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LA CONSTRUCTION DU DROIT
D’ASILE
D’origine ancienne, l’asile, qui désigne la protection offerte à une
personne ou à un groupe de personnes dans un lieu déterminé, est
longtemps resté religieux. Des inscriptions sur des stèles attestent la
pratique en Égypte, où l’asile est souvent demandé par les prêtres pour leurs
temples. Par l’inviolabilité qui leur est conférée et la sécurité qui en
découle, les lieux d’asile contribuent à la prospérité des cités. À ce titre, il
constitue un instrument politique. C’est en Grèce que l’asile, lié à des récits
mythologiques, est véritablement inventé et que son nom lui est donné. Il
essaime alors dans de multiples temples comme celui d’Apollon à Éphèse.
Toutefois, des abus souvent dénoncés conduisent à priver de son bénéfice
les auteurs de certains actes : l’asile devient sélectif. La perfection attribuée
au droit romain censé assurer une complète protection des citoyens ne
s’accorde guère avec cette pratique qui reste quasiment ignorée dans
l’histoire romaine.
Aucune des grandes traditions religieuses n’ignore l’asile. Les Hébreux
y voient un rempart à l’exercice de la loi du talion dans certains lieux
inviolables, comme auprès du Tabernacle emporté par les juifs pendant la
traversée du désert ou dans les six villes refuges de Palestine, mais ils le
réservent aux auteurs d’homicide involontaire. L’hospitalité accordée par la
population de Médine au prophète Mahomet fuyant la persécution incarne
le modèle islamique de la protection des réfugiés contenu dans le Coran,
lequel prescrit d’accueillir sans discrimination celui qui cherche asile dans
les lieux sacrés ou placés sous la protection de l’islam. Le rôle déterminant
de l’Église pendant plusieurs siècles confère à l’asile chrétien une place à
part. Inspiré d’un message de charité, il est, dès le IVe siècle, un acte de
protection de l’Église issu de la pratique romaine de l’intercessio consistant
pour l’Église à accorder refuge à celui qui est poursuivi, dans le but
d’obtenir des autorités civiles une moindre rigueur de la justice en même
temps que l’amendement spirituel du condamné. Les grandes invasions
marquées par l’insécurité, la désorganisation de la justice et le retour de la
vengeance privée favorisent son expansion. Se détachant peu à peu de
l’intercessio, il s’affirme comme un droit inhérent à la divinité des lieux
sacrés au fil des conciles qui, aux Ve et VIe siècles, le reconnaissent et
s’attachent à le réglementer en en définissant les fondements théoriques à
partir de la notion d’immunité des lieux sacrés. Est notamment garantie
l’impunité corporelle de ceux qui s’y réfugient, tandis que
l’excommunication, qui met au ban de la société, frappe ceux qui les
extraient de ces lieux sans une promesse d’impunité. L’expansion de ce
droit d’asile religieux, tant du point de vue des personnes admises à en
bénéficier que des lieux d’asile qui s’étendent au-delà des églises à des
dépendances diverses (presbytères, hôpitaux, simples croix, etc.), témoigne
de la puissance de l’Église et de l’impuissance du pouvoir séculier à assurer
la justice.
À son apogée, au XIIe siècle, le droit d’asile religieux ne peut toutefois
survivre à la concurrence de plus en plus sévère d’un pouvoir temporel
revendiquant la plénitude de la souveraineté. Tandis que la justice séculière
est mieux assurée, à partir des décrétales d’Innocent III et de Grégoire IX
au XIIIe siècle, les exceptions personnelles à l’asile religieux se multiplient
(juifs, hérétiques, homicides, suicidés, voleurs, sacrilèges…), la protection
et l’inviolabilité des lieux d’asile se réduisent parallèlement. Son fondement
divin est mis en cause. Il devient une concession faite à l’Église par le
pouvoir royal à laquelle François Ier met un terme en matière civile en 1539
par l’ordonnance de Villers-Cotterêts. Tombé peu à peu en désuétude et
finalement ignoré du code de droit canonique en 1983, le droit d’asile
religieux n’a plus droit de cité, et si une pratique d’accueil perdure – un
accueil monastique évidemment ébranlé dans son principe par l’abri donné
au chef de la milice Paul Touvier, pourtant condamné à mort par contumace
à deux reprises, ainsi qu’un asile ecclésial offert notamment dans les
années 1990 aux « sans-papiers » –, ces lieux ne sont pas hors droit. Le
pouvoir de police s’y exerce et la loi pénale s’y applique.
Ainsi lentement reconquise par l’État auprès de l’Église, mais aussi des
pouvoirs féodaux ou communaux, la prérogative d’asile, qui exprime la
souveraineté pleine et entière de l’État sur son territoire, est devenue un
droit de l’État ; un droit dont la dimension externe s’affirme de plus en plus
largement en s’inscrivant désormais exclusivement dans le cadre de
relations interétatiques. D’où l’importance prise par le droit international et
le droit européen qui gouvernent ce droit au côté du droit interne des États.
CHAPITRE PREMIER
LA DÉCLINAISON DU DROIT
D’ASILE
De manière classique, et c’est là une modalité de l’exercice de leur
souveraineté sur leur territoire, les États peuvent décider d’accorder l’asile à
des étrangers qui ne remplissent pas les conditions légalement requises pour
y séjourner. De pratique constante, ainsi qu’en témoigne l’asile offert à
Hugo Grotius dans la France d’Ancien Régime, à l’Américain Thomas
Paine et l’Allemand Anacharsis Cloots (tous deux élus à la Convention
en 1792) dans celle de la Révolution, enfin aux XIXe et XXe siècles à
d’anciens chefs d’État comme le shah d’Iran, à des dictateurs déchus
comme Duvalier en Haïti, ou à des opposants politiques notoires (comme
l’ayatollah Khomeiny), cette prérogative d’asile s’exerce individuellement
mais aussi collectivement en faveur de groupes de personnes. L’accueil des
Polonais, dont Chopin, sous la monarchie de Juillet l’atteste, comme, plus
récemment, les mesures de régularisation prises en faveur de personnes
victimes de situations de guerre (ressortissants libanais entre 1975 et 1980,
victimes de la guerre en ex-Yougoslavie à partir de 1992, etc.). Cet asile
gracieux, dit encore « régalien », est une faveur qu’aucune règle
internationale n’encadre et dont l’octroi discrétionnaire répond à des
considérations diverses d’ordre politique, diplomatique, humanitaire…
« Part obscure » de l’asile, il constitue une réserve de souveraineté que
rappellent expressément certains textes comme la Constitution de 1958 en
son article 53-1 ou les conventions de Schengen et de Dublin de 1990.
Cet asile gracieux peut aussi être accordé par un État hors de son
territoire dans des locaux abritant des fonctions étatiques, tels que les
locaux diplomatiques ou les navires de guerre. Le principe du droit
international coutumier d’inviolabilité qui s’y attache et que consacrent
diverses conventions internationales constitue une protection pour ceux qui
s’y rendent. L’asile diplomatique, traditionnel en Amérique latine et dont la
pratique peut s’observer ailleurs comme lors de la guerre civile d’Espagne
ou dans la protection offerte depuis 2012 par l’Équateur à Julian Assange
dans son ambassade à Londres, protège son bénéficiaire de toute extraction
des locaux diplomatiques par les autorités de l’État où ces locaux se
trouvent ou de sa remise à ces autorités. Mais, outre que cet asile est
« offert » et ne constitue donc pas un droit pour son bénéficiaire, il
n’emporte pas protection hors de ces locaux. L’État accréditaire n’est pas
tenu de délivrer un sauf-conduit à celui qui en bénéficie pour quitter le pays
à l’abri de tout risque d’arrestation (CIJ, 27 nov. 1950 et 13 juin 1951, Haya
de la Torre). L’asile naval, qui peut être accordé en cas d’urgence à des
personnes en quête d’asile par le commandant de bord d’un navire de
guerre ou assurant une mission étatique, présente le même caractère
discrétionnaire. Le droit international de la mer consacre toutefois
l’obligation de protéger des naufragés tandis qu’il ressort du droit
international des droits de l’homme un devoir de secourir les migrants en
détresse en mer, voire du droit international des réfugiés un devoir de
protéger parmi eux ceux qui veulent solliciter l’asile.
Au-delà de cette faculté d’asile, le droit d’asile se décline, outre la
protection temporaire déjà évoquée et transposée en droit interne (Ceseda,
L.811-1 sq.), dans la protection instituée par la convention de Genève et
dans celle dite « subsidiaire » instituée en 2004 par la directive
qualification, dont les champs et le contenu sont distincts.
CHAPITRE PREMIER
Le champ de la protection
Alors que des conditions sont posées à l’octroi de chacune des deux
protections, le taux d’octroi de la protection accordée dans les États
membres connaît de très fortes disparités, qui plus est pour des demandeurs
de même nationalité, ce qui explique, au regard de cette « loterie de
l’asile », l’intérêt des demandeurs à voir leur demande traitée ici plutôt que
là. Ainsi, la chance d’obtenir une protection en Italie pour un Irakien ou un
Afghan en 2018 est respectivement de 92 % et 98 %, et 12 % à 24 % en
Bulgarie (Forum réfugiés, 5 février 2019). Les seules divergences
d’interprétation des conditions d’octroi de ces protections ne paraissent pas
suffisantes pour expliquer de telles disparités, d’autant que le HCR, par sa
« doctrine », et l’UE, par la directive « Qualification » (DQ) et la
jurisprudence de la Cour de justice, s’attachent à en donner une
interprétation harmonisée. Il est difficile dès lors de ne pas souscrire à la
prise en compte d’autres « considérations politiques et diplomatiques pesant
souvent plus lourd que l’appréciation objective des risques de persécution »
(Lochak, 2018, p. 842 sq.).
La part croissante prise par la protection subsidiaire aux dépens du
statut de réfugié doit aussi interroger. Ainsi, en 2017, le statut de réfugié
reste majoritaire dans l’UE (50 %) mais perd du terrain au profit de la
protection subsidiaire, qui représente 37 % de la protection offerte ; les
14 % restants relèvent de la protection nationale (autorisations de séjour à
titre humanitaire) – une protection nationale qui, en Italie, est plus
importante (20 000 décisions) que les deux protections internationales
(15 100). La progression de la protection subsidiaire est particulièrement
remarquable dans des pays comme la France qui, à la différence des pays
d’Europe du Nord, ne connaissaient que le statut de réfugié. Ainsi, selon les
rapports d’activité de l’OFPRA, la protection subsidiaire est passée en
France de 22 % en 2015 à 37 % en 2016, puis à 47 % en 2017 de
l’ensemble des décisions prises par l’OFPRA et la CNDA. Cette évolution
est largement le fait de l’OFPRA, dont le nombre des protections
subsidiaires accordées (10 914) se rapproche de plus en plus de celui des
protections conventionnelles (12 979), alors que, devant la CNDA, la
protection subsidiaire (2 530) reste inférieure de moitié à la protection
conventionnelle (5 246). Ce glissement, discret mais réel, de la protection
conventionnelle en France à la protection subsidiaire peut apparaître comme
un contournement de la convention de Genève dont les conditions d’octroi
tendent pourtant à s’assouplir. Il est d’autant plus préoccupant que la
réduction progressive du champ de la protection est plus accusée s’agissant
de la protection subsidiaire.
I. – L’octroi de la protection
1. La diversité des protections. – Le demandeur d’asile qui présente
une demande en France ne doit pas préciser le type de protection qu’il
sollicite. La charge en revient à l’OFPRA qui doit examiner sa demande,
d’abord au regard des conditions de reconnaissance de la qualité de réfugié,
et seulement ensuite, si elles ne sont pas remplies, au regard des conditions
d’octroi de la protection subsidiaire, laquelle, parce que précisément
« subsidiaire », ne peut être accordée à celui qui remplit les conditions pour
être reconnu réfugié (Ceseda, L.712-1, CE, 15 mai 2009, Melle K,
no 292564). Le demandeur garde toutefois la possibilité de former un
recours auprès de la CNDA pour obtenir le statut de réfugié sans que la
confirmation de ce refus par la Cour le prive de la protection subsidiaire
déjà accordée (CRR, SR, 17 déc. 2004, no 478872).
Le droit d’asile n’est pas unique mais fragmenté. Les conditions de son
octroi varient d’abord selon la protection offerte, statut de réfugié ou
protection subsidiaire, mais recèlent toutefois un souci commun de contenir
le champ de la protection du point de vue du nombre de ses bénéficiaires.
La reconnaissance de la qualité de réfugié peut, pour sa part, reposer sur
quatre fondements distincts dont trois sont énoncés par la loi : un
fondement constitutionnel, un fondement international, un fondement
conventionnel (Ceseda, L.711-1), et le quatrième est un fondement
prétorien. En pratique, le fondement conventionnel est largement
dominant : en 2017, l’OFPRA a accordé 12 979 protections
conventionnelles, 116 statuts à des demandeurs placés sous mandat du
HCR, un seul statut au titre de l’asile constitutionnel et 412 au titre de
l’unité de famille (rapport d’activité de l’OFPRA, 2017).
Inspiré directement de l’alinéa 4 du préambule de la Constitution de
1946, le fondement « constitutionnel » introduit par la loi du 11 mai 1998
selon lequel la qualité de réfugié est reconnue à « toute personne persécutée
en raison de son action en faveur de la liberté » renoue avec la tradition
française de l’asile politique. Il renvoie à la figure héroïsée du réfugié
politique par la triple condition qu’il pose, à savoir avoir subi des
persécutions, mené un combat et défendu la liberté (voir, par exemple,
CRR, SR, 25 juin 1999, no 33748, à propos d’un membre d’un groupe de
défense civile contre les exactions de l’armée). C’est sur son fondement
que, notamment, les Algériens victimes des fondamentalistes ont pu être
reconnus réfugiés dans la décennie 1990, à une époque où une
interprétation contestable et contestée de la convention de Genève excluait
de la protection conventionnelle ceux dont les craintes de persécution
étaient d’origine non étatique. Le terme mis à cette restriction ainsi que le
recoupement de ce fondement avec la protection conventionnelle mais aussi
la montée en puissance de la protection subsidiaire ont conduit à sa quasi-
disparition.
La qualité de réfugié peut également être reconnue sur un fondement
international par un placement du demandeur sous mandat « strict » du
HCR. Le placement sous mandat du HCR est prévu par son statut de 1950
selon des critères identiques à ceux qui seront posés un an plus tard par la
convention de Genève, à l’exception du motif d’appartenance à un certain
groupe social. La très grande extension de ce mandat créant un risque
d’afflux massif, la loi française en a, en 1993, restreint le bénéfice aux
seules personnes placées sous « mandat strict » du HCR, c’est-à-dire son
mandat initial de 1950. Le placement sous mandat et sa persistance établis
par le HCR lient l’OFPRA et la CNDA, qui sont tenus de reconnaître la
qualité de réfugié à la personne qui peut se prévaloir d’un tel placement,
sans apprécier alors l’actualité du besoin de protection. Reste que celui qui
est placé sous mandat strict doit se voir délivrer un visa de long séjour ou
un titre de séjour s’il veut s’installer en France.
Non consacré par la convention de Genève mais soutenu par la DQ, qui
invite les États à veiller au maintien de l’unité des familles, le principe dit
« de l’unité de famille » est d’origine prétorienne puisque issu de la
jurisprudence du Conseil d’État, qui y voit « un principe général du droit de
réfugiés, résultant notamment des stipulations de la convention de Genève »
(CE, Ass., 2 déc. 1994, Mme Agyepong, no 112842). Conçu comme un droit
du réfugié à mener une vie familiale, il vise à protéger sa famille en
accordant à ses membres la qualité de réfugié. En dépit de quelques
extensions, la famille reste strictement conçue puisque bénéficient de ce
principe le conjoint, partenaire ou concubin du réfugié (sous réserve que le
couple soit formé avant la demande de protection du réfugié et, de plus,
pour le concubin, d’une liaison suffisamment stable et continue avec le
réfugié), ses enfants mineurs à leur date d’arrivée en France, ses ascendants
directs déjà à sa charge dans son pays d’origine et placés sous sa tutelle. Les
difficultés qu’il y a à prouver ces liens familiaux, comme la perte du
bénéfice de ce principe pour un couple en cas de rupture du lien conjugal,
ou encore la perte possible par le réfugié de son statut, affectent toutefois la
portée de ce principe, dont l’application, de surcroît, n’est pas élargie aux
bénéficiaires de la protection subsidiaire.
Le fondement principal de la qualité de réfugié est conventionnel. La
qualité est ici reconnue à toute personne qui répond aux définitions de
l’article 1er de la convention de Genève de 1951, convention marquée par
l’époque dans laquelle elle s’inscrit. Le besoin de protection, qui reposait
alors principalement sur des craintes personnelles de persécution fondées
sur des convictions politiques ou religieuses et était éprouvé à l’égard des
autorités étatiques, a peu à voir avec la demande contemporaine plus
hétérogène dans ses motifs et souvent plus collective. L’interprétation
constructive qui en est donnée notamment à la lumière du droit international
des droits de l’homme la met toutefois à même de répondre à ces besoins
nouveaux de protection.
La protection subsidiaire instituée en France par la loi du
10 décembre 2003, anticipant la DQ qui en généralisa le principe en 2004
(art. 15), confirme cette ouverture en accordant protection à toute personne
pour laquelle « il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu’elle
courrait dans son pays un risque réel de subir l’une des atteintes graves
suivantes : (a) la peine de mort ou une exécution ; (b) la torture ou des
peines ou traitements inhumains ou dégradants ; (c) s’agissant d’un civil,
une menace grave et individuelle contre sa vie ou sa personne en raison
d’une violence qui peut s’étendre à des personnes sans considération de leur
situation personnelle et résultant d’une situation de conflit armé interne ou
international » (Ceseda, L.712-1).
2. Les caractères des « craintes » ou « menaces ». – Les craintes de
persécution auxquelles la convention de Genève subordonne la qualité de
réfugié, comme les menaces qui conditionnent l’octroi de la protection
subsidiaire, doivent être personnelles, graves et actuelles.
Bien que s’affirme, à travers les conditions d’octroi de ces deux
protections, une conception libérale et de plus en plus ouverte de l’asile, il
garde, par les conditions posées à son octroi, le caractère sélectif qu’il a
toujours eu. Ainsi, les « craintes » et les « menaces » doivent être
personnelles. Pour être subjectives, elles doivent néanmoins être éprouvées
« avec raison », précise la convention de Genève, et donc reposer sur des
éléments objectifs (tenant par exemple au contexte géopolitique). En
apporter la preuve est certainement la plus grande difficulté à laquelle sont
confrontés les demandeurs d’asile puisqu’il leur faut convaincre de la
crédibilité de leur demande. La difficulté de prouver ces craintes ou
menaces personnelles est évidemment accrue lorsqu’elles sont liées à une
situation générale (guerre, violence généralisée…), ou à une mesure
générale (législation pénale ou militaire, législation limitant les naissances
en Chine…), ou encore à l’appartenance à un groupe minoritaire (ethnique,
religieux ou social). On voit bien percer à travers cette double condition de
craintes raisonnables une volonté de circonscrire le champ de la protection
en évitant des arrivées de groupes trop importants. Les juges de l’asile font
eux-mêmes preuve de fermeté, et sans doute d’une fermeté excessive, en
n’y souscrivant guère, sauf à admettre le cas de persécutions opérées de
« manière systématisée » (CRR, SR, 12 fév. 1993, Dujic). Face à la
multiplication des conflits depuis les années 1990, la DQ a toutefois pris
acte des besoins de protection qui en découlent en ouvrant la protection
subsidiaire à des civils exposés à la violence dans le cadre de conflits
armés. Pour autant, elle n’a pas voulu lui donner non plus une portée trop
générale, d’où le rappel de la condition d’une menace « individuelle »,
pourtant contradictoire avec la violence généralisée constitutive de la
menace. C’est cette contradiction que la CJUE a cherché à surmonter par
l’instauration d’une présomption de menace au vu du seuil d’intensité de la
violence atteint dans certains lieux de conflit (CJUE, GC, Elgafaji, 2009).
Elle a ainsi accordé la protection subsidiaire au vu du degré de la violence
en Colombie, au Sri Lanka, en Irak, en Libye, en RCA… voire dans des
zones localisées en Afghanistan (comme à Kaboul, CE, 16 oct. 2017,
no 401585) ou au Soudan (CNDA, 4 janv. 2017, no 16033997) mais l’a en
revanche refusée dans la bande de Gaza (CE, 5 nov. 2014, no 363181).
La protection est en outre subordonnée à la gravité des actes auxquels le
demandeur craint d’être exposé, que la convention de Genève exprime par
le mot « persécution ». Le droit international des droits de l’homme
constitue ici une référence pour définir la persécution, comme d’ailleurs les
actes relevant de la protection subsidiaire. La directive qualification définit
ainsi la persécution par un seuil de gravité qui est atteint, soit par un acte
constituant par sa nature ou son caractère répété une violation grave des
droits fondamentaux, soit par une accumulation de mesures suffisamment
graves pour affecter la personne de la même manière (art. 9). Ces
persécutions peuvent être des violences physiques ou mentales, mais aussi
des tracasseries administratives, brimades, pressions, pratiques
discriminatoires, poursuites et sanctions disproportionnées ou
discriminatoires, ou encore des actes dirigés contre les personnes en raison
de leur genre ou contre des enfants. Les actes ouvrant droit à protection
subsidiaire sont aussi largement déterminés par référence au droit européen
des droits de l’homme puisqu’il s’agit de menaces soit de « peine de mort
ou d’exécution » (pouvant donc être extra-judiciaire), soit de « torture ou
peines ou traitements inhumains ou dégradants », expression qui renvoie à
l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme. Ce second
cas constitue le principal motif d’octroi de cette protection, ce qui ne saurait
étonner au vu de l’interprétation particulièrement constructive donnée de
cet article qui conduit à attraire dans son champ des situations diverses
jusque-là souvent hors du droit, car relevant de la sphère privée, comme des
violences conjugales, domestiques, sexuelles, des mariages forcés,
l’exploitation et la traite d’êtres humains, l’enfermement sectaire… La Cour
de justice a toutefois exclu l’absence d’offre de soins dans le pays d’origine
comme un motif ouvrant droit à la protection subsidiaire (en ce sens, CJUE,
GC, M’Bodj, 2014, C-542/13 ; solution à peine assouplie depuis : CJUE,
MPC/SSHD, 2018, C-351-16).
En outre, les craintes de persécution (sans d’ailleurs que des
persécutions le soient aussi), ou les menaces exigées pour ouvrir droit à
protection, doivent être actuelles, sous réserve toutefois de persécutions ou
menaces d’« une exceptionnelle gravité ». Elles sont donc appréciées au
moment où il est statué sur la demande, en prenant acte, au besoin jusqu’au
délibéré, des changements ayant pu, le cas échéant, les faire disparaître (CE,
19 nov. 1993, no 100288).
Le statut du bénéficiaire
I. – Le contenu de la protection
1. La fragmentation de la protection. – La protection internationale
est une protection « à géométrie variable ». Son contenu dépend en premier
lieu de la nature de la protection, car bien que le droit de l’UE se soit fixé
comme objectif, dans le programme de Stockholm du 11 décembre 2009,
d’établir un statut uniforme et que la DQ prévoie l’égalité de traitement, elle
réserve le cas d’« indications contraires » (art. 20). Le statut de réfugié
demeure plus protecteur en dépit des garanties nouvelles enrichissant la
protection subsidiaire. Le contenu de la protection varie aussi en fonction
des sources qui la déterminent. La convention de Genève consacre la
plupart de ses stipulations à définir avec précision les droits dont
bénéficient les réfugiés en rappelant préalablement leur obligation de « se
conformer notamment aux lois et règlements ainsi qu’aux mesures prises
pour le maintien de l’ordre public » (art. 2). Elle pose par ailleurs un
principe de non-discrimination « quant à la race, à la religion ou au pays
d’origine » (art. 3) qui commande l’égalité entre les réfugiés, sans
distinction notamment de nationalité. Les droits qu’elle consacre se voient
appliquer tantôt le traitement de la nation la plus favorisée (par exemple,
pour l’exercice d’une profession salariée), tantôt un traitement au minimum
égal à celui des étrangers (comme en matière de liberté de circulation à
l’intérieur du territoire ou de logement), tantôt celui des nationaux (droit
d’ester en justice, législation du travail assistance et secours…). La France a
étendu ce statut protecteur de Genève à tout réfugié, quel que soit le
fondement sur lequel il s’est vu reconnaître cette qualité (Ceseda, L.711-1).
La DQ fait de son côté obligation aux États d’informer les réfugiés sur
leurs droits et obligations, et de leur garantir l’accès à des programmes
d’intégration. Les États doivent prendre en compte la spécificité des besoins
des personnes vulnérables, notamment des personnes handicapées, des
personnes âgées ou encore des femmes enceintes (art. 20), et plus
particulièrement des mineurs, en faisant toujours prévaloir l’« intérêt
supérieur de l’enfant » qui implique certaines obligations spécifiques à
l’égard des mineurs isolés (désignation d’un représentant légal, prise en
charge, respect de l’unité de la fratrie, recherche de leur famille…) ; un
intérêt supérieur de l’enfant auquel le Conseil constitutionnel, en France,
reconnaît le caractère de principe à valeur constitutionnelle (no 2018-768
QPC, 21 mars 2019). Il s’agit de normes minimales applicables aux
personnes protégées, mais le contenu de la protection internationale est
« sans préjudice des droits inscrits dans la convention de Genève » et, plus
généralement, des droits accordés par d’autres instruments internationaux
(et donc du très riche droit européen des droits de l’homme), ainsi que de
normes plus favorables du droit interne (DQ, art. 3 et 20)
2. L’étendue de la protection. – Dans la convention de Genève, le
caractère recognitif de la qualité de réfugié fonde un principe d’immunité
pénale interdisant d’appliquer aux demandeurs d’asile des sanctions pénales
pour leur entrée ou séjour irrégulier s’ils se présentent sans délai aux
autorités (CG, art. 31-1). S’il revient au juge pénal d’apprécier – à
l’occasion des poursuites pénales engagées pour infraction à la législation
sur l’entrée ou le séjour – si le demandeur est susceptible d’être reconnu
réfugié et donc de bénéficier de cette immunité, il ne lui appartient pas de se
prononcer sur la reconnaissance de cette qualité, qui relève de la
compétence exclusive de l’OFPRA. La reconnaissance du droit à protection
internationale emporte délivrance à l’intéressé dans les huit jours d’un
récépissé jusqu’à délivrance d’un titre de séjour qui lui confère le droit
d’exercer la profession de son choix.
La préservation de la souveraineté des États explique le silence gardé
par la convention de Genève sur le droit au séjour des réfugiés. Toutefois, à
l’instar des États eux-mêmes, l’UE reconnaît un droit au séjour aux
bénéficiaires de la protection internationale, mais différencié selon la nature
de la protection. En France, les réfugiés bénéficient de plein droit d’une
carte de résident de dix ans renouvelable (Ceseda, L.314-1) et les
bénéficiaires de la protection subsidiaire, d’une carte de séjour
pluriannuelle d’une durée de quatre ans (Ceseda, L.313-25) à l’expiration
de laquelle, et sous réserve de leur résidence régulière en France pendant
quatre ans, une carte de résident de dix ans leur est délivrée de plein droit.
À l’expiration de l’une ou l’autre de ces cartes de résident, ils peuvent se
voir délivrer une carte de résident permanent, cette délivrance étant de droit
pour ceux qui sont âgés de plus de 60 ans (Ceseda, L.314-14). Une
résidence interrompue pendant cinq ans en France ouvre aux uns et aux
autres droit à une carte de « résident de longue durée-UE », et dès son
second renouvellement à une carte de résident permanent. Au titre de la
« réunification familiale », procédure distincte de celle du regroupement
familial, la famille la plus proche (conjoint, concubin ou partenaire d’au
moins 18 ans, enfants non mariés du couple de moins de 19 ans, et si ces
derniers sont mineurs, leurs ascendants directs accompagnés le cas échéant
par leurs enfants mineurs dont ils ont la charge effective) et composée avant
la demande d’asile du réfugié ou du bénéficiaire de la protection subsidiaire
a droit aux mêmes titres de séjour que ces derniers (Ceseda, L.752-1). En
application du principe de libre circulation posé par la convention de
Genève, le bénéficiaire d’un titre de séjour peut, « à moins que des raisons
impérieuses de sécurité nationale ou d’ordre public ne s’y opposent », se
voir délivrer un titre de voyage (Ceseda, L.753-1).
L’élargissement du droit au séjour reste toutefois subordonné en
pratique à la difficulté d’établir l’identité, la minorité, le lien familial des
membres de la famille ; l’authenticité des documents d’état civil étant
régulièrement mise en cause tant par les services consulaires (pour l’octroi
d’un visa pour ceux qui sont à l’étranger) que par les services des
préfectures (pour l’octroi d’un titre de séjour). Au demeurant, des
considérations d’ordre public limitent ce droit au séjour des bénéficiaires de
la protection internationale dont la présence constitue une menace pour
l’ordre public et qui peuvent se voir refuser un titre de séjour, ou son
renouvellement, voire opposer son retrait (Ceseda, L.313-13 et L.314-11).
Le droit de l’UE ouvre la même possibilité pour « des raisons impérieuses
de sécurité nationale et d’ordre public » (DQ, art. 24) mais la CJUE a jugé
que cette disposition autorisait la révocation de ce titre de séjour.
L’intéressé, même privé de titre de séjour, conserve son statut de réfugié et,
à ce titre, conserve également les avantages garantis aux réfugiés
notamment le droit à la protection contre le refoulement, au maintien de
l’unité familiale, à la délivrance de documents de voyage, à l’accès à
l’emploi et à l’éducation, à la protection sociale, aux soins de santé et au
logement, à la liberté de circulation à l’intérieur de l’État membre et à
l’accès aux dispositifs d’intégration (CJUE, 24 juin 2015, HT c. Allemagne,
C-373/13).
L’État d’accueil se substitue à l’État national dans la protection
juridique des bénéficiaires de la protection internationale. En France,
l’OFPRA assure cette mission par la délivrance des documents d’état civil
qui ont valeur d’actes authentiques et l’établissement de livrets de famille.
Dérogeant aux principes du code civil français, le statut personnel est régi
par la loi du pays d’accueil. Les bénéficiaires d’une protection
internationale sont donc assimilés aux nationaux, sous réserve toutefois de
droits acquis dans le pays d’origine, liés notamment au mariage, et de non-
contradiction avec la législation du pays d’accueil. Leur accès à la
nationalité est par ailleurs facilité par quelques assouplissements du régime
de droit commun. La protection des mineurs, réfugiés et plus encore
demandeurs d’asile, soulève de véritables difficultés touchant à leur prise en
charge par l’aide sociale à l’enfance (ASE), qui relève des départements,
mais aussi des questions plus spécifiques comme l’établissement de la
minorité par des moyens de preuve qui sont discutés (examen osseux dont
le Conseil constitutionnel a toutefois admis la validité au vu de leur
encadrement législatif – QPC no 2018-768, 21 mars 2019 –, tests ADN) ou
le contrôle de certaines situations (examen médical obligatoire pour
constater l’absence de mutilations sexuelles des mineures bénéficiant d’un
statut de réfugié destiné à les en protéger).
Les bénéficiaires de la protection internationale ont accès au logement
dans les conditions de droit commun (droit au logement opposable, abrégé
DALO, accès aux logements sociaux et aux aides diverses). Des centres
provisoires d’hébergement (CPH) leur sont ouverts sur décision de l’OFII
pendant un an maximum, dans la limite des places disponibles – c’est là une
difficulté récurrente – et en tenant compte de leur vulnérabilité, de leurs
liens personnels et familiaux et de leur région de résidence pendant leur
demande d’asile. Ils y bénéficient de programmes d’intégration. Leur titre
de séjour leur donne également accès aux dispositifs d’aide sociale et
notamment au revenu de solidarité active (RSA) et à des allocations
diverses – prestations familiales qui sont ouvertes à la date d’entrée en
France, adultes handicapés… –, ainsi qu’à la protection sociale par
affiliation au régime de sécurité sociale, de même qu’aux soins. Si la DQ
limite l’accès des bénéficiaires de la protection subsidiaire aux « prestations
essentielles », le droit français ignore pour sa part toute distinction dans cet
accès. L’accès à l’emploi est ouvert à tous dès la délivrance de leur titre de
séjour, qui vaut autorisation de travail pour les emplois salariés et la
profession indépendante. Des restrictions peuvent toutefois être prévues
dans certains secteurs d’activité, ainsi que dans la fonction publique, où la
condition de nationalité française posée à la titularisation ne leur permet
qu’un accès par voie contractuelle. Enfin, le droit à l’éducation leur est
reconnu tantôt par assimilation aux nationaux, tantôt sous le régime de la
nation la plus favorisée, et le droit à la formation dans les mêmes conditions
que les Français.
Les bénéficiaires d’une protection internationale sont enfin protégés
d’une mesure d’éloignement par les obligations internationales rappelées
aux États par la DQ (art. 21-1), mais aussi et d’abord par un ensemble de
garanties de procédure (dont la possibilité offerte aux réfugiés de solliciter
un avis de la CNDA) et surtout par le principe de non-refoulement posé par
la convention de Genève, désormais étendu aux bénéficiaires de la
protection subsidiaire. L’éloignement d’un refugié est ainsi interdit là « où
sa vie ou sa liberté serait menacée » pour l’un des cinq motifs de
reconnaissance de cette qualité (CG, art. 33-1) avec toutefois une double
limite (CG, art. 33-2) qui selon la DQ vise celui qui constitue « une menace
pour la sécurité de l’État membre » ou, au vu des condamnations dont il a
fait l’objet pour un crime grave, « une menace pour la société de l’État
membre » (DQ, art. 21-2). Mais cette double limite se voit en partie
neutralisée par les obligations internationales souscrites par les États, dont
au premier chef celles qui sont tirées de la Convention européenne et de la
CDF, laquelle dispose expressément que « nul ne peut être éloigné, expulsé
ou extradé vers un État où il existe un risque sérieux qu’il soit soumis à la
peine de mort, à la torture ou à d’autres peines ou traitements inhumains ou
dégradants » (art. 19). Les mêmes limites sont posées en cas d’extradition
en vertu des « principes généraux du droit de l’extradition » (CE,
30 janv. 2017, no 394172).
LA DISSUASION DE L’EXERCICE
DU DROIT D’ASILE
Le temps n’est plus où celui qui souhaitait obtenir l’asile déposait, en
arrivant dans le pays d’asile choisi, sa demande auprès de l’autorité
compétente, l’OFPRA en France, laquelle accordait sa protection au terme
d’une interprétation souple de la convention de Genève visant à en
préserver l’esprit, c’est-à-dire la logique de protection. L’accroissement de
la demande d’asile et sa diversification à la fin des années 1980 ont conduit
à un changement d’approche. D’un côté, l’essor de la demande ne rendant
plus possible son traitement immédiat a fait émerger la figure nouvelle du
« demandeur d’asile », auquel a été reconnu le droit fondamental de
demander asile ; l’UE rappelant pour sa part aux États membres dans le
règlement Dublin III leur obligation d’examiner les demandes d’asile
(art. 3-1). De l’autre, l’ouverture des frontières entre ces États en
application du principe de libre circulation des personnes posé par l’Acte
unique a, dans un contexte de quasi-arrêt de l’immigration légale
professionnelle, nourri les craintes de l’afflux aux frontières extérieures
désormais communes d’une immigration irrégulière ainsi que d’un essor de
la criminalité internationale. La politique commune d’asile et d’immigration
alors ébauchée s’est ainsi inscrite dans un climat de circonspection et de
suspicion à l’égard de tous les migrants, y compris ceux parmi eux qui
sollicitaient l’asile, qui n’a fait que s’amplifier ensuite. La DQ en donne
l’illustration en invitant les États, lors de l’évaluation de la demande d’asile,
à rechercher si, depuis qu’il a quitté son pays d’origine, le demandeur a
« exercé des activités dont le seul but ou le but principal était de créer des
conditions nécessaires pour présenter une demande de protection
internationale » (art. 4, 3 d) ou encore pointe le cas où, face à un besoin de
protection apparu dans l’État d’accueil, « le risque de persécution est fondé
sur des circonstances que le demandeur a créées de son propre fait ». La
figure emblématique du républicain espagnol à protéger a ainsi cédé peu à
peu la place dans l’imaginaire collectif à celle du « faux réfugié »,
cherchant à détourner la procédure d’asile à des fins migratoires, voire
criminelles, et de qui il faudrait se protéger.
Ainsi, dans une logique de dissuasion, des obstacles toujours plus
nombreux freinent, voire entravent, l’accès à la procédure d’asile, et même
plus en amont l’accès aux pays d’asile.
CHAPITRE PREMIER
I. – Le contrôle de l’accès
1. Les instruments juridiques. – Instruite par l’expérience de la
Seconde Guerre mondiale, au cours de laquelle de nombreux pays
donnèrent pour instruction à leur consulat de ne pas délivrer de visas à ceux
qui fuyaient la persécution (Espagne, Portugal, États-Unis…), la convention
de Genève dispense les demandeurs d’asile, par l’immunité pénale qu’elle
leur accorde en son article 31, de présenter les documents normalement
requis à l’entrée sur le territoire, donc un visa. Pourtant, depuis les
années 1980, certains États, comme le Royaume-Uni à l’égard des Turcs et
des Sri-Lankais, ou la Finlande et les pays du Benelux lors de la guerre en
ex-Yougoslavie, ont exigé des visas afin d’éviter l’arrivée de trop nombreux
demandeurs d’asile. L’institution en application de la convention de
Schengen d’une liste commune de pays tiers soumis à visa pour entrer dans
cet espace en a généralisé l’exigence, et ce, d’autant que le risque de flux
migratoires illégaux figure parmi les critères gouvernant l’inscription sur
cette liste (règlement CE no 539/2001, 15 mars 2001). Par ailleurs, ce risque
doit, selon le code communautaire des visas (art. 21), être pris en compte
lors de la délivrance d’un visa. Si l’on ajoute à cela la fermeture fréquente
des consulats dans les pays en crise (ce fut le cas de ceux de Damas et
d’Alep), force est d’observer que les demandeurs d’asile sont en pratique
privés de la possibilité d’obtenir un tel visa. Qui plus est, des visas de
transit aéroportuaire (VTA) permettant de passer par la zone internationale
d’un aéroport pour changer de vol sans entrer dans le pays où il est situé,
peuvent être exigés depuis 1996 de ressortissants issus de pays qui figurent
sur une liste commune à l’UE, complétée au besoin par des listes nationales
au vu du « risque en matière de sécurité ou d’immigration irrégulière »
qu’ils présentent (Code communautaire, art. 3). Ainsi en est-il de
l’Afghanistan, l’Irak, l’Érythrée, la République démocratique du Congo…
et désormais la Syrie, ajoutée notamment par la France, qui sont en réalité
des pays émetteurs de réfugiés. La chute de la demande d’asile des
ressortissants des pays venant à être inscrits sur de telles listes montre que
ce visa est un instrument de régulation de la demande d’asile. Le Conseil
d’État, tout en en validant le principe, en est convenu, jugeant que, « sans
porter par elle-même aucune atteinte au droit fondamental qu’est le droit
d’asile, l’obligation de disposer d’un tel visa répond à des nécessités
d’ordre public tenant à éviter […] des afflux incontrôlés de personnes qui
demanderaient l’admission sur le territoire au titre de l’asile ainsi que le
détournement du transit aux seules fins d’entrée en France » (CE,
O., 15 fév. 2013, no 365709).
Le respect du principe de non-refoulement exigerait en réalité la
généralisation de « visas asile » en usage dans certains États. En France,
aucune procédure n’est prévue à cette fin et, pour sa part, le Conseil d’État
a jugé que, « si le droit constitutionnel d’asile a pour corollaire le droit de
solliciter l’asile en France, les garanties attachées à ce droit fondamental
reconnu aux étrangers se trouvant sur le territoire de la République
n’emportent aucun droit à la délivrance d’un visa en vue de déposer une
demande d’asile en France » (CE, O., 9 juill. 2015, no 391392). Des visas de
long et court séjour pour motif humanitaire (au nombre de 14 873) ont
néanmoins été délivrés par la France en 2017, mais de manière
discrétionnaire. La CJUE a, quant à elle, invoqué les limites du droit de
l’UE, qui traite des seuls visas de transit et de court séjour, pour écarter
toute obligation pour les États membres d’accorder un visa humanitaire aux
personnes qui souhaitent se rendre sur leur territoire dans l’intention de
demander l’asile ; ceux-ci demeurant toutefois libres de le faire sur la base
de leur droit national (CJUE, GC, 7 mars 2017, X et X c. Belgique, C-
638/16). Cette absence de voies légales d’accès au sol européen, qui
contraint les demandeurs d’asile à emprunter d’autres voies et à s’exposer à
tous les périls, notamment ceux de la Méditerranée, en faisant appel à des
passeurs, a conduit le Parlement européen à saisir la Commission en
décembre 2018 d’une proposition visant à instituer une procédure de
délivrance d’un visa humanitaire européen assortie de garanties et
permettant aux demandeurs de solliciter l’asile dans le pays leur ayant
accordé ce visa.
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RAPPORTS ET AVIS
SITES
I. – L'octroi de la protection
II. – La réduction du champ de la protection
I. – Le contenu de la protection
II. – La perte de la protection
I. – Le contrôle de l'accès
Conclusion
Bibliographie
www.quesaisje.com