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les mathém .

1 •

des assu -

Tous concernés,

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Bibliothèque
TA.»9~ ~-e L'aventure "tnathématique

Tangente Hors-série n° 51

les mathématiques
des assurances
Tous concernés, assurément !

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EDiTiONS
POLE

© Éditions POLE - Paris - Mars 2016


Toute représentation, traduction, adaptation ou reproduction, même partielle , par tout procédé , sur
quelque support que ce soit, en tout pays, faites sans autorisation préalable , est illicite et exposerait le
contrevenant à des poursuites judiciaires (loi du 11 mars 1957).
ISBN: 9782848842004 ISSN: 2263-4908 Commission paritaire: 1016K80883
Prochain entent
dans la Bibliothèque Tangente

EDiTiONS
POLE
les mathématiques
de l'assurance
Mathématiques des assurances : les mal aimées ?
Analyse, probabilités, statistiques :
pour comprendre l'assurance
Des actuaires et des journaux

Les secrets de l'assurnnce uie


Les premières rentes viagères datent de l'Antiquité.
Que de chemin parcouru pour aboutir au panel de
contrats d'assurance vie dont on dispose aujourd'hui !
Pour arriver à proposer des produits adaptés à chaque
profil, il n'y a pas de secret : il faut disposer de données
fiables.

Naissance et évolution des tables de mortalité


Comprendre les tables de mortalité
Ajuster les tables de mortalité aux observations
La tarification des assurances vie classiques
Mortalités prospectives

Couuerture accident
Les particuliers essaient de mettre leurs proches à
l'abri, les entreprises tentent de se prémunir contre
les risques financiers ou ... climatiques ! Comment les
assureurs évaluent-ils les primes associées à chaque
type de couverture ?

Les risques maritimes à l'origine des assurances


Prendre en compte les évènements rares,
des modèles en cascade
Comment tarifer a priori ... sans a priori
La tarification a poste1·iori,
une belle application des chaînes de Markov
La prime technique : pour une tarification efficace

Nouvelle : À l'Institut
intergalactique, on assure !
En bref
5,11,22,34,39,52,57,67,107,113,117, 137,141
Notes de lecture
Problèmes
Solutions
(suite du sommaire au verso)
Hors-série n°57. Les maths de l'as-
les horizons nouueaux
Notre société est de plus en plus exigeante en matière
de couverture de risques, et de nouveaux champs
d'application des assurances apparaissent
régulièrement. Les produits classiques doivent
évoluer vers plus de flexibilité.

Se protéger contre les risques météorologiques


Le Big Data en assurance, des perspectives étonnantes
Produits d'assurance vie de nouvelle génération
Assurance vie ou épargne ? Les produits Universal Life
Les contrats en unités de compte
L'assurance dépendance

Gérer ses réserues, éuiter la ruine


Les premiers calculs mathématiques d'une prime
d'assurance équitable ont abouti... à des faillites !
C'est le problème du provisionnement qui n'avait pas
été bien évalué.

Provisionner et gérer ses réserves


Couvrir le règlement des sinistres, un défi pour l'assureur
Les compagnies d'assurance risquent-elles la faillite ?
Srinivasa Varadhan et les évènements rares
Fortis, Dexia : les conséquences d'une mauvaise gestion
Il y a garantie et garantie
La gestion actif- passif

les retraites
Le vieillissement des populations est un fait. Les
systèmes de retraite doivent évoluer pour équilibrer
cotisations des actifs et paiements des retraités, à qui
il faut garantir une fin de vie digne.

Un vieillissement irréversible de la population


Répartition ou capitalisation ? Les clés pour comprendre
Entre capitalisme et solidarité, un choix de société
Les fonds de pension : késako ?
Les fonds de pension américains
Retraites en Belgique : à la découverte des trois piliers
Retraites : quel modèle pour l'évolution des mortalités ?

Tangente Hors-série n°57. Les maths de l'as


par Daniel Justens EN BREF

Sécurité sociale et assurances « soins de santé »


La France impose une couvenure sociale étendue dès 2016
Le concept général de « sécurité sociale » reprend un ensemble de dispositifs et d'institutions
ayant pour fonction de protéger les individus des conséquences d'évènements qualifiés de
« risques sociaux ». En France, elle comprend quatre branches, chacune couvrant un certain
type de risques spécifiques : la branche maladie, la branche accidents du travail et mala-
dies professionnelles, la branche vieillesse et veuvage (retraite), et la branche famille. On
dénombre trois grands groupes de caisses d'assurance maladie : le régime général pour les
salariés, assurés auprès de la CPAM (Caisse primaire d'assurance maladie), la caisse agricole
(Mutualité sociale agricole) pour les ouvriers agricoles, et la caisse d'assurance maladie pour
les indépendants (Mutuelle des artisans). Une série d'autres groupes spécifiques coexistent
également. Une loi du 14 juin 2013 prévoyait déjà la généralisation de la couverture santé à
l'ensemble des salariés du secteur privé. À partir du
1er janvier 2016, une couverture complémentaire
santé collective (mutuelle d'entreprise) doit être
proposée par chaque employeur à tous ses sala-
E'f
(>oUR. C,E.U~ q\)i
t-l'o~T
riés n'en disposant pas déjà, en complément PA~
OE Bo\)LoT ?
des garanties de base d'assurance maladie
de la Sécurité sociale. La participation finan-
AU(loN
cière de l'employeur doit être au moins égale Vl2.5 A
à 50 % de la cotisation, le salarié en payant le A MALA
solde. De plus, le contrat proposé doit respec-
ter un socle de garanties minimales, incluant
entre autres la couverture de la totalité du
forfait journalier hospitalier en cas d'hospita-
lisation et celle des frais dentaires (prothèses
et orthodontie).

Le cas belge
En Belgique comme en France, la couve11ure « sécurité sociale » diffère selon le statut de chacun.
Les travailleurs salariés sont assurés en matière de maladie et d'invalidité, d'allocations familiales,
cle chômage, de pension de retraite, de vacances annuelles, d'accidents du travail et de maladies
professionnelles. Chaque mois, employeurs et travailleurs versent des cotisations clans les caisses de
la Sécurité sociale. L'État intervient par le biais d'un subside. L'Office national de sécurité sociale
(ONSS) répartit ces montants entre les établissements publics chargés de redistribuer l'argent entre les
différentes caisses de paiement que sont les mutualités, les syndicats, et les fonds cl ' allocations fami-
liales. L'assurance soins de santé et indemnités (ASSI), aussi appelée « assurance obligatoire», est la
branche de la Sécurité sociale qui regroupe le remboursement des soins de santé et l'indemnisation de
l'incapacité de travail ou de l'invalidité. Les indépendants ont un régime propre pour lequel ils paient
des cotisations calculées en fonction de leur revenu . L'Institut national d'assurance sociale pour travail-
leurs indépendants (INASTI) chapeaute l'ensemble, perçoit l'argent et le répartit. Les travailleurs des
services publics ont leur propre régime de sécurité sociale, mais mêmes droits que les salariés du privé.

Hors-série n°57. Les maths des assurances Tangente


ACTIONS par Daniel Justens

mathématiques des assurances :


les mal aimées ?
Les mathématiques des assurances, pudiquement dissimu-
lées sous l'appellation d'actuariat, sont peu connues et par-
fois même méprisées. Mais un regard plus attentif les révèle
passionnantes, riches de développements nouveaux et d'ap-
plications citoyennes.

n ne sait pas toujours ce que ciens « purs », elles sont élémentaires,

0 recouvrent les mathématiques


des assurances, souvent mé-
connues, même des mathématiciens.
n'offrent aucu ne avancée majeure et
seraient l'apanage de quelques tech-
niciens spécialistes : les actu aires. Et,
Vues de loin , elles pas sent pour très bien sûr, elles ne font pas partie des
formelles , laborieuses , vo ire même programmes de cours et ne sont pas en-
ennuyeuses. Pour certains mathémati- seignées au lycée.

Tangente Hors-série n°57. Les maths des assurances


Un outil pour tous ...
qui peut séduire les scientifiques
un usaue possible en lvcées
L'assurance vie offre de belles applications des fonc-
Que de préjugés et d'erreurs ! Ces tions exponentielles, ces dernières éventuellement à
mathématiques devraient concer- taux variable, ce qui est une belle généralisation du
ner chacun de nous. Tous, nous nous concept et qui introduit des intégrales de fonctions
voyons contraints, par la loi ou le en escaliers en contexte réel. Qui dit mieux? Le tra-
simple bon sens, à un moment ou un cé de ces exponentielles généralisées est surprenant
autre, de recourir à des contrats d ' as- (voir Tangente 166 de septembre 2015).
surances. Les assurances sont deve- La notion d'actualisation illustre aussi celle de fonc-
nues indispensables dans notre monde tion d'utilité. Pensons enfin aux suites géométriques
hostile au risque, où chacun tente de (calcul des annuités, remboursements d'emprunts,
se protéger et de protéger son entou- calcul de primes échelonnées) pour lesquelles les
rage. Il est donc intéressant de bien théories financières offrent des applications réelles,
comprendre cet outil qui, notamment donnant du sens à la notion.
dans le cas de la responsabilité civile Tous les lycéens - ou presque - devront recourir
ou de la protection des siens, s' avère à un emprunt. Pourquoi ne pas leur montrer com-
également éthique. ment on en calcule les modalités ?
Prenons le cas de notre responsabilité
civile : une seconde de distraction au Le domaine viager est, lui aussi, très interpellant.
volant peut générer les pires catas- L'observation des taux de mortalité d'une popula-
trophes. On ne peut en assumer les tion donnée peut se représenter aisément à l'aide
conséquences morales et financières d'un tableur et justifie la nécessité du recours aux
sans couverture adéquate. coordonnées logarithmiques : les valeurs mesurées
Un emprunt de montant élevé, sous- variant de quelques pour 10.000 à plusieurs di-
crit pour un achat immobilier, ne peut zaines de pour-cents présentent des ordres de gran-
être contracté que dans la durée. Il est deur incompatibles graphiquement.
indispensable de garantir à ses proches La linéarité des logarithmes de ces taux de décès
la sécurité financière qui permet d ' as- pour les 30/90 ans fournit une nouvelle illustration
sumer tous les remboursements si on de fonction exponentielle dans un domaine limité.
vient à décéder ou si on est frappé Mais ces considérations, qui peuvent illustrer des
d ' une grave invalidité. cours de statistique, font également apparaître des
phénomènes sociaux (suicide et accidents des 15-
Quant aux spécialistes, ils peuvent éga- 25 ans mâles), et des inégalités intrinsèquement
lement trouver leur compte dans ces liées au sexe : contrairement aux idées reçues, les
mathématiques qui offrent un champ femmes sont plus résistantes que les hommes.
de recherche toujours renouvelé. Entre
les équations financières élémentaires rendre compte de l' évolution galo-
pratiquées dans le courant du xxe siècle pante du panorama de la mortalité dans
et les modèles de tarification stochas- nos pays occidentaux comme dans les
tique proposés aujourd ' hui, il y a un pays du tiers monde.
monde d'écart. La théorie des équa- Plus encore : les mathématiques des
tions différentielles stochastiques doit assurances offrent toute une série d'ap-
d'ailleurs beaucoup à l'actuariat finan- plications parfaitement intégrables
cier. Des modèles viagers prospec- dans les cours de maths des lycées,
tifs se développent actuellement pour des applications vraies, concrètes, qui

Hors-série n°57. Les maths des assurances Tangente


ACTIONS Mathématiques des assurances

peuvent aider à donner du sens au x dans le temps. Ces contrats sont géné-
mathématiques . Alors ? Pourquoi ne ralement conclus pour 20 ou 30 ans,
pas les diffuser plus largement ? parfois plus.

En gros, deux principaux champs d ' ap- Les mathématiques de l' assurance vie
plication sont couverts par les assureurs : doivent do nc intégre r simultané ment :
- des contrats d 'assurances vie, - des aspects financiers à long terme,
- des contrats couvrant des événe- - des aspects viagers.
ments ponctuels, regroupés sous I' ap- Ces deux éléments , soumis à des
pellation I.A.R.D. pour « Incendies , vari ati ons diffi c ile me nt prév isibles ,
Accidents et Risques Divers ». nécess ite nt le reco urs au calcul des
probabilités . Des pans entiers de ce
Ces de ux branches sont structurel- domaine des mathématiques se sont
lement différe ntes et demandent des développés et se développent encore
outils mathé matiques distincts. M ais grâce aux nécessités actuarielles. Il a
là ne se limite pas la manne des appli- fallu construire de nouveaux modèles
cati ons et des champs de recherche. financiers dont la variété et la com-
Les organismes assureurs ont des obli- plexité ont atteint des sommets depuis
gations strictes et une utilité sociale quatre décennies. Les théories de la
indéniabl e qui leur interdit la faillite capitali sation et de l'actualisation sto-
qui serait une catastrophe pour des chastiques sont nées de cette nécessité
millions de citoyens. Il faut donc déve- dans les années 1980 , en utili sant et en
lopper et mettre en application des développant la notio n d ' intégrale sto-
méthodes efficaces et innovantes de chastique prévisible, tout en affinant le
gestion dans un environnement écono- concept de semi-martingale qui com-
mique mou vant et instabl e. bine et unifie mathématiques discrètes
et continues.
les multiples facettes Mai s certains modèles plus simples
de l'assurance uie pourraient intégrer les programmes de
cours du lycée (vo ir encadré et article
Les contrats d'assurance vie couvrent page 12) .
de ux types de risque ; celui de survie
et celui de décès. Contrats IHRD :
On constate que l ' appellation cou- les mauuais conducteurs existent !
rante fait état de la plu s agréable de
ces éventualités . Ces contrats garan- À l'encontre des contrats vi agers qui
ti ssent le paiement de capitaux ou de s'étalent sur des décennies, les contrats
rentes soit à l' assuré lui-même, comme cou vrant des faits de nature acciden-
c'est souvent le cas pour la couverture telle se situent dan s le court terme. La
« vie », soit à ses ayant droits , ce qui plupart sont renouvelables annuelle-
est touj ours le cas pour la couverture ment. Les aspects fin anciers en sont
« décès». donc absents. Mais ici aussi les cher-
Po ur obtenir la garantie du verseme nt cheurs et les didacticiens sont gâtés et
de ces capitaux, les assurés s' engagent les citoyens concernés. Les accidents,
à payer soit une prime unique, soit incendies et catastrophes sont heure u-
une succession de primes échelonnées sement des événe ments rares. Ce type

Tangente Hors-série n°57. Les maths des assurances


de phénomène à probabilité proche de
zéro exige des modélisations bien par- FAÎA.E C.({oÎ~€ À ~s PEiiTS-E:t.J~S .
Qv•oN ~~ A Mi~ Su?. SON A9;VI\Jl\r,I~ Vif ...
ticulières. Les modèles de survenance
d' accidents ont ainsi donné naissance à •• -tv 1/(IN. TE
la collection de distributions mélanges
qui trouvent ici une iilustration et une
• t~ol"IENfR.?
1 •

application adaptées.
Loin de ces distributions élaborées, la
simple observation de statistiques d 'ac-
cidents d ' auto fournit une utilisation
des distributions binomiales en univers
réel. Dans la majorité des manuels sco-
laires, les applications proposées pour
la binomiale sont aitificielles , ou alors
elles usent et abusent du théorème
de Moivre-Laplace*. Car lors de la
réalisation d ' un grand nombre d'ex-
périences identiques et indépendantes, sinistres survenus dans le passé et dont
les calculs relatifs aux probabilités de l' issue est le plus souvent différée pour
cette distribution tendent rapidement des raisons diverses. Là encore, des
vers une indétermination. méthodes originales doivent être mises
Mais en observant des assurés tous les en place pour garantir le paiement des
jours et en comptabilisant par exemple sommes dues aux assurés comme aux
les jours avec et sans accident d'auto, tiers.
on vérifie que seules quelques proba-
bilités doivent être explicitement cal- Des méthodes de gestion
culées et qu'elles peuvent l'être sans pour [r)assurer les assureurs
recours aux théorèmes limites. Les
conclusions qui découlent de ce travail Au -delà de la sophistication des
sont parlantes du point de vue socio- contrats, 1' un des principaux pro-
logique : il y a de bons et de moins blèmes académiques en actuariat est la
bons conducteurs. Cette constatation mise en place de modèles d' estimation
justifie la mise en place de systèmes de de la probabilité de ruine d'une com-
tarification tenant compte du passé de pagnie, conditionnellement à sa poli-
chaque conducteur. On peut aussi tes- tique de tarification. Cette probabilité
ter l'efficacité de ces systèmes de tari- n'est évidemment jamais strictement
fications a posteriori et vérifier qu'elle nulle : il n'est pas totalement impos-
coïncide avec la notion mathématique sible, par exemple, que presque tous
cl ' élasticité. les assurés d'une même compagnie
décèdent en un laps de temps fort
Si les contrats « accidents » sont de court; il n'est pas non plus impossible
courte durée, il n' en est pas de même qu ' un grand nombre d'automobilistes
des conséquences des sinistres qu ' ils de la même compagnie soient tous
sont censés couvrir. Il convient donc responsables d'accidents fort coûteux
de gérer les provisions visant à couvrir la même année. Mais ces événements
les règlements à venir des différents sont fort peu probables.

Hors-série n°57. Les maths des assurances Tangente


ACTIONS Mathématiques des assurances

Les méthodes de tarification utilisées s'étalent souvent sur de très longues


sont variées mais toutes sont rete- durées. Les compagnies doivent placer
nues, validées et calibrées sur base de manière optimale la totalité des
des observations passées. L'hypothèse primes versées correspondant à des
sous-jacente à ce principe est que les événements qui se réaliseront éven-
sinistres futurs seront du même ordre tuellement dans trente ou quarante ans.
de grandeur en nombre et en ampleur Elles offrent à leurs clients des garan-
que les sinistres passés. Cette hypo- ties de taux à très long terme, alors que
thèse de régularité n'interdit pas l' in- les placements effectifs de ces mêmes
troduction de modèles évolutifs ou compagnies ont des durées beaucoup
prospectifs comme cela commence plus courtes. L' impact de l' évolu-
à être le cas en assurance « vie » . tion des taux d'intérêt sur la gestion
Des modèles non markoviens tiennent financière des réserves est énorme. Ce
compte de 1'évolution des observa- problème crucial est particulièrement
tions au fil du temps et la prennent d 'actualité ces dernières années, les
en compte pour adapter les calculs de taux d'intérêt étant maintenus à un
prime. Mais ces méthodes fines, s'ap- niveau anormalement bas.
puyant sur un grand nombre de cas et
utilisant les lois des grands nombres, Comme on le voit, les mathématiques
ont leurs limites, ce qui explique la des assurances constituent un domaine
multiplicité des travaux de recherche riche en nouveaux concepts, offrant
publiés dans le domaine de la théorie des champs de recherche toujours
de la ruine. renouvelés, indispensables au citoyen
responsable et présentant des pans
Nous avons signalé que même pour entiers utilisables concrètement dans
des contrats ponctuels, à durée limi- les cours de mathématiques du lycée. Il
tée , le règlement des sinistres pouvait serait dommage de ne pas leur donner
prendre de nombreuses années pour la place qu 'elles méritent.
des raisons liées notamment à la déter-
mination des différentes responsabi-
lités. Des réserves doivent donc être D-D.J.
constituées sur base rationnelle.
Mais cette partie n'est que la partie
visible de 1' iceberg « gestion finan-
cière ». Les contrats de type vie
* Le théorème de Moivre-Laplace,
© Jag_cz - Fotol i.i
cas particulier du théorème central
limite, justifie les approximations
des lois binomiales par la loi normale,
qui est plus commode à manipuler
numériquement.

Tangente Hors-série n°57. Les maths des assurances


par Daniel Justens EN BREF

mortalité « routière » en hausse...


Et si la politique de certaines uilles s'auérait criminelle ?
Une statistique inquiétante sur la mortalité « routière » en
France vient d'être publiée. Mais en y regardant de plus près, ce
n'est pas la route qui devient plus dangereuse, mais la ville. Et
la politique de certaines d'entre elles mérite d'être stigmatisée.
Une actualité qui fait réfléchir
Le taux de mortalité sur les routes de France est en baisse sensible depuis vingt-cinq ans. Pourtant, ces
derniers mois, la presse s'est fait l'écho de résultats nettement moins satisfaisants. Selon le bilan définitif
de l'Observatoire national interministériel de sécurité routière, 3 384 personnes ont perdu la vie cc sur les
routes de France» en 2014 (116 de plus qu'en 2013) ce qui constitue une hausse de 3,5 °10. Toujours selon
la même source, sur le premier semestre 2015, la mortalité demeure en hausse(+ 0,8 °10) même si on
enregistre une baisse du nombre des accidents corporels (- 5,9 °10) . Après les résultats particulièrement
encourageants de 2013 (baisse de 11 D/o). ces statistiques interpellent, d'autant plus que depuis 2014,
tous les indicateurs sont en hausse : nombre de blessés (+ 3,5 D/o). de blessés hospitalisés (+ 2,6 °/o, soit
669 personnes) et nombre d'accidents corporels (+ 2,4 °10).
Mais s'agit-il vraiment de statistiques routières ? L'amalgame qui inclut les accidents en ville et sur
route n'est-il pas trompeur ? Jugez-en vous-mêmes. La mortalité est surtout en hausse chez les piétons
(+ 7,3 010). chez les cyclistes(+ 8,2 D/o), et dans une moindre mesure chez les cyclomotoristes(+ 3,8 °10) et
chez les automobilistes (+ 3,2 D/o). Piétons et cyclistes payent donc un tribut particulièrement lourd : ils
sont les seuls usagers dont la mortalité a augmenté non seulement depuis 2013 mais aussi depuis 2010
(respectivement+ 4 D/o et+ 7 °10). Cette situation a de quoi faire réfléchir.

Les nouveaux aménagements urbains:


cause possible de l'augmentation de monalité il
Le rapport de l'Observatoire national de sécurité on mettre en cause certains aménagements
routière .. fournit quelques indications précieuses. urbains . supposés faciliter les transports, qui
Ainsi, 60 % des piétons tués ont subi une collision contraignent les usagers faibles que sont les
mortelle avec une voiture. 42 % d'entre eux circu- piétons ·à un slalom. systématique entre voies
laient de nuit et 38 % avaient plus de 75 ans. Les réservées aux bus, aux voitures, aux cyclistes,
plus de 75 ans représentent13,3 % des personnes disposées . en alternance et sans ordre logique
tuées alors qu'ils ne constituent que 9,1 % de la au milieu de la chaussée et qui, fluidifiant la
population ! La majorité des accidents mortels sont circulation des taxis et des bus, les autorisent
observés entre octobre et janvier et les accidents à des vitesses trop élevées en milieu urbain ?
corporels concernent une part importante de la Ajoutons à cela certaines décisions politiques
population des moins de 14 ans. irresponsables qui permettent aux deux-roues
Enfin, l'Observatoire nous apprend que près de de brûler des feux rouges, de prendre des sens
2 piétons tués sur 3 circulaient eri milieu urbain. interdits, tout en les forçant à circuler dans les
Il faut donc se poser la question .: qu'est-ce qui mêmes voies que les bus et les taxis. La vitesse
fait qu'en ville, les citoyens les plus fragiles excessive, vilipendée à juste titre sur les routes,
(enfants et personnes âgées) sont plus que les ne devrait pas, et de loin, constituer la seule
autres, victimes d'accidents graves ? Ne peut-- cible de la prévention routière.

Hors-série n°57. Les maths des assurances Tangente


SAVOIRS par Daniel Justens

Hnalyse, probabilités,
statistiques
pour comprendre l'assurance
Les programmes du secondaire n'incluent que rarement des
applications dans le domaine de l'assurance. C'est regrettable,
car de telles applications donnent du sens aux mathématiques,
tout en participant à l'éducation citoyenne de chacun !

fonctions linéaires, exponentielles

L
es mathématiques de la finance et
des assurances offrent tout un et logarithmes
panel d'applications concrètes de
nombreux points des programmes. On peut Comment intéresser les jeunes aux mathé-
y trou ver des études de fonctions , des matiques ? En leur parlant d ' argent! Et
illustrations interprétables de l'algèbre d ' argent dans la durée. Est-il préférable
comme de l'analyse, et bien évidemment de posséder l 000 € aujourd'hui ou de
de belles applications en calcu l des pro- posséder une promesse de paiement de
babilités et en statistiques. Pourquoi ces 1 000 € dans un an ? La réponse à cette
matières sont-elles presque toujours question est-elle évidente? La situation
absentes de nos cours ? La connaissance financière actuelle est bien particulière :
des méthodes actuarielles devrait parti- elle se caractérise par des taux très bas,
ciper à l'éducation citoyenne en formant voire parfois même négatifs.
les élèves aux principes de calcul de Voyons comment tout cela peut se « mathé-
toute une gamme de contrats auxquels nous matiser ». Un placement bancaire clas-
sommes confrontés au cours de notre sique se concrétise par le calcul progressif
existence. Certains contrats d'assurances d ' un intérêt , qui rémunère le service
couvrent plusieurs décennies, ce sont les rendu, qui est proportionnel au montant
contrats de couverture« vie». Ils doivent placé C et à la durée t du placement et
inclure une dimension temporelle. D'autres dont le coeffic ient de proportionnalité
sont à durée très limitée , c'est le cas des est un certain taux d ' intérêt i. La valeur
contrats de couverture « accident », renou- en tout instant t du capital C est donnée
velables annuellement. Mais tous nous par la relation
offrent de belles illustrations mathéma- C(t) = C + Cit = C(l + it), qui traduit
tiques en univers réel. l 'ajout de l' intérêt au principal.

Tangente Hors-série n°57. Les maths des assurances


Représentons la fonction graphiquement :
à taux d' intérêt positif (attention, ce n'est
Généraliser l'exponentielle
pas nécessairement le cas au moment où Il est possible de construire une équation d'évolution d'un
vous lisez ces lignes !), elle se présente capital en lui imposant des conditions économiques et
sous la forme d ' une droite à pente posi- mathématiques raisonnables. Économiquement, il semble
tive . Mais cette pratique, dite à intérêt loisible de supposer tout accroissement de capital pro-
simple, n' est pas rationnelle: son inter- portionnel au capital investi. Mathématiquement, il
prétation dans le passé et à long terme serait agréable que cette fonction soit dérivable, ce qui
pose problème. Pour des valeurs néga- revient à postuler ses accroissements localement pro-
tive du temps, on observe une dette deve- portionnels au temps. Pour un horizon &, très court, ces
nant un capital positif(!). Pour un futur deux conditions déterminent la relation
très éloigné, on obtient un rendement C(t + &) - C(t) = r(t)C(t)&,
relatif tendant vers zéro. Autant d'op- dans laquelle le coefficient de proportionnalité r(t) est
portunités d 'ouvrir des discussions avec éventuellement variable et traduit ainsi les fluctuations
les élèves. du marché de la finance.
Pour év iter les côtés absurdes de l'inté-
rêt simple , les organismes financiers ont La considération d'intervalles courts (et donc la néces-
coutume de recapitaliser tous les ans, de sité d'un passage à la limite) concrétise cette notion de
façon à traduire , en termes d ' intérêts limite, qui devient dans ce cas de figure un accroissement
additionnels, l' accroissement progres- de validité du modèle. En effet, pour des intervalles
sif de capital dû aux intérêts déjà per- longs, le capital se trouverait accru d'intérêts non négli-
çus. C'est la pratique de l' intérêt composé, geables et les intérêts ultérieurs en seraient augmentés.
pour laquelle l'équation d'évolution (sim- La notion de dérivée apparaît naturellement. Elle devient
plifiée car il fa ut tenir compte des dates une nécessité. Lorsque l'horizon tend vers zéro, cette équa-
de dépôt et retrait et de 1' existence de tion aux différences finies devient une équation différentielle
primes) dev ient une exponentielle : à variables séparées C'(t) = r(t)C(t), dont la solution est
C(t) = C(l + if Cette représentation de bien connue :
l' équation d ' évolution d ' un capital a
l' avantage d ' être cohérente dans la plu-
C(t) = Cexp J: r(s)ds.
part des cas de figure : elle est valable
dans l'ensemble des réels positifs et néga- L'intégrale qui apparaît dans l'exponentielle est celle d'une
tifs, elle permet la détermination d'un fonction en escaliers, dont voici une interprétation
taux d ' intérêt associé à toute transaction concrète : les taux instantanés sont, par commodité,
financière se traduisant par un ou plusieurs choisis constants par périodes. Les calculs sont donc
flux positifs (perception d'un ou plu- parfaitement réalisables« en vrai». De plus, lorsque le
sieurs prêts) et négatifs (remboursements taux instantané r est constant, on retombe sur l'expo-
des montants empruntés) . Tiens : voilà nentielle usuelle. Ce cas particulier peut être résolu
des équ ations algébriques non triviales explicitement avec les élèves.
qu'il faut résoudre alors qu ' aucune for-
mule toute fa ite n' est disponible! L'équation différentielle y'= ry permet d'aller recher-
Pour les chercheurs , notons que quelques cher, dans la panoplie des formules étudiées, celle qui
problèmes simples introdui sant des suc- possède précisément cette propriété. Au passage, on
cessions de flu x financiers opposés et prouve que le modèle exponentiel en tant que fonction
alternés (pertes et gains successifs) ne d'utilité d'un capital est à la fois économiquement cohé-
possèdent pas de so lution interprétable rent, et que c'est le seul : il y a unicité de la solution à
unique et nous mènent aux limites de la l'équation différentielle obtenue.
théorie fi nancière . Pour tou s, voil à en

Hors-série n° 57. Les maths des assurances Tangente


SAVOIRS Analyse, probabilités ...

tout cas une application concrète d'une une durée donnée. Un montant V rem-
fonction exponentielle pour laquelle tout boursé en n mensualités a au taux men-
calcul de durée se traduit par une intro- suel i se traduit par la relation élémentaire
duction explicite de la notion de logarithme, suivante:
qui prend ici le sens concret de « durée V = ~ (1- (1 + i)" ) .
de placement » . Ajoutons à cela l'usage l

nécessaire de la formule de changement Toute une panoplie d'exercices concrets


de base, allant de 1 + i à 10 ou à e. visant à calculer l'un des paramètres à par-
tir de tous les autres devient immédiatement
le règne des suites géométriques disponible. Le calcul dei est particulier
et pose problème ; des méthodes d'ap-
Il y a mieux encore. Dans le cas d'un proximations successives sont néces-
emprunt à remboursements constants, saires. Voilà une bonne raison de les
le principe d'égalité entre flux opposés introduire !
actualisés conduit au calcul d'une somme
de termes en suite géométrique dont voilà Dans le domaine délicat de la statistique,
une application concrète. En effet, pre- les applications réelles sont souvent com-
nons le cas d'un empmnt de 10000€ rem- plexes. Des notions viagères apparaissent
boursable en cent mensualités de 102 € régulièrement dans la presse. Les conclu-
(les taux sont très bas actuellement). En sions qui sont publiées nécessitent sou-
équilibrant montant emprunté et valeurs vent une interprétation non triviale ! La
actuelles des remboursements (fonction prise en compte des taux de décès des
d ' utilité exponentiel le négative) au hommes et des femmes en France (ou
moment de la signature du contrat, on ailleurs dans le monde occidental) fait appa-
arrive à l' égalité suivante (en euros): raître une illustration , dans le monde
réel, des droites vectorielles et affines. Un
10000 = 102(] + i)- 1 + 102(1 + i)- 2 arrêt de la Cour de justice de l' Union
+ ... + 1020 + o-100_ européenne du 1er mars 2011 a consi-
déré que distinguer le montant des primes
Le membre de droite est bien une somme et des prestations des contrats d'assu-
de termes en suite géométrique ' rance, en fonction du sexe de l'assuré ,
À taux donné, on peut aussi demander constituait une pratique discriminatoire.
aux élèves de calculer le montant de Les assureurs ont eu jusqu'au 21 décembre
leurs remboursements échelonnés sur 2012 pour se mettre en conformité et éli-

QQQ] -r - - --


0. 006 '

0.005 :

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Mortalité Homm1os

Tangente Hors-série n•s7. Les maths des assurances


Âges
0 ,--
2p 30 35 40 45 50 55 60 65
i
-0, 5 -:- ➔-

-1

-2 -:-----·-----~---

-2.5

-3

3.sL-

Logarithme des taux de mortalité des hommes (en bleu) et des femmes (en rouge).

miner les facteurs actuariels liés au sexe tère donc pas l'ordre de grandeur des
comme critère de calcul des tarifs. Il en « prévisions ». En première approxi-
découle que les tarifs de couverture via- mation (au pour mille près) , on peut
gère des hommes et des femmes sont à écrire : « Le taux de décès des femmes
présent identiques. en âge de travailler est égal à 43 % du
taux de décès correspondant des
Inégaux face à la mort hommes.» On peut noter Y= 0,4327 X.
En matière de viager, le sexe fort est le
Mais hommes et femmes sont-ils égaux sexe féminin ! Le best jït de Pearson
devant la mort ? Représentons graphi- tend à représenter deux variables X et
quement les taux de décès observés en Y sur un pied d'égalité. C'est bien le
France courant 2012 en prenant en compte cas des taux de mortalité des hommes et
les personnes en âge d'exercer une acti- des femmes. Dans un autre ordre d'idée
vité professionnelle (les 20-65 ans) en est la droite de régression qui distingue
mettant en abscisse les taux de mortalité une variable explicative X et une variable
des hommes et en ordonnée ceux des dépendante Y.
femmes d'âge identique. Ce graphique Le même exemple numérique propose
est visible en bas de page précédente. une illustration de l'usage des loga-
Une relation de proportionnalité semble rithmes et des droites de régression dans
apparaître. le plan. Les taux de mortalité présen-
Pour la mettre en évidence , étudions le tent des variations d ' ordre de grandeur
modèle linéaire que Pearson qualifiait (de 1 à 1 000) qui rendent leur repré-
de bestfit, à savoir l'égalité des variables sentation graphique non efficiente. En
réduites, plus simple à obtenir mais très passant aux logarithmes (ici en base 10),
différente de la droite de régression on voit apparaître une représentation
X-x Y- y quasi linéaire, qui constitue une illus-
S, Sv tration d'autant plus intéressante des
Son équation est régressions linéaires qu'elle va de pair
Y= 0,4327 X+ 0,000046. avec la mise en place d'un modèle_ Les
Les taux de décès observés varient de taux de mortalité évoluent donc expo-
quelques pour 10000 à 1 ou 2 %. Le nentiellement. On le lit sur le graphique
te1me indépendant de notre relation n' ai- ci-dessus , qui représente les logarithmes

Hors-série n° 57. Les maths des assurances Tangente


SAVOIRS Analyse, probabilités ...

des taux de mortalités des 30-65 ans. se sont vu remplacées , dans la plupart
Pourquoi a-t-on exclu les moins de 30 des applications , par des distributions
ans de la modélisation? La réponse est normales ou Poisson , grâce aux effets
comportementale : les jeunes adultes de salutaires de s théorèmes de Moivre-
20 à 30 ans sont généralement respon- Laplace et de Poisson.
sables de plu s d ' accidents de voiture Mais que reste-t-il alors de la distribu-
avec dégâts corporels. Les jeunes hommes tion initiale, si ce n'est quelques appli-
de 20- 25 ans ont également des ten- cations artificielles dans les cours du
dances suicidaires. La « bosse des acci- secondaire ? L'actuariat accident nous
dents et des suicides» est incompatible livre là un cadeau inattendu .
avec la modélisation exponentielle. Voilà Notons À le nombre moyen d' accidents
de quoi faire apparaître des aspects socio- observés par unité de temps dans un por-
logiques particulièrement intéressants tefeu iIle (voir le second dossier de ce
et qui ne sont visibles qu'au travers des hors-série). Pour chaque intervalle de
mathématiques ! temps t,,/ suffisamment petit , on quanti-
À paitir de toute base de données et après fie la probabilité d'observer un accident
passage aux logarithmes , on peut modé- sur un intervalle de durée t,,/ par À6t,
liser l' évolution des taux de mortalité celle de n'observer aucun accident par
d 'une population par application de la 1 - Àt,,/ ( en nég)jgeant la probabilité d 'ob-
régression linéaire simple. server plus d'un accident) . La quantifi-
cation de la probabilité d ' observer k
la loi binomiale en situation accidents coïncide bien avec une distri-
-- -- ---------
bution binomiale B(n, À6t) pour laquelle
La distribution binomiale pose problème les probabilités A prennent la forme
dès que l' on passe à ses applications et explicite suivante :
que le nombre d'expériences considé- 1
rées augmente. Les calculs explicites Pk = k!(:~k)!(Utt(i-Ut)"-k .
des probabilités font intervenir des pro-
duits d'exponentielles de base stricte- Le paramètre k est forcément petit (il
ment inférieure à l et des factorielles. varie de O à 4 ou 5 grand maximum) et
Les premières tendent rapidement vers seules les premières probabilités doivent
zéro, les secondes explosent tout aussi vite. être explicitement calculées. Voilà un
Leurs produits ont donc une fâcheuse excellent exercice !
tendance à se transformer, concrètement, Il faut calculer explicitement p 0 , p 1, p 2 ,
en quantités indéterminées. Il y a belle p 3 et p 4 et calibrer le tout. En travaillant
lurette que les distributions binomiales par jours, on pose 6t = 1 / n = l /365. Le
pai·ai11ètreÀ s'ajuste simplement en comp-
tabilisant le nombre d ' accidents décla-
Nombre Fréquences observées rés dm1s un po1tefeuille déterminé. Traitons
d'accidents en Belgique une statistique belge qui comprend peu
0 0,906557 de valeurs (voir le tableau ci-contre).
1 0,086376
2 0,006581 On postule que par jour le nombre moyen
3 0,000402 d' accidents est 365 fois plus petit et que
4 0,000084 chaque assuré ne peut être responsable
que d ' un seul accident pai· jour. L' ob-
Moyenne 0,10108 servation d'un assuré pendant un an

16 Tangente Hors-série n°57. Les maths des assurances


Nombre Fréquences observées
d'accidents en Belgique par jour
0 0,906557 0,90384807
1 0,086376 0 ,09138627
2 0 ,006581 0 ,00460728
3 0,000402 0 ,00015443
4 0 ,000084 0,00000387

Sommes 1 0,99999992

devient la répétition de 365 expériences 1, ce qui laisse à entendre qu 'être res-


identiq ues et indépendantes dont la pro- ponsable de plus de quatre accidents par
babilité de « réussite » (observation d' un an est hautement improbable (voir le
accident !) devient tableau ci-dessus).
Àill =0 ,10108 /365 =0 ,000277.
Cette probabilité est (heureusement !) Mais cet exercice a également une por-
très faib le. On peut donc se concentrer sur tée sociologiq ue. On constate que le
les probabilités des premières valeurs de modèle est assez bon pour l 'estimation
k et opérer des simplificatio ns qui évite- de p0. Il surestime p 1et sous-estime dras-
rons le calcul de factorielles gigantesques. tiquement p2 , p3etp 4 . Une seule conclu-
Voyons le calc ul de p 0 , /Jp p 2 , . . . e n sion s ' impose : il y a des bons et des
travaillant par jou r : mauvais conducteurs ! Si le portefeuille
était homogène , on observerait plus de
Po = (1 - À 6/)365, conducteurs ayant un seul accident et
p = (À 6/)(1 _ À 6/)364, beaucoup moins en ayant 2, 3 ou 4. Voilà
1
p2 = [(365 X 364) / 2](À6!)2( 1 -À6!) 364 comme nt justifier la tarification diffé-
renciée et aj ustée à chaque client , qui
À 10- 6 près (les portefeuilles les plus fai t pourtant grincer bien des dents !
grands sont de l'ordre du million d'as-
surés) , la somme des probabilités cal- D.J.
culées théoriquement et ajustée donne

Hors-serie n• 57. Les maths des assurances Tangente


par Norbert Verdier

Des actuaires
et des journauM
Le XIXe siècle est celui de la presse : en 1810, on ne compte
qu'un seul journal de mathématiques, le Journal de
mathématiques pures et appliquées (les fameuses Annales de
Gergonne). À la fin du siècle, des dizaines de journaux
coexistent à destination des professeurs, chercheurs, élèves,
ingénieurs ... et des assureurs.

1 est fo ndé par un jour- et inconnues en 18 10 et de nombreuses


naliste, Alphonse Grün (1801 - tables de rentes viagères.
1866), et par Louis-Joseph Joliat
(1774-[829) le Journal des assurances Un cercle et un Journal d' ctu ires
ou recueil des lois, ordonnances , règle-
ments, arrêts , jugements, statuts, etc. Cependant , le premier journal d' actuaires
relatifs aux assurances. Comme l' in- contenant des mathématiques de manière
dique son titre , c'est un recueil de lois et significati ve est le Journal des actuaires
de re nseignements sur les compagnies français , lancé en 1872.Au XIXe siècle,
d' ass urance, qui se développent à cette la théorie actuarielle, comme d'a illeurs
période-l à. Il tient quelques années avant les compagnies d 'assura nces sur la vie,
de perdu rer sous d'autres titres . Il existe so nt essentielle ment déve loppées e n
de no mbre uses autres publi cati ons du Gra nde-Bretagne. Les rares o uvrages
même genre , par exemple le Conseiller fra nçais sur le sujet sont essentiellement
des assurances et des valeurs financ ières inspirés des ouvrages britanniq ues. Après
([880) , le Journnl des valeurs d'assurances la défaite engendrée par la guerre de
( 1879), le Vulgarisa1eur des assurances [870 , les actuaires fra nçais , encore peu
( 1897) ... On dé nom bre également de nombreux, décident de modern iser leur
nombreux ouvrages relatifs à ce domaine profession naissante. En 1872 est fo ndé
en pl ei n essor des ass urances , comme le Cercle des actu aires frança is, so us
les ouvrages de Sébastien Antoi ne Pari- l' im pul sion d ' une poignée de person-
sot (mort en 18 12), qui a publié l 'Art de nalités, dont le mathématicien Paul Mat-
conjec1urer à la loterie avec des tables thieu Hermann Laurent ( l 84 J- 1908).
de combinaisons et de probabilités en Le Cercle promeut la recherche actuarieLle
1801 , un Traité sur/' art conjectural ou fra nça ise e n lança nt le Journal des
l'art de raisonner sur les choses futures actua ires .fi"ançais ( 1872-1 880) et e n

18 Tangente Hors-série n°57. Les maths des assurances


instituti o nn ali sant la profess ion d'ac- JOURNAL
tuaire . U ne formation sc ientifique aux
métiers de l'assurance et des opérations
ACTU AIRES FRANÇAIS.
finan c iè re s - so us le bi a is de cours
dispensés à la mairie Drouot dans le Le premier tome
T0.\ 11-: PH E:'>IIEfl .
IXe arrondissement de Paris - est mise du Journal
en place . Dès lors, être actuaire doit pas- des actuaires français.
i\ Q 1. - JAi\"VI ER t8i2.
ser par l' obtenti on d' un titre. Il doit être
révolu le temps où l 'actuariat n ' était
qu ' affaires de recommandation ou de
cooptati on . Les premiers cours ont lieu
en novem bre 1871 et, d ' après leurs inti-
tulés , restent à un niveau assez é lémen- l'Al\lS.
taire. Il s sont assurés par Charles Marie G,\ UTII JER.YI LI. ,\ RS, l)EPRDIE UR-Ll ll R,\lRE
s1 ·0 : t:.ssr.u n ll l!: \I\ IJ f.T.H.1CUP.I.Ll'.I\,
Étienne Théophile Simon ( 1825-18 80),
docteur ès sciences mathématiques, pro-
fesseur au lycée Louis-Le-Grand , et Hip-
polyte Jean Baptiste Charlon (1826-1880), des articles concernent explicitement les
un actuaire important , directeur de la mathématiques : Exposition élémentaire
compagnie La Confiance. Les exercices des principes du calcul des probabilités
sont assurés par Marc Auguste Achard par Charles Simon , Calcul approché des
(1842-1923) , un polytechnicien de la annuités viagères par Marc Achard , Théo-
promotion 1862 , actuaire à l'Union (l'une rie mathématique des jeux de hasard par
des plus importantes compagnies d'as- Ernest-Émile Dormoy, Considérations
surance de Pari s) . Achard est un ami de sur le théorème de Bernoulli par Her-
Lauren t et , peut-être , celui qui l' initia à mann Laurent, Théorie et calcul des arbi-
la science de l' actuariat. trages de banque par Charles Bri sse ,
Nouvelle Formule d 'intérêt composé par
Les mathématiques mises en auant Eugène-Charles Catalan, Sur la méthode
à suivre dans la construction des tables
Le Journal des actuaires a pour inten- de mortalité par Hermann Laurent , sans
tion de publier les cours professés à la oublier un article non signé intitulé Appli-
mairie du IXe arrondissement pari sien. cation du calcul des probabilités à la
Ouvrons le premier tome. La préface est vérification des répartitions.
explicite ; ce journal se veut avant tout
scientifique , comme son homologue bri- Catalan est sans aucun doute le plu s
tannique, et les mathématiques sont expli- célèbre de ces auteurs (voir Tangente
citement mises en avant: « Ils [Les 15 8) . Il part de la formule classique des
travaux] font appel au conco urs des intérêts composés : A= a( l + r)" donnant
mathématiciens qui, comme eux, pen- la valeur que prend , au bout den années ,
sent que les spéculations les plus sûres une valeur a placée avec un taux égal à
et les plus honorables sont celles qui r. En effet , au bout d ' un an, la valeur
obéissent aux principes mathématiques vaut a + ar = a(! + r). Au bout de deux
et aux lois que le calcul des probabili- ans, rebelote, on obtient
tés fait surgir de l'expérience» (Journal a(l + r) + (a(l + r))r = a(l + r)2,
des actuaires fra nçais , 1, J 872) . et ainsi de suite. Catalan critique cette for-
En témoigne le premier tome ! Un tiers mu le qui , dit-il , pe ut co nduire à des

Hors-série n° 57. Les maths des assurances Tangente


Des actuaires et des journaux

Franck Jovanovic :
"les actuaires ont ioué un rôle imnortant en finance. ,,
Spécialiste du modèle de marche aléatoire dans la théorie financière,
Franck Jovanovic est professeur de finance à l'University of Leicester
School of Management (Royaume-Uni). Sa démarche scientifique mêle
la théorie financière, l'histoire des sciences, la sociologie des sciences et
l'épistémologie.

On lit souvent quel'Angleterre est aux XVIIIe et XIXe siècles un


modèle pour les apprentis actuaires. Est-ce vraiment le cas ?
Cette période fut propice au développement du calcul statistique en Europe,
ce qui a contribué au développement de l'actuariat. Les actuaires ont joué
un rôle important dans le développement des idées, en particulier en
finance. Il existe aussi des travaux en Allemagne, Angleterre, France, ou encore en Italie. Aussi,
l'Angleterre n'est pas un cas isolé. Cependant ce pays semble se caractériser par une approche plus
pragmatique. Néanmoins, les premiers modèles théoriques de finance moderne sont développés en France
dans la seconde moitié du XIXe siècle, en particulier avec le travail d'Henri Lefèvre et celui de Jules Regnault,
qui, en 1863, offre pour la première fois de représenter les fluctuations des cours boursiers par un
modèle de marche aléatoire. À la même période, Paul Leroy-Beaulieu et Alfred Neymarck proposent
une analyse de portefeuille fondée sur le concept de corrélation. On ne retrouve pas une approche aussi
élaborée du point de vue théorique en Angleterre, sauf pour l'analyse de portefeuille.

Pouvez-vous nous en dire plus sur les travaux de Henri Lefèvre, fondateur du Journal
des placements financiers?
Henri Lefèvre (1827- vers 1885) est un auteur important dans le développement des sciences sociales
au XIXe siècle, en particulier la« science de la bourse» (ou finance) et les sciences comptables. Il a beaucoup
œuvré pour créer des sciences sociales et moderniser la société. Il souhaitait que la France rattrape son
retard vis-à-vis de ses voisins. Il fut fortement influencé par le programme d'Auguste Comte.
En 1869, il fonde avec des associés l'Agence centrale de l'union financière et dirige son organe de
presse, le Journal des Placements Financiers. À cette époque, les journaux financiers proposent à
leurs lecteurs de gérer leurs placements financiers ! Ce type de service, qui intéressait les provin-
ciaux ne pouvant se rendre régulièrement à Paris, a été à l'origine de nombreux scandales financiers:
des journaux faisaient miroiter des rendements particulièrement élevés dans l'unique but d'extor-
quer leurs lecteurs ...
Le Journal des placements financiers n'a paru que pendant deux ans, mais il a joué un rôle important
dans le développement des idées en finance. Lefèvre y propose un outil pour analyser rapidement les
résultats d'opérations financières complexes, en particulier les combinaisons d'options. Un contrat
d'option confère le droit, et non l'obligation, de vendre ou d'acheter un actif (financier ou physique)
à un prix défini à l'avance (le prix d'exercice), à une date fixée appelée échéance. Ainsi, on peut déter-
miner une stratégie, selon ses besoins, où l'on réalise un gain lorsque les cours fluctuent au-delà d'un
certain intervalle et une perte si les cours restent dans cet intervalle. Il devient très complexe de cal-
culer le résultat de combinaisons d'options. C'est en cela que sa méthode graphique est innovante, et
reste utilisée aujourd'hui !
Propos recueillis par N. V.

20 Tangente Hors-série n°57. Les maths des assurances


Ill. Après quelques t:ilonnements, j'ai trouvé, comme so-
lution de ce probleme indeterminé,
Nos lecteurs
( 1) sauront-ils
reconstituer le
d'où résulte raisonnement
de Catalan?

(3) ,\ ··- a ( 1 ··î· .r).

y représente l'intértl de , franc, pour n années;


e est l:l base des lognrithmes 11épe'rie11s;
p est un nombre entier, co11sta111, déterminé par la condition

p [e - (1 + ~ )"•]
1 0
= taux de l'inli:r~l de I frn11c (').

« résultats presque absurdes » ; il prend Mais d 'autres mathématiciens adoptent


l'exemple d'un franc placé à cinq pour des canaux différents pour consacrer des
cent. En appliquant la fmmule, si l'on place études à ce domaine. Il en va ainsi d 'Iré-
cinq francs en l'an 800, il vaudrait fin 1869 née-Jules Bienaymé (1796-1878) pour
la valeur de 47049000000000000000 ses travaux et polémiques sur les caisses
francs ! de retraites ou de Catalan , qui utilise le
L'objectif de Catalan est de trouver une support de la presse mathématique clas-
« nouvelle formule » qui n ' a pas « les sique pour diffuser ses idées .
mêmes conséquences antisociales » N.V.
mais qui s'accorde sensiblement avec
la première , « tant que n ne dépasse Références :
pas la durée des contrats ordinaires : • La swtistique critiquée par le calcul des probabilités : deux manuscrits
40 ans, 50 ans, ou au plus 100 ans». inédits d 'Irén ée-Jules Bienaymé. Berna.rd Bru , Marie-France Bru et Oli -
Il impose de plus deux conditions : vier Bienaymé, Revue d'histoire des rnathématiques 3.2 , 1997.
« que, pour de petites valeurs den, L'in- • Une introduction. analytique à la théorie analytique . Hermann Laurent
térêt soit à peu près proportionnel à ( 1873). Bernard Bru , Marie-France Bru et Salah Eid , Journal@Electro-
n » et « que, n augmentant indéfini- nique d' Histo ire des Probabilités 8, décembre 2012 (disponibl e en ligne) .
ment, A tende vers une Limite assez res- • L'économie mathématique en Fran.ce, /870-1914. André Zylberberg, Eco-
treinte : on peut la suppose,~ par exemple, nomica, 1990.
inférieur à I0a » . Catalan explique • ln strwnents et théorie économiques dans la construction de la science de
ensuite qu'il a trouvé une formule« après la Bourse d'Henri Lefèvre. Franck Jovanovic, Revue d'histoire des sciences
quelques tâtonnements » .. . humaines 7 , 2002.
• Le prernier actuaire de France : Duvi/lard ( 1755-1832). Guy Thuilli er,
Tout au long des années 1870, le Jour- Association pour l' étude de! ' hi sto ire de la sécurité social e, 1997 .
nal des actuaires français ne cesse de • En.tretien. avec Bernard Bru ou probabilités & statistiques, histoire et his-
publier des articles de mathématiques toriographie. Norbert Verdier, Bulletin de la Société des amis de la biblio-
appliquées au domaine des assurances. thèque et de l'histoire de I' École polytechnique 57 , Octobre 20 15.

Hors-série n ° 57. Les maths des assurances Tangente


EN BREF par Daniel Justens

Hssurance terrorisme
le cadre législatif en France
En France, la garantie de couverture des conséquences résultant d'attentats et d'actes de terrori sme est
obligatoire pour toutes les polices d'assurance de type « dommages», et cela depuis 1986. Légalement,
la notion de terrorisme recouvre celle d' attentat, d' acte de sabotage, tout en incluant les risques consé-
cutifs aux grèves , émeutes ou mouvements populaires, ou même les risques de guerre. Les articles
L-126-2 et R-126-2 du Code des assurances précisent explicitement que cette obligation de couverture
concerne tous les contrats dommages d'incendie aux biens situés sur le territoire national et également
les contrats garantissant les dommages aux véhicules à moteur terrestres , aériens ou maritimes. Le
champ d'application de la garantie obligatoire s'étend aux actes de terrorisme commis à l'aide de subs-
tances nucléaires, bactériologiques, chimiques, ou radiologiques. En outre, depuis la loi du 23 janvier
2006, la garantie s'étend également aux dommages matériels subis sur le territoire national qui pour-
raient résulter d'un attentat commis au-delà des frontières , comme dans le cas d'une contamination par
des substances chimiques. En sommes-nous plus (r)assurés pour autant ?
les conséquences
du 11 septembre 2001 En Belgique
Face à la réalité de terrain, l'obligation de Quand la loi définit le terrorisme
couverture des risques liés au terrorisme En Belgique, une loi du 1er mai 2008 prévoit
ne va pas sans problème. Suite aux atten- que certains types d'assurances doivent obli-
tats terroristes du 11 septembre 2001, qui gatoirement couvrir les dommages consé-
avaient provoqué l'anéantissement des deux cutifs au terrorisme. Sont concernées, les
tours du World Trade Center de New York, assurances accidents du travail, toutes les res-
la majorité des groupes mondiaux de réas-
ponsabilité civile auto, ou couvrant les risques
surance décidèrent d'exclure les risques les
d'incendie ou d'explosion dans des lieux pu-
plus importants de la couverture terrorisme
blics, les assurances incendie risques simples,
initialement prévue. Cette décision mit évi-
les assurances accidents, hospitalisation et les
demment les assureurs français, légalement
assurances vie. Le législateur y donne une
tenus de couvrir l'ensemble des dommages
définition intéressante et fort complète de la
causés par les actes de terrorisme (voir
ci-dessus), dans une position difficile. Elle notion de terrorisme. Le premier alinéa de
conduisit dès le 1er janvier 2002 à la créa- l'article 2 considère en effet comme terroriste
tion d'une structure de marché destinée toute « action ou menace d'action organisée
à pallier cette absence de réassurance au dans la clandestinité à des fins idéologiques,
niveau international : le Gareat (Gestion de politiques, ethniques ou religieuses, exécutée
l'assurance et de la réassurance des risques individuellement ou en groupe et attentant à
attentats et actes de terrorisme), qui mit en des personnes ou détruisant partiellement ou
place un schéma de co-réassurance mutuelle totalement la valeur économique d 'un bien
entre ses adhérents, lesquels bénéficient matériel ou immatériel, soit en vue d'impres-
alors d'une couverture illimitée. Cette der- sionner le public, de créer un climat d'insé-
nière est rendue possible par l'intervention curité ou de Jaire pression sur les autorités,
de la CCR (Caisse centrale de réassurance) soit en vue d'entraver la circulation et le
qui jouit de la garantie de l'État. Voilà donc fonctionnement normal d'Un service ou d'une
les compagnies couvertes ! Peut-on en dire entreprise ». Nous voilà prévenus !
autant de leurs clients ?

Tangente Hors-série n°57. Les maths des assurances


par Hervé Lehning

naissance et éuolution
des tables de mortalité
À l'origine des tables de mortalité, il y avait le souci de se
prémunir contre les épidémies de peste. Elles ont ensuite
été utilisées pour évaluer les rentes viagères avant d'évoluer
lentement vers leur visage d'aujourd'hui, poussées par des
contraintes parfois contradictoires.

es premiers bulletins de mor- Un siècle plus tard, on trouve le pre-


talité connus datent de 1532 à rnier traitement mathématique de
Londres. Ils étaient destinés à la question. C'est l 'œuvre de John
suivre, semaine après semaine, l 'évo- Graunt (1620-1674), probablement
lution des épidémies de peste, et per- aidé par son ami William Petty (1623-
mettaient, entre autres, à ceux qui le 1687). À partir de relevés de décès
pouvaient, de tenter d'échapper à la qui ne mentionnaient que la cause,
maladie en fuyant la ville. Ils dispa- sans l' âge, il estima la population de
raissaient dès que la situation s'était Londres à 384000 personnes dont
stabilisée. 199112 hommes et 184 886 femmes.
Bulletin de Ces chiffres étaient très éloignés des
· Ocui;, · rbeuc, Vu1f1~. l'b,:U~ ·· "·
mortalité à ' Ma 17 2J0 ° . 3 · A~g. · .1 ·, 1$$0 . 797' estimations de l'époque, où certa ins
.2◄ . . 2Sf . 31 18 ISJt . ·.· 651
Londres de mars à J• .291 19 .2s isoS . +49 pensaient que Londres comptait plu-
:_ . Apri 7 307 : . 27 :Strt - 1. . 1490 . .S"? . ·
décembre 1592. ., 14
:U
2'(1J '
: j90 ·. . 37
.8
15
, iHO
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56)
45'5° sieurs millions d ' habitants. Les préoc-
d -JII? · 41 , ;u . 629 349
e· Ma7 ,: :i:•· ! ;:- . ~OcL ?: :: •;~.... cupations de Graunt ne concernaient
, ◄ U"
qu'il ne mentionne 19
.26
JOO '.. · 4J . .
◄ SO 58
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%0 • ]JO
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!,oS
pas les assurances, même si certains
JUl\c •• • ,'• 41? 6.1 27 JlO
ni le -,cxe, ni +4 1- 81 No.,, l, 310 · , 301
Y,~ : .
voulurent fonder un système de rentes
16 ..39? .•, 99 10 . . 309 ·.--Jt9
l'âge de~ déceclé~. · - 3, ·
2J . 410
850 ,
. 1o8
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17
24
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3u ·.
-.107
93
viagères à partir de ses Observations
Juiy' -7 · · 1440 ·· , 917 1kt, 1 3,49_. 9-1 ·
~on hut était . 14 - ISIO , 893 & 3JI ' 66 naturelles et politiques sur les bulletins
essentiellement de ·.· : ..... '. · :: ·: ;::; ,.:: ..... :~; , IS . ;:: · . :!{ . de mortalité. Dans son Anatomie poli-
.' :. -!-.'.g~:. ~ •. \SO~::·.;:.. . ~J. · .
suiHe l'eH>lution .':' ·. )~.;~1;::;;,~~-~;~V:t.or~:1'.~'.•~~~_.: : : ,:.~~:~~ ... . tique de l'Irlande, William Petty pu-
d'une épidémie. blia ensuite une table de la population
irlandaise par âges, sans la justifier :

Tangente Hors-série n°57. Les maths des assurances


ASSURANCE VIE

Population totale en milliers 1100 en Ulpien. Leur principe est simple :


Au-dessus de ... 6 ans 704 vous do nnez une somme d 'argent à
16 ans 462 un emprunteur ; en échange, celui-ci
s ' engage à vous verser une somme
26 ans 297
annuellement jusqu 'à votre mort. La
36 ans 198
question est de savo ir quel rapport, ou
46 ans 132 denier pour utiliser le vocabulaire de
56 ans 88 l'époque, il convient d 'appliquer entre
66 ans 77 la somme annuelle et la somme initiale.

Curieusement, les nombres de survi- Par exemple , un denier de 16 signifi e


vants sont to us di visibles par 11 ... ce que vous versez 16 000 € pour recevoir
qui fai t penser que la table d ' origine une rente annuell e de l 000 € jusqu ' à
correspondait à 100 nai ssances. votre mort. Il corres pond donc à un taux
d ' intérêt annuel de l / 16 = 6,25 %
Dès l'empire romain, (mais sans remboursement du capital).
les rentes uiagères D ' après Ulpien, sous l'e mpire romain ,
la coutume était de faire varier le de-
Les rentes viagères n ' ont pas attendu nier en fonction de l'âge, 30 jusqu ' à
ces tables pour exister. Elles datent de 30 ans auquel on retranchait 1 chaque
l' Antiquité, comme le montre un texte année jusqu' à 59 ans. À 60 ans, vo us
d' un juriste ro main du 111 e sièc le, Domi- n' éti ez clone plus é li gible à une rente
tius Ulpianu s, dont le nom est franc isé vi agère.

Table de mortalité utilisée par Halley.


Iah r 1 · 111· • és suspl ·t · elle e t plus crédible quP les précédentes.

Âge Nombre Âge Nombre Âge Nombre Âge Nombre Âge Nombre Âge Nombre

1 1000 15 628 29 539 43 419 57 272 71 131


2 855 16 622 30 531 44 409 58 262 72 120
3 798 17 616 31 523 45 397 59 252 73 109
4 760 18 610 32 515 46 387 60 242 74 98
5 732 19 604 33 507 47 377 61 232 75 88
6 710 20 598 34 499 48 367 62 222 76 78
7 692 21 592 35 490 49 357 63 212 77 68
8 680 22 585 36 481 50 346 64 202 78 58
9 670 23 579 37 472 51 335 65 192 79 49
10 66 1 24 573 38 463 52 324 66 182 80 41
11 653 25 567 39 454 53 313 67 172 81 34
12 646 26 560 40 445 54 302 68 162 82 28
13 640 27 553 41 436 55 292 69 152 83 23
14 634 28 546 42 427 56 282 70 142 84 20

Hors-série n°57. Les maths des assurances Tan9ente


Naissance et évolution ...

Malgré cet exemple antique, dans le prévue, chacun pour 1 € de rente an-
monde moderne, le denier fut généra- nuelle. L ' organisme devra débourser
lement indépendant de l'âge jusqu ' à 436 € à l'ensemble des survivants
la fin du XVII° siècle. Edmond Halley l' année suivante puis 427 € ... jusqu ' à
(1656-1742) se posa la question de 20 € la dernière année. Nous obtenons
trouver le denier idéal dans son Esti- une somme de 9613 € pour 445 per-
mation de la mortalité du genre hu- sonnes ce qui fait un denier de 22 .. .
main. Il montra l'importance des tables pratiquement celui d'Ulpien ! Ce ré-
de mortalité pour la détermination du sultat suppose toutefois un placement
denier à appliquer, et également le fait sans intérêt.
qu ' on ne pouvait estimer la mortalité
moyenne en utilisant les chiffres de L'organisme peut faire un calcul plus
villes comme Londres où les mouve- juste, mais plus risqué, en actualisant
ments de populations étaient impor- les sommes qu'il aura à verser. Par
tants : trop de gens venaient y mourir exemple, s'il peut placer son argent
sans y être nés. Pour une estimation au taux de 5 %, une rente de 1 € à
correcte, il choisit des tables faites à verser dans un an demande de provi-
Breslau en Silésie, une ville loin des sionner aujourd'hui une somme de :
mers et des passages, d'après les re- 1 / 1,05 = 0,95238 . .. €. De même,
gistres des années 1687 à 1691 . la même rente à verser dans deux
ans demande la somme actuelle de :
Halley en déduisit « la chance qu 'une l / 1,05 2 =0,90729 ... € et ainsi de suite.
personne de tel âge vive jusqu'à tel En reprenant les calculs précédents, on
autre âge » . Par exemple, la chance trouve un denier de 12, effectivement
qu'a un homme de 40 ans de vivre très courant à la fin du xv11° siècle. Bien
jusqu'à 4 7 ans est le rapport de 377 entendu, celui-ci varie selon les taux
(nombre d'hommes de 47 ans selon la d ' intérêts financier :
table) par 445 (nombre d ' hommes de
40 ans) , soit environ 85 %. Sa proba-
Taux 0 % 1 % 2 % 3% 4 % 5 %
bilité de mourir dans la même période
est donc d'environ 15 %. Denier 22 19 17 15 13 12

Compte tenu des intérêts financiers


L 1i1.:r pour un ~ous .. , ipkur
pratiqués, ces nombres permettaient
de 40 ans calculés à partir de la table
de calculer un denier équitable. On
de Halley selon des taux financiers
peut suivre les calculs en imaginant
variant de O 'c à 5 '•c,.
deni er que les 445 personnes de 40 ans de la
40
table suivent exactement la mortalité

30

Deniers correspondant aux taux financiers


20
de O % à 5 % selon l'âge (table de Halley) .
•a forte 1111 ahtt: < t ntants < an, leurs CIIHI
10
premiercs ,umees explique que le denier
·mgmente ,nec !"âge 11\ant de baisser
20 40 60 80 âge
régulièrement.

Tangente Hors-série n°57. Les maths des assurances


ASSURANCE VIE

Faillites de l'Hôtel-Dieu
et des Incurables
Vers 1670, l'Hôtel-Dieu, ainsi que d'autres institutions charitables
comme les Incurables, modifièrent leur financement en passant d'un
système de « donations en échange de pensions » à des ventes de
rentes viagères. Une faillite en résulta en 1689. Elle a souvent été pré-
sentée comme la conséquence d'une mauvaise évaluation des deniers
à utiliser qui, en particulier, n'auraient pas tenu compte de l'âge.
En fait, les actes notariés de constitution de rentes montrent le
contraire: le denier dépendait de l'âge, même si ce n'était pas systé-
matique. Par exemple, à 40 ans il variait de 12 à 20 avec une moyenne
de 15 ; or le denier 15 à 40 ans correspond au taux de 3 % dans nos
calculs, ce qui est raisonnable à une époque où les taux étaient souvent
de5%.
La faillite n'avait pas pour origine une mauvaise évaluation du de-
nier des rentes en fonction de l'âge, mais d'un autre point important
des assurances : la gestion des provisions, dont une partie suffisante
doit être liquide. Des avoirs mal évalués peuvent provoquer des catas-
trophes. La conséquence fut qu'en 1690, un décret royal interdit aux
institutions charitables de vendre des rentes viagères.

De façon plus générale, en utilisant stat1st1ques utilisées coJTespondant en


les tables de Halley, on peut tracer des fait à un état de la population sur une
courbes donnant le denier e n fonction période courte, une ou quelques années.
de l ' âge et le taux d 'intérêt des place-
ments financiers. Pour être plus exact sur l'évolution
d ' une génération , il faudrait la suivre
Les tables de génération en entier de sa nai ssance à sa mort.
et l'espérance de uie Voici par exemple celle de la généra-
tion née en 1850. Comme il est d ' usage
Les premières tables de mortalité vérita- de nos jours, la cohorte des personnes
blement crédibles furent établies par le nées en 1850 en France a été ramenée à
pasteur prussien Johan Peter Süssmilch un effectif de 100000.
(1707- 1767). Le titre de son ouvrage,
L 'ordre divin, montre son but: Süssmil- Cette table de mortalité permet de
ch ne cherche pas à produire une table calculer, parmi les personnes nées e n
de mo1talité valable en un endroit pré- 1850, le nombre de morts à chaque
cis , mais des règles de la démographie âge. Ainsi , dans le ur première année,
humaine « telles que Dieu les auraient c ' est 15095, le nombre de naissances
voulues » . De même que Halley , il ap- (100000) dont on ôte les survivants
plique ensuite ses calculs à celui des après un an (84905). Le même calcul
rentes viagères. Ce type de table intro- montre que 5 550 sont morts dans leur
duisait malgré tout un biais puisqu 'elles seconde année, 2 364 dans leur troi-
confondaient plusieurs générations, les sième année, etc .

Hors-série n°57. Les maths des assurances Tan9ente


Naissance et évolution ...

Âge Nombre Âge Nombre Âge Nombre Âge Nombre Âge Nombre Âge Nombre

0 100000 18 67 265 36 55 724 54 44 392 72 23 569 90 1 181


1 84 905 19 66 749 37 SS 155 55 43 607 73 22 039 91 805
2 79 355 20 66 102 38 54 600 56 42 766 74 20 433 92 542
3 76 991 21 64 905 39 54 058 57 41 868 75 18 818 93 368
4 75 304 22 63 645 40 53 497 58 40 964 76 17 198 94 226
5 73 906 23 62 987 41 52 912 59 39 975 77 15 521 95 143
6 72 901 24 62 396 42 52 320 60 39 003 78 13 932 96 95
7 72 132 25 61 855 43 51 713 61 37 958 79 12 221 97 62
8 71 483 26 61 287 44 51 100 62 36 967 80 10 820 98 43
9 70 817 27 60 738 45 50 487 63 35 874 81 9 369 99 27
10 70 280 28 60 197 46 49 873 64 34 722 82 8072 100 17
11 69 877 29 59 655 47 49 276 65 33 45 3 83 6 842 101 7
12 69 508 30 59 110 48 48 660 66 32 179 84 5 741 102 4
13 69 179 31 58 561 49 48 004 67 30 803 85 4 758 103 1
14 68 874 32 58 003 50 47 328 68 29 454 86 3 843 104 l
15 68 549 33 57 435 51 46 573 69 27 929 87 3 077 105 l
16 68 141 34 56 863 52 45 881 70 26 570 88 2 390 106 0
17 67 728 35 56 294 53 45 136 71 25 149 89 1 797 107 0

l'ahk de mortalité L'âge exact au décès étant inconnu, o n loir estimer celle des vivants fait pénétrer
dl' la genératmn née le situe au milieu de l' année en cours. dans le domaine de la prévision.
l'll 1850. Pour le calcul de l' âge moyen au décès , Comment savoir combien d'enfants ve-
15 095 sont affectés de 0 ,5 an , 5 550 de nant de naître mourront à l'âge de dix
1,5 an , 2 364 de 2,5, etc. En divisant ans par exemple ? En fait, on l' estime
le rés ultat final par 100 000, on trou ve à partiJ des taux de m01talité de l' année
une moyenne de 41 ans et demi. en cours. Plus précisément, on calcule
Le calcul est similaire si on cherche le quotient de mortalité des deux sexes
1'espérance de vie de ceux qui ont sur- à chaque âge grâce à des estimations de
vécu à le ur première année. On trouve population et de décès. En l'absence de
alors 4 8 ans (soit 49 en tout) . Si on ex- toute migration (voir en encadré son in-
clut les morts de nourrissons , la vé ri - Auence), l'idée est très simple. Le l er jan-
table espérance de vie de la générati on vier 2009, on comptait 440428 hommes
née en 1850 est de près de 50 ans , y de 40 ans et 815 décès d ' hommes de
compris les morts à la guerre. 40 ans pendant l' année 2009. Le quo-
tient de mortalité des hommes de 40 ans
les « tables du moment » est donc estimé au rapp01t des deux
nombres, soit 1,850 %o.
Cette façon historique d' établir les tables La méthode est fi able si on pe ut appli-
de m01talité ne permet pas le calcul de quer la loi des grands nombres . Ses ré-
l'espérance de vie d'un bébé venant de sultats sont fantaisistes quand ce n ' est
naitre, mais seulement celle de ceux dont pas le cas, particulièrement pour les
la génération entière est décédée. Vou- grands âges.

Tangente Hors-série n°57. Les maths des assurances


ASSURANCE VIE

À partir de ces quotients de mo11alité des


personnes de chaq ue âge, les statisticiens
l'influence des migrations
reconstruisent des tables de mortalité. Reprenons les calculs du quotient de mortalité des
On ne considère donc plus une popula- hommes de 40 ans pendant l'année 2009 en tenant
tion réelle mais une génération ficti ve de compte des flux migratoires. Le 1•r janvier 2010, on
100000 individus qui connaîtrai t toute compte 440 112 hommes de 41 ans. Le déficit par
sa vie les conditions de mo11alité par âge rapport à l'année précédente est de 316 hommes
de l'année considérée. La table que l'on pour 815 décès. La différence correspond à un solde
peut construire chaque année sur cette migratoire positif de 499 individus. Ce chiffre fausse
génération fi cti ve est appelée la « table légèrement les résultats, car ces hommes ne sont
du moment ». C 'est à partir de cette table pas tous apparus le dernier jour de l'année 2009.
qu 'on calcule l'espérance de vie des en- Les décès constatés peuvent être dus à certains
fants dès leur naissance. d'entre eux. Pour en tenir compte, il faut augmenter
Cette méthode est fondée sur l' hypo- la population du premier janvier 2009 de la moitié
thèse que la situation de la mortalité de ce flux. Le quotient à appliquer est alors modifié
restera identique à ce qu ' elle est ac- de 1,850 %0 à 1,849 %o.
tuellement, et ceci alors même que
nous savons qu ' il n'en est rien ! M al- Voici par exemple un extrait des tables
gré tout , ses résultats donnent une idée de !'INSEE pour les hommes et les
plus vraisemblable de la réalité du futur femmes, basées sur les mortalités de
que l' utilisatio n de tables de mortalité 2011- 201 3.
de génération s décédées. Mieux vaut
parfo is une approximation raiso nnable Ce sont des tab les du moment pour les
qu ' une précision illusoire. fe mmes ou les hommes qui sont uti-
lisées en ass ura nces, selon des règles
dictées par la lo i.
I~xtrait de la tabl1: de mortalitl du
H.L.
moment de l'JNSFt "II 20 l 1 - 20 lJ

0 100 000 81,51 100 000 84,85 100 000 78,33


99 658 80 ,97 99 690 84,22 99 627 77 ,86
20 99 369 62,17 99 469 65,39 99 274 59,10
30 98 877 52 ,45 99 222 55 ,54 98 549 49,49
40 98 102 42,82 98 745 45 ,78 97 489 39,97
50 96 169 33,57 97 436 36,31 94 963 30,88
60 91 445 25,0 1 944 14 27,30 88 615 22,69
70 82 934 17,02 88 883 18,65 77 264 15 ,23
80 66 51 2 9,83 76 369 10,76 57 11 8 8,64
85 51 535 6,91 62 735 7,51 40 860 6,04
90 31 504 4,67 41 521 5,00 21 956 4,09
95 12 579 3,15 18 199 3,30 7 223 2,80
99 · 3 777 2,39 5 880 2,44 1 772 2,24
104 4 16 1,87 662 1,87 182 1,86

Hors-série n°57. Les maths des assurances Tangente


par Pierre Devolder

Comprendre
les tables de mortalité
Pour un actuaire, les tables de mortalité constituent l'outil
central permettant de calculer les primes ou les provisions en
assurance vie. Elles permettent aussi à chacun d'estimer
facilement ses chances de survie à tout âge.

an s le cadre des produits d'as- lution générale d'une population, avec

D surance vie, chacun de nous est


amené à se poser des questions
telles que « J 'ai aujourd'hui 20 ans;
ses naissances et ses phénomènes migra-
toises. On se contente ici d'observer les
individus du groupe initial (pas d'en-
quelle est ma probabilité de décéder trées) , où une seule cause de sortie du
d'ici un an?», ou encore « J'ai aujour- groupe est envisagée: le décès.
d'hui 20 ans ; quels sont mes chances
d 'être encore en vie à 65 ans ?» , voire Une table de mortalité est un tableau
même « Nous sommes âgés respective- qui va attribuer à chaque âge le nombre
ment de 66 et 64 ans. Quelle est la pro- de survivants d' une cohorte initiale . On
babilité que nous soyons encore en vie y note généralementx l'âge pris en consi-
tous les deux dans un an ? ». Une table dération et lx ou Sx le nombre de survi-
de mortalité est un outil simple qui va vants à l'âge x .
permettre à l'actuaire de répondre à ces
différentes questions. Âge Survivants

Les concepts de cohorte 0 1000000


et de table de mortalité 1 999415
2 998827
En vue de mesurer les chances de sur- 20 987349
vie d' un individu , on s'appuie sur le 21 986616
concept démographique de « cohorte» . 64 850437
Une cohorte est constituée initialement 65 839161
d' un groupe de personnes de même âge 66 826964
(par exemple l'ensemble des Belges 67 813786
âgés aujourd'hui de 20 ans); il va s'agir 85 366772
de suivre, année après année, l'effectif 100 16452
des survivants de ce groupe initial. Le 110 23
concept ne correspond donc pas à l 'évo-

30 Tangente Hors-série n°57. Les maths des assurances


ASSURANCE VIE

Les lois de Gompertz et de Makeham


En supposant la fonction lx définie pour tout nombre x réel, et en supposant cette fonction suf-
fisamment régulière, on peut introduire le concept de taux instantané de mortalité µx défini par
la dérivée logarithmique de la table de mortalité :
-1 dl,
µx=z: dx·
Ce taux modélise la force de mortalité qui s'exerce à tout âge (le signe moins dans l'expression
est introduit pour compenser le caractère décroissant de la fonction l). On peut alors construire
des types de population dont le taux instantané a une forme mathématique bien précise. Une
première forme possible serait de supposer ce taux instantané constant µx =µ.On obtient alors
une table de mortalité de forme exponentielle négative : lx= l0 e•µx _
Une telle loi n ' est pas très réaliste pour modéliser la durée de la vie humaine où on observe bien
sûr une croissance de la mortalité avec l'âge ! La table proposée par le mathématicien britan-
nique Benjamin Gompertz (1779-1865, résultat publié en 1824) propose un taux de mortalité
croissant exponentiellement avec l'âge : µx = B eh .
Elle conduit à une table de forme double exponentielle: lX = ke•Bé'_ dans laquelle le paramètre
k est ajusté à partir du choix arbitraire de 10 •
La loi proposée en 1860 par l'actuaire anglais William Matthews Makeham (1826-1891) est sou-
vent utilisée en assurance vie. Elle combine les deux effets et propose un taux de mortalité qui
est la somme d'une constante (qui pourrait représenter les accidents arrivant uniformément à
chaque âge) et d'une fonction exponentielle croissante de l'âge (modélisant plus spécifique-
ment les maladies dont la survenance croit avec l'âge et les effets du vieillissement) :
µx =A+ Be),x =A+ Bex .
Elle conduit à une table de la forme: lx= ke•Ax e•Bé' ,
qu'on note parfois canoniquement: lx= ksx gc'.
Ajuster une telle table revient alors à estimer au mieux les 4 paramètres k, s, g etc au vu des
observations découlant d'une table de mortalité brute (en utilisant par exemple la méthode des
moindres carrés : voir l'article pages 36-38 de ce numéro).

Pour construire une table de mortalité , « brute » . Une telle table présente géné-
l'actuaire se base d ' abord sur des sta- ralement des irrégularités statistiques.
tistiques démographiques ; à partir de On en déduit alors une table ajustée qui
données s tatistiques provenant par peut par exemple suivre une loi mathé-
exem ple d ' un recensement de la popu- matique bien préci se . On calibre ensuite
lation d ' un pays donné , on construit au mieux les paramètres de cette loi pour
d ' abord un e table de mortalité dite approcher la table brute d ' origine.

Dans l'extrait de table de mortalité Le problème de l'anti sélection


ci-contre, sur un million de personnes en assurance
à la naissance (10 ou S 0 choisi
arbitrairement), il y a encore à l'âge Une table de mortalité peut concerner l'en-
de 20 ans l20 =S 20 =987349 survivants. semble de la population d ' un pays; elle
Les derniers survivants, au nombre peut aussi être segmentée en fonction
de 23, décèdent à l'âge de 110 ans de différents critères ; il est classique
(âge ultime de la table). en matière de mortalité de constituer

Hors-série n ° 57. Les maths des assurances Tangente


Les tables de mortalité

Calcul de probabilités uviagères n


À partir d'une table de mortalité, on peut calculer toute une série de probabilités dites viagères
car relatives à la durée de la vie humaine. D'une manière générale, la probabilité pour une per-
sonne d'âge x d'être encore en vie dans un an sera donnée par:
l x+I
Px =--
1x
et la probabilité pour une personne d'âge x de décéder dans l'année sera donnée par:
l -1
qX = X l x+I = 1-pX .
X

Quant à la probabilité pour une personne d'âge x d'être encore en vie dans n années, c'est :
l
=..Lt!!..
Il PX l
X

On peut alors répondre aux différentes questions posées en début d'article.


1. Quelle est la probabilité pour quelqu'un âgé de 20 ans de mourir dans l'année ?
=
En utilisant l'extrait de table proposé plus haut, il vient: p 20 986616/987 349 0,9993, soit =
99,93 % . La probabilité de mourir dans l'année est de l'ordre de 0,07 %.
2. Quelle est la probabilité pour quelqu' un âgé de 20 ans d'être encore en vie à 65 ans?
=
En utilisant la table il vient : 4sPzo 839161/ 987 349 0,8499. =
3. Quelle est la probabilité qu' un couple constitué de deux personnes, âgées aujourd'hui respec-
tivement de 66 et 64 ans, soit encore en vie dans un an ?
Si on suppose l'indépendance entre les durées de vie des deux personnes (ce qui est loin d'être
évident dans un couple !), cette probabilité est égale au produit des probabilités sur une tête
telles que vues ci-dessus. En supposant que les deux têtes obéissent à la même table de morta-
lité (ce qui encore une fois n'est pas du tout certain) , il vient :
839161 813786
P 6664= -- - X - -- = 0,9867 x09841 = 0,9710.
' 850437 826964

des tab les séparées pour les hommes et Par exemple, on peut penser qu ' un client
pour les fe mmes. Remarquons que dan s se protégeant fo rtement en cas de décès
ce domaine, la segmentation stati stique ama une santé plus fragile que la moyenne
se he urte parfois à des principes juri- de la population! À l'opposé, un ass uré
diques de non-discrimination ! so uscrivant une rente viagère aura une
On pourrait a uss i e nvisager de tenir bonne idée de sa santé ! Les ass ureu rs
compte d'autres critères de segmentation, peuvent ainsi être amenés à devoir adap-
comme le type de métier o u les habi- ter les tables de mortalité utilisées pour
tudes de vie (fumeur/ non-fumeur, acti- la tarification de leurs produits et même
vités sportives , ... ). parfoi s à utiliser des tables de mortalité
différentes pour différents produits (par
Lorsqu'u ne table de mortalité est utili- exemp le un e table po ur des produits
sée à des fins d'assurance, il convient d'être couvrant le décès , une autre tab le pou r
attentif aux effets dits d 'anti sélection. des produits de type épargne retraite et
Les c lients ac hetant un type de produit une troisième table pour les produits de
chez un ass ureur n' auront pas néces- rentes viagères). On parle auss i parfois
saireme nt le même comportemen t de de tables d'expérience lorsqu ' un ass u-
mortalité que la population générale. reur, plutôt que d ' utiliser une table géné-

32 Tangente Hors-série n°57. Les maths des assurances


ASSURANCE VIE

rale de population, se base sur ses propres En vue de prendre en compte cette
statistiques pour établir une table de dimension d'évolution temporelle, les
mortalité qui lui est propre et qui est actuaires utilisent des tables dites pros-
adaptée à rythme régulier. pectives, qui dépendent non seulement
de l'âge mais aussi de la génération à
Éuolution de la longéuité laquelle l'assuré appartient (tables par-
et tables prospectiues fois appelées « par génération »). Cette
façon de procéder oblige évidemment
Les tables de mortalité classiques telle l'actuaire à faire des prévisions quant
que définies précédemment sont une à l'évolution future de la longévité . Les
photographie à une date donnée des conditions de survie entre 60 et 65 ans
conditions de survie d'une population . d'un assuré aujourd'hui âgé de 20 ans
Extrapoler dans le futur les chances de (donc né en 1996), seront différentes
survie d'un individu sur ces bases revient de conditions actuelles de survie des
à considérer que la mortalité par âge personnes entre 60 et 65 ans ; elles
demain sera identique à celle observée seront aussi différentes des conditions
aujourd'hui. de survie dans cette même classe d'âge
Considérons par exemple une personne pour quelqu'un âgé aujourd'hui de 45
âgée aujourd'hui de 20 ans . Pour cal- ans (donc né en 1971). Elles doivent
culer sa probabilité de survie entre 60 et donc faire l'objet d'une projection,
65 ans, on va se baser sur les condi- tenant compte à la fois des conditions
tions de survie des personnes ayant de survie actuelle et de la tendance à
aujourd'hui entre 60 et 65 ans ! Il est l'amélioration de la longévité. On en
clair pourtant qu'en 40 ans, la longévité vient donc à développer, par cohortes,
risque d'évoluer ! Sa mortalité ne sera une table de mortalité spécifique qui
pas celle des seniors d'aujourd'hui. est indicée sur l'année de naissance.
À titre d'exemple , le tableau ci-dessous Les tables ainsi construites sont à deux
donne, pour la Belgique et la France, dimensions : l'âge et l'année de naissance
l ' évolution par sexe (H = hommes, de chaque individu. Mais ceci est une
F = femmes) du quotient de mortalité autre histoire.
qx pour 3 catégories d'âges (sources : P.D.
statistiques INS et INSEE) lors de la
première décennie de ce siècle ; il montre
clairement que la mortalité est un phé-
nomène évolutif dans le temps, même à
relativement court terme :

France 2000 F France 2010 F Belgique 2000 F Belgique 2010 F


q20 0,000370 0,000240 0,000450 0,000244
q65 0,007220 0,006230 0,009264 0,008814
qso 0,077840 0,061740 0,102255 0,082556

France 2000 H France 2010 H Belgique 2000 H Belgique 2010 H


q20 0 ,001100 0,000690 0,001266 0,000775
q65 0,018270 0 ,014470 0,019861 0,016106
qso 0,117430 0 ,097830 0,143742 0,119851

Hors-série n • 57. Les maths des assurances Tangente


EN BREF par H. Lehning et D.Justens

John Graunt :construire une II table de survivants n


On ignore comment les spéculations sur la durée dans les six premières années 36,
de vie de l' humanité se sont progress ivement dans la décennie suivante 24,
transformées en considérations sur la durée de dans la deuxième décennie 15,
la vie dans un groupe plus limité. En 1662 parut dans la troisième décennie 9,
Natural and Political Observations, une étude dans la quatrième 6,
de la mortalité dans la ville de Londres , signée dans la suivante 4,
John Graunt. Voici la traduction littérale du para- dans la suivante 3,
graphe décrivant la co nstruction d'une table de dans la suivante 2,
survivants comparable à celles que nous utilisons dans la suivante l.
aujourd'hui: Il s'ensuit que sur 100 personnes conçues, il en
« Puisque nous avons trouvé que sur cent concep- reste, au bout de six années pleines 64,
tions prises au départ, à peu près trente-six au bout de l6 ans 40,
~ :'P'1 .tnd 'PJ.m~l
n 'atteignent pas l'âge de 6 ans, et que peut-être OBSERVA TIONS au bout de 26 ans 25,
une seule survit à 76 ans, ayant sept décennies au bout de 36 ans 16,
entre 6 et 76 ans, nous avons recherché six Bills of Morc.a!icy. au bout de 46 ans 10,
moyennes proportionnelles entre 64, ceux au bout de 56 ans 6,
Cm.1ta .,f
qui sont encore vivants à 6 ans, et l'unique L ONDON, au bout de 66 ans 3,
survivant à 76 ans, et nous trouvons que les au bout de 76 à 80 ans O. »
nombres suivants sont pratiquement assez ,_.,,.._,1,,~... -
- 1,;.. ,,.,.,__,.,T-,H, t,J.,,.

près de la vérité car les hommes ne ,neurent


- --
Lo•" Do N.

h,o::.;~t1J:._~~.'::}iiF'R~:-~:;r,·
pas selon des proportions exactes, ni selon
des.fi·actions. De là procède la table suivante,
à savoir que sur 100 il en meurt:

L'espérance de vie est un concept étrange et généralement mal compris: elle ne représente
en rien une quelconque moyenne de durée résiduelle de vie ! Prenons une personne de
20 ans. Étudions pendant deux ans les taux de mortalité observés des personnes de 20 ans
et plus dans une population donnée. Ceci se fait en notant, pour chaque catégorie d'âge
x, le taux de décès observé qx, calculé entre deux anniversaires successifs (ce qui explique
pourquoi il faut deux ans). C'est à partir de ces taux que l'on va déterminer l' « espérance de
vie». Le problème est que ces taux de mortalité ont été mesurés dans une population don-
née à un moment fixé. Or ces observations évoluent. Depuis plus d'un siècle, les taux de
mortalité ont considérablement baissé, et cela de manière non uniforme. Dans quarante
ans, notre individu aura 60 ans. Rien ne permet d'anticiper aujourd'hui ce que sera dans
quarante ans le taux de mortalité d'une personne de 60 ans. Les modèles projectifs les
plus audacieux tentent d'anticiper l'évolution des mortalités des dix ou vingt prochaines
années, sans certitude de validation. Or l'espérance de vie de notre jeune de 20 ans au-
jourd'hui est calculée au moyen du taux de mortalité des personnes de 60 ans aujourd'hui !
Le calcul effectué, même s'il est étayé au moyen d'un raisonnement mathématique, n'est
en rien représentatif d'une quelconque réalité.

Tangente Hors-série n°57. Les maths des assurances


EN BREF

Multiplier et diviser au xv11° siècle


On a beaucoup spéculé sur l'origine des chiffres proposés par John Graunt dans son ouvrage
Natural and Political Observations pour construire la base du premier modèle de table de morta-
lité (voir ci-contre). Plusieurs méthodes différentes de reconstitution ont été proposées, la plupart
fondées sur des séries géométriques de raison 0,63 ou 0,625 (soit 5 / 8). Cette dernière fut avancée
par le statisticien britannique Karl Pearson (1857-1936). Aucune ne donne une reconstitution
convaincante. Il convient de se poser la bonne question : comment calculait-on à l'époque?
Le chiffre initial « 64 » met sur la piste. Il représente six multiplications successives par 2. Or,
au xvue siècle, la duplicatio (multiplication par 2) et la manducatio (division par 2) étaient encore
considérées comme des opérations au même titre que nos quatre opérations usuelles. Pour prendre
64 % d'un nombre donné, il suffit de le multiplier six fois de suite par 2 et de diviser le résultat par
100 (en supprimant tout simplement les deux derniers chiffres). En procédant ainsi, on reconstitue
presque exactement la table des Observations. Vérifions-le : en multipliant (de manière moderne)
64 par 0,64, on obtient 40,96, mal arrondi à 40. En multipliant 40 par 0,64, on obtient 25,6, mal
arrondi à 25 et ainsi de suite. La première table de mortalité fut tout simplement une suite géomé-
trique de raison 0,64 calculée de manière approximative !

La table de Duvillard Beniamin Gompem


Emmanuel-Étienne Duvillard (1755-1832), un Benjamin Gompertz (1779-1865) est un ma-
économiste suisse qui travailla un temps avec thématicien britannique. Issu d'une famille qui
Turgot, publia une table de mortal ité au début du avait quitté la Hollande pour s'établir en Angle-
x1xe siècle. Son but n'était ni la démographie, ni terre, il fut refusé à l'université en raison de ses
l'actuariat, mais de prouver l'intérêt de la vacci- origines juives. Étudiant les mathématiques en
nation en étudiant l'influence de la variole sur la autodidacte, lisant « dans le texte » Newton et
mortalité. Voici un extrait de cette table : Mac Laurin, il devint membre à 18 ans de la
Société mathématiques de Londres et à 40 ans
« Fellow » de la Royal Society. Parallèlement à
ÂGES VIVANTS
ses travaux mathématiques (il publia en 1850
0 1 000000
un livre remarqué, Hints of Porism) , il s'inté-
20 502 216 ressait à la bourse et collaborait à une compa-
40 369404 gnie d'assurance. Gompertz s'impliqua égale-
60 213 567 ment à l'astronomie (il fut membre de la Royal
Astronomical Society) , et calcula avec Baily les
80 34 705
positions de 3 ooo « étoiles fixes » .
100 207 Il créa aussi la Royal Statistical Society et
La table de Duvillard, datée de 1806, c'est dans le cadre du congrès international de
est l'une des premières tables de mortalité à avoir statistiques de 1860 qu'il publia ses travaux
été publiées. L'extrait présenté ici explicite, sur l'application du calcul différentiel à l'éva-
tous les vingt ans, le nombre de survivants d'une luation de l'espérance de vie et sur le modèle
même génération suivant leur âge. d'évolution du taux de mortalité qui porte au-
jourd'hui son nom. Il mourut alors qu'il était, à
Selon la table de Duvillard, parmi 1000000 d'en- 86 ans, en train de rédiger un article comman-
fants nés une même année, 502 216 vivent encore dé pour le journal Proceedings of the London
à l'âge de 20 ans, 369 404 à 40 ans, etc. Mathematical Society.

Hors-série n°57. Les maths des assurances Tangente


ACTIONS par Daniel Justens

Hjuster les tables de mortalité


auM obseruations
L'observation d'une population pendant deux ou trois ans
permet le calcul des taux de mortalité associés à chaque
catégorie d'âge. Ces observations sont généralement non
régulières. Comment les lisser en les ajustant à un modèle
cohérent et interprétable ?

E
n observant une population semblent pas significativement diffé-
pendant deux ans, on peut, pour rentes. En fait, le graphique ne per-
chaque catégorie d'âge naturel met pas de visualiser des différences
x, comptabiliser exactement le nombre néanmoins significatives étant donné
de décès occurrent entre deux anniver- les différences d'ordre de grandeur
saires successifs et donc estimer des des mesures, variant de quelques pour
taux de décès, noté qx. La même opé- 10 000 à plusieurs di zaines de pour-
ration peut être effectuée sur trois ou cents. Un passage aux coordonnées
quatre ans de manière à obtenir deux semi-logarithmiques est donc indi s-
ou trois observations que l'on peut lis- pensable (voir encadré).
ser par moyenne arithmétique ou pon-
dérée (en tenant compte par exemple Ce type de modèle a été introduit
des effectifs). Le graphique ci-dessous, vers 1860 par l'actuaire britannique
disponible sur le site de l ' Insee, repré- William Matthews Makeham (1826-
sente ces taux de mortalité en France, 1891) et est souvent utilisé en assu-
pour l 'ensemble de la population, rance vie. Il consiste à considérer
tous sexes confondus, au voisinage de non les taux de décès, mais bien leur
l' année 2010 (observations effectu ées représentation instantanée. À partir des
entre 2009 et 2011 ). taux de décès observés, on modélise
l 'évolution d ' une population fictive
Taux de mortalité France 201 O La tendance à la crois- d' individus qui obéiraient aux obser-
sance exponentielle vations que l'on vient d'effectuer.
semble manifeste Partant d'une population de cardinal
mais les observations l0 = S0 = 100 000 (ou 1000 000), on
des taux de motta- construit une « table de survivants » à
lité associées aux l'âge x, notée lx ou Sx, de la manière
moin s de 50 ans ne suivante : Sx + 1 = (1 - q) Sx = P.,Sx,
© In stit ut nati o na l de la sta ti stiq ue et de s étud es é co nomiques

Tangente Hors-série n°57. Les maths des assurances


Changer les échelles pour mieux visualiser
Les graphes des fonctions exponentielles x .... a' (où a> l) ont une forme caractéristique ... qu'ils
partagent avec les graphes d'autres fonctions, comme celle des fonctions puissances de type x .... x1 .
Pour les distinguer visuellement, on utilise une échelle semi-logarithmique, c'est-à-dire une échelle
ordinaîre en abscisse et une échelle logarithmique en ordonnée. Cela signifie que, pour tracer le point
(x, y), on porte x en abscisse et z tel que
appelé le logarithme décimal de
y= wz en ordonnée (z est
y et noté z= log y). Les graphes des
. ..
. . . . ..
fonctions exponentielles sont alors des droites ! Cette transformation
appliquée aux données de l'lnsee donne le graphique suivant.
Une « courbe en J » apparaît, perturbée par une bosse qui concerne
les 15-25 ans, à laquelle les actuaires ont donné le nom de« bosse
·des accidents et des suicides » et qui est essentiellement le fait des in-
dividus de sexe masculin dont le comportementadolescent est hélas bien connu. On note également
une modification de tendance au voisinage de 65 ans.
•. • • . • . 1 •
Ce modèle sous-estimant drastiquement certains taux de morta-
lité ne peut évidemment être retenu. Il convient de se limiter aux
obseryatiqns concernant la seule population des assurés, donc des
individus majeurs. Une autre tendance apparaît alors.
On se dirige vers une représentation exponentielle (linéarité en
coordonnées logarithmiques) corrigée par la présence d'un taux
de mortalité minimum, non lié à l'âge,'que l'on peut attribuer par
exemple aux décès accidentels, encore que cette hypothèse soit en
contradiction avec les faits : les plus jeunes sont victimes de plus
d'accidents de la route que leurs aînés.
H.L.&D.J.

expression dans laquelle les P, repré- Le modèle de Makeham propose un taux


sentent les « taux de survie » de de m01talité instantané qui est la somme
la population étudiée . En tablant sur d'une constante (qui pomrnit représen-
l'existence d'une fonction continue et ter les accidents arrivant uniformément
dérivable de survivants (nous sommes à chaque âge) et d'une fonction expo-
dans un monde virtuel !), on définit un nentieUe croissante de l'âge modélisant
taux instantané de mortalité : les effets du vieillissement. Le paramètre
µ = !irn S x - S,+6., = -1 X dS , c( > 1) exprime le factem d'accroissement
x 6.x-0 t...xs, Sx d.x ' de mo1talité par an : µx=A+ Be' avec A et
qui quantifie bien le taux de décès B deux constantes positives. L'intégration
observé instantanément par unité de issue de cette modélisation conduit à :
temps. Pour /::;.x = l , on retrouve les
S x = k exp( - Ax). exp(- l~c c' ),
taux de décès qx. Le signe moins
apparaissant dans l' expression finale avec k une constante positive. On note
compense le caractère décroissant de cette fonction Sx ~ ks'gc' (avec s et g
la fonction S .
X
deux constantes positives adéquates).

Hors-série n°57. Les maths des assurances Tangente


Sl' ACTIONS Ajuster les tables ...

On peut voir l'exponentielle s' comme régression linéaire simple dont on peut
une représentation du taux de survie mesurer objectivement la pertinence
aux accidents pendant x années, indé- par sa détermination (pourcentage de
pendamment de l'âge et des maladies. variance expliquée par le calibrage et
Les deux exponentielles successives le modèle). On retient donc la valeur
imposent deux passages aux loga- s qui maximise cette détermination.
rithmes successifs. Pour plus de com- Dans le cas de notre échantillon, les
modité, on peut convenir de travailler observations transformées sont effecti-
avec les quantités 1 / P, qui, strictement vement presque linéaires et conduisent
supérieures à 1, vont permettre ce à une détermination maximale de
double passage sans trop de précau- 99,5 % pour s = 0,999696. Le modèle
tions. En utilisant les notations précé- est visualisé ci-dessous (graphique 1).
dentes, on trouve :
1 - J c"- cx+ I La fonction détermination prend en
7-----;g effet un maximum unique dans l'inter-
Un premier passage aux logarithme valle de définition des, comme on peut
livre: le voir sur le graphique 2.
1n( ;J =- lnpx = - lns + cx(l - c) lng.
L'équation obtenue permet le calibrage
Il faut à présent supposer que le taux du modèle. L'équation retenue est
de survie est inférieur au taux de sur- Y = 0,097119237 X - 10,78243,
vie par accident, ce qui semble intui- qui nous permet de calculer
tif (mais non nécessairement observé c = e0 -097 119237 = 1, 10199 .. . Le modèle
expérimentalement !). Cette hypothèse table donc sur une croissance d'un peu
permet un second passage aux loga- plus de 10 % par an du taux de morta-
rithmes, qui fournit : lité, ce qui est loin d 'être négligeable !
ln (lns - lnp) = xlnc + ln ((1 - c)lng). On calcule enfin :
Cette expression permet de recourir à la - 10, 78243)
g = exp ( = 0, 99979646 ...
méthode de régression linéaire simple, 1_ c
pourvu que l'on ait une « idée » de la Quant à la constante d' intégration k,
valeur du paramètre s. C'est le cas, elle s'ajuste évidemment en fonction
puisque ce taux de survie par accident de la population initiale arbitraire choi-
doit être strictement supérieur à tous les sie, /0 . On représente enfin ce que
taux de survie observés et qu'il est for- donne notre lissage en le comparant
cément strictement inférieur à 1. Ceci aux observations. La rupture de ten-
nous livre une fourchette étroite dans dance observée entre les moins et les
laquelle faire varier le paramètre. Pour plus de 65 ans est bien visible.
chaque valeur de s, on effectue une D.J.

Graphique 1. Graphique 2. Graphique 3.


Détermination en fonction de "s"
Comparaison entre le modèle (en rouge) t_·
etlffi OOooMilloos .

······•1~1 " 0,0971192366" -


R2 = 0,994788604
10,7824301373 ____/_I1
Tangente Hors-série n°57. Les maths des assurances
par Hervé Lehning EN BREF

Calculs tontiniers
La tontine est un système de mutualisation de l'épargne avec
répartition des bénéfices aux survivants. Elle peut servir à
illustrer les rouages les plus simples des calculs d'actuariat.

Calculs tontiniers et actuariat


[maginons une to ntine partic uli è re afi n d 'analyser sim-
plement les calculs cl ' actuari at. Si l'on place l 000 €
au tau x de 3 % l ' an pe ndant vingt ans, après une année,
le capital est de 1 000 x l ,03 . Après cie ux an s, il est de
1 000 x 1,03 2 . Et ains i de suite : les intérêts se composent
et, au terme de l ' échéance, o n dé tie nt un capital e n euros
égal à 1000 x 1,0320 so it 1806,11 €. Imagino ns mainte-
nant qu ' un grand no mbre de personnes de 40 ans mutua-
lisent le ur éparg ne de la faço n sui vante : chacun verse
1000 € et, après ving t ans, les surviva nts se partage nt
le capital. Combi en to uc heront-il s ? Le monta nt dé pend
avant to ut du no mbre de personnes e ncore vivantes à
l' échéa nce. Comme cette macabre prédictio n est impos-
sible à réaliser, on fa it a ppe l à une table de mo rtalité. Elle
fournit une estimatio n du no mbre de personnes vivantes
clans une classe d ' âge à un mo me nt do nné.
À l'aide des chiffres que contient la table de Duvill ard
(voir page 35), prise comme référence, il devient pos-
sible de reprendre le calcul sur le capital dispo nible après
mutualisation de l'épargne. On lit en effet qu 'en moyenne,
pour 369 404 personnes mutua lisant le urs éparg nes, seules
213 567 en bénéfi cieront. Après vingt ans, e ll es to uche-
ront ainsi la somme de 1806, 11 € multipliée par 369404,
à paitager en 2 13 567 parts égales . Tous calculs fa its,
chaque survivant devrait obtenir ainsi 3 124 €.
Simple, voire simpli ste, ce ca lc ul illustre le trava il
acco mpli par les actua ires auprès des compagnies d'as-
surance-vie. E n effet, celles-c i ne fo nt rie n d 'aut re que
de mutualiser l' épai·gne de leurs adhérents. Les calcul s
qu 'elles effectuent re posent aussi sur des tabl es de mo r-
talité. Par exempl e, si une compag ni e s 'e ngage à paye r
une somme de 1 000 € e n cas de survie après vingt ans,
la prime de base pour une pe rsonne de 40 ans do it être
de 1000 € di visé par 3,124, soit 320,10 €. Ce à quo i i l
faut ajouter les frais et la marge de la compag nie d ' as-
surance-vie 1

Hors-série n°57. Les math s des assurances Tan gen t e


ACTIONS par Pierre Devolder

la tarification
des assurances uie classiques
Les couvertures d'assurance vie sont des outils privilégiés
pour qui veut acquérir un bien immeuble, protéger sa famille
ou se garantir un avenir confortable. Comment tarifer des
contrats à long terme dans un univers financier instable, pour
des populations dont les conditions de survie évoluent à tout
moment?

L
es actuaires classen t généra- L' ass ureur promet une somme fixe
leme nt les produits d ' assu- en cas de survenance d ' un évène-
rance vie en plusieurs fa milles. ment aléatoire lié à la vie de l'assuré
Voyons ici les assurances vie clas- (décès, survie) ; l'assuré s'engage,
siq ues. Il s'agit en fait de produits lui , à verser des primes, fixées dès le
proposés par les assureurs depuis plu- départ. Ces produits présentent une
sieurs siècles ! Ils sont basés sur des assez grande rigidité : le client doit
engagements bien précis de la part de payer sa prime à date fixe, sans faci li-
l' ass ureur et du preneur d' ass urance. tés de paiement éventuelles et, de son

Tangente Hors-série n°57. Les maths des assurances


ASSURANCE VIE

côté, l'assure ur ne peut modifier ses


Une grande variété
conditions en cours de contrat. Il doit
payer le capital garanti , mê me lorsque
d'operations viagères
l'environne ment financier ou démo- Prenons le cas d'une personne de 30 ans qui, lors de
graphique a profondément changé. Ces sa retraite à 65 ans, aimerait percevoir un capital de
contrats offrent de grandes garanties 100000 € si elle est encore en vie à ce moment. En cas
aux clients. de décès avant 65 ans, rien ne sera à verser par l'assu-
reur, le contrat s'éteint en même temps que le client.
En vue de calculer le prix de produits
Le candidat désire financer ce produit par trente-cinq
tels que les opérations viagères (vo ir
primes annuelles constantes à payer en début de chaque
e n encadré), on se base sur un principe
d ' équivalence entre les engagements année, entre 30 et 64 ans, s •il est encore en vie. Il s'agit
de l' assureur et ceux de l' assuré : le là d'une opération viagère dite en cas de vie et appelée
principe de l'équilibre actuariel. Cette capital différé.
loi est une généralisation directe du Considérons ensuite une personne de 45 ans qui, en
concept d 'équilibre comptable clas- cas de décès entre 45 et 50 ans, aimerait que sa famille
sique (« recettes = dépenses ») mai s touche un capital de75000 €. Si elle est encore en vie à
en prenant en compte deux éléments
50 ans, l'assureur ne doit rien ,verser et le contrat s'éteint.
supplémentaires propres aux produits
Le contrat devrait être financé par une prime unique
d ' assurance vie : l'actualisation finan-
cière (les montants sont redevables à versée immédiatement. Il s'agit dans ce cas d'une opé-
des dates futures) et la probabilité de ration viagère dite en cas de décès et appelée assurance
paiement (les montants ne sont pas temporaire.
certains mais liés à des évènements Envisageons encore un troisième cas, celui d'une per-
aléatoires). Les actuaires parlent de sonne de 65 ans qui vient de toucher un capital de
valeur actuelle probable des engage- 100000 €. Plutôt que de consommer directement ou
ments. Plus précisément, dans les pro- d'investir cette somme, elle préfère la convertir en un
duits classiques, les engagements de
. revenu régulier constant payable à la fin de chaque mois,
l' assureur peu vent être représentés par
des flux financiers (cash .flows) futurs
jusqu'à son décès. Le paiement par l'assureur s'aITête au
fixes à paye r dans certaines circons- moment du décès et le contrat s'éteint. Il s'agit ici d'une
tances (capital à payer en cas de vie de opération viagère dite en cas de vie et appelée rente via-
l'ass uré , en cas de décès , rentes en cas gère (immédiate).
de vie). Ces flux financiers présentent
trois caractéristiques : il s sont fixes en du client peuvent se représenter par des
montant, il s so nt incertain s quant à leur flux financiers futurs à payer et présen-
survenance et ils sont payables dans tant les trois mêmes caractéristiques
un avenir plus ou moins lointain. Les que ceux de l' ass ureur. Le principe
engagements de 1'ass uré se présentent de ! 'équilibre actuariel prend la forme
sous fonne de primes fixes à payer à suivante :
l'assureur. Il peut s'agir d ' une seule
prime payée à l ' origine du contrat valeur actuelle probable des flux
(prime unique) mai s on peut préférer financiers à payer par l' assureur
des primes périodiques à payer à date
fixe , chaque année, tant que l' assuré vit valeur actuelle probable des flux
(p rimes annuelles). Les engage ments financiers à payer par l'assuré.

Hors-série n°57. Les maths des assurances Tangente


ACTIONS La tarification ...

le sel et le poiure de l'assurance uie valeur probable de 100000 € x 45 p20'


soit 100 000 x 839 161 / 987 349, soit
En termes mathématiques , il s'ag it de encore 8499 1 € .
calcu ler l'espérance actualisée à l' ori-
gine des engagements des deux parties, Âgex Survivants
ce qui permet de calcu ler les primes
0 1000000
des différents types de produits. En
vue de calcu ler ces valeurs actuelles l 999415
probables, ! 'actuaire va utiliser deux 2 998 827
ingrédients de base qui sont « le sel et 20 987 349
le poivre» de l'assurance vie.
21 986616
Voyons le point de vue financier
d 'abord. L'assureur va prendre en 64 850437
compte un taux d ' intérêt technique, 65 839161
qui va jouer .le rôle de taux d 'actualisa- 66 826964
tion des flux financiers futurs à payer
67 813 786
par l ' assureur et l' assuré; noton s i ce
taux d' intérêt. Le facte ur d ' actualisa- 85 366772
tion v l"J qui en découle, à appliquer 100 16452
sur n années, est alors égal à 1/ ( l +i) ". 110 23
Ainsi, un montant fixe et certain de
100000 € à payer par l' assureur dans En combi nant les effets financiers
quarante-cinq ans aura, pour un taux (actuali sation) et viagers (conditions
d'intérêt de 2 %, une valeur actuelle à de survie) , on obtient la valeur actuelle
l'origine égale en unités monétaires à probable de l'engagement « Payer
100000 / (l,02)45, soit 41020 €. 100000 € dans quarante-cinq ans en
Voyons à présent le point de vue via- cas de vie d ' un assuré âgé aujourd ' hui
ger. L' assureur utili se une table de de 20 ans » :
mortalité, qui va permettre de mesurer 100 000€ X v<
451
X ,; P 20
les probabilités de survie ou de décès 1 839 161
telles que nécessaires dans le produit = [00 000€ X l 02 45 X
987349
'
à tarifer. On note traditionnellement = 34863€
( voir 1'article sur les tables de mortalité
en début de dossier) L, ou S, le nombre maths et calculs garantis
de survivants à l'âge x d'une certaine par l'assureur!
table de mortalité. On en déduit la
probabilité ,,P, d'être encore en vie L'ensemble formé par le taux d ' inté-
après n années pour un indi vidu d ' âge rêt technique et la table de mortali-
x (,,P, = L,+,, / L) , ainsi que la probabilité té constitue les bases techniques du
qx pour une personne d'âge x de décé- produit. Dan s ces produits classiques ,
der dans l'année (q, = CL, - lx+) / L). les bases techniques ne so nt pas que
Ainsi, un montant fixe de 100000 € des interméd iaires de calcul : ils sont
à payer par l' assureur en cas de vie garantis par l' assureur ! Ainsi, si ce
dans quarante-cinq ans d'un assuré âgé dern ier calcule une prime à l'aide d'un
aujourd ' hui de 20 ans aura, sous une taux d'intérêt technique de 2 %, il ne
certaine table (voir ci-dessous) , une pourra pas , au cours du contrat, revoir

Tan9ente Hors-série n°57. Les maths des assurances


ASSURANCE VIE

à la baisse ce taux si ses placements ne


génèrent pas un tel niveau de rende-
Les assurances décès :
ment. Les flux financiers sont fixes et l'incenitude du moment du paiement
non susceptibles d'être revus. Compte Les assurances décès prévoient un versement en cas de
tenu de cette garantie importante, sou- décès de 1' assuré. La forme la plus simple de ce type
vent sur des durées très longues, on
de couverture est l' assurance temporaire un an, qui
comprendra que l' assureur sera parti-
consiste à couvrir l'assuré en cas de décès dans l'année
culièrement prudent quant au niveau
de ces bases techniques. Elles seront qui vient, en garantissant s'il y a décès Je paiement aux
souvent en dessous des conditions héritiers d'un capital donné. Si l'assuré survit après un
réelles a posteriori. En vue de com- an, l' assureur ne verse rien. Outre l 'inceititude sur la
penser cet effet, il offrira généralement survenance ou non du paiement, une deuKième .inconnue
un complément aux assurés sous forme apparaît ici : le moment du paiement. Deux modalités
de participation bénéficiaire ... peuvent s'envisager : soit le paiement a lieu à la fin de
l'année d'assurance, soit le paiement se fait juste après
Appliquons ces principes de calcu l à
le décès. Dans le premier cas, la prime unique pure sera
quelques produits. Le capital différé
consiste à garantir une somme fixe do1rnée pour un assuré d ' âge x à la souscription par l'ex-
à une date future donnée (appelée le . _ l, - lx+ l 1 D l d
pression q, v - lx X (
1
+ i). ans e secon cas,
terme) en cas de vie de 1'assuré à ce
moment. En cas de décès prématuré de comme on ignore le moment précis du décès , on suppose
l' assuré avant le terme, l'assureur ne qu'en moyenne on paie en milieu d ' année d'assurance
paie rien. Cette opération est parfois (ce qui revient à supposer des décès uniformément répar-
appelée capital différé sans rembour- tis dans l'année) , et on calcule :
sement. On peut considérer ce produit
d' assurance vie comme une générali- a, / 1/2) = l, ~ : x+l X 1
1 ( 1 + i)'/2 .
sation du concept de zéro coupon en
finance (obligation payant une somme On peut aussi envisager une couverture en cas de décès
unique à une maturité fixée). Pour un dans les n prochaines années. On parle alors d'assurance
capital unitaire de 1 € , pour un âge temporaire. La prime unique pure A d'une assurance
initial x et une durée n, la prime unique temporaire souscrite à l'âge x pour une durée n et un
pure ,, E.r de cette opération, calculée capital unitaire, payé au moment du décès, si celui-ci se
selon le principe d'équivalence, sera produit entre l'âge x et l'âge x + n, se calcule ainsi :
donnée par:
nA.\ = lx - lx+ l V(l / 2) + lx+ J - lx-2 \/(3/ 2)
E _ <"> _ l,+,, 1 lx lx
,, , - ,, p , xv -yx (l+i)" '
+ + lx+n- 1- lx+n (n- 1/ 2)
La rente viagère est un produit consis- ... lx V

tant à verser à intervalles réguliers (par On peut enfin envisager une assurance décès de type
exemple une fois par an) un montant vie entière, qui paie un capital fixe au décès, à quelque
fixe a tant que l'assuré est en vie. moment que celui-ci se produit. Dans ce cas, l'assureur
L'opération s'arrête à son décès. Si paie dans tous les cas, l'incertitude étant le moment de
l'on envisage par exemple un rente ce paiement. La prime unique pure a la même forme que
constante de 1 € payable à la fin
celle de l'assurance temporaire mais la somme, plutôt
de chaque année pour un assuré âgé
que de s'arrêter après n termes , se pomsuitjusqu'à l'âge
aujourd'hui de x années, on aura a_r =
Px V + 2Px v<2> + 3Px v<3 ) +. . . (la somme
ultime de la table de mortalité.

Hors-série n°57. Les maths des assurances Tan9ente


ACTIONS La tarification ...

se poursuivant jusqu ' à l'âge ultime


de la table de mortalité). Chaque élé- Âgex Survivants
ment de cette somme est un capital
60 887519
différé. On peut donc voir une rente
viagère comme une molécule consti- 61 879339
tuée d'atomes de capitaux différés : 62 870468
ax = IE.r + 2E.r + 3E.r + ... 63 860853
64 850437
Les assurances dites de genre mixte
mélangent deux types de produits, les 65 839161
opérations en cas de vie de l'assuré et 66 826964
les opération s en cas de décès (voir en 67 813786
encadré), en prévoyant des paiements
tant en cas de vie qu ' en cas de décès.
On peut par exemple songer à un En utilisant par exemple un taux tech-
produit souscrit à l' âge de 40 ans et nique de 2 % et la table de mortalité
prévoyant d'une part en cas de décès ci dessus entre 60 et 65 ans , il vient
avant l'âge de 60 an s un capital de pour le calcul de la prime unique
100000 € et en cas de survie à l' âge de sur cet exemple : 100000 € x 5E 60
60 ans un capital de 150000 €. Un tel = 100000 € X (839161 / 887 519) /
produit est évidemment une combinai- 1,02 5 , soit 85638 €.
son d ' un capital différé et d ' une assu- Mais l' assuré pourrait préférer payer
rance temporaire et sa prime unique par cinq primes annuelles constantes
pure s' obtient facilement en addition- payées entre 60 et 64 ans (en début de
nant les primes des deux « atomes » le chaque année) . La prime unique calcu-
constituant. lée ci-dessus peut s' interpréter comme
la valeur actuelle probable à 60 ans des
Le choix de l'assuré engagements de l'assureur. On peut
de même calculer la valeur actuelle
Plutôt que de verser en une seule foi s probable des engagements de l' assuré
la prime unique à la souscription du constitués par le paiement de cinq
contrat, l' assuré peut préférer répartir primes (inconnues !) notées p entre
l'effort sur toute la durée du contrat 60 et 64 ans (tant que l' assuré reste
et payer une prime constante en début en vie). Cette seconde valeur actuelle
de chaque année, tant qu ' il est en vi e probable de cinq primes futures peut
et que le contrat se prolonge. À titre à nouveau se voir comme une somme
d'exemple, prenons le cas d'un capital de capitaux différés et est donnée par
différé : un assuré âgé aujourd ' hui de p X (1 + IE60 + 2E 60 + 3E 60 + 4E 60).
60 ans désire recevoir en cas de vie à En égalant les engagements de l'as-
sa retraite (fixée à 65 ans) un capital sureur et ceux de l'assuré, on obtient
de 100000 € . La prime unique cor- ainsi la valeur de la prime annuelle p :
respondante (en euros) peut être payée
à 60 ans en une seule fois et est alors p = 100000€
égale à X 5 E 50
1 + 1 E Go + 2E 50 + 3fü o + 1 E 60
i:: x (l~i)
.
lO0000x 5 .

Tangente Hors-série n°57 . Les maths des assurances


ASSURANCE VIE

Le calcul de la prime annuelle


La prime annuelle constante payée en débu t de chaque année pour un
capital unitaire différé, souscrit à l'âge x po ur une durée n, se calcule de
la même manière que l' exemple vu dans le texte, où n était p ris égal à
cinq années. Le même raisonnement fo urn it ainsi l 'expression générale
suivante pour la prime annuelle :
. nEx
prune= .
1 + I E, + 2 Ex+ 3 Ex+ .. , + x- 1 Ex
L a mêm e logique de p assage de la prime unique aux primes annuelles
pe ut s'appliquer aux autres produits, telles les assurances temporaires ou
les assurances de genre mixte. Il est également possible d ' envisager des
primes mensuelles payabl es à la fi n de chaque mois.

Le déno minate ur 1 + 1E 60 + pourcentage de la prime, en réduction


E + 3E 60 + 4 E 60 de cette frac tion est
2 60
du tau x garanti ... On en arri ve alors
en réalité une rente viagère immédiate à la notion de primes commerciales,
et temporaire (de durée max imum de qu ' il faudra présenter à l' ass uré. M ais
cinq ans), on la note 5 a60 . En considé- ceci est un autre problème ...
rant un taux technique de 2 % et en uti-
lisant toujo urs la même table que plus P.D.
haut, on trouve que 5a60 = 4 ,7133 l .
Sous un ta ux d ' intérêt nul et en I' ab-
sence de mortalité, ce coeffici ent aurait
été égal à 5.
Dans notre exe mple , la prime
annuelle pure est fin alement donnée
par p = 85 63 8 € / 4 ,71 33 1, soit
18 169,40 € .

Les primes qui ont été ca lculées


sont appelées primes pures car elles
contiennent uniquement le pri x de l'en-
gagement, sans tenir compte des frais
de l' ass ureur. L' assureur peut en effet
appliquer des fra is d 'acquisiti on payés
à un intermédiaire, des frais de gestion
fi nancière, des frais de gestion admi-
nistrati ve, des frais d ' encaisse ment. . .
E n vue de les couvrir, l'actuaire aj oute
aux primes pures des chargements, qui
pe u vent prendre diffé rentes fo rmes :
en pourcentage du capital ass uré, en

Hors-série n°57. Les maths des assurances Tangente


SAVOIRS par Philippe Delfosse

Tables de mortalité prospectiues


Hnticiper l' auenir rationnellement
La longévité de la population est en amélioration quasiment
continue depuis la fin du XVIIIe siècle. Il peut être
raisonnablement supposé que des progrès seront encore
observés dans le futur. Dans les contrats d'assurance vie,
l'assureur doit anticiper tant l'évolution des tables de mortalité
que celle des taux de placement.

our les opérations de geme «v ie», de fair -valu e dans de fu tures normes

P l'assureur est confronté à un risque :


une mortalité mo ins impo rtante
que celle prév ue par son tarif. Travailler
intern ationales et le ni veau fa ibl e des
taux de placement des emprunts d'État
par rapport au taux technique (ou taux
sur la base d' une table construite sur un de capitalisation) devraient conduire à
recensement, même réce nt, qui ne tient une tarification plus précise du ri sque de
pas compte des évolu tio ns pro bables, longév ité pour les opérations viagères .
peut lui poser problème s' il n ' envisage Dans ce contexte, il est indi spensable de
pas une certaine marge de sécurité . s'atteler à la construction de tabl es de
Pour les opérations contractualisées avant mortalité prospecti ves. Deux méthodes
l' âge de la retraite , so uvent des ass u- sont présentées ici : la première se base
rances de capitaux, les probabilités de sur un modèle Poisson log-bilinéaire ;
survie intervenant dans les calcul s sont 1' autre consiste à projeter les paramètres
faibl es en comparaison du taux de capi- des modélisati ons class iques des tables.
talisati on. Cette situatio n est cependant Dans les deux cas, elles se bornent à
à nuancer actuellement , vu l'évolution et extra poler les te ndances du passé et ne
la tendance récente des taux dits « sans prennent pas en compte des événements
ri sque » qui sont et resteront sans do ute nouvea ux, te ls que l' apparition éven-
un certain temps vois ins de O. tuelle de nouvelles maladies, ou, a contra-
Jusqu 'ici, les taux de pl acement des der- rio , la mi se au po int de tra itements pour
nières décenni es avaient permis de com- des maladies jusqu ' à présent incurables.
penser largement les éca1ts entre les décès L' exemple qui suit a été calibré sur la
observés et les décès attendus. Ce ne sera base de l'évolution de la population belge
plus nécessaire ment le cas dans un ave- mais ce la ne nuit pas à la généralité de
nir proc he. L' introduction de la noti on la méthode .

46 Tangente Hors-série n"57. Les maths des assurances


Table de mortalité calculée avec un modèle II statique n
Espérance de vie Espérance de vie
à la naissance à65ans
Période Hommes Femmes Hommes Femmes
1880-1890 43,29 46,51 10,67 11,60
1928-1932 56,03 59,80 11,42 12,56
~246-1242 62,03 67,26 12,32 13,8z
1959-1963 67,15 73,18 12,43 14,83
1968-1972 67,78 74,20 12,09 15,28
1979-1982 70,03 76,80 12,94 16,91
r1 988-1920 72,42 z9,12 11,02 18,30
1991-1993 72,99 79,77 14,50 18,79
1994-1996 74,06 80,75 15,21 19,58
1997-1999 74,76 81,17 15,62 19,85

Si à la fin du XIXe siècle un nouveau-né pouvait espérer vivre 43,3 ans ou 46,5 ans, selon qu'il
était de sexe masculin ou féminin, un siècle plus tard, cette espérance atteint 74,8 et 81,2 ans.
De même, un travailleur atteignant l'âge de 65 ans et cessant ses activités professionnelles
peut espérer profiter de sa retraite pendant 15,6 ans (contre 19,9 ans pour une travailleuse)
dès la fin du xxesiècle, alors que leurs survies moyennes n'excédaient pas 10,7 et 11,6 années
un siècle plus tôt.

Un premier modèle, sans anticipation où q, est la probabil ité pour un individu


d 'âge x de décéder au cours de l' année .
Partant des recensements décennaux , la
Direction générale statistique et infor- Au moyen de ces tables de mortalité , on
mation économique (DGSIE), qui rem- peut calculer ce que l'on nomme « espé-
place depuis 2003 l'Institut national de rance de vie à l' âgex » de tout individu .
statistiq ue, ad resse régu liè rement des Cette notion qui est supposée donne r
tables de mortalité pour l' ensemble de la une est imation d u nombre moyen d ' an-
population belge. Les tables de mortalité , nées restant à vivre pour un individu
disponib les par sexe, donnent l'évo lu- d'âge x est à manipuler avec précaution.
ti on d ' un e population théorique de En effet , les probabilités de décès utili-
1000000 de nouveaux-nés en supposant sées dans le calcul sont le reflet du pré-
que le nombre de survivants à chaque sent et n' an ticipent en rien l'évolution de
âge est obtenu en appliqu ant les proba- la mortalité.
bilités de décès observés sur la popula-
tion concernée pendant la période Le tableau ci-dessus reprend l'évolution
d 'observation . de l'espérance de vie à la naissance et à
Le nombre de survivants d'âge x est 65 ans te lle que reflétée par les tabl es
notée traditionnellement ( ou S,. périodiques dressées par l'Institut natio-
On pose S0 =10 = 1000 000 nal de statistique (de 1880- 1890 à 1997-
et l' on construit la sui te en appliquant 1999). On constate les spectaculaires
la récurrence : améliorations de la mortalité au cours
S, = Sx-l X ( l - q,_ 1) du siècle dernier.

Hors-série n• 57. Les maths des assurances Tangente


SAVOIRS Tables de mortalité prospectives

Une nouvelle vision dynamique du dernier survivant des individus nés


l'année t ! Pour les autres cas concer-
des taux de mortalité nant des indi vidus vivants, qui sont en
fait les seul s utiles dans la pratique des
assura nces, il y a li e u d 'estimer leurs
probabilités de décès dans le futur. Pour
ce faire , une méthode consiste à expri-
mer les taux instantanés de mortalité à
La façon de déterminer la table de mor- l'âge x et à l' instant tau moyen d'une
talité relevait jusqu' ici d ' une vision sta- expression du type :
tique et repose sur l' hypothèse que la flx(t) = ea· + (3, x K ,
mortalité est figée. Pour déterminer l'es- dans laq uelle a, décrit le comportement
pérance de vie d'un nouveau-né, on uti- moyen des ,u/t) au cours du temps (en
lise la probabilité de survie à 25 ans échelle logarithmique) et où /3, décrit
obtenue en observant la mortalité de la (toujours en échelle logarithmique) l'écait
génération de son père et la probabilité des ,uJt) par rapport au comportement
de survie à 52 ans détermjnée sur la base moyen ax. Les âges x pour lesquels f3x est
des décès des co ntemporains de son grand seront donc très sensibles à l' évo-
grand-père . C'est cette approche trans- lution temporelle . Si les K 1 sont approxi-
versale qui est utilisée jusqu' à présent mativement linéaires, les taux de m01talité
pour la tarification. Si elle se révèle favo- instantanés p/t) présenteront une décrois-
rable à la sécurité des opérations en cas sance exponentielle à un taux constant.
de décès pour un ass ureur, elle est en La série K 1 décrit l' évo lution de la mor-
contradiction avec les observation s. talité au cours du temps. La création de
tables prospectives n 'entraîne donc que
flpproches trnnsuersale l'étude d' une seule série chrono logique
et longitudinale uni- variée. Pour obtenir une modélisa-
tion unique, on impose que la somme
Une vision plus dynamique est possible des (3, soit éga le à 1 et que la somme
en est imant la mortalité des individus des K 1 so it identiq uement nulle. Rappe-
non seulement en fonction de l'âge atteint lons que moyennant une hypothèse clas-
mais également en fonction de leur année sique sur la mortalité en cours d'année ,
de naissance. le lien entre le taux de mortalité in stan-
Dans cette approche dite « lon gitudi- tané (voir artic le dans ce numéro) et la
nale» , le nombre de survivants d'âge x probab iIité de décès au cours de l' année
nés au cours de l' année t peut être notée est donné par :
Sx(t + x) = lx(t + x),
avec comme plus haut p/t) = - ln [ l - q,(t)] .
Sa (n) = la (n) = l 000 000 et
Sx (x + n) = S,_ 1 (x + n - l) X Pour l'estimation des paramètres à par-
[l - q,_ 1(x + n - l )] tir des données brutes , il est supposé que
le nombre de décès observés d ' âge x au
où qx(1) est la probabilité pour un indi- cours del ' an née test distribué selon une
vidu d 'âge x de décéder au cours de l' an- distribution de type Poisson de moyenne
née [t , t+ l[ . 11Jt) x Lx,, où Lx,, est le nombre de per-
Les tables longitudinal es l, (t) ne sont sonnes d 'âge x au cours de l' année t . Les
év idemment observées qu ' après le décès estim ati ons du maximum de vraisern-

48 Tangente Hors-série n"57. Les maths des assurances


Table de mortalité calculée avec un modèle II mixte n
Espérance de vie Espérance de vie
à la naissance à65ans
Année Hommes Femmes Hommes Femmes
tl.25° 7tl,93 (61,82) 72,99 (62,9tl) tl.2,11 (11,28) t1.4,60 (tl.3,72)
tl.955 73,42 (66,47) Stl.,55 (7t1.,73) tl.2,tl.2 (tl.2,11) 14,98 (t1.4,23)
960 z4,28 (6z,oo) 82,62 (72,62) tl.2,09 (11,23) 15,36 (t1.1,11)
1965 75,01 (67,33) 83,58 (73,45) 12,19 (12,01) 15,90 (14,28)
970 z5,63 (67,36) 81,35 Cz3,74) 12,52 (11,96) 16,62 (15,06)
1975 76,54 (68,02) 85,29 (74,64) 13,01 (12,06) 17,45 (15,51)
(1.980 zz,zo (69,47) 86, 3 1 Cz6,16) 13,62 (12,61) 18,25 C16,3z)
1985 78,64 (70,62) 87,20 (77,57) 14,26 (13,08) 18,98 17,20)
(1.990 z2,62 (72,39) 88,0 3 cz2 ,20) 11,85 (11,00) 12,60 (18,22)
1995 80,28 (73,24) 88,66 (80,09) 15,34 (14,42) 20,14 (18,85)
2000 80,23 Cz4,47) 82,23 (8o,z8) 1s,z2 (15,01) 20,6z c1 2 ,3 1)

Le tableau ci-dessus présente les espérances de vie à la naissance et à 65 ans en utilisant des
tables statiques et prospectives en fonction de l'année de naissance.

D'autres méthodes du même type mais plus complexes combinent l'évolution de la morta-
lité d'un ensemble de pays européens de même niveau économique et la mortalité d'un pays
donné. Les actuaires belges, précédés par ceux des Pays-Bas, ont ainsi présenté en 2015 de
nouvelles tables de mortalité prospectives.

blance des paramètres a,, f3x et K , doivent dans l'immédiate après-guerre s'écar-
être obtenues à l' aide d ' un algorithme tent des observations voisines et d ' autre
itératif co mpte tenu de la présence du part les progrès de la médec ine (mi se
terme bi linéaire f3x X K 1. Cette méthode au point des sulfa mides et des antibio-
n ' im pose pas q ue to utes les do nnées tiques) ont modifié la mortalité de façon
so ient di sponibles pour tous les âges et significati ve.
toutes les années considérés , ce qui pe ut Des précaution do ive nt également être
être utile pour les âges très élevés . Les pri ses sou s pe ine de surestimer l' amé-
paramètres ax, f3x et K 1 ayant été obte- lioration de la longévité. Les projections
nus pour des valeurs de t < 2001 , il reste clans le temps ont été limitées à l'année
à analyser la série chronologique des K , 2070 ; les estimati ons à très long terme
pour extrapo ler les valeurs de K 1 pour des taux in stantanés de mortalité pré-
t> 2000 (on utili se les méthodes dites de sentent trop d'incertitude et n'ont que peu
Box et Jenkins). d ' application pratique immédiate pour
le calcul des opérations de rentes.
Les tables de mo1talité prospecti ves pré- Po ur la mortalité des âges é le vés , la
sentées en encadré plus loin ont été obte- modélisation dev ient p lus hasarde use .
nues en se basant sur des données s'étalant Il fa ut constate r que le no mbre d ' ob-
de 1950 à 2000 . U tili ser des observa- se rvation s e st sin guli ère ment réduit.
ti ons plus anciennes poserait un double U n mod è le sp éc ifiqu e po urrait être
prob lème: d ' une part , les décès relevés développé .

Hors-série n• 57. Les maths des assurances Tangente


SAVOIRS Tables de mortalité prospectives

Certains actuaires proposent de fermer dont la survenance croît avec l'âge) :


la table en posant à un âge donné une ll =A+B e"x =A+Bc'.
' X
probabilité de décès égale à 1. Dans le En prenant en compte l'année d'obser-
cas qui nous occupe, on a supposé les vation n des données brutes , on peut
probabilités de décès constantes à par- généraliser cette fo1mule sous la forme :
tir de 93 ans pour les hommes et de 94 r.
µ x (n) = A n + B n e-1·7 = A n + B nn.
ans pour les femmes. Cette hypothèse
est prudente et a relativement peu d'in- En ce qui concerne les tables de morta-
fluence, compte tenu de l'actualisation, lité de la population féminine, l'obser-
sur le calcul du prix d'une rente viagère vation des données belges depuis la fin
aux âges les plus fréquents de souscrip- du XIXe siècle a conduit aux valeurs sui-
tion, soit entre 50 et 70 ans . vantes :
A,,= 0 ,00031.
L'utili sation des tables prospectives per- Ce paramètre ne présente aucune évolution
met le recalcul des espérances de vie . significative.
Un nouveau-né masculin belge pouvait B11 = 4 ,32021 X 10 32 X (0,9572217)"
tabler sur une espérance de vie de 74 ,5 C = 8,989971 - 0 ,0083251 X n
11

ans sur la base des données récoltées en - 2,1950 X 10-6 X n 2 .


2000. En tenant compte des tables pros-
pectives, cette espérance passe à 81 ans. Pour la population masculine , les choses
Pour les femmes, ces chiffres passent sont différentes :
respectivement de 81 à 89 ,2 années. A11 = 0,011377 -0,0000053446 X n
B11 = 1,6627500 X 10 32 X (0,9693792) 11
ftjuster en extrapolant C = 0 ,27453767 + 0 ,000420 X n.
11

On peut également construire des tables Numériquement, la prise en compte des


de mortalité prospectives en « proje- modèles prospectifs conduit à un second
tant» les paramètres de différents modèles. recalcul des espérances de vie selon le
L'idée est de réaliser des ajustements de tableau ci-contre comparant nos deux
chaque ensemble de données brutes à modèles prospectifs .
différents moments, de déterminer les
paramètres du modèle correspondant et, Les espérances de vie projetées sont net-
ensuite, sur la base des paramètres obte- tement différentes, le fait de partir de la
nus de définir pour chacun d'eux une loi fin du XIXe siècle plutôt que de 1950
d'évolution en fonction du temps afin pour l'estimation de l'évolution future n'y
de permettre des extrapolations. est pas vraisemblablement pas étranger.
L'un des modèles les plus simples (tout Il faut remarquer qu'avec la double expo-
en étant relativement efficace) fut pro- nentielle des formules de Makeham , les
posé en 1860 par l'un des pères del' ac- paramètres obtenus lors de l'ajustement
tuariat moderne, le britannique William sont fortement liés entre eux. Une cer-
Makeham (1826-1891). Le taux instan- taine prudence est donc nécessaire dans
tané de mortalité y est vu comme la l'interprétation des résultats. Il est inutile
somme d'une constante (quantifiant le de rappeler quel 'interprétation classique
risque d'accidents arrivant uniformé- des paramètres de Makeham, mortalité
ment à chaque âge) et d ' une fonction accidentelle et mortalité liée au vieillis-
exponentielle croissante de l'âge (modé- sement, ainsi que les considérations sur
lisant plus spécifiquement les maladies la bosse des accidents valables pour une

Tangente Hors-série n°57. Les maths des assurances


ASSURANCE VIE

Espérance de vie à 65 ans


version Ion ·wdmale
Hommes Femmes
Année Modèle I Makeham évolutif Modèle I Makeham évolutif
13,62 14,49 18,25 20,36
14,26 14,57 18,98 20,81
[1990 14,85 14,65 19,60 21,18
1995 15,34 14,74 20,14 21,49
2000 15,~z 1!1,_,82 20,6 21 Z3

table donnée perdent beaucoup de leur optiques développées le montrent clai-


pertinence dans une vision longitudinale rement, même si les résultats différent.
où les paramètres changent à chaque âge. Une tarification équilibrée des rentes
Les assureurs en sont conscients : la mor- viagères impose donc de tenir compte
talité des rentiers qui font le choix de de cette amélioration par l'usage de tables
souscrire une rente viagère est nettement prospectives ou par l'adoption d'un coef-
inférieure à celJe de la population globale. ficient de sécurité. Le phénomène d'anti-
On constate que ce sont souvent des assu- sélection est également extrêmement
rés en bonne santé (ou pensant l'être) imp011ant et ne devrait pas être négligé
qui concluent ce type de contrat. D'autres lors de la souscription de contrats de
facteurs liés à la catégorie socio-profes- rentes à titre individuel ou lors de la
sionnelle des sousCiipteurs interviennent liquidation de contrats sous forme de
sans doute également. rente si le bénéficiaire a le choix entre
la perception du capital ou d ' une rente .
Une conclusion s'impose néanmoins :
la longévité est en progrès ! Les deux Ph.D.

Hors-série n• 57. Les maths des assurances Tangente


EN BREF par Daniel Justens

mensualiser une rente annuelle


La plupart des tables de calcul actuarielles sont établies
annuellement. En matière de rentes, les assurés préfèrent
généralement obtenir un règlement mensuel. Comment passer
de l'année au mois ?

Approcher la valeur de la rente par interpolation linéaire


Dans les faits, comment mensualiser une rente On peut env isager d'approcher la va leur de la
annuelle, par exemple dans le cas des retraites rente mensualisée par interpolation linéaire. Pour
(voir ci-contre) ? Une façon simple de procéder cela, il convient de fractionner la rente mensu-
est d'uti liser. .. les suites arithmétiques. Pour alisée en regroupant tous les mois identiques,
cela, on remarque que l'on peut aisément calculer année après année. En effet, si l'on considère
la valeur d' une rente immédiate de 1 € par an, tous les k èmes mois de l' année, la valeur cumulée
qui est simplement égale à 1 + ax, puisque ax de la rente correspondant à l' ensemble de ces
représente la valeur d'une rente perpétuelle de 1 € mois, notée f (k / 12), sera comprise entre a,/ 12
par an ; le premier versement étant immédiat et et (1 +a) / 12. Ces deux valeurs extrêmes cor-
sûr est dégagé de toute considération viagère ou respondent respectivement au payement différé
financière . Évidemment, la rente mensuali sée sera de la mensualité (t = 1) et à ce même paiement
comprise entre ax et l + a, . effectué immédiatement (t = 0).

Calcul de la valeur cumuléede la rente


La valeur cumulée d' une rente annuelle mensualisée, notée f (k / 12) pour le mois k, peut
être obtenue simplement par interpolation linéaire (voir ci-contre). Pour généraliser le propos,
considérons le fractionnement de la rente en m versements. On peut alors calculer f (k / m) en
tablant sur une fonction « localement linéaire». Partons de la droite (D) passant par (1 ; a, / m) et
(0 ; (1 + a)/ m) . Cette droite a pour équation :
1 + ax ax
(D): 1(!)- ~ = ~~m x(! - 1).
On en tire :
f ( Ji..)=~+
m
_l_ - _k__
m m m2 ·
L'approximation linéaire adoptée fait évidemment des rentes associées à chaque mois une suite
arithmétique ; la rente fractionnée a ~m) est égale à la somme des rentes associées à chaque fraction
d'année. On a donc:
<ml _
ax - ax
~ k -_ a, + l _ _l_2 m ( m2+ l) _- ax+ m2m
+ l _ _l_2 L__; - l
.
m k~ i m
Une rente perpétuelle de 1000 € par mois (m = 12) vaut donc environ 11 / 24 x 12000 € = 5 500 €
de plus qu'une rente de 12000 € par an, et cela quel que soit l'âge de la personne couverte !

Tangente Hors-série n°57. Les maths des assurances


-~
.
Les risques man·t·1mes a_
' l' QJj1gme
;;,,'J. des assurances 54

58

€omment' tDJiJerr il flliifl.ii Ôl

l}lJea(tQil ~rn
Les risques maritimes
à l'origine des assurances
Les assurances sont nées dans l'Antiquité du désir des
marchands de se prémunir des fortunes de la mer. Aucune
mathématique n'aidait alors à calculer une prime équitable.
Étrangement, les premiers calculs mathématiques précis ont
abouti à des faillites de compagnies d'assurance !

r-------------------------------------,
Marie Jean Antoine un autre. » Une condition pour cela :
Nicolas de Caritat, il doit s'agir des fortunes de la mer, et
marquis non de sa faute.
de Condorcet
(1743-1794). naufrages et pirates : un pari risqué

Dans le monde gréco-romain, à des


époques comparables, on trouve des
prêts à intérêts tenant compte des
risques maritimes, que sont les nau-
frages ou les pirates. La première trace
de ce type de prêts date du ive siècle
avant notre ère puisqu 'elle figure dans
le Plaidoyer de Démosthène contre

' Lacritos. La somme prêtée y était de


3 000 drachmes pour transporter et

L
attestation la plus ancienne
d'une mutualisation des vendre du vin dans des villes préci-
risques maritimes se trouve sées dans le contrat. Au retour, les
dans le Talmud de Babylone qui , dans emprunteurs devaient rendre la somme
sa forme écrite, date du ve siècle mais prêtée, plus 225 drachmes pour mille.
est probablement très antérieur sous En revanche, en cas de perte, ils ne
forme orale. On y lit : « Les marins devaient rien au créancier. Le contrat
peuvent convenir entre eux que, si l'un s'apparentait ainsi plus à un pari qu 'à
perd son navire, on lui en construira une assurance. Cependant, même si
l'intérêt de 22,5 % ne venait pas d'un
calcul statistique, il était censé récom-
penser le risque pris. Ce type de prêt à
intérêt maritime fut ensuite progressi-
vement adopté par le droit romain sous
le nom de nauticumfoenus, pour fina-
lement être consacré dans le Digeste
de Justinien (vie siècle), l'ultime com-
pilation du droit romain del ' Antiquité.
Dans l'Occident chrétien, il devint le
prêt à la grosse aventure. Ce système
évolua avec des accords entre prêteurs
pour mutualiser les risques, ce qui le
rapprocha d ' une véritable ass urance,
jusqu'à ce qu'une « décrétale » du
pape Grégoire IX l' interdise comme
usuraire en 1236.
Cette interdiction permit la naissance
de l'assurance proprement dite au x1ve
siècle. Entretemps, le prêt maritime
prit la forme d ' un contrat de vente ... le uerdict des probabilités Pierre-Simon
où l'acheteur ne payait la marchandise de Laplace
que si elle n'atTivait pas à bon port ! Les premiers calculs mathématiques (1749-1827).
Dans le cas contraire, la vente se trou- portant sur les primes d'assurance
vait annulée et l'acheteur recevait une datent de cette époque, qui est aussi
compensation. celle du début du calcul des probabi-
lités. On les trouve sous la plume de
En Italie, dès le début du x1ve siècle, Nicolas de Condorcet dans la célèbre
l'ass urance devint une opération Encyclopédie méthodique de Diderot
courante, associée à l ' affrètement et de d 'Alembert, à l'article intitu-
d ' un navire, contractée pour couvrir lé « assurances (maritimes) » . Suite
les risques sur les marchandises en aux nombreuses faillites de compa-
mer au départ, puis également sur gnies d'assurances au moment de la
terre. Dans les actes notariés, le crise financière de la « Compagnie des
montant de la prime était égal à la mers du Sud » de 1720, Condorcet se
valeur des marchandises mais , en demande comment fixer le montant
fait, la somme payée était moindre. de la prime pour rendre la probabilité
Cette coutume explique son paie- de faillite de l'assureur négligeable. Il
ment anticipé, d 'o ù vient le mot est ainsi amené à étudier la probabi-
prime (qui signifie « en premier » ) . lité que, parmi n navires, moins de m
La prime était en général très éle- fassent naufrage sachant que chacun
vée, double en mer que sur terre. a une probabilité p de faire naufrage.
En France, par une ordonnance de En théorie, le calcul est relativement
1681 , Colbert incita les marchands à simple. Examinons-le dans le cas où
mutualiser leurs risques en se grou - la probabilité qu ' a un navire de faire
pant, en plus grand nombre possible. naufrage est de 5 %. Sur dix navires,
la probabilité qu ' aucun ne fasse nau- cette probabilité soit proche de 1, par
frage est de 0,95 10 , soit environ 60 %. exemple égale à 99 %. La solution à ce
La probabilité qu'un navire particulier problème viendra avec Pierre-Simon
fasse naufrage et les autres non est de Laplace et son approximation de
de 0,95 9 x 0 ,05, donc la probabilité la loi binomiale par la loi normale. En
que l ' un des dix, non spécifié, fasse effet, une approximation de P(X !, m)
naufrage est de 10 x 0 ,95 9 x 0,05 ,
, ( m-np )
soit environ 31 %. La probabilité que est donnee par <f> j np( 1
_ p) , où
deux spécifiés fassent naufrages est de
0 ,95 8 X 0,05 2 . Le nombre de couples <f> (x) = b , jxexp(-t 2 )dr est la
y 2n: - oo
de bateaux dans un ensemble de dix
bateaux étant égal à 10 x 9 / 2 (soit fon ction de répartition de la loi normale.
45) , la probabilité que deux d 'entre
eux , non spécifiés, fassent naufrage
est de 45 x 0 ,95 8 x 0 ,052, soit environ
7,5 %. La probabilité qu ' au plus deux
fassent naufrage est donc égale à la
somme 0,95 10 + 10 x 0 ,95 9 x 0 ,05 + <l>(x)
45 x 0 ,95 8 x 0 ,052, soit à 98,8 %. Ici ,
l' assureur a une estimation du risque X 4

à prendre. Si 1,2 % de risque de faire Cl> (x) est égale à l'aire en jaune
faillite lui semble acceptable, il suffit sous la courbe de Gauss.
de provisionner pour 20 % de pertes
(2 / l 0) , et non pour 5 % comme un
calcul simpliste pourrait le faire pen- Cette formule peut sembler compli-
ser, cela si le nombre d'assurés est quer le problème ; cependant, même si
suffisamment important pour appliquer les valeurs de la fonction <D ne peuvent
la loi des grands nombres. être calculées de façon exacte, <D peut
être représentée graphiquement (d'une
les calculs de Laplace part) et tabulée (d'autre part), ce qui
a été fait à 1'époque, par exemple par
On retrouve les calculs qui ont amené Chrétien Kramp (1760- 1826).
Jacques Bernoulli (1654- 1705) à intro-
duire la loi binomiale, qui représente la Ces calculs entrepris par Condorcet
probabilité de k succès dans une série pour les assurances maritimes peuvent
de n expériences dont la probabilité de s'appliquer à toutes les assurances non
chacune est identique, égale à p : vies , comme les assurances incendies
P(X = k) = C) pk( 1 - p )'.-k_
ou, de nos jours, les assurances auto-
mobiles. Les bases des mathématiques
La probabilité P(X !, m) qu'au plus actuarielles de ce secteur étaient donc
m navires sur n fassent naufrage est en place au début du x1xc siècle.

égale à la somme t□ (;) pk( 1 - p Y-'. H.L.


Ce calcul donne naissance à une équa-
tion délicate à résoudre : le problème
del ' assureur est de calculer m pour que
par Hervé Leming EN BREF

Surréaliste ! L'assuran,e enlèvement


Les premières assurances « enlèvements et rancons
'
»
Le Moyen Âge et l'époque classique ont connu une prise en compte de la piraterie dans les prêts à
la grosse aventure, y compris pour le rachat des captifs qui, sinon, finissaient vendus comme
esclaves. On en trouve des traces en Italie dès le xesiècle, puis à
Londres au XIff à la création de la casualty insurance. Ces prêts .,
fonctionnaient alors comme une sorte d'assurance enlèvement et
rançon. Apparemment, ils prirent fin au XIXe siècle quand la supré-
matie européenne mit un terme à la piraterie en Médite1nnée, qui
n'a ressuscité qu 'à l'époque contemporaine .

Hors-série n°57. Les maths de l'assurance TA.ngente


SAVOIRS par L. Hulin et D. Justens

Prendre en compte
les éuènements rares
Des modèles en cascade
Heureusement, les catastrophes sont rares. Il en est ainsi
pour les accidents d'avion, les incendies, les raz-de-marée et
les tremblements de terre. Mais les évènements rares ont leur
inconvénient : ils ne satisfont pas aux conditions d'application
du théorème central limite ...

E
n matière de probabilités, la La probabilité pk cherchée est donc la
distribution binomiale est bien somme de ces probabilités identiques,
connue. Elle postule la répéti- ce qui donne :
tion de n expériences aléatoires iden- pk= k!(nn~k)! pk( l - p)n-k
tiques et indépendantes à deux issues
possibles, que l'on nomme réussite (R)
ou échec (E). On peut calculer expli- Heureusement, les accidents
citement la probabilité pk de voir se sont rares!
réaliser exactement k réussites et n - k
échecs, dans quelque ordre que ce soit. Que se passe-t-il dans le cas des évè-
Si p quantifie la probabilité de réussite nements rares ? En fait , que se passe-
lors d' une expérience, la probabilité t-il lorsque la probabilité p de R est
associée à l'une des suites comprenant proche de zéro (c'est par exemple le
exactement k réussites « R » et n - k cas de l'observation d'un accident) ?
échecs « E » est égale au produit des Observons le portefeuille des assurés
probabilités associées à chaque ré- d' une compagnie d'assurances, cou-
sultat, étant donné l' hypothèse d' in- verts pour un certain type de risque
dépendance, soit pk( 1 - p) ll-k. Deux d'accident, pendant une durée T.
réali sations de successions R et E com- Décomposons cet intervalle en une
prenant exactement k « R » possèdent succession de n intervalles de temps de
la même probabilité (les expériences durée l'-,.t. Supposons dans un premier
sont identiques). De telles expériences temps le portefeuille homogène, et
constituent, relativement aux autres notons À le nombre moyen d'accidents
expériences, des évènements disjoints. observés par unité de temps dans ce

Tangente Hors-série n°57. Les maths des assurances


Les distributions II Poisson-mélange n
Considérons le nombre moyen d ' accidents la variable « nombre d ' accidents » et A la
comme une nouvelle variable aléatoire A de « variable risque », la moyenne du nombre d'ac-
loi U(À). Cette distribution caractérise alors le cidents est rigoureusement égale à la moyenne
portefeuille considéré. On découvre là toute du paramètre de risque : E [X] = E [A]. Le
la co!Jection des distributions dites « Poisson- graphique montre l'allure générale d'une distri-
mélange », plus complexes mais 111ieux adap- bution exponentielle négative pour des valeurs
tées aux observations. On considère les fré- de risque comp1ises entre O et 100 %. Son utili-
quences observées d'accidents comme des sation suppose que le portefeuille est constitué
« moyennes » des probabilités associées à essentiellement de très bons conducteurs (den-
chaque catégorie d'assur~, sités élevées pour À. proche de 0) avec toutefois
On a toujours p k(À)= k!e-A pour un assuré quelques assurés à tr·ès gros risque (c' est la
de catégorie de risque À mais le portefeuille queue de courbe). Ce sont probablement ceux
ne permet d'observer que des comportements qui provoquent un nombre élevé d'accidents.
moyens: Pk = [ +oo
p. (À)d.U(À). Il reste à calculer explicitement les probabili-
Intéressons-nous à la construction de l'une de tés pk, ce qui est assez technique. On arrive à
ces distributions mélange afin d'en comprendre pk =a/ (1 + a)k+ 1• La distribution mixte est donc
le principe. « Mélangeons » notre distribution géoméh·ique. On peut calculer sa moyenne,
de Poisson à une expo- E (X) = l / a, et sa variance,
nentielle négative dont V (X) = 1 / a + l / a2 . La
la distribution U(À) suit variance est donc stric-
dU(À) = a e-ai, dÀ. Densite e xponentie lle négative
correspondant â nos obse~~~ons
tement supérieure à sa
moyenne. En fait, pour
Le paramètre a doit s' ajus- toutes les distributions
ter à partir de résultats Poisson -mélanges, on a
généraux des distributions V(X) = E(J\) + V(A).
mélanges. Si l'on note X

portefeuille. Pour chaque intervalle de constitue en fait la définition de l'ex-


temps !),_t « suffisamment petit », on pression courante « événement rare ».
peut hasarder une modélisation obéis- On se trouve en présence d'une dis-
sant à des probabilités satisfaisant : tribution binomiale B(n, À,/),_t) pour
P(observer un accident sur laquelle les probabilités pk prennent
[t, t + !),_t[ ) = À l'),_t, la forme explicite suivante (k, le
P(observer plus d ' un accident sur nombre de « réussites » attendues , est
[t, t + !),_t[ ) = 0, «petit»):
et P(observer aucun accident sur
p k = k!(nn~k)! (Àtl.t/(1-ÀÂt)n-i _
[t, t + M[ ) = 1 - À l'),_t
(propriété élémentaire de la probabi- Comment voir ce que donne une
lité P) , modélisation de ce type pour un
le tout en première approximation portefeui lie d'assurés couvrant la
(techniquement, « à un o (l'),_t) près » ). responsabilité civile en cas d'acci-
La validité de ce schéma descriptif dent d'auto ? Observons ces assurés

Hors-série n°57. Les maths des assurances Tangente


SAVOIRS Prendre en compte ...

pendant un an (T = 1) pour obte- probabilités théoriques assoc1ees aux


nir le tableau suivant ci-contre : petites valeurs de k (de O à 5) corres-
81405 accidents sont constatés pour pondant à nos observations et les com-
456 866 ass urés. On calcu le ain si parer aux fréquences observées. Le
À = 81405 / 456866 = 0,1781813486 .. . tableau est ré vélateur. On y découv re
que les probabilités associées aux
1 nb accidents nb assurés nb accidents no mbres d 'accidents supéri eurs à 5 est
négli geable. Si la probabilité associée
0 385 676 0
aux valeurs O et 1 est rai sonnab lement
62209 62 209 proche des valeurs observées, i I n'en
2 79 12 15824 va pas de même pour des nombres plu s
3 927 278 1 grands d'accidents dont les probabili-
4 11 9 476 tés sont drastiquement sous-éva luées.
·r_ .) Tout se passe, dans le modèle théo-
5 115
rique, comme si un peu plus d 'assurés
L
Sommes 456866 81405 étaient responsables d ' un seul accident
et beaucoup moins de plusieurs.
En choisissant des observations jour-
nalières (n =365 , et donc 6.t = 1 / 365), nb accidents probabilités fréquences
0 11 peut quantifier explicitement les j
0 0.836754 0.844 178
0, 149167 0. 136164
j
Siméon
Denis
Poisson
2
3
4
-! 0.01 3259
0,000784
0,000035
----
l
0,0 173 18
0.002028
0.00026 1
1

5 0.000001 0,00005 1
(1781-1840).
Sommes 0,9999999633

Deux accidents le même jour :


la poisse!

Le modèle binomial n'est év idemment


qu ' une approximation. Il nég li ge la
possibilité d ' observer un ass uré res-
ponsab le de deux accidents le mê me
jour. On peut éviter les effets de cette
hypothèse restrictive en effectuant un
passage à la limite pour n tendant vers
l' infini (et donc 6.t tendant vers 0). Les
probab ilités deviennent :
p\ = a,-
limp,-
o
. n(n - 1) ... (n-k+ l )
= All1m
- 0
kl.

Tangente Hors-série n°57. Les maths des assurances


Mais n et fit sont liés , ce qui n ' appa- Cette nouvelle expression est-e lle
raît pas explicitement dans la limite. mieux adaptée à notre exemple que
Remplaçons fit par T / 11 : ses approximations binomiales ?
L' ajustement obtenu en prenant pour À.
, _ . n(n-1) ... (n-k+l) , la moyenne observée du nombre d ' ac-
p k - }~';! k! cidents calcu lée plus haut ne diffère
T )k( T ),-k pas significativement de celui qui avait
x ( Àn 1-Àn .
été réalisé par jour par le truchement
En sortant de la limite les éléments ne de la loi binomiale.
dépendant pas de fit, on note : La conclusion logique est que cer-
tains conducteurs sont moins bons que
, _ (ÀT)' les autres et que notre échantillon
/J k - ---rr- (basé sur des données réelles) n' est
n(n - l )... (n - k+ 1) (1 - Àl.)' pas caractérisé par l'homogénéité (tous
. ~ n les conducteurs ne représentent pas le
x lirn 11-+ix ( 1-/\-T )' même facteur de risque) , ni par l'indé-
11 pendance : des conducteurs déjà res-
= (ÀT)' Iim ( r x n ). ponsables d'accidents doivent se voir
k! n-+oo JI[ attribuer une probabilité d ' en avoir
Vérifions intuitivement que : d'autres strictement supérie ure à À..

. _ . n(n-l) ... (n-k+ l )_


111n 1 - n1-11n
11 - - +oo +oo n
k - 1. nb accidents probabilités fréquences
0 0.844 178
L'entier k étant limité et 11 tendant
t
vers l' infini , l'expression peut se voir
comme k produits de fractions de type
(n - a) / n légèrement inférieures à 1
mais tendant vers 1 lorsque n tend vers
2
3
4
-~--
--+---
0,149 100
0,0 13283
0.000789
0.000035
0.1 361 64
0.0 17318
0.002028 j
0.00026 1
5 0.000001 0.00005 1
l' infini. - ---
' ~omntês] o:m-999963,i 1
Par défi nition du nombre e, base de
l'ex ponentielle traditionnelle ( voir
Tangente 166), on a aussi : Portefeuille à risque
lim If= lim(l - À.I)" = e - ,n _
11 - - +oo n - +oo /1, Comment prendre en compte cette
. . ( T )i·
Enfin, ,/~1;2,III = ,/~1;2, 1-Àn = 1. constatation ? Une idée consiste à
considérer le nombre moyen d 'acci-
On aboutit finalement à l'express ion dents comme une nouvelle variable
générale qui définit ce que l' on nomme aléatoire A (voir en encadré). Dans le
loi de Poisson , du nom du mathé mati- cadre de notre exemple, la variance de
cien français qui l' a introduite : la variable « nombre cl ' accidents » vaut
0 ,197375 et vérifie bien la propriété
p ,k -_ _(ÀT)'
k_!_ e -,n- .
vue en encadré (variance strictement
L' une des propriétés les plus connues supérieure à la moyenne) . La distribu-
de cette distribution est que sa variance tion de Poisson ne peut clone convenir.
est rigoureusement égale à son espé- On a ainsi montré explicitement l'hété-
rance, soit À.. rogénéité du portefeuille !

Hors-série n°57. Les maths des assurances Tangente


SAVOIRS Prendre en compte ...

Toutefois, dans ce modèle de por-


tefeuille à risque , la possibilité
d'observer plus de cinq accidents
devient nettement plus élevée que
dans les modèles précédents, sans
toutefois atteindre un niveau consi-
dérable.

Aujourd ' hui, on sait construire des


distributions Poisson-mélange en
attribuant à J\ une distribution de type
Erlang, gamma, Pareto ou inverse
normale : le champ des applications
est du coup très ouvert et conduit à
des ajustements aux fortunes diverses.
Lorsque les distributions sont à deux
paramètres, l'ajustement se fait sur
L'ajustement basé sur l'égalité des base de l'égalité des espérances et
moyennes livre simplement a = 1 / À, des variances. Les calculs sont par-
soit a = 5,61226. On obtient enfin le fois fastidieux et nécessitent même
dernier tableau, dont le contenu, sans (comme pour la distribution Poisson-
être parfait, prend effectivement en Pareto) le recours à des logiciels
compte la présence dans le portefeuille lourds. Étant donné le petit nombre
d'assurés à risque : les prévisions de de valeurs prises par la variable, un
nombres élevés d'accidents ne sont modèle aura un contenu explicatif
plus systématiquement sous-évaluées, d 'autant plus fort que le nombre de
bien au contraire. paramètres à calibrer est faible. C'est
manifestement le cas de la distribu-
- tion géométrique de l'encadré : les
nh accidents probabilités fréquences
idées les plus simples sont parfois les
,..._ 0 0.848766 0,84417 8
- plus efficaces !
J 0,128362 0.136164
2 0.0 1941 3 0,01 731 8
~

3 0,002936 0,002028 L.H. & D.J.


4 0,000444 0.000261
5 0.000067 0,000051
Sommes 0,9999880353 1

RÉFÉ RENCES
• Hasard et probabilités. Bibliothèque Tangente 17, 2005.
• Les statistiques. Bibliothèque Tangente 4, 2009.
• Dossier« Les paris » . Tangente 136, 2010.
• Les probabilités au cœur de la modernité. Tangente SUP 73- 74, 2014.

Tcingente Hors-série n°57. Les maths des assurances


par E. Dubois et D. Justens

Une bible de 1000 pages


Deux volumes, parus en 2004 et totalisant plus de 1000 pages, abordent t'Jtl

tous les aspects des mathématiques du secteur IARD (Incendie, Accidents et


ri sques divers) de manière rigoureu se et quasiment exhaustive, même si on Michel DENUIT
Artbur CHARPENTIER
peut regretter certains aspects très techniques des énoncés mathématiques
pour lesquels une interprétation plus intuitive aurait apporté un plus. Les
notions fondamentales sont exposées avec clarté et de nombreuses présen- MATHÉMATIQUES
tations graphiques sont commentées avec pertinence. Le tome I expose les DE L'ASSURANCE
NON-VIE
principes fondamentaux de la théorie du risque. On y retrouve l'exposé des
TOME 1: PRINCIPES FONDAMENTAUX
principes de base de la modélisation des risques. Les calculs des primes DE THÉORIE DURISQUE

« pures » et le glissement vers les primes nettes ou commerciales sont


construits systématiquement. La gestion des risques multiples fait également
l'objet d' un long chapitre aux aspects techniques non triviaux. Le tome 2 1

( tJ Economie ■
est consacré aux problèmes de tarification et de gestion des provisions.
On y retrouve toutes les méthodes de tarification a priori et a posteriori en
RC automobile, le fameux « bonus- malus», en passant par la théorie de la Mathématiques
crédibilité , le tout complété par un chapitre important consacré aux théories de l'assurance non-vie.
des catastrophes. Les différentes approches du provisionnement sont Michel Denuit
présentées en parallèle avec un développement intéressant de différentes et Arthur Charpentier,
méthodes de simulation dont l ' utilité dans la gestion des indemnisations Deux tomes.
différées est fondamentale. Cet ouvrage constitue un livre très complet mais Édition Economica,
réservé aux personnes possédant une culture mathématique certaine. 2004. 90 euros.

Les publicatipns Théories actuarielles.


Daniel Justens ,
de la Haute Ecole Laurence Hulin ,
École Francisco Ferrer,
f rancisco ferrer Théories
actuarielles
2003.
30 euros - disponible
Deux livres , publiés par une école de commerce sur la boutique du site
bruxelloise réputée dans ce domaine , font le tour www.infinimath.com
des techniques actuarielles. Le premier, ouvrage
de référence, relate les différents résultats pour
les trois types d' actuariat (financier, viager et
Techniques
des assurances
accident) , en les développant de façon précise.
et assurances
Le deuxième, plus récent, se penche sur les diverses Techr11qucs llcs
n~~urn11cc~ cl techniques.
modélisations et tarifications qui ont cours depuis :L\~Ul'.l l l(:e'l,

1ech1w4ui;-s Collectif d 'auteurs ,


l' arrivée de nouveaux produits d'assurances
École Francisco Ferrer,
techniques .
2013.

Hors-série n°57. Les maths des assurances Tangente ID


SAVOIRS par Laurence Hulin

Comment
• •
tarifer • •
apr1or1... sans apr1or1
Un nouvel assuré représente assurément (!) une inconnue.
Comment évaluer d'emblée le risque qu'il va représenter pour
la compagnie d'assurance? C'est là tout le rôle des critères
de tarification a priori. Mais ces critères sont-ils vraiment
efficaces?
A
tes-vo us vraiment certain(e) de catégorie d 'âge , la zone géographique ...

E payer une prime d 'assurance


automobil e ajustée à votre risque
propre ? Si oui , vo us allez découvrir ici
À chaque modalité de chaque critère ,
o n décide alors d ' associer une certaine
pénalité-risque.
des raisons d 'en do uter ... L'optimisation La tari fica tion a posteriori , souvent
de la tarification en responsabilité structurée au moyen d ' un système de
civ ile automobile est en effet soumise type « Bonus-Malus », affi ne la segmen-
aux con traintes d ' une réalité de terrain tation a priori en l' adaptant de man ière
complexe. À l' heure actuelle , les com- dynamiq ue à la sinjstralité ob ervée
pagnies d 'assura nce tentent de calibrer en y associant des bonus (en cas de
au mieux le risque auquel elles sont non sinistrahté) et des malus (dans le
confro ntées en combin ant deux modes cas inverse). Les assurés res ponsables
de tarificati on : l ' un a priori et l' autre d ' accidents sont supposés représenter
a posteriori. Le pre mi er a pour but de un niveau de risque supéri eur (vo ir
catégori ser chaque conducteur selon un le précédent article dans ce dossier) ;
certain profil de risque, qui est supposé leurs taux de prime vont augmenter. Les
calibrer le « potentie l / risque » que ass urés non responsables d 'acc idents
ce conducteur va représenter. Il pre nd voient les leurs diminuer. Comment
en compte une série de critères de s'effectue en pratique la tarification a
diffé renciation, regroupés en modalités priori ? La plupart des compagn ies d ' as-
que tous les ass urés reconnaitro nt : la surance fo nt appel à un panel de critères
très variables, allant de quatre à plus
d ' une dizaine. Les plus communément
repris pour segmenter les risques poten-
Il n'est pas évident de prouver l'efficacité tiels liés à chaque conducteur sont l'âge,
des modes de tarification l'ancienneté du permis de conduire,

l9 Tangente Hors-série n°57. Les maths des assurances


Corre1at1on
. Matnx
· l
age_cond durée_contrat an cond Sex an_rout. nbre sin. 1
age cond 1.0000 0.0812 0.9628 0.0619 0.0236 -.0152
durée_contrat 0.0812 1.0000 0.0703 0.0560 0.0156 -.0088
an_cond 0.9628 0.0703 1.0000 0.0724 0.0168 -.0127
Sex 0.0619 0.0560 0.0724 1.0000 0.0834 -.0168
an_rout 0.0236 0.0156 0.0168 0.0834 1.0000 -. 1285
nbre sin -.0152 -.0088 -.0127 -.0168 -.1285 1.0000
cout sinistre -. 0027 -.0028 -.0022 -.0094 -.0064 0.0929
Données « Swiss Life » dans Conséquence du vieillissement de la population sur la sinistralité des assurances
(Trieu Thi Diep, université de Lyon, septembre 2013).

le sexe, le code postal , le degré bonus- tendance à les sous-estimer. Enfin,


malus et la puissance du véhicule. certaines variables exogènes peuvent
présenter des corrélations fortes et biaiser
Qui dil sinistres dit malus... le modèle par manque d'indépendance
entre variables explicatives : c'est le
Il n'est pas évident de prouver l'effi- cas de manière évidente entre l'âge et
cacité des modes de tarification. Il con- l'ancienneté du permis de conduire, par
vient en effet de montrer qu'ils permet- exemple. Le tableau de corrélations qui
tent aux compagnies d'assurance un suit illustre bien cet état de fait.
calcul de primes patfaitement ajusté Pai- ailleurs, la relation entre les cliffé-
à chaque nouvel assuré (a priori) et rentes variables explicatives et la sinis-
adapté aux variations de risque (a pos- tralité va évoluer au cours du temps.
teriori). Intéressons-nous ici à la seule Il faut aussi s'interroger sur la nature de
tarification a priori. Pourquoi est-il la sinistralité. Illustrons les phénomènes
si complexe de modéliser la sinistralité de dispersion et d'évolution de la rela-
future à l'aide de variables explicatives tion simple existant (ou non) entre les
exogènes comme l'âge, le sexe ou la variables explicatives et cette sinistralité.
puissance du véhicule ? La plupait des Consultons pour commencer le tableau
modèles pragmatiquement mis en place de données fournis par l'observatoire
reposent sur des hypothèses fo1tes que interministériel de la sécurité routière
sont la linéarité, l ' indépendance des en France; il décrit pat· catégories d'âge
vaiiables exogènes ou encore la nor- la sinistralité observée en 2013, en
malité des écaits. Ces hypothèses ne te1mes de dégâts corporels, sur les routes
collent pas nécessairement à la réalité frai1çaises .
observée en sinistralité. De plus, la
sinistralité est une vai-iable endogène
discrète non négative qui possède une
Morts en % Densités Blessés en%
très fmte dispersion non seulement dans
97 2,97% 0,20% 1785 4,40%
sa distribution (les accidents sont des 102 3,12% 4,16%
1,04% 1686
évènements rai·es), mais aussi dans sa 636 i!Ï,46% 2)8% 4915 12,12%
gravité, qui peut varier très fortement. 1 005 30,75% 1,54% 8341 20,56%
740 22,64% 1,13% 5892 _14,53%
Les évènements rares sont particulière- 254 7)7% à,78% 155 0,38%
ment complexes à modéliser et à calibrer. 434 13,28% 17787 43,85%
3268 99,99% 40 561 100,00%
La plupait des lois de probabilités ont

Hors-série n°57. Les maths des assurances Tangente ID


SAVOIRS Comment tarifer a priori ...

Indemniser tout le monde observée. Le phénomène est encore


plus clair dans le graphique ci-dessous,
Toutes les victimes d ' accidents de la qui reprend ces données.
route ne sont pas des conducteurs.
Mais toutes doivent être indemnisées ! Sinistralité moyenne par catégorie d'âge
On constate à première vue un nom-
bre de décès particulièrement élevé
t 3500
• •
·2 3000+-- -
. - --
- - - - -~ ----f
dans la classe des 18-25 ans, ce qui ëii 2500+-- - - - - - - - - - ---<
se confirme par le calcul des densités 1g_ 2000+-- - -- ----<11---- - ---i
de fréquences (fréquences par unité de [ 15QQ+-- ~.~ ~■ --~·~.~--.-. ~·~---<
~ 1000+-- - - - - - - - - - ---<
mesure). Les plus jeunes représentent
<:i 50 □ +--------------i
bien une catégorie à risque supérieur. 0
'-'
Les personnes plus âgées voient leur 10 20 30 40 50 60 70 80 90
densité de fréquence de décès par acci-
dent de la route diminuer régulière-
ment. Conduisons-nous pour autant
de mieux en mieux avec l'âge ? Le coût moyen par sinistre associé
L'exemple qui suit montre que non. Il aux plus jeunes conducteurs (moins
suffit pour cela de changer de variable. de 25 ans) est, comme attendu, excep-
tionnellement élevé. Les 25-50 ans et
les 55-75 ans se caractérisent par une
Âge du conducteur Côut moyen sinistres (euro) certaine stabilité. On observe toutefois
19 ans et moins 3 259
20 ans à 24 ans ···· une sinistralité légèrement atypique
2701
25 ans à 29 ans 1404 pour la catégorie des 50-55 ans , qui
30 ans à 34 ans 1415 est peut-être le fait du hasard ou de
35 ansà 39 ans 1444
40 ans à 44 ans 1604 l'échantillon particulier que constitue
45 ans à 49 ans 1406 le portefeuille étudié. Enfin, les plus de
. 50 ans à 54 ans 2000
75 ans voient la gravité de leurs sinistres
55 ans à 59 ans 1 506
60 ans à 64 ans 1269 rejoindre celle des plus jeunes. Cette
65 ans à 70 ans 1358 fois, les plus âgés deviennent les plus
70 ans à 74 ans 1 566
75 ans à 80 ans 3030 lourds à couvrir ! Le cas de l'âge de
80 ans et lus . 3258 l'assuré comme critère de segmenta-
tion a priori démontre à lui seul qu'il
Reprenons les données Swiss Life et est très difficile de proposer un modèle
considérons cette fois le coût moyen efficace exprimant la relation entre la
des sinistres (voir tableau ci-dessus). sinistralité et un choix de variables
Les coefficients obtenus par utilisa- explicatives a priori. Cette constata-
tion et calibrage d ' un modèle linéaire tion justifie ainsi la nécessité de pallier
généralisé (en l'occurrence, une loi de ce problème par la combinaison d'une
Poisson avec lien logarithmique) entre tarification a priori et a posteriori.
la sinistralité , vue comme variable Mais sommes-nous vraiment sûrs de
dépendante , et l' âge, variable expli- payer dans tous les cas une prime
cative , montrent que le rôle de la ajustée à notre risque propre ? On peut
variable «âge» est loin d ' être linéaire vraiment en douter !
dans l' explication de la sinistralité L.H.

ID Tangente Hors-série n°57. Les maths des assurances


par Daniel Justens EN BREF

mortalité routière: des résultats en demi-teinte


D'un oavs à l'autre
Depuis plus de vingt ans, des campagnes de sécurité sont lancées partout en Europe afin de
faire baisser significativement la mortalité sur nos routes. Des résultats ont été engrangés,
qui paraissent encourageants. Mais la tendance à la baisse n'est pas uniforme et elle touche
différemment les différents types d'usagers. Le graphique ci-dessous (source INSEE) montre
l'évolution de la mortalité par million d'habitants dans plusieurs pays voisins d'Europe.
La France (tracé en brun gras) n'est pas parmi les meilleurs élèves. Mais la situation de la
Belgique est
bien pire : en Nombre de morts sur route par million d'habitants

cause un ré- 250 ~ - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - ~

seau beaucoup
plus dense et
la saturation ... Anem ag ne
- Au!rlc ne
de la plupart 10ot-.:::::~ --"'s?~~"""....._;.:=;:::::------ - -- - - - -----j
Belg ique
- Danemark

des grandes ~. -Espagne


- France
- 11 a tie
voies qui pro-
-
100 + - - - - - -·---"'"-a=:------4..~
- Pa ys.s as
Roy aume-Uni

voque un com-
portement
imprudent
chez certains
automobilistes
o-------.--------------------
1990 1995 2000 2005 2010 2015

pressés.

Couvrir des risques rarement observés


Comment tarifer des occurrences relative- Dans ces conditions, comment tarifer équita-
ment rares mais par ailleurs susceptibles de blement la couverture, sans faire prendre trop
se traduire par des débours monstrueux ? de risque à la compagnie (des centaines de
C'est le cas si l'on désire se couvrir contre millions d'euros étant enjeu)? On le constate,
les risques de destruction d'un satellite lors seules deux occurrences d'échec ont été obser-
de son lancement. Peu de lancements sont vées sur plusieurs décennies, rendant tout ca-
opérés. Les statistiques sont rares voire librage rationnel impossible. C'est le mathéma-
inexistantes pour évaluer correctement la ticien Benoît Mandelbrot (voir Tangente 138,
fréquence de l'évènement « destruction ». 2011) qui, au début des années 1970, s'inté-
Ainsi pour les fusées Ariane 5G, sur vingt- ressa le premier à ce qu'il nomma les formes
quatre lancements, vingt-trois furent ob- nouvelles du hasard dans les sciences, dans
servés avec succès (fréquence d'échec de un article remarquable paru dans les colonnes
l'ordre de 4,2 %). Par contre, le modèle ac- d'une revue d'économie appliquée. Il existe
tuellement en service, Ariane 5ECA, se tra- en effet toute une gamme d'évènements ra-
duit à ce jour par quarante-cinq succès sur rement observés et pour lesquels les lois des
quarante-six lancements, faisant tomber grands nombres n'ont pas de sens. Comment
le taux d'échec à moins de 2,2 %, presque les probabiliser rationnellement ? Des champs
deux fois moins. entiers de recherche restent ouverts ...

Hors-série n°57. Les maths des assurances Tangente


SAVOIRS par L. Hulin et D. Justens

La tarification a posteriori
Une belle application
des chaînes de markou
Comment calculer les primes de chaque assuré en fonction du
risque propre qu'il représente ? Les méthodes de tarification a
posteriori prennent en compte le comportement individuel pour
le calcul de ses primes futures. Mais les systèmes utilisés dans
le domaine de l'automobile sont-ils réellement efficaces?
Derrière le bonus,

T
ous ceux qui conduisent une voi-
ture sont confrontés à l'obligation des chaînes de markou
de souscrire une assurance res-
ponsabilité civi le (RC) couvrant les Le critère a posteriori paraît plus objec-
dégâts matériels et corporels pouvant tif puisqu'il consiste à observer le com-
être occasionnés aux tiers. Ce type de cou- portement de l' assuré en comptabilisant,
verture est tarifé à partir d ' échelles de chaque année, le nombre d ' accidents en
primes calculées selon deux modes com- tort à mettre à son crédit (ou à son débit ?) .
plémentaires : le mode a priori, en fonc- Le nombre d ' accidents en droit pour-
tions de critères plus ou moins arbitraires rait également être pri s en compte : ce
(voir le précédent article), et le mode a renseignement apporte énormément d' in-
posteriori , qui évolue en fonction du formations sur le comportement du
comportement individuel de chaque conducteur !
conducteur. Sur la base des critères a priori , l' orga-
Parmi les critères a priori, on retiendra nisme assureur détermine une première
le type de véhicule et sa puissance, l'âge prime qui pourra éventuellement aug-
du conducteur, son lieu de résidence , sa menter l'année suivante (si l'assuré est
profession , la date d'émission de son responsable d'accidents), ou diminuer (s'il
permis de conduire. Certains d'entre n'est responsable d'aucun) . L'assureur
eux sont loin d'être indépendants, comme doit établir une échelle de tarification
l'âge du conducteur et la date d'émission définissant différents niveaux de primes ,
de son permis. En prenant en compte notés de O (bonus maximum) à s (contri-
ces deux critères , les compagnies d'as- bution maximum) . Le niveau d'entrée dans
surance pénalisent doublement les plus Je système , n (0 < n < s) , doit aussi être
jeunes , même s'il faut admettre que Je déterminé . Ces niveaux de primes repré-
comportement de certains est à risque . sentent pleinement les états du système

Tangente Hors-série n"57. Les maths des assurances


COUVERTURE ACCIDENT

de tarification. Des règles de passage


d'un niveau de tarification à l'autre doi-
Distribution stationnaire
vent être définies par l'organisme assu- Pour étudier l'évolution d'un portefeuille à long terme,
reur. Les probabilités de passage d'un état on suppose les primes indexées selon le même barème que
à l'autre sont présentées dans une matrice, les coûts consécutifs aux sinistres déclarés, ce qui évite
que l'on construit à partir des règles de de recourir à la notion d'actualisation.
passage et des probabilités pk d'obser- Un portefeuille de composante h = (h0 , hl' h2 , h3 , h,J, n'évo-
ver k accidents dans l'année qui vient. luant pas au niveau des perceptions de primes, doit
Les règles de transition d'un état à un vérifier h = hP avec h0 + h1 + h2 + h3 + h4 = 1, chacun
autre dépendent uniquement del 'état des hk étant positif ou nul. Sous certaines conditions, on
de départ de l ' assuré et de son com- peut montrer que tout portefeuille tend naturellement
portement, ce qui correspond très exac- vers une distribution de ce type dite « stationnaire »,
tement à la notion de chaîne de Markov. ou encore que limaP" = h.
11 ➔ 00

Dans ce type de processus évolutif, les


états futurs du système ne sont proba- Une condition suffisante pour l'obtention de cette dis-
bilisés que conditionnellement à l'état tribution stationnaire est que tous les états du système
présent du système , en total oubli des soient ergodiques, c'est à dire persistants non nuls (ce
états passés . qui signifie qu'on peut toujours y revenir en temps fini)
Pour simplifier, supposons que le sys- et non périodiques.
tème compte cinq états correspondant
à cinq niveaux de prime croissants, numé-
rotés de Oà 4 , et que chaque accident en à affecter à chaque assuré le bon coef-
tort provoque le passage dans le niveau ficient À et à le tarifer en conséquence.
de tarification supérieur (alors que l'ab- L'organisme assureur n'a à sa disposi-
sence d'accident permet de redescendre tion que les résultats globaux de son
d'un cran). Les systèmes réels compor- portefeuille constitué de conducteurs à
tent plus d'états, et des règles de tran- comportements différents. Pour arriver
sition plus complexes . Alors la matrice à une tarification sur base d'observa-
de probabilités de transition P prend la tions issues d' un portefeuille hétéro-
forme suivante (la dernière colonne est gène, les actuaires considèrent
construite pour obtenir une somme des généralement le paramètre À comme
termes égale à 1 pour chaque ligne) : une seconde variable aléatoire. Ceci
donne naissance aux distributions Pois-
son -mélange (voir article en pages 58
Po P, P2 P3 1- Po - P, - P2 - /J3
0 l - Po - P, - P,
à 62) .
Po P, P,
0 Po 0 P, l - Po - P,
0 0 Po 0 l - Po
Éuolution uers une situation stable
0 0 0 Po J - p□
Comment évolue un portefeuille de
clients pour lequel les fréquences d' as-
La modélisation des probabilités d' ac- surés présents dans les cinq états sont
cident se fait généralement au moyen représentées par le vecteur
d'une distribution de Poisson de para- a= (a 0 , a 1, a2 , a 3 , a4 ) avec
• mètre À, qui quantifie le nombre moyen a0 + a 1 + a 2 + a 3 + a4 = 1 ? Des rudi-
d'accidents dont l'assuré est respon- ments de calcul matriciel et d'algèbre
sable chaque année. Ce paramètre varie linéaire sont nécessaires pour répondre
d'assuré à assuré. Le problème consiste complètement à ces questions pratiques !

Hors-série n° 57. Les maths des assurances Tangente


SAVOIRS La tarification a posteriori

Efficacité d'un svstème une situation stable: la distribution sta-


tionnaire (voir encadrés) .
de tarification
Dans les faits, les conditions d'exis-
Notons q = (%, ql' q2 , q3 , qJ, le vecteur des primes actuel- tence de distribution stationnaires sont
lement associé aux différents états du système de tari- systématiquement rencontrées . Si les
fication. Pour un assuré de risque À, pour lequel les coûts sont indépendants du facteur de
probabilité de transition peuvent être calculées exacte- risque À associé à chaque assuré, le sys-
ment, on peut construire et exprimer formellement la tème évolue inéluctablement vers cet
fonction d'espérance de prime sous la distribution a: « état stationnaire». En clair, les conduc-
4 teurs placés initialement dans le sys-
q(À)= ~>k(À)qk. tème de tarification dans une catégorie
k=O de prime identique évoluent chacun vers
Pour une distribution stationnaire, elle devient : des états correspondant au risque qui
4 leur est propre à un moment déterminé.
q,wt (À)= Lbk (À)qk • Chaque conducteur parcourt donc une
k=O
trajectoire particulière dans l ' espace
L'efficacité du système est donnée par l'élasticité de des futurs possibles. Individuellement,
cette fonction À d (À) cette trajectoire est totalement impré-
e(À) = - - - X qstat ' visible. Mais le résultat mathématique
q,lfll(À) dÂ
d 'ex istence d ' une distribution station-
qui peut être calculée étant donnée la forme choisie naire permet à l'organisme assureur de
pour les probabilités de transition qui suivent une dis- gérer son portefeuille dans sa globalité
tribution de Poisson. Hélas! l'efficacité de nos systèmes de façon rentable. Il est plutôt rassu-
actuels n'est pas toujours optimale! rant de savoir que l' on va travailler avec
des organismes assureurs capables d'as-
sumer leurs engagements , non?
Après un an, la compagnie d'assurance
se trouvera en présence d'un portefeuille L.H. & D.J.
caractérisé par un vecteur de fréquences
aP. Après deux ans, ce vecteur sera Références:
2
a P ... Après n années, il prendra la • l es chaînes de Markov cachées et
forme aP". Chaque compagnie peut ainsi l'algorithme de Viterbi et Chaînes de Markov
estimer successivement, année après et prévisions. Tangente SUP 69 , 20 13.
année, le niveau total de ses encaissements • l es matrices. Bibliothèque Tangente 44, 2012.
étant donnés les primes initiales , un cer-
tain taux d'actualisation et la grille de
taux de primes choisies. Ceci est fon-
damental pour une gestion réaliste . L'idéal
est évidemment la constitution d'un por-
tefeuille rentable et stable .

Il est donc indispensable de mesurer


objectivement l'efficacité des règles de
transition pour lesquelles une compa-
gnie a opté et de déterminer sous quelles
conditions son portefeuille évoluera vers

Tan9ente Hors-série n°57. Les maths des assurances


par Kylie Ravera NOUVELLE

'
Hl'Institut intergalactique,
on assure!
L'Institut intergalactique est le temple de l'excellence où exerce
le redouté professeur Phi. Kylie Ravera nous conte leurs aven-
tures. La rentrée commence avec un choix délicat
quelle compagnie d'assurance choisir?

L
'Institut intergalactique a beau se situer dans leurs offres et prendre les inscriptions. »
un espace-temps globalement paisible, libéré Bêta déchiffre le panneau : « Les assurances Tourix
de bon nombre des tracas résu ltant des pas- seront là de JO h à Ilh et les assurances Zérorix de
sions humai nes, il ne s'en est pas pour autant affran- 14 h à 15 h . Laquelle dois-je choisir ?
chi de la tradition millénaire dite « de la lourdeur - Elles proposent des prestations similaires, répond
bureaucratique». Réussir les tests d'entrée, qui per- Alpha, mais elles diffèrent en termes de prix. Je ne
mettent d ' intégrer l'Institut , n'est qu ' une première sais pas laquelle est la moins chère. »
étape avant l'admission définitive . Celle-ci exige Bêta fa it une petite grimace. « Si je ne choisis pas
d'accomplir un parcours épineux dans des méandres Tourix, j e serai obligé de prent:b·e Zérori.x, quel que
administratifs où le risque de rester embourbé existe soit son prix. Et sije prends Tourix ,je ne pourrai pas
bel et bien. revenir sur ma décision si Zérorix est moins chère.
Bêta a pris un peu de retard avec la constitution de son - Tu as exactement une chance sur deux de faire le
dossier, et même si les cours ont commencé depuis meilleur choix » approuve A lpha.
plusieurs jours , il se débat encore avec la liste des Une petite voix s'élève alors : « Pas forc ément ... »
pièces à fownir. En bon camarade, Alpha a décidé de Les deux amis se tournent vers Epsilon, leur jeune
l'aider en revoyant avec lui le contenu du dossier. camarade. Elle rougit, un peu confuse de s'être mêlée
« Visa longue durée pour la planète Prépaterra ... OK. à lew· conversation.
Carnet de vaccinations à jour ... OK. Quatre photos « Pourquoi dis-tu ça ? lui demande Alpha avec curio-
holographiques .. . OK. Relevés de tes notes de maths sité.
sur les dix dernières années ... OK. Mais j e ne vois - Eh bien, imaginons que tu fixes à l'avance un prix
pas de certificat d'assurance. » que tu juges raisonnable pour l'assurance. Si jamais
Bêta lève un sourcil : « Quelle assurance ? l'offre de Tourix est inférieure ou égale à ce prix, tu
- Une assurance contre toutes les tuiles qui peuvent l 'acceptes . Sinon, tu prends celle de Zérorix. »
nous tomber dessus sur Prépaterra. Un accident de
navibus, une attaque de frelons des marais, une épidé- Cher lecteur, voyez-vous en quoi ce raisonnement
mie de rhume qui rend bête ... C'est vite arrivé. rend la probabilité de faire le meilleur choix supé-
- Zut, grommelle Bêta,j'ai complètement oublié de rieure à 1 / 2? Par ailleurs, comment détermineriez-
m 'occuper de ça. Et je dois impérativement ren;/re vous un « prix raisonnable » si l'on n'a aucune idée
mon dossier avant la fin de la journée sous peine de la couverture de ri que ?
d'être renvoyé de l'Institut! « Bon , conclut Bêta après les explications d 'Epsilon ,
- Tu as de la chance , fait remarquer Alpha en dési- je ne sais pas pour Tourix et Zérorix, mais toi, on
gnant un panneau cl' affichage où défilent des annonces peut dire que tu assures. »
publicitaires , il y ajustement deux compagnies d 'as-
surance qui viennent ici aujourd'hui pour présenter Solution en page 171

Hors-série n°57. Les maths de l'assurance Tan9ente 71


p r Loui Esch

la prime technique ■

pour une tarification efficace


La tarification d'une catégorie de risque doit couvrir au moins
son espérance. Mais cela ne suffit pas, l'assureur doit y
inclure une prime de risque, dite technique, qui quantifie les
éventuels écarts observés relativement à cette espérance.

L l de l'assurance Pourquoi des primes


non-vie et de la tarification a
priori, la compagnie a tout intérêt Comment est déterminée la prime dite
à mettre en coITespondance le coût résultant technique? Cette prime correspond à la
de la couverture d ' un risque et la prime partie de la prime permettant de couvrir
que cette compagnie doit demander pour le coût moyen des sinistres (la prime
le couvrir. Idéalement , la seule pure) ainsi que le chargement de sécurité,
connaissance de la distribution de qui permet à la compagnie de se protéger
probabilité de la variable aléatoire S contre les fluctuations des risques et de
« coût par période » (la période étant par ses prestations. À cela viennent s'ajouter
exemple l'année) devrait suffire . La des frais supportés par l' assuré: frais
tarification a posteriori prend en compte d'inventaire (rémunération de l' assureur
non seulement la distribution du coût, et frais de gestion), frais commerciaux
mais aussi certaines informations ( commissions aux intermédiaires par
complémentaires disponibles à l'issue exemple), ainsi que des taxes.
des périodes antérieures. Un exemple Si l'on adopte un angle mathématique ,
classique de cette situation est la tarification on considère une distribution de probabilité
communément appelée « bonus- malus » pour la variable aléatoire S (représentant
en automobile, qui fait intervenir le le coût annuel). Il s'agit de définir une
nombre de sinistres dont l'assuré a été fonctionnelle H qui associera, à la variable
responsable dans le passé. S, un nombre positif c qui constituera la
prime technique annuelle : c = H(S).
Cette dernière doit couvrir au moins le
risque moyen E(S) et prévoir une marge
de sécurité pour se prémunir contre le
risque de fluctuation des coûts . Cette
Un complément pour couvrir marge doit être raisonnable, de façon à
les écarts à l'espérance tenir compte de la concurrence .

T e rs- ie n 57. L s m th de su nce


Les fonctions d'utilité
Intuitivement, une fonction d'utilité, traditionnellement notée u, est supposée représenter l'in-
térêt qu'un individu accorde à un projet (ou un investissement, une stratégie, une richesse, un
rendement...) présentant un certain niveau de risque. Les valeurs numériques de la fonction d'uti-
lité ont une importance toute relative, cette fonction étant utilisée pour comparer des projets,
des situations. Dans le cas qui nous occupe, u sera toujours croissante et de concavité « vers le
bas»: un euro supplémentaire a plus d'utilité pour une personne pauvre que pour une personne
riche. Mathématiquement parlant, pour X1 < X2 et pour un accroissement Ax positif,
u(X 1 + Ax) - u(X 1) ~ u(X 2 + Ax) - u(X 2 ).
Comment choisir entre un montant certain X et un autre montant aléatoire prenant les valeurs
X - g ou X+ g avec probabilités identiques 0,5 ? Pour une personne ayant de l'aversion pour le
risque, l'utilité du montant devra être supérieure à l'utilité espérée du résultat de la loterie :
1
u(X) >-(u(X- g)+u(X + g)).
2

Cette situation est représentée par le graphique ci-dessous.


u(x)
u(X + g)

u(X)

_!_ [u(X - g) + u(X + g)]


2

u(X - g)

X- g X' X X +g X

La quantité X' représente la« richesse certaine» dont l'utilité est égale à la richesse espérée de
la loterie. La différence l't = X - X' représente le prix que l'investisseur est prêt à payer pour
éviter de devoir participer à la loterie : c'est la prime de risque. Le développements en série de
Taylor de u(X - g) et de u(X + g) jusqu'à l'ordre 2, et celui de u(X') = u(X - n) jusqu'à l'ordre
1, conduisent à la relation suivante :
u"(X) g2
Jt= - - - - x - .
u'(X) 2

Le premier facteur est le coefficient d'aversion absolue au risque. Le second dépend de la dis-
persion du résultat de la loterie.

Hors- rien 7 L m ths d ssur nces A.ngente


SAVOIRS La prime t n qu

pure . Pour être plus préc is, si u.0 désigne


la richesse de l 'assurew· en début d 'année,
la définition de vrait être
·················································································~···- - - u(u. 0 ) = E[(u 0 + c - S)] . Or, l' utilité est
1-E invariante par translation puisque seules
la croissance et la concavité de la fonction
importent. Ainsi , la définition pre mière
de u convient.
On peut également introduire une prime
de la valeur moyenne : si v est une fonction
stricteme nt croissante e t convexe, la
fonctionne lle c = H(S) peut se définir
implicitement par v(c) = E[ v(S)]. On
retr·ouve également la prime pure lorsque
C
v est une fonction du premier degré.
Quels sont les modèles pour l'élaboration Voyon s e ncore la prime du quantile.
de te lles primes ? Notons Fs la fonction de répartition de
Passons en revue les différents niveaux la variable aléatoire S et fixon s un certain
de prime . On trouve la prim e pure, niveau E appartenant à JO , l [. On définit
couvrant très exactement l' espérance de alors la valeur H par
coût associée à la distribution de probabilité H(S)=min{t ~O , Fs(t) ~ 1- E},comme
du ri sque couvert. Dans cette s itu ation , présenté sur le graphique ci-contre.
H(S) = E(S).
On p e ut accroître la prime pure Il reste enfin à présenter la prime du coût
linéairement pour obtenir la prime de maximal , que l' on pe ut défi nir lorsque
l 'espérance , pour laquelle l' ensemble des valeurs de la variable S
H(S) = (1 + 0)E(S) , avec 0 > 0 , ce qui est borné s upé rieurem e nt. On définit
fait apparaître un chargement de sécurité. alors H par M s = max{S(w), wE Q}.
On peut introduire également une prime Cette prime constitue la limite de la prime
de la variance, caractérisée par du qu antil e lorsque E: te nd vers O.
H(S) = E(S) + a x V(S ), où V(S ) est la
variance de S et a est strictement positif. Que lles sont les proprié tés nécessaires à
Le recours à la variance peut sembler l 'é l a bor a tion d'une bonn e prime
pe u judicieux ; on peut aussi définir une technique ? Il faut év idemment prévoir
prime de l'écart type : un chargement de sécurité non négatif (!),
H(S) = E(S) + (3 x cr(S) avec (3 > O. donc H(S) ~ E(S), mais pas de dépassement
du coût max imum , ce qui se traduit par
l'utilité de la fonction H(S) :o; M s.
On so uh a ite a u ss i l ' invari a nc e par
U ne idée consiste à recourir à la notion translation (soit oune constante, o n veut
de fonction d ' utilité (voir en encadré). On que H(S + o) = H(S) + o) . Ajoutons à cela
définit ainsi une prime de l 'utilité nulle, la propriété d 'add itivité : s i S I et S 2 sont
la fonctionne ll e c = H(S) é tant deux variables a léatoires indépendantes ,
implic iteme nt définie par l ' express ion on aimerait avo ir
u(O) = E[u(c - S)], dans laquelle u désigne H(S 1 + S2) = H(S 1) + H(S 2).
la fonction cl ' utilité de l'assure ur. Dan s Il reste à traiter la propriété d ' itérativité ,
le cas où u.(x) = ax + b, on retr·ouve la prime pour laque lle on considère que le ri sque

74 n 5 . Les m th ura ce
CCIDENT

S est défini via une étape intermédiaire sera unjom ou l'autre ruiné avec probabilité
T. L' itérativité signifie que l 'o n peut 1). Par ail leurs , si le principe de prime de
calculer la prime en l' évaluant dans un coût maximal est appliqué, il n' y a plus
premier temps conditionnellement à aucune raison de s' assurer: il serait moins
l'étape intermédiaire H(S IT), et en coûteux de suppOiter simplement le 1isgue.
appliquant ensuite à ce résultat (aléatoire , C'est donc vers d ' autres structures qu ' il
puisque fonction de T) , la même faut se tourner. Pour la propriété de non-
fonctionnelle H . dépas se ment du coût maximum , des
Cela s'écrit: H[H(S IT)] = H(S). contre -exemp les pour (b) , (c) et (d)
Ainsi , lorsque le coût total est la so mme s' obtiennent facile ment en prenant des
des coûts d 'un ce1tain nombre N (aléatoire) paramètres suffisamment grands. Quant
de sinistres, le coût total à la prime d ' utilité nulle (e) , elle satisfait
S = X 1 + ... + X Ndevient une somme de cette propriété en raison de la croissance
variables aléatoires compOitant un nombre de la fonction d ' utilité:
aléatoire de termes. La propriété d'itérativité La propriété du chargement de sécurité
exprime alors que
H(S) = H[H(SIN)] u(O) = E[u(c - S)] ~ E[u(c - Ms)J = u(c - Ms)-
= H[H(XI + ... + XNIN)] .
Si l ' on s uppose que les X J sont non négatif est satisfaite par la prime
indépendants et identiquement distribués d' utilité nulle (e) et par la prime de valem
(de loi commune X) et que le nombre moyenne qui , vu la concavité de u et
de sinistres N est indépendant des X1, et l'inéga lité de Jensen , s'écrit::
si la propriété d 'additivité est satisfaite , d ' où E(S) ~ c vu la croissance de u. Le
alors la relation précédente devient plus
simplement H(S) = H[N x H(X)]. u(O) = E[u(c - S)] ~ u[E(c - S)] = u[c - E(S)],

Passons à présent en revue quels principes raisonnement pour la prime de valeur


de primes énoncés satisfont (ou non) aux moyenne est similaire.
cinq propriétés présentées. En ce gui concerne les quatre cellules
On constate que seules la prime pure et marquées d ' un point d'interrogation, les
la prime de coût maximal satisfont aux cinq principes de pr ime ne possèdent
propriétés . Il ne s'agit malheureusement généralement pas l es propriétés
pas là de primes réalistes ! La prime pure correspondantes , sauf pour des fonctions
a un chargement de sécw·ité nul (l 'assw·ew· u et v particulières.

(1) (2) (3) (4) (5)


Chargement Coût Inv. par
Prime Additivité Itérati vité
de sécurité maximum translation
(a) pure OK OK OK OK OK
(b) d 'espérance OK NON NON OK NON
(c) de variance OK NON OK OK NON
(d) d'écart type OK NON OK NON NON
(e) d ' utilité nulle OK OK OK ? ?
(j) de valeur moyenne OK OK ? ? OK
(g) de quantile NON OK OK NON NON
(h) de coût maximal OK OK OK OK OK

Hor - ene n 5 . L ths de ssur nces angent


. SAVOIRS La prime technaque

Les blenfaits de l'exponentielle moyenne. Il suffit de choisir


v(x) = a + be1,_," avec b > 0 , qui est bien
Parmi les cas particuliers de la prime st:Iictement croissante et convexe. Elle est
d'utilité nulle , on retient la prim e une fonction croissante de À. Les deux
exponentielle, pour laquelle la fonction valeurs extrêmes du p ara m è tre À
d'utilité choisie est du type s'identifient à deux autres primes. Lorsque
u(x) = 1 - e-J..x, avec À> 0. Cette fonction À-+ O+ , la prime exponentielle tend vers
est strictement croissante et strictement la prime pme ; lorsque À -++ 00 , la prime
concave. Son coefficient d 'aversion au exponentielle tend vers la prime de coût
risque est constant et vaut À. Le principe maximal.
de prime associé est défini par l'expression Enfin , les propriétés marquée d' un point
u(O) = l - e- Àc E(e'- 8), et on a donc : d'interrogation dans le tableau précédent
so nt éga le ment vérifiées : la prime
exponentielle est additive , invariante par
translation et itérative !
Cette prime exponentielle possède d'autres Des résultats plu s intéressants encore
propriétés intéressantes ! Déjà, elle est peuvent être établis au sujet de la prime
un cas particulier de la prime de valeur exponentielle . Des propriétés de type

Le paradoxe de Saint-Pétersbourg
C'est la présence du risque qui fait que l'on ne peut se conten-
ter de prendre l'espérance mathématique d'une variable comme
valeur de sa fonction d'utilité. Ceci fut clairement mis en évidence
par Daniel Bernoulli en 1732 au moyen du célèbre paradoxe de
Saint-Pétersbourg. La question posée par le mathématicien est
la suivante : « Quelle somme seriez-vous prêt à miser pour parti-
ciper au jeu suivant? Je réalise une suite de lancers d'une pièce
de monnaie et je vous donne deux euros si pile apparaît pour la
première fois au premier lancer, quatre euros si pile apparaît pour
la première fois au deuxième lancer, huit euros si pile apparaît
pour la première fois au troisième lancer, et ainsi de suite.Je vous
donnerai donc 2" euros si pile apparaît pour la première fois au
nème lancer. » Faites un sondage autour de vous ! La plupart des personnes interrogées accep-
teront de miser une petite somme (au moins deux euros), mais répugneront à investir un mon-
tant important en raison du risque élevé de ce jeu : en misant vingt euros, par exemple, le joueur
sera perdant avec probabilité
1 1 1 1 15
-+-+-+ - =-=0 9375.
2 4 8 16 16 '
Il ne gagnera donc qu'a,,ec 6,25 chances sur 100. Cependant, l'espérance de gain de ce jeu est
infinie:
E(gain) = z.2" ( -1 )" =1 + 1 +1 + ...
11.el 2
C'est la seule aversion au risque qui justifie la décision du joueur.

n 5 • Les at s ran e
(1) (2) (3) (4) (5)
Chargement Coût lnv. par
Prime Additivité Itérativité
de sécurité maximum translation
(a) pure OK OK OK OK OK
(b) d ' espérance OK NON NON OK NON
(c) de variance OK NON OK OK NON
(d) d'écart type OK NON OK NON NON
(e) d ' utilité nulle OK OK OK NON NON
exponentielle OK OK OK OK OK
(j) de valeur moyenne OK OK NON NON OK
(g) de quantile NON OK OK NON NON
(h) de coût maximal OK OK OK OK OK

« réciproques » aux propriétés ci-dessus la prime d'utilité nulle est additive si , et


sont également vraies , fournissant ainsi seulement si, c'est la p1ime pure ou la prime
des caractérisations de la prime exponentielle; et la prime d'utilité nulle
exponentielle. Par exemple , la prime de est itérative si, et seulement si, c'est la
valeur moyenne est invariante par prime pure ou la prime exponentielle.
translation si, et seulement si , c 'est la Cette structure particulière jouit donc de
prime pure ou la prime exponentielle. toutes les qualités requises et peut servir
De même , la prime de valeur moyenne de point de départ à une modélisation
est additive si, et seulement si, c'est la générale. Les bases d ' une théorie de la
prime pure ou la prime exponentielle ; tarification sont ainsi jetées !

L.E.

Hors serie n 57 Les maths de a urane s Tangente


par E. Dubois et D. Justens

Des liures de maths, assurément


Les livres sur les mathématiques de l' assurance sont un peu techniques . Plutôt que des notes de lecture
« classiques », cette page bibliographique s'attache à un survol rapide de références très variées et
parfois incontournabl es.

Le plus récent Le plus ancien


Publié il y a quelques mois seulement, ce À travers différents chapitres, l'auteur relate les
livre , adapté aux étudiants se spécialisant dans probabilités , les primes, les tables de rnortafüé
l ' actuariat, explique les différentes méthodes et bien d ' autres thèmes mêlant mathématique
mathématiques utilisées par les compagnies et assurance. Datant de 1931, ce livre est le
d'assurances et définit de nombreux concepts premier à traiter de ces deux sujets ensemble.
parfois flous pour les assurés. Un objet de collection !

,~~J::::s~~ES Mathématique Théorie mathématique


C....ort•H•<i<noo,rlp<
et assurance. des assurances.
Daniel Pien-e-Loti-Viaud , Henri Galbmn ,
Patrick Boulongne , Armand Colin, 1931.
Éditions Ellipses , 2014 ,
29 euros.

Une référence des mathématiques financières


L'assurance n'es t pas loin de la finan ce. C'est ce qui
explique qu e deu x des auteurs d 'articles de ce hors-série
viennent de publier une nouvell e édition d'un remarquable Mathématiques
manuel de base de mathématiques financières, agréabl e à
lire, rigoureux d ' un point de vue mathématique , intégrant
financières
certains aspects modernes de la finance tout en restant
accessible à un très large publi c. Se pl açant réso lument
dan s la lignée des mathématiques financières classiques,
les auteurs se so nt concentrés sur la mathématique de
l' intérêt , tout en ouvrant in fine les portes de l' incertain.
L'ouvrage aborde e n effet la modélisati o n des actions, la
gestion de portefeuille et les concepts de mesure du ri sq ue ,
notamme nt les notion s de Value at Risk et de Tai! Value at
Risk . D'un point de vue méthodo logique , il conjugue judic-
ieuseme nt la rigue ur des développements mathém atiques et Mathématiques financières
une approche didactique nourri e d 'exempl es et d ' exercices. Pierre Devo lder, Mathilde Fox,
Chaque chapitre dé bute par une mi se en situation pratique, Francis Vaguener - Pearson.
qui est e nsuite réso lue par les tec hniques théoriques préala- 2e édition 2015 - 32 euros.
blement développées.

EiJ Tangente Hors-série n°57. Les maths des assurances


Se~ éger CNIIB IBS risques météortlO!IIIIUIS 80
le lig Data en assurance, des perspectives étonnantes 84
Produits d'assurance vie de nouvelle génération 90
A rance vie ou épargne ? les produits Unirersal Lite 94
l 96
98

Notre société est de plus en _plus e~igeante en matiè_Ee de couverture -de


risques, et de nouveaux cha-mps d'applicatioh des assurances apparaissent
régulièrement. Les produits clas siques doivent évoluer vers plus de flexibilité
et un-partage équilibré des risques entre clients et assurés. À cela s'ajoute
pour les assureurs un défi de taille :Je« big data», qui impose de traduire
iiiE::
efficacement une pléthore de renseignements en un p r:._ocessus de tarification
unidimensionnel.

-~ . . .,
Hors-série n°57. Les maths des assurances Tangente 79
ACTIONS par J.-L. Bertrand et B. Finas

Se protéger
contre les risques
météorologiques
Chaque jour, on prend des décisions en fonction du temps qu'il
fait. Les ventes et donc l'économie de millions d'entreprises
dans le monde sont ainsi exposées aux aléas de la météo. Heu-
reusement, il est devenu possible de s'assurer également contre
ce type de risque.

L
'actu alité fa it la part be ll e aux ce qui se traduit par un coût pour l'éco-
évènements cli matiques extrêmes no mie de 534 milliards de do ll ars, alors
que sont tempêtes, torn ades ou que le coût des catastrophes naturelles
inondati o ns. Si les catastrophes natu - n'a pas dépassé 20 milliards de dollars en
relles , heure usement rares , ont effecti- 2014. Avec le changement climatique ,
ve ment un coût lié à la destruction des cette variabilité a pratique ment doublé
bi ens , les anomalies quotidiennes de la en trente ans et les scientifiques s' ac-
météo, c'est-à-dire les différences entre cordent à dire qu 'elle va continuer à aug-
la météo observée et sa valeur norm ale, mente r. D e l ' a nal yse du ri squ e à la
sont beaucoup plu s fréqu entes et ont un conception de produits fin anc iers pour
impact cumulé et récuJTent beaucoup plus compenser les ent:rep1ises en cas de météo
important sur les finances des entrepri ses . défavorable , la gestion du ri sque météo-
Au x États-Uni s par exe mpl e, la varia- rolog iqu e fa it appe l aux co mpéte nces
bilité cl imatique tourne autour de 3,5 % , imbriquées de météorologues, c limato-
log ues, stati sti cie ns, ana lys tes , info r-
m a ti c ie n s, e t a c tu a ir es . Mo d è les,
algorithmes et mathématiques sont au
Il n~y a aucun cœur du métier de sociétés comme Meteo
élément arbitraire Protect, entreprise française créée en 2011
dans l'assurance indicielle et aujourd ' hui leader e uropéen de cette
activité en ple in essor.

Tangente Hors-série n°57. Les maths de l'assurance


relation mathématique entre cet indice et
la petforrnance fu1ancière, évaluer le risque
de perte en s'appuyant sur les observa-
tions historiques météorologiques, et
construire le produit qui indemnise auto-
matiquement l'entreprise à hauteur de la
pe1te causée par la météo.

Dans l'assurance traditionnelle, un expe1t


se déplace pour constater l'ampleur du
sinistre causé par la météo, et propose à
l'assuré un dédommagement. Dans l'as-
surance indicielle, tout est fixé à l'avance.
Hssurez-uous contre le temps qu'il fait! La relation mathématique entre météo et
sinistre, quel' on appelle aussi la relation
Les variations de température, de pluie, de météo-sensibilité, est calculée dès le
de vent ou d'ensoleillement affectent dépmt en croisant les historiques de la
directement 30 % de l'économie mon- météo et les données de l'entreprise, si
diale et 70 % des entreprises dans des bien qu'à chaque valeur de l'indice météo
secteurs comme l'agriculture, l'énergie, correspond une valeur de sinistre finan-
l'agro-alimentaire, le tourisme , les trans- cier. L'entreprise choisit le seuil à pmtir
ports ou le textile. Les entreprises dis- duquel elle souhaite être indemnisée. Il
posent de tous les logiciels de prévision n'y a aucun élément arbitraire dans l'as-
nécessaires pour gérer leur cycle de vente surance indicielle. Le prix de l'assurance
et de production, mais quand la météo ne dépend que de la probabilité que la
fait varier la demande ou l'offre , elles valeur del 'indice franchisse le seuil choisi.
sub issent les méventes ou les surcoûts Contrairement à l'assurance tradition-
de production : même s'il existe des pré- nelle , il ne dépend ni des pratiques de
visions relativement fiables pouvant aller l'assuré , ni des sinistres précédents, ni des
jusqu'à deux semaines, c'est en général pratiques des autres assurés.
trop court pour réagir. Il n'existe alors
qu ' une solution pour éviter qu 'une météo Quarante années de données
défavorable ne conduise à des pettes fman- pour estimer les risques
cières : mettre en place un produit finan-
cier adapté qui indemnise automatiquement Pour analyser le risque météo, on uti-
l'entreprise quand cette météo défavo- lise évidemment des observations météo-
rable se produit. C'est le domaine del' as- rologiques. Beaucoup d'observations.
surance indicielle, l'indice étant ici un Elles sont collectées par des stations au
paramètre météorologique. Lorsque l 'in- sol, des satellites, des radars à des fré-
dice franchit un seuil, l'indemnisation quences quotidiennes, horaires ou même
est automatiquement déclenchée. en continu. Ces mesures sont des don-
L' innovation consiste à proposer le pro- nées brntes qu 'il faut tout d'abord collecter,
duit de couverture adapté à chaque entre- puis vérifier, traiter et paifois coJTiger. Un
prise, là où l'entreprise est présente. Il changement de matériel de mesure, une
faut trouver l' indice météo le mieux cor- nouvelle construction à proximité d ' une
rélé à l'activité de l' entreprise, décrire la station, une coupure de courant , une sta-

Hors-série n°57. Les maths de l'assurance Tangente


Se protéger contre ...

Mesurer la météo-sensibilité
des entreprises
Avant de mettre en place une couverture financière , il faut comprendre la relation entre
météo et chiffre d'affaires (ou rendement, ou coûts de production ... suivant les cas).
Pour ce faire, on confronte les données de l'entreprise aux données météorologiques,
avec un objectif double : trouver l'indice météo le plus représentatif et exprimer la
relation mathématique. Il faut parfois faire appel à des outils statistiques de modéli-
sation sophistiqués car la météo n'est pas une donnée ordinaire : l'impact sur les
ventes de glaces de deux semaines à 10°C, puis de deux semaines à 30°C, n'est pas le
même que celui de quatre semaines à 20°C. Il y a des effets de seuil , et le comporte-
ment n'est pas nécessairement linéaire.
Il faut également prendre en compte la distribution géographique du risque car les
entreprises vendent ou achètent en général sur des zones étendues qui nécessitent le
choix de plusieurs stations météo.
Enfin, celui qui prend le risque en bout de chaîne est en général un réassureur ou un
fonds de gestion spécialisé.

tion que l' on déplace de quelques mètres Quand la relation mathématique est éta-
sont autant d ' éléments qui provoquent blie , on y injecte en général entre trente
des discontinuités, des ruptures d'ho- et quarante années de données météo his-
mogénéité, des données manquantes ou toriques pour calculer le montant de pe1te
des valeurs abenantes, qu'il faut traiter moyen et le montant de perte maximum
pour pouvoir utiliser la totalité del 'his- causés par la météo, ainsi que la fré-
torique. Ainsi, par exemple, Meteo Pro- quence de ces pe1tes. En s' appuyant sur
tect utilise des algorithmes pour nettoyer le passé , on cherche à évaluer le risque
et reconstruire ces historiques. La météo à venir. C'est ici qu'intervient le chan-
étant très locale, et les stations de mesure gement climatique : il faut prendre en
n'étant pas présentes partout, l'entreprise compte les tendances pour ne pas sur-
fait également appel à des modèles météo- ou sous-estimer le risque encouru. Sui-
rologiques de prévisions numériques afin vant les cas , on utilise des corrections
de reconstruire les conditions météoro- linéaires, de Loess* (LOcal regrESSion*)
logiques historiques locales n'importe ou encore polynomiales. Le prix de la cou-
où sur la planète (voir le dossier « Les ve1ture con-es pond in jïne à l'espérance
maths de la météo » dans Tangente 160). du montant moyen de la prime, à laquelle
C'est ce que l'on appelle la descente s'ajoutent divers coûts de fonctionne-
d'échelle. Ce travail est aujourd' hui rendu ment.
possible grâce aux technologies de cal-
cul informatique distribué, qui permettent D- J.-L. B. & B.F.
l'exécution en temps réel des procédures
de collecte, de traitement et de production *Modèle de régression locale qui repose sur
de données météo nécessaires à l' éva- la mét hod e des « plus proches voisins » .
luation et au transfert des risques météo
des entreprises.

T«n9ente Hors-série n°57. Les maths de l'assurance


par Daniel Justens EN BREF

le marché restreint
mais lucratif
des plaisanciers
Tous les secteurs d'assurances ne visent pas à toucher la
plus grande partie de la population. Bien au contraire.
Certains assureurs se spécialisent dans un segment
bien particulier: celui des plus nantis . C'est le cas de la très petite population
des propriétaires de yachts . Depuis quelques années, des contrats ciblent non
seulement les plaisanciers, propriétaires ou non de leur bateau, mais aussi les
professionnels du nautisme , les yacht managers et aussi, dans la filière com-
merciales, les courtiers, les yacht brokers pour utiliser la terminologie en usage
dans ce milieu très fermé. Leur sont proposés des contrats couvrant pertes et
avaries, frais d'assistance et de sauvetage, responsabilité civile, vol total ou
partiel, protection juridique et même assistance 24 heures sur 24. Une couver-
ture « faute inexcusable » est également disponible, ce qui est un comble !
On aurait vraiment tort de se priver des plaisirs de la navigation.

Pourquoi ne pas assurer...


uos animaux ?
Tous les propriétaires d' animaux de compagnie le savent : les soins à prodiguer
à son chien ou à son chat sont entièrement à charge de leur propriétaire.
Des compagnies se spécialisent à présent dan s ce type de couver-
ture. On peut ainsi garantir le remboursement de nombreux
frai s et traitements médicaux nécessaires à son compagnon
à quatre pattes , mais aussi le remboursement de coûts
annexes tels que l' ambulance (mais oui !) ou même
le séjour en clinique vétérinaire. Un petit exemple
de tarif ? Pour 110 € pour votre chat (135 € pour
)..,_
votre chien), vous pouvez couvrir tout type de frais
médicaux jusqu ' à concurrence de 1000 € par an .
Intéressant ? Voire : la couverture est assortie
d'une franchise de 150 € . Les petits bobos de 'A ' Y:
'

---
'1 --

votre animal favori resteront donc à votre charge .

Hors-série n°57. Les maths des assurances Tangente EJ


SAVOIRS par Daniel Justens

Le Big data en assurances,


des perspectiues étonnantes
La connaissance approfondie de la nature d'un risque devrait
en permettre une modélisation plus fine. Mais le passage
efficace d'une base de données gigantesque à un processus de
tarification adapté demande la maîtrise de modèles
sophistiqués, assortie de méthodes de validation, et ouvre de
ce fait des pans insoupçonnés de recherche fondamentale !

L
a poss ib ili té d 'acc umuler de gros problèmes , tant scientifiques
d'énormes quantités de données qu 'éthiques. C'est vrai en assurance vie
concernant chacun des assurés à une époque où l 'accès à l' ADN de
d'une compagnie d'assurances et d 'utiJjser chacun va sans doute devenir possible ,
cette inf01mation à des fins conctmentielles mettant ainsi en évidence, au mépris du
et commercia les va modifier respect de la vie privée, des variations de
significativement les méthodes de risque de développement de maladies
tarification dans la décennie à venir. En ou des faiblesses génétiq ues . C'est
fait, personne ne sait vraiment dire également vrai en responsabilité civile
aujourd'hui à quoi précisément ressemblera automobile dès lors que l'on équipera
un contrat d ' assurance dans dix ans ! tous les véhicules de boîtes noires
Pour pouvoir profiter des avantages emegistrant systématiquement tous les
inhérents au Big Data (le « déluge de comportements mesurables des
données »), il va falloir s' assurer de la conducteurs, sans tenir compte des
maîtrise de modèles mathématiques et circonstances extérieures pouvant ou
algorithmiques sophistiqués afin de non justifier des agissements qualifiés
traduire une grande quantité d' info1mation a priori de déviants ou dangereux. Mais
en un processus de quantification du ce n' est pas tout : en affinant la mesure
risque efficace et adapté à chaque contrat. du risque , on risque tout simplement de
Cette évolution ne se fera pas sans poser faire disparaître le caractère mutualiste
de l' assurance et donc de lui ôter tout
intérêt social ou même commercial : si
Une étude fine de la géométrie chacun cotise pour couvrir très exactement
des espaces euclidiens de grande son propre risque , quel intérêt présente
dimension est incontournable. encore le contrat? Dès lors que tous les

Tangente Hors-série n°57. Les maths des assurances


HORIZONS NOUVEAUX

John Wilder Tukey


(1915-2000).

paramètres sont connus et que le risque dimension initiale de l'espace de départ.


est ajusté avec une précision totale , ne Et, si ce n'est pas le cas, c'est qu ' un
vaut-il pas mieux tout simplement grand nombre de variables prises en
épargner ? Enfin, que faudra-t-il faire compte sont redondantes et donc, du
des clients à haut risque potentiel ? Toute point de vue de l'assureur, sans intérêt!
couverture leur sera-t-elle interdite ? Il faut aussi pouvoir mettre en évidence
de manière analy tiqu e les vecteurs
Des techniques descriptiues à affiner comportant une composante aberrante
susceptible de modifier l'appréciation
La prise en compte de bases de données du risque. Des pans entiers de la statistique
énormes associées à un nombre de plus robuste doivent être construits à cet effet,
en plus grand de variables doit conduire en parallèle avec des systèmes expe1ts
à un affinement sigrùficatif des techniques capables d'effectuer les procédures de
descriptives afin d'autoriser une ce1taine calcul en un temps utile . Ce point ouvre
lisibilité de la masse d'information associée aussi la voie à des méthodes crédibles de
à chaque assuré. En effet, l' analyse détection de fraude au sinistre. Des
exploratoire des données, qui fut initiée statistiques récentes estiment ce taux de
par le mathématicien américain John fraude à plus de 10 %, engendrant de
Tukey, ne date que des années 70 et elle fait un accroissement des dépenses, et
recèle encore de nombreux champs de donc des augmentations de prime et une
recherche probablement élémentaires perte concurrentielle significative.
mais toujours in explorés. L' analyse
factorielle doit également être adaptée à Il devient également nécessaire de
un nombre croissant de degrés de libe1tés. peaufiner toutes les procédures de
Ce point pose problème car toute projection classification et de segmentation
dans le plan sera, dans notre cas de figure , automatiq ue visant à constituer des
non pertinente au vu de l'inéluctable groupes plus ou moins homogènes
perte d ' information résultant de la d ' assurés. Mais la montée en dimension

Hors-série n° 57. Les maths des assurances Tangente


Le Big data en assurances

Volume Volume de n-sphères de rayon unité


6

2 4 6 8 10 12 14 16 18 20
Dimension n

n'est pas sans aller à contre-courant de sont « voisines de la surface » , et donc


l'intuition . En dimension 1, il est aisé éloignée du point central de référence. Cette
de constituer une classe d'individus dernière propriété est assez intuitive :
considérés comme « homogènes » en pour être au bord de la n-sphère, il suffit
proposant un intervalle : sont considérés qu 'une seule observation (sur n) soit
comme présentant un risque équivalent éloignée du centre. Le point de référence
tous les assurés pour lesquels la seule sur lequel on base l'estimation de risque ,
mesure effectuée appartient à cet intervalle. et donc la tarification , est aussi celui au
C'est le cas en assurance vie classique , voisinage duquel se retrouvent le moins
où tous les assurés ayant même âge entier d ' observations ! Une étude fine de la
sont regroupés dans une même catégorie géométrie des espaces euclidien s de
de risque. On peut généraliser cette notion grande dimension devient dès lors
d 'intervalle dans le plan en considérant incontournable.
l'appattenance à des cercles, dans l'espace
à trois dimensions en estimant comme Toutes ces considérations doivent
équivalents tous les assurés dont le triplet conduire à définir de nouvelles notions
de mesures appartient à la même sphère. de« proximité» et de« voisinage» de
Mais pour pouvoir poursuivre encore, il façon à mettre en place une segmentation
convient d'étudier des sphères en utilisable en pratique. En assurance vie ,
dimension quelconque n, des n-sphères pour reprendre le même exemple , la
ou hypersphères. Et là de grosses surprises connaissance de l ' âge, du nombre de
nous attendent ! En grimpant en dimension, cigarettes fumées, du nombre de verres
les sphères de rayon unité ont des volumes d 'alcool bus, du passé médical de chaque
évoluant de manière non intuitive : ils sont assuré , tout cela devrait contribuer à
croissants jusqu'en dimension 5 , pour affiner ses probabilités de décès et donc
décroître ensuite régulièrement et tendre à ajuster chaque prime. Enfin,
rapidement vers zéro(!) , comme on peut l ' information collectée n ' est pas
le constater sur le graphique ci-dessus . exclusivement numérique. Certains
facteurs de risque se caractérisent
De plus , on montre que pour ces n-sphères uniquement sémantiquement et
(avec n > 5) la plupart des observations conduisent à des modalités non

Tangente Hors-série n°57. Les maths des assurances


chiffrables. C'est le cas notamment du réseau comme efficient. On peut aussi
sexe en assurance vie, une donnée dont, évidemment recourir au panel de méthodes
curieusement (car elle se révélait de régressions, linéaires ou non , afin de
pertinente), l ' introduction dans les construire une formule de tarification
paramètres de tarification vient d 'être sur base de variables explicatives
interdite au niveau européen pour cause indépendantes bien sélectionnées. Mais
de discrimination. Il conviendrait donc cette indépendance est difficile à établir,
de développer, parallèlement au data et la multiplication des variables et
mining (analyse des données, regroupant l'accroissement d'information engendrent
les différentes méthodes d 'a nalyse inéluctablement des redondances , qui
exploratoire de données numériques) , provoquent des effets dits de « multi-
un véritable « text mining ». Ce type de colinéarité » : de petites variations des
recherche n 'a pas l ' exclusivité des données engendrent de grandes variations
informaticiens et devrait intéresser du calibrage. C'est attendu, le système
nombre de mathématiciens . étant alors quasiment indéterminé ! On
le voit , les possibilités sont nombreuses
Uers une analyse discriminante et« la » solution idéale n'est pas encore
efficace en vue.

Lorsque les techniques descriptives sont Interrogeons Karl Popper...


mises en place, il convient de transfo1mer
la description multidimensionnelle de
risque en prime. Pour ce faire, il faut
recourir à l'analyse discriminante en vue
d'affecter à chaque assuré une seule
catégorie de risque, qui est par essence
unidimensionnelle puisqu 'elle se traduit
par une prime (c'est-à-dire par un nombre
réel) . On peut faire usage d'arbres de
décision en usant prioritairement d'un
critère de sélection particulier, jugé
fondamental au vu de l'analyse descriptive
initiale. L'utilisation des réseaux neuronaux
est également envisageable, en recourant Le Big Data ouvre également la porte à Le philosophe des
à des méthodes de programmation des considérations plus philosophiques. sciences Sir Karl
aléatoire. Le réseau qui est constitué d'un La connaissance d'un grand nombre Raimund Popper
ensemble de nœuds interconnectés est d'informations pe1met-elle nécessairement (1902-1994).
progranuné sur base d' une sélection de une amélioration des techniques
cas jugés représentatifs et pour lesquels prévisionnelles? Ces dernières peuvent-
le risque est supposé connu. Chaque elles évoluer vers des modèles caiTément
nœud du réseau se voit attribuer un poids prédictifs, sorta nt ainsi du cadre
variant aléatoirement jusqu'à ce que le probabiliste ? Ce genre de considération
processus complet fournisse la réponse a été analysée pai· le philosophe allemand
espérée. Lorsque le réseau donne Karl Popper, qui défend l'idée selon
systématiquement la « bonne » réponse laquelle il est illu soire de recueillir des
pour l' ensemble des cas de référence , données en masse pour espérer en faire
on arrête le processus et on considère le ressortir des similitudes et en faire

Hors-série n° 57. Les maths des assurances Tangente


Le Big data en assurances

révèlent imperméables à toute procédure


Karl R. Popper Karl R. rigoureuse de falsification. » Et c'est
Conjectures
Popper une évidence : le postulat « Toutes les
et réfutations vaches sont rousses » est invalidé dès
La logique
La <:roiuance du savoir scientifique que l'on présente une vache blanche (ou
de la découverte
scientifique noire ... ). Mais l'affirmation « La
probabilité qu ' un dé tombe sur six vaut
1 / 6 » demande une infinité de tirages
pour être validée ou infirmée ! Quelle
que soit une quantité d'information , celle-
ci demeure toujours finie. Les théorèmes
Payot
limites et les lois des grands nombres ne
sont donc jamais qu'approximativement
émerger, par simple induction , une théorie applicables.
nouvelle . Dans Conjectures et Réfutations Dans un cadre plus pratique : pour
(Conjectures and Refutations: The Growth connaître exactement le risque présenté
Of Scientific Knowledge, Routledge), par un automobiliste en termes de
paru en 1963 , i I affirme en effet : « The fréquence et de gravité d'accident , il
belief that we can start with pure faut 1'observer jusqu ' à ce qu'il renonce
observations atone, without anything in à conduire, c' est-à-dire jusqu'à ce qu ' on
the nature of a theory, is absurd. » (L'idée ne l'assure plus ! Le paradoxe est donc
que l'on pourrait se conte nter absolu. De même, attribuer une
d 'obseniations, sans rien qui ressemble probabilité très faible à un évènement
à un modèle théorique, est absurde .) Il rare (un incendie par exemple) ne peut
y amait donc toujoms, selon le philosophe, ni être validé, ni invalidé. Que
une idéologie sous-jacente à toute l'évènement se produise ou non, on
modélisation, et aucune ne découlerait pourra toujours affirmer a posteriori:
uniquement des observations. Bref, notre « Je l'avais bien dit! » Il faudrait arriver
vérité serait antérieure à toute procédure progressivement à penser, quelle que
de validation et comporterait un caractère soit l'information disponible, non en
arbitraire. termes d'un monde où les choses sont
Une chose est sûre cependant: l'avènement réfutables ou non réfutables, mais dans
du Big Data va induire un changement un cadre d'évènements probables ou
de paradigme en ce qui concerne les improbables. Pour étendre la philosophie
méthodes scientifiques . Car bien au-delà poppérienne à ce nouveau paradigme,
du choix d ' un modèle et d ' une il convient d ' introduire la notion de
représentation « corrélation- causalité », falsification pragmatique , qui considère
les recours aux statistiques et au calcul comme impossibles les évènements
des probabilités vont poser des problèmes hautement improbables . Le problème de
épistémologiques fondamentaux . Pour cette façon de faire est que des
s'en convaincre, on peut revenir à Popper évènements hautement improbables,
en reprenant ses écrits initiaux fondant voire même stochastiquement impossibles
le falsificationnisme (Logik der Forschung, (de probabilité nulle a priori), se
Mohr Siebeck GmbH & Co., 1935) ; il produisent régulièrement.L'espoir d'un
y affirme : « Quoique des raisonnements monde totalement prévisible est donc
probabilistes jouent un rôle fondamental vain. Et c'est heureux !
dans toute science empirique, ils se D.J.

Tangente Hors-série n°57. Les maths des assurances


par Édouard Thomas NOTES DE LECTURE

les maths du Big Data


Les gisements de données non structurées accumulées par les entreprises,
en particulier les assureurs, sont colossaux. On a besoin d'experts d'un
genre nouveau, très à l'aise avec les maths, pour les exploiter.

les données, les enjeux contemporains


c'est quoi exactement ? du Big Data
Le Big Data est difficile à Basé sur l'expérience pro-
définir précisément (voir notre fessionnelle de l'auteur
dossier dan s Tangente SVP et sur un cours qu ' il a mis
77-78, 20 14). Ce qui est cer- en pl ace à Mines-Paris
tain , c ' est qu ' il s' agit d ' un Tech , ce petit opuscule
certain type de . .. données. LE BIG DATA vise à expliciter les enjeux
Les données , ce ne sont ni co nte mporain s dan s le
1!:!11
des prod uits, ni des services. domaine de l ' exploita-
Elles sont toujo urs le fruit tion des données massives. L' accent est mi s
d ' une constru cti on et sont sur les as pects stratégiques pour les entre-
réutili sables à l' infini. Leur prises . De nombreux exemples récents, chif-
abondance remet e n cause frés et documentés , sont fournis pour que
ce1tains des fo ndements clas- le lecteur prenne pleinement conscience des
siques de la valeur que sont le travail , la rareté et l'utilité. réalités industrielles autour des données
Cet ouvrage se penche ainsi méthodiquement sur ce qu 'est massives : les modèles économiques des
une donnée aujourd ' hui : comment naît-e ll e, à qui appar- grandes entreprises sont aujourd'hui en train
tient-elle, quelle est sa nature, où se situe-t-elle , qui peut de changer rad icalement.
y accéder, combien coûte-t-elle , qui peut l'exploiter, dans L'ouvrage es t assez techniqu e , quelques
quel cadre juridique ? Autant de questions que l'on ne se connaissances préalables dans les systèmes
pose pas souvent (il n' y a qu 'à vo ir l' in souciance avec informatiques et les processus d ' entreprise
laq uelle on laisse des informati ons personnelles sur les seront profitables. Une analyse particulièrement
réseaux sociaux), mais qui sont au cœur d'enjeux législa- inté ressante est le rôle que les mathéma-
tifs et commerciaux. tiques vont pouvoir jouer dans l'exploita-
Les enjeux sont également scientifiques. Comment repé- tion des données massives: « L 'effet volume
rer les bi ais de construction des données ? Comment [du Big Data] permet de découvrir des
distingu er corrélation et ca usa lité e ntre deux phéno- modèles dans des données à faible densité
mè nes observés ? La plupart des o util s statistiques dis- en information, au-delà de leur raison pre-
ponibles « ne sont pas conçus pour mesurer [et manipuler] mière d' existence. En cela , le Big Data est
ce no uveau type d'objet hybride » qu 'est la donnée, il fondam entalement différent de la fouille de
est donc nécessaire d ' en imagi ner d ' autres. Enfin , quelle données. » De nouveaux outils mathéma-
sera la place du Bi g Data au se in des o utils cl assi ques tiques so nt à imaginer pour faire parler des
de prise de décision , que ce so it pour un e entrepri se ou données hétérogènes , clairsemées et pauvres
dans la vie politique? en information.

Datanomics . Simon Chignard et Loui s-David Benyayer, FYP, Le Big Data . Pierre Delort , Presses uni versi-
160 pages , 20 15 , 20 euros. ta ires de France , 128 pages, 2015, 9 euros.

Hors-série n• 57. Les maths des assurances Tangente


ACTIONS , par Pierre Devolder

Produits d'assurance uie


de nouuelle génération
Face à la concurrence d'autres formes d'épargne, les produits
d'assurance vie ont été amenés ces dernières décennies à
évoluer et à intégrer de plus en plus des éléments financiers
dans leur montage. Au programme : choix d'investissement,
flexibilité dans le paiement des primes, gestion dynamique de
la couverture décès.

obtenir occasionnellement de payer


une prime inférieure ou même de payer
cette prime plus tard. De même l'assu-
reur est tenu de garantir son tarif sur
toute la durée du contrat ; en particulier
il doit garantir à toutes les primes fu-
tures du contrat le taux d'intérêt initia-
lement convenu.

Les limites de l'assurance uie classique


<O tashmuvango - Fotolia.com

L
es produits d'assurance vie Un contrat d'assurance vie classique
classique ont longtemps domi- est donc un produit financier à cash
né les marchés d'assurance. Ils jlows rigides, contractuellement conve-
ont été construits dans une optique de nus par les deux parties qui s'engagent
protection et de prévoyance ; ils en- toutes les deux fortement : les primes
gendrent de par leur conception des en- sont fixées et à date fixe ; les capitaux
gagements très stricts, tant de la part du assurés sont fixés. Les formes plus mo-
preneur d ' assurance que de l'assureur. dernes d 'assurance vie vont tendre à ré-
Dans un contrat classique d'assurance duire plus ou moins la fixité de ces en-
vie à primes périodiques, le preneur gagements aussi bien d'ailleurs du côté
d'assurance est tenu de payer la prime du client que de celui de l' assureur.
initialement prévue aux dates initiale- Même s' ils contiennent une part assu-
ment prévues. Il ne peut pas facilement rantielle de protection en cas de décès

Tangente Hors-série n°57. Les maths des assurances


(plus ou moins imp01tante selon la for- dans un fonds d 'i nvestissement, on
mule choisie par le client), force est de constate aussi une grande différence
constater que très souvent les produits de conception. Un produit classique
classiques d'assurance vie ont été pré- d ' assurance vie est basé sur un taux
sentés et vendus comme des produits d ' intérêt fixé à l'origine du contrat et
d'épargne, liés à la constitution d ' une garanti tout au long du contrat. Comme
épargne retraite à long terme, accom- l' assureur doit garantir ce taux souvent
pagnée d'avantages fiscaux. sur de longues durées , il utilisera une
Il n'est donc pas étonnant que, se pla- approche prudente pour la fixation de
çant ainsi délibérément sur le marché ce taux a priori, mê me si, en général,
de l'épargne, ces produits classiques les rendements effectifs a posteriori
aient été soumis à la concurrence seront supérieurs à cette garantie ; l ' as-
d ' autres véhicules d ' épargne de type sureur va alors redi stribuer aux clients
bancaire. Des produits comme des une part des bénéfices constatés (ce
comptes d ' épargne ou des fonds d ' in- qu ' il est convenu d ' appeler la partici-
vestissement peuvent aussi être des ré- pation bénéficiaire).
ponses à un besoin d 'épargne à plu s ou
moins long terme. Le rendement total que le client tirera
de son contrat sera donc une fonction
Si on compare une épargne régulière du taux garanti a priori et de la parti-
faite soit au travers d ' une ass urance cipation bénéficiaire octroyée a poste-
vie classique, soit via un compte riori. Cette participation bénéficiaire
d 'épargne, on constate une grande obéit souvent à des mécanismes assez
différence de flexibilité pour le client. complexes et même si dans certains
Dan s un compte d 'épargne, ce dernier pays des règles légales impératives
peut verser ce qu'il veut, quand il le de redistribution minimale des béné-

sique, compte tenu


de la rigidité des engage-
ments des deux parties.

En comparant une épargne faite


par le biais d'une assurance
vie classique et celle

Hors-série n°57. Les maths des assurances Tangente


ACTIONS Produits d'assurance vie ...

fices existent, elle est déterminée par ces cinquantaines dernières années.
l'assureur sans que l'assuré ne puisse Cette évolution peut être vue du point
facilement la reconstituer à l'aide de du vue du client comme un progrès,
données objectives des marchés finan- dans la mesure où des gammes plus
ciers. Au contraire, dans les produits variées, plus claires et mieux adaptées
financiers de type fonds d' investisse- lui sont proposées. Mais simultané-
ments, SICA V ou autres placements, ment, l'assureur s'est aussi dégagé de
l'épargnant reçoit le rendement réel cenains engagements, notamment en
de ses placements tel qu'il découle des termes de garantie de rendement sur
prestations des actifs et après prélève- le long terme ! On pourrait donc parler
ments de frais de gestion, normalement de situation donnant-donnant : le client
clairement mentionnés. s'engage à moins mais l'assureur éga-
lement ! Par ailleurs, ces produits, en
Une assurance vie classique peut ap- se concentrant sur le volet épargne,
paraitre comme un produit simple et ont souvent rendu assez marginale la
transparent, les cash-flows à payer par dimension de prévoyance associée à
les deux parties tout au long du contrat la couverture en cas de décès et qui
étant connus dès la souscription du fait normalement partie du label d'une
contrat. Par contre, il est très difficile assurance vie. Les esprits grincheux
pour le client d'apprécier la rentabi- pourraient donc objecter qu'à trop
lité effective du produit et le coût des vouloir se rapprocher des produits de
frais implicites. La liquidité de ces type bancaire, l'assurance vie a perdu
produits pose aussi question : le calcul son âme! Ces évolutions n'en sont pas
de la valeur de rachat du contrat, dans moins une tendance inéluctable sur la
l' hypothèse où le client désire récupé- plupart des marchés.
rer son épargne avant la fin normale
de son contrat, est souvent loin d'être Les deux grandes familles de produits
évidente ! On est loin de mécanismes modernes, alternatifs aux produits
de produits financiers concurrents, ac- classiques, sont d'une part les produits
compagnés à tout moment de valeurs flexibles de type « Universal life » (vi-
de marché objectives et observables. sant à répondre aux exigences de flexi-
bilité et de transparence) et les produits
les trois défis des nouueaux produits en unités de compte de type« unit-lin-
d'assurance uie ked » (s'adressant au rendement). Ces
produits spécifiques font l'objet des
La comparaison avec ces produits deux articles qui suivent.
concurrents a amené les assureurs à re-
modeler l'offre de produits en tentant P.D.
de répondre à différents défis posés :
les défis de la flexibilité, du rendement
et de la transparence.

Face à ces défis, dans un contexte de


concurrence et de conscientisation
croissante des consommateurs, les pro-
duits d'assurance vie ont dû évoluer

Tangente Hors-série n°57. Les maths des assurances


par Daniel Justens EN BREF

La loi Hamon et ses conséquences


Une loi Les assurés
pour protéger ont la bougeotte
les consommateurs
Selon une étude européenne, menée par le cabinet de conseil
La loi du 17 mars 2014 rela- Deloitte en septembre 2015 sur plus de neuf mille assurés,
tive à la consommation, dite « loi il semblerait qu ' une fo is informés de leurs nouveaux droits
Hamon », a pour objet de renforcer en matière de résiliation un tiers des assurés en RC auto
les droits des consommateurs. soient prêts à quitter leur assureur dans l' année qui vient. En
Elle vise à « rééquilibrer les France , le nombre « d ' infidèles » (on nomme ainsi les clients
pouvoirs entre consommateurs et de moins d ' un an chez le même assureur) devrait être multi-
professionnels » . Elle comporte plié par trois d ' ici 2020 . Mais la loi a aussi pour effet d'en-
une multitude de dispositions sec- gendrer un nouveau paradigme : celui de « valeur cl ient ».
torielles , couvrant entre autres le Ce concept, apparu au début de ce siècle, a pour objet la
monde des assurances. Elle per- mesure de la rentabilité de chaque client dans la durée .
met aux assurés de résilier toute La fi délisation des cl ients à fort potentiel d'achat futur va
assurance habitation ou automo- devenir un enjeu majeur pour la stabilité des portefeuilles .
bile à la date de leur choix. Elle Car il semble, toujours selon l'étude Deloitte , que ce soient
leur offre le droit de modifier la ces clients-là qui se montreraient les plus tentés par des
couverture d ' un emprunt immo- changements à répétiti on, les possibilités de baisse de prime
bilier durant une période d'un an étant d 'autant plus nombreuses que les couvertures sont mul-
après la signature du contrat. En tiples et onéreuses . Ces assurés constituent une popul ation
cas de substitution d'assurance, toujours prête à basculer, mais dont les mobiles profo nds de
aucuns frais ne peuvent être fac- la constance ou de l' inconstance ne sont pas simples à cerner.
turés par l'établissement prêteur. Ne resteraient fidèles que les assurés « à prime basse », qui
Les conséquences de cette loi sur ne devraient guère pratiquer le « zapping assurantiel ». Ces
la stabilité des portefeuille sont derniers ne fero nt l'objet d 'aucune démarche de la part des
énormes. assureurs concurrents .. .

~enoît Hamon (né en 19(":,7) a été député européen . po:rte-,parole du Parti


1
socialiste, conseiller régional d'Île-de-France ; il est actuellement député. Il
fut ministre délégué à ! 'Économie sociale et solidaire et à la Consommation
dans le gouvernement Jean-Marc Ayrault, et ministre de !'Éducation natio-
nale, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche au sein du gouver-
9ement Valls I. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages, dont les .titres (Reprenons
ta marche du pr:ogrès social, Flammarion, 20n" ou :Au cœur de la gauche,
Le bord de l'eau, 2004) révèlent les convictions intimes de l'homme.

Hors-série n°57. Les maths des assurances Tangente mJ


ACTIONS par Pierre Devolder

Hssurance uie ou épargne 7


Les produits Uniuersal lite
Parmi les nouveautés de ces dernières années, les produits
Universal life ont la cote. Leur objectif : rapprocher au
maximum le fonctionnement d'une assurance vie de celui
d'un compte d'épargne classique, ce qui permet de présenter
au client chaque année une situation simple à comprendre.

L
a transparence n'est pas taujours • ces primes sont inscrites avec date de
ce qui caractérise l 'assurance . valeur dans la provision du contrat ;
Celle de la gamme Universal life • des frais de gestion sont explicitement
a un double avantage pour le client : elle retirés du compte ;
lui permet de comprendre le mécanisme • le coût d'une couvetture décès com-
de fonctionnement , mais aussi tous les plémentaire éventuelle est prél evé du
détails, comme le niveau des frais ou le compte ;
montant des intérêts. • les retraits éventuels sont pris en compte ;
Un produit d'assurance vie classique • en fin d 'année le compte est crédité de
semble loin de cette transparence . Pour- l' intérêt garanti et de l'éventuelle parti-
tant il en contient les ingrédients de base. cipation bénéficiaire.
La valeur du compte devient la provi- Le tout se traduit par un décompte annuel
sion mathématique du contrat ; les ver- fourni au client de type :
sements sont les primes ; les retraits
éventuels peuvent être des rachats par- {>rovi!!ions au i 'anvier 2014 53200
tiels ; il y a bien des frais intégrés au Primes versées en 2014 5000 €
produit et le contrat est crédité d 'inté- Frais sur primes (2%) -100 €
rêts au taux technique garanti accompa- Coût couverture décès - 83 €
gné le cas échéant d ' une participation Retraits 0€
bénéficiaire. Le défi a donc été de redes- Intérêt garanti 1250€
siner le produit pour mieux faire appa- Participation bénéficiaire 525 €
raitre une logique voisine de celle du Frais de gestion - 250 €
compte d 'épargne. [Provision au 31 décembre 2014 59542€

Transparence et flexibilité Ce contrat est très proche d ' un compte


d'épargne classique; il en possède les attri-
Un contrat Universal life se présente buts de transparence. Un ce1tain nombre
comme suit: de spécificités peuvent néanmoins être
• le client paie ses primes librement (mon- mises en évidence, le différenciant d ' un
tants et moments au choix) ; produit purement bancaire .

Tangente Hors-série n°57. Les maths des assurances


Contractuellement, le moment de paie-
ment des prestations reste lié à la survie
Provision technique en Uniucrsal lite
de l' assuré ; en cas de vie de l'assuré au Soit V(t) la valeur de la provision du contrat à l'instant
terme choisi du contrat , l'assuré reçoit la t. La valeur du contrat un mois plus tard, notée
valeur du compte ; en cas de décès pré- V(t + 1/12) est donnée par la relation de récurrence:
maturé de l' assu ré , le bénéficiaire reçoit V (t + 1 / 12) = [V (t) + P(t) - FG(t) - PD(t)] .(1 + i) 1112 - R(t)
en tout état de cause la valeur du compte où
au moment du décès mais il peut aussi P(t) : versement (supposé effectué en début de mois t).
recevoir un complément de capital qui FG(t) : frais prélevés sur le compte.
s' apparente alors à une vraie assurance PD(t) : prime de la couverture décès entre t et t + 1 / 12.
décès. i : taux d'intérêt annuel apppliqué sur le compte.
R(t) : retrait éventuel (supposé en fin de mois).
Cette couverture décès complémentaire, La prime décès est :
so uven t présente, peut pre ndre de ux 1
formes: PD(t) = CR(t).qx+t . . 2 •
(1-c)(l + i) 11
• une couverture additionnelle, en sus
de la valeur du compte : le bénéficiaire Où:
recevra en cas de décès de l'assuré un capi- CR(t) : capital risque décès à assurer le mois t.
tal décès fixe ; q x+t : probabilité de décès de l'assuré le mois t.
• une couverture minimale : si la valeur c : frais de gestion de la prime décès.
du compte au moment du décès est infé-
rieure à un certain capital minimum, l'as- Le capital-risque CR à assurer dépendra de la formule
sureur complète en conséquence. choisie par le client. Si le client ne veut pas, en cas de
décès, prévoir plus que le remboursement de la provi-
La rémunération de l'épargne épouse la sion V, le capital risque est nul. S'il désire en cas de
log ique d ' une assurance vie class ique : décès, en plus de la provision, un capital complémentaire
garantie à priori d'un taux technique de fixe C, le capital-risque sera égal à ce montant. Le client
base sur les versements, complétée par peut aussi choisir de n'assurer en cas de décès que la pro-
une éventuelle participation bénéficiaire. vision mais de prévoir quand même un montant mini-
Ce type de contrat offre plus de fl ex ibi- mum fixé noté C*. Dans ce cas, le capital-risque peut
lité au client que les contrats d ' assurance s'écrire: CR(t) = max(C * - V(t); 0).
vie classiq ues : il peut payer ce qu ' i1
veut comme prime quand il le veut ; il
peut aussi en cours de contrat ajuster sa taux technique garanti (l'assureur ne
couverture décès. pouvant garantir sur des montants a priori
Cette flexibilité du côté du consomma- inconnus) .
teur s'accompagne néanm oi ns du côté De même , dans une ass urance vie clas-
de l'assureur d'engagements moindres qui sique , la table de mortalité est garantie
sont la conséquence de la plus grande sur toute la durée du contrat (les cou-
liberté offerte au client. ve1tures décès étant paifaitement connues
Ainsi , dans une assurance vie class ique , par l'assureur dès le début du contrat) ;
le taux technique garanti prornis au dépait dans un contrat de type Uni versai life, la
va s 'appliquer à toutes les primes futures couverture décès complémentaire éven-
versées (ces p1imes étant connues d 'avance tuelle est annuelle et l'assure ur peut en
tan t en montant qu'en moment par l' as- changer chaque année le tarif.
sureur) ; dans un produit Universal life,
chaque versement se verra affecté d'un P.D.

Hors-série n° 57. Les maths des assurances Tc:in9ente 95


ACTIONS par Pierre Devolder

les contrats en unités de compte


Une des nouveautés proposées par les assureurs : les produits
en unités de compte, contrats d'assurance vie s'apparentant à
des fonds de placements ou des SICAV.

D
ans les contrats d ' assurance vie cédent) une couverture décès complé-
« en unités de compte » (appe- mentaire dont le coût sera alors prélevé
lés aussi liés à des fonds d'in- chaque année dans la provision du contrat.
vestissement) , l'assuré choisit le (ou les)
fonds dans lequel sa prime est investie ; nombre d'unités x ualeur de l'unité
il en recevra le rendement total après per-
ception de frais par l' assureur, a priori Pourquoi le nom « en unités de compte » ?
sans garantie minimale. Contrairement Parce que tous les éléments du contrat
aux produits classiques d'assurance vie où sont exprimés en nombre de parts d'un
le rendement a souvent un caractère dis- fonds d'investissement, avec deux don-
crétionnaire fixé par l'assureur et une nées importantes: la valeur d'une unité
transparence limitée pour le client, ces et le nombre d'unités . Chaque fois que l'on
contrats délivrent la rentabilité réelle effectue un versement, ce paiement en
des fonds dans lesquels les versements euros est converti en nombre d'unités
ont été investis. Le cours de ces fonds qui vient augmenter le nombre déjà exis-
étant souvent publié , le client peut en tant pour ce contrat. Les versements effec-
cours de contrat suivre l'évolution de ses tués par les clients dans un fonds n'en
avoirs, mais aussi modifier sa stratégie affectent pas la valeur de l'unité. À tout
en passant d ' un fonds à l'autre (parfois moment , la valeur en euros du contrat
moyennant frais). est égale au produit du nombre d'unités
Cette flexibilité et cette transparence per- par la valeur d'une unité. Mais si le nombre
mettent de donner au contrat d 'assurance d'unités est garanti, leur valeur non !
vie une dynamique comparable aux pro- Comme dans un fonds d'investissement,
duits financiers les plus performants ; le elle peut changer tous les jours.
client choisira en fonction de son aversion En vue d'offrir une certaine sécurité,
pour le risque le meilleur portefeuille. notamment en cas de forte baisse des
Bien sûr, il bénéficiera des plus-values marchés financiers, ce1tains produits com-
mais aussi subira les moins-values enre- prennent une garantie minimale ; par
gistrées par le fonds d'investissement. exemple celle de récupérer au moins la
Il existe deux modalités: à prime unique somme des versements effectués. Une
ou à primes régulières. En cas de vie de telle garantie a évidemment un coût (com-
l'_a ssuré à l'échéance, celui-ci reçoit la parable à la valeur d ' une option), qui
valeur de son compte, valeur versée au sera, comme la couverture décès , pré-
bénéficiaire en cas de décès prématuré . levé de la provision ou qui viendra en
On peut également prévoir comme dans déduction du rendement attribué au contrat.
les produits Universal life (voir article pré- P.D.

Tangente Hors-série n °57. Les maths des assurances


HORIZONS NOUVEAUX

Le mécanisme des contrats


Soit un fonds d'investissement dont la valeur marché au temps test égale à F(t). On note N(t) le nombre total
d'unités en circulation et U(t) la valeur d'une unité. Par définition, on a: F(t)=N(t)V(t). Ce fonds sert de sup-
port à un certain nombre de contrats. On note aussi n(t) le nombre de contrats du fonds, V;(t) la valeur de la
provision du contrat i au temps t et N;(t) le nombre d' unités du contrat i au temps t. On a alors les relations :
~ n (t) ~ n (I)
F(t) = L,;=i V;(t) ; N(t) = L,;=i n;(t); V;(t) = N;(t)U(t).

Les deux règles de fonctionnement des contrats en unités sont les suivantes : le nombre d'unités Nit) du
client i ne va changer qu'en cas de nouveau versement ou en cas de retrait effectués par lui ; la valeur de
l'unité U(t) ne changera pas en cas de versements ou de retraits effectués par des clients mais elle évoluera
en fonction de l'évolution des rendements des actifs composant le fonds.

Une simulation numérique


Dans l'exemple qui suit, le fonds contient au départ deux clients.
Il n'y a pas de couverture décès complémentaire ni de garanties financières minimales.
Données initiales: n(0) = 2; F(0) = 75000 € ; N1(0) = 100 et Nz(0) = 50.
Valeur initiale de l'unité: U(0) = 75000 € / 150 = 500 € .
Ainsi, les provisions des deux contrats en € sont égales respectivement à :
V1 (0) = 100 x 500 € = 50 000 € et Vz(0) = 50 x 500 € = 25 000 € .
Un troisième client rejoint le fonds en t = o+, et y verse une prime nette de frais de 20 000 € .
Ce nouveau versement n'affecte pas la valeur de l'unité qui reste à 500 € : U(0+) = 500 € .
Il affecte par contre le nombre d'unités: Nl0+) = 20000 € / 500 = 40, N(0+) = 150 + 40 = 190 et
F(0+) = 75000 € + 20000 € = 190 x 500 € = 95000 € .
On suppose ensuite qu'entre t = 0 et t = 1, plus aucun versement ou retrait n'est enregistré de la part des
clients. En fin d'année, on suppose que le fonds a obtenu un rendement de 15 % :
F(l) = 95000 € x 1,15 = 109250 € .
Le nombre d'unités n'a pas changé par ce return ; il est toujours de 190.
Cette fois, c'est la valeur de l'unité qui a été modifiée : U(l) = 109 250 € / 190 = 575 € .
Les provisions des 3 contrats dans le fonds s'élèvent à présent en t = 1 : V1 (1) = 100 x 575 € = 57 500 €
Vz(l) = 50 x 575 € = 28750 €
Vil)= 40 x 575 € = 23000€.
À ce moment, le client 3 paie une prime nette de 30 000 € et le client 2 effectue un retrait de 10 000 € .
Ces mouvements n'affectent pas la valeur de l'unité qui reste à 575 € .
Le nombre d'unités se modifie ainsi : N1 (1 +) = 100, Nz(l +) = 50 -10 000 € / 575 € = 32,61 et
Nll+) = 40 + 30000 € /575 € = 92,17.
Le nombre total d'unités du fonds est à présent de: N(l+) = 100 + 32,61 + 92,17 = 224,78.
Le valeur du fonds s'élève à: F(l+) = 109250 € + 30000 € -10000 € = 224,78 x 575 € = 129250 € .
Entre t = 1 et t = 2, plus aucun versement ou retrait n 'est enregistré de la part des clients.
En fin d'année, on suppose que le fonds a subi cette fois une moins-value de 5 % . Il vient :
F(2) = 129250 € x 0,95 = 122 788 €
U(2) = 122788 € /224,78 = 546,26 € .
La provision des trois contrats devient: Vi(2) = 100 x 546,26 € = 54626 €
Vz(2) = 32,61 x 546,26 € = 17 813 €
Vl2) = 92,17 x 546,26 € = 50349 € .

Hors-série n° 57. Les maths des assurances Tangente


ACTIONS par Daniel Justens

l'assurance dépendance
Depuis plusieurs années, les pays européens enregistrent un
glissement démographique se traduisant par l'augmentation du
taux de personnes âgées dans leurs populations. Ce phénomène,
essentiellement dû à la baisse du taux de mortalité, va
malheureusement de pair avec une augmentation importante
du nombre de personnes en état dit « de dépendance ».

es études prospectives sur l'évo- dépendantes, il faudra recourir sans doute

D lution de la population française


font apparaître que le taux des
plu s de 65 ans pourrait passer à 30%
au financement privé. C'est là un mar-
ché important qu 'il importe de préparer
et donc de modéliser.
d'ici 2040, accroissant d'autant le nombre
de personnes dépendantes, même si la la notion de dépendance
dépendance n'est pas exclusivement le
fait des personnes âgées. Accidents et La dépendance est une notion subjec-
maladies graves sont également à l' ori- tive. L'établissement de contrats néces-
gi ne d'états de dépendance pouvant site une définition objectivement mesurable
atteindre des individus plus jeunes. Autre de l'état de dépendance. L' OMS sug-
point à prendre en compte : la modification gère de divi ser cette notion générale en
de nos structures sociologiques a consi- trois concepts : la déficience, I' incapa-
dérablement réduit le nombre de per- cité, le désavantage social.
sonnes pouvant être soignées à domicile. Selon ce rapport :
Compte tenu de l'évolution démogra- • la déficience représente la perte ou l'al-
ph ique actuelle, le système évolue vers tération d'une structure anatomique , phy-
une situation où de trois actifs par retraité, siologique, psychologique ou psychique ;
on passera à deux seulement ! Dans ces • l'incapacité correspond à la réduction
conditions, soit les pensions accordées de la capacité d'accomplir une activité
aux gé nération s futures devront être en référence à des normes générales du
revues à la baisse , soit les cotisations fonctionnement humain ;
des actifs devront augmenter jusqu 'à des • le désavantage social (ou handicap)
niveaux intenables, soit le système de quantifie les conséquences réelles de la
répartition devra être revu. Pour subve- déficience ou de l'incapacité sur la vie
nir aux besoins croissants des personnes du sujet.

Tangente Hors-série n°57. Les maths des assurances


HORIZONS NOUVEAUX
100%
La mise en place de définitions objec-
90%
tives et mesurables de la notion de dépen-
80%
dance a été proposée notamment par le
70%
gérontologue américain Katz qui établit 60%
des critères de dépendances physiques 50%
consécutifs à l'altération d 'activités quo- 40%
tidiennes comme se laver, s'habiller, man- 30%
ger, sortir et entrer dans son lit, se déplacer, 20%

aller à la toilette et être continent. 10%

w m w oo 100
Une enquête menée par l'INSEE il y a Pourcentages de dépendance des plus de 60 ans.
quelques années auprès d ' un échantillon
représentatif de la population française Un modèle logarithmique
regroupant plu s de 20000 personnes
90 100
considéra comme dépendantes , les per-
sonnes confinées à domicile et celles
pour lesquelles au moins trois des critères
sui vants étaient observés : utilisation
d ' une canne , difficultés à ouvrir une
porte ou un robinet , à monter ou des-
cendre un escalier, à s' habiller, à suivre
une conversation , à souffrir de difficulté
d'élocution , ou enfin présence de troubles -3,5
de mémoire.
-4 ·- -- -------- - --- -- ---- --- --------- - -------------------- ------------ -
Logarithme du taux de dépendance.

La matrice des probabilités de transition

[
p;"
0
0
p;i q_:" q;i
p:
0
0
1
q:
l
En indiçant a l'état d'activité et icelui de dépendance, la matrice des probabilités de transition
après un an des états vivant/actif, vivant/invalide, mort/actif, mort/invalide est :

0 .
0 0 0 1
On n'est pas en présence d'une chaîne de Markov, les probabilités de transition variant en fonc-
tion de l'âge de l'individu. Les 6 paramètres de la matrice doivent être estimés pour tout âge à
partir de l'information disponible (deux tables de survie), et des conditions de cohérence en
matière de probabilité : elles doivent être positives et la somme de chaque ligne de la matrice
doit être égale à 1. Ces conditions laissent encore plusieurs degrés de liberté et des hypothèses
complémentaires doivent être avancées. On fait tout d'abord l'hypothèse de statique : la pro-
babilité qu'un individu valide d'âge x aujourd'hui, devienne invalide entre l'âge x + k et l'âge
x + k + 1 est égale à la probabilité aujourd'hui pour un individu d'âge x + k de devenir invalide
dans l'année. Cette hypothèse est évidemment critiquable.
On va également supposer le décès et l'entrée en état d'indépendance répartis uniformément
sur l'année (contradiction avec le modèle mais simplification usuelle).

Hors-série n• 57. Les maths des assurances Tangente


ACTIONS L'assurance dépendance

On suppose également que l'entrée en dépendance n'accroît pas localement le risque de décès.
Enfin, on va supposer que la probabilité de décès des personnes dépendantes peut être estimée
à partir de la mortalité de la population entière par hypothèse de surmortalité. Mathématique-
ment, deux variantes se retrouvent dans la littérature.
On peut poser q~ = qx+a· La probabilité de décès d'un invalide d'âge x est égale à la probabilité
de décès d'une personne quelconque plus âgée (valide ou non), d'âge x + a.
On peut aussi supposer que : q~ = pqx.
La probabilité de décès d'un invalide d'âge x serait égale à la probabilité de décès d'une per-
sonne quelconque (valide ou non) multipliée par un coefficient strictement supérieur à 1. Le taux
P!
de surmortalité est alors p - 1. Voilà la seconde ligne de la matrice calculée car = 1 - q~.
Le calcul de p/a peut se faire au moyen de la table des 1/a : étant donnée l'hypothèse de non
retour à l'état d'actif, cette table est bien une table de survie des actifs. On calcule donc:
z;:1
Px
aa
=ra
X

Parmi les invalides d'âge x, le nombre de survivants après un an, (âge x + 1) est i!.zi!. La diffé-
rence zi!+i -i!.zi! représente le nombre d'actifs entrés e.n invalidité dans leur x" année et demeu-
rés en vie. On en tire : ai
Px =
1;+1 - P:
l"a
.z;
X

On a supposé que la transition vers l'état d'invalidité n'affectait pas la probabilité de survie, et
que cette transition va s'opérer, en moyenne, après 6 mois. Cette hypothèse nous permet d'écrire
(uniformité du risque annuel): q;i = (p_:i +q:i). ~.

En effet, le premier facteur probabilise le passage en état de dépendance. Le second (multipli-


cation car indépendance) quantifie la probabilité de décès de la personne dépendante sur 6 mois.
On en tire : ai p;i .(1- p~)
qx = 1+ p: .
Il reste à calculer q;" = 1- [ p;" + p;; + q;i J.
Attention : le modèle exponentiel va poser problème pour des âges élevés, et les matrices asso-
ciées à ces âges ne seront pas automatiquement cohérentes (probabilités négatives!). Il faudra
dans tous les cas ajuster les valeurs obtenues, par exemple en supposant qu'à partir d'un cer-
tain seuil (95 ou 100 ans par exemple), toutes les personnes sont en état de dépendance.

Probabilités de transition sur plusieurs années


Les matrices calculées (et recalibrées), on peut ajuster des probabilités de transition sur plusieurs
p:
années. On montre par exemple aisément que : 1 == P! ·P.~+i -P~+ 2 • - • P!+i-i.

On a également :

Un théorème important quantifie la probabilités de survie et de passage à l'état d'invalide après


n années:

Tangente Hors-série n °57. Les maths des assurances


HORIZONS NOUVEAUX

60 70 80 90 100

--0,5

- 1

- 1,5

-2

- 2,5

-3 --------- - - - -- ----- - -- - --- -- -- - - --- --- --- - - -- -- -- -- - - ---- -------- - -

Moyennes mobiles d'ordre S.

Une représentation logarithmique du La mesure de la qualité d'une modélisation


taux de dépendance (voir graphique) linéaire (après passage justifié aux loga-
dévoile une évolution quasi linéaire bien rithmiques) se fait par le biais du coef-
utile pour la modélisation qui va suivre. ficient de détermination ? , qui représente
Cette représentation présente également la pourcentage de variabilité en termes
une volatilité constante , qui valide le de variance, expliqué par le modèle. La
passage à ce type de coordonnées. Un perte de variabilité relative d ' écart type
lissage géométrique préalable des obser- est donnée par l'expression:
vations, basé sw- une moyenne mobile géo-
métrique , peut être envisagé. Le passage 1- ✓l- r 2 = 0,8922.
aux moyennes mobiles lisse évidemment Le modèle linéaire explique près de 90%
les observations mais le recours à une du phénomène d' accroissement de dépen-
moyenne mobile d'ordre excessif pro- dance lié à l'âge . Une grande partie de
voque une perte d'information . la variabilité non expliquée est sans doute
liée à la volatilité inhérente à tout échan-
On appelle moyenne mobile d'ordre tillonnage. Les tables de survivants peu-
2n + 1 le nombre vent à présent être scindées en survivants
1
actifs (exposant aa) et survivants inva-
- 211+1
Yx
= [ I I 2"k=O Y x-11+k ] 2,,+1 '
lides ou dépendants (exposant ii) :
qui remplace chaque observation Yx par lx = l_'.w +t:.
la moyenne géométrique de ses 2n voi- Le nombre de survivants invalides peut
sines équitablement réparties et d'elle- être modélisé par la propo1tion théorique
même. Cette façon de faire élimine basée sur l'hypothèse de croissance expo-
évidemment 2n observations : n en haut nentielle:
de tableau des observations et n en bas. t
= lx X e 0,0687.r-6,91 28 .
Certes , le modèle s'appuie sur les don-
Graphiquement, pour n = 2 , soit pour nées observées mais il demeure essen-
une moyenne géométrique d'ordre 5, on tiellement local. Lorsque la proportion
obtient le graphique ci-dessus. approche des 100 %, une correction doit
être apportée . On doit lisser l' approche
Le recours à une régression linéaire de la fréquence 1 ou plus simplement
simple livre (en se rappelant qu ' il s' agit poser y x = I dès que la valeur du modèle
de logarithmes) : dépasse l'unité. Les l/
calculés, la table
lny = 0,0687x- 6,9128. de survivants usuelle des lx livre les l/a.

Hors-série n° 57. Les maths des assurances Tangente


1

ACTIONS L'assurance dépendance


- - -----

Calculs des primes Probabilités de transition


En étendant les conventions usuelles, on note , E;w, la valeur La théorie de l'assurance vie classique
actuelle d'un capital unité payable dans t années à est fondée sur deux états : la vie et la mort.
l'assuré d'âge x si celui-ci atteint l'âge x + t en demeu- Dans le cadre de l ' ass ura nce dépen-
rant actJ·r : E"" = v' .~ . ra dance-invalidité , il faut prendre en consi-
t x / aa
X
dération les conditions d'activité et
On en tire la valeur d'une rente pour actifs demeurant d'invalidité, ce qui multiplie le nombre
actifs qui modélise les rentrées de primes qui ne sont payées d'états : on peut être en vie et actif, en
qu'en cas de survie et de validité de l'assuré: vie et dépendant, mort en tant qu'actif
a aa == ~ Ell(l •
OO ou mort après être passé à un état de
X L..,t=Ol X
dépendance .
De même, on définit des rentes limitées dans le temps : Pour des raisons év identes , dans un cadre
a aa == ~11 - l E t~a . où l' ass ureur s' engage à une certaine
x ,11 ,L,,,,,,=O t .t
prestation en cas de passage à l' état de
En notant A;" ta prime unique pure couvrant le verse- dépendance de l ' ass uré , on doit faire
ment d'une unité monétaire en cas de décès d'une per- l' hypothèse de non-retour possible de
sonne valide d'âge x si son décès survient en tant que l'état de dépendance à l'état d'activité.
valide. On vérifie que : Un capital ayant été versé, il n'est pas envi-
sageable d'en exiger la restitution en cas
Aaa = Lk=
OV ~ q x+k
k I 00

aa
/ "" ]
....!±!.._
. z;a . de « miracle médical » .
X [

Soit A;; la valeur de la prime unique pure couvrant le Il faut donc mettre en place la matrice qui
versement d 'une unité au moment de l'entrée en dépen- va décrire les probabilités de transition .
dance d'un individu d'âge x: Pas faci le, car de nombreux paramètres,
qu 'on ne peut évaluer de manière objec-
tive, vont être nécessaires.
C'est l 'objet du premier encadré .
On calcule enfin le capital différé et la rente pour un indi-
vidu invalide en étendant les notations usuelles : Une fois cette matrice établie, voilà les
assureurs prêts à tarifer des contrats ( voir
encadré « Calcul des primes ») . Mai s
que d'hypothèses successives non véri-
La valeur de la rente s'obtient par sommation : fiables empiriquement !
D.J.

On note, E~ la prime unique pure couvrant le verse-


ment d'une unité à un individu valide d'âge x s'il atteint
l'âge x + t après être devenu invalide. Le théorème de
l'encadré 1 permet de calculer:
1
E"; E; E"" l, [ ; ]
x = 1 x - 1 x - r a I P x - 1pX •
X

Et on en tire la valeur d'une rente annuelle unité à une


personne d'âge actuel x, dès son invalidité :

axai = axi - a_aa


, - /x [ i
zaa a_, - ax ] •
X

Tangente Hors-série n°57. Les maths des assurances


ACTIONS par Daniel Justens

Prouisionner
et gérer ses réserues
Les contrats vie sont de longue durée. Les primes échelonnées
s'accumulent et les compagnies doivent thésauriser celles-ci
afin d'être à même d'assumer le paiement des capitaux prévus
contractuellement. Ceci implique un calcul précis et une
gestion active de leurs réserves.

n contrat d'assurance vie argent permettrait de le faire fructifier,

U s'étale souvent sur plusieurs


décennies. Les primes sont
payées annuellement et les capitaux
de l'utiliser, d ' en jouir, ce qui a une
certaine valeur objective.

perçus par les compagnies doivent Des tauK d'intérêt proches de 0


être engrangés, placés et valorisés,
de manière à pouvoir faire face aux On affecte donc au capital une fonc-
échéances prévues par les contrats. tion d'utilité de type exponentielle
Ceci implique donc un système de négative , c'', dans laquelle t repré-
gestion efficace. Les compagnies d ' as- sente le moment futur de l'échéance
surance doivent calculer avec préci- du capital et r un taux de dépréciation
sion de quelles réserves elles doivent de la valeur monétaire. Le coefficient
disposer à tout moment. Pour bien r est généralement strictement positif
comprendre les méthodes de gestion, il et de l'ordre de quelques pour cent en
importe de généraliser la notion finan- fonction de la situation économique en
cière d ' actualisation au cadre viager. vigueur. Les capitaux couverts par des
Un capital échéant dans le futur a une contrats d ' assurance ne sont pas tou-
valeur présente différente de sa valeur jours connus et leur échéance ne l' est
nominale. Que valent aujourd 'hui les pas d ' avantage, le tout dépendant (par
mille euro que je pourrai toucher dans exemple dans le cas des contrats vie)
un an ? Dans une situation non spécu- de la mortalité observée. Leur fonction
lative, on s' attend à ce que cette valeur d'utilité se modifie donc. Pour en tenir
soit un peu inférieure à mille euro : en compte, il convient d ' ajouter, au taux
effet, la possession immédiate de cet de dépréciation r, le taux de mortalité

Ta:ngente Hors-série n°57. Les maths des assurances


ÉVITER LA RUINE

instantané µ, associé à la catégorie La théorie des réserves mathématiques


d 'âge x. Pour une personne d ' âge x consiste à calculer à tout moment le
aujourd'hui, la fo nctio n d ' utilité asso- différentiel entre les obi igations rési-
ciée à un capital d'échéance future test due lles de l'assureur (sous forme d ' un
donnée par: no uvea u contrat virtuel) et ses rentrées
,E, = e-.t;',r+µ,.,)ds. futures dans les conditions du contrat
réel. Ce différentie l re présente le mon-
To ut est bien établi théoriquement. tant que la compag nie doit avoir en
Mai s les conjonctures évo luent. Et les caisse à cet instant. Prenons le cas
contrats sont établis pour de longues d ' une assurance te mporaire décès pour
durées à co nditions fixes . Que se passe- une personne de 30 ans, couverte pen-
t-il lorsq ue les condition s financières dant trente ans pour le ri sque de décès
et viagères se modifient significative- pour un montant de 100 000 €. Le
ment ? Actuell ement, les taux d'intérêt contrat est établi en certain mo ment
sont proches de 0, vo ire négatifs. Les (par exe mple en 2005) aux conditions
tau x de mortalité pour une grande financières et viagères valides en cet
partie de la population sont en baisse. instant précis. La compagnie a établi à
Les compag nies d ' ass urance ont donc ce moment une certaine prime annuell e
établi des contrats en tenant compte de P. Que se passe-t-il dix ans plus tard si
valeur de r et ~1, trop élevées. Elles ont l'ass uré est encore en vie ? L a compa-
sous-évalué leurs obligations futures. gni e va continuer à toucher des primes
Comment déterminer les réserves réel- P pendant vin gt ans mais doit à présen t
lement nécessaires à la couverture de couvrir le risque de décès d ' une per-
le urs obligations réell es ? sonne de 40 ans pendant vingt ans dan s

Hors-série n°57. Les maths des assurances Tangente


Provisionner et gérer...
--- --- -----

un environnement Que se passe-t-il di x ans plus tard


financier plus dif- lo rsque le taux de marché passe à
ficile, caractérisé 1 % ? Les différences sont é normes :
, -t--- - - - , , ~ - - - - -- ------>,;----, par des taux bas. la réserve prévue di x ans plus tôt était
l a1---~~----------~
Ce contrat se tra- de l 105,72 € . Sou s les no uvell es
duirait par des conditions économiques, elle passe à
primes futures 1511 ,32 € . Le second graphique e n
stricteme nt supé- haut de page ill ustre les écarts durant
rieure à P ! De la durée rés iduelle du contrat. Les
que l montant la compagnies doivent donc fai re face
..... T-dillNl'CMbatl ,r, co mpagnie doit- à d'éno1mes problèmes de gestion de
- ......... marcM
Î811;1du

........__ /
3,25'11o
llloul
elle disposer pour
être à mê me de
fo nds et de pl acement !

--- ----- "''\


'\
\ :
s'acquitter de ses
obligations ? On
Un autre problème se pose lors du
calcu l des réserves pour une « ass u-
\ :
ca lc ule la dif- rance décès vie entiè re » . En effet, les
·. férence entre la fo rmules de calcul simp lifi ées tablent
valeur du no u- sur des décès observés « e n moyen ne »
veau contrat (vis- e n milieu d'année. Que se passe-t-il
tuel) et la valeur actuelle (avec nou- pour les assurés les plus âgés ? Lors de
velle fonction d ' uti lité) des primes P. chaq ue anniversaire, le modèle tab le
C'est la réserve mathématique. sur six moi s d ' attente avant décès et
prend donc e n compte une possibilité
Concrètement, comme nt ça marche ? de capitali sation. Curieusement, do nc,
Repre non s le contrat qui vie nt d 'être la réserve pour un capital de 100000 €
présenté. Éta nt donné les tables obser- ne te nd pas vers 100000, mais vers un
vées au début de ce s iècle, il se tra- montant légère ment inférieur. Avec un
duirait par trente primes annue lles de taux d u marché de 3,25 %, les réserves
141 ,74 € . Dès cet instant, la co mpagnie tendent vers 984 13 ,57 € et no n ve rs
prévoit l'évolution de ses réserves en 100000 ! Le dernier schéma montre
fonctions des para mètres du mome nt, à quoi ressemble l' évo lution de ces
à savoir un ta ux financier de 3,25 %. réserves po ur un assuré de 30 a ns, cou-
Les réserves sui ve nt le premier des vert e n vie e nti ère po ur un capital de
graphiques situés e n haut de page. On 100000 €, avec paiement des primes
remarque le ur croissance pendant les annue lles pe ndant les tre nte premières
vingt pre mières années. années.
Cette cro issance est normale : le ri sque
de décès c roissant expo nent ie lle- D- D.J.
ment avec l' âge, la prime annuelle
« moyenne » est plus élevée que le
risque initi al. Les surplus de prime
doivent être capita li sés . Après vingt
ans, la te ndance s' in ve rse et, pendant
les dix de rni è res années, les réserves
sont e mpl oyées à combler le défic it
de prime.

Tangente Hors-série n°57. Les maths des assurances


par Michel Criton EN BREF

Jeux de hasard et ruine du joueur


Dans un jeu équitable à deux joueurs , chacun des
s~-----
joueurs à une probabilité de gain égale à 1 / 2 (et
de même pour la perte). Lorsque deux joueurs
s'affrontent dans des parties successives, on peut
représenter la situation comme une marche aléa-
toire: à chaque partie, on« monte» d ' une unité
(gain pour le joueur A) ou on descend d'une unité
(perte pour A) . - S '---------------
Les deux joueurs dispo sent d ' une somme S (en
euros), ils misent chacun un euro par partie . Le diagramme illustre une suite de parties
dans laquelle A gagne les deux premières parties , perd successivement les tro is s uivantes ,
en gagne une , puis perd la dernière. Si A et B disposent de la même somme S et que le
jeu est équitable, chacun a une probabilité de gagner égale à 1 / 2, et une espérance de
gain nulle. Les écarts par rapport à la situation initiale d 'équilibre , chacun des joueurs ayant
au départ même somme d'argent , représentent le gain de l' un des joueurs et deviennent
une variable aléatoire dont l'écart type est proportionnel à la racine carrée du nombre de
parties jouées. Plus ce nombre est grand, moins il sera probable que le gain de l'un des
joueurs se s itue dans la fourchette [-S , +S] . Le jeu aura donc une durée finie avec pro-
babilité 1. Le raisonnement reste valable lorsque les avoirs des deux joueurs sont diffé-
rents. Mais les probabilités de gain cessent alors évidemment d 'être identiques.

•••••••••••••••••••
• •
: Référen,es •

• •
•• Théorie des j eux, stratégies et ••
•• tactiques. Bibliothèque Tangente ••
• 46, 2013. •
•• Maths et politique. Bibliothèque ••
• Tangente 45, 2012. •
•• Dossier « Géographie humaine » . ••
: Mathématiques et géographie , :
• Bibliothèque Tangente 40, 2010. •
• Dossier « Les ressources finan- •
•• cières ». Tang ente SVP 77-78 , ••
: 2014. :
• •
• •
•• •••••••••••••••••

Hors-série n°57 . Les maths de l'assurance Tangente


SAVOIRS par Francis Vaguener

Couurir le règlement des sinistres


Un défi pour l'assureur
Le règlement de certains sinistres accidents survient souvent
après de nombreuses années alors que les primes ont été
encaissées depuis belle lurette. Comment les compagnies
d'assurance peuvent-elles engranger des provisions suffisantes
pour faire face à leurs obligations futures ?

L
a gestion de certains s111 1stres un matériau stati stique structuré sous
peut s'étaler, on l'a vu dans forme de « triangles de développe-
le précédent article, sur plu- ment temporel » des règlements, des
sieurs années. Chaque compagnie provisions et de leur somme (qui est
d 'assurance est donc tenue de comp- nommée charge totale estimée des
tabiliser au passif de son bilan un sinistres).
certain montant, appelé provision
pour sinistres à régler (PPSR) , des- Un maillon de la chaîne
tiné au règlement futur et progressif
des s ini stres su rvenus. Le montant Mais voyons plutôt un exemple numé-
des provisions nécessaires à la cou - rique, portant sur les règlements des
verture de l' ensemb le des sini stres s.inistres (relatifs à une certaine garan-
représente les e ngagements financiers tie octroyée par une compagnie à ses
de la compagnie envers ses assu rés ou assurés). Limitons-nous aux années de
des tiers. Le défi est de taille car ces survenance de sinistres 2009 à 20 14.
PPSR peuvent atteindre plusieurs fo is Pour simplifi er et fai re ressortir les
le montant an nuel des primes encais- mécanismes clés, admettons que tous
sées : il faut que l'évaluation de ces les sin istres seront totalement clôturés
provisions fasse l'objet d ' une attention à l' issue de la six ième année cl ' ob-
particulière et d'une estimation auss i servation. li fa udra revenir sur cette
préc ise que possible. La méthode d'es- hypothèse puisqu'il tombe sous le sens
timation globale des provisions la plus que, bien souvent, les sin istres ne sont
utilisée par les actua ires porte le nom pas totalement réglés après six années
de méthode Chain Ladder ( « mail- d'obse rvation I En cause, notamment :
lons de la chaîne » ). Elle repose sur la consolidation parfois très lente des

Tangente Hors-série n°57. Les maths des assurances


ÉVITER LA RUINE

lésions corporelles à indemniser, les Années d'observation


décision s tardi ves des juridictions 2 3 4 5 n =6
devant lesquelles un litige est porté ... a.)
u 2009
C
Cl
C
a.)
2010
On con struit un premier tableau da ns >
2011
lequel chaque montant C ;J mentionné "
V,

a.)

à l' intersection de la ligne i et de la "O 2012


V,
a.)
co lonne j représente la somme des ,a.,
C
2013
C
règ lements effectués par la compa- <( 2014
gnie, j années après la survenance de
sinistres déclarés au cours de la i ème entre 2009 à 2013. Pour cela, on a
année. Ainsi, le montant C2009 _ 2 = 775 besoin d'une notion de coefficient de
représente la so mme des montants développement moyen des règlements
déjà versée aux ayant-droits pour les observés, que l'on calcule à partir du
sin istres survenus en 2009, après deux regroupement des données contenues
ans , c'est-à-dire fin 2011. À partir dans les deux premières colonnes du
de l'information contenue dans ce tableau (en vert et en rouge) et qui,
tri angle dit des règlements cumulés, formellement, est égal au quotient des
la compagnie doit estimer les mon- so mmes des contenus des cellules.
tants des règlements encore à effectués Dans le cadre de notre exemple, on
relatifs aux sini stres survenus au cours arrive au tableau ci -dessous.
des années 2010 à 2014. Bref, elle doit
compléter le triangle du bas (en jaune) On peut justifier ce choix. Le coeffi -
à la lumière des données contenues cient de développement des paiements
dans le triangle du haut. cumulés, obtenu par le rapport entre
Commençons par la cellule (2014 ; les sommes des paiements, est dans
2), dont le contenu provisionnel est les faits pondéré par l' importance des
noté ê 20 14 _2 . On suppose que, entre la montants effectivement payés. Il prend
première année d'observation (j = 1) alors toute sa signification. On parle
et la deuxième (j = 2) , l'évo lution des bien de coefficient moyen de dévelop-
règlements relatifs aux sinistres de sur- pement et non de moyenne des coeffi-
venance en 2014 se déroulera selon la cients de développement, cette derni ère
même progress ion que celle observée ne faisant l'objet d 'aucune pondéra-
e n moyenne sur les sinistres observés tion relative aux sommes réellement

Années d'observation (1 à 6)
Prov ision s
2 3 4 5 n. = 6
a.)
u 2009 872 940 989 l033 0
C
Cl
C
a.)
2010 898 967 1022 1067 45
>
~

~ 2011 936 1008 1063 1110 102


a.)
"O 2012 969 1044 1101 1150 18 1
V,
a.)
,a.,
C
2013 932 1004 1059 1106 279
C
<( 2014 886 954 1006 1051 5 82
Coeffic ie nt s de
1,6 750 1, 127 3 1,0772 1,0545 1,0445 11 89
développement

Hors-série n°57. Les maths des assurances Tangente


SAVOIRS Couvrir le règlement ...

déboursées et pouvant, en cas d ' irré- Dans le cas de notre exemple, la com-
gularité, présenter un bi ais sensible. pagnie doit provisionner 1189 unités
Appliquon s ce coefficient de déve- monétaires.
loppe ment au montant des paiements
effectués dès la première année pour Élargissons l'horizon !
les sinistres survenu s en 2014, à savoir
C 201 u On obtient une estimation des u
"
paiements cumulés lors de la deuxième
année d ' observation (exercice calen-
daire 2015) re lative ment aux sini stres
~·\__ l0"1.on1,.0U

de survenance 2014 :
ê 20 142 = l ,675 X 469 = 786. k~-
• cotff_.-t1,~
~~-..i
- •--
-..Oet.o
• f....,..:ion,11,
'"~r.t,6"

De la même manière, on calcule suc- Ju squ 'à prése nt, tou s les sini stres
cess ivement les coefficients de déve- étaient réglés à l' issue de la sixième
loppement, qui permettent de com- année. Cette hypothèse est fortement
pléter le tableau de proche en proche restrictive. En réalité, les sini stres
et de calculer les montants à provi- vo nt souve nt donner lieu à des règle-
sionner année par année. Ces derniers ments bien au-delà ! Co,runent pro-
sont égaux aux différences entre les céder pour envisager d ' aller jusqu ' à
montants estimés après six ans et les la dixième an née d ' observation ? Il
réali sations déjà observées. Ainsi, pour faut estimer les coeffic ients de déve-
2012 , un montant total de 1150 unités loppeme nt sui vants. Voyons com-
monétaires a été prévu, dont seul s 969 ment ceux-c i évoluent (vo ir le gra-
ont été effectivement réglées. Il faut phique ci-dessus). Une modéli sation
donc provisionner la différence, soit au moye n d'une fonction pui ssance
181 unités monétaires. Lorsque toutes inverse du type y = 13 + K x---« semble
les prov isions partielles o nt été calcu- appropri ée. li est réaliste de supposer
lées , il ne reste plus à la compag nie qu ' en horizo n infini la totalité des
qu 'à en effectuer la sinistres sera effectivement réglée, ce
somme. qui permet de poser 13 = l. Le modèle
prend alors la fo rme y = l + K x---« .
Un passage aux logarithmes livre
ln (y - 1) = lnK - a ln x; ce nouveau
modè le permet une régress ion linéaire
à partir des observations transformées.
On obtient K = 0,5504 et a= - 1,68 16.
Ce paramétrage permet d' estimer cer-
ta ins coeffic ients de déve loppement :
ê 6,7 = 1,027, ê 718 = 1,021 , ê 819 = l ,017 et
ê ~110 = 1,014. Le produit de ces coef-
ficients de développement porte
le no m de tail fa ctor (« fac-
teur de traîne » ). Dans le
cadre de notre exemple, il
va ut 1,0805. Ce fac-
ÉVITER LA RUINE

la méthode de Bornhuener-Ferguson
Si l'on souhaite modifier les estimations obtenues par la méthode chain ladder, en intégrant dans
les calculs une information sur la sinistralité attendue par exercice de survenance, alors on peut
utili ser la méthode introduite en 1972 par Ronald Bornhuetter (1932-2008) et Ronald Ferguson.
En assurance non vie, le niveau de si nistralité s'exprime par le rapport « montant des sinistres »
sur « prime acquise» , que l'on nomme loss ratio. Pour l'exercice i, on note Pa; le montant des
primes acquises et S; la sinistralité attendue ; le loss ratio est donc donné par S; / Paï Mais ce
rapport n' intègre pas les modifications d'ordre de grandeur brutale du portefeuille. Supposons
que pour les sinistres de 2014, un retard dans la gestion des sinistres entraîne une diminution
anormale des paiements effectués cette même année. Dans ces conditions, l'application d ' un
coefficient moyen de développement calculé à partir des exercices précédents va sous-estimer
la charge attendue pour cette année. La méthode de Bornhutter et Ferguson (B-F) corrige ce
biais en introduisant dans le calcul de la charge espérée des si nistres une information exogène
sous la forme d ' un « Joss ratio attendu» plus crédible que le précédent, en utilisant la formule :

-Bf _c i,n+1-, +(i c,.n+l-i ) [s,]A


C i.m - V
c X
- - ëL
p X i-
1.1/t l

Il n'y a aucune simplification à faire, le loss ratio intervenant étant attendu (exposant A) et
différent de son observation. Avec nos notations, l' indice i représente l'année de survenance du
sinistre, le temps n la dernière année d' observation (20 14) et l'horizon m = 10. Les quantités
C;,,,+I-i sont donc les montants figurant sur la diagonale et concernent les sinistres déjà réglés. La
grande parenthèse donne le pourcentage du montant total à régler non encore liquidé, comme
une proportion, corrigée par le loss ratio attendu, des primes perçues.
Appliquon s cette méthode à notre exemple. On constate une modification importante apportée
par la méthode B-F à l'estimation de la charge espérée des sinistres, calculée par la méthode
« chain ladder », qui passe en 2014 de 11 35 à 1549 unités monétaires. Les charges des autres
années ont également été corrigées.

Années d'observation (1 à 10)


Pa; iPa 1;CL lPa i'; - BH
C
2 3 4 5 n. = 6 m = 10
<J
(.) 2009 872 940 989 1033 1116 1500 74 % 75 % 1117
C:
"'ii 2010 898 967 1022 1067 1153 1520 76 % 77 % 1155
è
~
2011 936 1008 1063 1110 1200 1570 76 % 77 % 1201
<J
ü 2012 969 1044 1101 1150 1242 1480 84 % 80 % 1230
"'
<J
,o.,
,:: 2013 932 1004 1059 1106 1195 1500 80 % 80 % 1197
,::
<( 2014 886 954 1006 1051 1135 2300 49 % 80 % 1549

Hors-série n°57. Les maths des assurances Tangente


SAVOIRS Couvrir le règlement ...

Années d'observation (1 à 10) pro v i-


2 3 4 5 n.=6 m = 10 sion s
0)
u 2009 872 940 989 1033 1116 83
C

"
C
0)
2010 898 967 1022 1067 1153 13 1
>
~
::l 2011 936 1008 1063 1110 1200 192
"'
0)
v 2012 969 1044 1101 1150 1242 273
"'
0)

'"
C
2013 932 1004 1059 1106 1195 279
C
<( 2014 886 954 1006 1051 1135 666
Coeffic ie nts de
1,675 1,127 1,077 1,054 1,044 l ,0805 1625
déve lo pp e me nt

teur doit à présent être appliqué à la pothèse où les sinistres de l' année de
charge totale estimée par exercice de survenance 2014 feraient l' objet d ' un
survenance à l' issue de la sixième règlement plus rapide que les sinistres
année pour obtenir une estimation de des exercices antérieurs (2009 à 201 3),
la charge totale des sinistres à l' issue on conçoit fort bien que les coefficients
de la dixième observation. de développement obtenus selon les
exercices 2009 à 2013 , appliqués aux
Numériquement, cette aug me ntation règlements de l'exercice 2014, vont
de plu s de 8 % des débours de la com- surestimer considérablement la charge
pagnie se traduit par un accroissement à l ' ultime (observation 10) de ces
parfaitement calculable des provisions sinistres.
à acter. Ainsi, pour l'année 2012, le
montant total estimé passe à l 242 La méthode chain ladder appliquée
unités monétaires (1150 x 1,0805 ). Et uniquement sur les paiements cumulés
la provision pour cet exercice devient peut donc entraîner une sous-estima-
1242 - 969 = 273 unités monétaires. tion importante de la charge totale
On constate que cette extension de des sinistres , objet de l' analyse. Si le
l' hori zon a un effet très signifi catif de p011efeuil1e est composé pai1iellement
la provision totale à prévoir : elle passe de sini stres très importants , fortement
de 11 89 à 1625. provisionnés, n' ayant à l' instant de
l'analyse fait l'objet d ' aucun paiement,
Détecter les sinistres lourds cette méthode va ignorer ces sinistres
importants . Il est donc nécessaire d'ap-
La vali dité des résultats obtenus par pliquer également la méthode sur le
cette méthode repose sur deux hypo- triangle de développement de la charge
thèses , gui ne sont pas nécessairement totale (pa iements majorés des pro-
vérifiées. La première est ce ll e de visions). La comparaison, par année
la constance du tau x d ' inflati on des de survenance, des résultats issus des
règ lements du triangle des données deux estimations permet de détecter la
(triangle supérieur) et des règ lements présence de tels sinistres et d'y réser-
futurs estimés (triang le inférie ur). La ver un traitement particulier.
seconde porte sur la constance des
cadences de règlement des sinistres F.V.
d'une observation à l' autre. Dans l' hy-

Tangente Hors-série n°57. Les maths des assurances


par Daniel Justens

faire fructifier ses réserues


en période de taux bas Le nouveau siège
de la Banque centrale européenne
à Francfort (Allemagne).

Jouer auec les taux Euribor


Euribor
Horizon 4 mars 2016
1 mois - 0 ,28 %
2mois - 0 ,22 %
6 mois -0 ,14 %
12 mois - 0,03 %

Quels sont les marqueurs objectifs en


matière de détermination des taux
d ' intérêt? L' un d ' entre eux , le taux les performances
Euribor, quantifie le taux d 'intérêt moyen
des prêts interbancaires de la zone euro des grandes compagnies
pour une durée déterminée. Cette durée
varie d ' une semaine à un an et les taux L' ère est donc à la morosité en matière de taux d'intérêt.
associés à différents horizons varient Les petits épargnants le constatent quotidiennement. Pour
comme le montre le tableau ci-dessus. On s ' en convaincre , on peut observer que le taux moyen
constate aussi que ces taux sont d ' emprunt d'État (TME) ne dépassait pas 0,90 % en
actuellement négatifs ! Euribor est novembre 2015. Mais qu ' en est-il des grosses institutions
l' abréviation de Euro Interbank Offered bancaires , des compagnies d ' assurances qui se retrouvent
Rate , soit taux interbancaire proposé en avec d ' énormes provisions à placer pour arriver à garantir
euro . Il est supposé quantifier le taux leurs obligations futures et proposer de lucratives participations
d ' intérêt moyen auquel les banques bénéficiaires à leurs clients ? Assez curieusement , ces
européennes de premier plan se consentent institutions ne se débrouillent pas trop mal. La plupart des
des prêts dans la monnaie unique grosses institutions françaises viennent de publier leurs
européenne. Cette moyenne est une résultats en matière de gestion de réserves et certains
moyenne tronquée, centrée sur les 70 % affichent des rendements supérieurs à 3 % pour 2015 !
d'observations centrales. Mai s cet Certes ce n ' est pas le cas pour toutes mais la moyenne des
indicateur n'est pas nécessairement fiable. rendements devrait avoisiner les 2,25 % nets de frais de gestion.
Les rapports des régulateurs révèlent que Les participations bénéficiaires vont donc continuer à
les taux Euribor ont été manipulés à demeurer rentables pour l'ensemble des assurés. Incroyable
plusieurs reprises entre 2005 et 2009, à non? Malgré la baisse des taux, l ' assurance vie reste donc
la hausse comme à la baisse , en fonction un placement attractif. Et les épargnants s ' en rendent
des intérêts de certaines banques afin de compte: le taux de détention d'assurances vie continue de
leur pennettre d'engranger encore plus progresser régulièrement pour atteindre à ce jour plus de
de profits . En décembre 2013 , six d 'entre 36 % ! Néanmoins , en raison du contexte actuel de taux bas ,
elles ont été lourdement sanctionn ées le Haut Conseil de sécurité financière (HCSF) appelle
d'amendes de plusieurs centaines de régulièrement à une baisse des rémunérations de l'assurance
millions d'euro. À qui ou à quoi se fier? vie. On ne saurait être trop prudent !

Hors-série n° 57. Les maths des assurances Tangente


SAVOIRS par Louis Esch

les compagnies d'assurance


risquent-elles la faillite ?
Tous les titulaires de contrats d'assurances comptent sur la
fiabilité des compagnies émettrices pour pouvoir être couverts
en cas de sinistre. La ruine de ces dernières est-elle totalement
impossible? La faillite d'une compagnie d'assurances est un
évènement que l'on aimerait éviter!

vec le temps qui passe, chaque montants aléatoires. Pour l' intervalle

A compagnie d'assurance est le


siège de mouvements finan-
ciers positifs, que constituent l'en-
de temps [O, t[, notons N, la variable
aléatoire « Nombre de sinistres » pour
lesquels une intervention est due, et par
caissement des primes versées par les X 1, X 2 ... les coûts (supposés positifs)
assurés, et d'autres, négatifs, que sont des différents sinistres. Les variables
les prestations à assurer en cas de « coûts » sont supposées indépen-
sinistre. Jusque-là, tout va bien. Les dantes et identiquement distribuées,
flux de premier type sont considérés de moyenne µ. De plus , la variable
comme non aléatoires , puisque consti- entière N, est supposée indépendante
tués de primes dont les montants et les de X 1, X 2 ... Le montant S, total dû
échéances sont connus. Ces rentrées pour sinistres à l' horizon t pour la com-
d'argent sont nombreuses et distribuées pagnie est alors simplement égal à la
presque uniformément tout au long de somme X 1 + X 2 + ... , une somme dont
l'année. Pour simplifier, on considère le nombre de termes est lui-même une
donc que les primes sont encaissées variable aléatoire. La « fonction géné-
en continu à un certain taux, c, par ratrice des moments » m, (s) (voir en
unité de temps (l' année). Les seconds encadré) de cette somme d' un nombre
flux sont clairement d'échéances et de aléatoire de variables aléatoires identi-
quement distribuées et indépendantes
est égale à mN (ln mx(s)) . En notant
X l' une quel~onque des variables
Plus la compagnie d'assurances « coût », on en déduit (par dérivation)
a de réserves, moins elle risque la ruine! que E(S,) = E(N,) E(X) = µ E(N,).

Tangente Hors-série n°57. Les maths des assurances


ÉVITER LA RUINE

Gardons l'espérance!

Le surplus initial u0 pour la compagnie Si X est une variable aléatoire, de fonction de répartition
correspond à ses réserves libres à l 'in- Fx, la fonction génératrice des moments de X est une
stant initial. Sa « fonction surplus » U, fonction mx usuelle de la variable réelle s, définie for-
est alors définie par u0 + et - S,. mellement par la relation suivante :
Si l'on désigne par , 1, , 2 ... les instants
(aléatoires) de survenance des sinis-
tres, alors la figure suivante est une
représentation possible de l'évolution Le domaine de cette fonction est l'ensemble des valeurs
du processus de surplus. des où l'espérance est finie. Pour une variable aléatoire
continue possédant une densité de probabilité j ~, on peut
faire un calcul explicite :
u,
mx(s)= 1:= e"'}<(x)dx.

Ainsi, mxCO) = 1. Mais il y a plus : sous réserve de déri-


u, vabilité, la ki""" dérivée de la fonction calculée en s = 0
est rigoureusement égale au f<!h"e moment de la distribu-
tion de probabilité. C'est cette propriété qui justifie le
nom de cette fonction : m(kl(Q) = E(Xk).
La trajectoire de la fonction surplus Un résultat classique établit que la fonction génératrice
constitue en fait un processus sto- des moments d ' une somme de variables aléatoires
chastique, c 'est-à-dire une variable indépendantes est égale au produit des fonctions géné-
aléatoire fonction du temps. Elle peut ratrices de ces différentes variables. Dit autrement,
prendre des valeurs négatives. Lorsque
mX1 +.r2+ . .. +X,1 (s) = mX1 (s) mXi (s) .. .mXm (s).
ceci se produit, la compagnie est ruinée
et l' instant correspondant, noté T, est Si ces variables aléatoires sont en outre identique-
l'époque de ruine. Cet instant dépend ment distribuées, de fonction génératrice des moments
évidemment du surplus initial u0 • mx, et que le nombre de termes de la somme devient
Formellement, on note T = min {t 2: 0 une variable aléatoire entière N indépendante des X,,,
tels que U, < O}. Il s'agit d' une variable alors il devient possible de calculer explicitement la
aléatoire. Cette variable aléatoire est fonction génératrice des moments de la somme SN :
qualifiée de déf ective : la probabilité
msJs) = mN(ln mx (s)).
qu 'elle soit infinie est non nulle, ce qui
correspond à la pérennité de la com-
pagnie d' assurance. Or, les durées séparant les surve-
La probabilité de ruine se définit nances successives d'un processus de
en fonction du surplus initial par Poisson sont des variables aléatoires
\Jl(u0 ) = P(T est finie). Pour pouvoir indépendantes et identiquement dis-
aborder l'évaluation de cette proba- tribuées suivant une loi exponentielle
bilité de ruine, on suppose le nombre de même paramètre À. Cela signifie
de survenances d'accident distribué que la densité de probabilité associée
selon une distribution de Poisson de à la durée d' un intervalle de temps de
paramètre Àt. Ceci permet d'écrire que type ,11
-
1
( durée entre cieux sinis-
, ,,_

E(S,) = Àt X ~l. tres) est donnée par f(t) = Àc).'.

Hors-série n°57. Les maths des assurances Tangente


SAVOIRS Les compagnies d'assurance ...

Après tous ces développements, on


obtient l'évaluation suivante:

E( ~')= ~o + c - ˵
qui , sur le long terme, sera négatif,
sauf si la quantité c - Àµ est positive.
Pour cette raison, on introduit la notion
de chargement de sécurité 8, défini par
la relation c = (1 + 8) Àµ. On définit Ce coefficient d'ajustement (qui est
ensuite le coefficient d'ajustement R une valeur de t) permet de calculer
comme solution strictement positive une borne supérieure pour notre prob-
de l'équation du temps À+ et= Àm_/t). abilité de ruine, ce qui est déjà un
On constate que le membre de gauche résultat intéressant : c'est l'inégalité de
de cette équation est linéaire alors Cramer-Lundberg, qui nous apprend
que le membre de droite, constitué de que 'P (u 0) ~ cR110

la fonction génératrice des moments La probabilité de ruine est inférieure


calculée en t, est strictement croissante ou égale à une exponentielle négative
et convexe. Il ne peut donc pas y avoir (ce qui est rassurant 1) dont l' exposant
plus de deux solutions. On vérifie aisé- est proportionnel à notre surplus initial.
ment que t = 0 est la première d'entre En aurait-on douté? Plus la compagnie
elles et que la seconde est forcément d'assurances a de réserves, moins elle
strictement positive. Ceci apparaît bien risque la ruine !
sur le graphique ci-contre.
L.E.

Tangente Hors-série n°57. Les maths des assurances


par Michel Criton EN BREF
----------- -- - - - -

La ruine de l'assureur
Le théorème de la ruine du joueur affirme
qu'un joueur doit finir ruiné s'il joue sans
s'arrêter à un jeu équitableJ à partir du
moment où son adversaire est plus riche
que lui. Un assureur peut-il finir ruiné?

Couler son assureur


D ans le cas d' un ass ureur et de ses N assurés,
le je u est non équitable : les N ass urés paient
chaque an née une prime d 'assurance de X euros
et encourent un ri sque de sini stre égal à l / s.
Chaque sini stre entraîne une indemnisati on de
X euros (en simplifiant gross ièrement la réa-
lité). La valeur de X est calc ulée par l'assureur
en fo nction du ri sque encouru et en incluant
les fra is de fo nctionnement de la société d 'as-
surances et son bénéfice escompté. Se peut-il
que l 'assureur ne pui sse faire face à ses obli -
gations et soit ruiné ?
La réponse est o ui. Le risque de sinistre l / s
est une pro babilité, et les é vènements réels
peuvent s'écarter notablement de cette proba-
bilité. Il suffit de penser à l'ouragan Katrina
qui dévas ta la Nouvelle-Orléans en 2005 . Les
ass ureurs utilisèrent alors des clauses restr ic-
ti ves de le urs polices : certa ines prire nt en
compte les dégâts causés par le vent , mais pas
ce ux causés par l' eau si une ass urance « spé-
ciale in ondation » n'avait pas été souscrite .
On imagi ne qu ' un assureur local dont toute la
clientèle aurait été constituée d ' habitants de la
Nouvelle-Orléans n'aurait en aucun cas pu faire
face à la situation . Les sociétés d'ass urance
ont donc intérêt à avoir un bass in de clientèle
le plus large poss ible et à di versifie r au max i-
mum les types de risques qu 'elles ass urent ,
ceci afi n de ne pas « mettre tous leurs œ ufs dans
le même panier ».

Hors-série n°57. Les maths de l'assurance Tangente


HISTOIRES par A. Bellaïche et F. Lavallou

Sriniuasa Uaradhan
et les éuènements rares
Le mathématicien indien Varadhan a été récompensé par le
prix Abel pour ses « contributions fondamentales à la théorie
des probabilités et en particulier à la création d'une théorie
unifiée des grandes déviations ». Cette étude des occurrences
d'évènements rares est particulièrement pertinente dans la
gestion des réserves de l'assureur.

Ce texte est a théorie des probabilités a pour La théorie des grandes déviations étu-
adapté de deux
articles parus
dans Tangente 118
L ambition d'analyser des situa-
tions régies par le « hasard ».
Jacob Bernoulli établit au xv 111e siècle
die l'occurrence de tels évènements
rares et leur vitesse de décroissance. Ce
sujet a des applications concrètes dans
(septembre la loi des grands nombres, qui sti- des domaines aussi divers que la phy-
2007) et dans pule que la moyenne d'une longue sique, la biologie, l'économie, les sta-
Tangente 121 série de tirages aléatoires est générale- tistiques , l' informatique et l'ingénierie.
(mars 2008). ment proche de la valeur attendue. Par Quelles sont les réserves de capitaux
exemple la moyenne d'une longue série nécessaires à une compagnie d' as-
de jets de pièces (pile ou face) donnera surances pour garder la probabilité
environ 1/2 (soit 50 %) de« pile ». d'une incapacité de payer en des-
Mais qu'en est-il de la probabili- sous d'un niveau acceptable ? Cette
té d'avoir, par exemple, 90 % de question appartient au domaine des
«pile» ? Elle n'est pas nulle, même si grandes déviations.
elle décroît très vite avec le nombre n
de tirages ! L'origine du problème ...

1932 : Fredrik Esscher, actuaire d'une


Nous vivons dans un monde grande compagnie d'assurances de
Stockholm, se pose un problème très
plein d'incertitude et il est devenu
pratique : la réserve étant connue,
important de le modéliser, quelle est la probabilité de ne pouvoir
de l'étudier et de le contrôler. faire face aux remboursements ? Si les
n clients, qui paient la même prime a,
S.R.S. Varadhan
Tangente Hors-série n°57 . Les maths des assurances
Srinivasa reçu après son prix Abel par le roi Harald V
et la reine Sonja de Norvège.

Hors-série n°57. Les maths des assurances Tangente


Srinivasa Varadhan ...

reçoivent les remboursements X 1, X 2 , haitable par une expression en Ae -k"


... , X,, , et si la réserve est R, il s'agit et il s' agira de calculer en fonction des
d'évaluer la probabilité : données le taux de décroissance k de
P (X 1 + X 2 + ... + X,, > na + R). l'exponentielle.
Il est classique d'approximer
X 1 + X 2 + ... + X,, par une certaine 1937 : En analysant des « problèmes
variable aléatoire gaussienne G. Pour de ruine » pour des compagnies d'as-
Esscher cependant, cette approxima- surances, Harald Cramer découvre que
tion ne permet pas d'estimer correcte- les approximations standard fondées
ment la « queue » de la distribution de sur le théorème central limite (voir
X 1 + X 2 + ... + X,,. Tangente 168) sont en fait trompeuses.
S'il est avéré que P(X 1 + X2 + ... La probabilité d'obtenir k fois «face»
+ X,, > na + R) et P(G > na + R) en n tirages au jeu de pile ou fa ce est :
tendent tous deux vers zéro quand n
tend vers l' infini, l'un peut être dix fois
plus grand que l'autre. Or il ne faut ni
P(X,, = k!n) =
C)
I'.
sous-estimer le risque (dangereux !) En approximant les factorielles qui in-
ni le surestimer (cela entraînerait une terviennent dans cette expression par la
immobilisationde sommes trop impor- formule de Stirling, et notant r = k ! n,
tantes). on obtient que p (X,, = r) = e - nl (r ) , où
Ce sont les travaux de Esscher qui, I (r) est la fonction de taux , représentée
les premiers, conduiront à estimer la sur la figure ci-contre.
probabilité d'un évènement non sou-

Tangente Hors-série n°57. Les maths des assurances


GÉRER SES RÉSERVES

log!
chocs une petite impulsion. Le mou-
/ (r) = log 2 + r log r + (1 • r ) log{ ! • r) vement brow nien des mathématiciens
/(x) = 2 (x • ~ )' est une idéalisation du précédent : des
chocs infi nitésimaux sont reçus en per-
manence ; tous les points de la trajec-
toire sont des poi nts anguleux. C'est
0%
l' ingrédient obligé de tous les modèles
La fonction de taux d'un jeu d ' évolution continue et aléatoire.
de pile ou face et son approximation
quadratiquef(x) : écart pour les Varadhan imaginera quelques années
grandes déviations. plus tard le principe des grandes dé-
viations (PGD), qui repose sur l' hypo-
Cette fo nction est symétrique, par dé- thèse de l'existence d ' une telle fo nction
fin ition du jeu, par rapport à 1/2. La de taux I (r) , dénommée aujourd ' hui
fi gure montre que pour les grandes dé- fo nction de Donsker-Varadhan . Son
viations, elle s' écarte de l' approx ima- analyse fo urnit de nombreuses infor-
tion quadratique j(x), qui correspond mations sur le système étudié. En par-
à une gaussienne . Notons que, dans ce ti culi er, on peut obtenir à partir de cette
cas, r = l / 2 est la seule valeur annulant fo nction caractéri stique des bornes ex-
la fo nction de taux I (r ), ce qui corres- ponentiell es sur la probabilité d'évène-
pond à la loi des grands nombres . ments rares .

... et sa solution A.B. et F.L.

Il faudra attendre plus de trente ans


après Cramer avant que Varadhan
n' établisse une nouvelle théorie des
grandes déviations qui se trouva être
bien plus qu ' une simple amélioration
quantitative des taux de convergence.

En 1964, Varadhan, à peine débarqué


à New York, replace en effet dans un
cadre théorique général tous ces pro-
blèmes. Sa technique, qui revient à
recentrer le modèle sur les situations
« aberrantes », lui permet de poser
et réso udre des problèmes jusque-là
inaccess ibles , e n particulier ceux qui
mettent en jeu une infi nité continue de
vari ables aléatoires , comme le mouve-
ment brow nien.
C'est le mouvement d' une particule
dans un fluide, où elle subit des chocs
des molécules du fluide, à intervalles
irréguliers, et reçoit à chacun de ces

Hors-série n°57. Les maths des assurances Tc:in9ente


EN BREF par Daniel Justens

f ortis : du succès à la faillite ...


et à la chute d'un gouuernement
Des AG à Fonis :180 ans de croissance
C'est à l'initiative de Guillaume 1er, souverain d'un royaume des
Pays-Bas qui avait absorbé la Belgique suite au traité de Vienne, que
deux membres de la chambre de commerce de Bruxelles décident en
1824 de la création d'une compagnie d'assurances sur la vie : les AG
(Assurances Générales) . La Belgique n'existe pas encore.
Six ans plus tard, des contrats d'assurance incendie sont aussi intro-
duits, puis, après une entrée en bourse en 1909, d'autres branches comme l'assurance groupe
ou l'assurance pension seront également proposées. La croissance est au rendez-vous. En
1969, la compagnie se transforme en holding : le « Groupe AG », absorbant régulièrement
d'autres concurrents plus petits ou moins gourmands.
De fusion en fusion, la petite compagnie se transforme en véritable ogre commercial sous
l'appellation aujourd'hui tristement célèbre de « Groupe Fortis ». Puis vient la tentative d'ab-
sorption du groupe ABN Amro, qui échoue par manque de capitaux propres, révélant la ges-
tion désastreuse du groupe, détenteur d'actifs toxiques en nombre. La faillite était inéluctable,
même si elle fut niée contre toute évidence par les patrons de l'entreprise.

Dexia, le symbole du scandale financier

Il
La banque Dexia fut créée en 1996 par fu sion entre le Crédit Communal de Belgique
(une institution plus que centenaire et qui avait la confiance du public) et le Crédit
Local de France (fondé en 1987). Des rêves de grandeur conduisent les dirigeants de
l'entreprise à l'acquisition répétée d'institutions bancaires américaines, israéliennes,
canadiennes ou turques.
Dexia devient en quelques années leader mondial sur le marché des
services financiers au secteur public, opérant dans la quasi -totalité des
pays de l'Union européenne, avant de sombrer dans l'un des plus grands
scandales financiers européens , supérieur à celui du Crédit Lyonna is.
En 2008, dans le contexte de la fameuse crise des subprimes, Dexia est
mi se sous pression au vu de ses relations d'affaire avec le groupe Fortis. L'action du groupe chute
de 20 à 1,85 € en moins d'un an. Mais le groupe comptait pl us de 20000 employés. Il avait partie
liée avec un grand nombre de communes. Fin 2011 , les États belge, français et luxembourgeois in-
jectèrent plusieurs milliards d'euro dans l'entreprise au bord de la faillite, pour éviter son naufrage,
grevant d'autant les dettes publiques déjà conséquentes. Dexia fut
scindée en une « Bad bank » reprenant plus de 80 milliards d'eu-
ros d'actifs« toxiques» et financée à pl us de 60 % par l'état belge,
véritable épée de Damoclès aujourd'hui encore, et des entités plus
saines dont a émergé en 2012 la banque actuelle Belfius.
a Belfius
Tangente Hors-série n°57. Les maths des assurances
EN BREF

... et les conséquences politiques


les conséquences
économiques d'une
mauvaise gestion...
.
..... •·-·
La volonté de s'ac-
1

··-···
;,·
FORTIS
croître démesuré-
ment qui habitait
le groupe AG (voir
ci-contre), couplée à celle de rému-
nérer excessivement ses action-
naires, conduisit ses gestionnaires
à l'acquisition d' actifs à fort ren-
dement, mais en conséquence éga-
lement fort risqués. Cet état n'était Yves Leterme .
pas connu des actionnaires. Jusqu 'à
fin septembre 2008, Fortis passait La chute de Fortis, qui perdit 95 % de sa valeur
pour être l'une des institutions les en un an, entraîna celle de l'indice BEL20 en
plus sûres en Europe, supportant Belgique, avec une perte de 53,7 %, ce qui cor-
à elle seule une part importante respond à près de cent milliards d'euros, qui se
de l'indice BEL20 en Belgique. sont ainsi « volatilisés ». Mais tous les détenteurs
En moins de dix jours, le géant d'actifs Fortis n'étaient pas également informés.
s'est écroulé, sauvé in extremis par Des soupçons de délits d'initiés pesèrent sur bien
une nationalisation partielle par la des actionnaires qui avaient liquidés leurs actifs
Belgique et le Luxembourg et une très opportunément un peu avant la débâcle
vente bradée à la BNP Paribas. Les (voir ci-contre).
gestionnaires arrogants furent pure- Il y a plus grave encore. Yves Leterme, Premier
ment et simplement déposés. ministre en exercice, fut contraint de remettre la
Mais dans l'esprit de beaucoup de démission de son gouvernement le 19 décembre
citoyens, la vénérable institution 2008, suite aux déclarations du président de la
passait pour un géant indestruc- Cour de cassation, qui affirmait avoir « des indi-
tible, et ses actifs pour des place- cations importantes » précisant que le gouverne-
ments « de bon père de famille ». ment de M. Leterme aurait tenté de faire pression
Les conséquences de la faillite de sur la justice dans le dossier de démantèlement
l'entreprise sont donc socialement de Fortis, au bord de la faillite. Ce gouvernement
terribles : beaucoup de bas de laine
est donc tombé pour « soupçons d'influence de
se retrouvent vidés de leur contenu.
l'exécutif sur la magistrature dans la procédure
De plus, le sauvetage in extremis
judiciaire contestant la vente de Fortis à BNP
de l'institution par nationalisation
Pari bas » . On n'imagine pas les conséquences
d'une mauvaise gestion de ses actifs financiers
accroît d 'autant la dette de l'État
quand on est un géant de l'assurance!
belge.

Hors-série n°57. Les maths des assurances Tangente


ACTIONS par Pierre Devolder

Il y a garantie...
et garantie
Une des caractéristiques de l'assurance vie par rapport à
d'autres formes d'épargne est d'offrir aux clients des garanties
sur de très longues durées. Mais il existe différentes formes de
garantie, qu'il n'est pas toujours facile de comparer.

L
es produ its d 'assurance vie ont di verses, ne sont pas toujours clairement
une double fonction. Déjà, ce sont exp licitées . Il n 'est dès lors pas inutile
des produits d 'ass urance : ils de tenter d'en décrypter leurs mécaniques
visent à protéger le client ou ses ayants parfois un peu secrètes et cachées !
droit contre certains risques liés à la vie
humaine (par exemple le risque de décès Décrypter les petits caractères
prématuré dans une assurance temporaire
décès, ou le risque de longévité dans une Concentrerons-nous sur les produits
rente viagère) . Ensuite, ce sont des produits d'assurance vie à taux garanti (parfo is
financiers , dans la mesure où ils contiennent appelés contrats en euros) : ils constituent
le pl us souvent une fonction d'épargne l'archétype du produit à garantie. Le
significative. rendement octroyé par l' assureur aux
En tant que produit d'épargne , un contrat produits à taux garanti se fait en deux
d 'ass urance vie se distingue d 'autres étapes.
formes d'épargne (par exemple de type Première étape : l'assureur garantit sur
bancaire), ne serait-ce que par la façon l'épargne un taux d'intérêt minimum,
d'attribuer le rendement au client. En appelé taux technique . Il s'agit do nc
particulier , deux éléments jouent d' une garantie a priori annoncée au client
généralement un rôle capital et spécifique : lors de la souscription du contrat. Ces
d ' une part , le caractère long terme des contrats étant généralement à long terme ,
produits, souvent destinés à une épargne l' assureur peut être amené à s'engager
en vue de la retraite; d 'autre part, la s ur de trè s longue s périod es ; on
présence de nombreuses garanties de comprendra sans peine qu ' il proposera
rendement visant à protéger le client et un taux garanti prudent, généralement
assurer une rentabil ité minimale de inférieur aux attentes de rendement sur
l 'épargne (l'ass ureur retrouvant ainsi sa les marchés ...
fonction d 'ass urer et de prendre des L'octroi d'un rendement basé sur ce taux
risques, y compris dans la sphère des technique prudent conduit naturellement
investi sse ments !). Ces garanties, très l'ass ureur à réaliser a posteriori des

rl24 Tangente Hors-série n°57. Les maths des assurances


I • '< • •

GÉRER SES RÉSERVES

bénéfices. C'est ici qu'intervient la d ' évolution suivante:


seconde étape del ' attribution du rendement
au client: l ' assureur va ristourner au t= 0 t= l an t=2ans
client une partie de ses profits. Il s'agit 125,44
des participations bénéficiaires. 112
Intéressons-nous plus particulièrement 100 109 ,76
au mode temporel d'attribution de la 98
participation bénéficiaire et du rendement 96,04
octroyé. Lorsqu ' un produit financier ou
d'assurance contien t une garantie de Voyons à présent comment les deux
taux , celle-ci peut soit s'app liqu er formes de garantie vont intervenir. Dans
uniquement à la maturité du produit le cas d'une garantie à maturité , il s'agira
(garan tie dite à maturité), soit jouer de comparer à l'échéance t = 2 le montant
chaque année (garantie dite annuelle ou obtenu à la garantie minimale, qui s'élève
garantie à cliquet). Ces deux formes de à cent euros capitalisés deux ans à un
garantie sont différentes . taux de 3 %, soit un montant en euros de
100 x 1,03 x 1,03 = 106 ,09. Compte
Supposons l'investissement d'un montant tenu de la garantie, le produit devient :
de cent euros dans un actif financier
risqué dont le rendement chaque année t= 0 t= l an t=2ans
peut valoir, de manière équiprobab le , 125,44
soit +1 2 % (plus-value de 12%), so it 112
-2 % (moins-value de 2%) . Sur un an, 100 109,76
l ' évo lution de l ' actif peut donc se 98
représenter ainsi : 106,09

t=0 t= l an La garantie ne joue que dans le plus


112 mauvais scénario (106,09 €) . Dans le
100 scénario intermédiaire, il y a compensation
98 entre les « bonnes » et les « mauvaises »
années et la garantie n'a pas à intervenir.
On ajoute à ce produit une garantie
minimale de rendement de 3 % . Pour un D ans le cas d'une garantie annuelle,
produit de maturité 1 an , le montant chaque fois qu'un rendement annuel est
obtenu est alors simplement donné par : inférieur à 3 % , la garantie s ' applique.
L' évo lution du produit devient alors :
!= 0 t= l an
112 t= 0 t= l an t=2ans
100 125,44
103 112
100 115,36
Dans ce cas, il n ' y a bien sûr aucune 103
différence entre la garantie annuelle et la 106,09
garantie à maturité ! Mais considérons
maintenant le même produit, sur une Cette fois, la garantie joue, non seulement
durée de deux ans ... Sans présence de dans le dernier scénario (le plus
garan tie , l ' actif risqué a la forme défavorable : 106 ,09 €), mais également

Hors-série n° 57. Les maths des assurances Tangente


ACTIONS Il y a garantie ...

dans les scénarios i ntermédiaires annuelle de taux 2:aranti i. il vient :


(115,36 ,€) ! Et la différence entre ces
deux formes de garantie sera d'autant
plus importante que la durée du contrat Dans ces fonnules, le taux ide la garantie
est longue (ce qui est souvent le cas de peut être nul ! Il ne s'agit nullement
contrats d ' assurance vie). Ainsi, pour un d ' une garantie ne valant rien: c'est dans
contrat d'une durée de trois ans , on obtient ce cas également une vraie garantie. Une
l'évolution suivante: garantie à maturité à taux nul revient à
• pour une garantie à maturité : garantir au client à maturité au minimum
le montant initialement investi . Une
t= 0 t= 1 an t = 2ans t=3ans garantie annuelle à taux nul garantit que
140,49 l'épargne en cours de route ne peut jamais
125 ,44 diminuer.
112 122,93 Un taux garanti négatif pomTait même
100 109 ,76 être imaginé théoriquement ! Un taux
98 109,27 de -2% garantit de ne pas perdre plus
96,04 que ce niveau . En cas de crash, cela peut
109,27 être bien utile , même si ce type de produit
reste peu attractif d ' un point de vue
• pour une garantie annuelle : marketing .. .

t= 0 t= 1 an t = 2ans t= 3 ans Les produits cl assiques d 'assurance vie


140,49 avec participation bénéficiaire annuelle
125 ,44 so nt généralement basés s ur un
112 129,20 mécanisme de garantie annuelle. Les
100 115,36 produits avec terminal bonus, de même
103 118,82 que certains produits en unités de compte
106,09 avec garantie finale, ressortent plutôt
109,27 de la garantie à maturité. Les deux
situations peuvent donc exister dan s le
Taux nul uoire négatif en cas de crash marché des produits vie.

Pour fo1maliser simplement cette évolution, De la dynamique des taux


notons ile taux minimum annuel garanti de rendement
et rk le rendement réel pour l' année k de
l'actif avant garantie. Un montant initial Une autre question intéressante liée aux
noté C 0 , investi dans l ' actifrisqué sans garanties de taux est d 'examiner l'impact
garantie. donnerait aorès n années : d ' une modification du tau x garanti en
C(n) = C 0 fI =(1 + rk).
1
cours de route du contrat. En effet, les taux
garantis par l'assureur sont liés à l'évolution
Si le produit possède en sus une garantie des taux d ' intérêt sur le marché , et leur
à maturité de taux garanti i, alors le éventuelle volatilité ne manquera pas
montant obtenu après n années d 'o bliger l 'ass ureur à modifier
d'investissement devient: périodiquement le niveau de sa garantie !
C(n) = C 0 x max(fJ:=(1 + rk),(l + i)").
1
En cas de modification du taux garanti
par l'assureur, cette modification s'applique
Si le produit possède plutôt une garantie à l'évidence pour les nouveaux contrats

Tangente Hors-série n°57. Les maths des assurances


GÉRER SES RÉSERVES

souscrits postérieurement au changement Un client verse un montant de mille


de taux. Mais qu ' advient-il des contrats euros , trois ans de suite , respectivement
déjà existants ? ent=0 , t= 1 ett=2.Ilneverseensuite
Différentes modalités existent. On peut plus rien et récupère son épargne après
principalement en distinguer trois , qui dix ans. Le contrat est initialement souscrit
diffèrent selon le degré de persistance à un taux garanti de 3 %.
de la garantie : Si le taux reste stable à 3 % sur toute la
• Le mécani sme des contrats classiques durée , le montant obtenu au terme des dix
d 'assurance vie : l ' ancien taux est ai1s est donné (en euros) par la capitalisation
maintenu (tant sur l'épargne accumulée à 3 % des trois versements successifs :
au moment du changement de taux que C(IO) = 1000 x (1 ,03) 10 + 1000 x (1,03)9
sur les primes futures d ' un niveau + 1000 X (l ,03) 8 = 3915,46.
convenu antériemement au changement Considérons un scénario de modification
de taux mais qui seront payées du taux gai·anti : l'assureur diminue après
postérieurement). La garantie est donc un an , en t = 1, son taux garanti de 3 %
particulièrement résistante puisqu 'elle à 1 % . Ensuite, on suppose que le taux
porte même sur des versements non n'est plus modifié. Que devient la gai-antie ?
encore réali sés ! Avec le mécanisme des contrats classiques
• Le mécanisme des comptes d'épargne: d ' assurance vie , la modification de taux
le nouveau taux s' applique aussi bien est sans effet et le montant garanti reste
sur l'épargne accumulée au moment identique: C(IO) = 3915,46 euros.
du changement de taux que sur les Avec le mécanisme des comptes d'épargne,
versements futurs. On parle parfois le taux de 3 % ne joue que sur la première
d'application verticale de la garantie. année et sur le premier versement ; on a
Financièrement, une telle garantie peut donc dans ce cas (en euros) :
être justifiée par l'investissement dans C(l 0) = 1 000 x 1,03 x (1,01) 9
du cash ou dans des titres obligataires + 1000 X (1,01) 9
de courte durée. +1000 X (J ,01) 8 = 3303 ,04.
• Le mécanisme intennédiaire des produits Avec le mécanisme des contrats universal
vie de type universal lif'e : l'ancien taux life : le taux de 3 % continue de s'appliquer
continue de s 'appliquer sur l'épargne jusqu' au terme sur le premier versement.
accumulée au moment du changement ; On obtient (en euros) :
le nouveau taux s'applique sur tous les C(IO) = 1000 x (1 ,03) 10 + l 000 x (1 ,01) 9
versements effectués sur le contrat + 1000 X (1,01) 8 = 3 520,46.
postérieurement au changement de taux.
On parle paifois dans ce cas d'application Dans ces exemples , la diniension financière
horizontal e de la garantie . a seule été prise en compte . Des
Financière ment, une telle garantie développements relativement à des
intermédiaire peut se justifier par une éléments de mortalité sont possibles ;
stratégie d ' investissement obligataire à ils n' ajoutent rien au raisonnement et
long terme . peuvent sans difficulté être incorporés
dans notre analyse. Dorénavant , vous
En cas de bai sse des taux , la garantie savez en partie déchiffrer les clauses en
des contrats classiques est bien la plus petits caractères dans vos contrats
avantageuse pour le client, alors que d ' assurance vie !
celle du compte d 'épargne est minin1aüste. P.D.
Illu strons-le sur un exemple.

Hors-série n° 57. Les maths des assurances Tangente


ACTIONS par Francis Vaguener

La gestion actif-passif
La richesse d'une compagnie d'assurances se mesure par la
différence entre les flux financiers futurs actualisés générés
par son passif et son actif. Chaque compagnie est donc
attentive à certains éléments exogènes, comme le taux
d'intérêt, susceptibles de perturber son équilibre financier.

'
L
cx pre~s io n risqu e de taux de la valew- d'une obligation ou d' une série
recouvre l ' ensemble des de flux actualisés relativement au taux
co n séquences financières pratiqué sur le marché ? Les répo nses à
induites par une variation du taux d'intérêt ces questions vont nous men e r aux
sur la richesse d'une compagn ie concepts de duration, de convex ité et
d ' assurances. C'est en effet l'une de ses d ' ALM (asset liability management, ou
préoccupations majeures. Les engagements gestion actif- passif en français) .
actés au passif de son bilan sont couverts
à l ' actif de son bilan par les valeurs S'immuniser contre les taux d'intérêt
représentatives de ces engagements . Ces
dernières sont majoritairement constituées
de titres obligataires. Quelles sont les
condition s d'immunisation d'un
1=0 /= 1
investissement obligataire contre une
-1000 30 30 30 1030
variation du taux d'intérêt pratiqué sur
le marché pour des instruments financiers
identiques ? Quelle est la « sensibilité »

Valeurs t= 2 t= 3 t =3,82677 t= 4
r = 0,02 1080 ,02 1101,62 1119 ,76 1123 ,65
r= 0,03 1060,9 1092,73 1119,76 1125 ,51
r = 0,04 1042,34 1084,03 1119,76 1127 ,39

Rendements t=2 /= 3 t =3,82677 t= 4


r = 0,02 0 ,039238 0,032785 0 ,03 0 ,029574
r = 0,03 0,03 0,03 0,03 0,03
r = 0,04 0,02095 0,027261 0 ,03 0,030431

~ 28 Tangente Hors-série n °57. Les maths des assurances


ÉVITER LA RUINE

Au temps t = 0 , on a acquis une obligation


à taux fixe , de maturité T = 4 ans (le
Le calcul de la duration
moment du remboursement), émise et À l'instant initial, on peut noter la
remboursable au pair pour une valeur valeur actualisée au taux r des flux
de 1000 ,@, assortie d' un taux de coupon futurs produits par une obligation
payable annuellement de 3 % . Les flux par
produits par cette obligation sont
représentés par le schéma ci-contre. Dès V(O,r) = f ~.
t= t (l+r)
l'acquisition de cette obligation , le taux
d ' intérêt r pour un instrument financier On souhaite identifier l'instant D
similaire progressait de 3 % à 4 % ; il ne tel que la valeur de l'investissement
fluctuera plus ensuite jusqu'au terme de se révèle insensible à une variation
cette obligation. Que deviennent alors du taux d'intérêt r, c'est-à-dire tel
la valeur et le rendement de cet que sa dérivée partielle relativement
investissement obligataire à différentes au taux s'annule. En d'autres termes,
dates de revente ? oncherche D > 0 tel que
La valeur de cet investissement à tout a
-V(D,r)=O.
temps t dans [0 , T] pré se nte deux ar
composantes : d'une part, la valeur Capitalisons la valeur actuelle de
capitalisée au temps t et au nouveau taux l'investissement à cet instant D :
r + 6r des coupons perçus, d'autre part
la valeur actualisée au même instant t
des coupons futurs et du montant de
V(D,r) = (f ~)(1
l= l (1 + r)
+ r) 0 •

remboursement. La valeur V(3) de l'actif Il faut calculer la valeur de D qui


en cas de liquidation après trois ans annule la dérivée partielle de cette
(t = 3) est alors égale, en euros, à: expression par rapport à r. On trouve
successivement :
V(3) = 30(1,04 )2 + 30(1,04 ) 1
+J_Q_+ lOOO =1084,03. -d V(D,r) = (
a,-
L~ tF ) (1 +r)
T
(l+r)
l=l
0

1,04 1,04
On calcule aisément le nouveau rendement
x de l'actif sous modification de taux ,
+0(±~)(1+,-)
+l=I (1 r)
0 1
- =0,
puisque notre investissement de 1000 €
nous donnera 1084,03 € après trois ans : d'où la valeur donnée dans le texte.
1000(1 + x) 3 = 1084,03 , Par ailleurs, en limitant au premier
soit x = 0 ,027261 = 2,7 % environ. ordre le développement en série de
Les tableaux ci-contre donnent Taylor de V(O, r) au voisinage du
différentes valeurs de l'actif et de son taux initial r0 , on obtient :
rendement pour des échéances comprises _ D(r0 )
entre 2 et 4 et des rendements compris V(O,r) - V(O,r0 )---V(O,r0
)(r-r0 ).
l+r0
entre 2 et 4 % .
Il existe un instant de liquidation, à savoù·
t = 3 ,82677 années, tel que le rendement obligataire conserve un rendement au
de l'investi ssement obligataire est moins égal à son rendement initial de
« immunisé » contre une faible variation 3 % . Cet instant particulier D fut introduit
du taux d 'i ntérêt. À cet instant de par l'économiste canadien Frederick
liquidation D , la valeur de l'investissement Robertson Macaulay en 1938 sous le

Hors-série n • 57. Les maths des assurances Tangente


ACTIONS La gestion actif-passif

nom de duration. À cet instant t = D =


3 ,82677 années , la baisse (hausse) du
taux d'intérêt aura un impact positif La duration modifiée DM(r0) peut alors
(négatif) sur la valeur del' obligation qui s' interpréter comme une mesure de la
sera compensé par une perte (gain) lié au sensibilité de la valeur d ' une obligation
réinvestissement des coupons perçus au à une faible variation absol ue du taux
nouveau taux. Avant cet instant D, une d ' intérêt. Dans notre exemple, la duration
baisse (hausse) du taux d'intérêt produira modifiée au point initial (r0 = 3 %) est
une augmentation (diminution) de la égale à 3 ,7171. Il est intéressant de
valeur de l'obligation, qui ne sera pas calculer la valeur approchée de l'obligation
totalement absorbée (compensée) par la obtenue par application de cette relation
pe1te (gain) liée au réinvestissement des lorsque le taux progresse de 3 à 4 % pour
coupons perçus au nouveau taux. Enfin, en apprécier le niveau de précision . On
après cet instant D, toute baisse (hausse) trouve, en euros :
du taux d'intérêt produira une augmentation
(diminution) de la valeur del' obligation , V(0,0,04) = 1000 - 3,7171 x lOOO x0,01
qui sera plus que absorbée (compensée) = 962 ,83 .
par la perte (gain) liée au réinvestissement
des coupons perçus au nouveau taux . La Cette valeur est à comparer à la valeur
duration correspond à la valeur de t qui exacte , à savoir
annule la dérivée par rapport au taux r ~+ ~ + ~ + ~ = 963 70.
de la valeur del' actif V(t, r). Explicitement, 1,04 (1,04 )2 (1 ,04)' (1,04) 4 '

on vérifie (voir en encadré) que: Utiliser la duration modifiée pour estimer


la variation relative de la valeur d ' une
D = 1 f _F,_ obligation rev ient à supposer la fonctio n
L_F,_ L,t
T
,= (l+r)' 1
V(0 , r) linéaire alors qu'elle est convexe.
l= I (1 + r)'
Afin d 'approcher plus précisément encore
en notant F, le flux (coupon ou la valeur de l'obligation consécutive à une
remboursement) d'échéance t . modification du taux , il fa ut introduire
dans la relation approchée un terme de
La duration peut s' interpréter comme la convexité modifiée, QM' obtenu en
moyenne arithmétique des échéances développant V(0 , r) en série de Taylor
pondérée par les valeurs actua li sées jusqu ' au terme d ' ordre deux (voir en
(correspondant à ces échéances) des flux encadré).
F, à percevoir. Elle représente la dimension
temporelle d'une obligation ou d ' une L'approximation devient alors, sur notre
série de flux dont la valeur actualisée exemp le (où QM = 17 ,7776) :
est inscrite à l'actif ou au passif du bilan.
V(0 , 0 ,04) = 1 000
Une mesure de la sensibilité - 3 ,7171 x l 000 x 0 ,0 l
+ [/2 X 17 ,7776 X 1 000 X

En introduisant la notion de duration 0,ül 2 = 963,72

mo d IJ;{';,ee
' D M = -D(1ô-) , ca1cu l ee
' au taux
1+r0 en arrondissant au centime d ' euro près.
initial r0 , on peut noter (voir encadré), pour La valeur approchée de l' obligation en
une petite variation l-,,r du taux (r = r 0 + t = 0 en utilisant duration et convexité
!-,,r) : modifiées fait passer l' erreur absolue de

Tangente Hors-série n°57. Les maths des assurances


Valeur exacte et valeurs approchées de l' obligation en fonction clu tain: r
V(O,r)

Valeur Exacte

Valeur approchée par DM

Valeur approchée par Di-1 et Q:--1

Erreur commise
par approximation
linéaire

ro r taux

0 ,87 euro à 0,02 e uro seulement (voir le


graphique) .
Le calcul de la convexité
On pouJTa vérifier que la duration D pour La valeur de l'actif est toujours égale à
une obligation zéro-coupon est égale à F
sa maturité T et que sa convex ité Q est V(0,r) = L--
T

(1 + r)
l= l
1
-
1

égale à T (T + 1).
Développons cette fonction en série de Taylor au voisinage
Honorer ses engagements du taux initial r0 :
, V"(O,r0 ) ( 2
V(O,r) = V(O , r0 )+ V (0,r0 )(r - r0 )+ r - r0 ) •
La durati on et la convex ité d ' une série 2
de flu x financiers tiennent un rôle Le terme du premier ordre a déjà été calculé.
T
dé termin a nt dan s la recherche et la ~ t(t + l)IF
Il reste à expliciter V"(O, r0), soit ,,L,, +2' '
conservation d ' un équilibre entre l' actif t=1 (l+r)
et le p ass if d ' une co mpagni e lorsqu e
l' intérêt se porte sur les conséq uences
financières d'une vaiiation du taux d' intérêt
sur sa richesse. Une compagnie collecte
des primes . Elle est dès lors redevable
d 'engagements, inscrits à son pass if sous
fmme de provisions techniques, vis-à-vis
de ses ass urés. E n co ntr epart ie, la
compagnie possède à son actif des valeurs ce qui permet d'écrire :
représentatives placées et cotées sur le
marché financier. Le différentiel entre
la valeur actualisée de ses engagements
reprise au passif, VP(0 , r), et la valeur
ac tuali sée à l 'ac tif de ses avo ir s,
VA(0, r) , re présente la ri chesse de la richesse GAP(0 , r) contre une variation
compagnie, souvent appelée GAP(0 , r) du taux d ' intérêt pratiqué sur le marché.
pour gap actifpassif Un des objectifs de Prenons un assure ur qui vend un bon de
la gestion actif- passif est de protéger la capitalisation d ' une durée de trois ans à

Hors-série n • 57. Les maths des assurances Tangente


ACTIONS La gestion actif-passif

un taux de 5 %. La prime versée par on doit avoir DA= DP , soit


l'assmé en t= 0 est de 5000€. L'assureur 2y + 4(1-y) = 3, ce qui livre y = 0 ,5. Les
devra donc verser dans trois ans le montant flux générés par cet investissement seront,
de 5 000 € , capitalisé au taux de 5 % , soit en t = 2,
5000(1 ,05)3= 5 788 ,10€. En contrepartie, de5000·€ x0 ,5x(l +0,5)2=2756,2€ ,
mettons que la compagnie a investi le et en t = 4 de
montant reçu de 5 000 ·€ dans l'acquisition 5000 •€ X 0 ,5 X (l + 0 ,5) 4 = 3038,8 •€.
d' une obligation à coupons de durée trois La convexité de l'actif vaut
ans au taux initial du marché de 5%. À 0 ,5 X 2 X (2 + 1) + 0,5 X 4 X (4 + 1) = 13,
l' instant initial , le GAP(O ; 5 %) est donc et celle du pass if, 3 x (3 + 1) = 12.
clairement égal à ... zéro ! Si le taux du L'actif présente une convexité supérieure
marché descend ou monte de 1 %, par au passif, tout en ayant une duration
contre, le GAP deviendra respectivement équivalente. Le GAP au point initial
(en euros) : (r = 5 %) est nul. Si le taux du marché
GAP(0· 0 04 ) = ( 250 + 250 + 250_) diminue de 1 %, le GAP devient (en
' ' 1,04 1,04 2 1,04 ' euros) :
- 5788 ,l = -6 ,9 GAP(0·0 04 )= 5788 , 1 _ 2756 ,2 _ 3038 ,8
' ' 1,04 3 1,04 2 1,04 5

=0 ,24.
etGAP (0;0,06) = ( 250 + 250, + 2503) ·
1,06 J,06 - 1,06
Si le taux du marché augmente de 1 %,
-5788 , 1= 6,5. le GAP devient (toujours en euros) :

À la lumière de cet exemple, cette stratégie GAP(0 0 06 ) = 5788 ,1 _ 2756 ,2 _ 3038,8


' ' 1,06 3 1,06 2 1,06'
d ' investissement n ' immunise pas le
GAP(O ; r) initial contre une variation du = 0 ,22.
taux d'intérêt. En effet, si ce dernier
diminue, la compagnie enregistre une Cet exemple numérique montre que les
destruction de richesse de près de 7 ·€ . conditions d ' immunisation du
Intuitivement, on comprend cette perte GAP(O ; 0,05) = 0 contre une variation
de valeur : au passif, un seul paiement du taux du marché consistent à adopter
devra être effectué , en t = 3 , alors qu'à une stratégie d'investissement telle que
l'actif les flux reçus en t = l et t = 2 les durations del ' actif et du passif soient
devront être réinvestis jusqu'en t = 3. Si égales et telle que la convexité del' actif
le taux diminue, la valeur capitalisée des soit supérieure à celle du passif. Par le
coupons diminuera, alors que le flux même raisonnement, en partant d'une
unique de passif restera inchangé. position bénéficiaire GAP(O ; r) > 0,
Admettons que la compagnie choisisse c'est-à-dire VA(O , r) > VP(O, r), les
une autre stratégie de placement en conditions d'immunisation au point initial
investissant les 5 000 ·€ en proportion exigent quel' actif soit plus court et plus
y dans une obligation zéro-coupon à deux convexe que le passif.
ans et le complément (à savoir une F.V.
proportion 1 - y) dans une obligation
zéro-coupon à quatre ans, telle que les
durations de l'actif DAet du passif DP
soient égales. La duration d'une obligation
zéro-coupon étant égale à sa maturité,

Tangente Hors-série n°57. Les maths des assurances


~

• Les}y']):èmes de retrait·:·
moint1i15 :r_n~jns,,Jtomb
· --
ent-~voliie rp°'riur""é
,..et paie · ,
---- __ .
, ..,.
· s retraités, dont4e·no _
.

régulièrement, et à qui ilfaut gal'antir une · · de vie digne. Les solutions


pas légion. Quelles qu'elles soient, elles demanderont des efforts. A nous
~e.veiller à ce que ces efforts soient répartis équitablement.
Ce dossier s'appuie sur les articles de la« saga des retraites» parus dans Tange1J.t~
en 2013. ~
SAVOIRS par Éric Tazé-Bernard

Un uieillissement irréuersible
de la population
En France, le problème des retraites est d'actualité du fait du
vieillissement de la population. Les réponses apportées par les
différents pays développés passent par un allongement de la
durée de cotisation et une diminution des taux de remplacement.

con a du vieillissement de la ses voisins e uropéens - avec 2 enfants


population fait désormais l'objet par femme , contre 1,4 en Allemagne et
d'un large consensus. Il est ainsi en Italie . Certains préconisent une aug-
prévu une hausse de l'ordre de 60 % du mentation des flux migratoires , mais le
ratio de dépendance (rapport du nombre niveau des « migrations de remplace-
des plus de 60 ans à celui des 20-59 ment » qu 'i I faudrait pour freiner le
ans) en France, de 43 % en 2010 à 70 % viei llissement serait très élevé: la France
en 2060. Le vieillissement sur longue aurait besoin de 2 millions de migrants
période s'explique par l'arrivée des géné- par an d'ici à 2050 , soit 90 millions sur
rations nombreu ses du baby-boom à la période ! On peut s'interroger sur les
l'âge de 60 ans - phénomène qui pren- conséquences de migrations massives tant
dra fin vers 2035 - et par l'augmenta- sur les pays d'immigration que d'émi-
tion de l' espérance de vie sous l'effet gration, alors que les pays du Sud connaî-
de la réduction de la mortalité aux âges tront un vieilli ssement plus rapide que
élevés qui devrait se prolonger au-delà ceux du Nord . Une autre manière d'agir
de 2035 . Depuis 1950 , l' espérance de sur le ratio de dépendance consiste à
vie à la naissance a progressé d'envi- décaler l'âge seuil des 60 ans pour le
ron 3 mois par an, et l'espérance de vie départ à la retraite, via une hausse de l'âge
à 60 ans d'environ 1,5 an tous les dix ans . minimal de départ à la retraite ou d'autres
Cette dernière devrait contin uer à pro- paramètres du système de retraite.
gresser au cours des prochaines décen- Le constat d ' un accroissement de l'es-
nies , de l'ordre d' l an tous les dix ans. pérance de vie amène par ailleurs à des
réflexions sur la qualité des années de
l'âge de la retraite vie gagnées : pour la France , les études
semblent montrer que l'on vit plus long-
Même si le débat scientifique sur) 'exis- temps en bonne santé. Par ailleurs , les
tence d'un seui l limite à la durée de la différentes catégories sociales sont
vie n'est pas clos , la tendance à la hausse inégales devant la maladie et la mort :
de l 'espérance de vie est largement l'écart d'espérance de vie à 35 ans entre
déterminée à moyen terme . Quant au cadre et ouvrier est aujourd'hui de sept
taux de fécondité, il se situe déj à en ans chez les hommes (trois ans chez les
France à un niveau élevé par rapport à femmes) . Ces écarts de durée de vie

Tangente Hors-série n °57. Les maths des assurances


LES RETRAITES

Photo de
cou verture du
numéro de
Variances sur
le sujet.

semblent s'aggraver au cours du te mps o u les sources de financement des sys-


et la France es t , avec la Finl ande, le tèmes. Ces réfo rmes ont conduit à aug-
pays d ' Europe développée où les inéga- menter l' âge légal de départ à la retraite,
lités soc ia les de morta lité pré maturée désormais proche de 64 ans en moyenne
sont les plus fortes . Ces disparités posent dans l'OCDE. Ce paramètre joue un rôle
à la politique publique des probl èmes sy mbo lique car il signale l'âge mini-
d 'équité, notamment quant à la poss i- mum à partir duque l il est léga lement
bilité réell e pour certaines catégori es poss ibl e de liquider sa retra ite ; c'est
de prolonger leur durée d ' activ ité. ce lui qui a l' impact le plus rapide pour
contribuer à rééquilibrer fi nancièrement
les réformes menées dans les pays les régimes de retraite - mais avec le
de l'OCDE risque , au mo ins à court terme, de dégra-
der d 'autres co mptes soc iaux, notam-
L' un des principaux objectifs des réformes me nt l'ass u ra nce c hô mage - et c ' es t
entreprises dans les pays de ) ' Organi - auss i le plu s simpl e à compre ndre pour
sation de coopération et de développe- les salari és. La France se caractéri se par
ment écon o mi ques (OCD E) au cours un e situati on singuli ère pui squ ' il ex iste
des deux de rni ères déce nnies vi se à une double condition pour accéder à une
répondre à la détériorati on fin ancière à retraite à taux plein : avoir 62 ans (depuis
long terme des systèmes de retraite face la réforme de 201 0) et une durée mini -
au vieillissement de la popul ation. Les mum de coti sati ons (41 ,5 ans à partir
ve rsements au titre des retraites repré- de la génération 1955). Par ailleurs , il existe
sentent en moyenne 17 % du total des une de uxième borne d'âge léga l de la
dé penses publiques da ns les pays de retra ite à 67 ans (depui s la réforme de
l' OCDE . En France , la part du revenu 201 0), qui pe rm e t l'o bte nti on d ' une
national consacrée aux dépenses publiques retrai te à taux plein , indépendamment du
de retraite est de 13,8 % en 2011 , l' une nombre d'a nnées de coti sati ons . Pour
des plus élevées de l' OCDE, et une aug- accroître la durée d ' ac tivité, des péna-
mentation de 1,8 à 2,5 points de PIB est lités ont été introduites dans plusieurs pays,
prévue à l ' hori zon 2050 . dont la France , en cas de dépait avant les
Pour amé li orer l 'équilibre fin ancier de
leur système de retraite à long terme , la
plupart des pays ont pri s un ensemble de
Depuis 1950, l'espérance de vie
mesures d ' ajustement touchant à la fo is à la naissance a progressé
l' âge de la retraite, le ni veau des pensions de trois mois par an.
Hors-série n • 57. Les maths des assurances Tangente
SAVOIRS Un vieillissement irréversible

100+ de méthodes de valorisation des salaires


passés ou d ' indexation des pensions
90
versées : en France, celles-ci sont désor-
80 mais basées sur les prix plutôt que sur
les salaires. Cette baisse s'est souvent
70 accompagnée de dispositifs destinés à
60 protéger les revenus les plus faibles (en
France, minima de pension , en plus du
50 minimum vieillesse) . Enfin , pour com-
penser la baisse du niveau des pensions
40
servies par les régimes publics de retraite,
30 beaucoup de pays ont encouragé les
salariés à se constituer eux-mêmes une
20
épargne retraite par le biais de disposi-
10 tifs privés individuels ou profession-
nels , qui peuvent être obligatoires (comme
0 en Suède) ou facultatifs, souvent assor-
400 300 200 100 êge 100 200 300 400
Milliers Milliers
tis d'avantages fiscaux (comme aux
Pays-Bas , où l'épargne privée atteint
Pyramide des âges conditions du taux plein . Enfin , le cumul actuellement environ 40 % du revenu des
des Français au emploi- retraite a été rendu possible dans retraités contre 8 ,6 % en France).
1er janvier 2013 . un plus grand nombre de pays , y com- Les travaux du Conseil d'orientation
pris en France. des retraites , destinés à nowTir la réflexion
Toutefois, malgré l' augmentation de des décideurs publics , ont analysé I' im-
l'âge légal de départ à la retraite et l'en- pact de différents paramètres sur le mon-
semble des mesures incitatives à la pro- tant du besoin de financement des régimes
longation del' activité professionnelle, de retraite en France . Ils montrent que
l'âge effectif de sortie de la population l' augmentation progressive de la durée
active est inférieur à l'âge légal. Sur la d'assurance requise pour une retraite à
période 2002-2007 , les hommes ont taux plein au -delà de 2020 aurait , par
quitté le marché du travail avant 60 ans nature , des effets seulement après 2020
(en moyenne) dans huit pays de! 'OCDE, et croissants au fil du temps . La mesure
souvent par le biais de dispositifs d 'in- qui aurait l' impact le plus fort à court
validité ou de chômage de longue durée terme sur la situation financière du sys-
avec dispense de recherche d'emploi. tème serait une augmentation progres-
Une tel le situation illustre le problème sive de l'âge d'ouverture des droits et
aigu de l'emploi des séniors , qui devra de l'âge du taux plein ; ces mesu res
Ce texte résume le dos- impérativement être traité pour qu ' une sont évidemment politiquement déli-
sier consacré en 20 l 0 réforme ait des chances d'atteindre ses cates et posent des questions de ri sque
à ce thème par la revue objectifs. de transferts de dépenses vers l' assu-
Variances des Anciens
Les réformes entreprises dans les pays rance chômage et de redistribution.
de ! ' École nationale
de la statistique et de de l'OCDE ont également porté sur les Enfin, l'évolution de l'activité écono-
l'administration éco- param è tres affectant le ni veau des mique, et donc du niveau de l'emploi,
nomique, en part icu- retraite s . Les taux de remplacement constitue une variable clé dans l'équi-
lier les articles écrits
dans les pays de l'OCDE sont passés libre de notre système de protection
par Chantal Case s,
Martine Durand et de 61 % en moyenne avant les réformes sociale dans son ensemble.
Yves Guegano. à 53 % après , à la suite de changements É. T.-B.

ri 36 Tan9ente Hors-série n°57. Les maths des assurances


par Daniel Justens EN BREF

les retraites : Capitalisation ou répanition :


mensualisées par commodité la formule de Samuelson
La notion de rente viagère n'est pas simple ! Le choix entre capitalisation et répartition
Elle dépend de paramètres viagers et d'autres est un choix éthique. Mais il doit aussi te-
financiers. Les deux domaines sont indé- nir compte des réalités économiques. Deux
pendants mais également complexes car en économistes ont posé les bases d'un choix
perpétuelle évolution. Une modélisation com- rationnel en la matière : il s'agit de Henry
plète et rigoureuse en est proposée dans le Jacob Aaron et de Paul Anthony Samuel-
précédent article de ce dossier. Supposons la son (voir leur biographie en page 147).
théorie bien assimilée et tous les calculs faits. Pour nos deux économistes, la capitalisa-
On note ax la valeur d' une rente perpétuelle tion s'avère plus rentable que la répartition
de 1 € par an, payable tous les ans en cas de dans toute situation telle que le rendement
vie d'une certaine personne d'âge actuel x.
des actifs (noté o), intégrant le taux du
marché et la prime de risque, est supérieur
La notation a, se réfère à ce que l'on nomme
à la somme du taux de croissance démo-
une rente différée. Elles est payable pour la
graphique (d) et du taux de croissance du
première fois après un an, puis tous les ans
salaire moyen (s), ce qui se traduit par la
à même date échéance, et ce jusqu ' au décès
relation : o = d + s.
de la personne concernée. Les retraites par
exemple sont de ce type.
Le choix des gouvernements après la se-
Cependant, les retraites sont mensualisées
conde guerre mondiale, privilégiant la
pour la commodité des usagers. Dans les faits, répartition, était parfaitement rationnel
cela signifie que les paiements sont avancés. et conforme aux observations, les popula-
Au lieu de payer 1 € dans un an, on paye tions étant alors en croissance forte, suite à
un douzième d'euro tous les mois. De plus, la dénatalité consécutive au second conflit
l'année du décès , les avances allouées ne sont mondial. Mais on peut s'interroger sur la
pas prises en compte dans le calcul de ax. situation actuelle : certains pays présentent
Comment coITiger tout cela ? une évolution démographique ralentie en-
core que compensée partiellement par les
flux migratoires. À titre d'exemple, citons
L~ BoüP..~t
O\) Lft lfÎE? l'Allemagne qui est passée de 82,5 mil-
lions d'individu en 2003 à 80,4 millions
/ seulement en 2012. De plus, les salaires
demeurent pour la plupart relativement
bloqués. Sans oublier le princi-
pal : les considérations ration-
nelles sont-elles les seules à
devoir être prises en compte ?
Peut-on s'abstenir de toute
considération humaniste dans
ce domaine sensible ?

(AfoJ.l~
Hors-série n°57. Les maths des assurances Tangente
par Daniel Temam

Répartition
ou capitalisation
les clés pour comprendre
Comment calculer les pensions versées aux retraités ? Dans le
système par répartition, les salariés et leurs employeurs
payent des cotisations. Dans le système par capitalisation, le
futur retraité se constitue un capital. Mais en pratique,
comment limiter le déficit des retraites ?
a retraite dite par« répartition»

L est un système très simp le dans


son principe. Les personnes en
activité et leurs employeurs payent des
cotisations, qui sont immédiatement
utilisées pour verser leurs pensions aux
retraités ; à chaque période , les pen-
sions versées sont en principe égales
aux cotisations payées. L'autre grand
système de retraite est la capitalisation.
Dans ce cas, les futurs retraités restent
propriétaires des cotisations qu ' ils ver-
sent et de celles que leurs employeurs
versent éventuellement pour eux ; ils
se constituent ains i un capital, et c'est
ce capita l qui sera utili sé pour leur
retraite. Ils sont habituellement encou-
ragés à alimenter leur compte par des
avantages fiscaux. En pratique, les choses
sont plus compliquées. Il reste en effet
de très nombreux degrés de liberté.

Toutes les méthodes pour équilibrer


le système ne peuvent faire
CAî'ovr-Jf
que des mécontents.
Tangente Hors-série n°57. Les maths des assurances
LES RETRAITES

Bombe à retardement tion es t doubl e ment efficace , dans la


mesure où elle permet à la fois de dimi-
Pour la retraite par répartition , il faut défi- nuer les pensions à verser et d'accroître
nir à la fois comment sont calculés la pen- les cotisations . De plus , sa pertinence
sion perçue par chaque retraité , et les est renforcée par le fait qu e les êtres
montants perçus par chaque coti sant , hum ains vivent de plus en plus long-
ainsi que par l'entreprise qui l'emploie . temp s et en me illeure sa nté, et qu ' il
Le problèm e est que , dans la plupart paraît donc légitime de les faire travailler
des pays développés , il est devenu de plus plus longtemps .
en plus difficile de réaliser l'équilibre Toutefois , faire travailler plus longtemps
entre cotisations et pensions . D'un côté, un salarié en fin de vie active aura sou-
avec l'allongement de la durée de vie, vent pour effet de retarder l'embauche
les retraités sont devenu s de plu s e n d ' un jeune . Rec ul er l'âge de la retraite
plu s nombre ux (voir Tangente 153) . De a alors pour effet indirect d'accroître les
l' autre côté , le nombre de cotisants a difficultés d ' in sertion des jeunes dans
cessé d ' augmenter rapidement du fait la la vie active, dont on sait que c'est un
ba isse de la natalité qui a suivi la fin des problèmes majeurs dan s les p ays
du baby boom d 'après guerre. développés . De plus, d'un point de vue
Pour équilibrer le système, il « suffit» strictement fmancier, ce qui est gagné sur
d 'augmenter les cotisations et de dimi- le déficit des retraites est en partie rep01té
nuer les retraites. Mai s augmenter les sur l'aggravation du déficit de l 'assu-
cotisations se traduit par une baisse des rance-chômage. L'opération est moin s
salaires nets, et par une hausse du coût efficace qu'il ne peut sembler à pre-
du travail. Les syndicats de salariés s'y mière vue pour la réduction du déficit glo-
opposent donc bien évidemment. Les bal des finances publiques, dont on sa it
représentants du patron at aussi: il s font que c'est au ss i devenu un problème
valoir qu ' une augmentation des cotisa- majeur dans les économies développées .
tions alourdit le coût du travail, ce qui
compromet le ur compétitivité dans un Ainsi toutes les méthodes pour équili-
contexte mondial très concurrentiel. brer le système ne peuvent faire que des
Une autre possibilité pour ramener le mécontents . La générali sation des sys-
système à l' éq uilibre est de modifier le tèmes de retraite par répartition au sor-
mode de calcul des retraites , de mani ère tir de la Seconde Guerre mondiale a
à les faire diminuer, en particulier pour constitué ainsi une bombe à retarde-
les nouveaux retraités . Mai s cette fois, ment. Pour désamorcer cette bombe , la
ce sont les retraités et futurs retraités solution pragmatique a été de modifier
qui s'y opposent. Les premiers n ' ont le sys tème par touche s s uccessive s,
pas de syndicat pour les représenter, comme on l ' a vu en France.
mais ce sont des électeurs. Ils résistent La retraite par capi talisation ne pose pas
d'autant plus que beauco up d 'entre e ux en principe de problème d'équilibre ,
utilisent une partie de leurs retraites pour puisque la pension d'un retraité lui est ver-
aider leurs enfa nts , en particulier quand sée à partir des sommes qui ont été accu-
ceux-ci sont au chômage et qu'ils so nt mul ées sur un compte qui lui est propre.
peu ou pas indemnisés . M ais ce système possède ses propres
Une troi s ième solution pour réd uire probl èmes . Du point de vue des retrai-
l'écart entre retraites et cotisations est de tés, le principa l est qu ' un salarié n 'a
reculer l'âge de la retraite : cette so lu- guère d'assurance sur le montant de la

Hors-série n° 57. Les maths des assurances Tangente


Répartition ou capitalisation

retraites complémentaires en
France. Les cotisations ver-
sées par un salarié ou en son
nom lui donnent des po ints .
La retraite complémentaire
)) qu ' il touchera sera fo ncti on
des points qu ' il aura acquis ,
ce qui fait ressembler le sys-
tème de ce point de vue à un
système par capitali sati on.
M ais les cotisations versées
so nt immédi atement utili-
CAiovrJlé
sées , comme dans le cas de
pen s io n qu ' il touchera . Les so mmes la répartition . De même , dans certains
recueillies pour son compte sont placées systèmes de capitalisation , le montant des
sur les marchés fin anciers.Au temps où futures retraites est prédéfini , et ne ri sque
les bourses étaient en fo1te croissance, ces donc pas de subir les aléas des marchés
sommes se revalorisaient constamment. financiers. Mais le système peut deve-
D ans les périodes moins favora bles , nir déficitaire. Il faut alors un moyen
quand la bulle Internet a éclaté, pui s au d ' assurer le versement des retra ites pro-
moment de la crise des subprùnes , les mi ses. Aux É tats-Uni s, un organisme
perspectives sont apparues beaucoup public , la Pension Benefit Guaranty Cor-
moins favora bles. Par ailleurs , certai ns poration , a été ainsi mis en pl ace. Il est
retraités ont perdu tout leur capital à la financé par des primes d ' ass urance ver-
suite de malversation s financi ères. Ce sées par les em ployeurs.
fut le cas pow· les salariés d'Enron , quand
cette soc iété a fait faillite. Il est apparu li reste un aspect moin s apparent sur
alors que les diri geants de cette société leq uel les deux systèmes se rejoignent.
avaient vidé les fonds de pension qui Po ur une période donnée , une ann ée
devaient verser les futures retraites de par exempl e , tous les bi ens et serv ices
leurs salari és. produits le sont par les actifs . Mai s il s
Un autre probl ème est que les salariés, doi ve nt les partager avec les retraités
surtout qu and ils commencent leur vie qui , grâce à leur pension s, et quelle que
active, ne cotisent pas suffisamment : so it la façon dont elles ont été déter-
cela n 'a rien d 'étonnant , leur retraite minées , en consomment une parti e de
leur paraît bien loin. C'est pourquoi les ces bien s et services . Quand la propor-
entreprises versent des compléments , tion de retraités augmente, avec le vieillis-
fonction des so mmes versées par les sement de la population et la baisse de
salariés , et toutes les sommes versées la natalité, le problème de ce partage
donnent généralement droit à des avan- prend une acuité croissante. Les actifs
tages fiscaux. peuvent trouver la part des retra ité s
excess ive: les retraités de leur côté ne
Le choix de systèmes mixtes veul ent pas la voir baisser , et ils di spo-
sent d'une force électorale pour fa ire
En pratiqu e, de nombreux sys tè me s entendre leur voix ...
mi xtes ont été mi s en place dans tous D.T.
les pays. C'est le cas par exemple les

ri 40 Tangente Hors-série n °57. Les maths des assurances


par É. Busser et G. Cohen EN BREF

Calcul des retraites


par capitalisation
Le montant d ' une cotisation unique qui donnerait droit à
1 euro au bout den années est noté a11 , valeur actuelle de
) cette rente. Pour obtenir r 1 = 1 euro de rente viagère à
partir de l'âge x + n, il est nécessaire de verser, en une seule
fois, à l'âge x, la somme a11 • Mais si on souhaite que la coti-
sation soit indexée au taux t, l'adhérent versera à l'âge
x + 1 une somme égale à a 11 (1 + t) , ce qui revient, après
actualisation , à payer à l'âge x la somme de
l+t P(),
a,, l +i

I
X X 1 X , OU :

\
• i désigne le taux d'actualisation,
• 1 + t représente le taux d'indexation de la cotisation ,
• P 1(x) représente la probabilité de vie dans un an (voir ci-
dessus) .
Le versement de cette somme précise donne droit au paie-
ment d'une rente viagère différée den années d' un mon-
tant annuel constant de
l+t
r2 = r1 x - -. x Pi(x).
1+ l
Et ainsi de suite pour les années x + 2 (rente r 3), x + 3
(rente r 4) ... x + n - 1 (renter,,) . Un diagramme des flux
Probabilité de uie est représenté ci-dessous.
Les calculs li és aux retra ites utilisent des La rente R finalement obtenue est la somme
données intitulées probabilités de vie . On R = r 1 + r2 + r 3 + ... + r11 •
les définit de la manière sui vante . Si lx désigne
le nombre de survivants d'âge x d'une popu- Il est maintenant possible de calculer la cotisation indexée
lation fermée , alors la probabilité PJx) qu ' une à un taux de t par an, donnant lieu à une rente viagère de
personne âgée de x années aujourd ' hui so it 1 euro différée den années à l'âge x. La cotisation annuelle
vivante dan s n. a nnées es t égale à à payer à l'âge x (et à indexer ensuite au taux t) est a/x) / R.
P (x) - lx+,,
Il - l .
,\'
Ce que
On peut alo rs calc uler (po ur n et n' d e ux l'adhérent
reçoit
en tiers) qu e
fx+11+11 ' l.î+11 {(x+ 11 )+11 ' R R
--=-X---
[X
l X

ce qui se réécrit sous la forme suivan te :


Pn+n' (x) = P/x ) X
l (.t+11) '

P11 (x + n).
JJ.
(âge
Axe du te mps

Cette formule traduit simple me nt que pour


atteindre l 'âge x + n + n ' il fa ut d ' a bord
j j de la
retraite)

a, (1 + t)a,
Ce que
atteindre l 'âge x + n, puis pati e nter n' années l'adhé re nt
e nsuite ... paie

Hors-série n • 57. Les maths des assurances Tangente


ACTIONS par Daniel Justens

Entre capitalisme et solidarité


un choix de société
Face au vieillissement de la population, quelles solutions
retenir pour financer les retraites ? Une modélisation des
bases du problème montrent que les pistes de réflexion ne
sont pas légions, entre baisse des pensions, augmentation des
cotisations et allongement de la période d'activité.
e vieilli ssement des populations des cotisants appartiennent à un ensemble

L de nos contrées occidentales est


uniformément observé. On compte
de plus en plus de retraités et de moins
X qui prend la forme d'un intervalle de
type [x 0 , x 1]. En travaillant mois par
mois , cet ensemble devient discret, ce
en moins d'actifs et donc de cotisants. qui est réaliste, les cotisations étant
Les taux de natalité plafonnent et les perçues mensuellement.
taux de mortalités des troisième et Pratiquons de manière similaire pour
quatrième âges sont en diminution les cotisations perçues. Celles-ci
régulière. constituent une fonction croissante du
Le système de retraites de la France revenu mensuel, soit c(r). Pour simplifier
comme de la plupart des pays européens le problème (mais pas trop) , considérons
est basé sur le principe de la répartition : des catégories de revenus r appartenant
les cotisations des actifs financent à un ensemble discret R. À l'instant t,
immédiatement (quasiment sans notons nx., le nombre de personnes
processus d'épargne) les prestations actives d'âge x et bénéficiant de revenus
fournies aux retraités. Des projections mensuels r. Le montant global des
basées sur une évolution raisonnable cotisation prend la forme suivante (on
des taux de mortalité et des pyramides additionne toutes les cotisations perçues ,
de population montrent que nous allons pour toutes les catégories de revenus et
passer de trois à deux actifs par retraité toutes les classes d'âge):
en moins de 40 ans. cl (t) = L L n,_,c(r ).
xEX rER

lesretraitespar répartition Venons-en à présent aux retraites à payer :


on peut envisager une présentation
Pour voir de quoi il retourne et quels similaire . Caractérisons la population
sont les éléments sur lesquels on peut des retraités par leur âge y et leur niveau
agir, il faut donner du problème une de pension p. Comme plus haut, y
présentation formelle, et donc appartient à l' intervalle Y= [y0 ,y1]. Les
mathématique. Considérons l'ensemble intervalles X et Y sont d ' intersection
des cotisants. Caractérisons chacun par non vide. Soient P l ' ensemble des
son âge x et par sa catégorie de revenu différents niveaux de retraites légales
mensuel r. Les différentes classes d'âge et m y,p le nombre de retraités d'âge y

Tangente Hors-série n°57. Les maths des assurances


LES RETRAITES

bénéficiant d'une retraite mensuelle p.


Le coût mensuel pour la nation , hors
La. So\ution ~ 1
frais de gestion, conespondant à cette
t,~v ai \I u i-
situation est donné par : t»'°" f" de, " ~f'\ ~
C 2 (t) = L,L, mypP·
ye Y pE P

Cette présentation permet de mieux


comprendre les différents régimes pour
lesquels on peut opter et les différentes
stratégies possibles en matière de retrnites.
Il y a le régime actuellement en vigueur,
qui est dit en prestations définies et qui
garantit aux pensionnés un e retraite
prédéterminée , par exemple une certaine de certains, mise à la retraite d ' au tres.
proportion de leur dernier salaire. À Simultanément, il se voit augmenté d'un
cha rge de ! ' Éta t de se financer pour certain nombre de nouveaux salariés.
couvrir ses obli gations , en calculant les Certains travailleurs perdent leur poste
cotisations, en plaçant correctement ses ou doivent se contenter d ' un emploi
fonds, de manière à permettre la couve1tLu-e moins rémunérateur, ce qui induit des effets
de l' ensemble des retraites à payer. Pour de structure sur les coefficients n.,f Bref,
faire court : on connaît l' ampleur des globalement la fonct ion Ci(t) est une
besoins (la va leur en t de la fonction fonction décroissante du temps. On
Cz(t)) et on en disperse la charge sur les observe l'inverse en ce qui concerne la
cotisants . Les différentes valeurs de p sont fonction Cz(t) : le nombre global de
connues et il convient de déterminer les retraités augmente régulièrement sous
valeurs de la fonc tion c(r) permettant l'effet de nouvelles mises à la retraite,
d'arriver à C 1(t);,: Cz(t). effet qui n'est plus du tout compensé
On pourrait éga lement imaginer un par les décès des anciens pensionnés
régime à contributions définies (cotisation dont les taux de m01talité sont (personne
d'une partie f ixe du sala ire brut par ne s'en plaindra!) en diminution régulière.
exemple). L'État étudie de quels montants Les modèles de ce type de régime ne
il dispose et calcule alors les prestations doivent pas prendre en considération le
qui peuvent en découler et qu ' il venti le risque financier. En effet, entrées et
s ur l 'ensemble des pensionnés. Pour s01ties de capitaux étant quasi instantanés,
faire simple , on fixe les valeurs de c(r) le risque d'inflation ne joue aucun rôle.
et on en déduit les différentes modalités Une augmentation régulière du niveau
de p compatibles avec ces niveaux de de vie induit une augmentation des
cotisation , et cela selon des critères à salaires , donc des cotisations, ce qui
définir. Ce type de couverture sera induit la possibilité d'une augmentation
examiné plus loin. des retraites lorsque tou s les autres
Revenons à notre régime à prestations paramètres restent constants.
définies et supposons que l'on soit à
l' état d'équilibre à l'instant t , ce qui est le choix de la solidarité
à peu près vrai actuellement en France
(très provisoirement). Que se passe-t-il Pour maintenir l'équilibre entre cotisations
en t + 1, t + 2, t + k ? Le nombre de et retraites lorsque le temps passe, peu
cotisants subit des effets de baisse : décès de stratégies sont possibles. Comment

Hors-série n° 57. Les maths des assurances Tangente


ACTIONS Entre capitalisme et solidarité

garantir à chacun une retraite correcte de la fonction Ci(t). C'est probablement


assurant à tous une fin de vie digne ? la manière la plus efficace d'agir. Toute
Le ministère du Travail, de la Solidarité autre stratégie passe soit par une
et de la Fonction publique a précisé augmentation de la fonction c(r), soit par
quelle ligne il entendait suivre dans un une diminution des pensions.
texte explicatif disponible sur la Toile La vraie difficulté est ici d' aiTiver au point
(projet de loi portant réforme des retraites) : 4 : obtenir l'adhésion de la population
« Pour rééquilibrer les régimes de retraite, en mettant en place une politique
le gouvernement a résolument exclu d'information claire et transparente. Le
toute baisse des pensions pour ne pas renforcement de l'équité du système et
remettre en cause le rôle protecteur de l'amélioration des mécanismes de
la retraite. La réponse à cette situation solidarité passe par une modification
doit être en premier lieu d'ordre progressive de la fonction c(r) et par le
démographique. L 'espérance de vie a choix d'un nombre réduit des différentes
augmenté de 6,3 ans depuis 1982. valeurs de P (les niveaux possibles des
Confrontés à la même situation , de retraites). Ce sont les points 2 et 3 du projet
nombreux pays ont relevé l'âge de départ gouvernemental. Les salaires les plus
à la retraite. En Allemagne, au Danemark, hauts payent de plus fortes cotisations
en Espagne ou encore aux Pays-Bas, il mais les niveaux de pension ne doivent
s'élève à 65 ans et il sera bientôt fixé à pas présenter de trop grandes différences,
67 ans au terme d'une augmentation les besoins essentiels de tous les retraités
progressive. Si nous refusons de diminuer étant identiques. Mais comment faire
le niveau des retraites, nous devons, à passer ce genre de mesure auprès des
notre tour, emprunter la voie suivie par « gros salaires », pour lesquels l'impôt
tous les grands pays européens et allonger est déjà considéré comme excessif ?
la durée d'activité des Français. Dans
cette optique, le gouvernement propose le régime de la « retraite chapeau »
une réforme responsable et juste, construite
autour de quatre orientations : La réponse à cette épineuse question
1. augmenter la durée d'activité de passe par les piliers complémentaires
manière progressive et juste ; de retraite. Ceux-ci sont de deux types.
2. renforcer l'équité du sy stème de Il existe d'une pait l'épai·gne individuelle,
retraites ; et d'autre pait les retraites complémentaires
3. améliorer les mécanismes de solidarité ; dont la charge incombe aux entreprises
4. renforcer la compréhension par les (les modalités sont détaillées dans la loi
Français des règles de la retraite. » 11° 2010-1330 du 9 novembre 2010, dont

Voyons en quoi consiste ce programme l'article 107 précise: « L'épargne retraite,


ambitieux dans le cadre de notre qui vise à compléter les pensions dues
présentation formelle. L'augmentation au titre des régimes de retraite par
de la durée d ' activité (point 1) induit répartition légalement obligatoires ,
la prise en compte de coefficients n x,r permet de disposer, à partir du départ
supplémentaires, contribuant ainsi à à la retraite , de ressources provenant
l'augmentation de la fonction C 1(t). De d'une épargne constituée individuellement
même et plus progressivement, les ou collectivement à partir de versements
coefficients m Y,P voient leur nombre se sur une base volontaire ou obligatoire
réduire pour les plus petites valeurs de réalisés à titre privé ou lors de l'activité
y. Le tout se traduit par une diminution professionnelle »).

Tangente Hors-série n°57. Les maths des assurances


LES RETRAITES

Les couve1tures individuelles sont basées catégorie de salariés couverts, ce qui


exc lu siveme nt sur la capitalisation et n' a pas été sans engendrer des tensions,
constituent donc des régimes à contribution certaines catégories de cadres bénéficiant
définie , et à haut risque inflationna ire parfois de retraites exorbitantes. C'est
et fin anc ier. Le souscripteur connaît les ce qui a conduit le lég islate ur à limiter
montants qu ' il compte épargner. Mais le à 30 % du derni e r sa la ire annuel ce
cap it a l tou c hé à terme fournit des montant du « régime différentiel de
prestatio ns aléato ires. Dans ce cas de retraite » . Mais ju sq u 'e n 20 10 , le s
figure, le risque financier est totalement retraites chapeau s ' apparentaient plutôt
ass um é par le citoyen. Les contrats à des parachutes dorés et ne concernaient
individuels d ' épargne ne peuvent en qu e ce rta ins p rés ide nts et directeurs
aucun cas être sub stitués au systè me généraux. Au 1er janvier 20 lO , les trente
ac tu e l sa ns accentuer les différe nces retra ites c ha pea u les mieux payées
soc ial es et aggraver significati vement représenta ient 720 000 € e n moyenne
la précarité de certain s. annuellement ! Les choses s' améliorent
Certaines catégories professio nnell es progressivement et les retraite chapeaux
bénéfic ient de couvertures particulières touchera ie nt act ue ll e me nt plu s d ' un
de retraites complémentaires qui , e n million de bénéficiaires , la moitié ayant
France , ont pri s le curieux nom d e une rente inférieure à 2 000 € annuels.
« retraites chapeau » (elles son t rég ies On s ' ac hem ine donc e n France vers
par l'article 39 d u Code généra l des une réparti tion plus juste et vers plus de
impôts). M ais ce type de couverture ne solidarité, mê me en ce qui concerne
concerne pas la totalité de la population. les retra ites complémentaires.
E n fait , l' article 39 reprend deu x types
de compléments de retraite. Le premi er Changer le système
type constitue un régime additionnel,
qui propose aux salari és partant à la Certaines n at ion s ont impo sé d e s
retraite un revenu de remplacement éga l modifi cat ion s tout-à-fait di ffé rentes ,
à un certain pourcentage de leur dernier changeant la structure même du régime
s a la ire. Le seco nd type( « re tra ite s des pensions. L'exemple le plus marquant
c hapea u » ) opte pour un rég im e est celui d u Chili , qui a mi s en place dès
différentiel, garantissant un complément 1980 un mécanisme de comptes
de revenu déterminé de telle façon que d 'éparg nes individue ls obligatoires,
so n mo nta nt additionné à celui des rempl açant un système co mparable au
pensions atteigne un nj veau prédéterminé nôtre , basé s ur la répartiti o n. Mai s ce
du salaire de fin de carri ère. passage brutal de la répartition (incluant
La différence entre la retraite chapeau une certaine solidarité) à la capitali sation
et le régime additif est que ce dernier est délicat et pose des problèmes sociaux
garantit un montan t de rente à un ni veau considérables : il faut rég ler le cas des
déterminé sans aucun lien avec les autres travailleurs ayant passé leur vie à cotiser
pres tation s dont pourra bén éfic ie r le e t dont les ver se me nts o nt serv i au
retraité (notamment les régimes de retraite paiement des retraites de la génération
ob ligatoire de base et complémentaire). précédente . Et il fa ut bien constater que
On est claireme nt dans un rég im e à l' ampleur des éparg nes est une fonction
prestati ons définies. du niveau de vie de chaq ue travailleur
Pour c hac un de ces régime s , chaq ue et que ce système amp lifie les inégalités .
e ntrepri se peut c ho is ir libre me nt la Enfin, il faut prendre en compte la réalité

Hors-série n° 57. Les maths des assurances Tangente


ACTIONS Entre capitalisme et solidarité

du marché : les risques financ iers liés à dès sa mise à la retraite, tout en étant
la seule capitali sation peuvent s'avérer couverts par les cotisations des actifs
considérables. L 'épargne seule ne garantit présents) . Chacun se retrouve titulaire
pas une retraite aisée avec certitude. d'un compte mais ce dernier, virtuel ,
Une autre (r)évolution structurelle a été est un intermédiaire de calcul et non un
proposée par la Suède : le système des vrai compte d'épargne. Dès l'âge de la
comptes notionnels . Selon le Larousse, retraite, ces comptes virtuels sont convertis
l'adjectif « notionnel » qualifie ce qui en rentes viagères au moyen de calculs
se rapporte à une notion, à un concept. actuariels .
Dans le cas présent, un bon synonyme Ainsi , un simple f01malisme mathématique
en serait virtuel, ou , pourq uoi pas , met en évidence de façon nette les seules
mathématique . Reprenons nos deux stratégies pouvant être mises en place dans
fonctions C 1(t) et Cit) , modélisant le régime des retraites par répartition.
respectivement l' entrée et la sortie du Si l'on désire maintenir un ce1tain niveau
régime des pensions. Le passage aux de solidarité, les solutions au vieillissement
comptes notionnels consiste à maintenir de la population ne sont pas légions : il
un système de répartitions mais en le faut soit augmenter les cotisations , soit
basculant vers un régi.me en contributions diminuer les prestations , soit modifier la
définies. En d'autres termes , la fonction durée d ' act ivité des citoyens (ce qui
C 1(t) est connue et l'on doit reconstruire rev ient à faire les deux). Les actifs vont
en permanence P de manière à équilibrer cotiser plus longtemps et donc plus. Ils
entrée et s01tie. Au niveau du fmancement, toucheront moins longtemps une retraite
tout est semblab le au système actue l et et toucheront donc moins . Mais les effets
les cotisations des actifs servent toujoms de cette st ratégie sont bénéfiques
à financer les retraites. La différence économiquement et socialement. La
se situe au niveau du calcul des retraites. prise en compte de la pénibilité de
Aujourd 'hui , ce ca lcu l est une fonction certaines tâches , autorisant une retraite
complexe des derniers salaires, de la anticipée , atténue ce que la mesure
durée de la carrière , de certains plafonds , pourrait avoir d ' inhumain .
ce qui entraîne de véritables casse-tête Enfin, rappelons quelles furent les bases
quand le futur retraité a changé plusieurs du premier modèle du système de retraite
fois de statut (fonctionnaire, indépendant, par répartition . Il est du à une initiative
salarié). L ' idée est de considérer que prise en 1889 par le chancelier allemand
toutes les fonctions successives d'un Otto Eduard Leopold von Bismarck
actif lui permettent d'engranger un e (1815- 1898). Il aurait demandé à son
épargne fictive capitalisée tout aussi conse.ill er : « À quel âge fa ut-il fixer
fictivement sur un compte - le fameux l'âge de la retraite pour qu'on n'ait jamais
compte notionnel - qui lui garantira un à la verser ? » « À 65 ans » lui fut-il
certain niveau de retraite. Attention , répond u. Quelle aurait été la réponse du
dans ce système , ce niveau de retraite conseiller auj ourd ' hui ?
est variable et sera recalculé régulièrement
de manière à maintenir l'équilibre entre D.J.
C 1 et C 2 (les comptes notionnels étant
construits de façon à réaliser un équilibre
permanent entre les contributions versées
par chaque actif tout au long de sa
carrière et les prestations qu ' il recevra

Tangente Hors-série n°57. Les maths des assurances


par Daniel Justens EN BREF

Deux prix nobel à l'action déterminante


Capitalisation ou répartition? Deux prix Nobel ont répondu
à la question (voir leur formule en page 137). Voici leurs
biographies.

Henrv Jacob Paul Anthonv


Aaron Samuelson

Henry Jacob Aaron, né en 1936, Paul Anthony Samuelson (1915-


a consacré toute son existence à 2009) toucha à de nombreux do-
l'étude et la modélisation de sys- maines économiques mais fut prin-
tèmes de sécurité sociale. Entre cipalement apprécié pour ses travaux
1967 et 1989, il enseigna à l'Univer- en matière d'inflation, un danger
sité du Maryland avant de passer qu'il mit en parallèle avec celui tout
quelques mois à Stanford. En 2007, aussi néfaste pour l'économie de la
il reçut le prix « Robert Ball » pour déflation. Sa collaboration avec l'éco-
« Résultats exceptionnels en ma- nomiste et futur prix Nobel français
tière d'assurances sociales ». Cette Maurice Félix Charles Allais (1911
raison justifie le choix de Barak -2010) le conduisit à construire le
Obama en 2014 lorsqu'il nomma modèle des générations imbriquées
Henry Aaron à la tête du « Social qui a trouvé de nombreuses appli-
Security Advisory Board». cations en macroéconomie, notam-
ment dans le domaine des retraites.
Il fit également la synthèse des théo-
ries macroéconomiques de Keynes et
des modèles microéconomiques clas-
siques, raison pour laquelle il reçut le
prix Nobel d'économie en 1970.

Hors-série n°57. Les m ths des assurances Tangente l'?n


1

SAVOIRS par Élise Prats

les fonds de pension ■


késako 7
Le fonds de pension est un fonds d'investissement spécifique
à la retraite par capitalisation. L'objectif était à l'origine de
prendre en charge tous les besoins des salariés afin de les
rendre dépendants de l'employeur et de prévenir la
syndicalisation. Qu'en est-il de nos jours ?
n.fonds de pension est un fonds des actifs dans un cadre indépendant de

U collectif d'épargne à caractère


professionnel , alimenté par des
contributions patronales ou individuelles,
l'entreprise , en vue d 'ass urer le paie-
ment futur de prestations à ses patticipants.
Le fonds de pension est donc un fonds
chargé de co llecter, détenir et investir d ' investissement spécifique à la retraite
par capitalisation. Un fonds de pension
reçoit les cotisations des salariés et des
employeurs , place le capital reçu sur les
marchés financiers (ou autres) , et verse
des prestations aux retraités sous la forme
de capital ou d 'une rente viagère. Le
fonds de pension détient et gère donc un
portefeuille d ' actifs financiers (actions
et obligations).

Prestations ou cotisations ?
On trouve cieux types de fonds de pen-
sion : les fonds de pension à prestations
définies, qui sont la plus ancienne forme
de fonds de pension, et les fonds de pen-
sion à cotisations définies. Le fonds à pres-
tations définies s'engage à payer des
prestation s cl ' un montant prédéterminé
selon le mode de calcu l adopté par le
fonds (par exemple , 2 % du salaire de
fin de carrière par nombre d'années d'an-
tA"îollNE cienneté). La charge du financement

148 Tcingente Hors-série n•s7. Les maths des assurances


LES RETRAITES

nécessaire au paiement des prestations


est alors mesurée à partir du montant
France:
des prestations à atte indre. Ce type de
le tonds de réserve pour les retraites
fonds de pension a une o bli gation de À la soixante-huitième place du classement des trois
résultat vis-à-vis de ces participants. cents plus gros fonds de pension au monde, on trouve
A contrario , un fonds de pension à coti- le FRR (le fonds de réserve des retraites français) avec
sations définies a uniqueme nt une obli- un encours de 48,3 milliards de dollars. Le FRR a été crée
gation de moyens. Dans ce type de fonds , en 1999 pour répondre au problème de financement des
aucun objectif de prestation n 'est fixé , retraites de la génération « papy-boom ». Il s'agissait de
seul un système de financement est mis mettre en place un fonds de réserve dont l'objet était de
en place . Le montant des différents types lisser le surcroît provisoire de dépenses lié aux retraites
de financement (niveau de coti sation des « baby boomers ». Le FRR devait donc accumuler
salariale et patronale) est fixé à l'avance. des réserves jusqu'en 2020, réserves progressivement
Ces financements permettent aux parti- décaissées à partir de cette date pour participer au finan-
cipants d 'acquérir un stock de droits, cement des régimes qui allaient devoir absorber ce choc.
dont le montant n'e st pas va lori sé a Le FRR devait être financé par des ressources stables (une
priori. fraction du prélèvement social sur les revenus du patri-
Les fonds de pensions sont les principaux moine et de placement, qui a rapporté 1,5 milliard d'eu-
intervenants sur les marchés financiers , ros au FRR en 2009) ainsi que des revenus exceptionnels
ils pèsent actue llement plu s de 30 000 provenant de la vente de licences UMTS (technologie
milliards de doll ars à travers le monde, de téléphonie mobile de troisième génération) ainsi que
so it deux fois plus qu'il y a dix ans. d'éventuelles recettes de privatisation.
La loi de 2010 a détourné le FRR de sa mission initiale
Les plu s anc iens fonds de pension ont puisqu'il sert de financement de la Caisse d'amortissement
été crées au XVIW siècle. Le ur ancêtre de la dette de la Sécurité sociale (Cades) au rythme de
est le Scottish Widows ( « veuves écos- 2,1 milliards d'euros par an depuis 2011. Cette même
saises») , crée en Grande-Bretagne suite loi prévoyait en outre que les abondements annuels
aux nombreu ses pertes subies par l' ar- perçus par le FRR soient affectés directement à la Cades
mée britannique dans les rangs des sol- et que le fonds finance en 2020 la soulte due par la
dat s écossa is lor s des g uerres Caisse nationale de retraite des industries électriques
napol éo nienn es. Aux États-Unis , les et gazières à la Caisse nationale de l'assurance vieillesse.
fonds de pension trou ve nt leur origine
dan s le mou ve ment patronal paterna-
liste issu des grandes entreprises indus- employeurs utilisent les fonds de pen-
triell es, a ppel é We lfare cap italism. sion comme instrument de gestion du
L'objectif est de prendre en charge tous personnel. Ils cherchent à stabiliser leurs
les besoins des salariés afin de les rendre salariés et les insèrent dan s un système
dépendants de l'emplo ye ur et de pré- de promotion et de carri ère. Les fonds
venir la sy ndicali sation. Une pension de pension prennent donc, dans un pre-
est accordée aux employés âgés et fidèles. mier temps, la forme de fonds à presta-
Les fonds de pension d ' entreprise se tion s définies. Ces derniers offrent aux
sont surtout développés à la fin de la sa lari és de s pension s so us certaine s
Seconde Guerre mondiale et ce jusque conditions d 'âge et d 'ancienneté, le mon-
dans les années 1970. L' un des fac teurs tant des pensions étant fonction du pro-
expliquant ce phénomène est l'état du mar- fil de la carrière au sein de l 'entreprise.
ché du travail à cette époque . La main Les prestations sont souvent calculées
d 'œ uvre est relativement rare et le s à partir des salaires de fin de carrière et

Hors-série n° 57. Les maths des assurances Tangente 149


SAVOIRS Les fonds de pension

Nombre de fonds Encours mondial


États-Unis 124 35,0%
Les trois cents plus Royaume-Uni 26 5,2%
gros fonds de Canada 19 5,5%
pension du monde Ja on 17 14,7 %
(source : Towers Australie 15 3,4%
Watson) . Pays-Bas 13 6 ,6%
Allemagne 12 1,9%
Sui sse 12 1,7 %
Danemark 8 2,2%
Suède 7 2,1%
Finlande 5 1,2%
Brésil 3 1,0%
Corée du Sud 2 2,7%
Norvège 1 5 ,1%
Autres 36 11 ,6%
Total 300 14 000 milliards de dollars

les droits sont bloqués ou perdus en cas le plus gros fonds de pension
de changement d 'employeur. est japonais !
À partir des années 1980 se dé ve lop-
pent les fonds de pension à cotisations Lorsque l'on évoque les fonds de pen-
définies. Le contexte économique change, sion, on pense immédiatement aux fonds
la période de crise favori se la mobilité américains, qui détiennent 35 % de l'en-
des travailleurs, et on constate qu 'une par- cours des troi s cents plus gros fonds de
tie impo1tante des salariés affiliés aux fonds pension du monde. Cependant , nombre
à prestations définies n'a jamais perçu de pay s possèdent des fonds de pen-
de pe nsion. La lég islation concernant sion, qu 'iJs soient d'entreprise ou publics .
les fonds à prestation s définies se dur- Ainsi, contre toute attente, le plus gros
cit alors. Le développement des fonds d'entre eux (en termes d 'encours détenu)
à cotisations définies doit permettre à est japonai s : le fonds de pension publi c
cette époq ue d 'encourager la mobilité japonais déti ent près de 1 300 milliards
des salariés en leur permettant de conser- de dollars d'actifs, soit 9,3 % de l'en-
ver le bénéfice de l'épargne accumulée cours mondi al, qui s'élève actuellement
en cas de changement d'employeur, de à 14000 mi l liard s de dollars ! Le
financer les entreprises, notamment les deuxième plu s gros fonds de pension
PME (petites et moye nnes entrepri ses) , est le fonds public norvégien , avec 712 ,6
en autorisant qu ' une partie des actifs milliards de dollars d 'actifs . Les États-
soit investie dans l'entrepri se initiatrice Unis restent cependant le pays le plu s
du fonds de pension . important : il compte cent vingt-quatre
des trois cents plus gros fonds de pen-
sion mondi aux, ce qui représente 35 %
Les fonds de pension ne peuvent de l'enco urs mondi a l. Le plus connu
d'entre eux est Calpers ; il couvre les
p lus ignorer l'impact sociétal employés de l' État de Californie. L'en-
de leurs placements. cours tota l des trois cents plus gro s

Tcin9ente Hors-série n°57. Les maths des assurances


fo nds de pe ns io n a progressé de 9,8 % ex igea it de la banque HSB C, do nt il est
e n 2012 , contre une progress ion de 2 % actio nn aire, de changer radica le ment de
e n 2011. Ce pe ndant , s ur cinq an s, la stratég ie po ur a mé li o rer ses résultats.
c roi ssance a nnu alisée des fond s n 'est Après les événe me nts de 201 2 à New-
« que » de 3 % e n moye nne, ce qui est ton , les fo nds de pension am éricains ont
in suffisant , déduction fa ite de l' infl a- co mm e ncé à re ti re r le urs in ves ti sse-
ti o n , pour couvrir l' all o ngement de la ments dans l'industrie de l' armement. Le
durée de vi e des futurs re traités. fo nds de pensio n Calpers annonçait ainsi
se défa ire de ses participati ons, d ' une
« En quoi les fo nds sont-ils investis ? » vale ur totale de 5 millions de doll ars,
es t la questi o n que to ut le monde se da ns de ux fa bricants d 'arm es cotés à
pose ! Avec la crise fin a nc ière de ces Wall Street. Le prés ident du conseil d ' ad-
dernières années , les fo nds de pens io n mini stratio n de Ca lpe rs , R o b Fechner ,
in ves ti ssent plu s prude mme nt sur les expliquait dans un communiqué de presse
marchés fin anc iers que par le passé . Ce « qu'éliminer ces investissements [ ... ]
type de gestio n prude nti e ll e est appe lée peut aider à endiguer la proliféra tion
« gestion e n bo n père de fa mille ». Les des armes ». Effet boule de neige, les plus
fo nds cherchent à obtenir un certain re n- gr a nd s fo nd s de pe ns io n a mé ri ca in s
de ment tout e n préservant le ur capital. dés investi ssent progressivement ce sec-
Il s développe nt une ave rs io n au ri sque teur. Ainsi, il s prennent consc ience qu ' ils
plutôt en ce qui concerne le capital qu ' une o nt égale ment un rôle à j oue r e n termes
aversion sur la perte de re ndement. Ainsi, d ' in ves ti sseme nts soc iale me nt respo n-
les investissements à moyen terme (e t a sables : ils ne pe uve nt plus ig norer l' im-
fortiori à lo ng terme) qui o nt un re nde- pact socié tal de le urs place me nts.
me nt moin s é levé ma is une vola tilité
limitée sont privilégiés. Les obligati o ns É.P.
re présente nt 46 % de l'all ocation des
actifs des troi s cents plus gros fo nds de
pe nsion m o ndi a ux, les ac ti o ns 38 % , e t
les 16 % res tant sont in ves ti s en autres
produits et trésorerie . Les fo nds de pe n-
sio n asiatiques sont les plus prude nts.
Le fond s de pe nsion publi c j apo na is ~tîOORf\\E
investit d 'a ill e urs 61 % de son e ncours
en obligati ons. Les États-U nis conser-
e,o55c;1t
ve nt toutefo is le ur appé te nce pour les FAiNÉAtJTY
in vestissements en actions, puisque cette
cl asse d 'acti fs représente e ncore 52 %
de l' allocati o n des acti fs (contre 60 %
e n 2007 ).

Les fond s de pe nsion so nt longte mps


res tés in actifs e n m ati è re de go uve r-
na nce. Ces dernières années , ils n ' hé-
sitent plus à intervenir sur les entrepri ses
dans lesquelles ils investissent. En 2007,
le fo nds de pension amé ri cain Calpe rs

Hors-série n° 57. Les maths des assurances Tangente


SAVOIRS par Vincent Touzé

les fonds
de pension américains
Les salariés américains peuvent se voir proposer une retraite
par capitalisation. La gestion de cette pension peut être
réalisée directement par les employeurs au sein d'un fonds de
pension ou être externalisée en ayant recours à des produits
viagers vendus par les compagnies d'assurance vie.

an s le secteur pri vé américain , • La gestio n « dynamique » : l' ac tif est

D la retraite par capitali sation est


facu ltat ive pour l'employeur.
E lle vient comp léter la pension de
majoritaire ment constitué d ' actions.
C'est le cas pour les fonds de pe nsio n
gérés pa r les administration s loca les
base obli gatoire. Cette de rniè re est ainsi que les e ntrep1ises pri vées ;
gérée par une ad ministration fédérale , • La gestio n « prudentielle » : l'actif
la Social Security, et son financement est majo ritai re me nt constitué d ' ob li-
repose sur un principe de répartitio n gations et de valeurs immobi liè res.
qui consiste à financer directe ment les C'est le cas po ur les fonds gérés par
pensions à l' aide de cotisations prélevées les compagn ies d'assurance vie.
sur les salaires . Dans le secteur public Le fonds de pension (de base) des
(État fédéral et ad ministrations locales), e mployés fédéra ux est un régime à part
la retraite par capitalisation constitue pui squ ' il est uniquement constitué par
très souvent une retraite de base pour les une reconnaissance de dette de l'État
fonctionnaires (agents civi ls fédéraux d 'e nviron 4 900 milliards de doll ars, soit
embauchés avant le 1e, janvier 1987, e nviron 28,3% du PIB.
militaires, agents locaux , etc .). Ces régimes bénéficient d'un statut
fiscal paiticulier. Ni les cotisations , ni
Des fonds privés et publics les intérêts capitalisés ne sont intégrés
dans le reven u imposable des salariés.
Ces régimes fonctiorment par capitali- En revanche , les pensions retraite sont
satio n. Les coti sations prélevées sont imposées lors de la liquidation des droits.
in vesties da ns l' économi e (action s , À l' échelle nationale , la va le ur de
obligations publiques ou privées , actifs l'e ngagement de l' ensemble des fonds
immobiliers) et les retraites futures sont de pe ns io n est estimée à environ
payées à l'aide du capital et des intérêts 18 100 milliards de dollars à la fin
acc umulés . du pre mi er semestre 2013 (sou rce :
De ux stratégies d ' allocation d'actifs Federal Reserve). Les e ntreprises
coex iste nt : pri vées re présentent e nviron 41 ,5 %

[m Tangente Hors-série n°57. Les maths des assurances


LES RETRAITES

des engagements des fo nds de pe n-


s ion, contre respectiveme nt 18 ,5 %
et 27 % pour le go uve rnement fédéral
Calpers
et les autorités local es. Une part non
Le Californian Public Employees' Retirement System,
négligeable (13 % ) des engagements
ou Calpers, est le fonds de pension des agents publics de
est directe ment supportée par les com-
pagnies d ' ass urance vie. l'État californien. Il gère ainsi le fonds de pension des
On distingue ensuite deux types de employés de l'administration de l'État de Californie, ainsi
régimes selon qu'ils versent des pen- que des agences publiques locales et des établi ssements
sions basées sur une prestation définie scolaires affiliés . Ce fonds couvre près de 70 % des agents
(une formule établie à l' avance permet publics en Californie.
de calculer le montant de la retraite) ou Calpers verse des pensions à prestations définies . La règle
sur des contributions définies (le capital
de calcul attribue à chaque pensionné un certain pourcen-
et les intérêts accumulés sont convertis
tage d 'un salaire de référence par année travaillée. Le taux
en rente viagère lors de la liquidati on
de cotisation des salariés dépend de l'emploi occupé. Le
des droits).
Les rég imes à contribution s défi ni es montant des cotisations des employeurs est variable dans
sont san s ri sq ue pour les e mpl oye urs le temps. Tout dépend de l'évolution du rendement des
car ils n 'o nt aucun engagement s ur le investissements réalisés . Si les investissements de Calpers
montant final de la pension retraite. sont suffisanunent pe1formants, le taux employeur baisse.
Cette derni ère ne dépe nd que des per- Dans le cas contraire, il augmente . Avec la crise , les ren-
fo rmances des place me nts financiers. dements ont très fortement chuté. Le taux de capitalisation
En reva nche , les régimes à prestations
qui consiste à comparer le passif de retraite à la valeur
définies constituent un ri sque finan -
de marché des actifs détenus est désormais à un niveau
c ier important pour les entre pri ses.
Ces rég imes prévoie nt le versement très en dessous de la valeur d ' équilibre de 100 % (voir le
d ' une re nte dont le mo ntant dépend tableau) . La perspective d'une telle sous-capitalisation a
en général de troi s critères : l' âge, contraint Calpers à augmenter les cotisations à partir de
l'ancien neté dans l 'e ntre pri se, et les 2010 de façon à échelonner les pertes sur de très nom-
derniers sa lai res perçus . Très so uve nt , breuses années.
les entrepri ses s'engagent à verse r à la
retraite 1 % d ' un sa la ire de référence PASS fF ACTIF
par année tra vaill ée . L ' incertitude
f in ancière de ces rég imes es t
An née
portée par l'employe ur. Ce de rni er fi sca le Taux
Va le ur actuarielle Valeur de marché
prend un engagement ferme s ur le (éval uati on de
des engagemen ts retraite des actifs
au 30 juin) capitalisati on
ni vea u de la pens io n versée , alors
qu ' il ne co nnaît à l' avance ni la
(A) (B) (B) / (A)
somme qu ' il devra rée lleme nt payer , M illi ards de S En%

ni la rémunération des pl ace me nts 200 1-2005 179,8 159,8 88,9


2006-20 10 269,4 216, 18 80,2
fi nanciers . Les déficits de ces rég im es 2011 328,6 241 ,7 73,6
affec te nt les résultats des e ntrepri ses.
À l' éche lle nation ale, le so us-fi na nce-
2012 340,4 233,9 67,2
ment des fond s de pen sio n du secteur
privé serait de l' ordre de 336 mil- Bilan de Calpers (sources : Calpers et calculs de l'auteur).
liards de dollars (So urce : Federal
Reserve).
Hors-série n°57. Les maths des assurances Tangente [l!EJ
Les fonds de pension

Le calcul du solde des ni veaux souvent supérieurs à 10 %


sur les périodes 1995- 1999 et 2003-
Pour les régimes à prestations définies, 2007, cette performance a également
l'éval uation des engagements retraites connu de ux é pi sodes maje urs de crise
nécessite d'estimer l'espérance actualisée sur la période 2000-2002 et en 2008.
des pensions futures à payer compte Pendant ces deux épi sodes, les fo rtes
tenu des droits déjà accordés. Chaque chutes des vale urs boursières ont lour-
année, la valeur des engagements change dement affecté la renta bilité des fo nds
car de nouveaux dro its sont acquis et in vestis .
des dro its sont perdus (décès d 'assurés , La rentabilité à long te rme (moyenne
vieillissement des retraités). Les revenus sur di x ans) a certes baissé suite à
fi nanciers dépendent de la capacité des la chute brutale de 2008 , mais e lle
actifs détenus à fo urnir des di videndes est restée pos iti ve et proc he de 3 %.
ou des intérêts. La valeur des actifs Deux ans plus tard , en 2011 , e lle est
dépend des anticipations des marchés sur remontée à un ni veau supérie ur à 5 %.
l'évolution des revenus financiers dans le Ce niveau pe ut être jugé comme satis-
futur. Pour réaliser l'équilibre fi nancier fa isant , même si les gestio nnaires des
de son fo nds de pension, l'employeur fo nds sont souvent à la recherche de
doit appo1ter, chaque année, une contri- ni veaux de rentabilité plutôt de l'ordre
bution qui couvre le solde suivant : de 7 à 8 % .

Variation des engagements aux titres Une sécurisation


des retraites + Paiement des pensions par un tonds de garantie
- Revenus financiers
- Variation de la valeur de l'actif E n 1974, une loi intitulée Empl oyee
financier Retire ment ln come Securi ty Act
- Éventuelles cotisations des salariés (ERISA) a été votée . L'objectif de
cette loi est de protéger les pensions à
L ' engagement du secteur pri vé en prestatio ns défini es des participants à
prestations définies représente environ des fo nds de pension du secteur pri vé.
40 % (source : Federal Reserve) du total Cette loi a conduit à la création d ' un
de ses engagements fo nds de garantie : la Pension Benefit
30
po ur les retra ites , G uaranty Corporati on (PB GC).
contre 90 % et 100 % Les fo nds de pension offrant des
20
po ur , res pec ti ve- pensio ns à prestations défi ni es ont
10
me nt , l' État fé déral l'obligati on de cotiser à cette ca isse
et les admini stra- d 'ass urance . E n revanche , les fo nds
tio ns locales. de pension du secteur public en sont
-10
Au cours des vingt exemptés . La PBGC est fi nancée par
de rni ères années , des primes d 'assurances do nt le mon-
-20 - Secteur privé la pe rfo rm a nce tant est fi xé par le Congrès. En cas de
- Secteur public
. 30 (Pertormance du fonds Calpers) annuelle des fo nds fa illite de l'entre prise , la PBGC garantit
de pe nsio n a été les droits acqui s jusqu 'à un certain
Performances annuelles (en % ) très fluctuante (voir pl afo nd. La PBGC paie ain si mensuel-
des fonds de pension sur la période le graphique) . lement les pensions retraite à enviro n
1992-2011 (sources : PBGC, Calpers) . Après avoi r atteint cent so ixante mille retraités dont les

l[E[J Tangente Hors-série n°57. Les maths des assurances


LES RETRAITES

e ntreprises o nt fa it fa illite . Références


Secteur pri vé Secteur publi c(*)
La gestio n et les actifs d' un fonds • Le jina11ceme111
de pensio n peuvent être confiés à la 200 1 9.4 9.8 des retraites
PBGC po ur tro is raisons : la fe rmetu re 2002 7.4 8.1
aux É1a1s-Un.is:
d u fo nds est déc idée par l 'em ployeur impaCI de la crise
2003 8.2 9.0
(l'actif e n contreparti e des provisio ns el 1endances
do it être suffisa nt pour fi nancer les 2004 9.0 10.5 de long 1enne.
retrai tes pro mi ses) ; l' e mployeur est e n 2005 7.7 9. 1 Vincent Touzé ,
fai llite (les acti fs ne sont pas suffisa nts 2006 7.5 9.4 Revue de l' OFCE,
pour payer les retraites e t la PBGC 20 11.
2007 6.6 8.6
apporte son soutie n) ; la PBGC ferme • The Economies of
2008 2.6 3.3
le fo nds dans l ' intérêt des salariés . State and Local
La PBGC est en sous-capitalisatio n 2009 2.8 3.0 Public Pensions.
c hronique car son actif est inférie ur 20 10 4.2 4.4 Jeffrey Brow n,
à la valeur de ses e ngageme nts (pas- Robert C lark et
20 11 5.0 5. 1
sif). E n 20 13, il manquait trente-c inq Josh ua Rauh ,
milliards de do llars. Cette situatio n Performances sur longue période Journal of Pension
nécess ite so it une augme ntation des (moyenne sur dix ans). Economies and
coti sations, so it une a ide pu blique. (*) Performance du fonds Calpers Finance , 201 1.
(sources : PBGC, Calpers) . • Discouming s1a1e
Des fonds de pension and local pension
publics sous-capitalisés liabililies .
Jeffrey Brown et
D 'après The Economies of State and marchés financ iers qui o nt suivi la crise. David Wilcox ,
Local Public Pensions ( voir en référence), L' insuffi sance du ni vea u des actifs American Economie
les fo nds de pe nsion des adminjstratio ns par ra pport a ux e ngage me nts est Review , 2009.
locales sont dans une situation préoc- estimé à e nv iro n 1 300 milliards e n • Th e Liabili1ies
cupante . Ils seraient pai1iculièrement 20 13 (Federal Reser ve), so it e nviro n and Risks
sous-capitalisés pour de ux ra isons : une 7 ,3 % du PIB . Les É tats o nt alors de ux of Stc11e-Spomored
sous-estimatio n chro niq ue de la vale ur o ptio ns po ur corri ge r cette frag ilité Pension Plans.
des engagements (les É tats fé dérés fi nanc iè re : Joshua Rauh et
utilisent des taux d ' actua li sati on trop • Dégager des ressources fi nanc ières Robert Nauvy-Marx ,
élevés, de l'ord re de 8 % ; e n compa- supplé me nta ires, ma is ce la peut être Journal of Economie
raison , le secteur pri vé utili se un taux diffic ile dans un pays o ù les élec- Perspec1ives, 2009 .
d'enviro n 3 ,5 % ); une chute des re nde- teurs ap préc ie nt très peu les hausses • Policy Options
ments avec la crise (la valeur du marché d' impô t ; for S1a1e Pension
des actifs a lai·ge ment été affectée par la • Renégoc ie r les pro messes de pension , Systems and 1/ieir
crise fin anc ière). mais dans certains États la loi con- lmpac/ on Plan
E n 2009 , deux économistes a mérica ins, sidè re q ue les dro its à pensio n sont Liabili1ies .
Jos h R a uh e t R o be rt Novy-Marx , inaliénables , ce qu i peut donc rend re Jos hua Rau h et
o nt p ubli é une étude inq uiétante. Il s impossibl e un tel c hangeme nt, sauf à Robert auvy-Marx ,
estiment le ma nque de fi nancement modifie r la lo i. NBER working
entre 6 et 22 ,7 % du P IB a méricain . V.T. paper , 20 10.
To utefo is , le pessimi sm e de cette
évaluation mé rite d 'être nu ancé si
o n intègre les années de re prise des

Hors-série n°57. Les maths des assurances Tangente


ACTIONS par Daniel Justens

Retraites en Belgique :
à la découuerte des trois piliers
Préparer sa retraite en Belgique demande à être au fait de la
législation. Une connaissance approfondie des trois piliers et des
modalités fiscales qui leur sont associées est un avantage certain
pour le futur retraité pour qui quelques calculs sont nécessaires.

'
L
âge de la retraite en Be lgique ri ère, ce qui fait qu ' aucun nouveau tra-
est fi xé auj ourd ' hui à 65 ans, vaill e ur ne po urra en bé néfi c ier durant
en attendant qu ' il n'augmente la péri ode tra nsito ire. Le tex te spéci-
in éluctabl e me nt. Ju squ ' au l er juill et fi e qu ' il faut une can-ière de trente-huit
201 3 , le départ à la retraite anti cipée ans en 201 3, de trente-neuf ans en 2014
était poss ibl e dès l'âge de 60 ans, so us et de quarante ans en 2015 pour prétendre
certaines conditions et en ne percevant à un e retra ite a nti c ipée . U n rég ime
qu ' une partie de la retrai te légale com- propre à la Belg ique , le RCC (Rég ime
pl ète . Dans le but de décourager ces de chô mage avec compl é ment d 'en-
départs anticipés , le gouvernement belge trepri se) , est éga le me nt modi fié, ten-
a décidé la mi se en pl ace d' une série de dant progressivement à ex iger jusqu ' à
mesures modifi ant ces conditions. Dans q uarante ans de carrière. Ma is ce RCC
le même temps, les rég imes fiscaux des vari e selon les co nventi ons collecti ves
deuxième et troisième piliers ont également de travail et introduit une di ffére nce
été corrigés . basée sur le sexe du trav a illeur , les
dames de vant travaille r e ntre troi s et
Les piliers concernés se pt a ns de mo in s qu e les mess ie urs
se lo n les conventions . Ce rég ime était
En ce qui co ncerne le pre mier pilier (la mi e ux connu il y a qu e lqu es ann ées
retraite légale) , l'âge minimal au tori sant so us ! ' appe ll ati on de pré-pension . On
un e retra ite anticipée est augme nté de peut s' interroge r sur la confo rmité de
six mois chaque année , po ur atte indre ces mesures avec les prescriptions « éga-
62 ans dès 2016 . Les durées de carri ère 1itari stes » prônées (avec ra ison ) par
nécessa ires pour pouvo ir bénéfi c ier de l'Euro pe .
la mesure sont allongées . Mathé mati- Le deuxième pilier (celui des retraites com-
quement , cette dernière mesure est amu- pl éme ntaires) regroupe les régimes de
sa nte pui sq u' e lle consiste à accroître pension extra-l égaux iss us de l'acti vité
cl ' un an tous les ans la durée de car- profess ionne lle . Iljouit d ' un traitement

Tangente Hors-série n°57. Les maths des assurances


LES RETRAITES

fiscal avantageux mais prévoit des dis- cipée mai s concerne les travailleurs en
positions distinctes pour les indépen- RCC . Pour faire s im p le, les capitaux
dants et les salariés. Les travailleurs de pension complémentaire perçus à 60
indépendants , dirigeants d 'entreprise ou o u 61 ans dans le cadre des RCC sont
titul aires d ' une profession libérale, peu- taxés à 20 % et 18 % (au lieu de 16,5 %
vent se constituer une pension complé- précédemment). Comme précédemment ,
mentaire libre pour indépendants (ou les capitaux perçu s e ntre 62 et 64 ans
PCLI) , qui prévoit la constitution d ' un seront taxés à 16 ,5 % et ceux perçu s à
capital libérable dès leur mise à la retraite, 65 ans , sous cond iti on d 'activité jus-
tout en garanti ssant une couverture en qu 'à cet âge, ne sont to ujours taxés qu 'à
cas de décès prématuré . Les primes sont 10 % . À tous ces taux , il convient d 'ajou-
assimilées à des cotisations sociales et ter les décimes add iti o nne ls commu-
constituent des charges professionnelles naux (en Belgique, les taxes communales
totalement déductibles . Cette mesure sont ca lcu lées se lon une fraction de
permet à l' indépendant de récupérer jus- l' impôt total) . Les taxes comm unales
qu ' à 53 % des primes versées et de payer varie nt entre O et 8 % par commune ,
moins de cotisations sociales (qu i sont celles abritant les citoyens aisés étant sou-
calculées s ur le revenu profes sionnel vent mo ins chères que les autres. Ainsi
moins le montant des primes). Un régime pour un taux de 20 % assorti de 6 % de
particulier est également mis en place pour décimes additionne ls, notre citoyen
les profession s médicales qui bénéfi- payera une taxe g lobale calculée sur
cient d ' une intervention finan c ière de base de 0 ,2 x 1,06 = 0 ,2 12 , so it 21 ,2 %
l' Institut national d ' assurance maladie du capital touché. Et ce n 'est pas tout.
inva]jclité (IN AMI) , et qui peuvent affec- li y a encore la cotisation à l' INAMI ,
ter cette intervention (en tout ou en par- qui s'élève à 3,5 % et celle , variable
tie) à la consti tuti on de leur PLCI. (entre O et 2 %), dite de solidarité, per-
Par le biai s de l' ass urance-groupe o u ç ue par !' Office national des pensions
du fonds de pension , ce1tains ernployems (ONP). Plaignons le citoyen belge qui ,
peuvent financer une pen s ion complé- après une dure vie de labeur (et d ' im-
mentaire pour leurs travailleurs. Dan s pôts), se voit encore une dernière fois
les faits , il s ' agit d'une forme de salaire surtaxé . (En fait, iI ne s'agit pas de la
différé, mais le système concerne sur- dernière fo is : lors de son décès, l' im-
tout les grandes entreprises et n 'est pas pôt rattrapera une fo is encore son conjoint
encore généralisé. Pour donner un ordre en taxant toutes ses économies . . . ) Mais
de grandeur, après un e carrière com- ne l' encourageons pas pour autant à
plète , le montant versé p ar une ass u- s'exiler en France, où le nouveau régime
rance-groupe est en moyenne de 70 000 ,€ inauguré en janvier 20 l l (sous et par Sar-
avant impôts. Les nouvelles mes ures kozy) est encore plus défavorable.
prises par le gouvernement Di Rupo
touchent certai ns de ces fo nds de pen- Les fonc ti onnaires belges bénéficient
sion en accroissant clans certain s cas le d ' un premier pilier nettement plus solide
niveau de taxation sur les montants per- que les autres et cet état de fait est sou-
çus. Assez curieusement, l'augmentation vent cr itiqu é. C ' est o ubl ier q ue ces
de la fiscalité sur les sommes générées retraites moins maigres constituent en fait
par les fonds de pension lors de la mise des sa laires différés : le premier et le
à la retraite à 60 ou 61 ans n' est pas seco nd pilier des employés de l'État
liée à l'obtention d'une pension anti- sont confondus.

Hors-série n° 57. Les maths des assurances T"ngente


ACTIONS Retraites en Belgique

mathématique du troisième pilier gression de 3 % par an (légère me nt infé-


ri e ure à ce qui est constaté) et cons idé-
L' épargne individuelle défiscali sée en ron s un (e) tra va ill e ur(se) de 40 a ns
Belgique est de de ux types. Il fa ut dif- é parg na nt pe nd ant v ingt-c inq ans (de
fére ncier l' épargne- pe ns ion proprement 40 à 64 ans) un mo nta nt de 940 ·€ ini-
dite (qui constitue en Belgique la « branche ti al indexé à 3 % l'an . Cons idé ron s la
23 ») et l' é pargne à long terme (qui est va leur « e n dé but de contrat », donc à
un type d'assurance en cas de vie que l'on l' âge de 40 a ns , de ces vingt-c inq ve r-
c lass ifie co mme « bra nc he 2 1 »), qui sements e n utili sant la fo nctio n d ' ac -
fa it 1' obje t de condition s fiscales diffé- tuai isation
re ntes. No us nou s intéressons ic i spé- ( J + x)- 1 , qui do nne la vale ur initi a le
cifique me nt au pre mi er de ces produits . d ' un capital unité échéant dans t unités
Pour souscrire une é pargne-pension indi- de te mps. On o bti e nt la suite géomé-
viduelle, il fa ut être réside nt bel ge, être trique V 1 , qui fo urnit la valeur actue lle
soumi s à l' impô t des pe rsonn es phy- des épargnes :
s iques en Belgique , et avoir entre 18 et Y 1 = 940 + 940 x J ,03 x (l + xf 1
64 a ns au 3 1 déce mbre de l' a nnée de + 940 X l ,03 2 x ( 1 + xf2 + ...
souscripti on. À terme, il fa ut avoir effec- + 940 X 1,03 24 X ( 1 + xf24,
tué au mo ins cinq verseme nts annuels et le dernie r ve rseme nt é ta nt effectu é à
avoir un contrat d 'épargne-pension depuis 64 ans (da ns v in gt-qu atre a ns). C ette
au mo ins di x ans po ur que cette é pargne suite géom étrique se cal c ul e aisém e nt
bé néfi cie de conditions fis cales a vanta- co mme une fo ncti o n du ta ux d ' ac tu a-
ge uses. Les montants é pargnés annue l- li sation x : 25
1 03 )
le me nt sont placés dans des fonds privés
dont les re ndeme nts ne sont pas garan- V =940 !-
1 X
(
~ 1 03
ti s , m ais il s sont dédu c tibles ju squ ' à 1- - ' -
l+ x
concurrence d ' un maximum fi xé chaque
année et qui correspond en 2013 à 940 € D ans ce type de co ntra t, la fisca lité va
par co ntribuable. Cette é pargne donne inte rvenir e n une fois à ! 'âge de 60 a ns
lieu à une réducti o n d ' impôt bi e n par- (et plus après) e n soume tta nt le capital
tic uliè re pui sque cell e-c i se fa it à un é pa rg né e t capitali sé jusqu 'à cet insta nt
tau x d ' impos ition fi xé à 30 % . L es à un impôt fo tfa itaire de 10 % . Attentio n,
conjo ints et cohabitants légau x pe uvent co mme le taux de c roi ssance du fond s
coti ser chacun séparément à une épargne- de placeme nt n 'est pas garanti , le lég is-
pe ns io n e t prétendre indi viduell e ment late ur a prév u de pre ndre e n considéra-
à ! 'avantage fi sca l. Tout comme précé- tion un ta ux conventio nnel de 4 ,75 %
de mme nt , à cet ava ntage se c umulent po ur estime r to utes les vale urs futures.
les déc imes additio nne ls des taxes com- Dan s le cadre de notre exemple, le capi-
mun ales . D ans les mê mes conditi o ns ta l à pre ndre e n co ns idérati o n par le
que plu s haut , le taux passe à lég islate ur à 60 ans est égal à la somme
0 ,3 X 1 ,06 = 31,8 % . des valems capitalisées des vingt premières
E n 201 2 , le monta nt m ax imal déduc- é pargnes effectu ées par le trava ill e ur
tible était fi xé à 910 ·€ par contribuable. e ntre les âges de 40 et 59 ans. On o btient
On pe ut do nc avancer! ' hypothèse selon une no uvelle suite géométrique :
laque lle ce montant va sui vre une suite 940 X 1,0475 20 + 940 X J ,03 X J ,0475 19
géométrique de raison 940 / 910 = J ,03 3. + ... + 940 X 1,03 19 X ] ,04 7 5 ,
Conve no ns de trava iller a vec une pro-

~ 58 Tangente Hors-série n°57. Les maths des assurances


LES RETRAITES

20 ( l + r) 24 + ... + 940 x l,03 24 x (1 + r),


J 03 )

so .it 940 x 1, 0475 20 x l -


(
tom
1 03 . . ,5
1- -1'-03 )
( l+r
25

l - - '- - soit 940 x (1 + r)- x


1,0475 1 03
1- - '-
Il faut calculer cette valeur en début de l+r
contrat afi n d'assurer l' obtention d ' une La va le ur de ce montant au moment de
éq uation d'équilibre. On détermine V 2 , la signature no us donne le second flux
qui fixe la valeur en début de contrat de positif, que nous notons V 4 :
l' impôt qui devra être payé à 60 ans : 25
Y 2 =0 ,l x940x l ,0475 20 x ] - -1,03 )
( l+r
20
1 03 )
1-
(
tom X (1 + xr20_ X (1 + xr25_
] - 1,0 3
l +r
1- ~
1,0475
L'équilibre entre flux positifs et néga-
Nous avons modélisé tous nos flux néga- tifs nou s permet de quantifier le rende-
ti fs. Venons-en aux flu x positifs. On ment réel, fisca lité compri se , du plan
trouve les épargnes fiscales annuelles , d 'éparg ne retraite a in si co ncocté. On
qui sont autant de réductions d ' impôts représe nte la fonction VAN (Va le ur
parfaitement constatables dans nos por- ac tuelle nette des flux ) : flu x positifs
tefeuilles. En tablant sur une taxe com- moins flux négatifs, qui est une fonc-
munale de 6 % comme plus haut , nos tion der (rendement espéré du fonds) et
épargnes fiscales sont successivement de x (rende-
de 940 x 0 ,318, puis ment actua-
940 x 1,03 x 0 ,318, et ainsi de suite, ri el du plan
formant une nouvelle suite géomét:J.ique. d 'épargne) .
En actualisant ces réduction s d ' impôts, Dans le gra-
on constitue la suite V 3, qui doit ten ir phiqu e c i-
compte du fait que l'économie fiscale se contre, deux
fa it avec retard , les rectifications d ' im- va leur s ont
pôts étant perçues en général vingt mois été prises en
après les épargnes . On obtient ainsi une compte pour
troisième suite géométrique : r : 3 ,5 % et 6 % , de faço n à envisager deux
V 3 = 0 ,3 l8 [940 x (1 + xf20112 cas de figure, l' un pessimiste (car de
+ 940 X l ,03 X (1 + xf I-20/12 vale ur in fé rieure a u forfait léga l de
+ ... 4,75 %) et l'autre optimiste. Pour évi-
+ 940 X l ,03 24 X (1 + xf 24-- 2D/12]. ter des problèmes d ' indétermination liés
On vérifie sans mal que aux calcul s des suites géométriques, il
Y3 = 0 ,318 X VI X (1 + xr
20112
. fa ut s'abstenir d'utiliser les valeurs l ,03
Il nou s reste à estimer le dernier flu x et 1,0475 pour les paramètres x et r. Les
positif, à savo ir le capital qui sera perçu deux fo ncti o ns
lors de la mise à la retraite à 65 ans. YAN= Y 3 + V4 - V 1 - V 2 sont repré-
Notons r le rendement espéré du fonds sentées en bleu pour r = 0 ,035 et en rose
de pension choisi . On obtient notre qu a- pour r = 0 ,06.
trième suite géométrique : D.J.
940 X (1 + r) 25 + 940 X J ,03 X

Hors-série n° 57. Les maths des assurances Tangente


ACTIONS par Daniel Justens

Retraites ■

quel modèle pour l'éuolution des mortalités ?


Un sujet fondamental affecte l'ensemble du fonctionnement des
retraites: les modèles de l'évolution des mortalités. Une erreur
d'appréciation peut avoir des conséquences dramatiques. Seule
une étude spécifique des plus de 60 ans, modélisée avec
pertinence et simplicité, peut rendre compte du phénomène.
figurent sur le site de! ' Institut national
'" de la statistique et des études économiques
(l nsee). Mai s pour qu e le calcu l soi t
réaliste, il fa ud ra it utili ser la probabilité
de décès d ' un homme de 65 ans en 2010,
celle d'un homme de 66 ans en 20 11 ,
puis de 67 ans en 2012 , et ain si de suite ,
toutes données non encore disponibles en
oaoo, j------'"'-,-"'------ -- -- - -- -- - -----, 2010. Or, les probabilités de décès ne
sont pas constantes dans le temps ! E ll es
évo lu e nt de manière rég uli ère e t
Évolution de la mortalité masculine entre 1980 et 2010. significative. Pour calculer une espérance
de vie prospective, so us hypothèse
d 'évolution de la mortalité dans le futur,
ontrairement à une idée reçue,

C
il faut donc constru ire des modèles
l' espérance de vie n'est pas un mathématiques intégrant cette évo lution.
indicateur fiable pom l'estimation Hélas I Le s façons de procéder so nt
de la longévité d ' une population . Une multipl es et ne donnent pas des résul tats
des fa iblesses de ce paramètre très usité comparab les.
est l'hypothèse du caractère statique des
taux de mo1talité. Considérons par exemple Diminution régulière de la mortalité
le calcul en 2010 de l'espérance de vie
d'un homme de 65 ans. Ce calcul s'appuie Le caractè re évo lutif des probabilités
sur la probabilité de décès d ' un homme de décè s est un e réalité o bse rvab le
de 65 ans en 2010 , sur la probab ilité de e mpiri q u eme nt. No to n s q (x, t) la
décès d ' un hom me de 66 ans en 20 10 , probabilité de décès dan s l'année qui
puis de 67 ans en 20 10 , et ainsi de suite. suit d' un indi vidu d ' âge x à l' instant t.
Toutes les données nécessaires à ce calcul On note p (x , t) = 1 - q (x , t) la probabilité
sont estimables à partir d'observations qui complémentaire dite « de SLffvie » pendant

i160 Tangente Hors-série n°57. Les maths des assurances


LES RETRAITES

un an. Le graphique situé en tête d'article ce qui se passe de dix ans en dix ans si
représente de dix ans en dix ans l'évolution l ' on fait l'hypothèse que les mortalités
des fréquences observées de décès dans constatées à l'instant t expliquent les
la population française masculine entre mortalités à l'instant t + 10. On arrive
1980 et 2010. Les différences d'ordre aux trois graphes suivants , aux allures
de grandeur de ces taux demandent une presque linéaires (encore que présentant
présentation en coordonnées semi- systématiquement une légère concavité
logarithmique. Les fréquences observées vers le haut) :
de mortalités varient en effet de quelques
pour dix-mille à plusieurs dizaines de '-" ~ - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - ,

pour-cent. Les courbes de taux supérieures y a 0,9009x - 0,0049

du graphique correspondent de manière


attendue aux observations les plus
anciennes. La diminution régulière des
taux de mortalité est donc bien visible,
quelle que soit la tranche d'âge prise en
considération.
On peut envisager la construction de
tables de mortalité prospectives de
'·' "-"
plusieurs manières. Il est possible de
travailler « ve1ticalement » en considérant Tranche 60/90: évolution 1980-1990.
globalement les observations des taux de
décès à un instant t' postérieur à t comme
une fonction des mêmes observations à
l'instant t, les ajuster analytiquement et y • 0,9059x - 0,0026
projeter les fonctions obtenues. On peut
aussi proposer des ajustements analytiques
à un moment donné et étudier l'évolution
de leurs paramétrages successifs en
fonction du temps . On peut enfin travailler
« horizontalement» et modéliser
l ' évolution au cours du temps des
0.05

probabilités de décès des individus d 'une


catégorie d'âge x sous forme de fonctions Tranche 60/90 : évolution 1990-2000.
de t particulières , différentes quel que soit
x. Ce qui est troublant , c ' est que ces
trois manières de voir ne conduisent pas
02 + - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - ;
à des résultats identiques !
y a 0,8675x - 0,0035
Intéressons-nous aux personnes retraitées.
Considérons la tranche d'âge de 60 à
90 ans de la population masculine et
faisons l ' hypothèse qu ' elle est
globalement homogène quant à
l' évolution de la mortalité. On verra
plus loin pourquoi on n ' intègre pas les
personnes plus âgées dans la description.
Cette hypothèse est-elle réaliste? Voyons Tranche 60/90 : évolution 2000-2010.

Hors-série n° 57. Les maths des assurances Tangente


.

ACTIONS L'évolution des mortalités

L' échelle identique des trois graphiques supérieur à 1 %. On peut alors , sous
rend bien visible la diminution globale cette hypothèse très simple , estimer les
de la mortalité. On constate que les taux de morta lité futurs à tout moment
régressions linéaires successives exprimant entre 2010 et 2020 pour la catégorie
les mortalités en t + 10 en fonction des d'âge concernée et recalculer une
mortalité en t donnent des équations espérance de vie prospective. Des calculs
presque identiques , assorties chacune identiques peuvent être faits pour la
d'ordonnées à l'origine négligeables population féminine , pour la population
face à l'ordre de grandeur des taux de toute entière et pour différentes catégories
mortalités observés. Ces équations d ' âges.
prennent approximativement la forme Voyons à présent comment se comp01tent
suivante : les mortalités des personnes du h·oisième
q(x, t + 10) = 0,9q(x, t). âge de la population toute entière, hommes
et femmes regroupés. La législation
Ceci revient à dire, en gros, que de dix européenne condamnant toute
ans en dix ans, on constate un coefficient discrimination sur base du sexe , les
d ' atténuation des taux de mortalité de caisses de retraite sont contraintes de
l ' ordre de 10 % , correspondant à la tarifer sur base de ces observations. En
valeur (1 - pente de la droite de coordonnées semi-logarithmiques, on
régression). On peut alors émettre arrive à des représentations quasiment
l'hypothèse que cette évolution se linéaires . Cette constatation a conduit
reproduira et que les mortalités des 60- l'actuaire britannique William Makeham
90 ans vers 2020 sera approximativement (1826-1891) à modéli ser non pas les
égale à 90 % de la mortalité actuelle « probabilités de décès » mais bien des
(2010 : dernière base de données « taux instantanés de décès », sous forme
disponible sur le site de l ' Insee). En d ' une exponentielle liée à l'âge, assortie
faisant l ' hypothèse d ' un coefficient d ' un taux de décès accidentel supposé
d ' atténuation annuel constant À, on peut constant. Le modèle ainsi proposé
poser: n'introduit que troi s paramètres
q(x, 2010 + t) = À. 1 q(x, 2010). indépendants, dont on peut espérer
Nos observations conduisent à poser modéliser l'évolution afin de procéder à
À. 10 = 0,9 , ce qui nous donne À= 0,9895, la construction des tables prospectives.
donnant un taux de diminution un peu On définit le « taux de mortalité
instantané » pour un âge donné comme
le taux de décès par unité de temps pour
'f un horizon infiniment cou1t (présentation
1

non standard). Plus classiquement , si


on note S (x, t) le nombre de survivants
d'âge x dans une population donnée à
l'instant t (t supposé fixé) , en considérant
un accroissement temporel (et donc
d'âge) très petit & , on peut calculer
successivement le nombre de décès pour
cette catégorie d'âge pendant cet intervalle,
0.001 à savoir S (x, t)- S (x + & , t +&),puis
le taux de décès associé à ce même
Mortalités des 60-90 ans entre 1990 et 2010. horizon ,

Tangente Hors-série n°57. Les maths des assurances


LES RETRAITES

S(x , t)-S(x+ ~x , t + fu) Voyons ce que donnent les observations


S(x, t) présentes sur le site de l'Insee entre 1990
pour passer au taux de décès par unité et 2010.
de temps , et enfin au taux instantané par
passage à la limite : a A C Détermination
. S(x , t)- S(x+fu ,t +fu) 1990 0 ,00000327 0,005606 1,12913 0,99979
t = ]1m - - -- - - - - -
µ ,.()
. 0sc-->o fuS(x , t) 2000 0,00000334 0,003978 1,12692 0 ,99954
= - ln'(S(x, t)), 2010 0,00000077 0,004962 1,14337 0,99961

tétant supposé fixé (la dérivée est prise Les coefficients de détermination
relativement à la variable x caractéiisant (puissance explicative du modèle en
l 'âge). En choisissant un accroissement termes de variance) sont
suffisamment petit , on peut négliger les exceptionnellement élevés, montrant la
effets de l'évolution du taux de mortalité. pertinence du modèle de Makeham pour
Pour rendre compte de ses observations, les plus de 60 ans. Hélas ! L'évolution
Makeham a proposé le modèle suivant : des paramètres ne présente aucune tendance
µ/t) = A (t) + a (t)c (t)" régulière et ne permet pas une projection
Le paramètre A(t) rend compte du taux crédible autorisant la construction de
de décès accidentel à l ' instant t, tables prospectives. On constate pour
indépendamment de x. Le paramètre a 2010 une très nette diminution du
caractérise la population concernée, paramètre caractérisant la population
tandis que c quantifie l 'accroissement initiale (a) , compensée par une forte
annuel de taux de décès lié au augmentation du taux de croissance de
vieillissement (c (t) > 1 quel que soit t). la mortalité (c). Ceci implique, entre
Voyons quel est le lien entre ce taux autres, que l'on peut s'attendre à une
instantané de mortalité et les fréquences croissance du taux de mortalité des
observées de décès classiques. On constate personnes les plus âgées (plus de 95 ans).
que les deux notions coïncident pour Ceci ne peut être vérifié : les statistiques
& = 1 (qui est loin d 'être proche de de l'Insee ne donnent aucun chiffre pour
zéro !) dans l'équation de définition. les plus de 99 ans.
L' intégration du taux insta ntané de Travaillons à présent directement sur
mortalité sur un intervalle de longueur toutes les observations des fréquences
unité livre plus précisément : observées de décès durant la période
p(x , t) = (1- q(x, t)) = exp(-{ ,Ll,+,, (u)du). 1990-2010 pour une catégorie d 'âge
bien particulière. Le graphique en page
suivante reprend l'évolution des taux
Des méthodes d 'ajustement classiques de mortalité des Français et des Françaises
permettent le calibrage des paramètres de 70 ans. On constate une diminution
qui viennent d'être introduits à toute systématique mais non régulière de ce
série d'observations. On vérifie que le taux de mortalité , ce qui n'impose pas
passage du taux de décès instantané à la de modèle exclusif. L'idée des actuaires
fonctions des survivants fait intervenir est de considérer que la diminution des
deux exponentielles successives. La taux de mortalité suit une exponentielle
fonction S est donc une « exponentielle négative (de façon à éviter la survenance
d ' exponentielle » et le calibrage par de taux négatifs) tendant non vers zéro
régression paramétrique fait intervenir mais vers une mortalité minimale
deux passages aux logarithmes successifs. incompressible.

Hors-série n° 57. Les maths des assurances Tangente


ACTIONS L'évolution des mortalités

présentaient une légère concavité). La


•• ♦•
diminution calculée dans le cadre du
premier modèle est une diminution
calculée « en moyenne ». Les calculs
o,01st-- -- -- - - - -- -- --------'~ ~ -- - - - - j
effectués ici caractérisent la population
des« 70 ans». La forme particulière du
modèle demande en fa it une manipulation
0 0 l l 5 + - - - - - - - - -- - - -- -- - -- -------a un peu plus sophistiquée, qui devrait
conduire à une équation différente, mais
• + - - - - - - - -- - - - - - -- -- -- -----a qui offre en fait une détermination
1!185

maximale pour qm70 = 0 (!) , redonnant


Évolution des taux de mortalités des Français de 70 ans. ainsi la même représentation.

Il semble bien délicat d'oser des


projections à long terme des risques de
mortalité de la population, et plus
spécifiquement de la population la plus
âgée. De plus , des phénomènes
y= 0,0232e·0•0225'
2
R = 0,9541 occasionnels (climatologiques . .. ) peuvent
affecter de manière extrême ces personnes
et rendre toute tentative prévisionnelle
0 0 0 5 t - - - - - - - -- ---------------l complètement inefficace. Enfin , les
progrès de la médecine conduisent des
personnes plus fragiles à un âge plus
avancé. Il faut donc s'attendre à observer
Modélisation exponentielle directe de l'évolution une augmentation des taux de décès des
des taux de mortalité. personnes de plus de 95 ans, leur
population contenant un plus grand
Avec les notations introduites plus haut, nombre d'individus moins résistants.
le modèle devrait suivre une équation Quel paradoxe !
du type: D.J.
q(70 , 1990 + t) = qm 70 +
(q (70 , 1990) - qm70 )e-Y1
dans laquelle qm70 représente le taux de
mortalité minimal des personnes de 70
ans et y le taux de diminution annuel
du taux de mortalité.

Une régression immédiate sur base des


observations donne les résultats présentés
dans le graphique ci-dessus (origine des
temps = 1990). Le taux de diminution
est dans ce cas de 2,25 %. Il est plus de
deux fois supérieur à ce que nous avions
obtenu lors de notre première modélisation
globale, qui ne concernait que les individus
masculins (rappelons que les observations

Tangente Hors-série n°57. Les maths des assurances


par Michel Criton

Rassurez-uous
en résoluant ces énigmes
HS5701 - Catastrophe naturelle v HS5703 - Cryptarithmes vv

Dans quel ordre faut-il mettre les frag- Dans un cryptarithme, chaque lettre
ments suivants pour former un pro- remplace toujours le même chiffre et
verbe indien ? deux lettres différentes remplacent
1. la fourmi, toujours deux chiffres différents. De
2. est une plus, un nombre non nul ne commence
3. pour jamais par un O.
4. inondation l. Résolvez ce cryptarithme, qui pos-
5. la rosée sède trois solutions.

HS5702 - Déforestation v A s s u
+ A s s u
M . Dubois achète une forêt à 60 €
R A N C E
le m 2. Mais à la suite d'un incendie,
il perd 800 m 2. Il décide de revendre 2. Trouvez la plus grande valeur
72 € le m 2 le reste de forêt et fait un possible de la PRIME.
bénéfice de 12 %.
pR 1 M E
Quelle était la superficie initiale de la
forêt (en m2)? + A s s u
R A N C E

HS5704 - le banquet vv

Lors du Congrès annuel des joyeux


assureurs réunis, un grand banquet est
organisé. Six grandes tables ont été
disposées en ligne avec des intervalles
successifs de 12 dm, 8 dm, 5 dm, 10 dm
et 6 dm. Le président de la Société des
assureurs réunis , très pointilleux sur

Tangente Hors-série n°57. Les maths des assurances


les détails , souhaite que les intervalles HS5707 - L'incendie t/t/
entre les tables soient réguliers. Mais,
les tables étant déjà dressées, en bon
assureur, il demande que l' on minimise
les déplacements de tables afin de ré-
duire au maximum les risques de casse ,.: .
de vaisselle.
Quelle sera, au mm1mum, la lon-
gueur totale des déplacements de i=t
tables permettant de les espacer ré- G'
gulièrement ? /\....
\
HS5705 - Distance de freinage t/
Le dessin ci-dessus montre un ascen-
La distance de freinage d ' un scooter, seur Binks à l'extérieur d ' un élégant
lorsqu 'i l est lancé à vitesse constante, hôtel esti val. Pas plus de 15 kilo-
est proportionnelle au carré de cette grammes peuvent descendre dans un
vitesse. Si la vitesse du scooter croît panier, si l'autre panier reste vide, et
de 100 % , de combien sa distance de 15 kilogrammes sont la différence li-
freinage croît-elle, en % ? mite de poids des deux paniers remplis.
Une nuit, le feu ayant pris à l'hôtel,
HS5706 - Le bouchon vv to us les clients s'échappent en toute sé-
curité, sauf le veilleur de nuit et sa fa-
l. Représentez graphiquement le mille. Ils se réveillen t alors que toutes
trajet d'un automobiliste qui les sorties sont devenues impraticables,
part de Cauchy à 16 h pour aller à sauf l'ascenseur Binks. Le veilleur
Schwartz en roulant à 40 km / h, sa- pèse 45 kilogrammes, sa femme 105 ,
chant que ces deux villes sont dis- le chien 30, et le bébé 15.
tantes de 50 km. Chaque panier est suffisamment grand
Un accident se produit à 40 km de pour les contenir tous les quatre, mais
Cauchy à 17 h et un bouchon se on ne peut pas utili ser de contrepoids
forme et s' étend vers Cauchy à la dans les paniers. Seuls l'homme, la
vitesse de 5 km/h. Représentez gra- femme , le chien et le bébé peuvent
phiquement la zone de bouchon . monter dans les paniers. Ni le bébé,
2. Représentez graphiquement le ni le chien ne peuvent monter ou des-
trajet d'un automobiliste qui part cendre d'un panier sans l'aide du veil-
de Cauchy à 17 h et qui rencontre leur ou de sa femme.
la zone de bouchon. Lorsqu ' il est Quelle est la façon
dans la zone de bouchon , il roule à la plus rationnelle
5 km / h, sinon à 40 km / h. À quelle de procéder pour
Niveau de difficulté
heure arri vera-t-il à Schwartz ? que tous quatre 0 très facile
3. À quelle heure est parti un auto- descendent sains Il facile
mobiliste qui roule à 40 km / h et saufs? tlt/ pas facile
hors bouchon et à 5 km / h dans 111111 difficile
la zone de bouchon, sachant qu'il tltltlt/ très difficile
arrive à Schwartz à 18 h ?

Hors-série n°57. Les maths des assurances Tangente


par Michel Criton

HS5708 - Hoût à Buenos-Hires vv chez Juliette en dix minutes . S ' il va


à pied, il lui faut une heure pour s' y
Je vais à Buenos Aires du 15 au 30 août, rendre. Le VTT de sa sœur Maïté lui
afin d 'assister au Congrès mondial de permettrait d'aller chez Juliette en
l'assurance. Il fait une chaleur torride quinze minutes, mais Maïté ne prête
en France, mais c'est l'hiver en Ar- son VTT que si le vélo de course est
gentine. Mon imperméable léger me crevé.
suffira-t-il ou bien dois-je empmter Roméo part chez Juliette avec son vélo
mon gros manteau ? Dans ce cas, il me de course. Il est ainsi plus rapide, mais
faudra le mettre en bagage supplémen- sur les chemins de terre, il risque de
taire, ce qui sera taxé 40 euros (20 eu- crever à tout moment alors que le VTT
ros dans chaque sens). Je sais aussi que est increvable. En cas de crevaison ,
l'on peut louer, sur place, en cas de be- Roméo peut soit retourner chez lui (à
soin, de tels manteaux pour la somme pied) et emprunter le VTT de Maïté,
de 90 dollars, c'est-à-dire à peu près soit finir la route à pied. Juliette ava-
80 euros. Or, la météo est formelle : il lera le poison à 8 h si elle ne voit pas
y a seulement deux chances sur cinq, Roméo.
a priori , pour qu ' il fasse vraiment À quelle heure au plus tard Roméo
froid . .. Pourquoi ne pas téléphoner à doit-il partir de chez lui pour être
mes amis argentins ? Cela me coûterait sûr de sauver Juliette ?
18 euros, mais ils me donneront la tem-
pérature actuelle à Buenos Aires , et il HS5710 - Les métiers à tisser vvv
n'y a qu'une chance sur dix pour que le
temps change d ' ici mon arrivée ... Supposons qu ' un fabricant de tissus ,
Bref, que feriez-vous à ma place ? qui dispose de soixante métiers à tisser,
ait vérifié que :
HS5709 - Le uélo de Roméo vv 1. lorsqu ' il paie ses ouvriers tisserands
un dollar par journée de travail ,
Roméo possède un vélo de course qui alors chaque métier à tisser, quand
lui permet d 'aller de chez lui jusque il fonctionne une journée entière,
Solutions p.163 lui rapporte un bénéfice net de trois
dollars ;
2. selon la nature du travail à faire , tous
SOURCES DES PROBLÈMES
les métiers ne sont jamais en ordre
de marche en même temps ;
• Trophée Lewis Carroll (HS5701)
3. à tout moment, il est également
• Rallye mathématique d' Antilles-Guyane (HS5702)
possible qu'un, deux, trois , ou un
• 121 nouveaux rapidos et autres énigmes mathématiques, à
nombre quelconque d'entre eux
paraître (HS5703)
soient inutilisables pour cause de
• D ' après Journal of Recreational Mathematics (HS5704)
maintenance ou de réparation.
• Championnat des jeux mathématiques et logiques
Dans ces conditions, quel est le
(HS5705, HS5709)
nombre d'ouvriers tisserands em-
• Revue Logimath (HS5706)
ployés de façon permanente que le
• Cyclopedia of 5 000 Puzzles, Tricks and Conundrums with
fabricant doit recruter afin que son
Solutions, Sam Loyd (HS5707)
bénéfice attendu soit le plus grand
• Revue Jouer Jeux Mathématiques (HS5708)
possible?
• Revue Annals of Mathematics (HS5710)

Tangente Hors-série n°57. Les maths des assurances


par K. Ravera et D. Justens SOLUTIONS

Solution de la nouuelle (page 71 J Petite réflexion au pays de l'information

Hl'Institut intergalactique, on assure ! Les paradoxes en théorie des probabilités sont nom-
breux. Ils sont aussi le plus souvent apparents.
Si P est le prix que l'on juge raisonnable, il existe Ce qui permet d'associer rationnellement des pro-
trois cas de figure : babilités à des évènements, c'est l'information dont
1) Si Tourix et Zérorix proposent tous les on dispose . Lorsque cette information est modifiée,
deux un prix supérieur à P, Zérorix sera choisie et les probabilités le sont aussi. Dans le délicieux
sera dans un cas sur deux moins chère que Tourix. petit exemple que nous propose Kylie Ravera, on
2) Si Tomix et Zérorix sont toutes les deux pait tout d'abord de l'hypothèse selon laquelle on ne
moins chères que P, Tourix sera choisie et ce sera dispose d'aucune information sur le prix de la cou-
là aussi le choix le moins cher dans un cas sur verture d'assurance qui est à souscrire. De même,
deux. on ne dispose d'aucun renseignement sur les deux
3) Si l'une des assurances est moins chère compagnies d'assurances en concurrence en ce qui
que Pet que l'autre est plus chère , la stratégie garan- concerne leurs niveaux de prix sur le marché. Cette
tit de faire le meilleur choix. absence d'inf01mation conduit à probabiliser uni-
formément et à associer, à chaque éventualité face à
Dans les deux premiers cas , Bêta a une chance sur laquelle on se retrouve , la même probabilité 1 / 2.
deux de choisir l'offre la plus avantageuse. Dans le Mais , dès que l'on propose un prix P jugé raison-
troisième cas, dont la probabilité est non nulle, il nable, la situation est significativement modifiée .
est toujours gagnant. La probabilité globale de faire Le fait d'introduire le prix P, qu'il soit pertinent ou
le meilleur choix est donc strictement supérieure à non, constitue de fait une information. Les proba-
1/ 2. bilités doivent donc évoluer en conséquence.
Cette histoire est adaptée d'un paradoxe mentionné Si l'information est mauvaise (P beaucoup trop
par Jean-Paul Delahaye dans son ouvrage Au pays grand , ou bien beaucoup trop petit) , la probabilité
des paradoxes (Belin , 2008). de bien choisir reste égale à 1 / 2 : ce sont les deux
K.R. premiers cas envisagés dans la solution. Lorsque
l'information est pertinente (troisième cas), c'est-à-
dire lorsque P est conforme au prix du marché (et
donc proche des prix effectivement demandés), la
probabilité de faire le bon choix augmente signifi-
cativement. Le fait que P soit choisi « au hasard »
ne modifie pas les choses. L'introduction d'un prix
« raisonnable » Pest dans tous les cas, que ce prix
soit pertinent ou non , considéré comme un accrois-
sement d'information. Une position stratégique
s'avère donc systématiquement avantageuse.
D.1.

Hors-série n°57. Les maths de l'assurance Tangente


Tangente Hors-série n° 57
Mathématiques des assurances

Ta.ngente
Publié par les Éditions POLE
sns au capital de 42 ooo euros
Siège social
80 bd Saint-miche! - 75006 Paris
Commission paritaire : 1016 Il 80883
Dépôt légal à parution
Directeur de Publication et de la Rédaction
Gilles COHEn
Coordinateur du numéro
Daniel JUSTEnS
Secrétaire de rédaction
Édouard rnomns

Ont collaboré a ce numéro


ftndré BELLHÏCHE, Jean-Louis BERTRftnD,
Élisabeth BUSSER, miche( CRITOn,
Philippe DELFOSSE, Pierre DEUOLDER,
Estelle DUBOIS, louis ESCH, Bernard flnftS,
Laurence HUlln, François LHUHLLOU, Herué LEHnmG,
Élise PRHTS, llylie RftUERft, Éric THZÉ-BERnftRD,
Daniel nmnm, Uincent TOUZÉ, Francis UftGUEnER,
norbert UERDIER

maquette
Franck ftROTCHHREn, Guillaume GftlDOT,
Romain GIRHUD, natacha LHUGIER

Photos : droits réserués

Dessins : Philippe GELUCll - Julie LftmBERT [catoune.com)

ftbonnements
Sara Serbout - abo@)poleditions.com
01 47 07 51 15 - fax : 01 47 07 88 13
par Michel Criton SOLUTIONS

HS5701 - 3, 1, 5, 2, 4 (Pour la fourmi, la rosée HS5706 -


est une inondation).
1 1 1 1
Schwartz
V ~
40
HS5702 - Soit x la superficie de la forêt en m 2 • 30 V
~

.;
Ona : V
~
20 V
72(x - 800)- 60x = 0,12 x 60x. ~
10 ~
On en déduit que x = 12 000 m2 . ~
Cauchy 1
1

HS5703-
l. Le premier cryptarithme possède trois solu-
tions: Le premier automobiliste arrivera à Schwar-
9664 + 9664 = 19328; tz à 17h30 et le second à 19h30.
9 773 + 9773 = 19546;
9882 + 9882 = 19 764. 3. Les dix derniers kilomètres ont pris un quart
d'heure au troisième automobiliste. Il est
2. Le second cryptarithme possède une solu- donc sorti du bouchon à 17 h 15. Le bouchon
tion unique : mesurait alors 2,5 km.
89 764 + 2550 = 92314. Comme la vitesse de l'automobiliste est
égale à celle de la remontée du bouchon, il
a parcouru le bouchon en un quart d' heure.
HS5704 - Il est possible d'espacer régulière- Il est donc entré dans le bouchon à 17 h et
ment les six tables avec seulement neuf mètres il avait alors parcouru 39,25 km en cin-
de déplacements (voir la figure). quante-neuf minutes.
Cet automobiliste est donc parti de Cauchy à
16 h01.

HS5707 - La descente de la famille et du chien


+ + nécessite treize étapes :
1 3
1) on descend le bébé dans l'un des paniers
(15 kg) ;
HS5705 - Soit x la vitesse initiale du scooter 2) on descend le chien dans l'autre panier
et j(x ) la distance de freinage associée à cette (30 kg), en remontant le bébé (15 kg) ;
vitesse. On a j(x ) = ax2, où a est une certaine 3) le veilleur descend (45 kg) , en remontant le
constante positive. Lorsque cette vitesse croît chien (30 kg) ;
de 100 %, elle devient égale à 2x et la dis- 4) on descend le bébé dans l'un des paniers
tance de freinage associée devient égale à (15 kg) ;
j(2x ) = a(2x) 2 = 4ax2• La distance de freinage 5) on descend le chien dans l' autre panier
a crû de 300 % . (30 kg) , en remontant le bébé (15 kg), le
chien reste au rez-de-chaussée avec le veil-
leur;

Hors-série n°57 . Les maths des assurances T a:n 9ente


par Michel Criton

6) on descend le bébé dans l'un des paniers HS5709 - Roméo devra partir au plus tard à
(15 kg) ; 7h 18 min 45 s.
7) on descend la femme du veilleur (105 kg), Si Roméo part avec son vélo de course, quel
en mettant son mari, le bébé et le chien dans est le point du parcours où il sera équivalent
l'autre panier (90 kg) ; pour lui de continuer à pied ou bien de revenir
8) on descend le bébé dans l'un des paniers chercher le VTT de Maïté ? En désignant par x
(15 kg); le nombre de minutes nécessaires pour revenir
9) on descend le chien dans l'autre panier à son point de départ, on aboutit à l'équation
(30 kg), en remontant le bébé (15 kg) ; le x / 6 + x + 15 = x / 6 + (60 - x), qui admet
chien reste au rez-de-chaussée avec sa maî- pour solution x = 22,5. Roméo effectuera donc
tresse ; le trajet en au plus 22,5 / 6 + 37 ,5 minutes , soit
10) on descend le bébé dans l'un des paniers 41,25 min.
(15 kg) ; le bébé est récupéré au rez-de-
chaussée par sa maman ;
11) le veilleur descend (45 kg), en remontant le HS5710 - Soit x le nombre (inférieur à 60) de
chien (30 kg) ; métiers à tisser nécessaires à une tâche. 60 cas
12) on descend le chien (30 kg), en remontant sont à envisager.
le bébé (15 kg) ; Si un métier ne fonctionne pas, le bénéfice est
13) on redescend le bébé. de 3x.
Si deux métiers ne fonctionnent pas, le bénéfice
est encore de 3x.
HS5708 - Le diagramme ci-dessous aidera
notre voyageur à prendre sa décision. Les petits Si 60 - x métiers ne fonctionnent pas, le béné-
carrés représentent les options de l'assureur, les fice est toujours de 3x.
ronds sont les événements extérieurs probabi- Si 60 - x + l métiers ne fonctionnent pas, le
lisables. bénéfice est de 3 (x - 1) - 1.
n Si 60 - x + 2 métiers ne fonctionnent
pas, le bénéfice est de 3 (x - 2) - 2.

Si 60 - 1 métiers ne fonctionnent pas,


ilfait il ne fait le bénéfice est de 3 - (x - 1).
froid pas froid
Si 60 métiers ne fonctionnent pas, le
215 3/5
bénéfice est de -x.
Je n'emporte pas

J'emporte
mon manteau :
La somme de ces bénéfices divisée
18+40E par 60 donne un bénéfice moyen de
le temps le temps (l 78x - 2x2) / 60. Cette expression at-
change ne change
pas teint son maximum pour x = 44,5.
0,1
0,9
il fait On en déduit que le fabricant doit
froid
18+80€ 18€ 21 employer en permanence qua-
(location)
rante-quatre tisserands.
40E 40E 80€ OE
(location)

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Savez-vous que les prem1eres rentes


viagères datent de !'Antiquité ? À cette
époque, évidemment, les calculs ne
reposaient pas sur des modèles bien
élaborés : ce n'est qu'au XVIIIe siècle
que la statistique a émergé en tant que
discipline scientifique autonome.
Pour cela, il a fallu surmonter de nom-
breux défis : collecter de manière fiable
des informations pour établir des tables
de mortalité, traiter de grandes quanti-
tés d'informations, sans parler de la
conception de nouveaux modèles de
plus en plus sophistiqués qu'il faut
reconstruire en permanence.
Aujourd'hui, on peut mettre ses
proches à l'abri, protéger ses avoirs et
même ses animaux, se prémunir contre
des risques financiers ou même clima-
tologiques, assurer ses vieux jours.
Tout cela a été rendu possible grâce à
l'émergence des mathématiques du
hasard. Les actuaires manipulent des
chaînes de Markov ou des processus
stochastiques. Ils créent des systèmes
décisionnels complexes pour nous pro-
poser des couvertures adaptées à nos
besoins de certitude, dans un monde
fondamentalement incertain.

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