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LA DICTATURE SALAZARISTE ET LE « PROBLÈME DÉMOGRAPHIQUE »
Victor Pereira
Belin | « Annales de démographie historique »
2014/2 n° 128 | pages 159 à 186

ISSN 0066-2062
ISBN 9782701190006
DOI 10.3917/adh.128.0159
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historique-2014-2-page-159.htm
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ANNALES DE DÉMOGRAPHIE HISTORIQUE 2014 n° 2 p. 159 à 186
LA DICTATURE SALAZARISTE ET
LE « PROBLÈME DÉMOGRAPHIQUE »
par Victor PEREIRA
Lors de son allocution du jour de soient utiles tous les éléments deman-
l’An 1972, le président de la République dés, mais ce qui fondamentalement
portugaise, Américo Thomaz, évoque le nous intéressait était de savoir combien
onzième recensement général de la nous étions. Et la préoccupation de
population effectué en décembre 1970. savoir comment nous étions, aussi préci-
Doté d’un pouvoir essentiellement sément comme il a été désiré, a créé des
protocolaire et affecté principalement difficultés dans le remplissage des bulle-
aux inaugurations et aux cérémonies de tins, indépassables pour beaucoup de
remises de décorations, Thomaz a plutôt personnes et auxquelles s’allièrent la
l’habitude, lors de ses discours au style méfiance et le désintérêt toujours latent.
ampoulé et peu avares en propos apolo- Résultat : nous ne savons toujours pas
gétiques, de mettre en exergue les suppo- combien nous sommes en réalité, et en
sées réussites de l’Estado Novo et l’appui conséquence également, comment nous
enthousiaste que ce régime est censé sommes. L’émigration nous a pris beau-
rencontrer parmi la population, tant en coup de personnes dont il est triste
métropole que dans les colonies. qu’elles ne soient pas de ce côté des fron-
Que le président de la République, tières. Le recensement a apparemment
amiral de la flotte portugaise, aborde le aggravé cette imprécision, en ne réussis-
recensement lors d’un discours solennel sant pas à savoir le nombre exact de ceux

révèle les troubles que ses résultats ont qui réellement et heureusement restent
provoqués au sein du régime dictatorial. encore ici » (Thomaz, 1983, 210-211).
Pour Thomaz, « le dernier recensement, Dans cet extrait, Thomaz développe,
plus encore que les antérieurs, ne s’est d’une part, une «pensée d’État», qui stig-
pas déroulé de manière satisfaisante. J’ai matise les résistances populaires face aux
senti que le public n’avait pas été suffi- techniques de pouvoir visant à connaître
samment préparé et informé lors de la la population et à la rendre legible (lisible
distribution et du recueil des bulletins et ˝légiférable˝) pour être plus facilement
[…], et surtout que l’on voulait savoir gouvernée par l’État (Bourdieu, 1994,
trop de choses en même temps. Nous 101 ; Scott, 1998). Dans le cas portugais,
n’avons pas utilisé convenablement les les réticences de la population, peu
puissants moyens actuels de communi- encline à répondre aux agents du recense-
cation qui nous auraient permis de ment, sont mises en avant depuis le
lutter contre la méfiance et le désintérêt premier recensement moderne, réalisé en
avec lequel sont encore reçues les enquê- 1864 (Branco, 2004). L’analphabétisme
tes de ce genre. On ne doute pas que massif de la population, sa crainte que le
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VICTOR PEREIRA
recensement ne serve à accroître les critique vis-à-vis de la dictature ; il est

impôts et à enrôler les jeunes hommes l’un des fondateurs d’une association de
dans les filières de l’armée sont évoqués « semi-opposition » au régime et la prin-
pour expliquer cette méfiance. D’autre cipale incarnation de la libéralisation
part, le chef de l’État met en doute la qu’aurait opéré Marcelo Caetano, arrivé
méthodologie employée par les agents de à la présidence du Conseil en septembre
l’Instituto Nacional de Estátistica (INE), 1968. Il écrit immédiatement au prési-
dont les principaux agents sont pourtant dent pour défendre la rigueur du recen-
pleinement intégrés dans la sement et la probité de l’INE qui l’a
« communauté épistémique » internatio- exécuté.
nale dédiée aux études et travaux Lors d’un entretien réalisé en 2012,
statistiques (Haas, 1990; Brian, 2002). Salgueiro prétendait que le président de
Depuis le recensement de 1864, les la République considérait que beaucoup
statisticiens portugais s’inspirent très d’agents de l’INE étaient, comme lui,
largement des innovations étrangères et des marxistes complotant contre le
des recommandations des organisations régime. Thomaz s’était même opposé, en
internationales. Pour le onzième recense- vain, à son entrée au gouvernement, esti-
ment, l’INE a suivi les recommandations mant qu’il appartenait à l’opposition qui
du Conseil de l’Europe et a étudié les tentait de noyauter le pouvoir et détruire
précédents français, allemand, étatsunien le régime de l’intérieur. En janvier 1970,
et suédois1. En sus, le questionnaire Salgueiro conteste les critiques de
utilisé lors de ce dénombrement résulte Thomaz – démontrant notamment que
de longues négociations au sein de l’ap- parmi les 20 000 agents du recensement,
pareil d’État, entre différents ministères, on comptait de nombreux policiers peu
institutions, corporations et associations suspects d’appartenir au Parti Commu-
patronales, dans le cadre d’un Conseil niste –, et organise la venue du président
National de la Statistique, créé en 1966 à l’INE pour pacifier les relations entre
et placé sous la tutelle de la présidence du l’institution et le président3. Mais,
Conseil2. Ainsi, pour reprendre les mots Thomaz cherche surtout à décrédibiliser

de Martine Mespoulet étudiant les statis- le recensement dont les résultats consti-
tiques soviétiques, la préparation du tuent un camouflet pour la dictature. Le
recensement portugais de 1970 a bien recensement révèle que la population a
été un « moment de discussion, voire de décru entre 1960 et 1970, passant de
confrontation, entre statisticiens et 8 889 392 à 8 663 252. Si l’on écarte le
dirigeants au pouvoir » (Mespoulet, cas de l’Irlande, frappée par la grande
2008, 25). L’accusation à peine voilée du famine de 1845-1852 et par une émigra-
président de la République, situé à l’ex- tion massive vers les États-Unis et la
trême droite de l’échiquier politique de Grande-Bretagne, le Portugal est alors le
la dictature, suscite l’immédiate réaction premier pays européen de taille consé-
de l’ex-sous-secrétaire d’État à la planifi- quente à voir sa population baisser, sans
cation économique, João Salgueiro, qui guerre et/ou famine, entre deux recense-
possédait jusqu’en août 1971 la respon- ments décennaux de la période contem-
sabilité de l’INE. Ce dernier est étiqueté poraine. Comme le note alors l’ambassa-
comme « technocrate », proche du deur de France au Portugal, en écho aux
mouvement catholique progressiste, fort controverses provoquées par les enquêtes
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LA DICTATURE SALAzARISTE ET LE « PROBLèME DÉMOGRAPHIQUE »
statistiques de l’INE, « ces quelques chif- dévoiler la baisse de la population. Dans

fres montrent l’étendue d’un phénomène cet article, nous essaierons de compren-
sans doute unique en Europe et dont il dre pourquoi le recensement de 1970 fut
est bien évident qu’il met en cause ainsi politisé. Ce dernier révélait l’échec
l’existence même d’une nation »4. d’une dictature qui avait mobilisé
Si les statisticiens et les gouvernants se l’« argument démographique » afin de se
doutaient que l’émigration, qui s’était légitimer et prétendait avoir résolu
accrue dans les années 1960, avait large- efficacement le « problème démogra-
ment amputé le solde naturel, ils étaient phique » construit par plusieurs auteurs
incapables de connaître l’étendue des influents à la fin du xIxe siècle et au début
départs. En effet, plus de la moitié des du xxe siècle (Rosental, 2007). Comment
centaines de milliers d’émigrants avait l’« argument démographique » fut-il
quitté irrégulièrement le pays dans les manié sous l’Estado Novo ? Quelles solu-
années soixante, échappant à tout tions furent mises en avant par la dicta-
comptage statistique. De plus, le pic des ture pour nourrir une population crois-
départs eut lieu en 1969 et en 1970 sante ? Ce travail ne se limite cependant
(115 672 et 183 205 émigrants soit, en pas à étudier les discours des élites du
1970, un peu plus de 2 % de la popula- régime autoritaire et à esquisser leur
tion résidente), peu avant la réalisation généalogie dans la pensée politique,
du recensement, et ne permettait pas économique et sociale portugaise. Il
aux statisticiens de connaître encore les essaie de montrer l’ambivalence des
données publiées par les pays d’immi- prétentions démographiques de la dicta-
gration comme la France. Ainsi, ce n’est ture et de percevoir l’existence d’impor-
que lors du recensement de 1970 que tants hiatus entre les discours et les
l’impressionnante ponction humaine pratiques quotidiennes. Ces ambiguïtés
constituée par l’émigration fut dévoilée et décalages expliquent pour partie pour-
à sa juste mesure. quoi la population et sa quantification
Si les statisticiens portugais voient leur
devinrent l’objet de controverses à partir
travail remis en cause par la plus haute

des années 1950 et, plus particulière-
figure de l’État, ils ne subissent pas la
ment, à l’occasion des résultats du recen-
même répression que leurs homologues
sement de 1970.
soviétiques après le recensement de 1937.
Ce dernier révèle l’ampleur de la famine
ukrainienne, de la répression et de l’échec SALAZAR ET L'ARGUMEnT
de la collectivisation forcée. Alors qu’il DÉMOGRAPHIQUE
voulait faire de cet outil statistique un
instrument de propagande, Staline Le « baromètre de la vie nationale »
enterre les résultats, opère une purge
parmi les statisticiens qualifiés de Les mouvements et les fluctuations de
« saboteurs » et d’« ennemis du peuple » et la population (émigration, immigration,
programme un nouveau comptage aux natalité et mortalité) ont constitué pour
résultats manipulés (Blum et Mespoulet, beaucoup d’auteurs, réduisant les socié-
2003, 127-165). Dans le cas portugais, tés à un corps biologique, un indicateur
les résultats du recensement ne sont pas fiable et objectif de l’« état de santé »
publiés dans leur intégralité pour ne pas d’un pays et, parfois, de l’habileté de ses
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VICTOR PEREIRA
gouvernants. Une forte natalité témoi- de subsistance suffisants. Il interpelle

gnerait de l’optimisme et de l’élan vital ainsi les élites du pays, prompte à fusti-
d’un pays tandis que la diminution des ger l’émigration et à tenter de la freiner
naissances annoncerait sa décadence. La par le biais de mesures législatives : « ne
venue de populations étrangères sur le déclamons pas contre l’émigration, car
territoire national illustrerait, elle, la nous ne savons pas corriger les sources
réussite et la vitalité d’une nation. En de la gêne ; ne l’aggravons pas avec
revanche, le départ des habitants atteste- l’insanité d’une vaine rhétorique ; ne
rait la misère d’un pays et l’incompé- joignons pas à la misère le ridicule.
tence de ses dirigeants. Ce type d’argu- Arrangeons-nous plutôt à vivre avec
mentaire mobilisant les évolutions cette infirmité en la considérant comme
démographiques est fréquent au Portu- une cause fatale et physique. Tous les
gal, à la fin du xIxe siècle et au début peuples européens et chrétiens ne
xxe siècle, période pendant laquelle un tolèrent-ils pas la prostitution ? Or l’émi-
constat de crise et de décadence domine gration portugaise n’est rien d’autre que
le champ politique et intellectuel (Rosas, notre attestation de prostitution
1989). politique et économique » (Martins,
La conscience du « retard » écono- 1956, 261).
mique pris par rapport aux autres pays Dans un projet de loi soumis au Parle-
d’Europe occidentale, la crise écono- ment en 1887, Oliveira Martins, dans
mique et financière de 1891-1892, les une perspective néo-physiocrate, propose
difficultés du gouvernement à défendre notamment de déplacer l’excédent de la
les « droits historiques » du pays sur ses population rurale vivant dans le nord du
colonies africaines face aux appétits pays, région dominée par la petite exploi-
impérialistes britanniques, français, tation familiale et dans laquelle la densité
belges et allemands, la recrudescence des de la population est très élevée, vers
départs vers le Brésil sont autant de l’Alentejo sous-peuplé où se sont impo-
phénomènes omniprésents dans les sées les grandes propriétés. Dans une
débats politiques et intellectuels. À la fin communication lors de la troisième

du xIxe siècle, Joaquim Oliveira session de l’Institution International de
Martins, éphémère ministre des Finan- Statistique, tenue à Vienne en 1891,
ces portugais en 1892, auteur d’une Oliveira Martins relève que certains
vaste œuvre historique, sociologique et districts du nord du pays « peuvent se
politique dans laquelle il formule de ranger parmi les territoires les plus
nombreuses solutions pour régler les peuplés de l’Europe », tandis que certains
« problèmes » du pays (Maurício, 2005), de l’Alentejo présentent « une des plus
présente l’émigration comme « le baro- faibles densités de l’Europe » (Martins,
mètre de la vie nationale, marquant avec 1892, 274). Bien qu’elle ne soit pas appli-
ses oscillations la pression du bien-être quée, la solution néo-physiocratique
métropolitain » (Martins, 1956, 207). présentée par Oliveira Martins marque
Pour Oliveira Martins, si les départs profondément le champ intellectuel et
sont nombreux, c’est le signe de l’incurie politique dans les décennies qui suivent.
des gouvernants et de leur incapacité à La plupart des auteurs qui se penchent
permettre à tous les habitants de trouver sur la situation démographique du pays
du travail dans leur pays et des moyens dialoguent avec cette œuvre.
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Démographie et mythe palingénésique frappaient le pays depuis des décennies,

maux dont l’émigration massive, qui
À la fin des années 1940, Salazar
avait ôté près de deux millions d’habi-
reprend à son compte ces thèses qui lient
tants au pays entre 1820 et 1930, était
démographie et qualité des gouvernants.
l’un des principaux résultats.
En 1948, dans la préface à la quatrième
À aucun moment, Salazar n’admet
édition du premier volume de ses « notes que la baisse de l’émigration résulte en
et discours » des années 1928-1934, le grande partie de l’environnement inter-
dictateur, revenant sur vingt ans de national marqué par une crise écono-
gouvernement – il est nommé ministre mique mondiale à partir de 1929, par le
des Finances en 1928 et devient premier deuxième conflit mondial entre 1939 et
ministre en 1932 –, dresse le bilan de 1945 et par la fermeture des frontières
son action. Rappelant ses postulats et ses de nombreux pays d’immigration. Le
méthodes, il ne manque pas de tresser Brésil, principal pays de destination des
ses propres lauriers. Parmi l’arsenal de migrants portugais, réduit l’immigra-
preuves censé démontrer le « mythe tion à partir de 1930, au moment de
palingénésique » (Rosas, 2012), soit le l’arrivée de Getúlio Vargas au pouvoir
redressement de l’État et la régénération (Mendes, 2010, 225). En France, où
du Portugal après plus d’un siècle de vivent 50 000 portugais en 1931, les
décadence, le dictateur avance : « Aucun autorités bloquent les entrées de
signe de progrès ne sera plus décisif que nouveaux immigrés puis expulsent les
celui d’avoir assuré travail et nourriture plus vulnérables d’entre eux. Quant aux
à une population, qui augmente, n’émi- États-Unis, les quotas de 1924 n’offrent
gre pas et jouit d’un niveau de vie que 503 places aux émigrants portugais.
chaque fois plus élevé » (Salazar, 1948, En 1943, alors que la guerre restreint
xxI). En note, il indique l’évolution de considérablement les déplacements
la population métropolitaine et des îles internationaux, l’émigration portugaise
adjacentes (archipel des Açores et connaît son étiage à l’époque contempo-
Madère) qui est passée de 6 032 991 en raine avec 893 départs.

1920 à 6 835 883 et qui devait être de En 1953, Salazar continue à défendre
8 312 000 en 1947. Salazar insiste cette lecture endogène et auto-glorifica-
notamment sur la « moyenne annuelle trice. Cette fois, ce n’est pas un écrit de
de l’émigration, qui atteint, dans la Salazar qui l’indique mais les annota-
décennie 1910-1919, 40 051, fut de tions qu’il rédige à la marge de la
1920 à 1929 de 36 634 et descendit à communication présentée par António
19 922 de 1930 à 1939 et à 5 604 de do Amaral Pyrrait aux Journées d’Études
1940 à 1946 » (Salazar, 1948, xxI-xx). Européennes sur la Population, tenues à
Sous la plume du dictateur, la baisse des Paris en mai 1953. Pyrrait, chef de divi-
flux migratoires ne s’explique que par sion à l’INE, avait présenté un papier
l’action bénéfique et éclairée menée par sur les « raisons et possibilités de
son gouvernement. En rejetant les l’émigration portugaise ». De façon
erreurs du libéralisme, en bannissant les péremptoire, Pyrrait, ancien fondateur
partis politiques, en appliquant les idées de la revue d’inspiration fasciste Revolu-
de la troisième voie « corporatiste », Sala- ção Nacional, qui a néanmoins rejoint le
zar prétend alors avoir réglé les maux qui giron du régime salazariste au cours des
163
VICTOR PEREIRA
années 1930, débute son exposé par : surplus de la population septentrionale

« Le Portugais a toujours été un vers les terres de latifundium. Or, ce
émigrant »5. D’après lui, la conquête par serpent de mer de la pensée économique
les Chrétiens des territoires tenus par les portugaise se révèle très délicat pour
Musulmans à partir du Ixe siècle est une Salazar qui prétend avoir démontré
forme d’émigration. De là vient l’inadéquation de cette solution, tout en
l’habitude de « cette population de se ayant proposé une solution alternative
déplacer et d’envisager toujours de au « problème démographique » mis en
nouvelles terres pour pouvoir y vivre et exergue par plusieurs auteurs.
s’y établir »6. Cette lecture des mouve-
ments de population et la mise en exer-
gue d’un atavisme migratoire du Portu- LA COnSTRUCTIOn DU
gais coïncident avec les idées du « PROBLÈME DÉMOGRAPHIQUE »
dictateur. Mais cette apparente unani-
mité de vue se dissipe quand Pyrrait L’équation néo-physiocrate
développe ses considérations sur la
Avant d’arriver au pouvoir à la fin des
période contemporaine. Selon lui,
années 1920, António de Oliveira Salazar,
« l’absence d’émigration dans les années
1931-1950, déterminée par des circons- professeur d’économie politique à l’Uni-
tances étrangères au pays, a provoqué versité de Coimbra, s’était penché sur les
une augmentation massive de popula- « problèmes » financiers, économiques,
tion qui n’a correspondu à aucun besoin démographiques et sociaux du pays abor-
ou avantage intérieurs et qui n’a pas, en dés par des auteurs comme Joaquim
particulier, favorisé la structure de cette Oliveira Martins, Basílio Teles, Anselmo
population ou ses conditions de de Andrade, Quirino de Jesus ou Ezequiel
distribution sur le territoire »7. Salazar de Campos. Ces penseurs avaient tenté
souligne une partie de ce passage et d’imposer leurs vues et avaient ainsi cons-
dessine un point d’interrogation dans la truit ce qu’ils dénonçaient être les
marge, signe qu’il n’approuve pas ce « problèmes » de la nation portugaise. En

propos. imposant leurs manières de voir, ils
En effet, Pyrrait se permet de balayer essayaient également d’imposer leurs solu-
d’un revers de main l’action bienfaisante tions, parfois en entrant au gouverne-
et régénératrice conduite par le dictateur ment. Oliveira Martins et Ezequiel de
et contredit radicalement la rhétorique Campos firent ainsi de rapides passages au
de Salazar. De plus, l’optique, quelque gouvernement avant que Salazar, lui, s’y
peu malthusienne, de l’agent de l’INE installe durablement (il reste au gouverne-
nie le progrès économique et social du ment pendant 40 ans, sans discontinuer).
pays depuis les années 1930, progrès En imposant les termes du débat, ces
qui, selon le premier ministre, avait penseurs ont conduit à l’occultation
permis cet accroissement démogra- d’autres « problèmes » que certains
phique. Enfin, son allusion à la néces- segments de la société, dotés de moins de
saire redistribution de la population sur capitaux sociaux ou culturels, ne purent
le territoire rejoint les idées des tenants imposer. Ainsi, au cours des années 1930-
de la réforme agraire, comme Oliveira 1960, le Parti Communiste Portugais s’at-
Martins, qui souhaitent le transfert des tache, à travers une perspective marxiste, à
164
déconstruire ces « problèmes » construits excédents de population du Nord du pays

par les penseurs « bourgeois » (Neves, n’auraient plus à quitter le pays et s’instal-
2008). leraient dans l’Alentejo. En sus, le Portu-
À partir de l’œuvre d’Oliveira gal deviendrait auto-suffisant et sa balance
Martins, plusieurs penseurs mettent commerciale cesserait d’être déficitaire. Le
notamment en avant les asymétries du pays deviendrait indépendant économi-
pays, divisé entre un Nord surpeuplé, où quement et financièrement et serait
subsistent une multitude de minuscules moins soumis aux capitaux étrangers et
exploitations familiales dans lesquelles aux oscillations de la monnaie britan-
les paysans survivent à peine en prati- nique. Enfin, la paysannerie constituerait
quant la polyactivité et en faisant émi- dorénavant un marché solvable pour une
grer certains de leurs enfants, et un Sud industrie qui pourrait se développer en
sous-peuplé dans lequel les terres sont s’appuyant sur la consommation interne.
sous-exploitées. Ils dénoncent égale- Dans la continuité de ces débats, Salazar
ment l’existence de vastes terres non rédige des travaux sur les troubles causés
cultivées qui, arborisées ou travaillées au Portugal par la Première Guerre
par les paysans, auraient donné du mondiale (Salazar, 1998 [1918]) et sur les
travail et accru la production agricole changes monétaires portugais (Salazar,
qui, jusqu’alors, était insuffisante pour 1998 [1916]). Dans ces œuvres universi-
nourrir toute la population. Bien qu’une taires, il présente ses solutions aux problè-
majeure partie de la population travaille mes diagnostiqués depuis des années : la
la terre, le Portugal doit importer de production agricole insuffisante, les défi-
grandes quantités de céréales. Dans cits commerciaux, les déficits budgétai-
plusieurs ouvrages, Ezequiel de Campo res, l’inflation et l’instabilité monétaire.
déplore que l’État n’a pas « promu Parmi les solutions d’inspiration néo-
l’adaptation du Portugais à son cadre physiocrate avancées par le jeune univer-
géographique » (Campos, 1998 [1923], sitaire, on retrouve le dessein d’augmen-
85). Selon lui, les cultures pratiquées par ter la production, en adaptant les cultures
les paysans favorisent l’érosion des terres au territoire, d’améliorer les moyens de

et ne s’adaptent pas aux sols. Il défend transport, de limiter les profits des inter-
en outre une profonde réforme agraire, médiaires, de réduire la concurrence
une meilleure utilisation de la science étrangère, d’accroître le rendement de la
pour augmenter les rendements, l’irriga- population, tout en réduisant la
tion des terres agricoles de l’Alentejo et demande. Il appelle de ses vœux un
l’extension des forêts. « dictateur des vivres » capable d’assurer le
Ces néo-physiocrates ont une solution ravitaillement de la population et de
au manque de subsistances, à la misère et maintenir les prix bas pour éviter l’infla-
à l’émigration : il suffit de mettre en tion, source des troubles sociaux et poli-
œuvre une réforme agraire qui parcellise- tiques qui se multiplient dans le pays
rait les terres dans l’Alentejo et une partie depuis 1914 (Garrido, 2004). Il regrette
du Ribatejo et remembrerait les propriétés en 1916, dans O ágio do ouro, que
dans le reste du pays. Ainsi, les familles continue, « fermé et sans brèche possible,
paysannes pourraient être dotées de terres le cercle vicieux dans lequel l’émigration
suffisantes et désormais assez vastes pour se développait car le sol n’alimentait pas
introduire des machines agricoles. Les suffisamment la population, et le sol
165
VICTOR PEREIRA
n’alimentait pas la population, parce que « fausse » l’idée des « terres non cultivées
la multitude, qui émigrait, ne le travaillait de l’Alentejo et de l’immensité des
pas » (Salazar, 1998 [1916], 163). terres sans propriétaires » (Salazar,
À partir de 1928, Salazar, ministre 1943, 395).
des Finances puis premier ministre,
met partiellement en œuvre ce « Héberger et nourrir 9 ou 10 millions
programme. Il réduit les déficits budgé- de Portugais »
taires, augmente la production agricole S’il n’est pas possible d’installer dans le
– avec le lancement d’une « campagne sud les populations excédentaires du
du blé » en 1929 –, lutte contre l’infla-
nord comme l’affirmaient plusieurs
tion en réprimant le mouvement
penseurs et que l’émigration se tarit,
ouvrier et en mettant en place une
comment Salazar prétend-t-il pouvoir
régulation corporative de l’économie
régler le « problème démographique » ?
qui limite la concurrence et fixe le prix
Lors du Premier Congrès Économique
de nombreux biens, élève des protec-
tions douanières contre les importa- de l’Empire, tenu en 1936, Salazar pose
tions et fait diminuer la consommation clairement l’équation qu’il prétend
de la population – la ration calorique résoudre : « nous avons dans la métropole
moyenne baisse de 4,5 % entre 1927 et et les îles adjacentes sept millions d’indi-
1946 (Cabral, 1986, 9). En revanche, vidus, après avoir cédé, seulement au
ses anciennes propositions influencées Brésil dans les cinquante dernières
par le néo-physiocratisme (réforme années, plus d’un million d’émigrants.
agraire, diversification des productions La croissance annuelle de la population,
et formation des agriculteurs pour solde des naissances et des décès, est
accroître les rendements), ne voient, supérieure à 80 mille, il a été presque de
elles, pas le jour (Lucena, 1991). 90, et il sera bientôt de 100 mille : un
Salazar veille, tout au long de ses million chaque décennie. Si des causes
quarante ans de pouvoir, à conserver extraordinaires n’interviennent pas,
l’appui des différentes strates des élites surtout si les Portugais ne sont pas conta-

économiques, sociales et politiques minés par la stérilité de la dite civilisation
– aux intérêts et aux visions parfois moderne et même si se maintient dans la
antagonistes –, et ménage les grandes claire vision de l’intérêt national la préfé-
propriétaires du Ribatejo et de rence de l’émigration portugaise pour le
l’Alentejo, les « seigneurs du pain et du Brésil, nous devrons dans trente ans
vin » (Costa et al., 2010, 50). Aucune héberger et nourrir 9 ou 10 millions de
réforme agraire d’ampleur n’est réalisée Portugais » (Salazar, 1936, 5). Pour le
pendant la dictature, en dépit de la dictateur, même en procédant à de
création d’une Junta de Colonização coûteux travaux d’irrigation et en instal-
Interna (Junte de Colonisation lant des familles sur de nouvelles
Interne) dont le champ d’action est très propriétés agricoles, il n’y aurait pas de
étroit et modifie très marginalement la travail pour tout le monde. La solution,
distribution asymétrique des terres qui ne peut se trouver dans les recettes
(Silva, 2013). À plusieurs reprises, Sala- néo-physiocrates, est, pour lui, double :
zar délégitime les postulats avancés par « cette population, en augmentation que
les néo-physiocrates, affirmant qu’est l’agriculture ne pourra pas alimenter ou,
166
si elle peut l’alimenter, ne peut pas absor- de main-d’œuvre »8. La croissance de la

ber, constituera, dans peu d’années, un population semble être un spectre qui
problème qui demande des solutions, et hante le président du Conseil.
je n’en vois pas d’autres si ce n’est l’émi-
gration coloniale et la plus intense indus-
trialisation du pays. Avec l’industrie on
LES SOLUTIOnS DU « PROBLÈME
peut absorber les bras en trop ; c’est DÉMOGRAPHIQUE »
seulement grâce à elle que deviennent
possibles, sans misère, les hautes densités Le refus de l’émigration et l’exception
de population, mais il est nécessaire de brésilienne
créer les conditions qui favorisent son
Avant de voir de plus près les deux
développement » (Salazar, 1936, 6).
solutions offertes par Salazar – l’émigra-
Cette solution, Salazar la répétera publi-
tion coloniale et l’industrialisation –, il
quement à plusieurs reprises, notam-
est frappant de constater que deux
ment en 1943.
À la différence d’un Mussolini qui met autres solutions ne sont pas énoncées
en œuvre une politique populationniste publiquement : l’émigration vers l’étran-
(restriction de l’émigration, impôt frap- ger et la réduction de la natalité. Si le
pant les célibataires, développement de dictateur mentionne l’émigration vers le
la protection maternelle et infantile, allo- Brésil, il n’en fait en aucun cas la pierre
cations familiales, prêts pour les mariés, de touche de la politique à mener pour
etc.) et fixe un objectif démographique atténuer le « problème démographique ».
de 60 millions d’Italiens à l’horizon La dictature présente fréquemment
1950, Salazar semble lui plutôt craindre l’émigration comme un phénomène
l’accroissement de la population nocif qui doit être réduit et combattu.
(Dupâquier, 1999, 57 ; Treves, 2007). Le En 1947, l’émigration est suspendue
chiffre rond de 10 millions d’habitants presque totalement quelques semaines et
n’est jamais avancé par Salazar comme la même année une institution – la
un objectif à atteindre. Au contraire, il Junta da Emigração –, est fondée pour

est plutôt redouté, symbole d’un pays réguler les départs. Cette institution est
surpeuplé (alors que la densité ne s’élève- placée sous la tutelle du ministère de
rait qu’à 108 habitants au km2). Lors de l’Intérieur, suggérant la vision policière
ses audiences avec des personnalités et d'assistance que développe le gouver-
étrangères, Salazar dépeint de manière nement dans cette politique publique.
encore plus sombre l’avenir du pays. La propagande du régime, au nom de
Ainsi, en 1949, énumérant à Paul l’unité de la nation, incite les Portugais à
Reynaud les difficultés que connaît son ne pas émigrer. La nation portugaise est
pays, Salazar évoque une « population souvent décrite à travers des métaphores
trop considérable pour un territoire basées sur le corps et la famille, autant
restreint et pauvre » et la nécessité « de de métaphores filées pour asseoir l’idée
trouver des débouchés pour l’émigration d’une hiérarchie naturelle et de l’indivi-
portugaise ». En outre, il se « plaint de ce sibilité de la nation. L’émigrant est alors
que les colonies ne pussent en absorber fréquemment décrit comme un fils
qu’une faible partie et que le Brésil ait prodigue ou un membre d’un corps
considérablement diminué ses demandes amputé. Le nationalisme, le désir d’une
167
VICTOR PEREIRA
indépendance totale face à l’étranger, la de l’Atlantique –, toute une rhétorique

crainte de l’entrée d’idées subversives de l’affectivité et des liens du sang s’ex-
venues de l’étranger, l’exaltation de l’en- prime entre les deux pays (Gonçalves,
racinement de la paysannerie dans sa 2003). La propagande salazariste
terre sont autant de valeurs cardinales présente le Portugal comme la nation-
du salazarisme qui conduisent les élites mère qui continue à offrir au Brésil
du régime à appréhender négativement certains de ses meilleurs enfants pour
l’émigration. consolider les liens initiés au xVIe siècle,
Toutefois, au-delà de l’émigration vers liens si profonds que même l’indépen-
les colonies, une exception est concédée dance du Brésil, en 1822, n’a pas pu
à la destination brésilienne. Dans les rompre. L’émigration vers le Brésil est
discours officiels, cette exception est très également acceptée car, dans le contexte
rarement présentée comme une solution de la légitimation de la colonisation, elle
partielle au problème démographique ou s’inscrit dans la continuité des grandes
comme une source de précieuses remises Découvertes et illustre la dimension
financières (ce qui est cependant parfois universelle du peuple portugais. Pour les
le cas dans les discours en interne) : elle élites portugaises, en admettant la conti-
est plutôt inscrite dans le contexte nuation des départs vers le Brésil, il s’agit
géopolitique international et les relations d’alimenter des foyers d’irradiation du
diplomatiques tissées avec l’ancienne « lusitanisme », en espérant qu’ils puis-
colonie. Alors que les élites brésiliennes sent soutenir les prétentions internatio-
avaient exprimé des sentiments hostiles à nales du Portugal et, plus particulière-
l’encontre de l’ancienne métropole au ment, ses revendications coloniales. Pour
cours du xIxe siècle et d’une partie du le Portugal, le soutien du géant brésilien
xxe siècle (Ribeiro, 2002 ; Silva, 2011), et la mise en avant d’un axe Lisbonne-
depuis la Première République portu- Rio de Janeiro sont essentiels diplomati-
gaise (1910), et surtout à partir des quement et permettent de combler la
années 1930 – avec la coïncidence des faiblesse du pays dans le concert des
« Estados Novos » d’une part et d’autre nations occidentales.

Fig. 1 Arrivées de Portugais au Brésil, 1950-1974
Source : Baganha (1994, 975).
168
L’émigration vers le Brésil est ainsi Rowland (1999, 507), « dans certains
ouvertement privilégiée par les autorités districts du Sud (ceux de Setúbal et de
portugaises, dans les années 1960, alors Faro), les indices de fécondité étaient,
que les Portugais se détournent du pays dès les années 1950, parmi les plus
au profit de la France (Figures 1 et 3). La faibles d’Europe ».
résolution du Conseil des Ministres du Le propos de Salazar, cité plus haut, qui
2 juillet 1970 consacrée à l’émigration stigmatise la « contamination » de la
préconise qu’il faut « fournir gratuite- « stérilité » apportée par la modernité,
ment la documentation nécessaire à suggère le « rôle fondamental dans la
l’émigration pour certaines destinations constitution des visions du monde » que
(le Brésil par exemple), en envisageant possède l’Église catholique durant l’Es-
même la concession de facilités aux tado Novo (Nunes, 1991, 38). Salazar et
émigrants les plus dépourvus de ressour- une grande partie des élites du régime
ces » (Ribeiro, 1986, 52). proviennent des rangs du catholicisme
conservateur qui a combattu la Répu-
Le refus du malthusianisme blique anti-cléricale (1910-1926). En
1911, la séparation de l’État et de l’Église
La seconde solution qui n’est pas
est imposée et plusieurs textes soumettent
formulée par les dirigeants du pays pour
le clergé à un étroit contrôle des autorités.
absorber les excédents démographiques Si le Concordat de 1940 ne redonne pas
est la réduction de la très forte natalité. tous les privilèges et biens perdus par
Dans les années 1930, le taux de natalité l’Église, Salazar fait de la morale chré-
portugais compte parmi les plus élevés tienne la principale inspiration de la
d’Europe occidentale, s’établissant à propagande du régime. Un des plus célè-
29,8 ‰ (Rosa et Vieira, 2003, 33). Si le bres discours du dictateur, prononcé en
taux de natalité se réduit dans les décen- 1936, affirme : « aux âmes dilacérées par
nies suivantes, cette baisse reste relative- le doute et le négativisme du siècle, nous
ment modérée et le taux de natalité se cherchons à restituer le confort des gran-
maintient à 24,1 ‰ en 1960. Ces taux des certitudes. Nous ne discutons pas

nationaux cachent cependant de fortes Dieu et la vertu ; nous ne discutons par la
asymétries régionales. Dans les régions Patrie et son Histoire ; nous ne discutons
du centre et du nord du pays, où domine par l’autorité et son prestige ; nous ne
la petite propriété familiale et où l’Église discutons pas la famille et sa morale ;
catholique contrôle étroitement les nous ne discutons pas la gloire du travail
communautés paysannes et leurs visions et son devoir » (Salazar, 1945, 130). La
du monde (Cabral, 1989), la natalité est religion est ainsi la première vérité procla-
encore plus forte et persiste plus mée par Salazar et certains historiens ont
longtemps à de hauts niveaux : dans les décrit l’Estado Novo comme une alliance
années 1969/1972, le taux de natalité est de « la croix et de l’épée » (Rosas, 2012,
de 29,05 ‰ dans le district de Braga9. 258). L’Église, dont les élites sont en
Ce sont dans les régions de latifundium, majorité conservatrices et possèdent pour
où résident des prolétaires agricoles objectif la rechristianisation de la société,
pauvres et peu pratiquants, que les taux se voit concéder de très larges pouvoirs
de natalité baissent le plus précocement dans l’éducation, l’assistance sociale, l’en-
et le plus intensément. Selon Robert cadrement des mères.
169
VICTOR PEREIRA
Pour Salazar, « la Constitution de 2011). Une fois mariées, les femmes

1933, avec la clairvoyance que nous sont censées ne pas travailler et s’occuper
pouvons aujourd’hui apprécier, a retiré à exclusivement de leur foyer et de leurs
l’État portugais la tentation de l’omni- enfants.
potence et de l’irresponsabilité morale et Cependant, un important hiatus
a permis d’attribuer à l’Église, dans la entre les discours et les pratiques existe.
constitution des foyers et dans la forma- D’une part, la population ne suit pas
tion de la jeunesse, cette parcelle de fidèlement les injonctions de l’Église et
mystère et d’infini qu’avec de seules viles de l’État. Les populations de l’Alentejo,
imitations nous pourrions remplacer » on l’a vu, limitent précocement les nais-
(Salazar, 1943, 237). L’étroit maillage de sances. Et les femmes mariées ne restent
l’Église, surtout dans le centre et le nord, pas toutes au logis. Les faibles salaires et
transforme les curés en principales figu- la misère amènent une part importante
res morales et assure la transmission de d’entre elles à travailler. D’autre part, les
la morale conservatrice catholique en ce politiques sociales favorisant, directe-
qui concerne les familles et la natalité. ment ou indirectement, les naissances
En 1940, le divorce pour les mariages restent timides. Les allocations familia-
religieux est interdit. L’Église combat les les ne sont instituées qu’en 1942 pour
naissances hors mariages (dont le taux se les travailleurs de l’industrie, du
réduit entre 1940 et 1970, passant de commerce et des services, de nombreu-
156,8 ‰ à 72,2 ‰) et dénonce, ses années après les premières évocations
jusqu’aux années 1970, toutes les d’un salaire familial qui devait récom-
pratiques contraceptives et malthusien- penser les pères de familles nombreuses
nes (Barreto, 1996, 87). Avec le poids et éviter l’entrée des femmes mariées sur
dominant d’une Église conservatrice, le marché du travail. Des subventions
appuyée par l’État, les tenants de pour le mariage, la naissance et l’allaite-
l’« eugénisme négatif » restent marginaux ment sont également concédées (Pimen-
et aucune entreprise de stérilisation de tel, 1999, 483). Cependant, les alloca-
certaines catégories de la population tions familiales et les subventions restent

n’est menée, du moins en métropole d’un montant modeste et les travailleurs
(Matos, 2013). Seuls les communistes et agricoles – qui constituent encore 42 %
les anarchistes défendent le « contrôle de la population active en 1960 –, n’en
des naissances » pour émanciper les bénéficient qu’en 1969. Ce n’est que
femmes et réduire la misère. Les lorsque l’émigration et l’exode rural ont
femmes, dont le rôle de mère est exalté vidé les campagnes que les travailleurs
dans le cadre de la famille, « source de du secteur primaire sont couverts face à
conservation et de développement de la ce « risque » (Pereira, 2009). Pourtant,
race » selon la Constitution de 1933, depuis la fin des années 1950, certains
sont l’objet d’une attention particulière hauts fonctionnaires défendent l’exten-
de l’Église et du régime. En 1936, sion du régime de la prévoyance sociale
l’Obra das Mães pela Educação Nacio- aux populations rurales afin de freiner
nal (Œuvre des Mères par l’Éducation l’exode rural, fixer les paysans dans les
Nationale) est fondée et la Mocidade campagnes et éviter la création de
Portuguesa Feminina (Jeunesse Portu- grands bidonvilles autour des deux gran-
gaise Féminine) en 1937 (Pimentel, des villes du pays10.
170
Même dans le domaine de l’hygiène parentale ne sont amorcées qu’au cours

publique et de la lutte contre la morta- des années 1960 et rencontrent l’opposi-
lité infantile, les résultats sont mitigés, tion d’une grande partie de l’élite ecclé-
surtout si on les inscrit dans le contexte siastique et gouvernementale (Policarpo,
du continent européen. Le taux de 2011, 56) –, pour qui les solutions se
mortalité infantile est, dans les années trouvent donc dans l’industrialisation et
1930, un des plus élevés d’Europe dans l’Empire.
occidentale : 143,6 ‰. Dans les décen-
nies suivantes, ce taux chute Les chemins de l’industrie
régulièrement et rapidement : il atteint Dans les années 1930, l’industrie
55,5 ‰ en 1970. En dépit de cette n’emploie que 19 % de la population
chute, le Portugal connaît dans ce active. Jusqu’aux années 1960, la propa-
domaine un important retard par gande du régime et les propres discours
rapport aux autres pays d’Europe occi-
de Salazar mettent surtout en avant un
dentale dans lesquels la baisse de la
« Portugal essentiellement agricole » cher
mortalité infantile a été plus rapide et
au « bunker rural » (Rosas, 2000, 120).
accentuée (Caselli, Meslé et Vallin,
Cette propagande ruraliste a conduit
1999, 139-140). Obsédé par la lutte
certains historiens à présenter l’Estado
contre les déficits budgétaires, Salazar
consacre peu de moyens financiers à la Novo comme un régime recherchant
politique sociale et sanitaire. Dans les une sorte d’involution historique et refu-
années 1930 et 1940, l’action de l’État sant totalement la modernité. Il est vrai
en matière de santé n’est que palliative et qu’en 1965, Salazar déclarait qu’il était
l’Église, par le biais de miséricordes, et la toujours « un rural » et qu’il continuait à
médecine privée sont prépondérantes. « comprendre l’agriculture et connaître
Toutefois, en 1945, une réorganisation les nécessités vitales que l’agriculture doit
de l’Assistance sociale est menée afin de satisfaire. Indépendamment de ce que
« vaincre notre lamentable retard dans ce l’on nomme la poésie champêtre, qui
domaine »11. Plusieurs campagnes sont attire les sourires un peu dédaigneux de

lancées les années suivantes pour réduire l’économie industrielle, pour moi, et s’il
les morts par maladies infectieuses et devait y avoir compétition, je
parasitaires (Henriques et Rodrigues, continuerais à préférer l’agriculture »
2008, 472). En 1958, un ministère de la (Salazar, 1967, 371-372). Cependant, les
Santé et de l’Assistance Sociale est créé discours ruralistes avaient principale-
et, en 1971, un texte législatif reconnaît ment pour objectif de rassurer les élites
pour la première fois le droit à la santé. rurales, un des bastions du régime que
Nonobstant ces évolutions, en 1973, les Salazar ne voulait en aucun cas s’aliéner.
dépenses dans le domaine de la santé ne Alors que, dans les années 1960, le
s’élèvent qu’à 2,1 % du PIB, moitié Portugal s’industrialise rapidement et
moins que la moyenne des pays d’Eu- que la part de la population active enga-
rope occidentale (Lobo, 72, 2005). gée dans l’industrie est presque identique
S’il n’est jamais envisagé de réduire le à celle travaillant dans l’agriculture,
« problème démographique » par la l’espace public reste dominé par une
restriction des naissances – les premières rhétorique conservatrice, voire réaction-
« timides » actions de planification naire. Comme l’a noté Boaventura de
171
VICTOR PEREIRA
Sousa Santos, « l’hégémonie économique concurrence interne par le biais d’un

de la bourgeoisie agricole est entrée en système de régulation interne qui empê-
déclin au début des années 1960, tandis che de nouveaux acteurs d’entrer sur le
que son hégémonie idéologique n’est marché sans autorisation gouvernemen-
seulement rentrée véritablement en tale. Si cette régulation empêche l’inno-
déclin qu’à la fin de cette même décen- vation, elle assure la maîtrise d’une
nie » (Santos, 1990, 18). industrialisation dont les conséquences
L’industrie est le secteur dont le sociales et politiques – concentration de
produit augmente le plus entre 1930 et prolétaires « désaffiliés » dans les villes –,
1970, surtout à partir des années 1950, sont redoutées par le gouvernement
décennie pendant laquelle deux plans de (Castel, 1995). Ce n’est qu’à partir de
mise en valeur économique sont établis 1961, avec le début des guerres colonia-
et impulsent certaines industries de les qui ponctionnent fortement les finan-
base, comme l’industrie sidérurgique. Le ces du pays, que Salazar accepte les inves-
secteur secondaire se développe à la fois tissements étrangers, le démantèlement
dans les deux principales villes du pays progressif de la régulation industrielle et
et leurs banlieues – Lisbonne et Porto –, le développement accéléré de l’industria-
mais s’inscrit également dans certaines lisation autour de grands groupes écono-
régions rurales du nord et du centre du miques. Mais, en 1968, un démographe
pays, dans le cadre d’une « industrie aux note que le rythme et les formes de l’in-
champs » (Dewerpe, 1985). Pour obte- dustrialisation ne permettent en aucun
nir une main-d’œuvre moins chère et cas d’absorber les excédents de la popula-
plus flexible, des industriels s’établissent tion rurale. Selon lui, le Portugal souffre
dans les campagnes et emploient des d’un « manque de compétence
membres de familles paysannes qui ont entrepreneuriale » : les entrepreneurs
besoin de revenus supplémentaires pour portugais cherchent avant tout le profit
survivre. Toutefois, l’industrie portu- facile et n’investissent pas convenable-
gaise, à quelques exceptions près, est
ment leurs capitaux dans l’achat d’équi-
marquée par sa faible productivité et son

pement et une meilleure formation de
retard par rapport aux industries occi-
leurs ouvriers (Evangelista, 1971, 242).
dentales. L’un des principaux penseurs
« industrialistes » de l’Estado Novo, José L’ambigu appel de l’Afrique
Ferreira Dias, plusieurs fois ministre,
fustigeait en 1960, les industriels La deuxième solution au « problème
portugais qui se lançaient « dans un type démographique », sans cesse répétée par
d’usine que la civilisation européenne a les dirigeants et diffusée amplement par
banni depuis deux siècles [et] que les le biais de la propagande, est l’Empire.
protections douanières, funestes comme Ceux qui ne peuvent trouver une occu-
les nôtres, ont conservé et que la future pation en métropole doivent se rendre
Europe va mettre en pièces sans rémis- en Afrique où d’innombrables opportu-
sion » (Dias, 1998, 216). nités les attendent. En 1956, dans
Jusque dans les années 1960, les indus- « Emigração », fascicule destiné aux clas-
triels portugais sont protégés de la ses populaires, l’exhortation lancée est
concurrence externe par de hautes claire : « Si tu veux émigrer, deviens
protections douanières mais aussi de la colon en Angola ou au Mozambique »
172
(Assumpção, 1956, 168). Quand Sala- afin de permettre l’installation des

zar évoque cette solution lors du congrès milliers de Portugais de métropole.
colonial, cette rhétorique est déjà vieille Pour les chantres de la colonisation, les
d’un siècle. En effet, avec la perte du paysans en excédent du nord du pays
Brésil en 1822, les élites de Lisbonne doivent naturellement continuer leur
créent le mythe des « nouveaux Brésils » : labeur agricole en Angola ou au
les territoires africains, aux prétendus Mozambique. Cependant, en 1940, il
riches sous-sols et sols, que le Portugal n’y a que 44 083 individus considérés
aurait jusqu’alors négligés. En 1836, comme « blancs » en Angola et 27 438
dans une loi qui prétend – en vain –, au Mozambique. En 1970, après trois
supprimer l’esclavage dans l’Empire, Sá décennies d’intense propagande et de
da Bandeira explicite cet argument, « mise en valeur » de ces territoires, cette
répété à satiété jusqu’en 1974 : population monte à 280 101 en Angola
« promouvons en Afrique la colonisation et à 162 967 au Mozambique. Le
des Européens, le développement de nombre de nouveaux colons ne repré-
leur industrie, l’emploi de ses capitai- sente qu’un fragment minime des
nes ; et dans une courte série d’années départs de la métropole. En 1974, après
nous tirerons les grands résultats que moins de vingt années d’émigration, on
nous avons eus auparavant dans nos compte davantage de Portugais en
colonies »12. France que dans les Provinces d’Outre-
Jusque dans les années 1950, en dépit mer après 450 années de colonisation
de ces discours, de nombreuses lois et (voir annexe). En une seule année, en
d’encouragements officiels qui invitent 1970, les départs vers la France sont du
les Portugais à se rendre en Afrique, les même ordre de ceux qui se sont dirigés
Portugais prennent rarement l’habit de vers l’Angola et le Mozambique entre
colons et préfèrent le Brésil, pourtant 1957 et 1974 (Figures 2 et 3). Et ce,
dénigré par les autorités qui, au alors que les départs vers la France sont
xIx e siècle, dépeignent ce pays en officiellement restreints et considérés
mouroir où les Portugais seraient comme inopportuns et que les départs

soumis à un « esclavage blanc ». Pour les vers l’Outre-mer ne cessent d’être dési-
paysans portugais, les possessions afri- rés et loués par le gouvernement. Ce
caines ne constituent pas un lieu où ils décalage montre, encore une fois, les
peuvent s’enrichir. Les colonies sont limites de la propagande.
plutôt perçues comme des territoires Dans les années 1960, les classes
malsains, infestés de maladies mortelles, populaires portugaises savent qu’elles
où l’on envoie les bagnards (Léonard, trouveront de meilleurs salaires en
2004). Les dirigeants de la Première France ou en République fédérale d’Al-
République, puis ceux de l’Estado lemagne qu’en Angola ou au Mozam-
Novo, multiplient les initiatives pour bique. De plus, l’émigration en Europe
favoriser la colonisation. Dans le cadre, s’articule mieux avec une « migration de
notamment, des plans de mise en valeur maintien », dans laquelle ceux qui
initiés en 1953 (Pereira, 2012a), des partent désirent revenir rapidement,
barrages sont construits pour favoriser munis de capitaux pour investir dans
l’irrigation et la production d’électri- une maison, des terres, des machines
cité. Plusieurs vallées sont aménagées agricoles ou un fonds de commerce
173
VICTOR PEREIRA
Fig. 2 Solde du mouvement des passagers entre la métropole et les Provinces d’Outre-Mer
(Angola et Mozambique), 1950-1974
Source : Castelo (2007, 177). Les années vides correspondent aux années pendant lesquelles le solde des passagers a été négatif.
(Rosental, 1990). Du reste, en dépit des une solution au « problème démogra-

discours officiels, les autorités craignent phique ». En somme, les deux recettes
un envoi massif de paysans portugais avancées par Salazar se révèlent loin de
peu qualifiés qui, en Afrique, se trouve- fournir un débouché à la population
raient en concurrence avec une main- rurale excédentaire.
d’œuvre africaine dépourvue de droits,
contrainte au travail forcé jusqu’en 1961 DES ExCÉDEnTS COnTROVERSÉS
et extrêmement peu rémunérée. De
plus, les investissements nécessaires à
l’installation de ces colons s’avèrent La coexistence de référentiels globaux
lourds et la productivité de ces derniers antagonistes
n’est pas toujours très élevée. Certains Au cours des années 1950, le
colonats se révèlent être des gouffres « problème démographique », bien loin

financiers (Castelo, 2007). Enfin, la de disparaître, prend plus d’ampleur.
dictature redoute l’existence d’une Pendant cette décennie, le solde naturel
population européenne trop importante est le plus élevé du siècle, atteignant
en Afrique qui, soumise au « pacte colo- 1 090 795 individus (Rosa et Vieira,
nial » avantageant la métropole – celle-ci 2003, 30). C’est le résultat de la conjonc-
reçoit des matières premières à bas prix tion d’une natalité encore forte et d’une
et trouve dans les colonies un marché mortalité, notamment infantile, en
captif pour ses exportations de qualité baisse. Dans les années 1950, l’industrie,
parfois douteuse –, ne s’insurge contre la bien qu’en développement, est incapable
tutelle de Lisbonne. Salazar appréhende d’absorber la population rurale excéden-
un mouvement de sécession conduit par taire et l’émigration vers les colonies ne
les colons, à l’image de ce qui s’est canalise jamais plus de 14 000 individus
déroulé au Brésil en 1822 ou en par an (Figure 2). En dépit des proposi-
Rhodésie en 1965. La solution tions des néo-physiocrates, aucune
« impériale » est ainsi très ambiguë et ne réforme agraire d’ampleur n’est entamée.
fournit en aucun cas, jusqu’en 1974, La production agricole augmente très
174
lentement et perd une partie de ses actifs. Au même moment, deux visions tota-
Un « Portugal dual » se dessine alors entre lement antagonistes de la situation
un littoral, comprenant les deux princi- démographique coexistent, toutes deux
pales villes et leurs banlieues, qui concen- fondées sur des visions du monde – des
trent les industries et les services les plus « référentiels globaux » selon Pierre
modernes, et l’intérieur du pays, majori- Muller (2005) –, opposées. Cet antago-
tairement agraire, qui voit sa population nisme se diffracte à la fois au sein de
partir, vers le littoral ou l’étranger l’appareil d’État, loin d’être monoli-
(Nunes, 1964). thique au cours des dernières années de
Lors de cette décennie, une controverse la dictature, et des élites sociales et
sur la situation démographique du pays économiques du pays. Si pour les
naît, portée par des individus et des insti- employeurs de main-d’œuvre rurale, la
tutions possédant des manières de voir la population agricole doit être excéden-
population et l’économie bien distinctes. taire pour maintenir les salaires bas et
D’un côté, les secteurs liés à la moyenne assurer la disponibilité de travailleurs
et grande agriculture et à la petite indus- obéissants et dociles, pour les hauts
trie disséminée dans les campagnes s’alar- fonctionnaires, formés notamment à
ment de l’exode rural et notamment des l’économie keynésienne, ces excédents
départs vers l’étranger. Ils prétendent que empêchent la modernisation de l’appa-
les villages se vident de la population reil productif, la hausse de la producti-
masculine et que seuls restent les vité et des revenus, l’intégration du
vieillards, les femmes, les enfants ou les Portugal à l’économie européenne et la
« incapables » qui exigent désormais des croissance économique.
salaires trop élevés. Leurs revendications Ce hiatus entre deux manières de voir
auprès des autorités amènent à la l’économie perdure jusqu’en 1968, date
construction d’un « problème de l’émi- du départ de la scène politique de Salazar.
gration » auquel l’État répond en prenant Ce dernier, désirant rassurer les élites
des mesures visant à limiter les départs traditionnelles, n’affirme pas clairement
légaux et à empêcher les départs clandes- l’adoption d’un référentiel modernisateur

tins (Pereira, 2008). D’un autre côté, des qui implique le primat de l’industrialisa-
agents, notamment des hauts fonction- tion et l’abandon de l’idéal de la société
naires qui participent à la planification agraire conservatrice. La modernisation
économique, mettent en avant les excé- de l’économie et du tissu social se déroule
dents de population et l’incapacité de ainsi de manière subreptice, sans être
l’économie à absorber chaque année revendiquée par les pouvoirs publics qui
plusieurs milliers de nouveaux entrants laissent l’agriculture stagner. Illustration
sur le marché du travail. En 1956, par de cette ambiguïté, en 1965, dans un
exemple, l’agronome néo-physiocrate discours destiné à rassurer les notables
Eugénio Castro Caldas, en prenant agricoles et les franges conservatrices du
comme référence la productivité des régime, Salazar affirme que « l’industrie
paysans des États-Unis, prétend qu’il [...] s’est accrue et a progressé de façon
existe un million de paysans excédentai- satisfaisante, mais, étant donné l’excès de
res. Pour lui, l’industrie ne doit pas absor- population qui travaille dans les champs,
ber ce trop-plein car elle compte elle- son progrès n’a pas bénéficié proportion-
même 20 000 ouvriers de trop. nellement aux hommes de la terre qui se
175
VICTOR PEREIRA
réfugient dans l’émigration, en désordre des émigrants, ces derniers fuient du

très souvent et en excès injustifié Portugal, certains clandestinement,
d’ailleurs, créant des crises de main-d'œu- d’autres irrégulièrement, avec un
vre dans de vastes secteurs ruraux» (Sala- passeport ordinaire »13. S’il reconnaît
zar, 1967, 11). La main-d'œuvre agricole qu’il n’est pas convenable d’interdire
est, dans la même phrase, à la fois en complètement l’émigration vers la
excès et insuffisante, illustration de la France, il propose que ce flux migratoire
conciliation d’intérêts et de visions anta- ne soit pas facilité. Pour justifier sa
gonistes menée par Salazar, entre d’un position, le président évoque « la
côté des groupes prônant un référentiel propagation des idées communistes »14
modernisateur et de l’autre ceux défen- et les « possibles dangers que nos
dant un certain statu quo. émigrants pourrons courir comme cible
des représailles des Algériens »15. Le
L’émigration : une solution occultée commentaire rédigé sur cette note par le
ministre de l’Intérieur Joaquim Trigo de
Le « primat du politique » domine
Negreiros illustre néanmoins les divi-
dans la gestion de l’exode rural et la poli-
sions au sein de l’État sur la situation
tique d’émigration de l’Estado Novo,
démographique du pays. Le ministre
dans les années 1957-1974, s’assimile à
nuance : « même si l’émigration vers la
un « jeu de vitrine » dans lequel luttent France, étant donné le conditionnement
des agents administratifs et politiques évoqué dans cette note, ne doit pas être
rivaux (Rosas, 2000 ; Pereira, 2012b). stimulée, la vérité est que notre solde
L’émigration, qui à partir de la fin des physiologique et la nécessité d’occuper
années 1950, se tourne vers l’Europe, et chaque année plus de bras nous condui-
la France en particulier, est freinée léga- sent à courir les risques désignés »16.
lement. L’institution possédant la Ancien secrétaire d’État à l’Assistance
responsabilité de l’émigration, la Junta sociale entre 1944 et 1950, Trigo de
da Emigração, s’emploie à entraver les Negreiros redoute l’augmentation trop
départs vers la France par le biais d’une rapide de la population et perçoit l’émi-

multitude de circulaires. En 1956, alors gration comme un débouché au trop-
que quelques centaines de travailleurs plein de la population.
partent clandestinement en France Cependant, les calculs de Trigo de
(Figure 3), le président de la Junta da Negreiros, mâtinés de malthusianisme,
Emigração, un militaire proche des ne peuvent être affirmés publiquement
milieux ruraux conservateurs, démontre car ils risquent de choquer l’« opinion
déjà son peu d’appétence pour ce flux publique » constituée par les élites du
migratoire. Il informe le ministre de pays. L’historien António José Telo a mis
l’Intérieur que « dans les régions d’ori- en avant l’obligation pour les
gine des courants migratoires vers la gouvernants d’occulter les « dysfonctions
France (Leiria et le nord du Minho), nationales ». Selon Telo, certaines
l’anxiété d’aller vers ce pays augmente. dysfonctions essentielles dans la position
Et, confrontés aux délais, aux refus, dans du Portugal au sein du système interna-
certains cas, des demandes pour émigrer, tional – parmi lesquelles la forte dépen-
du fait que la Junta da Emigração dance du Portugal vis-à-vis de l’étranger,
pondère ces sollicitations dans l’intérêt notamment dans le domaine financier
176
Fig. 3 Arrivées de Portugais en France, 1950-1974
Source : Baganha (1994, 975) ; CAC, 19990260, art. 1.
(remises des émigrants, dépendance face l’émigration et prétend lutter contre les
au crédit étranger, etc.) –, doivent être départs qui se font clandestinement du
tues par les dirigeants même s’ils en tien- fait de la réticence de la Junta da Emigra-
nent compte dans leurs actions ção à concéder des passeports à ceux qui
gouvernementales. Car « quand un veulent travailler en France. De 1957 à
homme politique, même des plus habi- 1974, parmi les 900 000 Portugais qui se
les, oublie cette dichotomie entre l’ac- rendent en France, seuls 350 000 sont
tion réelle et celle exprimée dans le munis d’un passeport d’émigration. Les
discours vendu pour la consommation autorités policières et judiciaires ferment
interne, le résultat est sa chute » (Telo, massivement les yeux sur les franchisse-
1997, 659). En l’occurrence, les diri- ments irréguliers de la frontière, même si
geants portugais, plus particulièrement ces derniers sont transformés en crime
ceux qui perçoivent favorablement les passible de deux ans de prison entre
départs, doivent taire que le pays est 1961 et 1969 (Pereira, 2014). L’émigra-

incapable de nourrir toute sa population tion clandestine est, en fait, tolérée par la
et que l’émigration doit être tolérée car majeure part des gouvernants car elle
elle canalise les excédents de la popula- permet de canaliser une population qui
tion. Les dirigeants ne peuvent admettre ne peut s’employer dans son pays, libère
que l’émigration comporte des aspects les tensions sociales et assure à l’écono-
bénéfiques – comme les remises de devi- mie de précieuses remises financières.
ses étrangères faites par les migrants qui Dans la mesure où les départs se dérou-
équilibrent la balance des paiements –, lent clandestinement, les gouvernants se
sous peine d’une levée de bouclier d’une dédouanent vis-à-vis des bastions conser-
« opinion publique » particulièrement vateurs qui s’insurgent contre la
sensible à l’indépendance nationale que disparition du « Portugal essentiellement
Salazar prétend avoir restaurée. agricole ».
Ainsi, au lieu d’énoncer les avantages L’arrivée de Marcelo Caetano à la
divers que ce phénomène apporte, présidence du Conseil modifie quelque
jusqu’en 1969, la dictature développe peu la donne. Le discours contre l’émi-
principalement un discours négatif sur gration se fait moins virulent, certains
177
VICTOR PEREIRA
de ses avantages sont admis dans l’espace certaines émissions clandestines étrangè-
public et les mesures répressives visant à res disent que “la fuite du régime de Sala-
empêcher l’émigration clandestine sont zar et de la faim continue à grande
supprimées. Il n’en reste pas moins que échelle” »18.
l’émigration fait toujours débat comme Plus généralement une partie des
l’illustre la controverse autour du recen- autorités de la dictature craint les usages
sement de 1970. des statistiques par l’opposition qui,
grâce à elles, peut dresser de peu flatteu-
ses comparaisons internationales et
COnCLUSIOn éclairer le sous-développement du pays
Si Américo Thomaz, figure de proue dans les domaines sanitaires, hygié-
du bastion conservateur, développe une niques ou scolaires, les fortes inégalités
telle « susceptibilité statistique » et aurait économiques et sociales qui subsistent.
suspecté un complot marxiste niché au D’autre part, les acteurs qui, au sein
sein de l’INE, c’est que les statistiques de l’État, critiquent la politique restric-
ont été au cœur des luttes autour de la tive menée par la Junta da Emigração
politique d’émigration dans les années ont investi l’« argument statistique »
1960. D’une part, l’argument démogra- (Desrosières, 2008). La Junta da
phique manipulé par Salazar dans les Emigração légitimait les barrières posées
années 1940 pour exalter son gouverne- aux départs légaux au nom du manque
ment s’est retourné contre lui dans les de main-d’œuvre. Par exemple, en 1967,
années 1960, lorsque l’émigration vers l’accord d’émigration signé en 1963
l’Europe s’est accrue. Le manifeste de avec la France, peu appliqué dans les
l’opposition démocratique, rédigé à l’oc- faits, est suspendu unilatéralement par le
casion des élections législatives de 1965, Portugal « en vue d’éviter des difficultés
affirme qu’il n’y a pas lieu de « s’étonner à l’économie nationale »19 causées par
que beaucoup parmi les éléments les plus d’éventuels carences de travailleurs. Or,
actifs de la population émigrent, cher- des agents du ministère des Corpora-
chent sur des terres nouvelles ce que le tions et de la Prévoyance Sociale – équi-

système socio-économique rétrograde valent du ministère du Travail et des
portugais, avec ses structures archaïques, Affaires Sociales –, affirment avoir, la
leur refuse manifestement »17. Nom- même année, « connaissance de situa-
breux sont les écrits de l’opposition à tions de chômage et sous-emploi dans
interpréter l’émigration comme un « vote certaines zones du pays »20. Cette aporie
avec les pieds » de la population et le concernant l’état du marché de l’emploi
symbole de l’échec de la dictature. est possible car les agents qui veulent
Certains agents de la police politique en imposer le référentiel modernisateur
viennent même à suspecter, derrière n’ont pas encore réussi à imposer leurs
l’émigration clandestine, un complot instruments statistiques et, partant,
contre la dictature : l’un d’eux avance leurs manières de concevoir l’économie.
ainsi l’hypothèse suivante : « sait-on, si Dès que les premières protestations
tout cela n’obéit pas à un plan préalable- des moyens et grands propriétaires agri-
ment établi par des organisations coles se sont élevées, les gouvernants ont
communistes internationales, en vue de été confrontés à leur incapacité à objec-
provoquer le discrédit du pays, car tiver statistiquement les éventuels
178
manques de main-d’œuvre. Pour structures liées à la planification écono-

preuve, en mars 1960, le secrétaire mique qui exige un perfectionnement
d’État à l’Agriculture commande un des statistiques afin de piloter l’écono-
rapport sur l’exode rural à trois mie (Rosanvallon, 1990, 253).
ingénieurs agronomes car « dans certai- Les chiffres constituent un des enjeux
nes municipalités du nord du pays, il principaux de ces agents dans leur lutte
semble qu’on constate, dernièrement, au sein de l’État, chiffres qui doivent à la
un grand manque de travailleurs salariés, fois assurer la mise en place d’une poli-
de fermiers et de métayers alors que c’est tique économique keynésienne mais
dans ces régions où “les excédents de aussi montrer les inégalités criantes que
main-d’œuvre sont les plus impor- le régime laisse se développer, au profit
tants” »21. Les trois ingénieurs agrono- des intérêts des plus puissants. Il est
mes déclarent ne pas pouvoir éclairer donc peu étonnant que Thomaz
cette aporie, prétextant le manque de perçoive, chez les statisticiens et les
statistiques. Comme le souligne Paul- agents au profil proche de celui de João
André Rosental, « une part considérable Salgueiro, des marxistes ; il partage ainsi
de l’action publique et privée consiste la conception de Salazar qui décrivait les
non seulement à laisser des phénomènes catholiques progressistes comme des
dans l’ombre, mais même à les rendre « petits poissons rouges nageant dans de
délibérément opaques » (Rosental, 2007, l’eau bénite » (Barreto, 2002, 121).
9). Et, de fait, dans le domaine du Mais ces controverses ne doivent pas
marché de l’emploi, la plupart des faire oublier que l’émigration massive
gouvernants semblent s’accommoder du des années 1960-1974 se déroule en
manque de données sur l’emploi, et en grande partie à la marge des régulations
conséquence, sur le chômage et le sous- étatiques, de manière irrégulière. Or, ces
emploi. départs possèdent de puissants effets
Les agents qui désirent coupler la démographiques : vieillissement de la
politique d’émigration avec la politique population et baisse de la natalité avec le
de l’emploi, dans un sens keynésien du départ des individus en âge de procréer

terme, cherchent donc à établir des et la maîtrise accrue de la fécondité sous
statistiques qui leur permettent de co- l'influence des comportements prati-
construire le chômage et de décons- qués dans les pays d'immigration. L’in-
truire la rhétorique des « carences de capacité de l’État à réguler les mobilités
main-d’œuvre » utilisée par les bastions transnationales et les effets démogra-
conservateurs peu sensibles à leur ratio- phiques qu’elles induisent illustrent
nalité économique (Desrosières, 2005). l’important décalage, qui a existé tout au
Plusieurs de ces agents, comme João long de la dictature, entre les intentions
Salgueiro, appartiennent alors aux affichées par les pouvoirs publics et les
milieux du catholicisme progressiste et comportements de la population
aspirent à améliorer les conditions de (Pereira, 2012b, 100 et sq, 2014).
vie des populations par le biais du déve-
loppement économique et d’une Victor PEREIRA
meilleure répartition des richesses. victor.pereira@univ-pau.fr
Certains d’entre eux travaillent dans les Université de Pau et des Pays de l’Adour
179
VICTOR PEREIRA
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3. Entretien avec João Salgueiro, 15 février 2012,
14. Idem.
à Lisbonne.
15. Id.
4. Archives Nationales, AG/5(2)/249, Note de
l’ambassadeur de France à Lisbonne pour la 16. AMAI/Gabinete do Ministro, cx 147.
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ministère des Affaires étrangères, 31 août 1972. l’Intérieur sur la note du Président de la Junta da
5. Instituto dos Arquivos Nacionais/Torre do Emigração, 9 mai 1956.
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fications mineures par rapport à la version lue par 18. IANTT/PIDE/DGS, SC proc 218 CI(1),
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6. Idem. pasta 2. Note du poste de la Polícia Internacional
7. Id. e de Defesa do Estado (PIDE) de Guarda adres-
8. Archives du Ministère des Affaires étrangères sée au directeur de la PIDE, août 1964.
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au Portugal adressée à direction Europe du ministère du président de la Junta da Emigração adressée au
des Affaires Étrangères Français, 19 mai 1949. Chef de la Mission de l’Office National d’Immigra-
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Notícias. Salazar, Inéditos e dispersos, Estudos
183
VICTOR PEREIRA
económico-financeiros (1916- 1928), português na transição para o século xx,

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SILVA, Isabel Corrêa da (2011), Espelho
fraterno. O Brasil e o republicanismo
184
AnnExE
Émigration portugaise (1950-1974)
Arrivées de
Solde du mouvement des passagers entre la métropole Arrivées de Portugais
Années Portugais au
et les Provinces d’Outre-mer (Angola et Mozambique) en France
Brésil
1950 14 143 9 723 319
1951 28 104 10 286 418
1952 41 518 13 747 650
1953 32 159 11 010 690
1954 29 943 11 332 747
1955 18 486 13 624 1 336
1956 16 814 13 799 1 851
1957 19 931 11 449 4 640
1958 19 829 13 844 6 264
1959 16 400 14 896 4 838
1960 12 451 11 846 6 434
1961 16 073 -2 458 10 492
1962 13 555 13 429 16 798
1963 11 281 8 772 29 843
1964 4 929 7 588 51 668
1965 3 051 14 326 60 267
1966 2 607 11 745 63 611
1967 3 271 5 201 59 597
1968 3 512 9 867 58 741
1969 2 537 8 032 110 614

1970 1 669 5 031 135 667
1971 1 200 3 260 110 820
1972 1 158 5 438 68 692
1973 890 -19 63 943
1974 729 -3 964 37 727
Total 316 240 221 804 906 416
Sources : Baganha (1994, 975) ; Castelo (2007, 177) ; CAC, 19990260, art. 1.
185
VICTOR PEREIRA
RÉSUMÉ
À l’exception de l’Irlande, frappée par la (1933-1974), provoque une importante
grande famine de 1845-1852 et par une controverse au sein de l’appareil d’État car il
émigration massive vers les États-Unis et la révèle l’échec du régime autoritaire qui avait
Grande-Bretagne, le Portugal est, en 1970, prétendu régler le « problème démogra-
le premier pays européen de taille consé- phique » du pays. Cet article décrit les inten-
quente à voir sa population baisser, sans tions démographiques du gouvernement
guerre et/ou famine, entre deux recense- dirigé par António de Oliveira Salazar, entre
ments décennaux de la période contempo- 1932 et 1968, et montre les nombreuses
raine. Le recensement de 1970, le dernier ambivalences qui ont traversé ce champ
réalisé sous la dictature de l’Estado Novo d’action étatique.
SUMMARy
with the exception of Ireland, struck by the caused a major controversy within the State
great famine of 1845-1852 and a massive apparatus because it reveals the failure of the
emigration to the United States and Great authoritarian regime that had claimed to
Britain, Portugal is, in 1970, the first Euro- solve the “demographic problem”. This arti-
pean country of significant size to see its cle describes the demographic intentions of
population decline, without war and/or the government led by António de Oliveira
famine between two decennial censuses of Salazar between 1932 and 1968 and shows
the contemporary period. The census of the many ambivalences that have passed
1970, the last conducted under the dicta- through this public policy.
torship of the Estado Novo (1933-1974),
186

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LA DICTATURE SALAZARISTE ET LE « PROBLÈME DÉMOGRAPHIQUE »

Belin | « Annales de démographie historique »

2014/2 n° 128 | pages 159 à 186

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ANNALES DE DÉMOGRAPHIE HISTORIQUE 2014 n° 2 p. 159 à 186

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recensement ne serve à accroître les critique vis-à-vis de la dictature ; il est

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statistiques de l’INE, « ces quelques chif- dévoiler la baisse de la population. Dans

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gouvernants. Une forte natalité témoi- de subsistance suffisants. Il interpelle

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Démographie et mythe palingénésique frappaient le pays depuis des décennies,

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années 1930, débute son exposé par : surplus de la population septentrionale

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déconstruire ces « problèmes » construits excédents de population du Nord du pays

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si elle peut l’alimenter, ne peut pas absor- de main-d’œuvre »8. La croissance de la

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indépendance totale face à l’étranger, la de l’Atlantique –, toute une rhétorique

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Source : Baganha (1994, 975).

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Pour Salazar, « la Constitution de 2011). Une fois mariées, les femmes

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Même dans le domaine de l’hygiène parentale ne sont amorcées qu’au cours

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Sousa Santos, « l’hégémonie économique concurrence interne par le biais d’un

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(Assumpção, 1956, 168). Quand Sala- afin de permettre l’installation des

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(Rosental, 1990). Du reste, en dépit des une solution au « problème démogra-

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réfugient dans l’émigration, en désordre des émigrants, ces derniers fuient du

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Fig. 3 Arrivées de Portugais en France, 1950-1974

Source : Baganha (1994, 975) ; CAC, 19990260, art. 1.

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manques de main-d’œuvre. Pour structures liées à la planification écono-

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GONCALVES, williams da Silva (2003), O MESPOULET, Martine (2008), Construire le

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económico-financeiros (1916- 1928), português na transição para o século xx,