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DÉFINIR LE POPULISME

Pierre-André Taguieff

CNRS Éditions | « Débats »

2012 | pages 39 à 43
ISBN 9782271072702
Article disponible en ligne à l'adresse :
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Définir le populisme

Le populisme peut être sommairement défini comme


l’acte de prendre publiquement le parti du peuple contre
les élites, ou encore par le «  culte du peuple  », avec
diverses connotations (souveraineté populaire, culture
populaire, etc.). Sa signification oscille entre l’appel
au peuple et le culte du peuple. L’appel au peuple vise
à se passer de médiations et de dimension programma-
tique : il se veut direct, sans être filtré par des instances
représentatives. En quoi le style populiste rejoint l’idéal
de la démocratie directe. Appel personnel au peuple, il
présuppose l’existence d’un leader charismatique, qui
peut prendre la figure d’un simple démagogue ou celle
d’un dictateur populaire. C’est pourquoi populisme
rime souvent avec bonapartisme ou avec autoritarisme,

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comme dans les populismes latino-américains clas-
siques (Getúlio Vargas au Brésil ou Juan Domingo Perón
en Argentine).
Le populisme politique implique la valorisation du
peuple, opposé soit aux élites, soit aux étrangers, ou
encore aux élites et aux étrangers. L’appel au peuple est
un « appel contre » : il incite à réagir contre des catégories
sociales jugées inquiétantes ou menaçantes. Si le peuple
fait l’objet d’un culte, c’est parce qu’il est censé incar-
ner certaines vertus (celles qui sont prêtées aux «  gens
simples »), des vertus d’authenticité ou d’honnêteté qui
le distinguent face aux élites supposées illégitimes et
corrompues. Le peuple auquel le leader lance un appel
direct est assimilable aux classes populaires, au peuple
tout entier ou à la communauté nationale. Le peuple se
confond avec «  ceux d’en bas  », en lutte contre «  ceux
d’en haut », ou bien avec les représentants du « nous »,
opposés à « eux » (« les autres »).
Enfin, l’appel direct au peuple contre ceux d’en haut
ou ceux d’en face est orienté par la double prescription
de rompre avec le système politique existant et de le
changer : « en finir » avec la « bureaucratie », la « parti-
tocratie », la « ploutocratie », etc. Cet appel au change-
ment prend souvent la forme d’un « coup de balai », d’un
grand « nettoyage ». Lorsqu’il fait prévaloir la fonction

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Le nouveau national-populisme
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tribunicienne, exprimant politiquement la protestation
sociale, le populisme peut être dit protestataire (pouja-
disme). Lorsque la dimension nationaliste ou ethnona-
tionaliste est centrale dans une mobilisation populiste,
on y verra à l’œuvre une forme de national-populisme
ou de populisme identitaire (le Front national sous la
conduite de Jean-Marie Le Pen).
Il convient d’analyser plus précisément la dimen-
sion protestataire qu’on peut reconnaître à un vote, à
un parti, à une mobilisation, et qu’on peut identifier en
tant que style ou fonction idéologico-politique. Un com-
portement politique est de type protestataire lorsqu’il
s’incarne dans une mobilisation dont les motivations
sont avant tout l’insatisfaction et le mécontentement,
exprimant l’écart perçu par les acteurs sociaux entre
leur champ d’expérience et leur horizon d’attente. Il
peut se traduire par des manifestations plus ou moins
violentes, par l’engagement dans un mouvement contes-
tataire ou révolutionnaire, par des votes de rejet ou par
l’abstentionnisme. Un vote protestataire est un vote
contre  quelqu’un ou quelque chose. Ce vote peut être
dirigé contre un leader politique, une politique, voire
le système politique tout entier. La dimension protesta-
taire d’un vote tient donc au fait qu’y prédomine le rejet
ou l’opposition. Les choix en faveur de tel programme

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Pierre-André Taguieff
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ou de tel leader, définissant le vote positif, sont suspen-
dus en même temps que le clivage droite/gauche. C’est
pourquoi le vote protestataire, exprimant une crise de
confiance ou une crise de la représentation, se porte sou-
vent vers les extrêmes, ou prend la figure du « ni droite
ni gauche ».
En France, le poujadisme a illustré, au milieu des
années 1950, la dimension protestataire d’un mouve-
ment politique exprimant la colère et la révolte d’un
groupe social qui se sentait menacé (commerçants et
artisans). Cette révolte des « petits » s’est traduite par un
vote anti-système et l’apparition d’un leader caractérisé
par ses aptitudes démagogiques. Le style protestataire
dans l’intervention politique, fondé sur la dénonciation
du «  système  », du «  régime  » ou des «  élites  » par un
démagogue se présentant comme un sauveur, peut être
illustré dans l’histoire politique française par le géné-
ral Boulanger, Pierre Poujade ou Jean-Marie Le Pen.
La catégorie de « partis protestataires » ou « à fonction
protestataire  » s’applique aussi bien au Parti commu-
niste français avant son déclin qu’aux Partis du progrès
scandinaves (danois ou norvégien). Ces partis protesta-
taires rassemblent des mécontents et des révoltés, et ont
longtemps servi de troupes aux courants antiparlemen-
taires, dénonçant la corruption des dirigeants («  tous

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pourris  !  »). Ils prennent souvent la figure de «  partis
anti-partis » en Europe, depuis la fin des années 1980.
La « fonction tribunitienne », définie par Georges Lavau
dans ses travaux sur le Parti communiste français,
permet de mieux caractériser les formes politiques de la
protestation exprimant le malaise social, qu’il s’agisse de
la « révolte des exclus », du fonctionnement d’un parti
«  porte-parole  » ou de la démagogie anti-système. On
suppose que les partis à fonction tribunitienne expri-
ment et organisent la colère de « catégories sociales plé-
béiennes  » qui se sentent exclues du système de parti-
cipation politique et privées des bénéfices du système
économique et du système culturel. Ces partis peuvent
être dits populistes.

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