à leurs enfants adolescents (dans des perspectives diverses
qui vont du « j’ai aimé ça à ton âge » au « il faut avoir lu ça, c’est bon pour tes
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études » et d’autres fort heureusement plus ouvertes, il n’est pas rare que les ado-
lescents proposent aussi à leurs parents ou à des adultes investis de lire des livres
qu’ils ont particulièrement aimés ; il y a là véritablement une perche tendue, le
livre étant la médiation, l’occasion, le prétexte mais aussi la couverture pour par-
ler de choses personnelles par le biais des personnages, de l’auteur… Nous
sommes bien là dans la dimension de transition décrite par D.W. Winnicott 8.
Après cette rapide réflexion sur les multiples dimensions de l’intersubjectivité
du lire, nous allons nous arrêter sur ses dimensions intrasubjectives ou intrapsy-
chiques. Ces dimensions témoignent de l’internalisation par le sujet de ce qui s’est
d’abord déroulé, ou cours des relations précoces, dans l’intersubjectivité.

La lecture et l’intrapsychique
Si la lecture est une pratique qui s’inscrit dans l’intersubjectivité et dans le
social, le public, elle n’en est pas moins une expérience profondément intime ainsi
que nous venons de l’évoquer. Dans les entretiens que j’ai pu mener, cette dimen-
sion intime ressort particulièrement dans le refoulement à l’œuvre ; plusieurs lec-
teurs ou lectrices ne retrouvaient plus le titre ou l’auteur d’un livre qui leur avait
particulièrement plu, qui les avait marqués, et ceci alors même qu’ils en racon-
taient l’histoire et qu’ils partageaient leurs réflexions avec plaisir.
Le texte lu, quelle que soit sa qualité, suscite des enjeux psychiques profonds,
en particulier dans le registre de la pulsion, de la symbolisation (donc de la subli-
mation) et de l’identification. Lire, c’est puiser dans « le trésor déjà là de la cul-
ture » ainsi que l’écrit S. Freud. En effet le texte se propose au lecteur comme un
montage de figures, de personnages, de relations, de fantasmes transposés en
intrigues… En ceci, il mobilise de la pulsionnalité en même temps qu’il la pro-
pose sous une forme liée. Or la reviviscence de la pulsionnalité est l’un des enjeux
majeurs de l’adolescence. Celle-ci est, pour reprendre l’image de D.W. Winnicott,
« un vin nouveau dans une vieille outre », la question étant celle de la capacité de
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contenance de l’appareil psychique de l’enfance et de la latence face à cet assaut
pulsionnel. L’excitation sexuelle, et en particulier génitale, est tout à la fois source
de satisfaction et d’inquiétude, d’autant qu’est aussi mobilisée la problématique
du lien aux objets amoureux, amicaux et parentaux. Je prendrai ici comme point
d’appui le livre de M. Burgess Une idée fixe 9. Ce livre, remarquable et cru, raconte
l’histoire d’un groupe de grands adolescents en proie à l’amour autant qu’au désir,
et les errements des uns et des autres. Une bibliothécaire jeunesse me rapportait
que pendant plus de six mois ce livre fut emprunté sans jamais repasser par les
rayonnages ; à chaque fois qu’un lecteur le rapportait, il y avait un copain ou une
copine avec lui qui le reprenait. D’une part ce livre faisait lien entre ces jeunes,
d’autre part il fallait protéger ce lien du regard des adultes. De ce fait, je ne peux
faire que des hypothèses sur le pourquoi d’un tel succès. S’il tient pour partie à sa
dimension excitante dans la mesure où la sexualité et les fantasmes des adolescents
y sont dits sans faux-fuyants, il tient tout autant, me semble-t-il, à la capacité de

8. D.W. Winnicott (1971), Jeu et réalité, Paris, Gallimard, 1975, 212 p.


9. M. Burgess, Une idée fixe, Paris, Gallimard-Jeunesse, 2004, 330 p.
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l’auteur (ce que l’on peut aussi vérifier avec des ouvrages tels que « Junk 10 » ou
« Lady, ma vie de chienne 11 ») à mettre en mots sexualité et fantasme, donc à sym-
boliser une partie de l’expérience non seulement physique mais surtout psychique
de ces jeunes. Rencontrer en dehors de lui des mots, des récits qui disent des
choses proches de ce qu’il ressent permet à l’adolescent de se familiariser avec ses
propres expériences et de se les approprier. Ceci a aussi une fonction de légitima-
tion (R. Kaës) : rencontrant dans le texte, chez des personnages fictifs, des ques-
tions que lui-même se pose, des angoisses que lui-même ressent, l’adolescent est
rassuré. « Idée fixe » en donne une bonne illustration dans le passage où Ben, ayant
constaté une grosseur sur son pénis, en particulier lors de l’érection, pense qu’il a
un cancer, tout en se disant aussi que c’est peut-être normal. Il conclut que, quoi
qu’il en soit, il ne peut absolument pas en parler à un adulte, qu’il aurait beaucoup
trop honte. Le livre peut être cet interlocuteur à distance, muet, qui permet l’évi-
tement de la honte mobilisée par la relation avec un autre. Ce qui est vrai et de
manière criante pour la sexualité l’est aussi pour de nombreux autres enjeux tels
que les relations entre les sexes ou entre personnes d’un même sexe, les relations
entre les générations, en particulier avec les parents.
Le roman ou le témoignage, avec certes des dimensions spécifiques, sont donc
des sources d’informations mais aussi des lieux de réassurance narcissique ainsi
que de liaison des expériences plus ou moins désordonnées de l’adolescence. En ce
sens, dans la lecture, l’identification joue à plusieurs niveaux (J.-M. Talpin 12).
D’une part, elle est identification au personnage, avec le plus souvent une dimen-
sion héroïque et une vie par procuration s’inscrivant dans la logique de la transi-
tionnalité et du jeu décrite par M. Picard 13. D’autre part, elle est identification à
un ensemble de personnages, au réseau complexe des relations que les uns et les
autres entretiennent. Enfin la lecture peut conduire à l’internalisation d’un mode
de travail psychique envers des pulsions qu’elle suscite et contient tout à la fois. Ce
cas de figure se rencontre avec ces adolescent-e-s qui disent s’être mis à écrire (fic-
tion, poème, journal) suite à la lecture d’un ouvrage qui les avait particulièrement
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marqués.

La lecture, ouverture ou fermeture ?


Cependant une telle perspective suppose des adolescents suffisamment
capables de contenir, d’inhiber leur pulsionnalité pour pouvoir supporter la pas-
sivité, ne serait-ce que physique, de la lecture. On voit bien comment certaines
activités, telles que les jeux vidéos, permettent une décharge physique beaucoup
plus immédiate, quand il s’agit par exemple de tuer un adversaire d’un simple
« clic ». La lecture, même si elle est parfois très proche de la pulsion, comme dans
certains récits violents ou érotiques, passe par le filtre des représentations de mots

10. M. Burgess, Junk, Paris, Gallimard-Jeunesse, 2002, 346 p.


11. M. Burgess, Lady, Paris, Gallimard-Jeunesse, 2002, 236 p.
12. J.-M. Talpin, « Le passage à l’acte de lire », dans S. Goiffard et A. Lorant-Jolly (sous la direction de), Les
adolescents et la lecture, CRDP Académie de Créteil, 1995, 57-71 ; Le lecteur séduit, du pacte à la jouissance,
L’école des lettres n° 14, 1998, 81-88.
13. M. Picard, La lecture comme jeu, Paris, Minuit, 1986, 320 p.
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et de leur agencement en récit qui introduit de la temporalité (P. Ricœur 14). Cette
lecture est prise entre deux pôles dont les extrêmes sont d’une part son refus, pré-
cisément parce qu’elle suppose une inhibition (et parce qu’elle est marquée par le
report de la satisfaction autant que par le scolaire), d’autre part son investissement
défensif comme refuge.
Dans le premier cas le passage par le texte suscite de la frustration tant phy-
sique que psychique puisque c’est l’auteur (ou le narrateur) qui est maître du
récit ; dans le second, au lieu d’être une médiation entre le sujet lecteur et le
monde (son monde interne comme le monde externe), il devient un refuge : ainsi
en est-il de ces adolescents cachés derrière leur livre (ou leur écran d’ordinateur,
leur console de jeu…). Entre les deux, avec des mouvements psychiques contra-
dictoires, se tient l’investissement sinon du texte du moins de tel ou tel texte qui
peut à un moment fonctionner comme double idéalisé, comme compagnon de
mots, comme ouverture, pour jouer, sur la vie.

SÉMINAIRE DU GRAPE SUR L'ADOLESCENCE


… de la création à l'adolescence…

L'adolescent est régulièrement convoqué, tant dans sa forme médiatisée


que dans la sphère socio-éducative, depuis ce qu'il agit, ce qu'il met en
acte. Reçu depuis ce registre qui advient comme une stigmatisation de
l'adolescence, il se voit réduit au discours par lequel il est tenu.
L'adolescence a toujours été, peu ou prou, un temps de passage, de dérive,
de déraison, de débarquement pour que quelque chose se passe, agisse ou
surgisse. Il s'agit qu'une construction symptomatique puisse advenir, une
création inventée même dans l'impasse mais visant à en sortir.
Dans cette perspective, nous envisageons ici de mettre au travail le pro-
cessus adolescent dans une dimension créatrice en interrogeant les repé-
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rages habituellement usités, tant dans ce que l'acte adolescent pose et
interpelle, que dans la forme qui lui est accordée dans les différents dis-
cours qui l'accompagnent.

Jeudi 20 octobre 2005


Figures de l'errance
avec Olivier Douville, psychanalyste, Paris

Jeudi 24 novembre 2005


Objet, perte et création
avec Céline Masson, psychanalyste, auteure de Angoisse et création aux
Éditions L’Harmattan

Renseignements : GRAPE – 01 48 78 30 88
ou sur le site : www.legrape.org

14. P. Ricœur, 1983, 1984, 1985, Temps et récit (3 tomes), Paris, Le Seuil, 404, 298, 533 p.

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