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À lire également en

Que sais-je ?

COLLECTION FONDÉE PAR PAUL ANGOULVENT

Frédéric Sudre, La Convention européenne des droits de l’homme, no 2513.


Emmanuelle Tourme-Jouannet, Le Droit international, no 3966.
Sylvie Mazzella, Sociologie des migrations, no 3994.
Magali Lafourcade, Les Droits de l’homme, no 4146.
ISBN 978-2-13-081816-8
ISSN 0768-0066

Dépôt légal – 1re édition : 2019, mai

© Que sais-je ? / Humensis, 2019


170 bis, boulevard du Montparnasse, 75014 Paris

Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo.


« De quel pays vient cette troupe à laquelle nous nous adressons,
habillée de manière non grecque, parée de vêtements et de bandeaux
barbares ? Ce n’est pas l’habit des femmes d’Argolide ni d’aucun pays
de Grèce. Qu’intrépidement, sans hérauts, sans protecteurs, sans
guides, vous ayez osé venir dans cette région, voilà qui est étonnant.
Cependant, conformément aux lois, des rameaux de suppliants ont été
déposés de votre part devant les dieux des places publiques ; la terre
grecque, selon ma conjecture, s’accordera avec cela seul. »
Eschyle, Les Suppliantes
Introduction

L’asile est toujours l’histoire d’une violence : celle du déracinement


qu’impose l’exil ; celle, aussi et surtout, qui tient aux causes de cet exil, à
savoir les persécutions. Par son a privatif et son radical sulaô (« j’enlève »,
« j’arrache »), le terme grec asulos, qui renvoie à l’idée négative de
condamnation du pillage ou d’exception au viol, dit à la fois cette violence
initiale et les lieux qui en sont exempts (sous la forme d’un privilège, d’une
immunité), car « même aux fugitifs meurtris par la guerre, une sauvegarde
contre le malheur s’offre dans l’hôtel où réside la majesté des dieux »
(Eschyle, Les Suppliantes, v. 81-83).
Ce sont aujourd’hui des cohortes d’hommes, de femmes et d’enfants qui
se pressent partout dans le monde à la recherche d’un lieu d’asile sur les
routes surpeuplées de l’exil, animés de la même détresse et meurtris par la
même violence, affrontant les dangers souvent ignorés de l’exploitation, de
la traite, voire de la mise en esclavage dans des pays de transit, ou
d’embarcations de fortune les exposant à la mort, ou encore de la dérive de
port en port de navires venus les recueillir dont les noms, Aquarius,
Lifeline, font résonner dans les mémoires d’autres tragédies humaines –
celles du Saint Louis ou de l’Exodus – que l’on pensait appartenir
définitivement à l’histoire. Le besoin de protection est immense.
Or, si l’Europe dévastée par la guerre avait su, dans ce « siècle des
réfugiés » que fut le XXe siècle, mettre en place par la convention de Genève
de 1951 une protection internationale des réfugiés, voilà qu’au début de ce
nouveau siècle elle se déchire dans une crise sans précédent qui met en
cause non seulement le droit d’asile, mais la construction même de l’Union
européenne (UE), et partant certains équilibres mondiaux. Mais quelle est la
teneur exacte de cette crise ? De quoi est-elle le nom ?

I. – Une crise migratoire ?


« Crise des réfugiés », « crise migratoire », « bombe migratoire »,
autant de mots accompagnés d’un cortège de chiffres – plus d’un million de
demandeurs d’asile dans l’UE en 2015 et en 2016, la barre des
100 000 demandes franchie en France en 2017 – venant sonner l’alarme par
une couverture médiatique suscitant sans peine l’émotion, comme la photo
d’Aylan, l’enfant syrien dont le corps a été retrouvé échoué sur une plage de
Turquie en septembre 2015, ou les colonnes sans fin d’exilés sur la route
des Balkans. L’arrivée sur le sol de l’UE, deux années consécutives, de plus
d’un million de personnes en quête d’asile est-elle d’une ampleur, d’une
soudaineté et d’une brutalité telles qu’on puisse la comparer
à « une canalisation qui explose dans une maison » ou à une « vague
déferlante » engloutissant tout sur son passage ? Il faut aller au-delà du
« poids des mots et du choc des photos » et parler en connaissance de cause
pour établir, comme il fut rappelé lors de l’ouverture en 2018 au Collège de
France d’une nouvelle chaire « Migrations et sociétés », « des faits à partir
desquels on puisse raisonner loin des fantasmes qui, nés de l’ignorance et
de la mauvaise foi, donnent lieu à toutes les possibilités de manipulations
idéologiques ». Dans sa leçon inaugurale, François Héran, le démographe et
anthropologue titulaire de cette chaire, invitait ainsi à « tenir un discours de
raison plutôt que de peur », reposant sur une analyse objective des faits.
Un détour par les chiffres s’impose donc, sans que les différences que
l’on peut observer ici ou là selon leur provenance mettent en cause les
constats principaux que l’on peut en tirer. Selon Eurostat, l’office statistique
de l’UE, la demande d’asile a atteint en 2015, à l’issue d’un doublement en
un an, son niveau le plus haut depuis trente ans, avec 1,25 million de
demandeurs sollicitant l’asile pour la première fois, dits « primo-
demandeurs ». Ce pic n’est toutefois pas le premier. Déjà l’éclatement de
l’ex-Yougoslavie avait provoqué un premier pic en 1992, avec 672 000
demandes dans une UE composée alors de quinze États. L’année 2001
marqua un deuxième pic avec 424 000 demandes dans une UE élargie à 27,
fléchissant ensuite jusqu’à passer en 2006 au-dessous de la barre des
200 000 demandes. La demande a régulièrement progressé depuis, avant de
s’accélérer à partir de 2013 avec 435 000 demandes dans une UE désormais
à 28 (UE 28), puis 626 000 demandes en 2014, jusqu’à dépasser en 2015 le
million de demandes, nombre confirmé en 2016 (1,1 million). L’octroi de la
protection a progressé en parallèle pour atteindre, lui aussi, après un
doublement en un an, son plus haut niveau historique en 2016 avec
710 000 décisions positives.
L’évolution est la même en France, marquée, selon l’Office français de
protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA), par deux pics en 1989
(61 422 demandes) ayant déjà conduit à évoquer une « crise de l’asile »,
puis en 2003 (52 204 demandes), suivis de fléchissements et d’une
remontée progressive depuis 2007 (23 804 demandes) pour s’élever en
2015 à 59 335 demandes, puis en 2016 à 63 935 demandes, enfin à 73 802
primo-demandes en 2017. Avec un total de 252 400 personnes,
essentiellement des réfugiés, sous protection de l’OFPRA en 2017, dans
une France de 67 millions d’habitants, la protection internationale reste très
contenue au regard des 165 000 personnes protégées il y a soixante ans lors
de la mise en place du système français de l’asile, dans une France qui
comptait alors 43 millions d’habitants.
L’afflux des années 2015 et 2016 doit plus encore être apprécié à
l’échelle mondiale. Au 31 décembre 2017, le Haut-Commissariat pour les
réfugiés (HCR) dénombrait 68,5 millions de personnes contraintes à des
déplacements (UNHCR Global Trends, juin 2018). Quarante millions de ces
« déplacés forcés », souvent les plus démunis, sont des « déplacés internes »
n’ayant d’autre solution pour fuir la violence que de se déplacer dans une
autre région de leur pays d’origine pour y chercher protection. Les autres
déplacés forcés s’abritent de cette violence en franchissant les frontières. Ce
sont principalement des réfugiés dont le nombre de 25,4 millions accuse, en
2017 – avec 2,9 millions de réfugiés en plus depuis 2016 –, la plus forte
hausse jamais enregistrée par le Haut-Commissariat pour les réfugiés
(HCR) en une année. Un peu plus du cinquième sont des Palestiniens et les
autres sont, pour les deux tiers, des Syriens, des Afghans, des Soudanais du
Sud, des Birmans et des Somaliens. S’ajoutent à eux 3,1 millions de
demandeurs d’asile (plus de 300 000 personnes en un an). En 2017, ces
réfugiés vivaient pour 85 % d’entre eux dans des pays en développement et
pour 80 % dans des pays frontaliers les plus proches de leur pays d’origine,
pays donc au côté des zones de conflits, et caractérisés par des situations
économique, sociale et politique fragiles. La Turquie demeurait ainsi en
2017 le premier pays d’accueil en valeur absolue avec 3,5 millions de
réfugiés, principalement Syriens, et le Liban, le premier pays d’asile au
regard de sa population, soit en valeur relative, avec 1,2 million de réfugiés.
C’est assez dire, comme le martèle le HCR, que les chiffres de l’asile
ne permettent pas de souscrire à l’« idée reçue » selon laquelle « les
personnes déracinées à travers le monde se trouveraient principalement
dans des pays de l’hémisphère Nord » ni davantage de faire état d’« un
nombre ingérable de personnes » allant dans les pays riches. Rappelons que
les demandeurs d’asile dans l’UE représentaient au plus fort de la « crise »
0,2 % de la population d’une UE qui, riche de 28 États et de plus de
500 millions d’habitants, est la deuxième puissance économique mondiale.
La dégradation de la situation internationale dans la dernière décennie
est suffisamment connue pour renseigner sur les motifs d’exil, qu’il
s’agisse, d’une part, de la progression inégalée du terrorisme avec
l’expansion de l’État islamique – Daesch – en Libye, Irak, Syrie, Nigeria,
Afghanistan ; d’autre part, de l’éclatement ou de la reprise de conflits
affectant, selon le HCR, entre 2000 et 2015, quatorze pays du Moyen-
Orient, d’Afrique, d’Asie et même d’Europe (Ukraine), ou encore du
retentissement du chaos libyen dans le Sahel et l’Afrique de l’Ouest. Au-
delà des printemps arabes de 2011, la demande d’asile s’est ainsi
directement nourrie de celle de 1 million de ressortissants syriens qui ont
quitté la Syrie en 2013, nombre qui est passé à 3 millions en 2014, puis à
4 millions en 2015, ceux-ci constituant à partir de 2014 le premier groupe
de demandeurs d’asile dans l’UE, suivi de celui des Afghans et des
Irakiens ; ces trois nationalités représentant en 2015, 2016 et encore en
2017, la moitié des demandeurs d’asile. Elles ont été aussi les principales
bénéficiaires de l’asile, emportant deux tiers des décisions positives en
2015, les trois quarts en 2016, et plus de la moitié en 2017 ; les Syriens ont
bénéficié pour leur part, pendant ces trois années, respectivement de 50 %,
57 % et 30 % des décisions favorables. Outre ces trois nationalités, les
principaux demandeurs et bénéficiaires de l’asile dans l’UE ont été en 2015
et 2016 des Pakistanais, des Nigérians et des Érythréens, les deux premières
nationalités cédant la place en 2017 à des Iraniens et Somaliens. La
protection accordée dans l’UE au titre de l’asile s’est donc concentrée en
termes de demande comme d’offre dans des pays conjuguant les plus graves
conflits, violences et violations des droits de l’homme.
L’origine de ces demandes force à écarter la qualification de « crise
migratoire », voire même l’évocation pourtant faite par le HCR de « flux
mixtes ». Elle condamne a fortiori l’instruction de procès en « faux
réfugiés », car le fait pour un certain nombre de demandeurs d’être déboutés
n’invalide évidemment pas l’objet de leur demande d’asile, comme si
l’échec d’un étudiant à un examen faisait de lui un faux étudiant… Sans
doute la distinction courante, voire l’opposition de plus en plus souvent
dressée entre migrations dites « volontaires », qui seraient essentiellement
fondées sur des raisons économiques et sur un espoir de vie meilleure, et les
migrations « forcées » doit-elle être relativisée ; la contrainte économique
reste une contrainte, et l’espoir d’une vie meilleure peut n’être pas ignoré
d’un « migrant d’asile » (Jault-Seseke, Corneloup, Barbou des Places,
2015). Reste que l’on ne peut ignorer l’enjeu politique de la qualification de
« crise migratoire » qui, au regard de la stigmatisation du migrant
économique et de l’héroïsation du réfugié politique, vise à « disqualifier »
la demande et à permettre aux États de se défausser des obligations qu’ils
ont souscrites en matière d’asile.

II. – Du droit d’asile au droit à l’asile


L’ampleur somme toute relative de l’afflux relevé en 2015-2016, son
caractère attendu et prévisible, comme son origine et ses motifs, ne
permettent pas de conclure à une « crise des réfugiés », et a fortiori à une
« crise des migrations ». La crise provoquée par cet afflux n’en est pas
moins certaine, mais elle est d’une autre nature. Elle est une crise du droit
d’asile liée à son ambivalence intrinsèque, laquelle s’exacerbe dans le cadre
européen.
Le droit d’asile s’est d’abord affirmé comme un droit du souverain
d’accueillir, au-delà même des règles d’entrée et de séjour sur son territoire
par lui posées, ceux qu’il souhaitait protéger, c’est-à-dire comme un droit de
l’État. Expression de sa pleine et entière souveraineté sur son territoire, il
est devenu, en se déployant dans le cadre des relations interétatiques,
l’instrument d’une protection de substitution offerte par un État face à la
défaillance d’un autre dans la protection due à ses ressortissants. La
promotion générale des droits de l’individu et de la protection des droits de
l’homme a toutefois conduit à dépasser cette conception initiale par
l’affirmation d’un droit « à l’asile », droit subjectif qui plonge ses racines
dans la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH), laquelle
affirme en 1948 que « devant la persécution toute personne a droit de
chercher asile et de bénéficier de l’asile en d’autres pays ». Si dans cette
perspective, la convention de Genève relative au statut des réfugiés a
institué en 1951 une protection internationale, paradoxalement
elle n’évoque pas l’asile. « Asile » ici, « réfugiés » là, les termes distincts
renvoient à des réalités différentes : l’asile est un lieu, le réfugié est une
personne. La dissociation qu’opère la convention de Genève rend compte
de la volonté des États parties de ne pas voir affecter leur souveraineté sur
leur territoire par des obligations d’asile territorial qui découleraient de la
protection souscrite en faveur des réfugiés. Elle ne pouvait toutefois, sous
peine d’être privée de tout effet utile, ignorer totalement l’asile qui constitue
l’objet même de la demande de protection. Le principe de non-refoulement,
qui constitue à ce titre le principe cardinal de la convention, permet
d’articuler au minimum ces deux notions, en reconnaissant au réfugié
potentiel qu’est le demandeur d’asile le droit de rester sur le territoire pour
lui permettre d’accéder à la procédure d’éligibilité à la protection
internationale, puis une fois cette qualité reconnue, le droit de ne pas être
renvoyé vers un pays à risque pour l’un des motifs fondant leur qualité de
réfugié, à charge pour les États de convertir, s’ils le souhaitent, cette
obligation négative de non-renvoi en une obligation positive par l’octroi
d’un droit au séjour, c’est-à-dire un asile territorial.
Cet équilibre savant qui concilie la double dimension, en vérité
contradictoire, du droit d’asile, tout à la fois droit de l’État et droit de la
personne, est aujourd’hui bousculé par l’essor de la demande d’asile dans
l’UE. Alors même qu’ils ont souscrit à un régime d’asile européen commun
(RAEC) dans l’« espace de liberté, de sécurité et de justice » (ELSJ) qu’ils
ont voulu constituer, les États membres se montrent avant tout soucieux de
préserver la part de droit de l’État inhérente au droit d’asile. Limitant leur
souveraineté sur leur territoire en leur imposant, par le système Dublin, le
traitement de certaines demandes, ainsi que par des directives, une
obligation d’accueil le temps de ce traitement et un droit à l’asile territorial
pour les demandeurs élus à la protection internationale, le régime européen
d’asile n’a pas résisté à la pression croissante de la demande. Face à
l’ampleur de ces arrivées, les États aux frontières extérieures de l’UE sur
lesquels le règlement Dublin fait peser les plus lourdes charges se sont
trouvés, en l’absence de soutien et de solidarité des autres États, dans
l’impossibilité de les assurer et se sont affranchis du respect d’un règlement
pourtant pivot du régime européen d’asile. Il faut à cet égard rappeler, au vu
de l’« orbanisation » de la Hongrie aujourd’hui et de l’installation d’un
régime d’extrême droite en Italie, que la Hongrie fut avec
174 000 demandes en 2015 le pays sur lequel s’exerça, au regard de sa
population, la plus forte pression, tandis que l’Italie mais aussi la Grèce
furent confrontées à une demande d’asile sans précédent. La réintroduction
par un certain nombre d’États, à l’été 2015, de contrôles aux frontières
intérieures, en principe proscrits au nom du principe de libre circulation par
la convention de Schengen, mena à la cacophonie en plongeant dans le plus
grand désarroi les demandeurs d’asile bloqués notamment sur la route
engorgée des Balkans. Face à une situation qu’elle jugea « non digne de
l’Europe », la chancelière allemande, Angela Merkel, montra alors par son
vibrant « wir Schäffen das » (« on y arrivera ») lancé le 31 août 2015 qu’il
existait encore un État décidé à défendre le droit d’asile dans l’UE – pas
n’importe lequel il est vrai, mais celui à qui son histoire a le plus
cruellement appris ce que son oubli pouvait en coûter.
Si l’Allemagne devint ainsi le premier pays d’asile en 2016 (tant en
valeur absolue que relative avec 722 000 demandes et 445 000 décisions
positives), cette décision unilatérale s’inscrivait toutefois dans la même
logique de réaffirmation des souverainetés nationales que celle qui invitait
ailleurs, mais à l’inverse, à un repli national conduisant à l’effondrement de
la protection au titre de l’asile. Les pays de l’est de l’Europe réunis dans le
groupe de Višegrad (la Hongrie, la Pologne, la République tchèque et la
Slovaquie) ont mené l’offensive. Sur fond de crise économique jamais
véritablement résorbée depuis 2008 et de terrorisme international, la thèse
de l’invasion ou de la submersion, pour fantasmée qu’elle soit – comme le
montrent les chiffres de l’asile –, a prospéré en alimentant les peurs, en
nourrissant xénophobie et racisme, en jetant la suspicion sur les demandeurs
d’asile et plus généralement les migrants, les criminalisant même, bref en
faisant renaître les vieux démons à travers ces boucs émissaires. La Pologne
n’a-t-elle pas été, pour défendre sa politique de fermeture des frontières,
jusqu’à invoquer devant la Cour de justice de l’UE être « presque
ethniquement homogène » (CJUE, Slovaquie et Hongrie c. Conseil, 2017,
C-643/15 et C-647/15) ? Dénoncée comme une « rhétorique méprisable »
par le HCR, une telle instrumentalisation de la question de l’asile n’est
toutefois désormais plus réservée aux pays de l’est de l’Europe mais,
nourrissant populismes et mouvements d’extrême droite, gagne du terrain
dans les démocraties les mieux assises de l’Europe de l’Ouest et du Nord
qui, au fil de réformes législatives, ne cessent de restreindre les garanties
attachées au droit d’asile.
De très importantes disparités apparaissent entre les États à travers les
chiffres de l’asile qui rendent compte des divergences réelles des
législations et des politiques nationales d’asile. Elles témoignent de
désaccords de fond quant à la conception même du droit d’asile, et plus
largement d’une crise profonde, tout à la fois « morale et institutionnelle »,
de l’UE (Labayle, 2015). La contestation et la négation en son propre sein
des valeurs qui l’ont forgée, et dont le droit d’asile et les autres droits
fondamentaux sont l’expression, mettent en cause les principes de
confiance mutuelle et de solidarité entre les États et ébranlent comme
jamais dans son histoire les fondements mêmes de la construction
européenne. Les procédures d’infraction lancées par la Commission depuis
la fin de l’année 2015 contre la Hongrie, puis la Pologne, la Slovénie et la
République tchèque pour violation du droit de l’UE par leur législation en
matière d’asile et leur opposition à la politique européenne de relocalisation
en témoignent, tout comme l’usage par le Parlement européen, pour la
première fois en septembre 2018, de son droit d’initiative pour saisir le
Conseil européen de l’ouverture d’une procédure de sanction à l’égard de la
Hongrie fondée plus largement sur la « menace systémique » qu’elle fait
peser sur les valeurs de l’UE. C’est donc l’unité de l’UE qui est ici mise en
cause, unité déjà menacée par un Brexit lui-même né de la farouche
opposition du Royaume-Uni à la politique européenne d’asile et
d’immigration.
Tout à la fois révélatrice et catalyseur d’une crise profonde de l’UE, la
crise du droit d’asile est au cœur de son agenda politique, mais elle dépasse
aussi son cadre. Les mêmes tentations de repli national s’affirment un peu
partout dans le monde, comme le montrent notamment les décisions du
président Trump de limiter le droit d’entrer aux États-Unis, notamment par
l’édification d’un mur à la frontière mexicaine, ou le terme mis au
financement de l’UNRWA, agence des Nations unies chargée de porter
assistance aux « réfugiés palestiniens ». La gravité de la crise que connaît le
droit d’asile explique toute l’attention qu’y portent les Nations unies, au-
delà de l’action quotidienne du HCR, tant par les appels fermes et réitérés à
la solidarité du haut-commissaire que par l’adoption, en décembre 2018,
dans la foulée de la Déclaration de New York pour les réfugiés et les
migrants adoptée à l’unanimité par son Assemblée générale en
septembre 2016, d’un « Pacte mondial sur les réfugiés », à côté du Pacte
mondial pour les migrations. Autant d’initiatives qui restent toutefois
bridées par les résistances des États qui ont refusé toute obligation née du
Pacte et défini des objectifs qui, tels l’allégement de la charge des pays
d’accueil, le développement de l’appel aux pays tiers et le soutien au retour
vers les pays d’origine, paraissent bien éloignés du partage de la
responsabilité de l’accueil des réfugiés annoncé.
Plus que jamais, en réalité, « la contradiction entre le principe intangible
de la souveraineté nationale et les idéaux des droits de l’homme » (Noiriel,
1991) qui traverse l’histoire de l’asile, sa construction comme sa
déclinaison, s’exacerbe. Dans un contexte géopolitique inchangé, la
réduction de moitié de la demande d’asile dans l’UE en 2017
(650 000 demandes) et la diminution d’un quart des décisions d’octroi
d’une protection (538 000 décisions) en disent long sur la dissuasion opérée
dans l’exercice même du droit d’asile.
PREMIÈRE PARTIE

LA CONSTRUCTION DU DROIT
D’ASILE
D’origine ancienne, l’asile, qui désigne la protection offerte à une
personne ou à un groupe de personnes dans un lieu déterminé, est
longtemps resté religieux. Des inscriptions sur des stèles attestent la
pratique en Égypte, où l’asile est souvent demandé par les prêtres pour leurs
temples. Par l’inviolabilité qui leur est conférée et la sécurité qui en
découle, les lieux d’asile contribuent à la prospérité des cités. À ce titre, il
constitue un instrument politique. C’est en Grèce que l’asile, lié à des récits
mythologiques, est véritablement inventé et que son nom lui est donné. Il
essaime alors dans de multiples temples comme celui d’Apollon à Éphèse.
Toutefois, des abus souvent dénoncés conduisent à priver de son bénéfice
les auteurs de certains actes : l’asile devient sélectif. La perfection attribuée
au droit romain censé assurer une complète protection des citoyens ne
s’accorde guère avec cette pratique qui reste quasiment ignorée dans
l’histoire romaine.
Aucune des grandes traditions religieuses n’ignore l’asile. Les Hébreux
y voient un rempart à l’exercice de la loi du talion dans certains lieux
inviolables, comme auprès du Tabernacle emporté par les juifs pendant la
traversée du désert ou dans les six villes refuges de Palestine, mais ils le
réservent aux auteurs d’homicide involontaire. L’hospitalité accordée par la
population de Médine au prophète Mahomet fuyant la persécution incarne
le modèle islamique de la protection des réfugiés contenu dans le Coran,
lequel prescrit d’accueillir sans discrimination celui qui cherche asile dans
les lieux sacrés ou placés sous la protection de l’islam. Le rôle déterminant
de l’Église pendant plusieurs siècles confère à l’asile chrétien une place à
part. Inspiré d’un message de charité, il est, dès le IVe siècle, un acte de
protection de l’Église issu de la pratique romaine de l’intercessio consistant
pour l’Église à accorder refuge à celui qui est poursuivi, dans le but
d’obtenir des autorités civiles une moindre rigueur de la justice en même
temps que l’amendement spirituel du condamné. Les grandes invasions
marquées par l’insécurité, la désorganisation de la justice et le retour de la
vengeance privée favorisent son expansion. Se détachant peu à peu de
l’intercessio, il s’affirme comme un droit inhérent à la divinité des lieux
sacrés au fil des conciles qui, aux Ve et VIe siècles, le reconnaissent et
s’attachent à le réglementer en en définissant les fondements théoriques à
partir de la notion d’immunité des lieux sacrés. Est notamment garantie
l’impunité corporelle de ceux qui s’y réfugient, tandis que
l’excommunication, qui met au ban de la société, frappe ceux qui les
extraient de ces lieux sans une promesse d’impunité. L’expansion de ce
droit d’asile religieux, tant du point de vue des personnes admises à en
bénéficier que des lieux d’asile qui s’étendent au-delà des églises à des
dépendances diverses (presbytères, hôpitaux, simples croix, etc.), témoigne
de la puissance de l’Église et de l’impuissance du pouvoir séculier à assurer
la justice.
À son apogée, au XIIe siècle, le droit d’asile religieux ne peut toutefois
survivre à la concurrence de plus en plus sévère d’un pouvoir temporel
revendiquant la plénitude de la souveraineté. Tandis que la justice séculière
est mieux assurée, à partir des décrétales d’Innocent III et de Grégoire IX
au XIIIe siècle, les exceptions personnelles à l’asile religieux se multiplient
(juifs, hérétiques, homicides, suicidés, voleurs, sacrilèges…), la protection
et l’inviolabilité des lieux d’asile se réduisent parallèlement. Son fondement
divin est mis en cause. Il devient une concession faite à l’Église par le
pouvoir royal à laquelle François Ier met un terme en matière civile en 1539
par l’ordonnance de Villers-Cotterêts. Tombé peu à peu en désuétude et
finalement ignoré du code de droit canonique en 1983, le droit d’asile
religieux n’a plus droit de cité, et si une pratique d’accueil perdure – un
accueil monastique évidemment ébranlé dans son principe par l’abri donné
au chef de la milice Paul Touvier, pourtant condamné à mort par contumace
à deux reprises, ainsi qu’un asile ecclésial offert notamment dans les
années 1990 aux « sans-papiers » –, ces lieux ne sont pas hors droit. Le
pouvoir de police s’y exerce et la loi pénale s’y applique.
Ainsi lentement reconquise par l’État auprès de l’Église, mais aussi des
pouvoirs féodaux ou communaux, la prérogative d’asile, qui exprime la
souveraineté pleine et entière de l’État sur son territoire, est devenue un
droit de l’État ; un droit dont la dimension externe s’affirme de plus en plus
largement en s’inscrivant désormais exclusivement dans le cadre de
relations interétatiques. D’où l’importance prise par le droit international et
le droit européen qui gouvernent ce droit au côté du droit interne des États.
CHAPITRE PREMIER

Les sources internationales

Dès le XVIe siècle, les « fondateurs » du droit international ont


développé deux conceptions de la souveraineté des États sur leur territoire,
deux conceptions non dépourvues de portée sur le droit d’asile. La première
met en exergue le droit de libre communication qui exclut toute limitation
par les États de l’accès à leur territoire (Vitoria, De Indis, 1542), droit qui,
doublé d’un devoir de solidarité du genre humain, fonderait une obligation
de protection à l’égard de ceux qui, « victimes d’une haine imméritée », se
voient chassés de leur pays (Grotius, Mare liberum, 1609). La seconde fait
prévaloir au contraire la souveraineté des États sur leur territoire pour
justifier leur droit d’en défendre l’entrée, droit toutefois tempéré par une
exigence de « charité » destinée à permettre « aux fugitifs de trouver une
retraite » (Vattel, Le Droit des gens ou Principes de la loi naturelle
appliqués à la conduite et aux affaires des nations des souverains, 1758).
Cette opposition, toujours d’actualité, traverse la construction de la
protection internationale des réfugiés.
C’est au milieu du XVe siècle que le terme « réfugié » acquiert son sens
contemporain, d’abord comme adjectif, puis un siècle plus tard comme un
substantif désignant celui qui quitte son pays pour se soustraire à des
persécutions, un danger, une condamnation, et chercher une protection
ailleurs. L’exil des 300 000 protestants fuyant la France après la révocation
de l’édit de Nantes constitue le premier mouvement massif de réfugiés. Le
changement d’échelle qui s’opère au XXe siècle appelle de nouvelles
réponses, dont le système de Genève institué après la Seconde Guerre
mondiale constitue le pivot.

I. – L’émergence d’une protection internationale


des réfugiés
1. La multiplication des protections. – L’exacerbation des
nationalismes et l’affirmation des totalitarismes conduisent, dès la fin de la
Grande Guerre, à l’arrivée de millions de réfugiés par vagues (Arméniens
après le génocide turc de 1915, Russes après la révolution de 1917,
Assyriens et Assyro-Chaldéens et minorités issues de l’ex-Empire ottoman,
Italiens, Espagnols fuyant le fascisme et tous ceux que le nazisme, au fil de
son expansion, force à quitter leur pays). La Société des Nations (SDN)
prend d’importantes initiatives, mais parcellaires et empiriques. Des hauts-
commissariats les protègent successivement par nationalité (Russes en
1921, Allemands en 1933) avant d’acquérir une vocation générale en 1938
et de coopérer alors avec le « Comité intergouvernemental pour les
réfugiés » (CIR) mis en place en marge de la SDN. Des instruments
juridiques sont créés, comme en 1921 avec le « passeport Nansen », titre
qui restitue leur identité aux réfugiés russes et leur permet de voyager et de
travailler. Divers arrangements sont signés par groupe de nationalités
(Russes en 1922, Arméniens en 1924, Assyriens, Assyro-Chaldéens et
Turcs en 1928, Sarrois en 1935) et des conventions apportent un minimum
de protection juridique comme, en 1933, la convention de Genève relative
au statut international de réfugié, ou celles de 1936 et 1938 pour les
réfugiés provenant d’Allemagne, puis d’Autriche, puis en 1945 pour les
Espagnols. Des raisons diplomatiques et économiques poussent toutefois les
États à éviter de se lier : les arrangements sont de simples recommandations
et les conventions sont assorties de réserves. En outre, la question
essentielle du séjour est laissée à l’appréciation des États d’accueil et reste
donc du ressort du droit interne. À l’approche de la guerre, les États se
disent tous « saturés » et expriment une position de rejet, notamment lors de
la conférence d’Évian de juillet 1938, « conférence de la honte » dont on
sait quel sort il en résulta pour les juifs d’Europe.

2. La reconnaissance expresse du droit d’asile. – En disposant que


« devant la persécution toute personne a le droit de chercher asile et de
bénéficier de l’asile en d’autres pays » (art. 14), la Déclaration universelle
des droits de l’homme du 10 décembre 1948 consacre à la fois le droit
d’asile comme un droit de l’homme et lui donne une dimension
internationale. Pour essentielle qu’elle soit, cette reconnaissance ne doit
toutefois pas être surestimée. D’une part, si elle a valeur morale, la
Déclaration est dépourvue de valeur juridique (CE, 18 avr. 1951, Élections
de Nolay). D’autre part, le « droit de bénéficier de l’asile » n’est pas un
« droit à l’asile », car la proposition de la France de reconnaître le droit du
demandeur de se voir « accorder l’asile » a été expressément écartée. La
résistance des États à se lier par un droit d’asile conçu comme un droit
subjectif à l’asile s’est confirmée ensuite dans la convention de Genève de
1951, qui n’est pas une convention sur l’asile, puis dans le silence gardé par
le Pacte des Nations unies relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) qui,
adopté en 1966 pour garantir les droits déclarés en 1948 par des
engagements juridiques des États, ne l’évoque même pas ; enfin dans
l’échec, en 1977, de la Convention des Nations unies sur l’asile territorial.
Cette résistance peut être mise en parallèle avec le refus des États
d’immigration de souscrire à la convention internationale sur la protection
des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille
du 18 décembre 1990.
À défaut de prospérer internationalement comme tel, le droit d’asile
bénéficie pourtant de l’extraordinaire dynamique des droits de l’homme
enclenchée par la Déclaration universelle et des droits et libertés reconnus
de manière générale par les Pactes de 1966 et, de manière spécifique, dans
certaines situations ou pour certaines catégories de personnes, comme
notamment la Convention sur les droits de l’enfant de 1990 (CIDE) qui, en
posant le principe de l’« intérêt supérieur de l’enfant » et précisant leurs
droits, protège les mineurs étrangers, notamment isolés, qui sollicitent
l’asile. Les comités onusiens veillent à leur application par les États, dont
au premier chef le Comité des droits de l’homme par ses observations
générales sur le PIDCP, par exemple l’Observation générale no 15 relative à
la situation des étrangers (1986), ou encore, en 2017, les observations
conjointes du Comité pour la protection des droits de tous les travailleurs
migrants et des membres de leur famille (no 2) et du Comité des droits de
l’enfant (no 22).

II. – Le système de Genève


Au regard des trente millions de personnes hors de leurs pays d’origine,
la conviction fut rapidement acquise après-guerre que la question des
réfugiés ne serait pas un épiphénomène et qu’en outre la guerre froide
provoquerait encore des mouvements d’exil. D’où la mise en place du
« système de Genève », système à vocation universelle reposant à titre
principal sur une institution, le « Haut-Commissariat des Nations unies pour
les réfugiés », et une convention internationale, la convention de Genève du
28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés.

1. Le Haut-Commissariat pour les réfugiés. – Créé par une résolution


de l’Assemblée générale des Nations unies du 14 décembre 1950 –
résolution 428 (V) –, le HCR est une agence des Nations unies ayant à sa
tête un haut-commissaire qui agit « sous l’autorité de l’assemblée
générale », laquelle l’élit pour trois ans sur proposition du secrétaire
général. Dépourvue de « caractère politique », sa mission est « humanitaire
et sociale » (Statut, art. 2). Il a mandat d’assurer la protection juridique des
réfugiés, de les assister et de rechercher « des solutions permanentes au
problème des réfugiés ». Au fil de nouveaux besoins, son mandat a été
élargi par l’Assemblée générale à des missions d’assistance matérielle
(notamment dans les camps), de développement ou à dimension sécuritaire
(déminage, maintien de la paix). Les bénéficiaires de son action se sont
diversifiés au-delà des réfugiés aux demandeurs d’asile, rapatriés, apatrides
et surtout déplacés internes ou personnes ayant besoin de secours
d’urgence. Il exerce sa mission en coopération avec d’autres organes des
Nations unies (PAM, PNUD…), des organisations internationales (OIT,
Croix-Rouge, Croissant-Rouge…) ainsi que des ONG. Son action, qui était
plutôt « réactive » et tournée vers les pays d’asile, est devenue davantage
« proactive » et tournée vers les pays d’origine, orientation soutenue par les
pays d’asile qui, par leurs contributions volontaires, assurent son
financement à titre principal. Composé de représentants des États membres,
un Comité exécutif du programme du haut-commissaire (COMEX) a pour
mission de conseiller ce dernier, d’approuver les programmes d’assistance
et de superviser sa gestion, notamment financière. Un Guide des procédures
et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié publié en 1979
et réédité en 1992, complété depuis par des Principes directeurs portant sur
certaines questions spécifiques (comme la notion de « groupe social » ou la
reconnaissance prima facie de la qualité de réfugié), exprime la « doctrine »
du HCR. Sans portée obligatoire, il vise à harmoniser l’application de la
convention par les États, application à laquelle le HCR est chargé de veiller
en coopération avec eux (CG, art. 35), ainsi qu’avec le Bureau européen
d’appui pour l’asile (BEA) de l’UE. Par son rapport public annuel, le HCR
rend compte de son activité et dresse un tableau de la situation mondiale des
réfugiés.

2. La protection conventionnelle des réfugiés. – Second élément du


« système de Genève », la convention de Genève, adoptée le 28 juillet 1951
et entrée en vigueur le 22 avril 1954, constitue le pivot du droit
international des réfugiés. Elle est aujourd’hui ratifiée par 146 États. Le
principe en fut rapidement retenu, mais les cinq années de négociations
nécessaires à son adoption par les vingt-six États parties rendent compte de
l’âpreté des désaccords. Le champ d’application de la convention vit ainsi
s’opposer les « universalistes » (Grande-Bretagne, Belgique, Pays-Bas) et
les « européens » (France, États-Unis) pourtant majoritaires à Genève. Les
premiers l’emportèrent, mais un compromis fut trouvé par l’ouverture d’un
droit d’option permettant de circonscrire son champ aux « événements
survenus en Europe avant le 1er janvier 1951 » qui, dans le contexte de la
guerre froide, visait les réfugiés des pays de l’Est. Le protocole de
New York (encore dit « de Bellagio ») du 31 janvier 1967 donna ensuite une
portée universelle à la convention de Genève en supprimant cette double
limite spatio-temporelle, sous réserve, pour les États ayant pris l’option
spatiale, de la lever – ce dont certains, notamment la Turquie,
s’abstiendront.
La définition du réfugié, catégorielle ou générale et synthétique,
constitua un autre point de désaccord réglé par l’abandon de l’approche
catégorielle prévalant entre les deux guerres au profit d’une approche
abstraite et générale défendue notamment par la France. Selon la
convention, est ainsi réfugié, outre celui qui l’est en vertu des arrangements
et conventions qui la précédaient et qui disparaissent peu à peu par l’effet
de l’âge, « toute personne […] craignant avec raison d’être persécutée du
fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un
certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouv[ant] hors du
pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne
veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de
nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence
habituelle ne peut, ou en raison de ladite crainte, ne veut y retourner »
(art. 1A2). La reconnaissance de cette qualité est ainsi subordonnée à quatre
conditions cumulatives (encore dites « critères d’éligibilité ») : des craintes
personnelles de persécution, des motifs déterminés de crainte, un départ du
pays d’origine ou de résidence habituelle, enfin la privation de la protection
donnée par les autorités de ce pays.
Par l’exigence de craintes personnelles, la convention opte pour une
approche individualiste et subjective, tandis que par la condition de
rattachement de ces craintes à cinq motifs déterminés, elle exprime une
volonté de protéger les libertés d’opinion, de conscience et de religion, ainsi
que l’égalité par la prise en considération des discriminations. En revanche,
la condition proposée de rattachement des craintes à « tout motif autre que
de convenance personnelle » ayant été écartée, elle ne prend pas en compte
les besoins de protection fondés sur des motifs économiques. Ce sont donc
les valeurs d’une démocratie libérale qu’elle entend défendre et
promouvoir. Ainsi, si son préambule souligne le « caractère social et
humanitaire du problème des réfugiés », elle n’est pas une convention
humanitaire. La définition conventionnelle du réfugié, pour être universelle,
est une catégorie construite qui n’a « ni réalité objective ni neutralité »
(Akoka, 2017), mais elle rend compte de choix politiques. Sans doute est-ce
d’ailleurs ce qui explique le qualificatif fréquent de « réfugié politique »
donné à ces réfugiés conventionnels, a priori impropre, puisque les
opinions politiques ne constituent qu’un des cinq motifs ouvrant droit à
cette qualité. Pour autant, la convention ne s’en tient pas à la figure du
« réfugié engagé » ou « dissident » (Tissier, 2016), mais prend en
considération la figure des nouveaux réfugiés du XXe siècle, les « réfugiés
innocents » décrits par Hannah Arendt comme persécutés « non plus
seulement, ni même principalement à cause de ce qu’ils avaient fait ou
pensé, mais parce qu’ils étaient nés pour toujours dans la mauvaise
catégorie de race ou de classe » (L’Impérialisme. Les origines du
totalitarisme II, trad. M. Leiris et H. Frappat, Paris, Points,
« Essais », 2006).
La définition du réfugié, la cessation et l’exclusion de cette qualité à
laquelle la convention ne consacre que son article 1er en constituent pourtant
le véritable cœur. Plus prolixe s’agissant de déterminer le statut qui leur est
offert, elle préserve toutefois la souveraineté des États par son silence sur la
procédure de détermination de cette qualité (la procédure d’éligibilité) ainsi
que sur un droit à l’asile territorial, silence qu’elle tempère toutefois, mais
non sans limite (art. 33-2), par le principe de non-refoulement (art. 33-1).
CHAPITRE II

Les sources régionales

Sans renoncer à la protection conventionnelle de Genève de 1951, qui


reste pour tous l’instrument universel et fondamental de protection des
réfugiés, les États d’Afrique, puis d’Amérique latine, enfin d’Europe ont
éprouvé le besoin de mettre en œuvre, par des instruments régionaux
propres, une protection qui la complète et l’adapte à leurs besoins
spécifiques. La Convention régissant les aspects propres aux problèmes de
réfugiés en Afrique adoptée en 1969 par l’Organisation pour l’unité
africaine (OUA, devenue Union africaine en 2002) a ainsi voulu répondre
aux besoins de protection liés aux luttes pour l’indépendance à l’issue de la
décolonisation, besoins que la convention de Genève ne pouvait satisfaire,
ne serait-ce qu’en raison de la limitation spatio-temporelle qui l’affectait
alors. En dépit de sa portée limitée à la fois juridiquement et
géographiquement, la Déclaration de Carthagène sur les réfugiés adoptée en
1984 par l’Organisation des États américains (OEA) s’efforce pour sa part
de satisfaire aux besoins de protection nés dans les années 1980 des
violations massives des droits de l’homme par les dictatures d’Amérique
latine.
L’ampleur de ces besoins explique l’extension du champ de la
protection qui s’ouvre alors, au-delà de la protection du réfugié de Genève,
à celui qui craint des persécutions fondées sur « une agression, une
occupation extérieure, une domination étrangère ou des événements
troublant gravement l’ordre public dans le pays d’origine » (OUA) ou plus
largement encore, fait état de menaces sur sa vie ou sa liberté résultant
« d’une violence généralisée, d’une agression étrangère, de conflits
internes, de violations massives des droits de l’homme ou d’autres
circonstances ayant perturbé gravement l’ordre public » (OEA).
Parallèlement, le caractère massif de la demande d’asile exige une
procédure de détermination collective, prima facie. Enfin, la priorité est
donnée à l’accueil, d’où l’affirmation ferme du principe de non-
refoulement, qui ne connaît pas d’exception et implique une obligation
positive d’accueil reposant sur la solidarité entre les États et le soutien des
deux organisations régionales. Consacrant l’asile comme un « droit de
l’État » et le concevant comme un « acte humanitaire » et « pacifique », les
conventions africaine et américaine se désintéressent en revanche d’offrir
un statut protecteur aux réfugiés par un catalogue de droits individuels et
s’en tiennent à quelques principes (non-discrimination) ou droits en en
permettant la limitation.
De son côté, l’UE a mis en place un régime européen d’asile qui, sans
se singulariser autant que les précédents par rapport au modèle de Genève,
s’inscrit dans une logique propre.

I. – L’institution d’un régime d’asile européen


commun
1. L’émergence de la question de l’asile. – L’asile est une question
étrangère au traité de Rome qui, en 1957, assignait à la nouvelle
Communauté économique européenne (CEE) des objectifs strictement
économiques. Il entre dans l’agenda européen trente ans plus tard lorsque,
en 1986, la dynamique communautaire conduit à poser dans l’Acte unique
européen le principe de libre circulation des personnes qui induit la
suppression des contrôles aux frontières intérieures. Adoptées en juin 1990,
la Convention d’application des accords de Schengen (CAAS) qui réunit
quelques États membres comme celle de Dublin qui les réunit tous
s’attachent alors à prévenir le double risque de voir se développer des
demandes d’asile successives dans plusieurs États (asylum shopping) ainsi
qu’à l’inverse des demandeurs « sur orbite » à l’issue de renvois successifs
d’un État à l’autre, chacun déclinant sa compétence. L’essor alors sans
précédent de la demande d’asile qui s’élève à 672 000 demandes en 1992
accentue ces risques, tandis que la diversification de son origine – elle n’est
plus essentiellement européenne – et de ses motifs inquiète. Le principe est
alors posé de l’unicité de responsabilité de son traitement par un État
déterminé au cas par cas au vu de critères hiérarchisés et du transfert
ultérieur du demandeur vers cet État responsable, à moins que le premier
État ne préfère le renvoyer à « un pays tiers sûr ». Dans un contexte marqué
par l’arrêt de l’immigration (en France depuis 1974) et les premiers
attentats terroristes, le risque d’afflux d’une immigration irrégulière, de la
criminalité transnationale et du terrorisme international conduit par ailleurs
au renforcement du contrôle aux frontières extérieures par la convention de
Schengen, non sans implication sur l’exercice du droit de demander asile.
Les résolutions et conclusions adoptées à Londres en 1992 par les ministres
chargés de l’immigration dans les États membres appréhendent également
la question de l’asile en lien avec celles de l’immigration et des contrôles
aux frontières dans une logique sécuritaire (doc. 10579/92 IMMIG 2 des
30 nov. et 1er déc. 1992). Sont alors introduits des concepts restrictifs du
droit d’asile, comme ceux de « demande manifestement infondée », de
« pays d’origine sûr » ou encore de « pays tiers sûr » qui, en usage dans
certains États membres et appelés à prospérer ensuite, sont autant
d’instruments rendant compte de la perception de demandeurs d’asile
comme un risque pour la sécurité des États en même temps qu’une charge
ou « un fardeau » à éviter ; l’emploi fréquent du terme de « stock »,
d’ordinaire réservé aux marchandises et non aux personnes, est à cet égard
symbolique. Le traité de Maastricht, qui, en 1992, fait de l’asile « une
question d’intérêt commun », appelant une coopération entre les États
membres par l’adoption de « positions communes » et d’« actions
communes », ne rompt pas avec cette logique.

2. La consécration européenne du droit d’asile. – La « véritable


révolution » (H. Labayle) vient avec le traité d’Amsterdam qui, en 1997,
pose le principe d’un transfert des compétences des États, jusque-là
souverains en la matière, à l’UE, en bref de sa communautarisation qui doit
être progressive (par une phase d’harmonisation de cinq ans précédant
l’adoption de normes communes), différenciée (par des options ouvertes
aux États membres), et partielle. Dans cette UE désormais définie comme
« un espace de liberté, de sécurité et de justice », et fondée sur « les
principes de liberté, de la démocratie, du respect des droits de l’homme et
des libertés fondamentales ainsi que de l’état de droit », principes qui sont
communs aux États membres, le premier Conseil européen, réuni en 1999 à
Tampere pour « définir les orientations stratégiques » de la politique d’asile
en application du traité d’Amsterdam amorce un changement de perspective
et d’approche. Il souligne l’importance que l’UE et ses États membres
attachent au respect absolu du droit de demander l’asile, l’exigence d’une
« application intégrale et globale de la convention de Genève » ainsi que du
principe de non-refoulement, et substitue à l’évocation du « fardeau » de la
demande d’asile un appel à la « solidarité ». La Charte des droits
fondamentaux (CDF), proclamée un an plus tard lors du traité de Nice,
s’inscrit dans la même ligne et franchit un pas décisif en consacrant le droit
d’asile comme un « droit fondamental ». Figurant sous le titre « Liberté »,
son article 18 dispose précisément, sous l’énoncé « droit d’asile », que ce
droit « est garanti dans le respect des règles de la convention de Genève du
28 juillet 1951 et du protocole du 31 janvier 1967 relatifs au statut des
réfugiés. Toutefois, en ajoutant « conformément au traité sur l’Union
européenne et au traité sur le fonctionnement de l’Union européenne », elle
laisse à l’UE le soin d’en définir le cadre dans le respect de la convention.
Alors dépourvue de valeur juridique, son insertion dans le traité de
Lisbonne lui confère en 2007 la force juridique qui s’attache à ce traité.

3. Le déploiement du régime d’asile européen commun (RAEC). –


Substitué à la convention de Dublin, le règlement Dublin II, devenu
Dublin III en 2013, s’applique au-delà des 28 États membres, à la Norvège,
à la Suisse, à l’Islande et au Liechtenstein. Son efficacité s’est vue renforcée
par la mise en place en 2000 d’Eurodac, système automatique permettant
l’identification et le suivi des demandeurs d’asile par la prise de leurs
empreintes digitales. Le RAEC repose sur quatre directives qui rappellent
toutes la place de la convention de Genève, « pierre angulaire » de la
protection internationale. Les trois principales directives, adoptées par
codécision du Conseil et du Parlement, substituent aux normes minimales
retenues dans la phase d’harmonisation des normes communes relatives,
d’une part, à l’accueil des demandeurs d’asile et de leurs familles (directive
dite « accueil » no 2013/33/UE, 26 juin 2013, « DA » dans la suite du texte),
d’autre part, à l’octroi de la protection internationale, laquelle comprend – à
côté de la protection conventionnelle de Genève – une protection dite
« subsidiaire » spécifiquement européenne (directive dite « qualification »
no 2011/95/UE, 13 déc. 2011, « DQ » dans la suite du texte), enfin à la
procédure d’octroi et de retrait de cette protection (directive dite
« procédures » no 2013/33/UE, 26 juin 2013, « DP » dans la suite du texte).
Fruit d’incessants compromis entre les États, ces directives comportent
d’importantes garanties nouvelles, bien qu’elles se caractérisent aussi par la
place qu’elles accordent à des considérations étrangères à la protection,
notamment d’ordre sécuritaire. Au regard de la crise du droit d’asile, les
divers éléments du RAEC font l’objet d’un vaste programme de réforme
lancé par la Commission en mai et juillet 2016 qui devrait notamment
conduire à substituer à ces directives des règlements qui sont donc
d’applicabilité directe, ainsi qu’à renforcer le contrôle de la demande d’asile
sur le sol européen.
Adoptée la première, la directive dite de « protection temporaire » est la
plus spécifique. Tirant les leçons du premier exode massif qu’a connu
l’Europe depuis la guerre avec l’éclatement de l’ex-Yougoslavie dans la
décennie 1990, elle institue un dispositif « exceptionnel » de protection
« immédiate et temporaire » des personnes ayant « fui des zones de conflit
armé ou de violences endémiques », « victimes de violations systématiques
ou généralisées des droits de l’homme », ou encore sur qui « pèsent de
graves menaces en ce sens » et dont le retour est impossible en raison de la
situation régnant dans leur pays, soit un vaste champ d’application qui
évoque celui des conventions africaine et latino-américaine (no 2001/55/CE,
20 juillet 2001). Subordonnée à un afflux massif « réel ou imminent », sa
mise en œuvre relève, sur proposition de la Commission, du Conseil à la
majorité qualifiée. Offerte pour une durée maximale de trois ans, cette
protection consiste en un droit au séjour et au regroupement familial, ainsi
qu’à l’emploi (sous réserve de certaines priorités), à la sécurité sociale, ainsi
qu’à un certain nombre de prestations. La possibilité de déposer une
demande de statut de réfugié est par ailleurs préservée. Les États doivent en
outre faciliter le retour volontaire « dans le respect de la dignité humaine ».
Alors qu’il y avait là un instrument permettant de répondre à l’afflux des
demandes en 2015, la Commission l’a pourtant écarté, au motif que l’afflux
n’était pas massif. À la place, elle a proposé avec succès au Conseil, sur le
fondement de l’article 78, § 3 du TFUE, qui permet l’adoption de mesures
provisoires « dans une situation d’urgence caractérisée par un afflux
soudain de ressortissants de pays tiers », la mise en place d’un mécanisme
de relocalisation des demandes au profit de la Grèce et de l’Italie, que la
CJUE a validée au vu notamment de la situation d’urgence caractérisée et
de l’afflux massif de l’été 2015 (GC, Hongrie et Pologne c. UE, 2017).
Au-delà de ces instruments juridiques, l’UE intervient par
l’intermédiaire, d’une part, de son Bureau européen d’asile installé à Malte,
qui est chargé de la coordination européenne et, à ce titre, coopère avec les
États (en France, avec l’OFPRA) ainsi qu’avec le HCR, d’autre part, de
l’agence Frontex, instrument opérationnel basé à Varsovie. Enfin, alors
qu’un fonds spécial – le Fonds européen pour les réfugiés (FER) – avait été
institué pour assurer le financement de la politique d’asile, il est désormais
remplacé par le Fonds Asile, migration et intégration (FAMI) qui contribue
notamment au financement des opérations de relocalisation mais ne prend
donc plus en compte les seuls besoins d’asile.

II. – Le droit européen des droits de l’homme


L’élaboration de la convention de Genève qui, au-delà de son caractère
international, a d’abord été un instrument européen, explique le silence
gardé en matière d’asile par les textes fondateurs de l’Europe des droits de
l’homme. Ni le statut du Conseil de l’Europe (1949), qui scelle pourtant la
volonté des États parties de construire une Europe fondée sur « les droits de
l’homme, la prééminence du droit et la démocratie », ni son instrument
essentiel de protection qu’est la Convention européenne des droits de
l’homme du 4 novembre 1950 n’évoquent la question de l’asile. Le Conseil
de l’Europe, qui réunit aujourd’hui 47 États, n’en est toutefois pas resté là.
Son Assemblée parlementaire exprime avec constance sa volonté politique
de voir les États parties mettre en place dans un esprit de solidarité une
réelle protection de ceux qui sollicitent l’asile, tandis que la Cour
européenne des droits de l’homme a dévoilé peu à peu les potentialités de la
Convention européenne en la matière. Par ailleurs, la CDF, du fait
notamment de la consécration du droit d’asile, a ouvert à la Cour de justice
de l’UE des perspectives nouvelles et en fait un acteur de premier plan dans
la définition du régime européen d’asile.

1. La convergence des droits européens des droits de l’homme. – Le


« fonds commun européen » est particulièrement riche et l’énoncé voisin
des droits de l’homme dans la Convention européenne et dans la CDF
conduit naturellement les deux cours, de Strasbourg et de Luxembourg, bien
que saisies dans des conditions différentes, à interpréter la condition des
demandeurs d’asile et des réfugiés à l’aune de ces droits. Sous la bannière
de la dignité humaine qui figure à l’article 1 de la CDF, dont elle constitue
l’un des piliers et qui sous-tend aussi dans la CEDH l’interdiction de la
torture et des traitements ou peines inhumains ou dégradants (art. 3), de
l’esclavage et du travail forcé (art. 4), les deux textes et les protocoles de la
Convention européenne consacrent les mêmes droits : le droit à la vie et la
prohibition de la peine de mort, l’interdiction de la torture et des peines ou
traitements inhumains ou dégradants, le droit à la liberté et à la sûreté, le
droit au respect de la vie privée ou familiale, le droit au recours effectif ou
encore l’interdiction des expulsions collectives.
Privilégiant une interprétation téléologique et évolutive de la
Convention européenne « à la lumière des conditions d’aujourd’hui »
(Marckx c. Belgique, 1979) pour en faire « un instrument vivant » (Tyrer
c. RU, 1978), « en accord avec les principes du droit international »
(Soering c. RU, 1989) issus d’autres instruments, la Cour européenne
entend donner pleine effectivité aux droits qu’elle consacre par une
interprétation féconde la conduisant notamment à tirer de la Convention des
obligations positives à la charge des États. De son côté, la cour de
Luxembourg prend acte, comme le prévoit le traité de l’UE, « des droits
fondamentaux tels qu’ils sont garantis par la Convention européenne […] et
tels qu’ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux États
membres, en tant que principes généraux » (art. 6-3 du TUE). À ces
références, le préambule de la charte ajoute encore les droits résultant « des
obligations communes aux États membres […], des chartes sociales
adoptées par l’Union et par le Conseil de l’Europe ainsi que de la
jurisprudence et de la CJUE et de la CEDH ». De leur côté, les directives
sur l’asile rappellent les obligations auxquelles les États membres sont
tenus par « les instruments internationaux des droits de l’homme et qui
interdisent les discriminations » ainsi que l’« intérêt supérieur de l’enfant »
érigé en 1989 en considération primordiale par la Convention internationale
des droits de l’enfant (CIDE). C’est assez dire que le droit européen se
nourrit d’influences diverses dont rendent compte les jurisprudences des
deux cours en matière d’asile.

2. La portée indirecte de la Convention européenne en matière


d’asile. – La cour de Strasbourg contribue de la manière la plus
remarquable à la protection des demandeurs d’asile et des réfugiés, et plus
largement d’ailleurs des étrangers, par les garanties qu’elle leur offre contre
l’éloignement qui leur confèrent une sorte d’asile de fait.
Refusant que les États se délient de leurs obligations en pratiquant une
politique de double standard sur leur territoire et en dehors (CEDH, Soering
c. RU, 1989), la Cour donne à la convention une portée extraterritoriale.
Avec la « protection par ricochet », elle interdit aux États parties de prendre
des mesures d’éloignement risquant d’exposer, dans le pays de renvoi, un
étranger à un risque de violation d’un droit consacré par la convention.
C’est en particulier le cas des droits dits « indérogeables » comme le droit à
la vie (art. 2), l’interdiction de la torture et des traitements ou peines
inhumains ou dégradants (art. 3) et de l’esclavage, la servitude et le travail
forcé (art. 4), voire du droit au procès équitable (art. 6) en cas de risque de
déni de justice dans le pays de renvoi (Othman c. RU, 2012). Cette
interdiction vaut quel que soit le pays de renvoi (pays d’origine, pays tiers,
pays d’un État partie à la convention ou même un État membre de l’UE qui
pourtant bénéficie d’une présomption de sûreté). Cette protection « par
ricochet » a reçu un écho direct dans la CDF de l’UE qui prohibe
expressément tout éloignement, expulsion ou extradition exposant à la
torture, à des peines ou à des traitements inhumains ou dégradants (art. 19-
2).
À cet effet extraterritorial, la Cour ajoute la possibilité d’une application
extraterritoriale de la convention dans « certaines circonstances
exceptionnelles », précisément lorsque des actes sont accomplis à l’étranger
par des agents d’un État partie qui exercent « un pouvoir et un contrôle
physique sur les personnes ». C’est ainsi qu’elle a été conduite à
sanctionner les violations de la convention lors d’interceptions en mer et a
condamné l’Italie pour l’interception en haute mer par un navire militaire
d’embarcations venues de Libye et le refoulement immédiat vers ce pays
des deux cents ressortissants somaliens et érythréens qui se trouvaient à son
bord, les y exposant, au regard de la situation qui y prévalait, à des
traitements contraires à l’article 3 (Hirsi Jamaa c. Italie, 2012). La
protection offerte est d’autant plus remarquable qu’elle est absolue lorsque
sont en cause des droits indérogeables et constitue donc une garantie plus
solide que le principe de non-refoulement de la convention de Genève qui
est assorti de limites et, de surcroît, fait l’objet de la part de certains États
d’une interprétation restrictive ; ainsi les États-Unis (CSUS, Sale c. Haitian
Centers Council, 1993) ou l’Australie lui dénient toute portée en haute mer.
La protection de la Convention européenne s’exprime enfin par la
procédure de mesures provisoires instituée de son propre chef par la Cour,
et qui lui permet, à la demande d’un étranger faisant l’objet d’une mesure
de renvoi, d’enjoindre à l’État qui en est l’auteur de ne pas procéder à son
exécution si ce renvoi est susceptible d’avoir des « conséquences
potentiellement irréparables », en l’exposant notamment à des traitements
contraires à l’article 3 de la convention (Mamatkulov et Askarov c. Turquie,
2005).

3. La configuration du droit d’asile européen par les cours


européennes. – La consécration expresse du droit d’asile par l’article 18 de
la CDF et la production d’un substantiel droit dérivé expliquent le rôle
principal et croissant de la CJUE dans sa configuration, mais aussi dans
l’interprétation de la convention de Genève puisque le droit d’asile que
l’UE dessine doit la respecter. La cour de Strasbourg entend aussi jouer un
rôle, car si elle relève que « ni la convention ni ses protocoles ne consacrent
le droit à l’asile politique » (Amuur c. France, 1996), elle juge toutefois
qu’il « lui appartient d’évaluer l’effectivité des procédures nationales et [de]
s’assurer que ces procédures fonctionnent dans le respect des droits de
l’homme » (MSS c. Belgique et Grèce, 2011).
Les deux cours se sont ainsi prononcées sur les transferts des
demandeurs d’asile opérés en application du règlement Dublin II vers l’État
membre désigné comme responsable de son traitement, donnant à cet égard
un exemple du « dialogue des juges » ; la cour de Luxembourg saisie la
première (N.S. c. SSHD & ME et alii, 2011, C-411/10 & C-493/10) a
préféré laisser la cour de Strasbourg saisie de la même question statuer
avant elle (GC, MSS c. Belgique et Grèce, 2011). Elles se sont en outre
exprimées sur l’application du règlement Dublin aux mineurs et sur
l’appréciation des liens familiaux (CJUE, MA, BT, DA c. SSHD, 2013, C-
648/11), et plus largement sur les délais des recours (CJUE, Diouf
c. Luxembourg, 2011, C-69/10 ; CJUE, HID et BA c. Irlande, 2013, C-
75/11), le caractère effectif des recours pouvant exiger son caractère
suspensif (CEDH, Gebremdhin c. France, 2007 ; CEDH, MSS c. Belgique
et Grèce, 2011 ; CJUE, GC, Gnandi c. Belgique, 2018, C-181/16), les
conditions d’accueil des demandeurs (CEDH, MSS c. Belgique et Grèce,
2011 ; CJUE, Cimade & Gisti c. min. Intérieur, 2012, C-179/11) et
notamment les conditions de privation de liberté dans les zones d’attente à
la frontière (CEDH, Ammur c. France, 1996) ou dans les centres de
rétention (CEDH, Popov c. France, 2012 ; CJUE, Cimade & Gisti, c. min.
Intérieur, 2012, C-179/11) en portant une attention particulière aux mineurs
non accompagnés sans toutefois exclure le principe d’une telle privation de
liberté. S’il arrive à la cour de Strasbourg de se prononcer sur certaines
notions de fond comme celle d’asile interne (CEDH, AA c. France, 2015),
c’est à la CJUE qu’il revient de préciser les conditions d’octroi de la
protection internationale définies par le droit de l’UE telles que le motif
religieux de craintes de persécution (GC, Allemagne c. Y. et Z., 2012, C-
71/11 et C-99/11) ou celui d’appartenance à un certain groupe social
(CJUE, A., B. et C. c. Pays-Bas, 2014, C-148/13 à C-150/13), ou encore les
conditions d’octroi de la protection subsidiaire à des civils en cas de conflit
armé (GC, Elgafaji c. Pays-Bas, 2009 ; Diakité c. Belgique, 2014, C-
465/07). Elle a de même explicité les conditions d’application des clauses
de cessation de la protection (GC, Abdulla c. République d’Allemagne,
2010, C-175/08) ou d’exclusion de la protection pour « crimes graves de
droit commun » (GC, Allemagne c. B et D., 2010, C-57/09 et C-101/09), ou
s’agissant de celle des ressortissants palestiniens relevant de la protection
de l’UNRWA (GC, Bolbol c. Hongrie, 2010, C-31/09 ; GC, El Kott, 2012,
C-364/11).Les références communes des deux cours aux droits de l’homme,
si elles constituent un facteur de convergence entre elles, n’excluent
toutefois pas leur autonomie mutuelle d’interprétation. À cet égard, la
CJUE a souligné la logique institutionnelle et systémique qui guide son
interprétation de la DQ, laquelle « doit être effectuée à la lumière de son
économie générale et de sa finalité ». En bref, il s’agit pour elle de garantir
la cohésion du système d’asile européen, c’est-à-dire le respect des règles
communes d’asile et leur efficacité ; ce système d’asile est un « élément
constitutif de l’objectif de l’Union visant à mettre en place un espace de
liberté, de sécurité et de justice » ouvert « à ceux qui recherchent
légitimement une protection » (DQ, point 1).
CHAPITRE III

Les sources nationales

Longtemps conçu comme une prérogative strictement régalienne,


exclusive et discrétionnaire, l’asile n’a pas été encadré par le droit. Mis à
part l’exception française de 1793, tout au plus peut-on évoquer les limites
posées par les législations de certains États en matière d’extradition, comme
la loi belge de 1830 ou celle, française, de 1927, mais il n’en résulte pas à
proprement parler un droit d’asile. Il faut attendre la seconde moitié du
e
XX siècle pour voir le droit d’asile pris en compte dans les droits nationaux
et des dispositifs institués pour en assurer la mise en œuvre.

I. – L’encadrement national du droit d’asile


Certaines constitutions consacrent le droit d’asile mais l’encadrement de
son exercice relève de la loi.

1. La consécration constitutionnelle du droit d’asile. La France de la


Révolution s’est forgé une réputation de terre d’asile en proclamant par
l’article 120 de la Constitution montagnarde du 24 juin 1793 que le peuple
français « donne asile aux étrangers bannis de leur patrie pour la cause de la
liberté. Il le refuse aux tyrans ». Elle consacre par là non pas un droit à
l’asile mais un devoir de la République ; un devoir politique fondé sur les
valeurs de liberté que prône la Révolution et qui explique son caractère
discriminatoire : les « tyrans » en sont exclus. Elle ne sera pas appliquée et
ce n’est que beaucoup plus tard, après-guerre, avec le mouvement de
constitutionnalisation qui a parcouru l’Europe dans le cadre d’une
refondation politique des États sur des valeurs démocratiques, que l’asile a
finalement repris place en France dans la Constitution comme dans les
nouvelles Constitutions de l’Allemagne (RFA) et de l’Italie, ou à la fin des
années 1970 celles, espagnole et portugaise, qui mettent un terme au
franquisme et au salazarisme, ou encore celles des pays d’Europe centrale
et orientale après la dislocation de l’URSS. Le droit d’asile proclamé est
pratiquement toujours conçu comme un droit subjectif de l’étranger,
opposable à l’État d’accueil, un droit à l’asile généreusement appréhendé
comme le montrent les exemples de l’Italie ou de l’Allemagne, laquelle
consacre un « grand asile, un « petit asile » lié à la reconnaissance de la
qualité de réfugié de Genève, enfin un « asile humanitaire » pour des motifs
faisant obstacle au refoulement. Si la France pour sa part reste dans la
logique républicaine de la Constitution montagnarde, en posant par
l’alinéa 4 du préambule de la Constitution du 4 octobre 1946 le principe
selon lequel « tout homme persécuté pour son action en faveur de la liberté
a droit d’asile sur le territoire de la République », qui prend place en tête
des « principes fondamentaux reconnus par les lois de la République », il
s’agit là d’un droit reconnu à ces combattants et non plus d’un simple
devoir de l’État à leur égard.
La générosité des énoncés constitutionnels s’est toutefois vue tempérée.
En France, le Conseil d’État et le Conseil constitutionnel ont renvoyé la
mise en œuvre du droit constitutionnel d’asile consacré par ce préambule à
la loi et aux conventions internationales, au prétexte du caractère vague et
imprécis de son énoncé rendant ce droit inapplicable en l’état (CE,
27 sept. 1985, France terre d’asile ; 86-216 DC, 3 sept. 1986). En
Allemagne, l’afflux exceptionnel de réfugiés a conduit à une révision de la
Constitution en 1993 pour réduire le champ du « grand asile » par
l’introduction de la notion de « pays sûr ». Plus généralement, la portée
pratique des dispositions constitutionnelles dépend des contrôles
juridictionnels à même d’en imposer le respect. En France, le contrôle de
constitutionnalité des lois donna l’occasion au Conseil constitutionnel de
redonner vie à l’alinéa 4 du préambule en élargissant sa portée au-delà du
cercle des combattants de la liberté, pour en faire un principe générique de
valeur constitutionnelle et déduire alors de ce « droit fondamental » d’asile,
d’une part, le droit absolu de tout demandeur d’asile (entendu comme
demandeur de la qualité de réfugié) de demander asile, d’autre part, un droit
au séjour provisoire le temps du traitement de cette demande pouvant
toutefois être assorti d’exceptions (93-325 DC, 13 août 1993). Le
gouvernement s’éleva contre cette décision au motif que, mettant à la
charge de l’État l’obligation d’examiner toute demande d’asile, elle
entravait la mise en œuvre des conventions de Schengen et Dublin qui
déterminent les conditions de traitement des demandes par les États. La
révision de la Constitution qui s’ensuivit le 25 novembre 1993 neutralisa
pour la première fois sous la Ve République la portée d’une décision
constitutionnelle par l’introduction d’un nouvel article 53-1 qui substitua à
l’obligation d’examen de toute demande d’asile une simple possibilité d’un
tel examen en cas d’engagements européens en la matière, possibilité
constituant alors une réserve de souveraineté. Le contrôle de
constitutionnalité des lois relatives à l’asile n’a pas pour autant faibli en
amont puisque les lois en matière d’asile sont quasi systématiquement
déférées au Conseil constitutionnel, ainsi qu’en aval dans le cadre de
questions prioritaires de constitutionnalité, sans pour autant que la fermeté
du contrôle invite à y voir une réelle garantie du droit d’asile.
2. L’encadrement législatif du droit d’asile. – Les lois qui encadrent
le droit d’asile sont de portée différente. Très souvent, et alors même que la
Constitution a pu les charger de mettre en œuvre le droit d’asile, des lois
renvoient expressément à la convention de Genève comme au Portugal
(en 1993) ou en Espagne (en 1994), ou indirectement, comme en France la
loi du 25 juillet 1952 qui a mis en place les deux autorités chargées
d’accorder l’asile à titre principal sur son fondement. Plus tardivement, des
lois ont mis en place des régimes nationaux d’asile spécifique, répondant en
cela à l’invitation du constituant de mettre en œuvre le droit d’asile, ce que
l’Espagne fit dès 1984, l’Italie en 1990 par la loi Martelli, et la France
seulement en 1998 par la première loi relative « au droit d’asile ».
Soucieuse de renouer avec l’« asile constitutionnel » en partie neutralisé par
la révision de 1993, cette loi en fit un nouveau fondement de la qualité de
réfugié, ces réfugiés constitutionnels bénéficiant alors de la même
protection de la convention de Genève que celle qui est offerte aux réfugiés
conventionnels. C’est assez dire le jeu de miroirs entre le droit de l’asile
constitutionnel et celui de l’asile conventionnel affectant leur autonomie
respective, et dont la complexité s’accroît au vu de la place variable donnée
aux engagements internationaux dans les ordres juridiques internes. Ainsi,
la convention de Genève a rang constitutionnel en Autriche ou encore aux
Pays-Bas. Elle se situe entre la Constitution et la loi en France, en Espagne,
en Grèce, et peut avoir simple valeur législative (Allemagne, Italie,
Danemark). Parallèlement, la loi française du 11 mai 1998 avait instauré un
second régime spécifique d’« asile territorial » ouvert à tout demandeur se
prévalant dans son pays d’origine de menaces pour sa vie ou sa liberté ou
d’exposition à des traitements contraires à l’article 3 de la CEDH, et dont
l’octroi relevait de la compétence discrétionnaire du ministre de l’Intérieur.
Remplacé en 2004 par la protection subsidiaire instituée par le droit de
l’UE, cet asile était voisin des permis de séjour pour motif humanitaire
institués notamment au Danemark, en Espagne, en Allemagne, ou en Italie
en 1992 (pour les ressortissants de l’ex-Yougoslavie et la Somalie), formule
qui trouve à s’appliquer aujourd’hui notamment aux Syriens.
L’encadrement législatif, réduit à peu pendant très longtemps, connaît
un véritable essor depuis les années 1990 en lien direct avec l’expansion de
la demande d’asile. Les lois se multiplient à un rythme de plus en plus
accéléré nuisant évidemment à la qualité qui est attendue de la loi. Ainsi en
France, alors que la loi de 1952 a encadré le droit d’asile pendant quarante
ans, quatre lois en 1993, 1998, 2003, 2015 ont profondément transformé ce
cadre, suivies de deux autres, adoptées à six mois d’intervalle en 2018, la
loi du 20 mars 2018 « permettant une bonne application de régime d’asile
européen » suivie de celle de la loi du 10 septembre 2018 « pour une
immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie »,
tandis que le droit des étrangers, non sans impact sur l’asile, a fait pour sa
part l’objet de 28 lois entre 1980 et 2018. Contrastant avec la stabilité de la
convention de Genève, la loi évolue au cœur d’un intense débat politique,
au fil des alternances et des surenchères, et devient versatile, brouillonne et
inintelligible quand bien même ses dispositions ont été codifiées dans le
Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (abrégé en
Ceseda dans la suite du texte). Au-delà de cet « affolement » législatif que
l’on observe dans tous les États, la « crise de l’asile » est, plus gravement
encore, prétexte à une réduction drastique de la protection, en particulier en
Italie par la suppression de la protection humanitaire qui représentait les
deux tiers des protections offertes (D-L du 28 nov. 2018 sur la sécurité et
l’immigration), ou encore en Hongrie par la détention systématique des
demandeurs d’asile (loi du 7 mars 2017).

II. – L’architecture du système français d’asile


1. La pluralité des autorités. – La convention de Genève préserve la
souveraineté des États, notamment en leur laissant pleine compétence pour
déterminer quelles sont les autorités chargées de son application. Loin
d’être une question administrative, le choix de la France, par la loi du
25 juillet 1952 relative à l’OFPRA, fut d’abord un choix politique, dont
témoignent les vifs débats parlementaires qui virent s’opposer, d’un côté,
les défenseurs d’une autorité internationale dont l’indépendance
apparaissait essentielle au vu de la « trahison » du bureau des apatrides de
Vichy, lequel avait remis à l’Allemagne nazie nombre de juifs allemands et
républicains espagnols venus chercher asile en France, de l’autre, les
partisans d’une autorité nationale qui dénonçaient le laxisme dont aurait fait
preuve après-guerre l’OIR et mettaient en avant la spécificité de la charge
d’état civil à assurer. Un compromis politique fut trouvé dans l’institution
d’un dispositif à double étage comprenant un établissement public
administratif, l’OFPRA, chargé de statuer sur les demandes d’asile, et la
Commission des recours des réfugiés (CRR), Commission appelée à
connaître des recours formés contre les décisions de l’Office comprenant en
son sein un représentant du HCR. Outre ces autorités dévolues au droit
d’asile, les autorités administratives chargées plus généralement des
étrangers – ministre de l’Intérieur, préfectures, Office français
d’immigration et d’intégration (OFII) – se voient accorder un rôle croissant
qui, s’agissant des premiers, rend compte de l’importance prise par les
considérations de police et de sécurité dans le droit de l’asile. Le système de
l’asile repose en outre sur de nombreux autres acteurs (ONG, associations)
qui assurent une véritable mission de service public par l’assistance offerte
aux demandeurs d’asile et aux réfugiés et, au-delà, par l’expertise apportée
tant au sein d’instances de protection et promotion des droits de l’homme,
comme notamment la Commission nationale consultative de droits de
l’homme (CNCDH), qu’aux juridictions par leurs recours ou interventions
en soutien.
2. L’Office français de protection des réfugiés et des apatrides. –
L’OFPRA exerce une triple mission. D’une part, il décide, après
instruction, de l’octroi, de la cessation ou du retrait de la protection
internationale (qualité de réfugié ou protection subsidiaire) ainsi que de la
qualité d’apatride (en application de la convention de New York du
28 septembre 1954 relative au statut des apatrides). D’autre part, il assure
leur protection juridique et administrative notamment par la délivrance
d’actes administratifs, dont les actes d’état civil. Enfin il donne, à la
frontière, un avis au ministre de l’Intérieur sur le caractère non
manifestement infondé des demandes d’asile qui est une des conditions
posées à l’entrée d’un demandeur d’asile sur le territoire. Il exerce
désormais de plus en plus souvent des missions sur place en France (Calais,
Grande-Synthe, frontière italienne, outre-mer) et à l’étranger dans le cadre
notamment des opérations de relocalisation ou de réinstallation. L’OFPRA
est également chargé d’étudier et de proposer au gouvernement toutes
mesures propres à améliorer le sort des réfugiés et son propre
fonctionnement. Le principe de confidentialité des données personnelles des
demandeurs comme celui d’inviolabilité des locaux et des archives de
l’OFPRA sont autant de garanties du droit d’asile.
Établissement public administratif placé en 1952 sous la tutelle du
ministre des Affaires étrangères, et désormais, depuis 2007, sous celle du
ministre de l’Intérieur, l’Office est géré par un directeur général nommé
pour un mandat de trois ans renouvelable par décret sur proposition
conjointe des deux ministres de l’Intérieur et des Affaires étrangères. Toutes
les décisions de l’Office sont prises « sous sa responsabilité ». Un conseil
d’administration fixe les orientations générales de son activité, délibère sur
les modalités de mise en œuvre de l’octroi de la protection internationale, et
de façon plus spécifique fixe la liste des pays dits « d’origine sûrs ». Son
président est nommé par décret également sur proposition du ministre de
l’Intérieur parmi les dix-sept membres nommés pour un mandat de trois ans
renouvelable qui le composent (dix représentants de l’État, six
parlementaires et un représentant du personnel de l’Office). Des
personnalités qualifiées ainsi que le représentant du HCR en France sont
adjoints au conseil, mais sauf exception sans voix délibérative. Les moyens,
tant humains que financiers, de l’Office sont régulièrement renforcés afin
de faire face à l’afflux des demandes. Son rapport annuel d’activité, qui est
publié, fait état, en 2017 et 2018, respectivement de 73 800 et 113 000
primo-demandes, et de 115 000 et 122 000 décisions dont 27 % positives
pour ces deux années.

3. La Cour nationale du droit d’asile (CNDA). – Juridiction


spécialisée dans le contentieux de l’asile, la CNDA a pris la suite en 2008
de la Commission des recours des réfugiés. Elle statue sur les recours
formés contre les décisions de refus, de retrait ou de cessation de la
protection internationale de l’office. Juge de plein contentieux, elle en
examine le bien-fondé à la date où elle statue mais n’en apprécie pas la
légalité, sauf si le demandeur a été privé d’une garantie essentielle du droit
d’asile, comme le droit d’être entendu (CE, 3 oct. 2012, no 354995) ou celui
de se faire comprendre pour défaut d’interprétariat lors de l’entretien à
l’OFPRA (CE, 22 juin 2017, no 400366), auxquels cas la décision est
annulée et l’affaire renvoyée à l’OFPRA. Elle exerce par ailleurs une
fonction consultative marginale par les avis qu’elle donne, dans le cadre de
recours suspensifs formés par les réfugiés, sur le maintien ou l’annulation
de mesures prises par le ministre de l’Intérieur à l’encontre de ces derniers
(refus de séjour, assignation à résidence, expulsion…) ; ces avis, qui
doivent être motivés, ne lient toutefois pas le ministre.
La Cour est placée « sous l’autorité » d’un président qui est un
conseiller d’État nommé par décret pour un mandat de cinq ans
renouvelable, sur désignation du vice-président du Conseil d’État. Elle est
rattachée pour sa gestion administrative et financière au Conseil d’État. Les
formations de jugement ont un caractère tripartite : un magistrat
administratif, judiciaire ou financier préside chacune d’elles au côté de deux
juges assesseurs qui sont des « personnalités qualifiées ». L’une est nommée
par le HCR sur avis conforme du vice-président du Conseil d’État, l’autre
par le vice-président du Conseil d’État sur proposition de l’un des ministres
représentés au conseil d’administration de l’OFPRA. Le président de la
Cour désigne les rapporteurs chargés d’instruire les demandes et de
présenter sur chacune d’elles un rapport devant la formation de jugement en
faisant le point sur la situation du requérant et les éléments de droit et de
fait propres à éclairer le débat. Ces rapporteurs ne proposent pas de décision
et n’ont pas voix au délibéré. La Cour statue en principe en formation
collégiale, mais en pratique de plus en plus souvent par voie d’ordonnances
(en cas de désistements, d’incompétence, de non-lieux à statuer ou de
recours manifestement irrecevables, mais aussi et surtout – 26 % des
décisions en 2017 – en l’absence d’éléments sérieux), ces ordonnances à
juge unique qui représentent 54 % des décisions prises en 2017 rompent
avec le compromis politique de 1952, puisque le HCR est alors exclu de la
décision. Les affaires présentant une difficulté de jugement ou soulevant
des questions de principe peuvent être renvoyées à tout moment de la
procédure à une « grande formation », qui réunit trois formations de
jugement, ou solliciter l’avis du Conseil d’État. La cour statue en premier
ressort (ce qui rend impropre l’évocation d’un « appel » devant elle) et en
dernier ressort. Ses décisions sont donc susceptibles seulement de pourvois
en cassation, qui doivent être portés devant le Conseil d’État. Si celui-ci
casse la décision de la CNDA, il peut évoquer l’affaire pour statuer au fond
(ce qu’il fait souvent) ou la renvoyer à la Cour. D’autres juges sont
susceptibles d’intervenir dans le contentieux devant la Cour : la CJUE
saisie d’une question préjudicielle d’interprétation ou d’appréciation de
validité du droit de l’UE, le Conseil constitutionnel par transmission d’une
question prioritaire de constitutionnalité concernant une disposition
législative, ou encore le juge judiciaire pour déterminer la nationalité d’un
demandeur. Par ailleurs, une part du contentieux de l’asile relève d’autres
juges : le juge administratif de droit commun appelé à statuer souvent en
référé sur la légalité d’un certain nombre de décisions administratives
(comme un refus d’entrer sur le territoire ou d’enregistrement d’une
demande en préfecture, une assignation à résidence, un placement en zone
d’attente ou en rétention, une mesure d’éloignement ou encore l’inscription
d’un pays dans la liste des pays d’origine sûrs), le juge judiciaire (pour le
maintien d’un demandeur d’asile en zone d’attente ou la prolongation d’un
placement en rétention, ou encore une question de nationalité), enfin la
Cour européenne des droits de l’homme sur recours de l’intéressé après
épuisement des voies de recours internes.
Par le nombre des recours portés devant elle et des décisions qu’elle
rend, la CNDA est la première juridiction administrative française. Selon
son rapport annuel d’activité, elle a ainsi été saisie en 2017 et 2018
respectivement de 53 581 et 58 671 recours (il faut rappeler qu’en 1990 on
en dénombrait déjà plus de 50 000) et a pris, dans ces mêmes années, 7 776
et 8 717 décisions positives, soit un taux d’octroi de 24,5 % et 18,9 %, et un
même taux global (OFPRA et CNDA) de 36 % pour chacune de ces deux
années.
DEUXIÈME PARTIE

LA DÉCLINAISON DU DROIT
D’ASILE
De manière classique, et c’est là une modalité de l’exercice de leur
souveraineté sur leur territoire, les États peuvent décider d’accorder l’asile à
des étrangers qui ne remplissent pas les conditions légalement requises pour
y séjourner. De pratique constante, ainsi qu’en témoigne l’asile offert à
Hugo Grotius dans la France d’Ancien Régime, à l’Américain Thomas
Paine et l’Allemand Anacharsis Cloots (tous deux élus à la Convention
en 1792) dans celle de la Révolution, enfin aux XIXe et XXe siècles à
d’anciens chefs d’État comme le shah d’Iran, à des dictateurs déchus
comme Duvalier en Haïti, ou à des opposants politiques notoires (comme
l’ayatollah Khomeiny), cette prérogative d’asile s’exerce individuellement
mais aussi collectivement en faveur de groupes de personnes. L’accueil des
Polonais, dont Chopin, sous la monarchie de Juillet l’atteste, comme, plus
récemment, les mesures de régularisation prises en faveur de personnes
victimes de situations de guerre (ressortissants libanais entre 1975 et 1980,
victimes de la guerre en ex-Yougoslavie à partir de 1992, etc.). Cet asile
gracieux, dit encore « régalien », est une faveur qu’aucune règle
internationale n’encadre et dont l’octroi discrétionnaire répond à des
considérations diverses d’ordre politique, diplomatique, humanitaire…
« Part obscure » de l’asile, il constitue une réserve de souveraineté que
rappellent expressément certains textes comme la Constitution de 1958 en
son article 53-1 ou les conventions de Schengen et de Dublin de 1990.
Cet asile gracieux peut aussi être accordé par un État hors de son
territoire dans des locaux abritant des fonctions étatiques, tels que les
locaux diplomatiques ou les navires de guerre. Le principe du droit
international coutumier d’inviolabilité qui s’y attache et que consacrent
diverses conventions internationales constitue une protection pour ceux qui
s’y rendent. L’asile diplomatique, traditionnel en Amérique latine et dont la
pratique peut s’observer ailleurs comme lors de la guerre civile d’Espagne
ou dans la protection offerte depuis 2012 par l’Équateur à Julian Assange
dans son ambassade à Londres, protège son bénéficiaire de toute extraction
des locaux diplomatiques par les autorités de l’État où ces locaux se
trouvent ou de sa remise à ces autorités. Mais, outre que cet asile est
« offert » et ne constitue donc pas un droit pour son bénéficiaire, il
n’emporte pas protection hors de ces locaux. L’État accréditaire n’est pas
tenu de délivrer un sauf-conduit à celui qui en bénéficie pour quitter le pays
à l’abri de tout risque d’arrestation (CIJ, 27 nov. 1950 et 13 juin 1951, Haya
de la Torre). L’asile naval, qui peut être accordé en cas d’urgence à des
personnes en quête d’asile par le commandant de bord d’un navire de
guerre ou assurant une mission étatique, présente le même caractère
discrétionnaire. Le droit international de la mer consacre toutefois
l’obligation de protéger des naufragés tandis qu’il ressort du droit
international des droits de l’homme un devoir de secourir les migrants en
détresse en mer, voire du droit international des réfugiés un devoir de
protéger parmi eux ceux qui veulent solliciter l’asile.
Au-delà de cette faculté d’asile, le droit d’asile se décline, outre la
protection temporaire déjà évoquée et transposée en droit interne (Ceseda,
L.811-1 sq.), dans la protection instituée par la convention de Genève et
dans celle dite « subsidiaire » instituée en 2004 par la directive
qualification, dont les champs et le contenu sont distincts.
CHAPITRE PREMIER

Le champ de la protection

Alors que des conditions sont posées à l’octroi de chacune des deux
protections, le taux d’octroi de la protection accordée dans les États
membres connaît de très fortes disparités, qui plus est pour des demandeurs
de même nationalité, ce qui explique, au regard de cette « loterie de
l’asile », l’intérêt des demandeurs à voir leur demande traitée ici plutôt que
là. Ainsi, la chance d’obtenir une protection en Italie pour un Irakien ou un
Afghan en 2018 est respectivement de 92 % et 98 %, et 12 % à 24 % en
Bulgarie (Forum réfugiés, 5 février 2019). Les seules divergences
d’interprétation des conditions d’octroi de ces protections ne paraissent pas
suffisantes pour expliquer de telles disparités, d’autant que le HCR, par sa
« doctrine », et l’UE, par la directive « Qualification » (DQ) et la
jurisprudence de la Cour de justice, s’attachent à en donner une
interprétation harmonisée. Il est difficile dès lors de ne pas souscrire à la
prise en compte d’autres « considérations politiques et diplomatiques pesant
souvent plus lourd que l’appréciation objective des risques de persécution »
(Lochak, 2018, p. 842 sq.).
La part croissante prise par la protection subsidiaire aux dépens du
statut de réfugié doit aussi interroger. Ainsi, en 2017, le statut de réfugié
reste majoritaire dans l’UE (50 %) mais perd du terrain au profit de la
protection subsidiaire, qui représente 37 % de la protection offerte ; les
14 % restants relèvent de la protection nationale (autorisations de séjour à
titre humanitaire) – une protection nationale qui, en Italie, est plus
importante (20 000 décisions) que les deux protections internationales
(15 100). La progression de la protection subsidiaire est particulièrement
remarquable dans des pays comme la France qui, à la différence des pays
d’Europe du Nord, ne connaissaient que le statut de réfugié. Ainsi, selon les
rapports d’activité de l’OFPRA, la protection subsidiaire est passée en
France de 22 % en 2015 à 37 % en 2016, puis à 47 % en 2017 de
l’ensemble des décisions prises par l’OFPRA et la CNDA. Cette évolution
est largement le fait de l’OFPRA, dont le nombre des protections
subsidiaires accordées (10 914) se rapproche de plus en plus de celui des
protections conventionnelles (12 979), alors que, devant la CNDA, la
protection subsidiaire (2 530) reste inférieure de moitié à la protection
conventionnelle (5 246). Ce glissement, discret mais réel, de la protection
conventionnelle en France à la protection subsidiaire peut apparaître comme
un contournement de la convention de Genève dont les conditions d’octroi
tendent pourtant à s’assouplir. Il est d’autant plus préoccupant que la
réduction progressive du champ de la protection est plus accusée s’agissant
de la protection subsidiaire.

I. – L’octroi de la protection
1. La diversité des protections. – Le demandeur d’asile qui présente
une demande en France ne doit pas préciser le type de protection qu’il
sollicite. La charge en revient à l’OFPRA qui doit examiner sa demande,
d’abord au regard des conditions de reconnaissance de la qualité de réfugié,
et seulement ensuite, si elles ne sont pas remplies, au regard des conditions
d’octroi de la protection subsidiaire, laquelle, parce que précisément
« subsidiaire », ne peut être accordée à celui qui remplit les conditions pour
être reconnu réfugié (Ceseda, L.712-1, CE, 15 mai 2009, Melle K,
no 292564). Le demandeur garde toutefois la possibilité de former un
recours auprès de la CNDA pour obtenir le statut de réfugié sans que la
confirmation de ce refus par la Cour le prive de la protection subsidiaire
déjà accordée (CRR, SR, 17 déc. 2004, no 478872).
Le droit d’asile n’est pas unique mais fragmenté. Les conditions de son
octroi varient d’abord selon la protection offerte, statut de réfugié ou
protection subsidiaire, mais recèlent toutefois un souci commun de contenir
le champ de la protection du point de vue du nombre de ses bénéficiaires.
La reconnaissance de la qualité de réfugié peut, pour sa part, reposer sur
quatre fondements distincts dont trois sont énoncés par la loi : un
fondement constitutionnel, un fondement international, un fondement
conventionnel (Ceseda, L.711-1), et le quatrième est un fondement
prétorien. En pratique, le fondement conventionnel est largement
dominant : en 2017, l’OFPRA a accordé 12 979 protections
conventionnelles, 116 statuts à des demandeurs placés sous mandat du
HCR, un seul statut au titre de l’asile constitutionnel et 412 au titre de
l’unité de famille (rapport d’activité de l’OFPRA, 2017).
Inspiré directement de l’alinéa 4 du préambule de la Constitution de
1946, le fondement « constitutionnel » introduit par la loi du 11 mai 1998
selon lequel la qualité de réfugié est reconnue à « toute personne persécutée
en raison de son action en faveur de la liberté » renoue avec la tradition
française de l’asile politique. Il renvoie à la figure héroïsée du réfugié
politique par la triple condition qu’il pose, à savoir avoir subi des
persécutions, mené un combat et défendu la liberté (voir, par exemple,
CRR, SR, 25 juin 1999, no 33748, à propos d’un membre d’un groupe de
défense civile contre les exactions de l’armée). C’est sur son fondement
que, notamment, les Algériens victimes des fondamentalistes ont pu être
reconnus réfugiés dans la décennie 1990, à une époque où une
interprétation contestable et contestée de la convention de Genève excluait
de la protection conventionnelle ceux dont les craintes de persécution
étaient d’origine non étatique. Le terme mis à cette restriction ainsi que le
recoupement de ce fondement avec la protection conventionnelle mais aussi
la montée en puissance de la protection subsidiaire ont conduit à sa quasi-
disparition.
La qualité de réfugié peut également être reconnue sur un fondement
international par un placement du demandeur sous mandat « strict » du
HCR. Le placement sous mandat du HCR est prévu par son statut de 1950
selon des critères identiques à ceux qui seront posés un an plus tard par la
convention de Genève, à l’exception du motif d’appartenance à un certain
groupe social. La très grande extension de ce mandat créant un risque
d’afflux massif, la loi française en a, en 1993, restreint le bénéfice aux
seules personnes placées sous « mandat strict » du HCR, c’est-à-dire son
mandat initial de 1950. Le placement sous mandat et sa persistance établis
par le HCR lient l’OFPRA et la CNDA, qui sont tenus de reconnaître la
qualité de réfugié à la personne qui peut se prévaloir d’un tel placement,
sans apprécier alors l’actualité du besoin de protection. Reste que celui qui
est placé sous mandat strict doit se voir délivrer un visa de long séjour ou
un titre de séjour s’il veut s’installer en France.
Non consacré par la convention de Genève mais soutenu par la DQ, qui
invite les États à veiller au maintien de l’unité des familles, le principe dit
« de l’unité de famille » est d’origine prétorienne puisque issu de la
jurisprudence du Conseil d’État, qui y voit « un principe général du droit de
réfugiés, résultant notamment des stipulations de la convention de Genève »
(CE, Ass., 2 déc. 1994, Mme Agyepong, no 112842). Conçu comme un droit
du réfugié à mener une vie familiale, il vise à protéger sa famille en
accordant à ses membres la qualité de réfugié. En dépit de quelques
extensions, la famille reste strictement conçue puisque bénéficient de ce
principe le conjoint, partenaire ou concubin du réfugié (sous réserve que le
couple soit formé avant la demande de protection du réfugié et, de plus,
pour le concubin, d’une liaison suffisamment stable et continue avec le
réfugié), ses enfants mineurs à leur date d’arrivée en France, ses ascendants
directs déjà à sa charge dans son pays d’origine et placés sous sa tutelle. Les
difficultés qu’il y a à prouver ces liens familiaux, comme la perte du
bénéfice de ce principe pour un couple en cas de rupture du lien conjugal,
ou encore la perte possible par le réfugié de son statut, affectent toutefois la
portée de ce principe, dont l’application, de surcroît, n’est pas élargie aux
bénéficiaires de la protection subsidiaire.
Le fondement principal de la qualité de réfugié est conventionnel. La
qualité est ici reconnue à toute personne qui répond aux définitions de
l’article 1er de la convention de Genève de 1951, convention marquée par
l’époque dans laquelle elle s’inscrit. Le besoin de protection, qui reposait
alors principalement sur des craintes personnelles de persécution fondées
sur des convictions politiques ou religieuses et était éprouvé à l’égard des
autorités étatiques, a peu à voir avec la demande contemporaine plus
hétérogène dans ses motifs et souvent plus collective. L’interprétation
constructive qui en est donnée notamment à la lumière du droit international
des droits de l’homme la met toutefois à même de répondre à ces besoins
nouveaux de protection.
La protection subsidiaire instituée en France par la loi du
10 décembre 2003, anticipant la DQ qui en généralisa le principe en 2004
(art. 15), confirme cette ouverture en accordant protection à toute personne
pour laquelle « il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu’elle
courrait dans son pays un risque réel de subir l’une des atteintes graves
suivantes : (a) la peine de mort ou une exécution ; (b) la torture ou des
peines ou traitements inhumains ou dégradants ; (c) s’agissant d’un civil,
une menace grave et individuelle contre sa vie ou sa personne en raison
d’une violence qui peut s’étendre à des personnes sans considération de leur
situation personnelle et résultant d’une situation de conflit armé interne ou
international » (Ceseda, L.712-1).
2. Les caractères des « craintes » ou « menaces ». – Les craintes de
persécution auxquelles la convention de Genève subordonne la qualité de
réfugié, comme les menaces qui conditionnent l’octroi de la protection
subsidiaire, doivent être personnelles, graves et actuelles.
Bien que s’affirme, à travers les conditions d’octroi de ces deux
protections, une conception libérale et de plus en plus ouverte de l’asile, il
garde, par les conditions posées à son octroi, le caractère sélectif qu’il a
toujours eu. Ainsi, les « craintes » et les « menaces » doivent être
personnelles. Pour être subjectives, elles doivent néanmoins être éprouvées
« avec raison », précise la convention de Genève, et donc reposer sur des
éléments objectifs (tenant par exemple au contexte géopolitique). En
apporter la preuve est certainement la plus grande difficulté à laquelle sont
confrontés les demandeurs d’asile puisqu’il leur faut convaincre de la
crédibilité de leur demande. La difficulté de prouver ces craintes ou
menaces personnelles est évidemment accrue lorsqu’elles sont liées à une
situation générale (guerre, violence généralisée…), ou à une mesure
générale (législation pénale ou militaire, législation limitant les naissances
en Chine…), ou encore à l’appartenance à un groupe minoritaire (ethnique,
religieux ou social). On voit bien percer à travers cette double condition de
craintes raisonnables une volonté de circonscrire le champ de la protection
en évitant des arrivées de groupes trop importants. Les juges de l’asile font
eux-mêmes preuve de fermeté, et sans doute d’une fermeté excessive, en
n’y souscrivant guère, sauf à admettre le cas de persécutions opérées de
« manière systématisée » (CRR, SR, 12 fév. 1993, Dujic). Face à la
multiplication des conflits depuis les années 1990, la DQ a toutefois pris
acte des besoins de protection qui en découlent en ouvrant la protection
subsidiaire à des civils exposés à la violence dans le cadre de conflits
armés. Pour autant, elle n’a pas voulu lui donner non plus une portée trop
générale, d’où le rappel de la condition d’une menace « individuelle »,
pourtant contradictoire avec la violence généralisée constitutive de la
menace. C’est cette contradiction que la CJUE a cherché à surmonter par
l’instauration d’une présomption de menace au vu du seuil d’intensité de la
violence atteint dans certains lieux de conflit (CJUE, GC, Elgafaji, 2009).
Elle a ainsi accordé la protection subsidiaire au vu du degré de la violence
en Colombie, au Sri Lanka, en Irak, en Libye, en RCA… voire dans des
zones localisées en Afghanistan (comme à Kaboul, CE, 16 oct. 2017,
no 401585) ou au Soudan (CNDA, 4 janv. 2017, no 16033997) mais l’a en
revanche refusée dans la bande de Gaza (CE, 5 nov. 2014, no 363181).
La protection est en outre subordonnée à la gravité des actes auxquels le
demandeur craint d’être exposé, que la convention de Genève exprime par
le mot « persécution ». Le droit international des droits de l’homme
constitue ici une référence pour définir la persécution, comme d’ailleurs les
actes relevant de la protection subsidiaire. La directive qualification définit
ainsi la persécution par un seuil de gravité qui est atteint, soit par un acte
constituant par sa nature ou son caractère répété une violation grave des
droits fondamentaux, soit par une accumulation de mesures suffisamment
graves pour affecter la personne de la même manière (art. 9). Ces
persécutions peuvent être des violences physiques ou mentales, mais aussi
des tracasseries administratives, brimades, pressions, pratiques
discriminatoires, poursuites et sanctions disproportionnées ou
discriminatoires, ou encore des actes dirigés contre les personnes en raison
de leur genre ou contre des enfants. Les actes ouvrant droit à protection
subsidiaire sont aussi largement déterminés par référence au droit européen
des droits de l’homme puisqu’il s’agit de menaces soit de « peine de mort
ou d’exécution » (pouvant donc être extra-judiciaire), soit de « torture ou
peines ou traitements inhumains ou dégradants », expression qui renvoie à
l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme. Ce second
cas constitue le principal motif d’octroi de cette protection, ce qui ne saurait
étonner au vu de l’interprétation particulièrement constructive donnée de
cet article qui conduit à attraire dans son champ des situations diverses
jusque-là souvent hors du droit, car relevant de la sphère privée, comme des
violences conjugales, domestiques, sexuelles, des mariages forcés,
l’exploitation et la traite d’êtres humains, l’enfermement sectaire… La Cour
de justice a toutefois exclu l’absence d’offre de soins dans le pays d’origine
comme un motif ouvrant droit à la protection subsidiaire (en ce sens, CJUE,
GC, M’Bodj, 2014, C-542/13 ; solution à peine assouplie depuis : CJUE,
MPC/SSHD, 2018, C-351-16).
En outre, les craintes de persécution (sans d’ailleurs que des
persécutions le soient aussi), ou les menaces exigées pour ouvrir droit à
protection, doivent être actuelles, sous réserve toutefois de persécutions ou
menaces d’« une exceptionnelle gravité ». Elles sont donc appréciées au
moment où il est statué sur la demande, en prenant acte, au besoin jusqu’au
délibéré, des changements ayant pu, le cas échéant, les faire disparaître (CE,
19 nov. 1993, no 100288).

3. Les motifs de craintes de persécution. – À la différence de la


protection subsidiaire qui ne requiert pas de motifs particuliers de menaces,
la convention de Genève exige le rattachement des craintes de persécution à
cinq motifs déterminés et exclusifs – la race, la religion, la nationalité,
l’appartenance à un certain groupe social, les opinions politiques –, qui
rendent compte également de la philosophie libérale et démocratique qui
l’inspire. Précisant qu’ils peuvent être indifféremment réels ou imputés par
l’agent de persécution, la DQ s’est attachée à les définir. Les deux motifs
liés aux convictions politiques ou religieuses du demandeur visent la
protection des libertés d’opinion et de religion. Les opinions politiques sont
définies comme des opinions, des idées ou des convictions relatives à
l’action de l’État (ou plus largement des auteurs des persécutions), sa
politique et ses méthodes. L’action politique n’est pas requise pour ouvrir
droit à protection, même si des actes politiques (engagement dans un parti,
participation à des manifestations…) sont des éléments de nature à
accréditer les craintes fondées sur ce motif. Des opinions politiques
imputées du fait d’un engagement dans une institution de l’État (armée,
police, magistrature…) peuvent désormais aussi fonder des craintes de
persécution pour motif politique (CNDA, 28 nov. 2018, no 18007777 pour
un policier, CNDA, 8 janv. 2019, no 17049487, à propos d’un militaire de
l’armée nationale afghane). Dans des cas de désertion ou d’insoumission,
les craintes de persécution ont pu être rattachées à ce motif, voire à un motif
de conscience. Le motif religieux tend quant à lui à la protection de la
liberté de religion telle que la définit la jurisprudence de la Cour
européenne des droits de l’homme, c’est-à-dire comme la liberté de croire
ou de ne pas croire et qui, non limitée au for intérieur, comprend le droit de
vivre selon ses croyances en les extériorisant dans des pratiques
individuelles ou collectives, privées ou publiques (CJUE, GC,
Bundesrepublik Deutschland c. Y. et Z., 2012, C-71/11).
Les trois autres motifs de craintes tendent à la protection de l’égalité par
le rejet des discriminations fondées sur une appartenance ethnique,
nationale ou sociale. Les motifs tenant à la race et à la nationalité se
recoupent. Tandis que la notion de race recouvre notamment des
« considérations de couleur, d’ascendance ou d’appartenance à un certain
groupe ethnique ou linguistique », celle de nationalité, non réduite à la seule
citoyenneté, désigne l’appartenance à un groupe déterminé par son
« identité culturelle, ethnique ou linguistique, ses origines géographiques ou
politiques communes, ou sa relation avec la population d’un autre État ». Le
motif tenant à l’appartenance à un certain groupe social, fruit d’un
amendement suédois de dernière minute lors de l’élaboration de la
convention, a d’abord donné lieu à quelques applications en France pendant
la guerre froide (par exemple, pour des ressortissants du Vietnam aux
origines sociales jugées contre-révolutionnaires). Ses potentialités se sont
concrétisées dans les années 1990 dans un tout autre domaine, celui des
violences sexuelles (pratiques d’excision) ou à propos de modes de vie
jugés transgressifs (homosexualité, transsexualité), où il est apparu comme
un instrument non seulement de protection contre les discriminations mais
de défense de la liberté de s’autodéterminer par le choix d’un mode de vie.
Le Conseil d’État s’est attaché à en donner une première définition en
1997 (CE, 23 juin 1997, O., no 171858) puis l’UE en 2004. Selon la DQ, un
groupe social se caractérise par deux conditions. La première tient au
partage par les membres du groupe « d’une caractéristique innée ou une
histoire commune qui ne peut être modifiée, ou d’une caractéristique si
essentielle pour l’identité ou la conscience qu’il ne devrait pas être exigé
d’y renoncer » ; la seconde tient à la perception sociale de ce groupe qui le
place en marge de la société (art. 10). Le caractère cumulatif et non
alternatif de ces deux conditions qui restreint le champ d’application de ce
motif est contesté notamment par le HCR et la CNCDH.
En application de cette définition, ont ainsi été reconnus comme
appartenant à un certain groupe social des personnes atteintes d’albinisme
en RDC, d’anciens esclaves au Niger et en Mauritanie, des enfants naturels
en Afghanistan. Mais ses applications les plus symboliques portent sur les
craintes et atteintes graves fondées sur le sexe, l’identité de genre et
l’orientation sexuelle, la loi française rappelant à cet égard que ces aspects
doivent être « dûment pris en considération aux fins de la reconnaissance de
l’appartenance à un certain groupe social ou de l’identification d’une
caractéristique d’un tel groupe » (Ceseda, L.711-2). S’agissant de
l’orientation sexuelle, le Conseil d’État a précisé que l’appartenance à un
groupe social étant « un fait social objectif », elle n’exige pas pour être
reconnue une manifestation d’appartenance au groupe (CE, 30 déc. 2014,
no 367428) ni son incrimination spécifique dans les pays d’origine. Les
mutilations sexuelles féminines sont également prises en compte sous ce
motif. La qualité de réfugié a ainsi été reconnue à des jeunes filles nées en
France dont les parents invoquaient, en cas de renvoi dans leur pays
d’origine, un risque d’excision au motif que, dans une population dans
laquelle ces mutilations sont de pratique courante au point de constituer une
norme sociale, les enfants et les adolescentes non mutilées constituent de ce
fait un groupe social (CNDA, SR, 12 mars 2009, Mlle K., no 639908 ; CE,
21 déc. 2012, no 332607). Le champ de ce motif s’est étendu au-delà,
notamment aux mariages forcés ou encore à la traite des êtres humains
(CNDA, 30 mars 2017, no 16015058, à propos d’une femme nigériane
victime d’un réseau de prostitution). En ces matières, la protection
subsidiaire a parfois tendance à éclipser la protection conventionnelle (pour
un exemple en matière d’excision, comparer CRR, SR, 17 déc. 2004,
Époux S., no 361050 et no 373077, qualité de réfugié reconnue au titre de
l’appartenance à un certain groupe social, et CNDA, SR, 12 mars 2009,
Mme D., époux. K., no 638891, protection subsidiaire).
L’ouverture de la protection s’exprime également à propos de l’origine
des craintes de persécution ou menaces graves, lesquelles s’apprécient par
rapport au pays dont le demandeur a la nationalité, ou à titre subsidiaire à
celui où il a sa résidence habituelle, c’est-à-dire dans lequel il bénéficie des
droits et obligations que confère la nationalité. Tel est le cas par exemple de
l’Algérie pour un Sahraoui né et ayant résidé dans un camp de réfugiés en
Algérie et ne pouvant se réclamer d’aucune nationalité (CNDA,
13 mai 2017, no 1601071). La détermination du lien de nationalité est
souvent complexe. En cas de succession d’États (comme ce fut le cas après
l’effondrement de l’URSS et des guerres dans l’ex-Yougoslavie), les
craintes ou menaces s’apprécient au regard du pays de nationalité et de
résidence habituelle, ainsi qu’au regard des divers pays de nationalité en cas
de pluralité de nationalités.
L’ouverture de la protection se manifeste en outre dans la prise en
compte d’autres acteurs de persécutions ou d’atteintes graves que les seules
autorités publiques. Il s’agit, en premier lieu, « des partis ou organisations
qui contrôlent l’État ou exercent leur contrôle sur une partie substantielle de
son territoire » (Ceseda, L.713-2). Dans un contexte marqué depuis les
années 1990 par la recrudescence des conflits, le juge de l’asile a identifié
de telles « autorités de fait ». Ont été ainsi reconnues comme telles les
forces syriennes lors de leur occupation du Liban, le Somaliland, ou plus
récemment la République arabe sahraouie démocratique (CNDA,
13 fév. 2012, no 11026661). L’ouverture de la protection s’exprime, de
façon plus remarquable encore, par la prise en compte d’acteurs non
étatiques, et donc de groupes privés rompant en cela avec la jurisprudence
qui, dans la décennie 1990, avait notamment conduit à priver du statut de
réfugié les Algériens menacés par des groupes fondamentalistes (CE, Sect.,
27 mai 1983, Dankha, no 42074). La prise en compte de craintes de
persécution d’origine privée (par exemple familiale, mafieuse…) reste
toutefois subordonnée au refus de protection ou à la carence des autorités de
protection du pays de rattachement (Ceseda, L.713-2).

II. – La réduction du champ de la protection


Dans le cadre de l’UE, les États membres ont introduit diverses limites
à l’octroi de l’asile, tantôt en ajoutant une condition nouvelle liée à la sûreté
du pays d’origine, tantôt en étendant les cas d’exclusion pour prendre
davantage en compte des considérations d’ordre sécuritaire.

1. La sûreté du pays d’origine. – Le concept de sûreté, introduit en


France par la convention de Dublin en 1990, a prospéré d’abord dans les
Résolutions de Londres de décembre 1992 qui le déclinent à propos des
pays d’origine et de pays tiers sans laisser de doute sur sa raison d’être, les
ministres de l’Immigration ayant souligné alors la nécessité de « réduire la
charge excessive que les demandes d’asile font peser actuellement sur les
systèmes d’examen des demandes d’asile ». Le protocole no 6 sur le droit
d’asile annexé au traité d’Amsterdam (dit protocole « Aznar », devenu
protocole no 24 annexé au TUE) en a ensuite fait application aux
ressortissants des États membres en excluant, par principe, qu’ils puissent
solliciter l’asile dans un autre État membre en raison de la sûreté présumée
de chacun de ces États (CE, 30 déc. 2009, Cosmin A., no 305226) ; à
l’exception de quatre cas limitativement énumérés, à savoir la mise en
œuvre par l’État d’origine de l’article 15 de la CEDH pour déroger à ses
obligations, la mise en œuvre par l’UE de la procédure de prévention ou de
sanction d’une violation des droits fondamentaux garantis par le traité sur
l’UE (art. 7 du TUE), enfin un traitement de la demande en procédure
accélérée au vu de la présomption de son caractère manifestement non
fondé. Cette présomption de sûreté a en outre conduit le Conseil d’État à
juger que celui qui a obtenu le statut de réfugié dans un État membre ne
peut solliciter l’asile en France que s’il établit que cette protection ne lui est
pas « effectivement assurée » dans l’État membre qui lui a accordé l’asile ;
sa demande en France est alors considérée comme une première demande
d’asile, ses craintes de persécution s’appréciant alors à la date de sa
demande au regard de son pays de nationalité (CE, 13 nov. 2013, Cimade,
M.B., nos 349735 et 349736).
Enfin, les directives européennes ont expressément retenu ce concept de
« pays d’origine sûr », ainsi que celui de « protection à l’intérieur du pays
d’origine » visant des zones considérées comme sûres dans ces pays ;
concepts qui ont été transposés dans le droit des États membres. La
qualification d’un pays d’origine comme sûr a une double portée en France,
d’abord procédurale, puisque permettant le classement de la demande en
procédure accélérée et supprimant le caractère suspensif du recours ouvert
contre la décision rejetant une demande pour ce motif, ensuite plus
largement de fond, puisque conduisant à refuser en principe la protection de
celui qui vient d’un tel pays présumé sûr. Certes, les demandeurs gardent la
possibilité lors de l’examen individuel de leur demande, qui reste de
principe, de renverser cette présomption de sûreté de leur pays d’origine,
mais elle se révèle plus théorique que réelle au vu de la difficulté d’apporter
la preuve d’un risque personnel, notamment dans le cadre d’une procédure
désormais accélérée devant l’OFPRA.
L’essor de ce concept ne peut que surprendre a priori, à la fois en raison
de sa conformité largement contestée au regard de la convention de Genève,
mais aussi de son inapplicabilité si l’on s’en tient à la définition stricte qui
en est donnée. Quel est en effet le pays où « il peut être démontré que,
d’une manière générale et uniformément pour les hommes comme pour les
femmes, quelle que soit leur orientation sexuelle, il n’y est jamais recouru à
la persécution, ni à la torture, ni à des peines ou traitements inhumains ou
dégradants et qu’il n’y a pas de menace en raison d’une violence qui peut
s’étendre à des personnes sans considération de leur situation personnelle
dans des situations de conflit armé international ou interne » (Ceseda,
L.722-1). En réalité, le « concept de pays sûr » n’est pas simplement un
instrument de procédure de traitement d’une demande d’asile dans l’UE, il
est un instrument de régulation. L’incapacité de l’UE à élaborer une liste
commune de ces pays et l’extrême hétérogénéité et volatilité des listes
nationales en témoignent, tandis que les censures répétées par le Conseil
d’État des pays figurant sur les listes établies par le conseil d’administration
de l’OFPRA confirment la fragilité de la prétendue sûreté. Le concept
d’« asile interne » fondé sur la sûreté de certaines parties du pays d’origine
se heurte à des critiques du même ordre, qui d’ailleurs avaient conduit le
Conseil constitutionnel à en encadrer si fermement l’usage qu’il est resté
marginal (no 2003-485 DC, 4 déc. 2003). La prise en compte du droit de
l’UE a toutefois conduit à nuancer ces garanties (Ceseda, L.713-3).
Le concept d’« alternative de protection » introduit dans la DQ s’inscrit
dans la même logique puisqu’il s’agit de ne pas s’en tenir à la protection
des seules autorités de l’État, mais de prendre en compte d’autres « acteurs
de protection », précisément « des partis ou des organisations, y compris
des organisations internationales, contrôlant l’État ou une partie importante
de son territoire » qui sont « susceptibles » d’offrir une protection effective
et non temporaire par des mesures appropriées en disposant en particulier
d’un système judiciaire effectif auquel le demandeur ait accès et qui
permette de « déceler, poursuivre et sanctionner les actes de persécution ou
d’atteintes graves » (Ceseda, L.713-2). La CJUE a précisé ces garanties en
exigeant un niveau de capacité raisonnable et de volonté de ces acteurs
d’empêcher les actes de persécution en disposant de l’autorité, d’une
structure organisationnelle et des moyens de maintenir un niveau minimal
d’ordre public (CJUE, GC, Abdulla et alii, 2010, C-175/08). Le juge de
l’asile en France requiert de son côté une stabilité institutionnelle de ces
organisations, leur « contrôle civil et armé, exclusif et continu sur un
territoire délimité », le non-exercice par l’État de ses « obligations et
prérogatives de souveraineté » (CNDA, GF, 3 mai 2016, MS, no 15033525,
à propos de la République arabe sahraouie démocratique). Mais comment
ne pas avoir en mémoire la réalité tragique de la protection offerte par des
organisations internationales au Rwanda en 1994 ou à Srebrenica en 1995 ?

2. L’extension des clauses d’exclusion. – Le demandeur d’asile qui


remplit les conditions pour être reconnu réfugié peut toutefois être privé de
cette protection en application de clauses dites « d’exclusion » énoncées
dans la convention de Genève (art. 1, D à F). Alors qu’un principe général
d’interprétation stricte s’applique de manière générale aux clauses
restrictives d’un droit, leur interprétation se révèle de plus en plus
extensive, tandis que de nouvelles clauses sont introduites. Ces clauses
n’ont pas les mêmes motifs. Rendant compte du caractère subsidiaire de la
protection conventionnelle par rapport à la protection nationale,
l’article 1 D exclut ceux qui bénéficient d’une protection ou d’une
assistance d’un organisme ou d’une institution des Nations unies autre que
le HCR. Sont visés ici les cinq millions de « réfugiés palestiniens » placés
depuis 1949 sous protection de l’UNRWA et qui bénéficient effectivement
de son assistance (CJUE, Bolbol, 2010, C-31/09). Toutefois, cette clause est
aussi applicable à ceux d’entre eux qui quittent la zone de l’UNRWA, du
moins si leur départ est volontaire, et alors même qu’ils n’ont plus
effectivement recours à cette assistance ; ils ne peuvent donc solliciter la
qualité de réfugié en France. Seuls ceux qui sont contraints de la quitter par
un état personnel d’insécurité grave et l’impossibilité pour l’UNRWA de
leur offrir des conditions de vie conformes à sa mission peuvent y prétendre
(CJUE, El Kott, 2012, C-364/11). L’article 1 E exclut quant à lui ceux qui
jouissent d’une protection effective d’un autre État en y bénéficiant des
droits et obligations des nationaux.
Reprenant en cela une réserve déjà posée par la DUDH et par le Statut
du HCR de 1950 pour les personnes placées sous son mandat, l’article 1 F a
un tout autre objet puisqu’il exclut les personnes « dont on aura des raisons
sérieuses de penser » qu’elles ont commis des actes les rendant indignes de
la protection internationale. Au-delà de son application décidée par le juge
de l’asile aux réfugiés bénéficiant de l’asile constitutionnel, la DQ y
soumet, outre les réfugiés (art. 12), les bénéficiaires de la protection
subsidiaire en renforçant alors ces clauses pour préserver la société ou la
sécurité des États membres (art. 17).
Ayant à l’esprit les procès des grands criminels de la Seconde Guerre
mondiale, les auteurs de la convention de Genève ont entendu exclure en
premier lieu ceux qui ont commis « un crime contre la paix, un crime de
guerre ou un crime contre l’humanité » (art. 1 F, a) et renvoient pour la
définition des crimes en cause aux principaux instruments internationaux
(que sont notamment la convention de 1948 pour la répression du crime de
génocide, celle de 1968 relative aux crimes contre l’humanité, ou encore les
statuts des juridictions pénales internationales). Le génocide des Tutsis au
Rwanda a constitué son principal terrain d’application et donné l’occasion
de définir la complicité de crime de génocide. L’importance des fonctions
exercées par le demandeur et son implication personnelle dictent son
exclusion, sauf pour lui à prouver sa désolidarisation ou la contrainte ayant
pesé sur lui.
Le deuxième cas d’exclusion, dont l’usage est le plus fréquent, vise
ceux qui ont commis un « crime grave de droit commun en dehors du pays
d’accueil » (art. 1 F, b). Il s’agit là d’empêcher leur impunité pénale par
l’octroi du statut de réfugié. Trois conditions sont ici requises. L’infraction
commise doit en premier lieu être grave (ainsi d’un attentat, de la
participation à un réseau de traite ou de stupéfiants), le crime étant à
prendre en son sens générique. En deuxième lieu, elle doit être une
infraction de droit commun, mais la gravité de certaines infractions
politiques conduit, en application d’une jurisprudence classique en matière
d’extradition, à les déqualifier en infractions de droit commun, ce que
confirme la DQ qui fait état d’« actions particulièrement cruelles commises
avec un objectif prétendument politique » (art. 12-2, b). Ainsi, les actes de
groupes terroristes qui se caractérisent par leur violence à l’égard des
populations civiles tombent sous le coup de cette clause (CJUE, B. et D.,
2010, C-57/09 et C-101/09). En troisième lieu, le crime doit avoir été
commis en dehors du pays d’accueil. Le Conseil d’État ayant jugé qu’une
exclusion du statut de réfugié pour un crime commis dans le pays d’accueil
reviendrait à ajouter une clause d’exclusion à la convention de Genève – ce
qu’elle interdit (CRR, SR, 12 mars 1993, R., no 230875) –, cette limite
territoriale s’impose ; mais il a admis depuis l’exclusion du statut de réfugié
à la suite d’une condamnation déjà exécutée pour un tel crime au vu du
danger ou du risque pour la population du pays d’accueil (CE, 5 mai 2011,
OFPRA c. H., no 320910). Pour la protection subsidiaire, l’exclusion
s’impose sans autre précision pour tout « crime grave » (art. 17, b).
Le troisième cas d’exclusion commun aux deux protections vise les
« agissements contraires aux buts et aux principes des Nations unies »
(art. 1 F, c) qui doivent être compris au sens de la Charte comme visant des
violations des droits de l’homme ainsi que des actes de terrorisme.
Longtemps réservée aux agissements des autorités publiques ou agents de
l’État au sein de l’armée, de services de police ou de sécurité (sévices,
tortures, exécutions sommaires), cette clause, qui recoupe d’ailleurs les
deux autres clauses d’exclusion, s’applique désormais d’une manière
générale, et notamment aux actes terroristes en application de la Résolution
adoptée par le Conseil de sécurité au lendemain du 11 Septembre, le risque
de voir le statut de réfugié détourné par les auteurs d’agissements terroristes
ayant été expressément évoqué (Résolution no 1373 du 28 sept. 2001). L’UE
a pris acte de cette qualification dans la DQ, ainsi que la Cour de justice
(CJUE, B. et D., 2010, C-57/09 et C-101/09). La conception de plus en plus
extensive des agissements terroristes (exécution, préparation, collecte de
fonds, préparation logistique, incitation, etc.), de même que l’approche
souple du degré de participation – participation directe ou indirecte (CJUE,
GC, Lounani, 2017, C-573/14, où la Cour relève que « la participation aux
activités d’un groupe terroriste peut couvrir un large éventail de
comportements d’un degré de gravité variable »), complicité active ou
passive (CE, 26 janv. 2011, H., no 312833) – conduisent à l’élargissement
du champ de la clause d’exclusion pour indignité.
L’exclusion n’est toutefois prononcée qu’à l’égard de ceux auxquels de
tels actes sont imputables. S’appuyant sur « des raisons sérieuses de
penser » que des personnes ont « commis » certains crimes ou se sont
rendues « coupables » de certains agissements visés à l’article 1 F, l’État
membre qui a accordé le statut de réfugié ou la protection subsidiaire doit
apporter la preuve « au cas par cas » des raisons de privation de la
protection en cause. La principale difficulté dans l’appréhension de la
responsabilité individuelle tient au cas, en pratique le plus fréquent,
d’agissements de groupe. La simple appartenance à un groupe, et même à
une organisation inscrite sur la liste des organisations terroristes, ne permet
pas de conclure à une responsabilité personnelle (CJUE, B. et D., 2010, C-
57/09 et C-101/09, CJUE, H.T., 2015, C-313/13, et Lounani, 2017, C-
573/14), mais le demandeur doit apporter les preuves de sa désolidarisation
des actes commis ou de la contrainte (enrôlement de force, emprise
psychologique…) exercée sur lui, de l’état de nécessité ou de légitime
défense dans lequel il se trouvait ou de sa vulnérabilité, notamment sa
minorité… qui sont difficiles à rapporter et rarement retenues.
Le droit de l’UE prend en compte, au-delà de ces clauses d’exclusion,
des considérations tenant à la sécurité de l’État membre pour refuser la
protection internationale conçue de la manière la plus générale qui soit,
comme une sorte de « réserve d’ordre public ». Ainsi, toute personne dont il
y a des « raisons sérieuses de penser que son activité sur le territoire
constitue une menace grave pour la société ou la sécurité de l’État
membre » est exclue du bénéfice de la protection subsidiaire (DQ, art. 17,
1, d). En faisant prévaloir la prévention de l’ordre public, soit une mission
classique de police administrative, sur la protection due au titre du droit
d’asile, cette nouvelle clause d’exclusion (reprise à l’art. L.712-2, d, du
Ceseda) fait peser une menace permanente sur le bénéficiaire de cette
protection et rend compte d’une véritable dérive du droit d’asile. En 2017,
l’OFPRA a pris onze décisions de fin de protection sur ce fondement.
Par ailleurs, la DQ s’est engagée dans la même voie s’agissant du statut
de réfugié sous le discret intitulé de son article 14, en permettant aux États
membres non seulement de ne pas renouveler ce statut, de le retirer ou d’y
mettre un terme, mais aussi de le refuser « (a) lorsqu’il existe des motifs
raisonnables de le considérer comme une menace pour la sécurité de l’État
membre dans lequel il se trouve ; ou (b) lorsque, ayant été condamné en
dernier ressort pour un crime particulièrement grave, il constitue une
menace pour la société de cet État membre » (art. 14-4). Il s’agit là d’une
clause d’exclusion déguisée que l’UE ne pouvait énoncer comme telle en
raison de son évidente incompatibilité avec la convention de Genève déjà
relevée par le HCR, et en France par le Conseil d’État (CE, 21 mai 1997,
no 148997, P.). En effet, ces deux motifs autorisant la privation du « statut
de réfugié » sont empruntés à l’article 33-2 de la convention de Genève, où
ils figurent comme des limites au principe de non-refoulement. Il s’agit de
motifs de police de nature à justifier une mesure administrative
d’éloignement afin de préserver la sécurité intérieure du pays d’accueil. La
France n’a pu toutefois échapper à sa transposition, qu’elle a opérée en
2015 par la loi relative au droit d’asile, soit onze ans après son introduction
dans la première directive qualification (Ceseda, L.711-6) et dont elle fait
application depuis (CNDA, GF, 26 sept. 2017, no 16029802, CNCDA,
28 sept. 2018, MK, no 170021629 ; CE, 30 janv. 2019, no 416013). En outre,
la loi du 10 septembre 2018 a élargi son champ d’application en substituant
à la faculté d’en faire usage une obligation, et en prenant en compte les
condamnations pouvant émaner d’États membres, et même d’États tiers qui
restent à déterminer au vu de leur « application du droit dans le cadre d’un
régime démocratique ». En 2017, l’OFPRA a pris treize décisions de refus
ou de retrait du statut de réfugié sur le fondement de cet article (L.711-6 du
Ceseda).
La place donnée aux considérations sécuritaires a conduit à reconnaître
à l’OFPRA la possibilité de diligenter des enquêtes administratives, sur le
fondement de l’article L.111-4 du Code de la sécurité intérieure (qui permet
la consultation de traitements automatisés de données à caractère
personnel), pour la mise en œuvre des clauses d’exclusion de la protection
subsidiaire prévues à l’article L.712-2 (ainsi que de révocation prévues à
l’article L.712-3 du Ceseda, infra), possibilité étendue par la loi du
10 septembre 2018 pour l’application de l’article L.711-6 du Ceseda
s’agissant du statut de réfugié. Ce sont ainsi déjà 15 872 enquêtes
administratives qui ont été mises en œuvre en 2017 (contre 3 742 en 2015)
pour l’application des clauses d’exclusion de la protection subsidiaire,
enquêtes qui ont concerné principalement les Afghans (47 %). Afin
d’assurer l’effectivité des clauses d’exclusion (mais aussi de révocation) de
la protection internationale, l’autorité judiciaire est tenue de communiquer à
l’OFPRA et à la CNDA tout élément dont elle a connaissance au cours
d’une instance civile ou pénale, susceptible de conduire à la mise en œuvre
d’une clause d’exclusion (Ceseda, L.713-5) ou d’un retrait pour fraude
(Ceseda, L.713-6, infra). L’OFPRA a ainsi été destinataire en 2017 de
469 bulletins judiciaires no 2 et de 585 décisions ; il a reçu 173 réquisitions.
En sens inverse, le directeur général de l’OFPRA est tenu d’adresser au
procureur de la République un signalement sur le fondement de l’article 40
CPP dès lors que l’Office fait application de certaines clauses d’exclusion
de la protection subsidiaire (Ceseda, L.722-3 ) ou du statut de réfugié
(art. 1 F).
CHAPITRE II

Le statut du bénéficiaire

Les bénéficiaires d’une protection internationale doivent se voir


accorder une protection effective dans le pays d’accueil. Cette protection
n’est toutefois qu’une protection de substitution appelée à disparaître en
application de clauses de cessation et de révocation.

I. – Le contenu de la protection
1. La fragmentation de la protection. – La protection internationale
est une protection « à géométrie variable ». Son contenu dépend en premier
lieu de la nature de la protection, car bien que le droit de l’UE se soit fixé
comme objectif, dans le programme de Stockholm du 11 décembre 2009,
d’établir un statut uniforme et que la DQ prévoie l’égalité de traitement, elle
réserve le cas d’« indications contraires » (art. 20). Le statut de réfugié
demeure plus protecteur en dépit des garanties nouvelles enrichissant la
protection subsidiaire. Le contenu de la protection varie aussi en fonction
des sources qui la déterminent. La convention de Genève consacre la
plupart de ses stipulations à définir avec précision les droits dont
bénéficient les réfugiés en rappelant préalablement leur obligation de « se
conformer notamment aux lois et règlements ainsi qu’aux mesures prises
pour le maintien de l’ordre public » (art. 2). Elle pose par ailleurs un
principe de non-discrimination « quant à la race, à la religion ou au pays
d’origine » (art. 3) qui commande l’égalité entre les réfugiés, sans
distinction notamment de nationalité. Les droits qu’elle consacre se voient
appliquer tantôt le traitement de la nation la plus favorisée (par exemple,
pour l’exercice d’une profession salariée), tantôt un traitement au minimum
égal à celui des étrangers (comme en matière de liberté de circulation à
l’intérieur du territoire ou de logement), tantôt celui des nationaux (droit
d’ester en justice, législation du travail assistance et secours…). La France a
étendu ce statut protecteur de Genève à tout réfugié, quel que soit le
fondement sur lequel il s’est vu reconnaître cette qualité (Ceseda, L.711-1).
La DQ fait de son côté obligation aux États d’informer les réfugiés sur
leurs droits et obligations, et de leur garantir l’accès à des programmes
d’intégration. Les États doivent prendre en compte la spécificité des besoins
des personnes vulnérables, notamment des personnes handicapées, des
personnes âgées ou encore des femmes enceintes (art. 20), et plus
particulièrement des mineurs, en faisant toujours prévaloir l’« intérêt
supérieur de l’enfant » qui implique certaines obligations spécifiques à
l’égard des mineurs isolés (désignation d’un représentant légal, prise en
charge, respect de l’unité de la fratrie, recherche de leur famille…) ; un
intérêt supérieur de l’enfant auquel le Conseil constitutionnel, en France,
reconnaît le caractère de principe à valeur constitutionnelle (no 2018-768
QPC, 21 mars 2019). Il s’agit de normes minimales applicables aux
personnes protégées, mais le contenu de la protection internationale est
« sans préjudice des droits inscrits dans la convention de Genève » et, plus
généralement, des droits accordés par d’autres instruments internationaux
(et donc du très riche droit européen des droits de l’homme), ainsi que de
normes plus favorables du droit interne (DQ, art. 3 et 20)
2. L’étendue de la protection. – Dans la convention de Genève, le
caractère recognitif de la qualité de réfugié fonde un principe d’immunité
pénale interdisant d’appliquer aux demandeurs d’asile des sanctions pénales
pour leur entrée ou séjour irrégulier s’ils se présentent sans délai aux
autorités (CG, art. 31-1). S’il revient au juge pénal d’apprécier – à
l’occasion des poursuites pénales engagées pour infraction à la législation
sur l’entrée ou le séjour – si le demandeur est susceptible d’être reconnu
réfugié et donc de bénéficier de cette immunité, il ne lui appartient pas de se
prononcer sur la reconnaissance de cette qualité, qui relève de la
compétence exclusive de l’OFPRA. La reconnaissance du droit à protection
internationale emporte délivrance à l’intéressé dans les huit jours d’un
récépissé jusqu’à délivrance d’un titre de séjour qui lui confère le droit
d’exercer la profession de son choix.
La préservation de la souveraineté des États explique le silence gardé
par la convention de Genève sur le droit au séjour des réfugiés. Toutefois, à
l’instar des États eux-mêmes, l’UE reconnaît un droit au séjour aux
bénéficiaires de la protection internationale, mais différencié selon la nature
de la protection. En France, les réfugiés bénéficient de plein droit d’une
carte de résident de dix ans renouvelable (Ceseda, L.314-1) et les
bénéficiaires de la protection subsidiaire, d’une carte de séjour
pluriannuelle d’une durée de quatre ans (Ceseda, L.313-25) à l’expiration
de laquelle, et sous réserve de leur résidence régulière en France pendant
quatre ans, une carte de résident de dix ans leur est délivrée de plein droit.
À l’expiration de l’une ou l’autre de ces cartes de résident, ils peuvent se
voir délivrer une carte de résident permanent, cette délivrance étant de droit
pour ceux qui sont âgés de plus de 60 ans (Ceseda, L.314-14). Une
résidence interrompue pendant cinq ans en France ouvre aux uns et aux
autres droit à une carte de « résident de longue durée-UE », et dès son
second renouvellement à une carte de résident permanent. Au titre de la
« réunification familiale », procédure distincte de celle du regroupement
familial, la famille la plus proche (conjoint, concubin ou partenaire d’au
moins 18 ans, enfants non mariés du couple de moins de 19 ans, et si ces
derniers sont mineurs, leurs ascendants directs accompagnés le cas échéant
par leurs enfants mineurs dont ils ont la charge effective) et composée avant
la demande d’asile du réfugié ou du bénéficiaire de la protection subsidiaire
a droit aux mêmes titres de séjour que ces derniers (Ceseda, L.752-1). En
application du principe de libre circulation posé par la convention de
Genève, le bénéficiaire d’un titre de séjour peut, « à moins que des raisons
impérieuses de sécurité nationale ou d’ordre public ne s’y opposent », se
voir délivrer un titre de voyage (Ceseda, L.753-1).
L’élargissement du droit au séjour reste toutefois subordonné en
pratique à la difficulté d’établir l’identité, la minorité, le lien familial des
membres de la famille ; l’authenticité des documents d’état civil étant
régulièrement mise en cause tant par les services consulaires (pour l’octroi
d’un visa pour ceux qui sont à l’étranger) que par les services des
préfectures (pour l’octroi d’un titre de séjour). Au demeurant, des
considérations d’ordre public limitent ce droit au séjour des bénéficiaires de
la protection internationale dont la présence constitue une menace pour
l’ordre public et qui peuvent se voir refuser un titre de séjour, ou son
renouvellement, voire opposer son retrait (Ceseda, L.313-13 et L.314-11).
Le droit de l’UE ouvre la même possibilité pour « des raisons impérieuses
de sécurité nationale et d’ordre public » (DQ, art. 24) mais la CJUE a jugé
que cette disposition autorisait la révocation de ce titre de séjour.
L’intéressé, même privé de titre de séjour, conserve son statut de réfugié et,
à ce titre, conserve également les avantages garantis aux réfugiés
notamment le droit à la protection contre le refoulement, au maintien de
l’unité familiale, à la délivrance de documents de voyage, à l’accès à
l’emploi et à l’éducation, à la protection sociale, aux soins de santé et au
logement, à la liberté de circulation à l’intérieur de l’État membre et à
l’accès aux dispositifs d’intégration (CJUE, 24 juin 2015, HT c. Allemagne,
C-373/13).
L’État d’accueil se substitue à l’État national dans la protection
juridique des bénéficiaires de la protection internationale. En France,
l’OFPRA assure cette mission par la délivrance des documents d’état civil
qui ont valeur d’actes authentiques et l’établissement de livrets de famille.
Dérogeant aux principes du code civil français, le statut personnel est régi
par la loi du pays d’accueil. Les bénéficiaires d’une protection
internationale sont donc assimilés aux nationaux, sous réserve toutefois de
droits acquis dans le pays d’origine, liés notamment au mariage, et de non-
contradiction avec la législation du pays d’accueil. Leur accès à la
nationalité est par ailleurs facilité par quelques assouplissements du régime
de droit commun. La protection des mineurs, réfugiés et plus encore
demandeurs d’asile, soulève de véritables difficultés touchant à leur prise en
charge par l’aide sociale à l’enfance (ASE), qui relève des départements,
mais aussi des questions plus spécifiques comme l’établissement de la
minorité par des moyens de preuve qui sont discutés (examen osseux dont
le Conseil constitutionnel a toutefois admis la validité au vu de leur
encadrement législatif – QPC no 2018-768, 21 mars 2019 –, tests ADN) ou
le contrôle de certaines situations (examen médical obligatoire pour
constater l’absence de mutilations sexuelles des mineures bénéficiant d’un
statut de réfugié destiné à les en protéger).
Les bénéficiaires de la protection internationale ont accès au logement
dans les conditions de droit commun (droit au logement opposable, abrégé
DALO, accès aux logements sociaux et aux aides diverses). Des centres
provisoires d’hébergement (CPH) leur sont ouverts sur décision de l’OFII
pendant un an maximum, dans la limite des places disponibles – c’est là une
difficulté récurrente – et en tenant compte de leur vulnérabilité, de leurs
liens personnels et familiaux et de leur région de résidence pendant leur
demande d’asile. Ils y bénéficient de programmes d’intégration. Leur titre
de séjour leur donne également accès aux dispositifs d’aide sociale et
notamment au revenu de solidarité active (RSA) et à des allocations
diverses – prestations familiales qui sont ouvertes à la date d’entrée en
France, adultes handicapés… –, ainsi qu’à la protection sociale par
affiliation au régime de sécurité sociale, de même qu’aux soins. Si la DQ
limite l’accès des bénéficiaires de la protection subsidiaire aux « prestations
essentielles », le droit français ignore pour sa part toute distinction dans cet
accès. L’accès à l’emploi est ouvert à tous dès la délivrance de leur titre de
séjour, qui vaut autorisation de travail pour les emplois salariés et la
profession indépendante. Des restrictions peuvent toutefois être prévues
dans certains secteurs d’activité, ainsi que dans la fonction publique, où la
condition de nationalité française posée à la titularisation ne leur permet
qu’un accès par voie contractuelle. Enfin, le droit à l’éducation leur est
reconnu tantôt par assimilation aux nationaux, tantôt sous le régime de la
nation la plus favorisée, et le droit à la formation dans les mêmes conditions
que les Français.
Les bénéficiaires d’une protection internationale sont enfin protégés
d’une mesure d’éloignement par les obligations internationales rappelées
aux États par la DQ (art. 21-1), mais aussi et d’abord par un ensemble de
garanties de procédure (dont la possibilité offerte aux réfugiés de solliciter
un avis de la CNDA) et surtout par le principe de non-refoulement posé par
la convention de Genève, désormais étendu aux bénéficiaires de la
protection subsidiaire. L’éloignement d’un refugié est ainsi interdit là « où
sa vie ou sa liberté serait menacée » pour l’un des cinq motifs de
reconnaissance de cette qualité (CG, art. 33-1) avec toutefois une double
limite (CG, art. 33-2) qui selon la DQ vise celui qui constitue « une menace
pour la sécurité de l’État membre » ou, au vu des condamnations dont il a
fait l’objet pour un crime grave, « une menace pour la société de l’État
membre » (DQ, art. 21-2). Mais cette double limite se voit en partie
neutralisée par les obligations internationales souscrites par les États, dont
au premier chef celles qui sont tirées de la Convention européenne et de la
CDF, laquelle dispose expressément que « nul ne peut être éloigné, expulsé
ou extradé vers un État où il existe un risque sérieux qu’il soit soumis à la
peine de mort, à la torture ou à d’autres peines ou traitements inhumains ou
dégradants » (art. 19). Les mêmes limites sont posées en cas d’extradition
en vertu des « principes généraux du droit de l’extradition » (CE,
30 janv. 2017, no 394172).

II. – La perte de la protection


La perte de la protection peut résulter de l’application de clauses de
cessation ou de clauses de révocation. Lorsque les conditions en sont
remplies, l’OFPRA, ou la CNDA et le Conseil d’État lorsque la décision
d’octroi de la protection a été prise par eux, ont compétence exclusive et
liée pour priver son bénéficiaire, de leur propre initiative ou sur demande du
ministre chargé de l’asile, de la protection internationale. En 2017,
l’OFPRA a pris 258 décisions d’exclusion, de cessation ou de retrait de la
protection toutes causes confondues (contre 151 en 2016). Huit réfugiés se
sont vu retirer leur statut au titre de la réserve d’ordre public (Ceseda,
L.711-6).

1. Les clauses de cessation. – Protection de substitution, la protection


internationale est subsidiaire et donc temporaire puisque appelée à
disparaître si les conditions de cette protection ne sont plus remplies. À
l’instar du statut du HCR de 1950 qui fait état de clauses de cessation du
statut de réfugié, la convention de Genève en énonce six (art. 1 C). La DQ
en retient le principe qu’elle étend à la protection subsidiaire. Le droit
français renvoie pour sa part aux clauses de Genève par une référence à
l’article 1 C pour la cessation du statut de réfugié et s’en tient au seul
changement de circonstances comme motif de cessation de la protection
subsidiaire (Ceseda, L.711-4 et L.712-3). Les clauses de cessation sont donc
différenciées. La cessation qui prive le demandeur de sa protection l’en
prive pour l’avenir. Bien que souvent utilisé, le terme « retrait », qui
implique rétroactivité de l’acte administratif en cause, est donc impropre.
Saisie d’un recours contre une décision de cessation, la CNDA peut, le cas
échéant, procéder à une substitution de motifs, c’est-à-dire confirmer la
cessation, mais pour un autre motif que le motif initialement retenu
(CRR, SR, 26 nov. 1993, Vidrean).
Le changement de circonstances constitue une clause de cessation
commune au statut de réfugié et à la protection subsidiaire. Il s’agit d’un
changement de nature politique qui peut consister en un changement de
régime politique dans le pays d’origine, une évolution politique comme la
démocratisation d’un régime, l’accession d’un pays à l’indépendance, voire
de certaines mesures générales telles qu’une amnistie générale ou la
dépénalisation de certaines infractions comme l’homosexualité. Le
changement doit être « significatif et durable » (Ceseda, L.711-4 et L.712-
3). La CJUE s’est prononcée sur les conditions de ce constat (CJUE, GC,
2 mars 2010, Salahadin Abdulla et alii, C-75/08). Le caractère significatif
et durable du changement suppose un certain laps de temps. À titre
d’exemple, les réfugiés espagnols ont perdu leur statut en 1979, trois ans
après la mort de Franco, les réfugiés chiliens en 1992, près de vingt ans
après le coup d’État de Pinochet, les réfugiés bulgares en 1998. Il doit être
de portée nationale, même s’il peut ne pas s’étendre à tout le territoire. Si ce
constat du changement de circonstances, qui relève en France de l’OFPRA,
est de portée générale, il n’emporte pas automatiquement cessation de la
protection, car il s’apprécie non pas de façon abstraite, mais concrète, par
rapport à la personne du réfugié. L’application de cette clause de cessation
exige donc du juge de l’asile qu’il apprécie la persistance des craintes du
réfugié. En pratique toutefois, la charge de la preuve est souvent inversée
par le juge, qui laisse au réfugié la charge très difficile d’apporter la preuve
de la persistance de ces craintes. Cette clause de cessation comporte une
exception en cas de « raisons impérieuses tenant à des persécutions
antérieures » pour un réfugié ou « à des atteintes graves antérieures » pour
un bénéficiaire de la protection subsidiaire.
La cessation peut intervenir pour un réfugié dans deux autres cas de
figure liés à son propre fait. Tel est le cas, en premier lieu, d’un acte
d’allégeance aux autorités de son pays d’origine ou de résidence habituelle.
L’allégeance suppose une démarche personnelle et intentionnelle auprès de
ces autorités, par exemple une demande personnelle de passeport à
l’ambassade du pays d’origine ou un retour dans ce pays. Elle sera écartée
pour des démarches répondant à d’« impérieuses nécessités », comme un
retour passager pour le décès d’un proche, une escale aérienne, une
demande de prorogation d’un passeport par une tierce personne. La
cessation peut, en second lieu, résulter d’une renonciation implicite à la
protection du fait de la réintégration du réfugié dans sa nationalité ou de
l’acquisition d’une nouvelle nationalité, ou encore d’un retour volontaire
d’une certaine durée dans son pays d’origine dans le but de s’y établir.

2. Les clauses de révocation. – À ces classiques clauses de cessation


stricto sensu, la DQ ajoute des hypothèses de « révocation, fin de statut,
refus de renouvellement » du statut de réfugié (art. 14) ou de la protection
subsidiaire (art. 19), dispositions transposées pour les réfugiés (Ceseda,
L.711-4 et 6) et les bénéficiaires de la protection subsidiaire (Ceseda,
L.712-3). La révocation doit intervenir au cas où l’exclusion aurait dû être
prononcée ou devrait être prononcée à raison de faits commis après l’octroi
de la protection ou lorsque l’octroi a résulté d’une fraude. La CNDA a ainsi
mis fin au statut de réfugié d’un ressortissant russe d’origine tchétchène,
multirécidiviste constituant une menace grave pour la sûreté de l’État au vu
de son allégeance manifeste à l’organisation terroriste dite « État
islamique » et prônant une action directe contre les représentants de l’État
(CNDA, GF, 31 déc. 2018, M.O., no 17013391). En application de l’adage
Fraus omnia corrumpit, la protection est censée n’avoir jamais été
accordée, et c’est donc bien ici d’un « retrait » qu’il s’agit, la révocation
ayant une portée rétroactive. La fraude ne se présume pas, et c’est à
l’OFPRA (ou le cas échéant au ministre chargé de l’asile) d’en apporter la
preuve, voire, en cas de recours à la CNDA ou au Conseil d’État, à ces
derniers d’en apprécier la réalité à partir des deux éléments qui la
constituent, à savoir, d’une part, un élément objectif comme la production
de faux documents, des déclarations mensongères, une pluralité de
demandes sous des identités différentes, voire certaines omissions dans le
récit ; d’autre part, un élément subjectif, comme une dissimulation ou des
manœuvres. Une fois la fraude établie, le retrait de la protection est
subordonné à la condition qu’elle ait porté sur un élément essentiel à
l’appréciation de la demande. C’est le cas par exemple d’une fausse
déclaration de minorité pour bénéficier de l’unité de famille (CE,
6 juin 2018, no 408398).
TROISIÈME PARTIE

LA DISSUASION DE L’EXERCICE
DU DROIT D’ASILE
Le temps n’est plus où celui qui souhaitait obtenir l’asile déposait, en
arrivant dans le pays d’asile choisi, sa demande auprès de l’autorité
compétente, l’OFPRA en France, laquelle accordait sa protection au terme
d’une interprétation souple de la convention de Genève visant à en
préserver l’esprit, c’est-à-dire la logique de protection. L’accroissement de
la demande d’asile et sa diversification à la fin des années 1980 ont conduit
à un changement d’approche. D’un côté, l’essor de la demande ne rendant
plus possible son traitement immédiat a fait émerger la figure nouvelle du
« demandeur d’asile », auquel a été reconnu le droit fondamental de
demander asile ; l’UE rappelant pour sa part aux États membres dans le
règlement Dublin III leur obligation d’examiner les demandes d’asile
(art. 3-1). De l’autre, l’ouverture des frontières entre ces États en
application du principe de libre circulation des personnes posé par l’Acte
unique a, dans un contexte de quasi-arrêt de l’immigration légale
professionnelle, nourri les craintes de l’afflux aux frontières extérieures
désormais communes d’une immigration irrégulière ainsi que d’un essor de
la criminalité internationale. La politique commune d’asile et d’immigration
alors ébauchée s’est ainsi inscrite dans un climat de circonspection et de
suspicion à l’égard de tous les migrants, y compris ceux parmi eux qui
sollicitaient l’asile, qui n’a fait que s’amplifier ensuite. La DQ en donne
l’illustration en invitant les États, lors de l’évaluation de la demande d’asile,
à rechercher si, depuis qu’il a quitté son pays d’origine, le demandeur a
« exercé des activités dont le seul but ou le but principal était de créer des
conditions nécessaires pour présenter une demande de protection
internationale » (art. 4, 3 d) ou encore pointe le cas où, face à un besoin de
protection apparu dans l’État d’accueil, « le risque de persécution est fondé
sur des circonstances que le demandeur a créées de son propre fait ». La
figure emblématique du républicain espagnol à protéger a ainsi cédé peu à
peu la place dans l’imaginaire collectif à celle du « faux réfugié »,
cherchant à détourner la procédure d’asile à des fins migratoires, voire
criminelles, et de qui il faudrait se protéger.
Ainsi, dans une logique de dissuasion, des obstacles toujours plus
nombreux freinent, voire entravent, l’accès à la procédure d’asile, et même
plus en amont l’accès aux pays d’asile.
CHAPITRE PREMIER

L’accès à la procédure d’asile

La convention de Genève accorde une double garantie aux demandeurs


d’asile par le principe de non-refoulement et le principe d’immunité pénale,
qui interdisent aux États de les refouler ou punir en cas d’entrée irrégulière
sur leur territoire (art. 33 et 31). Soucieuse de préserver leur souveraineté,
elle reste en revanche silencieuse sur la procédure d’octroi de la protection
internationale et leur laisse le soin de la définir. La construction d’un régime
d’asile européen commun a toutefois conduit l’UE à encadrer ces
procédures nationales. De nombreuses garanties ont été instituées, dictées
très largement par le droit des droits de l’homme, dont la portée ne doit pas
être minimisée, ne serait-ce que parce que certains États membres les
ignoraient complètement. Mais – non sans ambivalence – toute une série de
mesures affectent le droit de demander asile tantôt en le réduisant, tantôt en
multipliant les restrictions à son exercice.

I. – La réduction du droit de demander asile


À la perte du choix du pays d’asile dans l’UE dès les conventions de
Schengen et Dublin de 1990 s’ajoutent des motifs d’irrecevabilité des
demandes qui en excluent l’examen au fond.

1. La suppression du choix du pays d’asile dans l’UE. Le dispositif


Dublin, qui pose le principe d’unicité de la responsabilité du traitement de
la demande d’asile, repose sur la présomption selon laquelle tous les États
membres sont des États sûrs pour les demandeurs, car ils sont tous capables
d’offrir une protection conforme aux obligations qu’ils ont souscrites en
matière d’asile et de respect de droits fondamentaux. L’État responsable du
traitement de la demande est déterminé par des critères hiérarchisés qui
privilégient dans l’actuel règlement Dublin III la situation familiale du
demandeur (notamment celle de mineurs), puis le lien administratif exprimé
par la délivrance d’un titre de séjour ou d’un visa, enfin l’entrée irrégulière
du demandeur dans un État membre à partir d’un pays tiers. Depuis
l’origine du dispositif, chaque État membre s’est toutefois vu reconnaître la
faculté de déroger à l’application de ces critères en vertu, soit d’une clause
dite « humanitaire » leur permettant de prendre en compte la présence dans
un État de membres de famille à charge (qui ne le sont pas déjà en
application du critère des liens familiaux) (art. 16), soit de clauses dites
désormais « discrétionnaires ». Ces dernières les autorisent à prendre en
charge des demandes dont l’examen ne leur incombe en principe pas
(art. 17-1, clause de souveraineté qui a été utilisée massivement par
l’Allemagne en 2015 lors de l’afflux de demandeurs en provenance de
Grèce, et par la France pour les personnes évacuées du campement de
Calais en 2017), ou encore à confier cette prise en charge à un autre État
pour des motifs notamment familiaux ou culturels (art. 17-2).
En raison des difficultés à fournir la preuve de liens familiaux, le critère
de l’entrée irrégulière, qui lie la responsabilité de la demande d’asile au
respect par les États membres de leurs obligations en matière de contrôle
des frontières extérieures, est le plus souvent appliqué. Mais il conduit à
une répartition très inéquitable des demandes entre les États en faisant peser
l’essentiel de leur traitement sur ceux que leur géographie place, comme
notamment l’Italie, la Grèce, la Hongrie ou l’Espagne, aux frontières
extérieures de l’UE, et donc de l’accueil des demandeurs, non sans risque
d’engorgement de leurs dispositifs d’asile en cas d’afflux. Plus encore, les
différences substantielles entre les procédures d’asile et les conditions
d’accueil des États membres qui perdurent malgré la mise en place de
normes communes dans le cadre du RAEC rendent le système Dublin
particulièrement inéquitable pour les demandeurs dont les droits ne sont pas
également respectés. Les juges nationaux et, au-delà, les cours européennes,
en ont pris acte et, constatant alors les graves défaillances de certains
systèmes d’asile, ont condamné les États de renvoi pour violation tant de
leurs obligations en matière d’asile (notamment du principe de non-
refoulement vers un pays tiers à risque, ou du droit à un recours effectif
contre la décision de transfert…) que des droits fondamentaux en raison
notamment de conditions d’accueil déplorables et contraires en particulier à
l’interdiction de traitements inhumains ou dégradants. Elles ont aussi
condamné par ricochet les États procédant à de tels transferts vers ces États
(CEDH, GC, MSS c. Belgique et Grèce, 2011 ; également CEDH, GC,
Tarakhel c. Suisse, 2014). Plus encore, la Cour de justice a jugé que la
présomption de respect des droits fondamentaux par les États membres au
cœur du dispositif Dublin n’était pas irréfragable, mais une présomption
simple devant être renversée en cas de « défaillances systémiques de la
procédure d’asile et de conditions d’accueil » ouvrant pour les demandeurs
« un risque réel d’être soumis à des traitements inhumains et dégradants au
sens de l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux ». Elle a alors fait
obligation à l’État requérant de mettre en œuvre la clause de souveraineté
prévue par le règlement Dublin afin de suspendre le transfert (CJUE, GC,
N.S., 2011, C-411/10), à charge pour lui de rechercher un autre État membre
pouvant être désigné comme responsable en application des critères Dublin
(CJUE, Puid, 2013, C-4/11) et, à défaut, d’en devenir lui-même
responsable. Cette jurisprudence, qui a conduit à suspendre les renvois en
Grèce à partir de 2011 mais aussi vers d’autres pays de première entrée,
dont l’Italie, confrontée à une charge insurmontable en 2015, a été reprise
dans le nouveau réglement Dublin III (art. 3-2) adopté en 2013, ainsi qu’en
France par la loi du 20 mars 2018 (Ceseda, L.742-7), prenant en cela acte
des limites du principe de sûreté qui caractérise les États membres et fonde
leur confiance légitime. La jurisprudence s’est même élargie en condamnant
un transfert au vu du risque de traitements inhumains ou dégradants de la
part de l’État membre responsable en l’absence de défaillances systémiques
de son système d’asile (CJUE, CK, HF, AS c. Slovénie, 2017, C-578/16,
également CAA Paris, 28 juin 2018, no 18PA00145).
Certains États membres ont eux-mêmes pris leurs distances par rapport
au dispositif Dublin, et parfois depuis déjà quelques années. Ainsi le
Royaume-Uni s’est délié, par les accords de Sangatte en 2001 et du Touquet
en 2003 passés avec la France, de ses obligations en empêchant, par le
déplacement sur le sol français du contrôle britannique à la frontière, le
dépôt de demandes d’asile au Royaume-Uni. De même, des États de
première entrée, notamment l’Italie, ainsi que des États de transit des
Balkans, ont écarté son application par une politique de « laissez-passer »
en permettant aux demandeurs d’asile de transiter jusqu’à leur pays de
destination sans les enregistrer par le relevé de leurs empreintes digitales. À
l’été 2015, l’Allemagne a, à son tour, mis en œuvre la clause de
souveraineté prévue par le règlement Dublin pour accueillir les demandeurs
d’asile notamment syriens sans les renvoyer aux États normalement
responsables du traitement de leur demande.
Délaissant l’application de la directive « Protection temporaire » prévue
dans le cadre du RAEC, l’UE elle-même a préféré instituer, sur le
fondement de l’article 78, § 3, du TFUE, un mécanisme temporaire de
relocalisation dérogeant au règlement puisque visant à partager entre les
États membres le traitement de la demande d’asile afin d’alléger les États
les plus chargés – la Grèce et l’Italie. Réservé aux demandeurs ayant un
besoin manifeste de protection – Syriens, Irakiens et Érythréens –, dont le
taux d’octroi d’une protection dépassait 75 % au sein de l’UE, ce
mécanisme a été mis en œuvre à partir de « hotspots », centres d’accueil et
d’enregistrement installés en Grèce et en Italie vers les États membres
volontaires, où les demandeurs sont pris en charge après avoir été entendus
au cours d’un entretien mené sur place. L’appel à la solidarité entre les États
membres a montré ses limites. Au-delà du refus opposé par certains pays de
l’Est au principe même d’un tel mécanisme qu’ils ont d’ailleurs contesté,
mais sans succès, devant la CJUE, l’objectif de 160 000 relocalisations
arrêté pour toute l’UE est loin d’avoir été atteint puisqu’on dénombrait
35 000 relocalisations effectives au 31 mai 2018, dont 5 000 en France, et
aucune dans 4 États dont le Danemark et la Hongrie. La situation dans les
hotspots surpeuplés s’est totalement dégradée pour les demandeurs qui y
sont enfermés. Enfin, c’est également en dérogation au règlement Dublin, et
parfois pour le contourner, que des accords bilatéraux sont désormais passés
entre certains États membres, et notamment l’Allemagne, afin de faire
prendre en charge le plus rapidement possible des demandeurs déjà
enregistrés dans un autre État membre, sans qu’alors trouvent à s’appliquer
les garanties procédurales et d’accueil prévues par le règlement Dublin.
Ces dérogations multiples mettent en cause la pertinence du règlement
Dublin, mais également ses résultats. Ainsi en 2017, 41 420 personnes
(mineurs compris), soit 30 % des demandeurs d’asile, étaient en France des
« dublinés » et, sur 29 713 accords de transfert, 2 633 transferts seulement
furent exécutés (dont 982 transferts vers l’Italie, de loin le premier pays
concerné), soit un taux de transfert effectif de 8,8 %. C’est dire le résultat
dérisoire obtenu, et ce, d’autant qu’il faut prendre aussi en compte les
obligations de prise ou reprise en charge qui sont adressées aux États et
conduisent finalement à des flux de transferts nets de plus faible ampleur
encore. Alors que le caractère inéquitable et inefficace de ce règlement ainsi
que son coût économique et humain paraissent inviter à y renoncer, la
proposition de réforme du RAEC en cours en fait pourtant toujours le pivot
de la politique européenne d’asile, qu’elle assortit seulement d’un
« mécanisme correcteur » de relocalisation.

2. L’irrecevabilité de la demande d’asile. – Un demandeur d’asile en


France peut voir sa demande rejetée pour irrecevabilité sans donc qu’il soit
procédé à son examen au fond. Tel est le cas lorsque le demandeur bénéficie
de manière « effective », soit d’une protection au titre de l’asile dans un
autre État membre de l’UE, soit du statut de réfugié dans un pays tiers où il
est effectivement réadmissible (Ceseda, L.723-11). À ces deux premiers
cas, qui renvoient aux règles gouvernant le transfert de protection depuis un
État membre ou un pays tiers, s’ajoute un troisième cas : celui des
demandes de réexamen qui, après un examen préliminaire mais sans
entretien avec le demandeur, ne reposent pas sur des faits ou éléments
nouveaux qui « augmentent de manière significative » la probabilité de voir
la demande aboutir. En revanche, la loi française ne reprend pas un cas
prévu par la directive « Procédures » tenant à l’existence pour le demandeur
d’un « pays tiers sûr » (art. 33), et dont elle indique qu’il s’agit d’un pays
avec lequel le demandeur a « un lien de connexion sur la base duquel il
serait raisonnable » qu’il s’y rende et dont elle donne une définition
(art. 38).
Le concept de sûreté n’est pas nouveau, ni son application à des pays
tiers, puisque le dispositif Dublin laisse, depuis 1990, la faculté aux États
membres de renvoyer un demandeur vers un pays tiers sûr plutôt qu’à l’État
membre désigné comme responsable du traitement de la demande. La
France s’est jusqu’ici refusée à transposer ce concept que le Conseil d’État
a condamné en jugeant que l’entrée sur le territoire français ne pouvait être
légalement refusée à un demandeur au motif qu’il arrivait d’un État partie
à la convention de Genève où il aurait pu demander l’asile (CE, Ass.,
16 janv. 1981, Conté, no 20527 ; CE, Ass., 18 déc. 1996, Min. Int. c. Rogers,
no 160856). En outre, les critiques émises de toute part (notamment par la
CNCDH dans son avis du 19 décembre 2017 et le Conseil d’État dans son
avis du 16 mai 2018) à l’égard du projet du gouvernement de l’introduire
dans le projet de loi devenue la loi du 10 septembre 2018, critiques fondées
tant sur sa non-conformité à la Constitution et son incompatibilité avec la
convention de Genève que sur l’aléa de sa mise en œuvre lié au caractère
incertain de la notion de sûreté et à ses difficultés d’application, ont eu
raison de ce projet.
La proposition de réforme de la directive « Procédures » présentée par
la Commission en 2016 pourrait toutefois l’y contraindre, car outre le
remplacement de l’actuelle directive par un règlement « Procédure »
d’application directe, elle prévoit, d’une part, de substituer à la faculté
jusque-là laissée aux États membres par le dispositif Dublin de renvoyer un
demandeur vers un pays tiers sûr plutôt qu’à l’État membre responsable,
une obligation d’y procéder prioritairement, d’autre part, et plus largement
de faire de l’existence d’un « pays tiers sûr » pour un demandeur d’asile un
motif d’irrecevabilité de sa demande d’asile, enfin d’assouplir la condition
de sûreté des pays tiers en la bornant à une « protection suffisante » des
demandeurs dans le pays en cause au lieu du bénéfice d’une protection
conformément à la convention de Genève (COM, 67 final, 13 juill. 2016).
Nombre d’États membres, dont notamment l’Allemagne, qui a révisé sa
Constitution à cette fin dès 1993, voire d’autres États non européens comme
l’Australie, le Canada ou les États-Unis, retiennent ce concept et passent
des accords de réadmission avec des pays dont la sûreté est pour le moins
sujette à caution. De son côté, la Commission européenne n’hésite pas, dans
sa proposition de réforme précitée, à désigner la Turquie comme pays tiers
sûr en ignorant l’enfermement et la reconduite à la frontière de demandeurs
d’asile en violation du principe de non-refoulement ou ses violations des
droits fondamentaux qui lui valent d’incessantes condamnations de la cour
de Strasbourg. La Realpolitik l’emporte ici, comme déjà dans la Déclaration
UE – Turquie du 18 mars 2016 décidant notamment, en réponse à
l’engorgement de la demande d’asile en Grèce, le renvoi en Turquie de tous
les migrants entrés irrégulièrement ou interceptés avant leur entrée en
Grèce, et ce, avec l’assentiment du Conseil d’État hellénique qui a jugé
qu’elle pouvait être considérée comme un pays sûr (CE, 22 sept. 2017,
no 2347 et 2348/2017).

II. – Les restrictions du droit de demander asile


Le souci d’écarter les « faux demandeurs », les « fraudeurs », ou de
détecter des « abus », auquel s’ajoute désormais celui de plus en plus
prégnant d’une gestion efficace de la demande, expliquent la multiplication
des contrôles qui pèsent sur les demandeurs d’asile, lesquels se voient
filtrés, triés, classés tout au long de la procédure d’asile, jusque dans
l’accueil qui leur est réservé. « Pré-demandeurs », « dublinés », « personnes
vulnérables »… autant de catégories qui rendent compte de la
fragmentation de la figure du demandeur d’asile, mais aussi absorbent par
leur abstraction les personnes singulières dont la demande est porteuse d’un
enjeu souvent vital.

1. Les restrictions d’ordre procédural. – La procédure d’asile à la


frontière instituée en 1982 pour répondre à l’augmentation de la demande
d’asile, mais qui est désormais réduite par les obstacles posés à l’accès au
territoire (1 270 demandes en 2017), permet de filtrer les demandes à
l’entrée du territoire. C’est au ministre chargé de l’immigration qu’il
appartient de décider de cette entrée, à laquelle il peut s’opposer pour des
motifs déterminés mais larges, à savoir la menace grave pour l’ordre public
que constitue la présence du demandeur sur le sol français, le caractère
« manifestement infondée » ou irrecevable de sa demande, la compétence
d’un autre État membre pour la traiter en application du règlement
Dublin III. L’appréciation du caractère manifestement infondée de la
demande désormais définie comme une demande « manifestement dénuée
de pertinence au regard des conditions d’octroi de l’asile ou manifestement
dépourvue de toute crédibilité en ce qui concerne le risque de persécutions
ou d’atteintes graves » (Ceseda, L.213-1) ou de son irrecevabilité relève
exclusivement de l’OFPRA qui, à l’issue d’un entretien avec le demandeur
placé en zone d’attente le temps qu’il soit statué sur sa demande, donne un
avis qui lie le ministre. Les demandeurs autorisés à entrer se voient délivrer
un visa de régularisation pour faire enregistrer leur demande en préfecture.
La plupart des demandeurs sollicitent l’asile une fois qu’ils sont entrés,
régulièrement ou non, sur le territoire. Contrairement au principe de
traitement de la demande d’asile par une autorité unique, principe posé par
la directive « Procédures », la France subordonne le dépôt des demandes à
l’OFPRA à leur enregistrement préalable en préfecture dans un délai de
3 jours, porté à 10 en cas d’affluence exceptionnelle. Cet enregistrement se
fait auprès de l’une des 34 préfectures dotées d’un guichet unique de
demandeurs d’asile (GUDA) tenues d’y procéder sans pouvoir prétexter
l’absence de domiciliation du demandeur, ou des documents normalement
requis pour entrer en France, ou du relevé de ses empreintes digitales.
Préalablement, les demandeurs doivent s’adresser à l’une des 34 plates-
formes d’accueil (PADA) instituées en 2015 pour les informer sur leurs
droits et gérer leurs convocations en préfecture afin de réduire le délai
d’enregistrement, mais en l’état les progrès accomplis restent insuffisants,
la file d’attente s’étant déplacée en amont de l’OFPRA à la PADA. La
violation du délai légal pénalise gravement les pré-demandeurs qui, sous
réserve de l’accès potentiel à certains hébergements d’urgence, se voient
privés de la protection offerte aux demandeurs d’asile enregistrés comme
tels, d’où la ferme condamnation de la cour de Strasbourg (CEDH, AEA
c. Grèce, 2018) et la sanction régulière des tribunaux administratifs, le
Conseil d’État faisant preuve de plus d’indulgence (CE, réf., 7 nov. 2016,
no 404484, CE, réf., 21 avr. 2017, no 409806).
Le passage en préfecture permet, à l’occasion d’un entretien avec
chaque demandeur, de procéder au relevé de ses empreintes digitales et de
consulter les systèmes Eurodac et Visabio pour décider de l’orientation de
sa demande. Le premier filtrage concerne ceux dont la demande relève d’un
autre État membre et pour lesquels la procédure Dublin doit être mise en
œuvre dans des délais précis, qu’il s’agisse d’une demande de prise ou de
reprise en charge. Le transfert doit s’effectuer dans les 6 mois qui suivent
l’acceptation de la prise en charge par l’État responsable. Mais ce délai peut
être allongé et porté à 1 an en cas d’emprisonnement et à 18 mois en cas de
fuite ; en outre, en cas de recours contre la décision de transfert, il
recommence à courir dans sa totalité à compter de la décision définitive du
juge (CJCE, Migrationsverket c. Petrosani, 2009, C-19/08). L’allongement
potentiel de ces délais, qui pourraient l’être plus encore par la réforme en
cours du règlement Dublin III, pérennise la situation très précaire dans
laquelle ils se trouvent et pèse à terme sur le succès de leur demande. S’il
n’est pas volontaire, le transfert peut être exécuté d’office. Enfin, rendant
compte d’un mouvement plus général de criminalisation des étrangers, la
soustraction à un transfert ou le retour en France après exécution du
transfert constitue, depuis la loi du 10 septembre 2018, un délit passible
d’une peine de 3 ans d’emprisonnement et jusqu’à 3 ans d’interdiction du
territoire.
À la différence des « dublinés », qui représentent une part croissante de
la demande (en 2017, 30 %), les autres demandeurs d’asile reçoivent un
formulaire qui leur permet de déposer leur demande à l’OFPRA mais dans
un délai très court puisque fixé à 21 jours à compter de l’enregistrement en
préfecture, et réduit à 8 jours pour une demande le réexamen, voire à 5 pour
ceux qui sont placés en rétention, ou proviennent d’un pays d’origine sûr,
ou dont la demande vise à faire échec à leur éloignement. Devenue le
maître-mot, l’accélération des procédures conduit à un classement des
demandes par les préfectures et l’OFPRA en « procédure accélérée ». La
demande doit alors être traitée en 15 jours, au lieu de 6 mois en procédure
normale, et même en 96 heures pour un demandeur placé en rétention ou
assigné à résidence. En cas de recours, la CNDA doit statuer en 5 semaines
au lieu de 5 mois en procédure normale (en pratique, elle statue dans des
délais respectivement de plus de 4 mois et de 8 mois). Un reclassement en
procédure normale peut, sauf en cas de menace grave pour l’ordre public,
être décidé par l’OFPRA ou le président de la CNDA ; il peut être sollicité
par le demandeur, mais seulement à l’occasion de son recours devant la
Cour (CJUE, Diouf, 2011, C-69/10), et celle-ci n’est pas tenue d’y
souscrire, même s’il s’agit d’un mineur (CNDA, 19 déc. 2016,
no 16021741, pour une mineure victime de traite).
Alors que le temps est essentiel pour permettre aux demandeurs de faire
valoir au mieux leur besoin de protection en rassemblant notamment les
pièces à même de renforcer la crédibilité de leur récit, la brièveté des délais
n’est pas condamnée en tant que telle car utile pour éviter l’engorgement du
système d’asile (CE, avis, 15 fév. 2018, no 394 206). Elle peut toutefois être
un élément qui, s’ajoutant à d’autres (comme les difficultés matérielles
d’apporter des preuves, un placement en rétention…), peut faire perdre son
effectivité au recours (CEDH, IM c. France, 2012 ; CE, 30 juill. 2014,
no 37543). Loin d’être marginale, la procédure accélérée occupe une place
de plus en plus importante (37 % des demandes en 2017) du fait de son
extension au fil des lois à de nouvelles catégories de demandeurs
(« dublinés » dont le transfert a échoué, demandeurs provenant d’un pays
d’origine sûr, sollicitant un réexamen, placés en rétention administrative,
présentant une menace grave pour l’ordre public, présentant une demande
abusive, frauduleuse, dilatoire, sans pertinence ou sans cohérence, ayant
dépassé le délai de dépôt des demandes à l’OFPRA, qui est de 90 jours à
compter de leur entrée en France et de 60 jours en Guyane). La procédure
accélérée met par ailleurs en cause la garantie de la collégialité et la
présence du HCR, qui constitue pourtant un élément fondateur du système
de l’asile, car la Cour statue alors à juge unique et parfois même sans
audience publique. L’importance prise par ces procédures à juge unique
(54 % des affaires en 2017) ou sans audience publique (30 % des affaires
en 2017) interroge évidemment sur le bien-fondé d’une exigence de
performance de la justice qui prévaudrait sur sa qualité, voire menacerait
l’effectivité du droit au recours. Enfin, si des délais trop brefs handicapent
l’examen de la demande, à l’inverse des délais trop longs pèsent sur le sort
des demandeurs. Pourtant, la directive « Procédures » prévoit des
dérogations au délai de traitement qu’elle a fixé à six mois, en en
permettant la prolongation jusqu’à 20 mois, voire le gel au vu par exemple
de l’instabilité de la situation politique d’un État.
Des garanties procédurales ont été progressivement introduites pour
l’instruction des demandes d’asile par l’Office, qui est unique, quel que soit
le fondement de la demande : droit à information, droit pour les demandeurs
d’asile à la frontière et pour les « dublinés » d’avertir leur consulat, un
conseil et une personne de leur choix, principe de confidentialité qui
constitue une « garantie essentielle » du droit d’asile (CC, 22 avr. 1997,
no 97-389 DC, CE, Sect., 1er oct. 2014, M.), droit d’être entendu, droit lors
de l’entretien individuel à l’office, à l’assistance d’un interprète ainsi que
d’un conseil ou d’un représentant habilité d’une association elle-même
habilitée, lesquels peuvent formuler des observations à l’issue de
l’entretien, principe du contradictoire, remise du procès d’entretien par
l’Office, motivation non stéréotypée des décisions, etc. Ces garanties
développées également dans la phase contentieuse devant la CNDA sont
toutefois assorties d’exceptions, et surtout soulèvent dans leur application
des difficultés concrètes diverses : réception des convocations du fait de
domiciliations précaires, difficultés linguistiques – car le choix de la langue
opposable tout au long de la procédure est arrêté dès l’enregistrement de la
demande en préfecture, et se voit désormais limité à une langue dont le
demandeur a une connaissance suffisante –, généralisation des
visioconférences pour les auditions, non-transmission immédiate en
procédure accélérée du rapport d’audition de l’OFPRA, motivations encore
souvent stéréotypées, restrictions de l’accès à l’aide juridictionnelle par la
brièveté des délais pour la solliciter, limitation apportée, au nom du secret
des sources, au principe du contradictoire dans la mise en œuvre des clauses
d’exclusion, ou encore filtrage drastique des pourvois en cassation formés
devant le Conseil d’État contre les décisions de la CNDA (34 pourvois
admis sur 836 en 2017) doublé de l’exigence d’un avocat aux Conseils et
d’une limitation des moyens de cassation (seuls 28 demandeurs ont obtenu
satisfaction en 2017).
Tout au long de la procédure, la question la plus délicate reste, pour le
demandeur, celle de parvenir à convaincre de la réalité de ses craintes ou
menaces et de leurs motifs. Pour permettre l’évaluation de sa demande et sa
crédibilité, il est tenu de coopérer avec les autorités, d’apporter tous
éléments utiles pour permettre, par la cohérence de ses déclarations et de
son récit écrit, ainsi que par la transmission de documents pertinents (pièces
judiciaires, certificat médical, rapports d’institutions ou d’ONG sur la
situation locale, etc.), de forger leur intime conviction. Si le bénéfice du
doute, recommandé par le HCR, peine à être retenu, et si la suspicion
demeure trop souvent encore la règle (Belorgey, 2016), acte commence
toutefois à être pris de l’impossibilité dans laquelle un demandeur peut être
de prouver tous ses dires et donc de la nécessité d’infléchir la charge de la
preuve qui pèse sur lui. Ainsi, la cour de Strasbourg a condamné une
exigence excessive de preuves, la mise en doute de l’authenticité des
documents produits ou des motivations trop succinctes des décisions prises
(CEDH, KK c. France, 2013), tandis que la CJUE a par exemple proscrit le
recours à une expertise psychologique basée sur des tests projectifs de
personnalité visant à apprécier l’orientation sexuelle d’un demandeur
comme constituant une ingérence d’une particulière gravité dans le droit au
respect de sa vie privée (CJUE, 2018, C-473/16).
Au demeurant, le droit à un recours effectif est mieux assuré désormais
par le caractère suspensif reconnu aux recours contre diverses décisions,
comme celle de refus d’entrée sur le territoire à la suite de condamnation de
la France par la cour de Strasbourg (CEDH, 26 avr. 2007, Gebremedhin
c. France) ou de transfert des « dublinés ». Toutefois, les recours alors
ouverts devant le président du tribunal administratif sont enfermés dans des
délais très brefs : 48 heures pour les refus d’entrée avec 15 jours en cas
d’appel, et ce recours est exclusif de tout autre ; 15 jours pour les refus de
transfert Dublin, délai ramené à 48 heures en cas d’assignation à résidence
ou de placement en rétention du demandeur, le juge statuant dans les
96 heures. Plus gravement encore, la loi du 10 septembre 2018 a supprimé
le caractère suspensif des recours formés devant la CNDA à la suite du rejet
de leur demande par des personnes en provenance de pays d’origine sûrs,
ou sollicitant le réexamen de leur demande, ou encore considérées comme
présentant un trouble grave pour l’ordre public. Faisant alors l’objet d’une
obligation de quitter le territoire (OQTF), elles ne peuvent former devant le
tribunal administratif, et encore est-ce dans un délai de 48 heures, qu’une
demande de sursis à l’exécution de cette OQTF. Critiquable et critiquée (en
ce sens, CE, avis, 15 fév. 2018, no 394206 ; CNCDH, avis, 2 mai 2018)
cette disposition, qui rend encore un peu plus complexe le contentieux de
l’asile, conduit à confier à un juge – le tribunal administratif –, dont ce n’est
pas l’office, le soin de se prononcer avant la CNDA – dont c’est l’office –
sur une demande d’asile dont celle-ci est également saisie et dont
l’appréciation plus tardive pourrait diverger.

2. La restriction des conditions d’accueil. – C’est d’abord « la


circulaire Fabius » du 17 mai 1985 qui a pris acte de l’état de demandeur
d’asile en leur reconnaissant le droit de se maintenir sur le territoire le
temps qu’il soit statué sur leur demande, comme il en découle des
principes de non-refoulement et d’immunité pénale de la convention de
Genève. Le Conseil d’État a ensuite consacré leur droit au séjour provisoire
(CE, Ass., 13 déc. 1991, N’Kodia et préfet de l’Hérault c. Dakoury) dont le
refus peut être contesté notamment par la voie d’un référé liberté devant le
juge administratif, car il s’agit d’une liberté fondamentale (CE, réf.,
12 janv. 2001, Hyacinthe, no 229039) ; le Conseil constitutionnel a, pour sa
part, relevé le caractère constitutionnel de ce droit sans pour autant en faire
un droit absolu (93-925 DC, 13 août 1993). Une attestation doit être
délivrée à tout demandeur d’asile, y compris aux « dublinés », lors de
l’enregistrement de sa demande. Les mineurs doivent être représentés pour
toute la procédure, y compris la procédure Dublin, par leur représentant
légal et pour les mineurs isolés, qui représentent, en 2017, 13 % des
demandeurs, un administrateur ad hoc désigné par le procureur de la
République, le cas échéant dès la zone d’attente à la frontière. L’attestation
vaut droit au maintien sur le territoire après introduction de la demande à
l’OFPRA. Sa brève durée – elle n’est accordée que pour 1 mois, et
renouvelable ensuite pour une durée de 9 mois en procédure normale,
6 mois en procédure accélérée et 4 mois en procédure Dublin et peut ne pas
être renouvelée ou être retirée – permet de maintenir les demandeurs sous
contrôle.
Par ailleurs, le champ de l’assignation à résidence et de la rétention
administrative ne cesse de s’élargir. Les « dublinés » peuvent faire l’objet
de telles mesures, et avant même la notification d’une décision de transfert
en cas de risque de fuite, risque largement défini par la loi. De même, les
demandeurs qui n’ont droit au maintien sur le territoire que jusqu’à la
décision de l’OFPRA, et font alors l’objet d’une OQTF, peuvent être
assignés à résidence, voire placés en rétention ; or, cette catégorie de
demandeurs est en extension ; tel est le cas par exemple des demandeurs
provenant de pays d’origine sûrs ou dont la présence constitue une menace
grave pour l’ordre public, ou demandant le réexamen de leur demande. La
durée de ces mesures s’étend de surcroît : en dépit de l’avis contraire du
Conseil d’État qui l’a estimée contraire au droit d’asile (CE, avis préc.), la
rétention de 45 jours peut être doublée et donc atteindre 90 jours, voire plus
à certaines conditions. L’extension de la rétention administrative, comme
d’ailleurs du placement en zone d’attente à la frontière, même s’il est sans
commune mesure car limité à 26 jours, rend compte d’une politique
d’enfermement des demandeurs d’asile que confirme plus encore leur
« encampement » (Agier, 2017) en centres fermés aux frontières de l’UE
dans le cadre de l’externalisation de la politique européenne d’asile. Si des
conditions de fond et garanties de procédure, auxquelles veille notamment
la cour de Strasbourg (CEDH, Amuur c. France, 1996, à propos du
placement en zone d’attente), les encadrent, le principe même de privation
de liberté d’un demandeur d’asile, voire mineur, a fortiori mineur isolé,
reste en l’absence de toute commission d’infraction une véritable question.
La directive « Conditions d’accueil » s’attache à énoncer un ensemble
de droits en faveur des demandeurs d’asile afin de leur offrir une « vie
digne ». Attenantes au droit au maintien sur le territoire, ces conditions
d’accueil en épousent le champ et s’appliquent donc désormais aussi bien
aux demandeurs placés en procédure accélérée qu’en procédure normale,
ainsi qu’aux « dublinés » (CEDH, Cimade et Gisti, 2012, C-179/11). Si ces
droits se sont précisés et développés, la politique d’accueil devient toutefois
plus directive et contraignante, voire « policiarisée » (Slama, 2018). Afin
d’assurer une meilleure répartition des demandeurs sur le territoire, un
schéma national et des schémas régionaux d’accueil des demandeurs d’asile
prévoient une répartition prévisionnelle des lieux d’hébergement, y compris
les lieux provisoires, entre les régions ainsi que la part des demandeurs
d’asile dans chacun d’eux. Le bénéfice des conditions matérielles d’accueil
(hébergement et allocation pour demandeurs d’asile – ADA –, laquelle doit
être d’un montant assurant aux demandeurs « un niveau de vie adéquat qui
garantisse leur subsistance et protège leur santé physique et mentale » –
DA, art. 17, CE, 23 déc. 2016, Association La Cimade et alii, no 39481) est
subordonné à l’acceptation par le demandeur de la proposition
d’hébergement qui lui est faite. Son retrait s’impose dans des cas de plus en
plus nombreux (par exemple, pour refus de coopérer avec les autorités, non-
acceptation du lieu d’hébergement ou son abandon sans motif légitime ou
sans autorisation de l’OFII, dissimulation de ressources, déclarations
mensongères sur la situation familiale…) ; il est facultatif dans d’autres cas
(par exemple, en cas de demandes d’asile multiples sous des identités
différentes). Ce bénéfice peut en outre être refusé lorsque le demandeur n’a
pas présenté sa demande à l’OFPRA dans le délai requis. Ces décisions
relèvent de la compétence de l’OFII, mais les préfets peuvent toujours
s’opposer pour des motifs d’ordre public à une décision d’admission d’un
demandeur dans un lieu d’hébergement. Éclaté en de multiples structures
spécialisées par catégories de demandeurs (CADA, CAO…), l’hébergement
reste caractérisé par la saturation du dispositif d’accueil et des conditions
très disparates, voire, en certains cas, contraires aux droits fondamentaux et
au principe de dignité, situations dont le juge administratif se voit
désormais souvent saisi en référé. Ainsi, le Conseil d’État, confirmant en
cela un jugement du tribunal administratif de Lille, a condamné la
commune de Calais et l’État pour la situation sur le site de « la Lande » en
raison, d’une part, de l’absence d’identification et de prise en charge des
mineurs isolés, d’autre part, des conditions de vie constitutives de
traitements inhumains ou dégradants, relevant à cet égard la carence des
autorités titulaires du pouvoir de police générale qui, garantes du respect du
principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité humaine, sont tenues de
veiller, notamment, à ce que soit garanti le droit de toute personne à ne pas
être soumise à de tels traitements. Il a en conséquence confirmé l’injonction
adressée au préfet de procéder au plus vite au recensement des mineurs en
cause afin d’assurer leur placement et enjoint à l’État et à la commune de
prendre dans les 8 jours des mesures sanitaires et sécuritaires précises ; en
revanche, il a estimé que la prise en charge des migrants présents sur le site
au titre de l’asile (information, accompagnement des demandeurs, places en
centre d’accueil) ne permettait pas de conclure à une carence caractérisée de
l’État en matière d’asile (CE, O., 23 nov. 2015, Min. Int. c. commune de
Calais, no 394 540).
Les demandeurs d’asile ont par ailleurs accès au marché du travail, dans
un délai désormais ramené à 6 mois, mais la situation de l’emploi leur est
opposable et, en pratique, très souvent opposée lorsqu’ils sollicitent une
autorisation de travail auprès des préfectures. Ils ont également accès aux
soins et bénéficient du régime d’assurance maladie par affiliation à la
sécurité sociale. L’aide médicale d’État (AME) leur est ouverte après
3 mois de séjour en France, cette condition étant écartée pour les mineurs.
Si, dès la phase de demande d’asile, une attention particulière doit être
portée à la situation de ces derniers, notamment des mineurs non
accompagnés, de nombreuses difficultés ont pu être relevées dans l’exercice
de leur droit d’asile ainsi que des violations de leurs droits emportant
condamnations de la France par les instances européennes (CEDS,
15 juin 2018, no 114/2015 ; CEDH, SMK c. France, 28 mars 2019,
no 14356/19).
CHAPITRE II

L’accès au pays d’asile

« Europe forteresse » – l’expression n’est pas nouvelle. Au-delà du


renforcement des contrôles institués aux frontières extérieures de l’UE en
application de la convention de Schengen, elle rend compte d’un véritable
verrouillage des frontières. Alors même que les demandeurs d’asile voient
en principe leur accès au territoire garanti par le principe de non-
refoulement, cet accès très contrôlé est en pratique entravé.

I. – Le contrôle de l’accès
1. Les instruments juridiques. – Instruite par l’expérience de la
Seconde Guerre mondiale, au cours de laquelle de nombreux pays
donnèrent pour instruction à leur consulat de ne pas délivrer de visas à ceux
qui fuyaient la persécution (Espagne, Portugal, États-Unis…), la convention
de Genève dispense les demandeurs d’asile, par l’immunité pénale qu’elle
leur accorde en son article 31, de présenter les documents normalement
requis à l’entrée sur le territoire, donc un visa. Pourtant, depuis les
années 1980, certains États, comme le Royaume-Uni à l’égard des Turcs et
des Sri-Lankais, ou la Finlande et les pays du Benelux lors de la guerre en
ex-Yougoslavie, ont exigé des visas afin d’éviter l’arrivée de trop nombreux
demandeurs d’asile. L’institution en application de la convention de
Schengen d’une liste commune de pays tiers soumis à visa pour entrer dans
cet espace en a généralisé l’exigence, et ce, d’autant que le risque de flux
migratoires illégaux figure parmi les critères gouvernant l’inscription sur
cette liste (règlement CE no 539/2001, 15 mars 2001). Par ailleurs, ce risque
doit, selon le code communautaire des visas (art. 21), être pris en compte
lors de la délivrance d’un visa. Si l’on ajoute à cela la fermeture fréquente
des consulats dans les pays en crise (ce fut le cas de ceux de Damas et
d’Alep), force est d’observer que les demandeurs d’asile sont en pratique
privés de la possibilité d’obtenir un tel visa. Qui plus est, des visas de
transit aéroportuaire (VTA) permettant de passer par la zone internationale
d’un aéroport pour changer de vol sans entrer dans le pays où il est situé,
peuvent être exigés depuis 1996 de ressortissants issus de pays qui figurent
sur une liste commune à l’UE, complétée au besoin par des listes nationales
au vu du « risque en matière de sécurité ou d’immigration irrégulière »
qu’ils présentent (Code communautaire, art. 3). Ainsi en est-il de
l’Afghanistan, l’Irak, l’Érythrée, la République démocratique du Congo…
et désormais la Syrie, ajoutée notamment par la France, qui sont en réalité
des pays émetteurs de réfugiés. La chute de la demande d’asile des
ressortissants des pays venant à être inscrits sur de telles listes montre que
ce visa est un instrument de régulation de la demande d’asile. Le Conseil
d’État, tout en en validant le principe, en est convenu, jugeant que, « sans
porter par elle-même aucune atteinte au droit fondamental qu’est le droit
d’asile, l’obligation de disposer d’un tel visa répond à des nécessités
d’ordre public tenant à éviter […] des afflux incontrôlés de personnes qui
demanderaient l’admission sur le territoire au titre de l’asile ainsi que le
détournement du transit aux seules fins d’entrée en France » (CE,
O., 15 fév. 2013, no 365709).
Le respect du principe de non-refoulement exigerait en réalité la
généralisation de « visas asile » en usage dans certains États. En France,
aucune procédure n’est prévue à cette fin et, pour sa part, le Conseil d’État
a jugé que, « si le droit constitutionnel d’asile a pour corollaire le droit de
solliciter l’asile en France, les garanties attachées à ce droit fondamental
reconnu aux étrangers se trouvant sur le territoire de la République
n’emportent aucun droit à la délivrance d’un visa en vue de déposer une
demande d’asile en France » (CE, O., 9 juill. 2015, no 391392). Des visas de
long et court séjour pour motif humanitaire (au nombre de 14 873) ont
néanmoins été délivrés par la France en 2017, mais de manière
discrétionnaire. La CJUE a, quant à elle, invoqué les limites du droit de
l’UE, qui traite des seuls visas de transit et de court séjour, pour écarter
toute obligation pour les États membres d’accorder un visa humanitaire aux
personnes qui souhaitent se rendre sur leur territoire dans l’intention de
demander l’asile ; ceux-ci demeurant toutefois libres de le faire sur la base
de leur droit national (CJUE, GC, 7 mars 2017, X et X c. Belgique, C-
638/16). Cette absence de voies légales d’accès au sol européen, qui
contraint les demandeurs d’asile à emprunter d’autres voies et à s’exposer à
tous les périls, notamment ceux de la Méditerranée, en faisant appel à des
passeurs, a conduit le Parlement européen à saisir la Commission en
décembre 2018 d’une proposition visant à instituer une procédure de
délivrance d’un visa humanitaire européen assortie de garanties et
permettant aux demandeurs de solliciter l’asile dans le pays leur ayant
accordé ce visa.

2. L’intensification des contrôles aux frontières. Depuis la chute du


mur de Berlin, plus d’une soixantaine de « murs » ont été édifiés dans le
monde aux frontières des États, murs qui se hérissent de clôtures barbelées,
s’électrifient et s’enrichissent de tous les progrès technologiques
(équipements radars, caméras thermiques, détection infrarouge,
drones, etc.). La frontière se dématérialise en outre et, devenue
« numérique », cerne le parcours des demandeurs d’asile, et plus largement
des étrangers par des fichiers toujours plus nombreux et informatisés (SIS,
VIS, Eurodac, Eurosur, système API-PNR, système « entrée/sortie » pour
des « frontières intelligentes », etc.) qui regorgent de données de nature
diverse, notamment biométriques, et sont ouverts à un nombre croissant
d’autorités. Alors qu’en France le Conseil constitutionnel s’était employé à
limiter l’accès aux données des demandeurs d’asile au nom du principe
constitutionnel de confidentialité de ces données (CC, no 97-389 D,
22 avr. 1997), le règlement Eurodac a permis, au nom de l’« intérêt
supérieur de la sécurité publique », l’accès d’Europol et des services
répressifs des États à sa base de données pour la plupart des infractions
terroristes et celles qui sont liées à la grande criminalité (dont l’immigration
clandestine) (R. no 603/2013, 26 juin 2013).
En dépit du principe de libre circulation, les contrôles aux frontières
intérieures n’ont pas disparu. La possibilité exceptionnelle de les
réintroduire pour une période limitée en cas de « menace grave pour l’ordre
public ou pour la sécurité intérieure » (CFS, art. 23), déjà ponctuellement
concrétisée lors des printemps arabes en 2011, s’est banalisée avec la « crise
syrienne », rendant compte de l’« impasse de l’espace Schengen » (Labayle,
25 nov. 2015). S’y ajoutent les contrôles d’identité frontaliers exercés sur
des zones de plus en plus étendues, et dont l’exemple de la frontière franco-
italienne suffit à illustrer les répercussions sur la situation des demandeurs
d’asile. Aux frontières extérieures de l’UE, Frontex, créée en 2004 et
devenue, en 2016, l’Agence européenne des garde-frontières, coordonne les
opérations de surveillance en intervenant là où elle identifie un « risque
migratoire ». Les drames de la Méditerranée ne cessent de montrer toutefois
les limites d’un dispositif davantage tourné vers la lutte contre
l’immigration irrégulière que vers la protection des migrants, et notamment
des demandeurs d’asile en particulière difficulté pour exposer leur demande
au moment où ils sont à peine rescapés à bord d’un bateau. Si la cour de
Strasbourg a rappelé aux États leurs obligations au titre de la Convention
européenne lors d’interceptions en mer (CEDH, GC, Hirsi Jamaa, 2012) et
si le règlement de Frontex fait désormais référence à la convention de
Genève et prévoit un mécanisme de plainte individuelle contre les
conditions d’intervention ou non-intervention de l’agence, force est
d’observer que, sans les ONG, notamment SOS Méditerranée, le devoir
d’assistance et de protection ne serait pas assuré.

II. – L’externalisation de l’asile


Empruntée au vocabulaire économique, où elle désigne la délocalisation
des activités productives, l’externalisation apparaît sous la plume de
certaines ONG en 2003 pour rendre compte des mesures prises par l’UE et
des États membres pour maintenir à distance les étrangers. Apparemment
inverse, puisqu’elle consiste en un transfert des demandeurs d’asile d’un
pays où ils ont cherché asile vers un pays qui a donné son accord pour leur
octroyer un droit de séjour pérenne, la réinstallation est néanmoins une
forme d’externalisation, dans la mesure où elle repose sur une sélection qui
a lieu hors du pays de réinstallation.

1. La délocalisation. – Elle se manifeste en premier lieu dans le report


hors du territoire européen de certaines procédures de contrôle des
frontières. Tel est le cas du système de sanctions des transporteurs
acheminant sur le sol européen des étrangers dépourvus des documents
requis pour y entrer (directive 2001/51/CE, 28 juin 2001). Bien qu’elle
réserve le cas des demandeurs d’asile en exonérant de cette responsabilité
les transporteurs qui les acheminent lorsque leur demande est non
« manifestement infondée » et que, de son côté, le Conseil constitutionnel
ait précisé que les transporteurs n’ont « à procéder à aucune recherche »,
car ils ne se sont pas vu conférer « un pouvoir de police au lieu et place de
la puissance publique » (no 92-307 DC, 25 fév. 1992), cette réserve reste
théorique. Le risque d’une amende doublée d’une obligation de rembarquer
pour avoir mal apprécié, même superficiellement, la demande d’asile,
demeure en effet dissuasif. La délocalisation du contrôle se manifeste plus
encore dans le déploiement par l’UE depuis 2004 d’un réseau d’« officiers
de liaison immigration » (OLI), officiers qui sont des agents des États
membres placés auprès des autorités locales responsables de la délivrance
des visas, de la formation des forces de l’ordre et du contrôle aux frontières
de l’UE (R. [CE] no 377/2004, 19 fév. 2004).
La délocalisation peut aussi porter sur le traitement même des demandes
d’asile. S’inspirant des renvois par les États-Unis dans la décennie 1990 des
boat-people haïtiens sur la base navale de Guantanamo pour l’examen de
leurs demandes d’asile ainsi que de la « Pacific solution » (en réalité
tragique) imaginée par l’Australie en 2001, le Royaume-Uni proposa en
2003 l’installation de centres de transit et de traitement des demandes dans
les pays traversés par les demandeurs en route vers l’Europe. De son côté,
le HCR proposa également en 2003, par une « convention Plus », la
création de centres fermés placés au plus près des pays d’origine,
éventuellement dans les futurs États membres de l’UE. Sous le couvert,
notamment, d’une meilleure protection à offrir aux demandeurs d’asile en
ne les exposant pas à des trajectoires périlleuses pour atteindre l’UE, le
principe d’une protection « ailleurs » mais aussi celui de l’enfermement
éventuel des demandeurs se sont affirmés. Les programmes de protection
régionaux (PPR) mis en œuvre par l’UE à partir de 2005 s’inscrivirent dans
cette « dimension externe » de l’asile, mais en visant à renforcer les
capacités de protection des régions de transit des demandeurs en Europe
de l’Est (Ukraine) et des régions d’origine (Tanzanie). L’ampleur de l’exode
de 2015, et notamment la multiplication des naufrages en Méditerranée, a
conduit l’UE à redessiner, lors du Conseil européen des 28 et 29 juin 2018,
la coopération avec les pays tiers dans deux directions, l’installation d’une
part, en lien avec le HCR et l’OIM, de centres de tri des demandeurs d’asile
dans les pays de transit (Niger, Tchad, Liban…), d’autre part, autour de la
Méditerranée, de plates-formes régionales de débarquement pour les
migrants secourus en mer. Reste que cette coopération repose sur le
volontariat des pays tiers (or, les pays du Maghreb ont déjà refusé d’en
être), ainsi que sur celui des pays de réinstallation dans l’UE.

2. La réinstallation. – Largement pratiquée pendant l’entre-deux-


guerres et dans l’après-guerre, la réinstallation a constitué, dans un esprit de
solidarité et de coopération de quelques États, une réponse à des crises
ponctuelles concernant des populations de même nationalité, identifiables
prima facie (ainsi des Hongrois en 1956, des Indo-Pakistanais en 1972, des
Chiliens après le coup d’État de 1973 et, dans un mouvement de particulière
ampleur, de plus d’un million d’Indochinois fuyant en masse après la
victoire de régimes communistes, enfin des ressortissants de l’ex-
Yougoslavie).
Elle est devenue aujourd’hui un instrument à vocation beaucoup plus
ample puisqu’elle constitue une réponse structurelle aux défis migratoires
du XXIe siècle, précisément une des trois solutions durables au problème des
réfugiés promues par le HCR (au côté de l’intégration sur place dans le
premier pays d’asile ou le pays de transit et le rapatriement volontaire dans
le pays d’origine). L’UE en a fait depuis 2000 une de ses priorités, qu’elle a
réaffirmée ensuite dans ses divers différents programmes de protection
régionaux (PPR) et dont elle a défini les principes directeurs dans un
programme commun de réinstallation en 2012. En juillet 2015, elle a ainsi
développé un programme de réinstallation des Syriens au départ de la
Turquie, de la Libye et de la Jordanie, puis par l’accord UE-Turquie du
18 mars 2016 posé, dans un véritable troc, le principe d’une réinstallation
de « un pour un », à savoir un Syrien réinstallé dans l’UE pour un Syrien
(ne demandant pas l’asile ou présentant une demande irrecevable ou
infondée) renvoyé depuis la Grèce en Turquie. Une proposition de
règlement du 13 juillet 2016 fixe le cadre de ces réinstallations dans l’UE
(procédure unifiée, plans de réinstallation fixant des zones de réinstallation
et des régions de départ, nombre de personnes concernées, procédures types
de sélection et de traitement des candidats, contribution financière de l’UE
aux États de réinstallation). En France, l’OFPRA a de son côté mis en
place, dès la fin 2013, des missions depuis le Liban, la Jordanie et l’Égypte
pour déterminer les besoins de réinstallation de Syriens dont le droit
français a pris acte, en 2018, en visant dans un nouveau chapitre du Ceseda
portant sur « la réinstallation à partir de pays tiers à l’Union européenne »
« les personnes en situation de vulnérabilité relevant de la protection
internationale identifiées le cas échéant par des missions sur place des
autorités en charge de l’asile » (Ceseda, L.714-1).
La réinstallation reste limitée. Selon le HCR, 329 000 personnes ont été
réinstallées dans le monde en 4 ans avec une diminution de moitié dans les
deux dernières années, soit en 2016 et 2017, 126 200 et 65 100 personnes.
Selon Eurostat, pendant ces deux années-là, 14 200 et 23 900 personnes ont
été réinstallées dans l’UE, avec de grandes variations selon les États
membres. En 2017, 9 États membres ont réinstallé plus de 1 000 personnes,
le Royaume-Uni étant le premier pays de réinstallation (6 210 personnes),
puis l’Allemagne (3 000) et la France (2 600) ; en revanche 10 États,
essentiellement de l’Est, n’ont procédé à aucune réinstallation. Mais au-delà
de ce bilan, la réinstallation soulève de véritables interrogations au regard
du droit international des réfugiés. Outre la relative opacité des programmes
de réinstallation, celle-ci repose sur des quotas numériques (dérisoires au
demeurant par rapport aux besoins de protection) et des critères variables
selon les États, principalement critères de nationalité et critères de
vulnérabilité, voire sans lien avec un besoin de protection, et avec ceux qui
sont requis pour l’octroi de la protection internationale, comme l’existence
de liens culturels et linguistiques ou les capacités d’intégration (niveau
d’études, qualification professionnelle). Plus encore s’ajoutent des critères
d’inéligibilité souvent définis de manière vague et qui, très variables d’un
pays à l’autre (passé criminel, casier judiciaire, troubles mentaux…),
tendent principalement à la protection de la sécurité nationale et de l’ordre
public, et vont donc bien au-delà des clauses d’exclusion de la convention
de Genève. C’est en réalité une autre conception de la protection qui
s’affirme, tout à la fois nationale, discrétionnaire, humanitaire, voire
économique. Elle ne saurait donc, ainsi que le Parlement européen s’en est
inquiété, remplacer l’asile.
Conclusion

Le droit d’asile n’est pas n’importe quel droit de l’homme. Au-delà de


la liberté et de l’égalité qu’il protège, il est un droit fondamental en ce qu’il
exprime un rapport à l’autre qui est au fondement même de toute société,
une condition de fraternité consubstantielle à toute communauté politique.
Alors que l’asile est intemporel, le droit d’asile ne l’est pas. Il s’affirme
au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, dans un monde où « la
méconnaissance et le mépris des droits de l’homme ont conduit à des actes
de barbarie qui révoltent la conscience de l’humanité ». Il apparaît alors
comme un ultime rempart contre les violations des droits de l’homme
proclamés par la Déclaration universelle des droits de l’homme.
Il requiert à ce titre la plus grande vigilance, et plus encore dans
l’Europe qui fut son terreau, à l’heure où l’« espace de liberté, de sécurité et
de justice » que veut être l’UE est gravement ébranlé par la crispation des
souverainetés nationales et les replis identitaires, car elle sait, par sa propre
histoire, de quelle haine et de quelle désolation ils sont porteurs. C’est dire
le défi et l’enjeu que constitue, dans un contexte aussi fragilisé, et alors que
la question de l’asile comme celle de l’immigration ne cessent d’être
instrumentalisées dans le débat politique, la réforme du régime européen de
l’asile.
Réforme ou plutôt reconstruction, puisque tous les piliers du régime
d’asile européen commun sont en débat. Le moment est certainement venu
de tirer les conséquences du total échec du règlement Dublin qui,
inéquitable et inefficace, sape la confiance mutuelle et la solidarité entre les
États membres. Il n’est que temps aussi de renoncer à cette étrange
conception de la sûreté qui conduit à la tenir plus facilement pour acquise
dans les pays d’origine ou tiers afin d’y renvoyer les demandeurs d’asile
qu’elle ne l’est dans l’UE où les considérations sécuritaires l’emportent sur
toute autre, à commencer par le droit d’asile, qu’elles minent. Il n’est enfin
que temps, pour que le droit d’asile ne soit pas réduit à une incantation
rituelle, d’ouvrir des voies d’accès légal aux pays d’asile pour en permettre
l’exercice.
C’est donc une restauration du droit d’asile qui doit être entreprise pour
qu’il soit à la hauteur des besoins de la protection internationale et de ses
enjeux, sans être en permanence entravé par les exigences de l’ordre public.
Certes essentiel et même objectif de valeur constitutionnelle, l’ordre public
ne peut l’emporter dans une démocratie sur toute autre considération, mais
doit être concilié avec d’autres principes constitutionnels, et notamment
avec le principe de fraternité. Il en va de la survie des démocraties de
n’acculer aucun homme à ce « parcours du désespoir » avec lequel se
confond trop souvent l’exercice du droit d’asile.
BIBLIOGRAPHIE

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Rapport annuel au Parlement sur les orientations de la politique de
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Rapport d’information fait au nom de la commission des affaires
européennes du Sénat sur la réforme de l’espace Schengen et la crise
des réfugiés : J.-Y. Leconte, A. Reichardt, L’Europe de Schengen face à
la crise des réfugiés, mars 2016.
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Avis de la CNCDH.
REVUES

Revue Europe, notamment dossier spécial : « L’Europe, terre d’accueil ou


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Plein Droit.
Migreurop, notes.

SITES

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Legifrance, Conseil constitutionnel, Conseil d’État, CNDA, OFPRA.
Acat, Anafé, Amnesty international, CFDA, Cimade, Forum réfugiés,
GISTI, FTDA, Médecins du monde, Migreurop, etc.
TABLE DES MATIÈRES
Introduction

I. – Une crise migratoire ?

II. – Du droit d'asile au droit à l'asile

Première partie - La construction du droit d'asile

Chapitre premier - Les sources internationales

I. – L'émergence d'une protection internationale des réfugiés

II. – Le système de Genève

Chapitre II - Les sources régionales


I. – L'institution d'un régime d'asile européen commun

II. – Le droit européen des droits de l'homme

Chapitre III - Les sources nationales

I. – L'encadrement national du droit d'asile

II. – L'architecture du système français d'asile

Deuxième partie - La déclinaison du droit d'asile

Chapitre premier - Le champ de la protection

I. – L'octroi de la protection
II. – La réduction du champ de la protection

Chapitre II - Le statut du bénéficiaire

I. – Le contenu de la protection
II. – La perte de la protection

Troisième partie - La dissuasion de l'exercice du droit d'asile

Chapitre premier - L'accès à la procédure d'asile

I. – La réduction du droit de demander asile

II. – Les restrictions du droit de demander asile

Chapitre II - L'accès au pays d'asile

I. – Le contrôle de l'accès

II. – L'externalisation de l'asile

Conclusion

Bibliographie
www.quesaisje.com

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